Mardi 13 mars 2018

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Risques naturels majeurs dans les outre-mer - Visioconférence avec Wallis-et-Futuna

M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, pour l'instruction de notre étude sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer, nous poursuivons ce matin notre cycle de visioconférences avec les territoires et nous partons pour Wallis-et-Futuna où il est déjà 19h30. Je remercie nos interlocuteurs d'avoir accepté notre proposition de rencontre en dépit de l'heure tardive. Je dois en outre excuser notre collègue Robert Laufoaulu qui, victime de la rareté des vols et de la discontinuité territoriale, n'a pu se joindre à nous.

Compte tenu du décalage horaire, les occasions sont rares d'entrer en contact directement avec vous, mais nous avons à coeur de prendre en compte l'ensemble de nos territoires. Wallis-et-Futuna n'est pas l'un des moins exposés aux risques naturels majeurs, nous avons encore pu le vérifier récemment avec la dépression cyclonique Gita. Les vulnérabilités de Wallis-et-Futuna ne sont pas exactement les mêmes et notre étude embrasse non seulement le risque cyclonique mais également le risque sismique, le risque de submersion ou encore les risques d'inondation ou de glissement de terrain. Nous souhaitons donc, sur la base de la trame que nous vous avons transmise, examiner concrètement avec vous les questions de prévention, de déclenchement de l'alerte et de gestion de crise, problématiques traitées dans le cadre du premier volet d'une étude qui comprendra ultérieurement un volet centré sur les problématiques de reconstruction et d'organisation de la résilience de nos territoires.

À ma droite se tient le sénateur de Saint-Martin, M. Guillaume Arnell, sénateur de Saint-Martin, coordonnateur de l'ensemble de l'étude. Notre collègue Mathieu Darnaud, sénateur de l'Ardèche, qui ne peut être parmi nous, et Mme Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, sont les deux rapporteurs de ce premier volet. Mme Vivette Lopez, sénatrice du Gard, est également présente à nos côtés.

Nous aimerions que vous nous présentiez les risques naturels majeurs identifiés sur votre territoire, ainsi que la chaîne d'alerte, la répartition des rôles et les moyens humains et matériels dont vous disposez.

M. Stéphane Donnot, secrétaire général de l'administration supérieure. - Je représente M. Jean-Francis Treffel, le préfet, administrateur supérieur des îles Wallis-et-Futuna qui est en mission en métropole. M. Gaël Rousseau, chef des services du cabinet du préfet, qui supervise la politique de sécurité civile va se charger de la présentation que vous nous avez demandée.

M. Gaël Rousseau, chef du cabinet du préfet. - Je souhaite tout d'abord vous rappeler la situation particulière du territoire qui, régi par un système terrien coutumier, ne dispose ni de cadastre ni de règles d'urbanisme. Il n'y a pas, à Wallis-et-Futuna, de schéma de cohérence territoriale (SCOT), de plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI) ou de plan local d'urbanisme et de l'habitat (PLUH). Le préfet, contrairement aux autres départements ou aux autres territoires, ne peut pas exproprier ou obliger les propriétaires à procéder à des aménagements aux abords des voiries ou en bord de mer. Aucune mesure d'interdiction de construction, d'aménagement ou de protection ne peut être prise. Tout se fait à l'amiable, en fonction de la bonne volonté de la population. Quand les propriétaires terriens veulent faire, ils font ; quand ils ne veulent pas faire, ils ne font pas. C'est notamment le cas des zones qui, en raison de la disparition de la mangrove, sont soumises aux effets de submersion en cas de fortes marées ou de houles cycloniques.

Le même constat de carence peut être établi pour les risques liés aux cyclones, aux séismes et aux tsunamis. Il n'y a pas de bassins de rétention et les constructions de digues ne sont pas faites. Le constat est un peu dur mais c'est la réalité de choses !

M. Michel Magras, président. - Le constat que vous faites limite le champ de nos interventions mais les risques sont bien présents !

M. Stéphane Donnot. - Les risques sont là et ils sont bien identifiés.

Commandant Serge Gombert, conseiller technique en sécurité civile auprès du préfet, détaché de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. - Les moyens d'alerte en cas de cyclone ou de tempête reposent sur la vigilance de Météo France qui nous envoie des bulletins météorologiques. En fonction de leur contenu, nous sommes amenés à mettre en place - ou pas - notre cellule de crise et à déclencher des niveaux d'alerte.

En ce qui concerne les risques de séisme ou de tsunami, nous sommes en relation avec l'Institut de recherche et de développement (IRD) de la Nouvelle-Calédonie et avec le Pacific tsunami warning center d'Hawaï qui nous envoient des alertes par mail. Les communications téléphoniques sont parfois difficiles car ces sites n'ont pas la possibilité de nous téléphoner directement. Nous avons demandé que les informations transitent par l'état-major de zone, situé à Nouméa, à charge pour lui d'appeler les services du cabinet chargés de la sécurité civile pour le déclenchement de l'alerte interne sur le territoire.

Nous avons également une difficulté : nous avons été sollicités récemment par le Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) pour payer l'entretien des deux marégraphes installés, l'un sur Wallis et l'autre sur Futuna. Nous ne sommes pas en mesure de le faire.

Pour les autres risques naturels, comme les glissements de terrain, l'alerte se fait directement par une chaîne d'alerte spécifique qui est décrite dans le dispositif d'organisation de la réponse de sécurité civile (ORSEC), à savoir une chaîne d'alerte interne pour Futuna et une autre pour Wallis. Le cabinet du préfet reçoit les informations et les retransmet aux services de gendarmerie et de pompiers. Ensuite, la cellule de crise est activée.

Nous avons mis en place récemment un système d'alerte et d'information des populations via un système de messagerie par téléphonie mobile. Ce système local est fragile car nous n'avons pas la main dessus. Des messages-types préformatés pour chaque événement particulier, limités en nombre de caractères ont été rédigés par les services du cabinet du préfet. Ils sont adressés au chef du service des télécommunications qui les envoie aux abonnés, soit à Wallis, soit à Futuna, soit vers les deux îles. Ce dispositif est testé tous les premiers mercredis du mois, à chaque essai de sirène. Le délai moyen pour que le dernier abonné reçoive le message d'alerte est de quinze minutes.

Les sirènes tsunami, 9 à Futuna et 7 à Wallis sont notre dernier moyen d'alerte. Mais la moindre panne du système de déclenchement des sirènes nous paralyse car nous n'avons aucune compétence technique et ne disposons ni de technicien, ni de contrat de maintenance.

M. Stéphane Donnot. - Je voudrais ajouter une précision sur le recours à l'alerte par sms. La particularité du territoire est que le service des postes et télécommunications est un service de la collectivité. Son chef est un agent placé sous l'autorité du préfet, chef du territoire ; il n'y a donc pas de difficulté pour obtenir la transmission de messages, de réticence de la part de l'opérateur, mais la difficulté vient de la couverture sur l'ensemble des îles, notamment celle de Futuna, et du taux d'équipement des populations en téléphones mobiles. Le service des téléphones mobiles a été mis en place à Wallis-et-Futuna en décembre 2015 et toute la population n'est pas encore équipée.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - À la suite des événements climatiques sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy, et à notre demande, le président Gérard Larcher a privilégié la création d'une mission d'information plutôt qu'une mission d'enquête, forcément accusatrice. Nous avons pour ambition d'écouter les témoignages et de faire des préconisations. À la lueur de ce que nous venons d'entendre et qui est inédit par rapport à l'ensemble des autres territoires, j'espère qu'elles auront des conséquences positives pour votre collectivité. La quasi-absence de tout nous interpelle fortement. Notre rapport devra insister sur le fait que l'ensemble du territoire national devrait disposer de conditions de sécurité équivalentes.

Mme Victoire Jasmin, rapporteur. - Je suis étonnée de constater que vous ne disposez pas de service d'urbanisme, de mesures de protection ou de prévention identiques à celles de nos îles. Cette situation est-elle le résultat d'une volonté de maintenir les choses en l'état ou est-il possible d'envisager une mise en conformité progressive par rapport à la législation française ?

Quels sont vos principaux besoins en matière de prévention et de protection des habitants ?

M. Michel Magras, président. - La problématique de foncier - et notamment le fait que le droit coutumier soit le principal droit applicable pour la gestion des terres et des biens sur le territoire -, est bien connue de la délégation qui en a fait l'objet d'une de ses études.

Pourriez-vous nous confirmer que vous ne disposez pas d'un plan de prévention des risques naturels (PPRN) ?

Vous avez dit que vous vous basiez sur les informations données par Météo France. Lorsque Météo France est chargée de donner l'alerte, qui fabrique les bulletins météo, qui suit les cyclones ? De quels moyens dispose Météo France ? J'ai compris que vous étiez en relation avec Nouméa, - mais Nouméa c'est loin - et exceptionnellement avec Hawaï. Vous n'avez que deux marégraphes. Vous avez parlé d'une chaîne d'alerte et d'un dispositif ORSEC. Je suppose qu'il s'agit d'un document écrit qui pourrait nous être communiqué.

Pourriez-vous confirmer que votre système d'alerte téléphonique n'est pas seulement constitué de sms mais qu'un message est diffusé ? Ce message programmé touche-t-il la totalité de la population ? Dans certaines autres îles, même si le mobile s'impose de plus en plus, on passe aussi par les téléphones fixes avec des messages et un rappel systématique tant que vous n'avez pas manifesté votre présence.

Considérez-vous que votre système d'alerte tsunami par des sirènes est satisfaisant ? Quelles préconisations souhaiteriez-vous voir reprises dans le rapport de notre délégation ?

M. Séphane Donnot. - Pour répondre à la question de Mme Jasmin concernant la compétence sur le foncier, je rappellerai que depuis la loi statutaire du 29 juillet 1961, publiée dans le contexte de la guerre d'Algérie, le texte qui organise les institutions à Wallis-et-Futuna confie au préfet, chef du territoire, énormément de pouvoirs. Le préfet est ici, par exemple, président du conseil de l'ordre des médecins. Cet équilibre institutionnel est basé sur un triptyque : le préfet, les élus de l'assemblée qui votent des délibérations que le préfet rend applicables ou non, et les chefferies des trois rois - le roi de Wallis et les deux rois de Futuna. Le statut de 1961 a confié la compétence du foncier à l'assemblée territoriale. En 1967, l'assemblée territoriale a pris une délibération pour organiser la mise en place de documents d'urbanisme. Mais pour ne pas contrarier les autorités coutumières et notamment le roi Lavelua Tomasi Kulimoetoke - qui a régné près de cinquante ans -, la délibération n'a jamais été exécutée.

Si la compétence appartient à l'assemblée territoriale, elle est de fait exercée par les coutumiers. Cette situation nuit également au développement économique du territoire. Aujourd'hui, on a l'internet des années 90, transmis par satellite. Dans les prochaines semaines un câble numérique sous-marin nous reliera à Samoa et Fidji. Il va permettre au territoire d'entrer dans l'ère du numérique. Mais, en dépit d'une fiscalité intéressante, tant que le foncier ne sera pas sécurisé, il sera difficile d'attirer des entreprises.

Sur le papier, les élus ont la compétence pour délibérer sur la création d'un droit de l'urbanisme, mais ils ne l'exercent pas.

Wallis-et-Futuna est le seul territoire de la République sur lequel la décentralisation n'a pas eu lieu. Lors de sa visite en décembre 2016, le président Hollande avait déclaré que l'État était prêt à accompagner les Wallisiens et les Futuniens dans une réforme statutaire, à condition que les élus expriment leurs souhaits. Nous sommes toujours dans cet équilibre où les coutumiers veulent garder la gestion du foncier et ne pas confier trop de compétences aux élus. Ces derniers voudraient récupérer l'exécutif tout en laissant le foncier aux coutumiers. À l'heure actuelle, les décisions sont prises à l'amiable. Ainsi, pour installer des panneaux d'alerte tsunami, il a fallu négocier longuement avec les chefs du village et les coutumiers qui, finalement, ont bien compris l'intérêt de la chose.

Il en est de même en matière de protection de l'environnement. Les îles de Wallis et de Futuna ont une population de 12 000 à 13 000 habitants. Nous sommes dans l'incapacité d'établir des règlements pour lutter contre la pollution du lagon et des zones de captage, générée par les 35 000 cochons.

Nous espérons que les Assises de l'outre-mer et l'arrivée du haut débit nous permettront d'avancer, avec les autorités coutumières, sur la sécurisation du foncier.

Enfin, malgré l'authentification de l'administrateur supérieur de l'époque, le découpage de certains terrains vendus à l'administration dans les années 1960 commence à être remis en cause.

Depuis les années 1970-1980 il y a une séparation des services entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna. Jusqu'à très récemment le commandement de la gendarmerie se trouvait en Nouvelle-Calédonie. Désormais, s'il en dépend en matière de soutien logistique, le commandant Pascal Cwiek est le commandant pour Wallis-et-Futuna. Sur notre territoire, Météo France est l'un des derniers services encore rattaché à la Nouvelle-Calédonie.

Mme Lusia Lenisio, responsable de Météo France. - Nous formons une petite équipe de cinq agents. À la suite de la détérioration de notre installation et dans l'attente de la construction d'un nouveau bâtiment, nous travaillons dans celui de l'aviation civile.

Lors d'un phénomène tropical, à Wallis-et-Futuna, nous suivons les prévisions en concertation quotidienne avec le centre de prévision de Nouméa. Nous faisons tous les matins un briefing de la situation en les confrontant avec ce que nous observons sur Wallis et avec les capteurs de Futuna car nous n'avons plus de présence humaine sur Maopo'Opo. Ces données sont communiquées de manière régulière par des messages envoyés sur le réseau toutes les demi-heures. Les données collectées sont suffisamment nombreuses pour permettre de faire des prévisions.

En cas de formation d'un phénomène sur un rayon de 750 kilomètres de part et d'autre de Wallis-et-Futuna, nous sommes tenus d'en informer l'administration. Nous mettons en place des contacts réguliers avec la Nouvelle-Calédonie pour suivre l'évolution du phénomène. Nous émettons des bulletins d'alerte météorologique. C'est sur la base des propositions de Météo France que sont lancées une pré-alerte, une alerte de niveau 1 ou de niveau 2. Nous sommes en relations régulières avec la préfecture pour toute prise de décision mais la décision finale appartient à l'administration supérieure.

En 2018, Météo France a mis en place quelques nouveautés avec notamment la production, depuis le 16 janvier, d'un bulletin quotidien d'activité cyclonique, avec une échéance de sept jours, sur tout phénomène susceptible de se former sur le bassin du Pacifique. Lorsqu'un phénomène se confirme, par exemple une dépression tropicale susceptible de menacer notre territoire, nous émettons également des bulletins d'information cyclonique toutes les six heures. Cette information est diffusée par mail et figure notamment sur notre page Météo NC. Nous faisons un effort pour mettre l'information à disposition de la population de Wallis et de Futuna.

Nous émettons également des bulletins de météo marine, accessibles par la population.

M. Gaël Rousseau. - Je vous ai dépeint un tableau noir qui, certes, est la réalité des choses mais je voudrais apporter également quelques nuances. Disposant d'une barrière de corail, large et présente quasiment partout, Wallis est davantage protégée des tsunamis et des houles cycloniques. Elle est moins soumise aux aléas climatiques que Futuna. De ce fait, le nombre de sirènes y est inférieur à celui de Futuna. Je rappelle que 230 kilomètres séparent les deux îles.

Les sirènes fonctionnent dans la mesure où elles sont maintenues en état de marche, ce qui est délicat car la préfecture ne dispose pas d'un budget de sécurité civile digne de ce nom. La seule ligne est celle qui est donnée par la direction générale des outre-mer, de l'ordre de 80 000 à 100 000 euros par an alors que nos besoins en sécurité civile pour tout le territoire sont de l'ordre de 1,4 million d'euros. Il nous faut faire des choix, notamment en matière de sirènes. Ainsi, nous ne procédons pas à certaines maintenances annuelles. La conséquence en est une situation dégradée.

Depuis l'arrivée du commandant Gombert au sein de l'administration supérieure il y a deux ans, nous essayons de mettre en place une convention de maintenance. Mais cela demande du temps et de la technicité. L'absence d'un technicien sirène radio-satellitaire sur le territoire constitue un point de faiblesse important. Nous sommes en contact avec la direction générale de l'outre-mer (DGOM) et nos collègues de la Nouvelle-Calédonie, et les négociations devraient aboutir cette année ou l'an prochain.

Nous ne recevons pas de messages car le système ne le permet pas. Des sms d'alerte sont envoyés sur les mobiles à destination soit de Wallis, soit de Futuna, soit des deux îles.

Nous aimerions que soient réalisées des études chiffrées sur la protection, le déplacement des installations techniques et les phénomènes d'exposition aux risques. Nous manquons d'ingénierie territoriale. Depuis mon arrivée, il y a six mois, je me suis posé la question des glissements de terrains sur Futuna. De mémoire d'hommes, il n'y en a pas eu qui soient significatifs mais cette île a un relief accidenté. À ce jour, aucune étude n'a été faite sur ce sujet.

Nous souhaiterions un renforcement organisationnel et financier des secours en intégrant directement au sein du budget de l'administration supérieure, comme cela peut exister un peu partout ailleurs, un budget de sécurité civile.

Compte tenu de notre mobilité statutaire nous restons sur le territoire entre deux et quatre années. Nous n'avons pas forcément la mémoire des choses. Or, en matière de gestion de crises, de prévisions, cette mémoire-là est importante. Pour assurer la continuité, nous essayons, avec les moyens qui sont les nôtres, de former des cadres wallisiens.

Nous essayons d'identifier et de mettre en avant des citoyens qui deviennent acteurs de la gestion de crise. Nous n'avons pas de cadet de la sécurité civile, ni de jeunes sapeurs-pompiers ou de sapeurs-pompiers volontaires. Avec le commandant Gombert, nous travaillons à la mise en place d'une chaîne de sécurité civile. Il va vous expliquer la particularité des sapeurs-pompiers de Wallis-et-Futuna.

Commandant Serge Gombert, conseiller sécurité civile auprès du préfet. - Les sapeurs-pompiers sont gérés administrativement par la circonscription. Ils ne répondent à aucune obligation opérationnelle. Il n'y a pas de stratégie de préparation organisationnelle, pas d'obligation de résultat ou d'entraînement, pas de préparation du matériel. À mon arrivée sur le territoire, j'ai rencontré des sapeurs-pompiers pleins de bonne volonté mais qui, pour des raisons de financement, n'avaient pas suivi de recyclage en secourisme depuis 2012. Il n'y a aucune formation de spécialité. À Futuna, l'île la plus exposée à tous les risques et notamment aux glissements de terrain, il n'y a pas de chef d'équipe sauvetage-déblaiement ni de matériel adéquat.

M. Pascal Dec, chef de la circonscription d'Uvea. - Il y a 17 pompiers à Wallis et 12 à Futuna. Les budgets sont pris en charge par les circonscriptions d'Uvea à Wallis, d'Alo et Sigave à Futuna. En termes logistiques, les centres de secours sont des centres théoriques. À Wallis, tout a commencé dans un conteneur. Désormais, le bâtiment est encore relativement sommaire par rapport à un centre équivalent en métropole.

Le centre de secours de Futuna a encore moins de ressources. Il n'y a pas de centre de secours. Nous sommes hébergés dans un bâtiment prêté par la chefferie. Les pompiers sont hébergés dans des conditions indignes. Le garage pour le camion est en planches.

Nous avons de grandes difficultés pour les dépenses d'investissement. Si l'an passé nous avons pu acheter une ambulance à Wallis, en remplacement d'une voiture réformée, nous ne pouvons pas acheter de camion. Un camion de pompier, vieux de trente ans, est semi-opérationnel ; le second, vieux de vingt-cinq ans, est quasiment hors service. Lorsqu'un incendie survient, on essaie de protéger une ou deux maisons, puis on laisse brûler. Il n'y a pas d'autre stratégie possible. Le renouvellement des matériels est vital mais les budgets des circonscriptions sont contraints.

Il y a plusieurs années que nous n'avons pas procédé à des investissements car il n'y a pas suffisamment de ressources. La situation est encore plus difficile à Futuna où 90 % du budget est consommé par la masse salariale ; sur celle d'Alo, nous sommes à plus de 100 %. Techniquement, ce sont des circonscriptions en faillite !

Nous basculons des crédits d'investissement sur du fonctionnement pour équilibrer les comptes. Nous aurions besoin d'une dotation spécifique d'investissement.

Le statut du personnel est également une source de difficultés. Le cadre d'emploi des sapeurs-pompiers, commun aux deux îles, date de 2002. Mais il a été très mal rédigé et comporte énormément de lacunes. Les sapeurs-pompiers volontaires n'ont pas de cadre d'emploi. Nous sommes face à un millefeuille de textes juridiques dont certains, pris antérieurement à la création du cadre d'emploi sous forme d'arrêtés locaux, n'ont pas été supprimés.

M. Michel Magras, président. - Pour résumer, vous auriez besoin de personnel, de matériel et de financement, vous n'avez pas de sapeurs-pompiers volontaires et vous disposez de 29 pompiers qui dépendent de la collectivité et n'ont pas de corps professionnel.

M. Pascal Dec. - Ils ont un cadre d'emploi qui se superpose avec le statut d'emploi local de 1976 qui est un statut d'agent public de droit privé.

M. Michel Magras, président. - Vous intervenez à la fois sur les incendies et les malaises, en complément des services d'urgence de santé. Je comprends l'immensité des besoins.

M. Pascal Dec. - Nous assurons également les transports de corps, de malades pour l'hôpital car il n'y a pas de service d'ambulance.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Dire que nous nous plaignons sur nos territoires ! Nous avons compris l'ampleur de vos besoins. Nous relaierons les informations que vous nous transmettez et espérons être entendus. Pourriez-vous nous faire un retour d'expérience par rapport aux différents risques ?

À Wallis-et-Futuna, avez-vous des risques spécifiques et comment vivez-vous votre isolement ? Avec les 230 kilomètres qui séparent vos deux îles, vous êtes confrontés à de multiples insularités.

M. Gaël Rousseau. - Autour de la table, nous avons tous vécu la dépression Gita qui n'était pas encore un cyclone lorsqu'elle est passée sur Wallis-et-Futuna. Elle a été gérée de façon cohérente avec le dispositif ORSEC dans la mesure où le phénomène avait été identifié relativement en amont par les services de Météo France. Il n'y a pas eu de montée en alerte sur Futuna car la pluie et les vents ne semblaient pas assez caractérisés pour passer en alerte cyclonique. Il n'y a pas eu de dégâts majeurs : quelques arbres et quelques poteaux électriques sont tombés. C'était durant la nuit et il n'y a pas eu de difficulté majeure de circulation. La dépression est arrivée à Wallis le matin. L'alerte a été mise en place en fin de matinée, avec le dispositif ORSEC. Une interdiction de circuler a été décidée entre la fin de la matinée et la soirée. Si l'électricité a été coupée sur les trois-quarts de l'île dès le début de l'après-midi, elle a été rétablie le lendemain en fin de journée. Les différents services de l'État et du territoire ont pu fonctionner. Durant tout le phénomène, le préfet a présidé la salle de crise. Même si tout n'a pas été parfait, la réponse apportée à la population a été adéquate par rapport au phénomène.

Le risque cyclonique est très identifié et nous arrivons à le gérer. Si des arbres tombent, nous faisons appel aux moyens locaux. S'il y avait eu des dégâts majeurs, nous aurions fait face avec les moyens locaux, ce qui n'aurait sans doute pas été suffisant. Il aurait fallu faire appel aux moyens zonaux de Nouméa. Mais pour arriver de Nouméa par voie aérienne, il aurait fallu au minimum sept heures, à condition que l'aéroport de Wallis permette l'atterrissage des avions militaires. Nous aurions également pu compter sur nos collègues australiens ou néo-zélandais mais il faut cinq jours à cinq jours et demi pour venir en bateau de Nouvelle-Zélande.

M. Michel Magras, président. - En cas d'urgence, vous pouvez faire appel à Nouméa qui se trouve à deux mille kilomètres. Avez-vous des conventions ou des accords avec Fidji ?

M. Gaël Rousseau. - Fidji, qui a du mal à gérer son propre archipel, ne dispose d'aucun moyen propre lui permettant de venir nous secourir. La Nouvelle-Zélande envisage de leur donner des moyens militaires, notamment un navire, à l'horizon 2019 ou 2020. Même après cette date, les moyens, s'ils permettront peut-être d'apporter de l'eau ou de parer aux premières nécessités, ne suffiront pas en cas de cataclysme majeur sur Wallis-et-Futuna. Une collaboration existe déjà entre les États du bassin Pacifique et si accord devait être conclu, il le serait au niveau de la zone.

En termes de moyens météo, nous sommes dépendants de la zone de compétence des îles Fidji. Ce sont elles qui caractérisent le phénomène et qui le font passer de dépression tropicale à cyclone. Nous avons constaté que la décision avait été un peu tardive. Elle aurait sans doute dû intervenir entre six et douze heures plus tôt. Elle a été classifiée à 19 heures au moment où nous levions l'alerte à Wallis. Elle aurait dû l'être entre 9 heures et 11 heures. Nous n'avons pas de prise sur cette classification qui peut nous amener, parfois, à prendre des décisions tardives.

M. Michel Magras, président. - Dans la mesure où les contacts peuvent être rompus avec la Nouvelle-Calédonie, quand Météo France vous transmet son bulletin d'information cyclonique, avec un phénomène susceptible de menacer Wallis-et-Futuna, avez-vous au niveau de l'administration de l'État une organisation propre - pré-opérationnelle - avec des chefs de service pour anticiper ce qui va se passer, voir ce qu'il faudra faire immédiatement après ?

M. Gaël Rousseau. - Nous avons un dispositif de pré-alerte, décrit dans le dispositif ORSEC, qui a fonctionné correctement lors du phénomène Gita. Les chefs de service viennent compléter les différentes cellules. Des zones refuges déjà pré-positionnées sur le territoire ont été définies en liaison avec les chefs coutumiers qui jouent le rôle important de courroie de transmission vis-vis de la population. Tout cela est identifié et mis en place en cas de besoin selon un schéma qui ressemble à celui de la métropole. Nous avons été jusqu'à préciser qui gère tel centre d'accueil, quel est le rôle de chaque chef de service selon le type de crise.

Mme Victoire Jasmin, rapporteur. - 90 % de votre budget est consacré aux dépenses de personnel. Qu'en est-il de sa formation, de la vérification et de la maintenance des équipements ? Avez-vous un plan de formation, de gestion des emplois et des compétences ?

Ne faudrait-il pas apporter des modifications à la structure des cadres d'emplois qui ne permettent pas d'embaucher des sapeurs-pompiers volontaires ?

Dans la mesure où votre présence n'est pas inscrite dans la durée et compte tenu de votre volonté de former des emplois locaux, disposez-vous des moyens financiers nécessaires ?

Prévoyez-vous de faire l'acquisition de nouveaux matériels et notamment de véhicules de secours ?

M. Stéphane Donnot. - Nous sommes sur des circonscriptions gérées par l'autorité administrative. À Uvéa, des fonctionnaires représentent le préfet. À Futuna, le délégué du préfet fait office de chef de circonscription. Dans ces circonscriptions, le conseil municipal, composé essentiellement de représentants des autorités coutumières, donne les orientations des dépenses, demande le remplacement des voitures des rois, le recrutement de personnes.... Les missions des circonscriptions sont quasiment équivalentes à celles des communes en métropole ou dans les autres outre-mer, mais les moyens ne sont pas comparables. Le territoire perd environ 1 500 habitants tous les cinq ans et la dotation globale de fonctionnement suit la diminution régulière de la population. Contrairement à d'autres territoires, Wallis-et-Futuna ne bénéficie pas de certaines dotations de l'État. Il n'y a pas de taxe d'habitation. La masse salariale est très importante et boucler un budget est un exercice difficile : c'est compliqué pour la partie fonctionnement ; ce l'est encore davantage pour la partie investissement. Les budgets ne sont pas suffisants pour répondre aux missions attendues.

M. Gaël Rousseau. - Nous n'avons pas prévu actuellement de plan de formation d'un technicien car nous n'avons pas identifié la personne susceptible d'être concernée. Avec le chef de la zone maritime, nous allons essayer de trouver localement, peut-être dans les sociétés privées, quelqu'un qui serait susceptible de le faire. Nous essayons aussi de voir si le service des postes et télécommunications serait en capacité de mettre à disposition un technicien que nous pourrions former. En dernier recours, nous envisageons de demander une augmentation du plafond d'emploi pour recruter pendant un ou deux ans un technicien spécialisé en système d'information et de communication (SIC), formé sur les moyens radio-satellitaires et la gestion des sirènes afin d'apporter ce savoir-faire. La difficulté pour nous est d'identifier la personne ressource.

Par ailleurs, nous avons identifié au sein de l'administration supérieure une personne que nous formons sur la sécurité civile, mais la formation et la montée en compétence d'un cadre en sécurité civile prend plusieurs années.

Commandant Serge Gombert. - Depuis mon arrivée, j'essaie de dynamiser la formation des pompiers mais je me heurte à deux difficultés. La première est financière, car il n'y a aucune participation du territoire. Le président de l'assemblée territoriale considère que les pompiers remplissent une mission de sécurité civile et que celle-ci, conformément au statut de la loi de 1961, relève de l'État. Nous faisons avec les moyens dont nous disposons. La seconde difficulté tient au fait qu'à la suite du transfert de compétence de la sécurité civile vers le gouvernement en Nouvelle-Calédonie, les ponts ont été coupés avec Wallis-et-Futuna. Avant, la sécurité civile de Nouvelle-Calédonie aidait les pompiers de Futuna, les prenait en charge et avait mené quelques actions de formation. Depuis le transfert de compétences, Wallis-et-Futuna est seule. La sécurité civile de Wallis-et-Futuna est un client parmi d'autres de la sécurité civile de Nouvelle-Calédonie. J'essaie de remettre en place une convention de formation et de la faire prendre en charge en partie par les accords particuliers. J'ai rédigé une convention, avec un plan de formation sur cinq ans qui vise à remettre à niveau les sapeurs-pompiers, et ensuite à essayer de les rendre un peu autonomes vis-à-vis de la Nouvelle-Calédonie pour former des formateurs qui eux-mêmes pourront former des jeunes.

Le cadre d'emploi des sapeurs-pompiers dépend d'une superposition de textes plus ou moins acceptés par les personnels. Nous travaillons sur une réforme des statuts depuis 6 mois mais c'est très difficile car les personnels ont obtenu, à chaque strate de texte, de nouveaux avantages sans aucune contrepartie, notamment en matière de règlement intérieur, de règlement opérationnel. Le texte sur lequel nous travaillons contiendra un règlement intérieur, un cadre d'emplois fixant les règles, les missions, les obligations et les contraintes, le suivi des équipements de protection individuelle.

M. Michel Magras, président. - Les pompiers assurent-ils la sécurité aéroportuaire en cas d'accident d'avion ?

Commandant Serge Gombert. - À Wallis, un service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs (SSLIA) est assuré par les pompiers de l'aviation civile. À Futuna, pour l'aéroport de Vele, les sapeurs-pompiers appartiennent au service des travaux publics. Les pompiers des circonscriptions de Wallis et de Futuna n'assurent que les missions de secours, d'assistance à la population et de sécurité civile.

M. Séphane Donnot. - L'aéroport international de Wallis est un aéroport d'État qui dépend de la direction générale de l'aviation civile (DGAC). Les pompiers sont des agents de l'aviation civile. Celui de Futuna est un aéroport territorial, géré par la collectivité de Wallis-et-Futuna, et les pompiers relèvent du service des travaux publics. Les pompiers qui sont embauchés à l'aéroport ont le statut d'agent permanent du territoire. Parmi l'ensemble des pompiers, il y a des rattachements et des missions différentes ; plusieurs statuts coexistent : pompiers de circonscription, pompiers de l'aviation civile, pompiers du territoire.

M. Michel Magras, président. - Saint-Barthélemy est une petite île qui dispose de son propre système d'incendie et de secours, mais il y a un fonctionnement complémentaire entre le SSLIA et les pompiers professionnels et nous avons une convention de formation et de suivi de nos personnels avec la Guadeloupe.

Vous nous dites que la convention avec la Nouvelle-Calédonie n'existe plus mais, dans nos préconisations, nous pourrions souligner qu'il est indispensable que la formation des sapeurs-pompiers soit maintenue.

Compte tenu de la faible distance entre vos deux îles, est-il concevable de partager les équipements pour que l'une vienne au secours de l'autre en cas de besoin ?

M. Gaël Rousseau. - La logique est implacable mais comment faire transiter les moyens entre Wallis et Futuna ? Pour pouvoir utiliser des bateaux, il faudrait procéder aux renforcements des quais ou à leur aménagement ; pour utiliser des moyens aériens, il faudrait déterminer de quels avions nous pourrions disposer et améliorer la piste de Futuna.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Nous avons le sentiment qu'il y a localement énormément de freins. Mais nous ressentons votre envie de faire évoluer la situation en dépit des difficultés et notre rapport aura pour objectif de vous aider dans cette tâche.

Vous dites que Wallis est préservée du fait de sa barrière de corail. N'y-a-t-il pas lieu de pré-positionner des secours ? Bien évidemment, les moyens lourds viendront ultérieurement en cas de catastrophe majeure.

M. Gaël Rousseau. - Si nous n'étions pas animés par l'envie d'améliorer la situation, nous serions tous déjà rentrés en métropole. Je suis arrivé il y a six mois, volontairement. Je suis là pour deux ou quatre ans. Chaque jour, nous essayons de trouver des solutions. J'ai eu la chance de passer par la DGAC et c'est un monde que je connais bien. Il y a quelques mois, dans ma lettre au père Noël du territoire et de l'État, j'ai demandé 1,4 million au territoire et 1,4 million à l'État. Je veux bien que l'on puisse transférer des ambulances d'un territoire à un autre, mais quand vous n'avez pas de port ou d'aéroport digne de ce nom à Futuna, je ne vois pas comment, aujourd'hui, nous pourrions faire du pré-positionnement. Compte tenu de son état, comment pourrions-nous utiliser l'aéroport de Futuna pour le transport du matériel ? L'envie est là, le besoin est là. Nous essayons de trouver des réponses mais ce n'est pas facile. En plus, nous avons une population vieillissante et des déserts ruraux qui augmentent.

M. Séphane Donnot. - Il faut également s'interroger sur l'envie de la population de voir les choses changer. Les ATR42 ne peuvent pas se poser sur la piste de Vele, le décollage de nuit y est impossible. Il faut quitter Futuna avant 16 heures 30. Afin de disposer de la place nécessaire à la réalisation d'un balisage de nuit, les services de la préfecture ont proposé à quatre personnes d'être relogées à 300 mètres de leur habitation actuelle. Une indemnisation leur était proposée, la collectivité aurait procédé à la viabilisation de la zone et à la reconstruction de leur logement. Nous ne sommes pas parvenus à trouver un accord. Quatre personnes bloquent le développement du territoire et les évacuations sanitaires ! Pour nous, apporter plus de sécurité, permettre les décollages de nuit, éviter que des gens meurent faute de transport sanitaire, développer le territoire apparaissent comme des évidences. Cet aéroport rénové permettrait des liaisons Fidji-Futuna, Futuna-Wallis, et d'améliorer la desserte régionale. Aujourd'hui, à Wallis, nous avons un avion le lundi et un avion le vendredi. Dans quelques semaines, nous aurons un avion le mercredi matin qui part de Nouméa à 1 heure du matin. C'est pour nous un projet d'intérêt général, mais les élus, les coutumiers élus de Futuna ne se sont pas mobilisés, et la population non plus.

M. Michel Magras, président. - Je comprends la singularité de votre situation. C'est un autre choix de vie. J'ai conscience que tout ne se fera pas du jour au lendemain.

Êtes-vous soumis à des risques sismiques ou de tsunamis ? Si tel est le cas, comment et par qui sont-ils gérés, avez-vous des plans d'évacuation ?

Vous avez évoqué la méconnaissance des autres risques sur le territoire. Nous avons eu la chance de nous rendre au BRGM et de voir ce qu'il a été capable de faire à La Réunion en mettant, à partir de photographies, tous les risques sur une carte. Cette solution est onéreuse mais elle est faite une fois pour toute.

M. Gaël Rousseau. - Le risque de tsunami est bien identifié et des études poussées ont été réalisées à ce sujet. Nous avons un très fort risque de tsunami, autant à Wallis qu'à Futuna, avec la réserve que j'ai émise précédemment pour Wallis, protégée par sa barrière de corail. Futuna se trouve juste au-dessus d'une faille sismique qui passe entre Futuna et Alofi. Wallis en est un peu plus éloignée mais reste relativement proche.

Depuis le transfert de la sécurité civile vers le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, l'alerte tsunami ne vient plus de Nouméa. Nous recevons directement des mails de la part de l'IRD pendant les heures d'ouverture des bureaux. En dehors de ces périodes, les alertes sont transmises via internet ou Twitter à différentes personnes au sein du cabinet du préfet qui nous réveillent parfois au milieu de la nuit. Samedi dernier, il y a eu un séisme au Mexique et j'ai reçu une alerte tsunami à deux heures du matin. Ce système marche plutôt bien mais il nécessite une fiabilisation sur laquelle nous travaillons avec le haussariat de Nouvelle-Calédonie. Nous souhaitons que leurs permanents puissent nous appeler au cas où nous ne recevrions pas l'alerte sur nos mobiles personnels.

Commandant Serge Gombert. - Nous nous appuyons sur les études de l'IRD. Je me suis déplacé en Nouvelle-Calédonie pour avoir des éléments d'information complémentaires. Nous avons identifié trois risques de tsunami :

- un risque tsunami lointain, trans-Pacifique, qui viendrait du Japon ou de la côte ouest de l'Amérique du sud ; les îles de Wallis et de Futuna auraient un délai de plusieurs heures pour réagir avant d'être atteintes ;

- un risque de tsunami régional, venant du Vanuatu ou de Tonga ; le délai pour réagir serait de moins de deux heures ;

- un risque de tsunami local, notamment lié à la faille de Futuna ; le temps de réaction serait extrêmement court ; de plus, toutes les constructions de Futuna sont sur le bord de la mer et il n'y a pas de barrière de corail.

Une fois l'information transmise, nous disposons de plusieurs moyens pour alerter la population. Ce sont les sirènes déclenchées à partir de l'administration supérieure, depuis Wallis ou depuis Futuna, quand elles sont en état de fonctionner. Ensuite nous avons les hommes à pied - la gendarmerie, les pompiers qui font le tour des villages avec des mégaphones pour évacuer les populations - avec une chaîne d'alerte via le 17 et le 18. Nous utilisons également après les SMS, les médias et les réseaux sociaux. Nous utilisons tous les moyens possibles pour alerter la population rapidement. Nous avons mis des panneaux tsunami dans les zones à risques, avec des chemins identifiés d'évacuation vers les hauteurs. Les risques sont inclus dans tous les PPMS. Quand je fais les visites d'établissements recevant du public, je vérifie qu'ils sont à jour.

Nous sensibilisons tous les responsables d'établissements scolaires à l'existence des chemins d'évacuation. Une anecdote : lors d'une visite d'une école de Futuna, nous nous sommes aperçus que le chemin de repli tsunami était coupé par une tarodière d'eau. J'ai eu une réunion avec la chefferie et le prêtre - car la tarodière appartient à l'église - pour essayer d'aménager un chemin derrière l'école. Nous ne sommes pas parvenus à trouver une solution car elle était située sur un terrain cultuel. Il nous a fallu trouver une autre solution, sur un mode dégradé. Il faudrait prendre le chemin de la mer pour retraverser la route et repartir ailleurs. Nous éprouvons des difficultés à faire appliquer des règles simples.

M. Gaël Rousseau. - Les Wallisiens et les Futuniens sont des catholiques très pratiquants. Il y a un désintérêt majeur de la population pour des événements liés à la sécurité civile. Ils s'en remettent traditionnellement toujours à Dieu. Si l'événement est arrivé, c'est que Dieu l'a voulu.

M. Michel Magras, président. - Le risque sismique en lui-même, sans parler de ses conséquences potentielles de tsunami, est-il réel ?

Commandant Serge Gombert. - D'après les documents dont nous disposons et l'IRD, le risque est essentiellement situé sur la faille de Futuna mais nous n'avons pas d'étude très précise. L'étude de l'IRD concerne le risque séisme-tsunamigène, c'est-à-dire un tsunami créé par un séisme dans les îles avoisinantes.

M. Michel Magras, président. - Je cède la parole à M. Patrick Chaize, spécialiste de l'aménagement numérique du territoire.

M. Patrick Chaize. - Les réseaux de communication et la fibre optique sont des facteurs de développement majeurs. Existe-t-il un projet de raccordement des deux îles ? Pourriez-vous nous dresser un état des lieux des réseaux actuels qui devraient être en cuivre ? Quels sont les taux de couverture en mobiles, en raccordement, de la population ? De quelle génération est la téléphonie mobile ?

Mme Vivette Lopez. - Je comprends votre difficulté à faire évoluer les choses si vos préconisations n'intéressent pas la population. Les prêtres ne pourraient-ils pas être un relais avec la population ?

M. Séphane Donnot. - Dans le cadre de la stratégie numérique du territoire, nous sommes en train de développer un plan de déploiement terrestre du très haut débit. Mais on en revient à la problématique du foncier. Pour réaliser un déploiement terrestre, il faut installer des poteaux et des lignes mais même les routes peuvent être sujettes à des revendications foncières ; cela suppose de négocier âprement avec les autorités coutumières et les propriétaires terriens. Tout en continuant la couverture terrestre, nous étudions, avec les bureaux d'étude et les assistants techniques de l'Union européenne qui nous accompagnent dans ce projet, financé par le FED, la possibilité d'un déploiement de la 4G. Mais là encore, nous sommes contraints de négocier pour implanter chaque nouvelle antenne pour le téléphone mobile.

Nous vous transmettrons le taux de couverture par habitant. Le territoire a pris l'engagement auprès de l'Union européenne de faire en sorte que le haut débit soit accessible au plus grand nombre. Nous envisageons même de faire des zones de Wifi 100 % gratuite pour permettre à tout le monde d'accéder aux sites de l'administration, de la caisse de prestations sociales qui correspond à la caisse de retraite et d'allocations familiales.

M. Michel Magras, président. - Au lendemain du cyclone Irma, lorsque notre île a été coupée du monde, je peux vous assurer que la présence d'une dizaine de zones de Wifi gratuite, à différents endroits stratégiques, a permis aux gens de communiquer.

M. Séphane Donnot. - Notre document sur la stratégie numérique est à votre disposition. Nous pourrons vous transmettre notre plan de déploiement lorsqu'il aura été finalisé et adopté par l'assemblée territoriale.

Les responsables de l'Église catholique sont des partenaires importants sur l'ensemble de l'île. Nous passons par eux pour certaines demandes mais nous ne savons pas toujours d'où viennent les réticences.

M. Michel Magras, président. - Le câble n'est pas toujours fiable. Notre île a été coupée du monde pendant plusieurs jours car celui qui nous reliait à l'île voisine avait été coupé. L'enfouissement des fibres optiques est actuellement la meilleure solution.

M. Gaël Rousseau. - Je ne voudrais pas que le tableau que nous avons dressé devant vous soit trop noir. Nous avançons à petits pas, au jour le jour, avec des solutions locales.

Sur les cyclones et les tsunamis, nous approfondissons notre connaissance des phénomènes qui se sont produits les années précédentes afin d'en tenir compte et d'améliorer la prévision de crise, la gestion de crise et le retour à la normale après la crise. Depuis mon arrivée il y a six mois, j'ai vécu deux alertes tsunami, deux séismes et un cyclone. Nous apprenons tous les jours, malgré l'absence de moyens, malgré parfois le cadre juridique. Ce n'est pas parce qu'on manque de cadre juridique qu'on ne cherche pas à en créer un ; ce n'est pas parce qu'on manque de moyens qu'on n'essaie pas de trouver d'autres solutions et parfois de réclamer aux portes du ministère de l'intérieur ou de la ministre des outre-mer quelques moyens supplémentaires qui, au vu du budget global de l'État, sont une goutte d'eau dans un océan.

M. Michel Magras, président. - Nous sommes conscients de vos réalités, de vos spécificités. Notre objectif n'est pas de faire un tableau noir mais de faire des propositions à partir de réalités du terrain. Nous continuons à militer au sein de la délégation pour que les normes soient adaptées aux territoires.

Le fait que vous soyez amenés à quitter le territoire tous les deux ou trois ans n'est-il pas trop court pour prendre conscience des réalités et mettre en place des stratégies ?

M. Séphane Donnot. - Le séjour des fonctionnaires est de deux ans, renouvelable une fois, soit au maximum quatre années. On peut avoir le sentiment que ce séjour est bref à l'aune du temps nécessaire pour s'habituer à un territoire, à une collectivité, à une météo, à un contexte culturel. Pour autant, notre action s'inscrit dans le cadre d'une équipe qui n'est pas composée uniquement de fonctionnaires. La préfecture comprend une vingtaine de fonctionnaires et quarante ou cinquante cadres locaux qui ont le statut d'agents permanents. L'objectif est de transmettre aux agents publics et aux collègues locaux ce savoir-faire, cette méthode et cette organisation. Quand on a la motivation d'agir pour un territoire, on peut faire passer des choses en quelques années ! Au-delà, on s'inscrit aussi dans une forme de routine qui n'est pas forcément très bonne.

M. Michel Magras, président. - Nous vous remercions pour le temps que vous avez consacré à cette audition et la franchise de vos propos.

M. Séphane Donnot. - Nous avons tenu un discours de franchise et vous remercions pour votre attention. Nous avons eu à coeur de vous dire les choses telles qu'elles sont et sommes très heureux d'avoir partagé ces moments avec vous.

Mardi 13 mars 2018

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Risques naturels majeurs dans les outre-mer - Communication gouvernementale

M. Michel Magras, président. - Après notre visioconférence de ce matin avec les îles Wallis et Futuna, nous avons le plaisir d'accueillir ce soir :

- Mme Eva Quickert-Menzel, cheffe du département communication de crise et communication territoriale de l'État du Service d'information du Gouvernement (SIG),

- ainsi que M. David Julliard, sous-directeur délégué à l'information et à la communication du ministère de l'intérieur, que je connais de par de précédentes fonctions qu'il a pu exercer outre-mer, notamment dans les Antilles où il a été sous-préfet des Îles du Nord.

Madame, Monsieur, je vous remercie d'avoir répondu favorablement à notre sollicitation. L'information des populations est une donnée majeure de la gestion de crise, nous avons pu encore le vérifier lors du cyclone Irma qui a dévasté les Îles du Nord. Les services gouvernementaux exercent une responsabilité essentielle en la matière et nous souhaitons vous entendre sur la base de la trame qui vous a été communiquée par notre secrétariat.

Mme Eva Quickert-Menzel, cheffe du département communication de crise et communication territoriale de l'État du Service d'information du Gouvernement (SIG). - Nous nous sommes coordonnés pour vous présenter ensemble les actions de nos deux services, qui travaillent nécessairement de concert dans la gestion des crises. Je vous présenterai le schéma général d'intervention en cas de crise et David Julliard fera ensuite un retour d'expérience sur l'épisode Irma en 2017.

Je commencerai par l'organisation de l'État en période de crise. Lors d'une crise grave, le Premier ministre peut décider du déclenchement d'une cellule interministérielle de crise (CIC). Celle-ci est coordonnée par un ministère, souvent le ministère de l'intérieur. Cette cellule est prévue par la circulaire du 2 janvier 2012 relative à l'organisation gouvernementale pour les crises majeures. Cette cellule comprend plusieurs sections : anticipation, situation, décision et communication. L'ensemble des ministères concernés sont représentés au sein de la CIC. Cette organisation a montré son efficacité lors des dernières crises - attentats de novembre 2015, de Nice en juillet 2016, ou le crash du vol Germanwings, par exemple. Elle est également régulièrement testée lors d'exercices organisés par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) comme le NRBC 17, Pirate Mer 17, Metropirate 17 ou Séisme 2013. Le retour d'expérience de l'exercice sismique aux Antilles a d'ailleurs été très utile dans la gestion d'Irma.

Je souhaiterais développer la fonction de communication de la CIC. Dès le déclenchement de la CIC, la cellule communication du ministère pilote l'intègre. Ses missions sont d'informer sur les événements en cours, de donner des consignes comportementales tout en s'adaptant à la situation. Cette cellule communication s'articule autour de plusieurs pôles : un pôle digital - qui a pris une importance considérable - assurant, d'une part, une veille médias et réseaux sociaux et, d'autre part, l'administration des comptes ministériels et gouvernementaux avec des posts, tweets et infographies ; un pôle presse, chargé des réponses aux journalistes et de la préparation des éléments de langage tant pour la plateforme téléphonique que pour Radio France ; un pôle d'animation réseau destiné aux relations avec les préfectures. Les ministères peuvent venir renforcer ce dispositif avec leurs communicants de crise ; le service d'information du Gouvernement (SIG) par sa direction ou son département de communication de crise vient, en tant que relais du Premier ministre, assurer un conseil stratégique et apporter des outils, notamment un marché de plateforme téléphonique ou une information du grand public.

M. David Julliard, sous-directeur délégué à l'information et à la communication du ministère de l'intérieur. - Je vais de mon côté revenir sur la gestion de l'ouragan Irma. Je vous remercie de nous offrir cette occasion de rendre compte des actions de nos différents services.

Le ministère de l'intérieur, comme dans la plupart des cas, s'est vu confier par le Premier ministre la direction de la cellule interministérielle de crise. C'est à ce titre que la délégation à l'information et à la communication du ministère (DICOM) de l'intérieur joue un rôle pilote dans la communication institutionnelle de l'État. La DICOM est ainsi intervenue sur les trois phases : anticipation, gestion et post-crise. J'insisterai dans mon propos sur les canaux utilisés et l'adaptation de la communication aux différents publics.

La gestion de la crise Irma a été anticipée. La DICOM faisait ainsi des points de situation avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise ; la première alerte du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) a été faite le 2 septembre 2017. La délégation était également en lien avec les météorologues de Météo France et de la société Predict. Dès le 4 septembre, une veille était assurée avec l'association Volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel (VISOV).

La catégorisation de l'événement s'est précisée au gré des contacts avec la préfecture de la Guadeloupe et la préfecture déléguée de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, qui ont été initiés le 2. La communication opérationnelle et institutionnelle s'articule de manière permanente avec le réseau territorial des préfectures. Les actions s'appuient sur les outils d'alerte traditionnels que sont la presse et les réseaux sociaux avec un développement des infographies.

J'en viens désormais à la gestion de l'événement en lui-même. La cellule interministérielle de crise a été activée le 6 septembre 2017 à 8 heures, heure de la métropole. Il faut souligner que la mission communication a évolué : les réseaux sociaux ont pris une importance qu'ils n'avaient pas il y a encore quatre ans ; ils sont aujourd'hui des bouches et des oreilles, permettent une réelle veille et contribuent à analyser l'état d'esprit de l'opinion, des rumeurs. La communication s'appuie sur les comptes - en particulier le réseau Twitter - du Gouvernement (@gouvernementFR) et du ministère de l'intérieur (@place_Beauvau), qui ont une audience très importante. Notre action passe par la réalisation d'infographies et de vignettes d'information du public, simples, chiffrées et pédagogiques sur les actions de l'État. Il s'agit également de mettre en cohérence les messages délivrés par les comptes du ministre et ceux du ministère, notamment lors des déplacements, communiqués ou prises de parole. Enfin, l'information du public passe également par des outils à mettre en place comme le déclenchement de la réponse téléphonique à la crise, des livrets d'information pour les rapatriés ou l'activation de la convention avec Radio France.

La DICOM a été en appui aux services de l'État à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, la préfecture déléguée étant alors en situation critique. Cinq agents ont été mobilisés et projetés sur le terrain. Ils ont notamment permis de produire des images, utiles à la presse, et de soutenir les services en Guadeloupe et à Saint-Martin dans les relations médias.

Le travail de veille est important, sur les chaînes d'information en continu, les radios, les journaux télévisés, les médias en ligne et les réseaux sociaux (hashtags et flux). Ce travail est double : il s'agit, d'une part, de connaître l'état de l'opinion, en envoyant des alertes et points de situation réguliers aux cabinets - respectivement du Premier ministre et du ministre de l'intérieur pour le SIG et la DICOM -, et de détecter les fausses informations et rumeurs, d'autre part. Ce second point n'est pas nouveau : cette problématique a été déjà rencontrée lors des attentats de 2015. Pendant Irma, nous avons notamment dû répondre aux messages selon lesquels la préfète déléguée avait pris la fuite ou annonçant des évasions de la prison de Sint-Maarten.

Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Rumeurs malheureusement relayées par certains médias...

M. David Julliard. - Oui. Guadeloupe 1ère avait aussi par exemple indiqué que les capacités logistiques étaient réservées aux touristes américains, ce qui était faux. Il était très important de répondre à ces différents éléments. Nous les croisions pour cela avec les informations issues du terrain. Les rumeurs étaient vérifiées en temps réel avec l'appui des opérationnels et des partenaires privés. Nous réfléchissons également à la stratégie à adopter, réponse ou non réponse.

La présence numérique a été puissante grâce à un maillage local et national. Au niveau local, la préfète a pu rapidement reprendre le contrôle de son compte Facebook - ce qui au début ne paraissait pas critique car le réseau GSM ne fonctionnait plus sur place - et celui du compte Twitter de la préfecture. Au niveau national, les comptes Twitter et Facebook du Gouvernement, du ministère de l'intérieur, des forces de sécurité - police et gendarmerie - et du ministère des armées ont été mobilisés. Nous nous sommes également appuyés sur les médias, notamment France info, Guadeloupe 1ère ou encore Quotidien et la radio d'urgence, mais aussi un réseau de veilleurs avec l'association VISOV.

Nous avons produit de nombreuses infographies, dont je vous communique quelques exemples : plusieurs sont consacrées aux moyens déployés et à la communication, notamment du numéro de crise. Je voudrais ici vous donner une série de chiffres qui vous donneront une impression plus précise de l'ampleur.

Pour la préfecture de Guadeloupe, 200 tweets ont été publiés, générant 7 700 000 vues, ce qui est considérable. Nous avons ainsi assisté à une augmentation du nombre de vues de 7 000 %, du nombre de visites sur le profil de 11 670 % et 4 000 abonnés supplémentaires ont été constatés. Ces publications ont de plus été massivement reprises par la presse locale et nationale. Pour vous montrer l'importance que Twitter a pu avoir : sur le tweet le plus vu, 1 420 000 vues et 61 300 partages ont été décomptés. La présence sur Facebook a également été importante : la préfecture a publié 170 posts qui ont généré 80 000 vues et, par rebond, touché 1 600 000 personnes ; l'audience a augmenté de 1 942 % avec 8 000 « amis » supplémentaires. Là encore, les publications ont été largement reprises par la presse locale. Le site internet de la préfecture a, quant à lui, comptabilisé plus de 92 000 visites et plus de 211 000 pages parcourues, soit une augmentation de 640 % de la fréquence. À Saint-Martin, 99 posts ont été publiés par le compte de la préfecture, générant 3 300 000 vues et 1 600 000 personnes par rebond. On note ici un taux d'engagement moyen très performant, 4,5 % sur la période, ainsi qu'une augmentation de plusieurs centaines d'abonnés.

Je voudrais enfin préciser l'équivalent pour les comptes du Gouvernement du ministère de l'intérieur. Plus de 70 tweets ont été publiés - point de situation, information à la population, déploiement du dispositif de sécurité, pour plus de 8 millions de vues et impressions. Sur Facebook, 60 posts ont généré plus de 3 millions de vues.

Les relations presse ont également été denses. Les prises de parole du Premier ministre, du ministre de l'intérieur et de la ministre des outre-mer ont été abondantes, avec des conférences de presse ministérielles quotidiennes, mais aussi de nombreux communiqués de presse - 35 au niveau local, 20 au niveau national par la CIC - et interventions dans les médias, avec des prises de parole d'experts et de porte-parole de la gendarmerie et de la direction de la sécurité civile. Les images de la DICOM ont été mises à disposition de la presse.

Une réponse téléphonique a également été rapidement mobilisée. Beaucoup d'appels provenaient de personnes qui avaient perdu le contact avec leurs familles. Il était nécessaire d'y répondre ; même si nous avions peu de moyens pour apporter des réponses précises, avoir une écoute était déjà important. Deux numéros d'information du public ont ainsi été ouverts dès le 6 septembre : un numéro local de Centre d'information sur la prévention (CIP) par la préfecture de Guadeloupe et un numéro national activé à la demande du ministère de l'intérieur destiné aux personnes vivant en métropole sans nouvelle de leurs familles, géré par le prestataire Téléperformance lié au SIG par marché. Parallèlement, une cellule d'aide aux Antilles a été mise en place dès le 7 septembre. Celle-ci a constitué une réponse inédite gérée par le ministère des affaires étrangères et a contribué à la prise en charge de la recherche de victimes. Un basculement vers le numéro national « 08 victimes » a été opéré à partir du 22 septembre.

Ce sont ainsi 120 000 appels qui ont été reçus, que ce soit pour la recherche de proches, un rapatriement, des aides financières, des questions de scolarité ou autre. Une cellule d'appui psychologique a été mise en place pour accompagner les téléopérateurs. Les éléments de langage étaient élaborés en CIC, pilotés par la DICOM en lien avec le SIG et le ministère des affaires étrangères : ils ont été produits en continu.

Je voudrais maintenant revenir sur la radio d'urgence qui a été mise en place lors d'Irma. Je rappelle qu'une convention lie le ministère de l'intérieur et Radio France dans des situations de crise. À la suite de l'ouragan Irma, Radio France a proposé de monter une radio d'urgence depuis Paris. L'émetteur de France Inter à Saint-Martin a été choisi, TDF ayant pu rétablir celui-ci très rapidement, avant les réseaux de télécommunications. La CIC a produit des éléments pour diffusion. Les messages étaient actualisés en continu et des traductions ont été faites : la radio diffusait ainsi en français, en anglais et en créole avec l'aide de la DGOM et du ministère des affaires étrangères. Ceux-ci pouvaient comprendre des points d'information, notamment météo, des points route ou des éléments sur le ravitaillement par exemple. Cette radio a été le seul vecteur d'information pendant près de 15 jours.

Nous avons également produit une communication à destination des rapatriés sous forme de guide : un dépliant était ainsi distribué au départ de l'aéroport, un autre à l'arrivée à Paris ; tous deux étaient corédigés par les ministères de l'intérieur et des outre-mer.

Mme Eva Quickert-Menzel. - Dans la phase de retour à la normale, l'action gouvernementale a pris la forme d'un accompagnement des préfectures. Deux chargées de communication ont été envoyées en renfort en septembre 2017, l'une à la préfecture déléguée de Saint-Martin, afin d' « autonomiser » le service de communication local, et l'autre au bureau de la communication interministérielle de Guadeloupe, pour la coordination de la communication avec l'aéroport de Saint-Martin (SXM) et la communication numérique. Durant l'hiver 2017, nous avons maintenu des liens permanents entre la DICOM et les préfectures de Saint-Martin et de la Guadeloupe. Nous avons notamment pu aider à la gestion des demandes presse, et, avec le SIG, sur le « temps de la reconstruction » en lien avec la délégation interministérielle. Une page dédiée est ainsi alimentée régulièrement sur le portail du Gouvernement ; cet espace est bien consulté, encore aujourd'hui.

Nous pouvons tirer plusieurs enseignements de cet épisode cyclonique majeur. D'une part, il semble nécessaire de pérenniser un dispositif d'envoi de renforts de communication - « task force » - dans les préfectures selon le profil de la situation et le besoin des préfectures. Cette recommandation générale prend une importance renforcée outre-mer. D'autre part, il est désormais incontournable de mieux lutter contre les rumeurs.

M. Michel Magras, président. - Cette étude nous montre le rôle et l'implication majeurs de l'État. Je souhaiterais savoir si, dans ce genre de situations, il n'existe pas d'outil assurant une information « forcée » de la population.

M. David Julliard. - Il n'y a pas de moyen d'information général et universel permettant d'atteindre simultanément toute une population. Il y a le système SAIP mis en place à la suite des attentats de 2015, une avancée notable qui se heure encore cependant à des difficultés. Notre réflexion porte sur la démultiplication des vecteurs, le déploiement d'une panoplie avec la capacité de viraliser l'information au-delà même des cercles concentriques des réseaux sociaux. Se pose cependant la question de la couverture numérique et des zones blanches.

M. Michel Magras, président. - À Saint-Barthélemy, nous disposons d'un système d'appels automatiques avec messages sur les répondeurs. À Wallis-et-Futuna, une convention avec l'opérateur de téléphonie permet l'envoi massif de SMS.

M. David Julliard. - Aux Antilles, l'information circule assez spontanément sur les réseaux.

Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Il y a une concurrence assez forte des chaînes étrangères, notamment américaines, que les gens relaient souvent. La provenance des informations est multiple, à Saint-Martin notamment et la maîtrise de l'information est donc complexifiée.

Lors d'Irma, il y a eu un vent de panique, des rumeurs dont il ne faut pas sous-estimer l'impact psychologique. Les difficultés dues aux pillages, au défaut d'électricité ou encore au non-fonctionnement des distributeurs bancaires se sont cumulées avec un contexte de rentrée scolaire.

Nous avons vécu cela différemment en Guadeloupe. La communication doit s'adapter aux différents publics, c'est important, aux rapatriés comme cela a été en Guadeloupe, ou aux touristes, qui n'ont ni la connaissance des phénomènes, ni les habitudes ou réflexes des habitants.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je souhaite tout d'abord vous remercier pour vos présentations. Cette organisation paraît complexe mais elle semble convenir pour le territoire national : on peut penser qu'il manque ici un volet réellement territorial.

Je salue l'initiative qui a été celle de Radio France de lancer la radio d'urgence. Même si les moyens de communication ont été modernisés, il est important de conserver en parallèle « d'anciennes méthodes » : nous avons pu être confrontés à une absence de mégaphones et cela pourrait être extrêmement préjudiciable en cas d'imminence de submersion de la zone littorale. La préfète s'est déplacée, a mis en place des cars, a mobilisé la police territoriale, mais il est difficile de procéder maison par maison.

Contrairement à ce qui s'était passé pour le cyclone Luis, le comportement d'une partie de la population a cette fois été déplorable et peu digne de la solidarité nationale qui s'est exprimée, avec de nombreux pillages puis les départs massifs. Saint-Martin est ainsi doublement victime.

Avant Irma, nos territoires ont connu Luis et d'autres ouragans. Il est difficile d'entendre, six heures après le phénomène, que des gens ont faim. En effet, des messages de prévention sont diffusés et la population, avertie de l'arrivée d'un tel phénomène au moins 24 heures à l'avance, est invitée à faire des réserves.

Dans le traitement de l'information, ont été montrées des personnes qui souhaitaient quitter l'île sur laquelle ils travaillaient ; or, ce ne sont pas les plus à plaindre...

Irma a touché Saint-Barthélemy et Saint-Martin, la Guadeloupe avait connu Hugo : les gens savent qu'ils vivent dans des zones à risque et pas seulement dans des régions où il fait beau. La préfète a été obligée d'appeler les gens à ne pas quitter le territoire.

S'il est vrai que certaines choses sont à revoir, il ne faut pas minimiser la difficulté qu'est celle de la gestion d'une pareille crise. Nous sommes là pour aider à améliorer ce qui peut l'être, particulièrement au niveau local. J'estime que la réponse à l'incivilité n'a pas été à la hauteur de l'événement.

M. Michel Magras, président. - Cela met en lumière les besoins de mutualisation possible avec d'autres États. Je voudrais également souligner le caractère difficilement audible ou acceptable de certains messages des autorités préfectorales sur le terrain. Je prends pour exemple le traitement de l'ouragan José qui a succédé à Irma. Alors que nous attendions de pouvoir enfin sortir et commencer le travail d'après-crise, les messages de la préfecture indiquaient un ordre de confinement ; le National Hurricane Center (NHC) - dont les bulletins sont très consultés aux Antilles - laissait voir une trajectoire éloignée de nos îles.

Risques naturels majeurs dans les outre-mer - Mission d'information du service public

M. Michel Magras, président. - Après les services du Gouvernement, le SIG et la DICOM, nous accueillons :

- MM. Walles Kotra, directeur exécutif en charge de l'outre-mer, et Jacques Donat-Bouillud, directeur du développement des réseaux de diffusion et de distribution, tous deux de France Télévisions,

- ainsi que, pour Radio France, MM. Étienne Guffroy, directeur adjoint en charge de l'offre éditoriale, et Vincent Giret, directeur de France info.

France Télévisions est l'opérateur historique de radio et télévision outre-mer. Radio France, non implantée outre-mer, a pris une initiative importante durant le cyclone Irma. Nous souhaitons recueillir leur témoignage sur cet épisode et revenir avec eux sur le rôle incontournable des sociétés de l'audiovisuel public au service de l'information des citoyens en temps de crise.

M. Walles Kotra, directeur exécutif en charge de l'outre-mer à France Télévision. - Nous sommes très heureux de répondre à votre invitation et de pouvoir partager ainsi ce que nous avons vécu et notre réflexion sur le passage de l'ouragan Irma en 2017.

Nous avons dans les outre-mer une certaine « culture des cyclones ». Nous avons, sur nos antennes, l'habitude de gérer ces situations. Pour autant, Irma a été un choc. Si le cyclone Hugo de 1989 reste dans la mémoire collective, il est très rare d'être confronté à un cyclone de puissance 5. Irma a en quelque sorte créé une situation nouvelle ; nous avons pris conscience qu'avec cette puissance, un territoire peut être rayé de la carte en une journée.

Nous allons revenir sur ce sujet, mais je voudrais commencer par situer en quelques mots le pôle outre-mer de France Télévisions. Comme vous le savez, le réseau se compose de dix implantations réparties sur l'ensemble de la planète, dans l'océan Pacifique - à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie -, l'océan Indien - à Mayotte et à La Réunion -, l'océan Atlantique - à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Guyane, à la Martinique et en Guadeloupe - et bien évidemment Paris avec notamment France Ô. Nous sommes donc implantés dans des régions soumises à de hauts risques cycloniques et parfois même sismiques.

Chacune de nos stations d'outre-mer comprend la télévision, la radio et des offres numériques. On constate souvent un enracinement local très fort qui donne une audience et une présence très puissante de nos chaînes - je rappelle à titre d'exemple que le journal télévisé de Guadeloupe 1ère fait plus de 70 % d'audience. C'est une dimension difficile à percevoir de Paris : si l'on devait faire des comparaisons, ce serait bien supérieur à l'addition de l'audience du journal télévisé de TF1, France 2 et France 3, sans compter la radio et des offres numériques. Les « Première » (Guadeloupe 1ère, Martinique 1ère, ...) se positionnent ainsi comme des acteurs essentiels dans leur territoire.

Je l'indiquais plus tôt, nos équipes ont une certaine « culture des cyclones » : que ce soit dans le Pacifique, l'océan Indien ou aux Antilles, nous devons gérer chaque année au moins le passage d'une dépression tropicale ou d'un cyclone dans l'une de nos neuf stations. Avec le temps, nous avons donc mis en place des procédures qui sont relativement similaires dans l'ensemble des stations.

Tout d'abord, bien en amont, dès le début de la saison cyclonique, nous participons à la prévention en diffusant des spots télé et radio, des informations sur les niveaux d'alerte ou sur les comportements à adopter ; tout cela est organisé avec les pouvoirs publics et en particulier les services de l'État.

Dès le déclenchement d'une alerte, les chaînes « 1ère » accompagnent très fortement le dispositif « plan Orsec cyclone ». Nous relayons sur nos différents supports les informations de la cellule de crise et nous installons sur le ou les postes opérationnels des moyens de direct. Cela permet à un de nos journalistes ou encore à l'autorité - en général, le préfet mais cela peut être également le directeur de la sécurité civile - de prendre la parole à tout moment pour donner des informations ou pour rappeler les consignes nécessaires.

Pendant la crise, la télévision et, surtout, la radio deviennent les principaux moyens de communication avec la population avec des grilles de programmes spécifiques. En général, la radio est ouverte 24 heures sur 24.

Que s'est-il passé précisément pour Irma ? C'est tout simplement cette procédure que nos équipes ont essayé de suivre.

Je passe ici rapidement sur la prévention, même si cet effort est important. Dès l'approche de la saison cyclonique, nous avons diffusé des bandes annonces rappelant les consignes de sécurité et reprenant les messages de la préfecture.

Après les premières alertes, et donc dès la dernière semaine du mois d'août, nous avons choisi de pré-positionner à Saint-Barthélemy et Saint-Martin des équipes radio et télé. Celles-ci ont permis de couvrir l'attente - et je dirais la crainte - des populations et nous ont ensuite transmis, non sans difficultés j'y reviendrai, les images du cyclone, de ses dégâts puis le déploiement de l'aide et de la solidarité.

À partir du 5 septembre, la télévision et la radio ont diffusé des programmes spécifiques avec des éditions spéciales d'information régulières. La radio a joué un rôle très particulier et très important en donnant le plus possible la parole à nos auditeurs de Saint-Martin et Saint-Barthélemy et en relayant le mouvement de solidarité des familles et des amis aux Antilles et même au-delà, en particulier en métropole. Les interventions étaient en très grande majorité en créole.

Dans la nuit du 5 au 6 septembre, un dispositif spécial de radio filmée a permis de diffuser à la fois en radio et en télévision, et cela pendant toute la nuit.

Le numérique a également joué un rôle très important avec les sites des « 1ère », de France Ô et notre présence sur les principaux réseaux sociaux. Pour la seule journée du 6 septembre, nous avons enregistré plus de 600 000 visites sur les sites des « 1ère ». Sur le seul mois de septembre, nous avons eu sur le pôle outre-mer plus de 42 millions de vues sur les vidéos contre une moyenne mensuelle d'environ 10 millions ; c'est un chiffre exceptionnel. La mobilisation de nos équipes a été très forte.

Mais nous avons été confrontés également à de graves difficultés techniques. Le 6 septembre, le jour de passage du cyclone, tous les services radio et télé ont été interrompus sur Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Les émetteurs, à l'exception du pic Paradis, ont été détruits. Le vendredi 8, TDF a pu rétablir la diffusion de la télévision Guadeloupe 1ère à partir du pic Paradis. Le samedi 9, c'est la radio Guadeloupe 1ère qui a pu être rétablie à Saint-Martin. Le 10 septembre, le lendemain, la radio d'urgence de Radio France a été lancée, mes collègues vous en parleront. Pour la télévision, cela a été plus compliqué : ce n'est que le 14 septembre que la TNT a été rétablie partout, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Je voulais insister sur le fait que, dans une telle situation, les liaisons sont essentielles et nous avons eu des difficultés pour acheminer les équipes de TDF pour la réparation des pylônes de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Il a fallu attendre deux jours pour que les autorités acceptent de transporter une équipe de TDF ; les émissions TV et radio auraient pu reprendre dès le 7 septembre si l'équipe avait pu se déplacer. Il serait sans doute utile d'intégrer cet élément dans le plan ORSEC.

Pour conclure sur la couverture du cyclone Irma, je tiens à souligner qu'il y a eu à cette occasion une véritable mobilisation des antennes du groupe France Télévisions : France Ô, France Info, France 3 et France 2 ont chacune bousculé leurs programmes pour organiser, soit des éditions spéciales d'information, soit des soirées « Solidarité Antilles » comme France Ô et France 2, ou encore tout simplement la reprise en direct des journaux de Guadeloupe 1ère - c'était le cas de France Ô France Info. Toutes les chaînes ont diffusé les appels aux dons pour la Fondation de France ; la Fondation a ainsi pu récolter plus de 10 millions d'euros pour les victimes du cyclone, ce qui est un chiffre tout à fait exceptionnel. Il était important que le groupe France Télévisions s'engage pour que la communauté nationale soit sensibilisée.

Concernant la couverture du cyclone Irma par nos antennes, je précise qu'elle n'est pas close ; elle continue avec le suivi des énormes opérations de reconstruction.

Quelles leçons avons-nous tirées de ce cyclone ? Nous avons, sur le pôle outre-mer, essentiellement tiré deux leçons. Des leçons éditoriales d'abord : nous avons dû intégrer dans nos logiciels ces cyclones de puissance 5. Ce sont des situations qui peuvent ressembler à des situations de guerre, avec des capacités de destruction massive ; ces destructions peuvent atteindre nos propres capacités de production et de transmission or, même si nous sommes adossés à un groupe public important, sur place, nous restons de petites chaînes de télévision et de radio.

Dans cette situation, quel rôle doit jouer le service public ? Quelles offres de programmes ? Comment relayer plus fortement l'urgence ? Comment s'appuyer sur la puissance d'un groupe comme France Télévisions ? Nous avons ouvert une réflexion sur ce point avec l'ensemble de nos équipes.

Je tiens à indiquer également qu'après Irma nous avons diffusé pendant plusieurs semaines des émissions pédagogiques à destination des lycéens qui n'avaient pas accès à leur établissement scolaire ; cela a été organisé avec les équipes de Francetv Éducation et le ministère de l'éducation nationale.

Au-delà de cette première leçon éditoriale, nous avons ensuite noté nos faiblesses techniques. Nous avons dû repenser complètement nos process techniques en radio, en télévision, mais également dans le domaine numérique. Très concrètement, nous avons décidé de doter chacune de nos stations de deux téléphones satellitaires et de deux systèmes de transmission d'images type BGAN 2 : ce système permet aux équipes de transmettre des directs au plus fort de la crise avec l'assistance de groupes électrogènes légers. Nous souhaitons aller plus loin : nous testons actuellement un autre système de transmission, de toute dernière génération, encore plus robuste et plus simple à utiliser et qui nous permettrait, à tout moment, de transmettre des images mais également de bénéficier d'un accès internet. Ce nouveau système est actuellement testé en Guyane et en Martinique et nous souhaitons en équiper l'ensemble de notre réseau.

Enfin, nous développons à partir de notre station de Guadeloupe une plateforme numérique que nous avons dénommée : « Urgences 1ères ». Elle permettrait de regrouper toutes les informations, les expertises, les reportages et les études concernant les phénomènes climatiques, cyclones mais aussi tremblements de terre. Cette plateforme serait une fenêtre d'urgence et un espace de solidarité ; ce projet est développé par la Guadeloupe avec le soutien du pôle outre-mer et du groupe France Télévisions.

Je vous remercie une nouvelle fois de nous avoir conviés à revenir avec vous sur l'épisode Irma et à participer à vos travaux sur la prévention des risques naturels dans les outre-mer.

M. Étienne Guffroy, directeur adjoint en charge de l'offre éditoriale à France info - Je développerai ici le déploiement de la radio « Urgence Info Îles du Nord » par Radio France. Je souhaiterais revenir tout d'abord sur les conditions de la création de cette radio.

Après le passage d'Irma, les deux émetteurs de Radio France, dédiés à France Inter sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy, n'étaient plus opérationnels - le premier ayant été endommagé et le second rendu hors d'usage par le cyclone. Il fallait donc les remettre en état afin de reprendre les émissions. S'est alors posée la question du programme que nous devions diffuser sur ces émetteurs. Rétablir la diffusion de France Inter ne semblait pas approprié : très vite, l'idée de proposer un programme local d'urgence s'est imposée. Mais sous quelle forme ? Envoyer un studio mobile et une équipe sur place ? Créer un programme spécifique depuis la maison de la Radio à Paris ? C'est la deuxième option qui a été retenue : elle permettait d'émettre très rapidement en s'appuyant sur les envoyés spéciaux de Radio France sur place.

Les premiers contacts avec le ministère de l'intérieur ont été pris le vendredi 8 septembre. Le samedi 9 septembre, en début d'après-midi, une réunion de coordination s'est tenue à Radio France avec le représentant du ministère, David Juillard, délégué à l'information et à la communication. Nous étions alors à quelques heures du passage de l'ouragan José. Le ministère était très intéressé par l'initiative afin d'avoir un canal de diffusion de messages de prévention avant le passage de José. À ce moment-là, le défi était technique. Le choix a été fait de diffuser sur les émetteurs de Saint-Martin et Saint-Barthélemy le programme de France info sur lequel il était plus facile de diffuser des décrochages locaux. Changer le signal demandait, côté Radio France, une intervention lourde sur les installations de diffusion. Dans le même temps, les équipes de TDF devaient remettre en état le pylône de Saint-Martin, qui était le moins endommagé, et augmenter sa puissance dans l'espoir d'être entendu à Saint-Barthélemy, son émetteur ne pouvant pas être remis en état de marche rapidement. Enfin, il fallait raccorder le studio qui servirait aux décrochages locaux et constituer l'équipe.

Le samedi 9 septembre à 20 heures, Radio France était prête à émettre. Les équipes de TDF, qui travaillaient dans des conditions délicates, n'ont cependant pas pu remettre l'émetteur en état de fonctionnement avant le passage de José. Elles ont dû se mettre à l'abri avant de reprendre les opérations le lendemain matin. Le dimanche 10 septembre, il a été convenu avec le ministère de l'intérieur que le ministre Gérard Collomb annoncerait, en fin de matinée, le lancement « dans les prochaines heures » d'une radio d'urgence. À midi, les équipes de Radio France étaient en stand-by et la radio a commencé à émettre en français à 16 h 30, heure de Paris.

Les programmes étaient composés de messages répondant à l'urgence absolue - météo, sécurité, distribution des rations alimentaires et de l'eau, état des réseaux, rétablissement des liaisons commerciales, messages sanitaires - et de reportages des envoyés spéciaux de Radio France, journaux de France info et de Guadeloupe 1ère, antenne ouverte aux auditeurs et musique. Ce programme était diffusé 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il y avait un caractère répétitif des programmes, nécessaire compte tenu de la situation.

Pour les remontées d'information du terrain, le premier contact était le ministère de l'intérieur. L'un des souhaits de ce dernier était de pouvoir communiquer vers les populations en français, en anglais et en créole guadeloupéen. Dans les premières heures, en fin de journée dimanche, Urgence Info Îles du Nord était en mesure de proposer ses programmes en trois langues, en faisant notamment appel à ses personnels parlant le créole.

Les informations du ministère de l'intérieur, des collectivités, du terrain, étaient d'abord insuffisantes, mais une fois la radio connue, les collectivités et les habitants ont fait remonter les informations.

Je souhaite souligner un élément opérationnel : nous avons pu déployer cette radio rapidement, mais s'il n'y a plus d'émetteur, aucune diffusion n'est possible. La question de développer davantage des radios numériques se pose.

M. Vincent Giret, directeur de France info. - Nous étions en effet d'emblée sur une logique de radio éphémère. Ceci fait partie de la culture de Radio France et je tiens à rappeler les expériences passées de radios d'urgence : en 2001, Radio France avait ainsi mis en place une radio éphémère pour les sinistrés de l'usine AZF de Toulouse ; après le tremblement de terre d'Haïti, elle avait également créé une radio d'urgence en 2010. L'objectif d'Urgence Info Îles du Nord était de délivrer des informations très concrètes auprès des populations en état d'urgence absolue.

Les journalistes participants étaient bénévoles et enchaînaient leurs programmes respectifs avec leur présence sur la radio d'urgence. Il y avait un réel enthousiasme des équipes, une conscience de la réalisation d'une mission de service public. Une telle organisation n'aurait pu tenir sur la durée, mais a fonctionné tout de même douze jours.

M. Étienne Guffroy. - Je souhaite souligner un élément : il était convenu avec le ministère que si la radio diffusait des messages répondant à l'urgence absolue, elle travaillait en toute indépendance et ne s'interdisait pas de diffuser des reportages sur le ressenti des habitants.

La dernière étape du déploiement d'Urgence Info Îles du Nord a enfin été le redémarrage de l'émetteur de Saint-Barthélemy à partir du 15 septembre.

La radio a cessé au bout de douze jours, après le passage de l'ouragan Maria. L'arrêt a été fait en concertation avec le ministère de l'intérieur et des autorités, une fois les réseaux d'eau potable et de communication rétablis. Il était nécessaire de laisser la place aux acteurs locaux pour traiter l'après-cyclone de manière locale.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie pour vos présentations et surtout pour votre action durant ces deux cyclones. Ces phénomènes hors normes nous ont rappelé la fragilité de la vie sur une île, avec la possibilité d'une rupture totale des connections, du jour au lendemain.

Je rappelle une fois encore combien nous avons été touchés par la solidarité, dans les territoires, dans la Caraïbe, aux niveaux national et international.

M. Étienne Guffroy. - Je voudrais revenir sur le ressenti des populations à cet égard. La radio permettait de communiquer des informations très concrètes comme des réouvertures de supermarchés, par exemple. Les retours d'auditeurs sur place nous ont également montré qu'il y avait le sentiment d'être entendu par Paris. Cette radio, qui avait le défaut d'être loin pour être une radio de proximité, avait en revanche l'énorme qualité d'être un relais direct à Paris.

M. Michel Magras, président. - Quels contacts entretenez-vous avec les radios locales comme radio Saint-Barth ou Tropic FM, qui se préparent également à l'arrivée des cyclones sur nos territoires ?

M. Étienne Guffroy. - Nous avons des contacts avec le service public, France Télévisions, avec lequel nous échangeons notamment sur des propositions d'utilisation de matériels satellites.

M. Walles Kotra. - Nous avons en effet l'habitude des coopérations et entraides des équipes sur place.

Je voudrais revenir sur la solidarité que nous avons pu constater lors d'Irma. France Ô a organisé une soirée de solidarité à laquelle tous les artistes sollicités ont souhaité participer. Cette soirée a été diffusée en première partie de soirée sur l'ensemble des antennes locales, avant de l'être sur France 2. 10 millions d'euros ont ainsi été récoltés : c'est exceptionnel.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je souhaite vous remercier collectivement pour votre action durant Irma, et particulièrement remercier Radio France et la radio d'urgence pour la sensibilité qui a été celle de penser aux différentes nationalités et de diffuser en français, en anglais mais aussi en créole ; cela a été très utile, notamment pour la communauté haïtienne.

Il y a plusieurs radios sur place dans les Îles du Nord, cinq majeures : Youk, Maranata, 101.5, S.O.S et Transat. L'émetteur de Transat, qui avait résisté à l'ouragan Luis en 1995, n'a pas tenu en 2017 lors d'Irma. Seule la radio SOS a pu émettre jusqu'à 3 heures du matin.

L'initiative de la radio d'urgence était bienvenue, nous avons pu constater la solidarité et l'importance de cette radio pour une prise de conscience effective à Paris. L'information, même parcellaire, était diffusée et il y avait un souci de correction rapide lorsqu'il pouvait y avoir des approximations.

Se pose également la question de la propre perception des habitants dans les territoires. Je suis personnellement un féru du bulletin cyclonique de Guadeloupe 1ère, mais il y a dans nos territoires une culture d'écoute qui n'est pas celle des radios institutionnelles, ce qui provoque une situation de fragilité. Les habitants écoutent une grande diversité de radios, y compris néerlandaises, ce qui permet néanmoins de recouper les informations. Il faut que la population ait davantage le réflexe d'écouter les radios publiques en temps de vigilance ou de crise, au moins une fois par jour. La faible écoute s'explique peut-être par l'« abandon » de Saint-Martin par le réseau outre-mer de France Télévisions, alors qu'avant le territoire disposait d'une antenne permanente dans le giron de Guadeloupe 1ère.

Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Je vous remercie à mon tour et vous félicite pour le travail réalisé sur le terrain dans des conditions difficiles. Celui-ci a permis de rassurer les familles, alors que des rumeurs étaient par ailleurs colportées et que la désinformation était grande sur les réseaux sociaux. Vous avez contribué à apaiser la peur qui s'amplifiait sur place et les craintes des proches.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Un certain nombre de journalistes, même locaux, ont eu du mal pour s'acheminer jusqu'à Saint-Martin quand certains grands médias étrangers étaient présents : comment expliquer cela ? J'ai moi-même été interviewé par Al Jazeera et il y a eu une polémique localement au sujet de la présence de ce média.

M. Étienne Guffroy. - Certains journalistes ont anticipé le passage du cyclone et se sont rendus sur place assez vite ; c'était le cas d'autres radios, comme par exemple Europe 1, qui avaient prépositionné des journalistes.

M. Walles Kotra. - France Télévisions avait prépositionné des moyens et des journalistes. Il y avait une inquiétude très forte pour nos équipes. À Saint-Barthélemy, la déconnexion a fait que nous étions sans nouvelle.

M. Étienne Guffroy. - La situation a été effectivement difficile à Saint-Barthélemy : l'émetteur n'a été remis en service que le 14 septembre, alors même que la radio avait redémarré le 10. Les équipes avaient tourné l'émetteur de Saint-Martin pour tenter d'émettre, sans certitude, sur Saint-Barthélemy.

M. Michel Magras, président. - Nous avons tendance à Saint-Barthélemy, et c'est peut-être une faille, à nous organiser en interne en priorité. Nous pensons à l'organisation locale, mais le maintien de la liaison au reste du monde n'a peut-être pas été assez anticipé. Nous avons notamment pensé d'abord à la radio locale pour l'information de la population et au déploiement de bornes WIFI.

M. Jacques Donat-Bouillud, directeur du développement des réseaux de diffusion et de distribution à France Télévisions. - L'ampleur inédite de cet événement a causé des dommages importants aux infrastructures qui ont toutes été fragilisées. Nous travaillons avec TDF, qui a l'expérience de ces territoires, pour prévoir des dispositifs plus résistants qu'en métropole et pouvant supporter ces situations exceptionnelles. TDF construit des infrastructures aux normes sismiques et cycloniques. Il faut noter que sur le site de pic Paradis à Saint-Martin, seul le pylône TDF a tenu, quand les autres ont été arrachés ; c'est grâce à ce pylône que les émissions ont pu reprendre. Encore une fois, si les conditions avaient permis un envoi rapide des équipes, le délai de reprise aurait pu être encore plus court. À Saint-Barthélemy, le site principal de Morne Lurin a été coupé en deux : outre les difficultés d'acheminement des équipes TDF, il a fallu reconstituer un site provisoire, ce qui explique le redémarrage plus tardif, le 14 septembre. Il existe aujourd'hui des installations « en kit », installables en quelques heures : c'est quelque chose que l'on prévoit désormais pour rétablir le service plus rapidement. L'enjeu reste alors l'acheminement des personnels et du matériel mais sur ce dernier point, grâce au satellite, on peut diffuser même sans électricité.

M. Michel Magras, président. - L'État a bien réagi sur les évacuations, réquisitionnant les compagnies aériennes pour les touristes notamment. Mais il faut penser au sens retour des avions, qui peuvent acheminer des personnels nécessaires aux interventions en une heure là où le bateau met une journée.

Le numérique est le meilleur moyen de lutter contre l'isolement.

Nous avons le sentiment parfois que les informations données dans les bulletins météorologiques des chaînes nationales étaient en décalage avec la réalité du terrain et les annonces des chaînes américaines relayant les prévisions du NHC, particulièrement lors du passage de l'ouragan José à la suite d'Irma. Cela nous a laissé penser que l'ordre de confinement n'était pas pertinent.

M. Étienne Guffroy. - Nous avons également eu ce genre de remarques, y compris pour l'ouragan Maria qui a été accompagné de fortes pluies.

Concernant l'importance du numérique, nous avons immédiatement, lors du lancement de la radio, diffusé en numérique et mis le flux sur Facebook Live et Periscope afin d'atteindre le plus de personnes possible : en effet, même l'émetteur rétabli, nous n'avions aucune certitude sur la qualité du signal et la connaissance par la population de l'existence de la radio - France inter n'est pas la première radio sur le territoire -, il fallait parvenir à faire connaître la radio.

Mme Vivette Lopez. - Comme cela a été souligné précédemment, ces épisodes produisent de fortes inquiétudes dans la population. Vous indiquiez avoir diffusé la radio en différentes langues : qu'en est-il de la langue des signes sur les antennes de télévision pour les personnes malentendantes qui se trouvent confrontées à des images de panique ?

M. Walles Kotra. - Tout dépend sur ce point des stations. Nous avons régulièrement des émissions en langue des signes dans certains territoires, c'est le cas par exemple de La Réunion et la Nouvelle-Calédonie : il y a là un dispositif qui permet de réagir. Nous avons été sensibilisés à cette question durant Irma, notamment par la communauté ultramarine en métropole et avons essayé de nous appuyer sur le site internet. En effet, la difficulté de l'accès à l'information amplifie l'angoisse dans ce genre de situations. Nous réfléchissons à ces questions, mais n'avons pas honnêtement les moyens de développer cela.

M. Michel Magras, président. - Cette observation ne vous concerne pas directement, opérateurs radio et télévision, mais je souhaite insister, dans le cadre de nos réflexions, sur les dérogations et mutualisations possibles entre opérateurs - je pense ici tant au domaine aérien qu'aux réseaux téléphoniques, par exemple - et sur les coopérations avec la partie néerlandaise de Saint-Martin notamment.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - La préoccupation des mutualisations est en effet importante, dans le respect du droit. Il faut aussi penser à la perception qu'a la population dans ce type de situations. Je prends ici l'exemple du rétablissement des vols commerciaux sur Saint-Martin, qui s'est opéré tardivement : les conditions n'étaient pas en conformité pour les opérateurs qui étaient responsables, alors même que les avions fonctionnaient lors de la réquisition par l'État et que celui-ci, donc, assumait la responsabilité. Il faut plus de souplesse durant le temps nécessaire au retour à la normale.

Je souhaite enfin conclure mon propos en soulignant une fois encore le rôle de France Télévisions.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie à mon tour pour votre action auprès de nos populations lors de telles situations.

Jeudi 15 mars 2018

- Présidence de Mme Vivette Lopez, vice-présidente -

Risques naturels majeurs en outre-mer - Visioconférence avec La Réunion

Mme Vivette Lopez, présidente. - Mes chers collègues, en l'absence du président Magras qui a dû rejoindre Saint-Barthélemy et vous prie de l'excuser, il me revient de présider notre réunion de ce matin au cours de laquelle nous partons pour l'océan Indien. Ayant moi-même des attaches familiales à La Réunion, j'en suis d'autant plus heureuse !

Après Saint-Pierre-et-Miquelon, puis la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, nous poursuivons notre consultation des territoires ultramarins sur la thématique des risques naturels majeurs, et plus particulièrement sur son premier volet relatif à la prévention et à la gestion de crise. Je rappelle que notre collègue Guillaume Arnell, sénateur de Saint-Martin, est rapporteur coordonnateur de l'ensemble de l'étude, et que Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, et Mathieu Darnaud, sénateur de l'Ardèche, sont rapporteurs du premier volet.

Notre étude explore le vaste champ des risques naturels majeurs qui impactent les outre-mer : dépressions et cyclones, submersion, inondations, glissements de terrain, séisme, éruptions volcaniques, pour l'essentiel.

À l'exception du risque sismique qui est peu élevé à La Réunion - nous avions eu l'occasion de le constater l'an passé lors de notre étude sur les normes applicables au secteur du BTP dont j'avais été rapporteure - ce territoire est fortement exposé. Les dernières semaines en attestent, le sud de l'île ayant été considérablement sinistré par des précipitations diluviennes.

Monsieur le directeur de cabinet, je vous cède sans plus tarder la parole. Une trame thématique vous a été communiquée par notre secrétariat, qui est ici distribuée aux sénateurs présents. Je vous propose que chacun se présente et vous remercie tous de rappeler votre nom à chaque intervention pour les besoins du compte rendu.

C'est à vous !

M. Sébastien Audebert, directeur de cabinet du préfet. - Je vous prie de bien vouloir excuser le préfet, actuellement en déplacement sur Paris pour assister à La Réunion des préfets d'outre-mer. Je suis entouré des principaux services concernés par la prévention et la gestion de crise à La Réunion : Météo France, la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), le bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), le service départemental d'incendie et de secours (SDIS), l'état-major de zone auprès du préfet et la plate-forme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI) qui joue un rôle important sur le territoire et dans la zone.

Je commencerai par une présentation rapide des risques naturels auxquels le territoire est soumis. La direction générale de la sécurité civile a identifié 8 risques naturels au total, qui sont tous susceptibles de se manifester à La Réunion, à l'exception du risque sismique, plutôt faible. Les cyclones, les inondations, les mouvements de terrain, les feux de forêt, surtout entre septembre et décembre, sont les aléas principaux auxquels nous devons faire face. Je citerai à ce titre les grands incendies du Maïdo en 2010 et 2011 qui ont porté un coup significatif à la biodiversité. Il s'agit d'un enjeu majeur car le coeur de l'île est classé depuis 2010 au patrimoine mondial de l'Unesco.

Ainsi, La Réunion apparaît comme la région de France qui concentre le plus de risques naturels. À cela s'ajoute l'éloignement de la métropole, qui nous oblige à acquérir une forte capacité d'autonomie. En outre, La Réunion est territoire contraint du point de vue de l'aménagement puisque 40 % de l'île seulement est habitable, soit 1 000 kilomètres carrés sur 2 500. La population est donc très concentrée sur les littoraux, même si elle investit de plus en plus les Hauts, ce qui crée de nouveaux enjeux en matière d'aménagement et de prévention des risques.

Les services présents à cette audition sont compétents sur le volet prévention ainsi que sur le volet gestion de crise.

Je rappellerai en outre que le cyclone Berguitta a produit des effets dévastateurs à La Réunion, il y a deux mois. Les inondations qui ont frappé l'île ont résulté à la fois des fortes précipitations mais aussi d'une prise en compte insuffisante des risques naturels dans le schéma d'aménagement.

En outre, la vulnérabilité de la population est à prendre en compte, puisque 40 % des Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté. Bien qu'il ait connu une diminution, le taux de chômage reste élevé puisqu'il oscille entre 22 et 23 %. Malgré la mise en oeuvre d'une politique de résorption de l'habitat insalubre depuis trente ans, des progrès restent à faire dans ce domaine puisqu'il existe toujours un habitat à risque, en particulier dans les cirques où les risques d'éboulements sont élevés. Après Berguitta, les habitants de certains logements situés en bord de ravine se sont vus refuser l'accès à ces habitations pour des motifs de sécurité. Les représentants du BRGM pourront vous apporter des précisions à ce sujet, puisqu'ils ont fait le tour de ces zones à la fin du mois de janvier.

Enfin, il convient d'évoquer l'environnement régional pour compléter ces premiers éléments de contexte puisque nous travaillons en coopération avec les États de l'océan Indien. Certains sont marqués par une extrême pauvreté comme les Comores ou Madagascar, d'autres sont plus développés tels que Maurice ou les Seychelles. Ces quatre pays font partie, tout comme la France, de la Commission de l'océan Indien (COI) qui développe des programmes de coopération en matière de sécurité civile sur la prévention des risques et la gestion de crise ou encore d'alerte météorologique grâce à Météo France. L'environnement régional est très exposé au réchauffement climatique, à l'image des Seychelles qui seront particulièrement impactées par la montée des eaux. Compte tenu de la vulnérabilité particulière de ces territoires, la France joue un rôle important dans la zone puisqu'elle apparaît comme le référent pour la sécurité civile. Certaines coopérations ont déjà été menées, notamment grâce aux fonds européens comme l'Interreg, géré par le conseil régional, mais des progrès restent à faire au niveau de l'État et des collectivités, même s'il s'agit d'une compétence relevant du domaine régalien. Ces améliorations sont d'autant plus nécessaires que la fragilité de cet environnement régional, je le rappelle, est appelée à s'accroître dans les prochaines années sous l'effet du changement climatique.

Par ailleurs, les enjeux sanitaires ne doivent pas être négligés. La PIROI intervient régulièrement à Madagascar où la peste à l'état endémique continue de sévir. À l'heure actuelle, La Réunion est frappée par la dengue, et le chikungunya par le passé a causé de graves problèmes sanitaires sur le territoire. Même s'il ne s'agit pas de risques naturels, ces facteurs sont à souligner car ils doivent nécessairement être pris en compte dans le développement des coopérations régionales.

J'ajouterai un mot sur la question de l'information des citoyens en rappelant qu'au mois de juin 2017 s'est tenue la deuxième édition des Assises des risques naturels, la première ayant eu lieu en 2011. Cet événement a mobilisé tout le réseau des référents risques des collectivités, des associations mais aussi de la zone océan Indien. Ainsi, les États de la COI et le Mozambique, avec lequel nous souhaitons construire une étroite coopération, ont pu participer aux Assises. Les autorités du Mozambique nous sollicitent de plus en plus pour pouvoir bénéficier de l'expertise française puisque le pays est confronté aux mêmes risques naturels que La Réunion, notamment les cyclones.

Dans la perspective des Assises des outre-mer, la DEAL a mené un sondage afin de mesurer l'état des connaissances des risques naturels par la société réunionnaise. Cette étude a révélé un taux de confiance élevé, entre 80 et 90 %, dans la capacité de la préfecture et des collectivités à informer la population et gérer le risque cyclonique, cité comme le risque naturel le plus évident. Ce taux de confiance est encore plus élevé pour Météo France qui améliore sans cesse ses prévisions. En revanche, sur les autres aléas tels que les inondations et le volcanisme, ce sondage a révélé une méconnaissance des conduites à suivre. Or, même si le volcan de La Réunion a la particularité d'être un volcan effusif, moins dangereux, des éruptions explosives pourraient se produire. En outre, les éruptions peuvent affecter Sainte-Rose et Saint-Philippe, voire le sud de l'île et la région du Tampon et Saint-Pierre lorsqu'elles se produisent hors enclos.

J'aimerais porter à votre connaissance un dernier élément de contexte qui guidera l'ensemble du propos. 7 thèmes ont été traités lors des ateliers des Assises des outre-mer qui viennent de s'achever. Parmi eux, le sous-thème du thème 5 sur la sécurité portait spécifiquement sur la question des risques naturels majeurs et la meilleure information des populations. Le rapporteur pour la société civile était un représentant de la PIROI qui s'est appuyé sur le travail fourni en juin 2017 lors des Assises de la sécurité civile. Ainsi, nous comptons faire remonter plusieurs projets dans le cadre des Assises des outre-mer pour développer l'information, la formation et les équipements à l'échelle de la zone afin d'améliorer la prévention. Cette démarche a fait l'objet d'une large consultation auprès des acteurs locaux de la gestion des risques naturels.

J'en ai donc fini avec la présentation du contexte réunionnais et vous propose désormais d'aborder la question de la stratégie en matière de prévention. La DEAL, service pilote, pourra vous exposer le processus de mise à jour des plans dans ce domaine. Nous vous présenterons également les points à améliorer dans notre dispositif actuel.

M. Jean-Michel Maurin, directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL). - Directeur de la DEAL depuis un an et demi, j'ai eu l'occasion, auparavant, de travailler en Guadeloupe et dans le Var, territoires où les risques naturels sont également bien présents.

En ce qui concerne La Réunion, je constate que le processus de mise en place de plans de prévention des risques est en bonne voie. Les 24 communes sont toutes couvertes, au moins, par un plan de prévention. Ainsi, 7 communes possèdent un plan spécifique pour les inondations, 3 ont un plan pour les mouvements de terrain et 14 communes ont prévu des plans pour ces deux risques. En outre, 6 communes sont couvertes par un plan de prévention des risques (PPR) littoral approuvé.

Les communes s'inscrivent donc dans un mouvement de documentation poussé puisque certaines réfléchissent déjà à la modernisation de ces plans. Pourtant, des progrès restent à faire car toutes les communes n'ont pas produit de documents relatifs à chaque aléa. En matière de plans littoraux, le retrait du trait de côte et le risque de submersion marine occupent principalement nos équipes, même si nous continuons en parallèle à travailler sur les autres PPR.

J'ajouterai que la question du ruissellement, risque à la fois naturel et anthropique, n'est pas prise en compte en tant que telle dans les PPR inondations qui traitent des débordements de cours d'eau. Ce travail doit donc être mené sur tous les territoires à risque où les crues sont rapides et les changements météorologiques brutaux, d'autant que les ruissellements sont appelés à se multiplier avec l'imperméabilisation des sols.

M. Sébastien Audebert. - J'aimerais vous apporter des précisions sur cette question en évoquant la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) récemment attribuée aux communes. Berguitta a révélé la nécessité de s'améliorer dans ce domaine. Dans le sud du département, qui a été le plus impacté, la compétence est communale, avec un seuil critique qui n'est pas forcément le bon. L'idée d'une montée en compétence a émergé après cet épisode. En effet, le schéma de coopération intercommunale prévoit la fusion de deux intercommunalités à l'horizon 2020. Cette compétence pourrait être effective au niveau de ces deux intercommunalités avec un portage assuré par le SCOD (schéma de cohérence démographique). Il apparaît en tout cas que la montée en puissance est nécessaire afin que les équipes d'intervention puissent atteindre une taille critique suffisante.

M. Jean-Michel Maurin. - Je soutiens cette idée puisque, pour faire le lien avec mon intervention précédente, je considère que la démarche PPR fait l'objet d'une acceptation globale à La Réunion, aussi bien de la part de la population que des élus. Même s'il n'est pas aisé de faire approuver ces documents, les PPR sont aujourd'hui ancrés et nous permettent d'avancer dans la prévention et gestion des risques.

La GEMAPI est un dispositif nouveau, que les acteurs doivent s'approprier. Cette prise de conscience se fait malheureusement parfois à l'occasion d'un événement malheureux. Ce fut le cas avec le passage de Berguitta, puisque certaines collectivités semblent avoir compris la nécessité des échanges entre l'État, les collectivités et les différents partenaires dans ce domaine.

M. Franck Lustenberger, responsable service prévention des risques naturels et routiers (SPRINR) à la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL). - J'ajouterai que les réflexions autour de la GEMAPI sont menées en pleine période cyclonique, qui s'étend de décembre à avril. Je le signale car la bascule législative liée à la prise de compétence au 1er janvier 2017 s'est faite dans cette période charnière. Cela a conduit les collectivités et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à se focaliser sur une gestion pragmatique et de court terme des inondations provoquées par un cyclone. Aucune réflexion à plus long terme sur l'organisation des services au niveau des EPCI n'a été menée.

Pour le dire plus clairement, aujourd'hui, les conventions d'organisation et de transfert de compétences entre les communes et les intercommunalités ne couvrent pas l'ensemble des sujets qu'il conviendrait de traiter. Des conventions récemment signées par la CIREST (communauté intercommunale Réunion Est) vont dans ce sens, mais ce n'est pas le cas dans le reste de l'île. Ainsi, le cadre définissant la responsabilité juridique de chacun en cas de survenue d'une rupture sur les ouvrages hydrauliques n'est ni clarifié ni stabilisé à ce jour. Les EPCI et les communes préfèrent se focaliser sur une gestion pragmatique. L'exemple de Berguitta est à ce titre éloquent car les équipes se sont entendues pour agir dans l'urgence et gérer la crise sans que l'insuffisance du cadre juridique n'ait été remise en cause.

Or, le sujet inondation est une préoccupation majeure à l'échelle mondiale et européenne. L'application locale de la directive de l'Union européenne relative aux inondations constituerait un outil supplémentaire pour la gestion des risques. En effet, avec 6 territoires à risques importants d'inondation (TRI), La Réunion apparaît comme l'un des territoires les plus exposés. Ces TRI font tous l'objet de stratégies locales de gestion des risques d'inondation (SLGRI) et de programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI) déjà appliqués ou en cours de définition. Pour gérer ce risque, le territoire perçoit des aides importantes via le Fonds européen pour le développement économique et régional (FEDER) et le contrat de plan État-région (CPER).

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Bonjour à tous, je suis heureux d'être en votre compagnie aujourd'hui. J'ai la lourde tâche de conduire ces travaux denses et passionnants sur deux ans. Je tiens à vous remercier pour la qualité des informations que vous nous avez déjà transmises.

Pour votre parfaite information, la délégation a déjà auditionné certains partenaires incontournables sur la question des risques naturels majeurs tels que le BRGM, Météo France à Saint-Mandé et à Toulouse, la ministre des outre-mer, le secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, la sécurité civile ou encore l'armée. Nous disposons donc déjà d'un réservoir d'informations que nous entendons compléter au fur et à mesure des auditions.

J'ai cru comprendre qu'à La Réunion, les inondations et le ruissellement représentaient les risques naturels principaux. Sur la question du ruissellement, le service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (SCHAPI) a évoqué la semaine dernière, à l'occasion de notre rencontre, la cellule de veille hydraulique de La Réunion. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?

Par ailleurs, êtes-vous déjà en capacité de formuler des préconisations ou des pistes d'amélioration à la suite du phénomène Berguitta que vous avez connu récemment ?

M. Sébastien Audebert. - La cellule de veille hydraulique (CVH) fait évidemment partie des éléments que nous souhaitions aborder avec vous. Il s'agit d'un dispositif récent, mis en oeuvre en 2010, qui ne couvre pas l'ensemble des bassins de l'île.

La CVH transmet des informations à un instant donné. Or, à l'heure actuelle, nous ne disposons pas d'un historique suffisant pour garantir une bonne anticipation des phénomènes, ce qui a posé problème au moment de Berguitta. Le cumul des informations au fur et à mesure des années permettra de nous améliorer dans ce domaine.

À l'heure actuelle, la question du ruissellement est un enjeu majeur à La Réunion qui est particulièrement soumise à ce risque du fait de son relief. Berguitta a causé des dégâts dans le sud de l'île, mais tout le territoire pourrait être potentiellement affecté par ces phénomènes.

L'anticipation représente donc un enjeu majeur. À l'heure actuelle, l'information que la CVH nous communique ne permet pas d'anticiper. Elle sert en revanche à définir les conduites à suivre lorsque la crise survient puisque nous pouvons connaître l'impact d'une alerte jaune sur les radiers enclavés, par exemple, et prendre sans tarder les mesures nécessaires.

La CVH n'a de toute façon pas vocation à être un outil d'anticipation. D'autres solutions peuvent donc être envisagées. Après Berguitta, de nombreuses sociétés privées nous ont fait des propositions, mais nous sommes réticents à mettre en oeuvre ces dispositifs présentés comme des solutions miracles car nous voulons avoir suffisamment de recul sur un outil avant de le mettre au service de la gestion de crise.

M. Jean-Michel Maurin. - Notre situation est comparable à celle des départements soumis à des épisodes cévenols où, comme à La Réunion, de petits fleuves côtiers sont adossés à des montagnes proches du littoral. Même avec des prévisions météorologiques de qualité, il est particulièrement difficile dans ce contexte géographique d'anticiper les crues.

Des membres du SCHAPI se sont rendus sur place l'année dernière pour comprendre le fonctionnement de la cellule de veille hydraulique et ont ainsi constaté que La Réunion se situait en tête du peloton de réflexion sur ces questions. Nous travaillons à surmonter ces difficultés techniques et scientifiques en développant des programmes de recherche en collaboration avec les équipes de Météo France et du BRGM. Il serait également souhaitable de lancer des initiatives similaires avec les départements américains responsables de la surveillance aux Antilles.

À l'heure actuelle, la CVH est un outil qui permet d'informer les centres de décision sur la situation sur le terrain en temps réel, mais il ne s'agit pas d'un système de prévision des crues.

M. Sébastien Audebert. - Le directeur interrégional pour l'océan Indien de Météo France pourra vous apporter des informations supplémentaires sur sa capacité de prévision générale sur le territoire à court terme et pour les années à venir.

M. David Goutx, directeur interrégional pour l'océan Indien de Météo France. - J'étais moi-même hydrologue et responsable d'un centre de prévision des crues et connais les besoins d'un tel service en termes de prévisions météorologiques. Je porte donc un regard prudent sur la capacité de Météo France à faire de telles prévisions.

L'établissement peut fournir deux types d'informations. D'abord, une connaissance aussi précise que possible de la répartition spatiale des quantités de pluie sur l'ensemble du territoire, qui permet de poser un diagnostic sur la formation des crues grâce à la météorologie radar. En outre, Météo France peut décrire par une chronologie détaillée heure par heure les événements les plus prévisibles dans les 24, voire 72 heures.

Pour réaliser les observations météorologiques, La Réunion a la chance d'être dotée de deux radars. Le deuxième, construit en 2011 et opérationnel depuis 2013, a été financé par la direction générale de la prévention des risques (DGPR) et permet d'assurer une couverture satisfaisante du département. Pour autant, le relief escarpé et les nombreux microclimats expliquent que La Réunion soit encore légèrement sous-dimensionnée en radars alors qu'elle paraît, de prime abord, suffisamment dotée dans ce domaine. Nous ne sommes donc pas en mesure, à l'heure actuelle, de couvrir les précipitations sur tout le territoire, notamment dans le secteur sud-ouest, qui a été le plus touché par les pluies de Berguitta.

Pour le dire simplement, avec l'outillage dont nous disposons aujourd'hui, et même en pleine capacité d'exploiter les données pour produire des prévisions hydrologiques, nous ne pouvons pas fournir la mesure exacte des précipitations dans les zones les plus impactées par le dernier cyclone. Il nous manque, pour cela, un troisième radar. Dans un univers à ressources illimitées, il s'agirait de la solution idéale. Ce projet a d'ailleurs été abordé au cours des Assises sur les risques naturels et des Assises des outre-mer, mais se heurte aux difficultés liées aux coûts d'investissement et de fonctionnement importants d'un radar. Ces coûts sont non seulement financiers mais également humains puisque l'entretien d'un radar nécessite une certaine expertise. Or, compte tenu du projet de réduction de moyens de Météo France, les ressources humaines sont de plus en plus limitées. Si la solution paraît très simple, elle s'avère compliquée à mettre en oeuvre.

Sur le deuxième volet, qui concerne la prévision, nous sommes assez confiants car celle-ci repose sur la modélisation numérique qui a fait d'importants progrès ces dernières années. Ainsi, l'établissement Météo France a déployé des moyens considérables pour développer le modèle AROME sur les outre-mer. Ce modèle s'avère performant pour prévoir les précipitations dans les heures à venir, même s'il ne peut pas donner la chronologie exacte de l'événement.

Je conclurai en rappelant que les défauts du dispositif actuel sont à chercher du côté de l'insuffisance de la couverture radar sur le sud du département.

M. Sébastien Audebert. - J'aimerais désormais faire un point sur la répartition des rôles et des compétences au niveau local entre les acteurs politiques et administratifs. Celle-ci s'inscrit dans le cadre du plan d'organisation de la réponse de sécurité civile (ORSEC) avec une articulation classique qui se caractérise par une coopération très forte, au moment de la gestion de crise, entre la préfecture et les communes. Le niveau intermédiaire des sous-préfectures intervient également dans la gestion de crise. Leur rôle est plus important à La Réunion compte tenu du relief. Ainsi, chaque sous-préfecture abrite un poste de commandement opérationnel pour pouvoir faire face à la crise en cas d'isolement. Il est donc essentiel que des exercices réguliers soient organisés avec les sous-préfectures et les communes. Or, nous ne parvenons pas à le faire à l'heure actuelle par manque de mobilisation des acteurs concernés alors que les retours d'expérience soulignent la nécessité d'organiser ces exercices au niveau local.

En termes de couverture ORSEC, le territoire de La Réunion est couvert par des plans divers et variés ainsi que des dispositions spécifiques opérationnelles (DSO). En outre, chaque commune est couverte par un plan communal de sauvegarde, qui apparaît comme un outil essentiel. Toutefois, très peu d'entre elles ont mis au point des plans communaux de sauvegarde multirisques, ce qui crée une fragilité à l'échelle du territoire. Toutes disposent d'un plan relatif au risque cyclone qui est le plus connu puisque des phénomènes de ce type frappent La Réunion chaque année, mais les autres risques sont très inégalement couverts.

Il s'agit pourtant d'un enjeu majeur, en particulier en ce qui concerne les inondations. À la suite du passage d'Irma à Saint-Martin, nous avons commencé à réfléchir au problème de l'hébergement des populations en cas de crise de cette ampleur. À La Réunion, les inondations pourraient être à l'origine d'un besoin massif d'hébergement de population. À Saint-Paul, par exemple, tout le centre-ville est soumis au risque de submersion. Selon le niveau de submersion, entre 30 000 et 50 000 personnes devraient être relogées.

Pour ce qui est de la coordination entre les acteurs en période de crise, je constate qu'il n'y a pas de difficulté particulière avec les communes dont les équipes et les maires sont investis sur le terrain. Au moment de Berguitta, des critiques ont été émises à l'égard de notre dispositif d'alerte jugé inadapté. Toutefois, aucun maire ne s'est associé à ces critiques, y compris dans les communes les plus touchées, car tous sont conscients des enjeux et de la difficulté d'informer. Au moment de la crise, la coordination entre les acteurs est essentielle. C'est d'ailleurs ce qui nous a permis, après le cyclone, de solliciter rapidement toutes les communes afin d'obtenir la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle en 12 jours, c'est-à-dire plus rapidement qu'après Irma. Toutes les communes se sont ainsi mobilisées, à l'initiative de la préfecture et des différents services, pour obtenir les données nécessaires à la reconnaissance de cet état, dans l'intérêt des populations.

Les rôles sont connus et les compétences maîtrisées, mais ce sont les risques naturels qui définissent la nature de chaque crise.

Lieutenant-colonel Henri-Claude Pothin, du service départemental d'incendie et de secours (SDIS). - Bonjour à tous. Chef de site lors du passage de Berguitta sur la zone sud, je suis également le chef du groupement prévision du SDIS. Comme dans d'autres territoires d'outre-mer, l'insularité implique que l'inter-service fonctionne de façon optimale. Ainsi, les maires et les différents services de l'État ont pris l'habitude de fonctionner main dans la main. Quand le dispositif ORSEC cyclone est mis en oeuvre, le processus de commandement inclut une multitude d'acteurs, depuis le centre opérationnel de la préfecture jusqu'aux postes de commandement communaux, avec des relais dans chaque zone communale via le maire ou son représentant. Des sapeurs-pompiers intègrent également ces structures afin d'améliorer la remontée des informations et une vision de la situation sur le terrain. Disposer d'informations en temps réel permet en effet de mieux anticiper et d'engager les moyens nécessaires et adéquats.

Le phénomène cyclonique est bien connu dans l'île, ce qui explique qu'en cas de crise de ce type, à cinétique lente, l'organisation de la chaîne de commandement est satisfaisante. En revanche, des progrès doivent être faits en termes de rapidité de la montée en puissance de ces dispositifs lorsqu'il s'agit d'événements météorologiques dangereux et brutaux.

M. Sébastien Audebert. - Si la question de la gestion de crise est essentielle, j'ajouterais que l'enjeu à long terme de la formation et de la sensibilisation de tous les référents de crise est également primordial. Nous avons déjà évoqué les Assises des risques naturels qui s'inscrivent dans cette optique. Cette année, l'antenne locale du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) dispense également des formations aux risques majeurs pour permettre l'acculturation du personnel au sein des services aux différents risques et pas seulement au cyclone.

Sur la question des moyens en présence sur le territoire, nous disposons de ressources suffisantes pour répondre aux risques auxquels nous sommes exposés. La réponse est donc satisfaisante en ce qui concerne les crises classiques, d'autant plus que, dans la plupart des cas, seule une portion du territoire est impactée. Le relief explique que les phénomènes naturels ne touchent pas l'île de manière uniforme, ce qui nous permet de répartir les moyens. Nous effectuons toujours un pré-positionnement de moyens lorsqu'il s'agit d'une crise à cinétique lente puisque nous sommes en capacité de l'anticiper.

La sécurité civile s'appuie sur un corps de 800 sapeurs-pompiers professionnels et 1 200 pompiers volontaires. Pour Berguitta, entre 500 et 600 pompiers ont été mobilisés sur le terrain ainsi que des gendarmes et des policiers. En outre, le personnel de la Croix-Rouge s'affaire dans les centres d'hébergement ouverts en période d'alerte cyclonique orange ou rouge. Nous disposons donc d'un ensemble de moyens disponibles suffisants.

Toutefois, des renforts pourraient être nécessaires en cas de crise exceptionnelle nécessitant un relogement massif de la population comme cela a été le cas à Saint-Martin. Dans une telle situation, nous n'aurions pas les moyens de gérer la crise à long terme et il n'existe à l'heure actuelle aucun plan permettant de définir la logistique à mettre en oeuvre dans ce cas. De par sa proximité géographique, Mayotte pourrait éventuellement nous servir de base arrière et vice versa, puisque nous sommes situés dans la même zone de défense. Je signale à ce sujet que les moyens militaires sont très difficiles à projeter au sein de cette zone de défense. Nous pouvons également nous appuyer sur Madagascar ainsi que sur l'île Maurice, située à 250 kilomètres de nos côtes. Cependant, compte tenu de sa proximité géographique, ce territoire risque d'être touché en cas de phénomène météorologique majeur frappant La Réunion. En tout état de cause, nous aurions tout de même besoin de solliciter les moyens nationaux tant pour la gestion de crise que pour le retour à la normale. Nous travaillons actuellement à la planification de dispositifs en ce sens, mais cela s'avère particulièrement complexe à mettre en oeuvre.

En ce qui concerne les retours d'expérience, certains services peuvent être rapidement sur-sollicités lorsqu'il s'agit d'analyser les conséquences de l'aléa. Ainsi, le BRGM a posé un diagnostic pour chaque commune, voire à l'échelle infra-communale, du passage de Berguitta.

M. Anthony Rey, ingénieur géotechnicien en charge des aspects risques gravitaires et PPR, BRGM. - Berguitta a fait des dégâts considérables dans le sud-ouest de l'île. Nous avons mobilisé des moyens importants pour dresser l'inventaire des habitations et des réseaux routiers impactés. L'intervention a duré plus de quinze jours afin de relever les 160 mouvements de terrain provoqués par Berguitta et pour évacuer la population dans certains lieux. La mission d'expertise nécessite des moyens conséquents, d'autant plus qu'elle doit être menée rapidement afin de pouvoir prendre les bonnes décisions. Si toute l'île avait été impactée, nous aurions eu besoin de renforts en provenance de l'hexagone.

M. Sébastien Audebert. - Après avoir évoqué la question de la vigilance et des moyens matériels, il convient d'aborder plus en détail le fonctionnement de la chaîne d'alerte, la mobilisation des secours sur le territoire et l'information de la population. Dans cette optique, nous avons recours aux alertes SMS, système qui s'avère particulièrement efficace en cas de crise à cinétique lente. En revanche, il existe une faille en matière d'information lorsque la crise se déclenche de manière rapide et brutale. Nous nous appuyons sur les médias pour relayer les informations. Cela fonctionne bien dans un contexte insulaire, d'autant plus que la densité médiatique est très forte à La Réunion qui compte deux chaînes de télévision, deux quotidiens, deux rédactions en ligne et plusieurs radios. Radio Freedom occupe dans ce paysage médiatique une position particulière puisqu'elle est écoutée par 40 % des Réunionnais et fait donc figure de relais privilégié. Nous parvenons, par ces canaux, à toucher la majeure partie de la population. Pour autant, le biais médiatique est à prendre en considération. À titre d'exemple, le passage de l'alerte orange à l'alerte rouge pour Berguitta a pris du temps, et les médias ont eu parfois tendance à exagérer pour maintenir l'attention de la population. Cela a donné lieu à un emballement médiatique difficile à gérer en parallèle des autres difficultés rencontrées. Le degré de contrôle de l'information que nous diffusons s'apprécie au cas par cas, selon les crises.

Colonel Manuel Kremer, adjoint au chef de l'état-major de zone et de protection civile de l'océan Indien (EMZPCOI). - Concernant la chaîne d'alerte, La Réunion n'est pas équipée du réseau national d'alerte comme c'est le cas en métropole grâce aux sirènes. De même, le système d'alerte et d'information des populations (SAIP) n'est pas déployé sur le territoire. Comme l'expliquait le directeur de cabinet du préfet, nous nous appuyons donc sur un dispositif d'échange d'informations provenant des organismes de veille et de vigilance et piloté par l'état-major de zone. Sur l'année 2017, 37 000 SMS ont été envoyés aux services de l'État et aux collectivités concernant les événements qui ont touché le département.

M. Sébastien Audebert. - Sur la question des relations avec les acteurs internationaux pour la vigilance et l'alerte, le représentant de Météo France sera à même de vous apporter des précisions supplémentaires, en particulier sur le risque cyclonique qui présente des spécificités régionales.

En ce qui concerne la veille volcanique et les tsunamis, deux difficultés ont été identifiées. L'institut de physique du globe de Paris (IPGP) est présent à La Réunion comme dans tous les territoires français via son antenne, l'observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise (OVPF). Dans le cadre du plan ORSEC, cet observatoire constitue les yeux du préfet à proximité du volcan. Or, l'IPGP a récemment diminué le financement de la veille en matière de sécurité civile au motif que cela ne relèverait pas de ses missions. Nous avons sollicité la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la transition écologique et solidaire, la direction de la sécurité civile, la direction générale des outre-mer et le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation afin de faire dialoguer ensemble les acteurs pour trouver des sources de financement pérennes. À l'heure actuelle, la préfecture de La Réunion finance ce dispositif, par le biais d'une convention, à hauteur de 30 000 euros par an. Instauré l'année dernière, ce dispositif a été reconduit cette année mais n'a pas vocation à se maintenir puisqu'il pèse sur le budget opérationnel de programme (BOP) 123, c'est-à-dire le budget des outre-mer, qui n'est pas destiné à cela. Nous souhaitons de tout coeur pouvoir trouver une solution à ce problème, faute de quoi nous ne serons plus en capacité de prévoir et d'annoncer les éruptions volcaniques à La Réunion.

Le deuxième type de veille que j'aimerais aborder concerne le risque tsunami. Météo France n'est pas en capacité, à l'heure actuelle, de produire l'information nécessaire à l'organisation de cette veille. À nouveau, nous avons saisi l'administration centrale, et plus précisément le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), afin d'obtenir une analyse de cette question. J'ai bon espoir que nous puissions obtenir un financement à hauteur de 55 000 ou 60 000 euros pour que le Centre national d'alerte aux tsunamis (CENALT) puisse devenir notre centre d'information et nous prévenir de la survenue d'un tsunami et de ses conséquences. Le préfet de La Réunion, actuellement à Paris, s'est d'ailleurs entretenu de ce problème avec la direction de la sécurité civile.

M. David Goutx. - Météo France a naturellement intégré le dispositif d'alerte aux tsunamis en sa qualité d'opérateur du système mondial de télécommunications sur lequel est basée la transmission des informations relatives à ces phénomènes. Or, la compétence de Météo France ne s'étend qu'à l'océan superficiel, c'est-à-dire sur les quelques mètres de profondeur qui interagissent avec l'atmosphère. Nous sommes en mesure de comprendre les mécanismes océaniques de surface mais pas les tsunamis, qui se forment en profondeur. Nous ne sommes donc pas capables de traduire concrètement, en aide à la décision, les bulletins que nous ne produisons pas mais que nous acheminons docilement et promptement à la préfecture.

Par ailleurs, Météo France joue un rôle particulier dans l'environnement régional de l'océan Indien du fait de son assise technologique. Nous avons pour mission de transmettre l'alerte tsunami aux pays voisins avec lesquels nous entretenons des relations au titre de l'alerte cyclonique puisque nous faisons fonctionner le centre météorologique régional spécialisé cyclones. L'alerte tsunami n'est pas notre titre le plus glorieux puisque nous nous contentons de relayer les informations dans la région grâce à notre réseau pour l'alerte cyclonique. Celui-ci s'étend dans toute la zone, aussi bien les États insulaires que les pays continentaux d'Afrique australe touchés par les cyclones de manière directe (Mozambique, Tanzanie) ou indirecte lorsque le phénomène cyclonique se propage sur terre (Namibie, Lesotho, etc.). Nous continuons donc à suivre le système cyclonique jusqu'à la fin, y compris pour des pays non-côtiers mais qui en subissent les effets. Quels que soient leurs moyens techniques et leur situation de crise, ces pays peuvent ainsi toujours bénéficier des informations de Météo France en ce qui concerne la prévision cyclonique, tout en ayant la liberté de construire leurs propres dispositifs d'alerte. Météo France n'impose rien à ces États mais intervient comme un premier niveau d'information pour l'aide à la décision.

Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Bonjour à tous. J'ai écouté avec attention l'ensemble de vos interventions. Vous avez balayé de manière presque exhaustive la situation.

Connaissez-vous, à La Réunion, le problème des zones blanches ? J'ai retenu le chiffre de 37 000 SMS envoyés à l'année, qu'est-ce que cela représente à l'échelle du territoire ? Pouvez-vous nous assurer que l'ensemble de la population reçoit les informations ? En outre, disposez-vous d'indicateurs capables de mesurer si l'information transmise est bien perçue par le public ? Le cas échéant, pouvez-vous nous indiquer ce qui devrait être amélioré dans le système d'alerte pour gagner en réactivité ? La population, moins sensibilisée à certains aléas, est-elle toujours bien informée et réactive, quel que soit le type de crise ? Quelles seraient les actions à mettre en oeuvre en ce sens ?

Concernant les moyens humains, au niveau du SDIS, vous disposez donc de 800 professionnels, de nombreux volontaires ainsi que les renforts de la Croix-Rouge en cas d'urgence. Cependant, vous avez peu évoqué la question des moyens matériels. Hormis le radar manquant et les difficultés de financement de l'observatoire volcanique, quels sont les chantiers prioritaires ?

Enfin, je saisis l'occasion pour saluer l'initiative exemplaire du CNFPT qui a mis en place des formations aux risques naturels, car nous avons pu constater, en échangeant avec les autres territoires ultramarins, la nécessité de mettre en oeuvre des actions de prévention.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Tout d'abord, la délégation est preneuse des conclusions des Assises des risques naturels, si vous voulez nous les transmettre.

Sur la question de l'information à grande échelle, vous avez cité Radio Freedom, qui couvre 40 % de la population. Qu'en est-il de la majorité des Réunionnais qui n'écoute pas cette station ? Vous avez évoqué l'utilisation de nouveaux moyens de communication comme les SMS, mais disposez-vous d'autres systèmes ? À Saint-Barthélemy, par exemple, des messages d'alerte sont envoyés sur les téléphones fixes qui sonnent à intervalles réguliers jusqu'à ce que le message soit écouté en entier. Certes, ce dispositif fonctionne sur un territoire qui compte moins d'habitants que La Réunion.

S'agissant des moyens humains et matériels, j'ai noté votre manque criant d'un troisième radar. Pouvez-vous nous dresser un état des lieux des moyens sur le territoire pour anticiper et mesurer les autres risques naturels majeurs ? J'ai cru comprendre que vous ne disposiez pas de sirènes, mais possédez-vous des marégraphes ou d'autres outils ?

J'ai également compris que le réseau d'alerte national ne s'appliquait pas à La Réunion. Est-ce que cette situation vous paraît acceptable ? Seriez-vous preneur d'une mise en conformité dans ce domaine ?

Mme Jocelyne Guidez. - Bonjour à tous. Avant d'être sénatrice, j'étais maire d'une commune de 5 000 habitants dans l'Essonne qui fait face à des problèmes de ruissellement et où différents plans de prévention des risques ont été définis. Je suppose que les communes de La Réunion ont mis au point des plans locaux d'urbanisme (PLU) et des plans de prévention du risque inondation (PPRI). Des interdictions de construction à proximité de la mer et des ruisseaux découlent-elles de ces plans ?

Mme Vivette Lopez, présidente. - J'ai moi-même une série de questions à vous poser. Tout d'abord, quels sont les exercices collectifs en grandeur réelle que vous menez avec la population ? Les autres pays de la zone y sont-ils associés ?

Par ailleurs, comment utilisez-vous les réseaux sociaux pour l'alerte et la gestion de crise ?

Je suppose que vous travaillez avec le Conservatoire national du littoral. Quelles relations entretenez-vous avec cette instance ?

J'aimerais également connaître les raisons de votre collaboration avec le Mozambique en matière de prévention des risques naturels.

Enfin, avez-vous chiffré le coût de fonctionnement potentiel du troisième radar qui vous fait défaut ?

M. Sébastien Audebert. - Pour vous répondre sur la question des moyens, j'aimerais revenir sur les feux de forêts qui ont été peu abordés alors qu'ils constituent un risque majeur. L'incendie du Maïdo a créé un précédent et démontré la nécessité de protéger la biodiversité des forêts endémiques. Depuis 2010-2011, la sécurité civile envoie chaque année un Dash, un avion bombardier d'eau, qui reste à demeure sur l'île de La Réunion de la fin du mois de septembre au début du mois de décembre afin de couvrir toute la saison à risque. Ce type de moyens est essentiel compte tenu des reliefs escarpés de La Réunion qui empêchent parfois les pompiers d'intervenir promptement sur les lieux de l'incendie. Le bombardier permet ainsi de limiter la propagation du feu qui rend le phénomène rapidement incontrôlable. Il est donc essentiel de pérenniser ce moyen. Je sais que la sécurité civile a pour projet d'acheter de nouveaux avions Dash qui présentent un intérêt au niveau national, notamment en matière migratoire. Ce double-emploi provoque souvent des arbitrages d'utilisation de ces moyens.

Je me permets d'ouvrir une parenthèse en vous rappelant que nous nous situons sur une zone de défense qui couvre Mayotte, et nous avons des difficultés, dans le contexte actuel, pour acheminer des moyens d'ordre public car nous ne disposons d'aucun vecteur pour les envoyer, mis à part l'aviation civile classique. Nous pourrions donc imaginer qu'un avion de la sécurité civile remplisse cette mission.

La question des moyens héliportés me semble également essentielle. À l'heure actuelle, nous disposons de deux hélicoptères de la gendarmerie dont l'un, en maintenance, est inutilisable. Ce manque de moyens publics héliportés pèse sur la réponse que nous pouvons apporter en termes de secours. À l'horizon fin 2018, un hélicoptère sanitaire hospitalier (Héli-SMUR) permettra de soulager les gendarmes en intervention. Toutefois, il ne serait pas absurde de relancer la réflexion, déjà engagée au niveau des outre-mer, sur la répartition des moyens de la sécurité civile, en particulier des dragons. Il y a quelques années, un arbitrage avait permis à la Guadeloupe d'obtenir la mise à disposition de l'un de ces hélicoptères, au détriment de La Réunion. Même si la situation en Guadeloupe justifiait ce choix, il serait intéressant, pour La Réunion, d'élargir ce débat car un Héli-SMUR ne permet pas d'effectuer d'hélitreuillage. Or, cette fonction serait vitale en cas d'éboulement conséquent.

M. David Goutx. - Je répondrai aux questions concernant le coût du troisième radar, qui apparaît comme la solution la plus évidente. Ce coût est estimé à 1,5 million d'euros pour l'investissement, et 20 000 à 30 000 euros pour le fonctionnement. Il ne s'agit donc pas de montants exorbitants, mais l'installation du radar pose une autre difficulté, celle du demi-équivalent temps plein (ETP) d'expert radar nécessaire à son exploitation. Météo France a beau compter encore 3 000 ETP, les experts radars sont très peu nombreux.

Hormis le troisième radar, il convient de signaler un deuxième point aveugle en matière de moyens de prévision, qui ne concerne pas seulement Météo France mais tous les services de La Réunion, à savoir l'absence de houlographes. Ces appareils permettent de mesurer les trains de houle qui arrivent sur les côtes. Nous disposons d'excellents outils numériques de modélisation qui nous fournissent les hauteurs de houle présentes et futures probables, mais les instruments de mesure réels se font de plus en plus rares. Or, ceux-ci sont essentiels pour s'assurer de la pertinence des modèles. Compte tenu de la forte densité de population sur le littoral, la performance de la prévision dans ce domaine constitue un enjeu majeur. Des houlographes étaient encore présents sur le territoire il y a une quinzaine d'années, mais tous ont été abandonnés ou détruits par des événements naturels. Hormis ceux qui permettent aujourd'hui de mesurer la houle au niveau du chantier de la route du littoral, auxquels nous avons accès par des moyens détournés, nous ne disposons pas d'instruments de ce type. Il ne s'agit pas d'installer ces outils en grand nombre, mais deux ou trois houlographes permettraient d'améliorer significativement la couverture des risques naturels. À La Réunion comme dans d'autres départements, l'État n'a pas pris garde au tarissement de l'instrumentalisation qui reposait majoritairement sur des initiatives non pérennes et ne s'est donc pas maintenue à niveau.

M. Jean-Michel Maurin. - Je tiens aussi à souligner l'apport du fonds de prévention des risques naturels majeurs qui permet de financer les travaux de réflexion et les études précédant la mise en oeuvre des plans de prévention des risques mais aussi d'agir comme un levier financier pour l'élaboration des programmes d'action de prévention des inondations (PAPI). Des progrès sont encore à faire en matière de lutte contre les inondations, mais il faut garder à l'esprit l'importance de cet outil et veiller à ce que le processus actuel de budgétisation de cette ressource ne la fasse pas disparaître. À l'heure actuelle, le fonds ne contribue qu'à la prévention des inondations, mais il est possible d'imaginer qu'il puisse servir à protéger la population contre d'autres types de risques naturels comme l'érosion du trait de côte et la submersion marine. Des programmes de recherche et des expérimentations, qui nécessitent des moyens humains et financiers, sont d'ailleurs déjà menés pour améliorer la gestion du trait de côte.

Je terminerai en évoquant les drones, dont certains services comme la gendarmerie commencent à s'équiper. Il s'agit d'un outil intéressant pour un territoire aussi contraint que celui de La Réunion, et utile à de nombreux égards. Les drones peuvent intervenir dans l'inspection de ravines, du trait de côte, de l'occupation du sol mais aussi, après un événement malheureux, en matière de secours, de surveillance du retour à la normale et pour l'établissement du diagnostic des zones sinistrées. Il me semble essentiel d'opérer un saut quantitatif et qualitatif dans l'utilisation de ces nouvelles technologies.

Pour faire le lien avec les réseaux sociaux, je considère que ces outils doivent être exploités car ils permettent non seulement de prévenir la population, mais aussi, pour les services, de bénéficier de remontées d'informations. Je note d'ailleurs la montée en puissance de l'utilisation des réseaux sociaux en matière de prévention des risques. Sans concurrencer les informations scientifiques diffusées par Météo France, les systèmes d'aide à la décision pourraient s'appuyer sur les données envoyées par la population elle-même.

M. Rémi Belon, ingénieur en charge de la problématique du littoral au bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). - Je m'associe aux propos du représentant de Météo France en ce qui concerne la nécessité de s'équiper de houlographes puisque ceux-ci ont rendu possible, par le passé, la mise en oeuvre des plans de prévention des risques littoraux (PPRL). Les houlographes ont en effet fourni des informations sur les états de mer lors de cyclones majeurs tels que Dina (2002) ou Gamède (2007). Les observations des conditions météorologiques sont essentielles pour anticiper l'impact des phénomènes présents et futurs. Or, les prévisions sont de plus en plus fiables sans que nous puissions, par des moyens de mesure, vérifier avec précision leur degré de réalisme.

M. Sébastien Audebert. - Pour répondre à votre question sur l'accessibilité de l'information, il existe quelques zones blanches ponctuelles dans l'intérieur des terres, notamment à proximité du volcan. Ces zones peuvent se multiplier lorsque les vents forts font tomber des antennes. Ceci étant, la population réunionnaise est plutôt bien informée en cas d'intempérie. Le taux de pénétration de Radio Freedom, de 40 %, correspond au taux d'écoute à un instant donné, ce qui signifie que cette radio est écoutée par la grande majorité des Réunionnais au cours de la journée. Il s'agit donc d'une caisse de résonnance médiatique particulière. À cette radio s'ajoutent tous les autres médias qui relayent nos informations, créant une couverture médiatique satisfaisante.

J'aimerais également apporter des précisions sur les nouveaux outils de communication, puisqu'il nous a été demandé d'évoquer l'utilisation des réseaux sociaux. L'association des Volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel (VISOV) travaille en collaboration avec le ministère de l'intérieur sur deux aspects : la remontée d'informations depuis le terrain, par un système de veille sur les réseaux sociaux et le repérage des fake news, ces fausses rumeurs qui circulent sur internet et parasitent la communication de crise. La veille communicationnelle fait partie intégrante de la gestion de crise. Il est donc essentiel que nous puissions travailler avec cette association, basée en métropole. Le ministère réfléchit d'ores et déjà à l'articulation entre cette veille et la réponse opérationnelle et médiatique qui peut être apportée.

Lieutenant-colonel Henri-Claude Pothin. - L'association VISOV est également en charge de la création d'une base de données sur les médias sociaux pour la gestion d'urgence (MSGU), ces dispositifs qui, par l'intermédiaire d'un smartphone, permettent d'informer et, en retour, de bénéficier de remontées d'informations directes par la population. Cette structure de volontaires centralise ensuite les observations. Les MSGU constituent en ce sens un outil d'aide à la décision intéressant.

M. Jean-Michel Maurin. - Je me permets d'apporter des précisions sur la question de l'articulation entre les plans locaux d'urbanisme (PLU) et des plans de prévention du risque inondation (PPRI). La Réunion compte 24 communes. Comme les autres départements d'outre-mer, nous avons bénéficié d'un délai supplémentaire pour l'approbation des plans d'occupation des sols (POS). Il existe à l'heure actuelle encore 6 POS sur le territoire. Au 27 septembre 2018, ces POS devront être transformés en PLU ou le règlement national d'urbanisme redeviendra applicable.

Les communes qui n'ont pas établi de PLU sont couvertes par un POS, ce qui signifie que le territoire de La Réunion est plutôt bien couvert en termes de documents de planification. À chaque fois qu'un PPR est approuvé, il est annexé aux documents d'urbanisme. Le système est donc cohérent sur le plan réglementaire.

Le lien spécifique entre urbanisme, prévention des inondations et aménagement du littoral mériterait d'être abordé en détail. En résumé, les acteurs prennent progressivement conscience de l'importance de cibler les zones à risque, mais la question des zones rouges où s'est déjà établie une activité humaine se pose toujours. Après certains phénomènes naturels, l'évacuation est nécessaire et la reconstruction n'est pas possible. Notre défi consiste donc à réfléchir à l'identification de zones de repli pour réimplanter cette activité. Dans cette optique, les PPR et les documents de planification d'urbanisme sont essentiels pour imaginer ce que pourrait être l'avenir à l'aune de la manifestation des risques d'érosion, de submersion et de glissements de terrain. La DEAL travaille en collaboration avec les collectivités pour relever ce défi, sous la pression des conflits d'usage particulièrement complexes à La Réunion.

M. Sébastien Audebert. - Pour compléter l'intervention de M. Maurin, j'ajouterai que nous sommes confrontés à une difficulté supplémentaire concernant le risque feu de forêt, à savoir l'aménagement des chemins prévus par les plans de défense contre l'incendie. Le coeur de l'île étant classé au patrimoine mondial de l'Unesco et géré par le Parc national de La Réunion, notre marge de manoeuvre en matière d'aménagement est très limitée car des espèces invasives sont susceptibles de s'implanter sur ces chemins, du fait de la circulation des camions. La biodiversité peut ainsi apparaître comme un facteur bloquant dans la gestion des risques, même si la préservation du parc demeure un enjeu majeur. Un comité de pilotage a été mis en place pour s'assurer que nous puissions trouver une solution à ce problème complexe, mais l'Unesco bloque certaines initiatives.

Lieutenant-colonel Henri-Claude Pothin. - J'abonde dans le sens de M. Audebert en ce qui concerne les obstacles rencontrés pour la réalisation d'actions de défense de la forêt contre l'incendie (DFCI). La résurgence de pestes invasives après un feu de forêt pose de nombreux problèmes vis-à-vis de notre classement au patrimoine mondial de l'Unesco en portant atteinte à la valeur universelle exceptionnelle (VUE) du patrimoine mondial des cirques et forêts de La Réunion. Nous avons entamé des discussions pour bénéficier de moyens afin de lutter contre les espèces invasives telles que les genêts ou les acacias qui prennent la place de la végétation endémique. Ces espèces constituent également un frein à l'application de mesures de DFCI. Or, la mise en oeuvre des plans de défense des massifs est essentielle car nous risquons de faire face à des phénomènes de grande ampleur tels que les incendies du Maïdo qui ont ravagé le territoire, il y a quelques années. Compte tenu de la topographie de l'île, les incendies sont particulièrement complexes à contrôler car certains sites sont difficiles d'accès. Nous devons donc miser sur la prévention du risque autant que faire se peut. Or, les travaux prévus dans cette optique n'avancent pas car nous ne disposons pas des moyens financiers suffisants pour sécuriser les sites et empêcher l'invasion des espèces intrusives.

M. Sébastien Audebert. - En ce qui concerne le système d'alerte, j'ai pris note du dispositif mis en oeuvre à Saint-Barthélemy, mais je doute que celui-ci soit transposable à La Réunion qui compte 850 000 habitants. Nous avons néanmoins entamé une réflexion sur la possibilité de développer de nouveaux dispositifs d'alerte.

Historiquement, le réseau national d'alerte est hérité des bombardements en temps de guerre et n'a donc jamais été implanté sur le territoire réunionnais. Aujourd'hui, nous orientons plutôt nos efforts vers l'utilisation des réseaux sociaux. Un système d'alerte a été mis en place au niveau national pour diffuser des informations en direct, notamment en cas d'attentat. Nous avons sollicité le ministère de l'intérieur pour pouvoir adapter ce système à nos risques locaux comme le volcanisme ou les crues. Les négociations sont en cours, sans avancées notables pour l'instant. Il nous paraît pourtant essentiel d'informer les populations à l'aide de ces outils dédiés, sous réserve que ceux-ci soient adaptés au contexte ultramarin.

Concernant le plan ORSEC, il existe deux systèmes applicables à La Réunion en matière de risques météorologiques. Or, la population peine à comprendre l'articulation entre les deux, ce qui alimente régulièrement des polémiques. Le dispositif ORSEC cyclone est assez clair et bien compris : la préalerte (jaune), l'alerte orange (à 24 heures du passage du phénomène, fermeture des transports scolaires et des écoles et préouverture des centres d'hébergement) et enfin l'alerte rouge (à 3 heures du passage). Le passage au niveau d'alerte supérieur se décide en fonction de la force des vents. Lorsque les rafales moyennes sont inférieures à 150 kilomètres par heure, l'alerte rouge n'est pas déclenchée, comme cela a été le cas pour Berguitta. En effet, les conditions cycloniques n'ont été réunies, pour Berguitta, qu'au dernier moment. Le retour d'expérience nous a montré que nous aurions dû anticiper de trois heures les événements afin de nous assurer que l'information transmise à la population était claire. Nous avons ainsi fourni un effort particulier sur l'anticipation lors du passage du phénomène suivant. Le fait que les conditions de vent soient le seul facteur pris en compte dans la définition de l'alerte cyclonique conduit, dans le contexte local, à complexifier la lecture que la population a du risque de fortes pluies. Les Réunionnais distinguent les cyclones de vent et les cyclones de pluie. Or, ces derniers ne font pas l'objet d'une alerte rouge, ce que peinent à comprendre les gens bloqués sur les routes quand les radiers débordent et que certaines habitations sont inondées. À la fin de la saison cyclonique, une réflexion doit donc être menée sur les moyens d'améliorer l'information de la population.

Le deuxième dispositif ORSEC, intitulé « événements météorologiques dangereux » (EMD), repose sur des vigilances et des vigilances renforcées, avec quatre risques identifiés : les fortes pluies, la houle, les orages et les vents. Dans l'inconscient collectif, la vigilance ne revêt pas la même importance que l'alerte rouge. Or, les fortes pluies peuvent avoir des effets tout aussi dévastateurs. La force de projection des vents est plus importante, ce qui explique que le confinement soit décrété en cas d'alerte rouge, mais le risque d'emportement lors de fortes pluies peut également conduire à interdire toute circulation. Eu égard à la complexité de ces systèmes, ces deux dispositifs doivent être mis en cohérence.

Au moment du passage de Berguitta, les habitants du sud de l'île se sont plaints du non-déclenchement de l'alerte rouge. Nous avons tenté d'expliquer que les conditions météorologiques n'étaient pas réunies mais notre discours est resté inaudible. Si l'alerte rouge avait été décidée, nous n'aurions pas été en conformité avec les consignes du plan ORSEC et nous aurions paralysé les 600 000 autres habitants de l'île, très peu concernés par le phénomène. Il convient donc de réfléchir à une application plus ciblée du système d'alerte, secteur par secteur, qui pourrait passer par la publication d'arrêtés d'interdiction de circulation sur une partie du territoire. Nous avons déjà commencé à étudier cette possibilité avec la sécurité civile, l'enjeu principal étant de garantir la clarté du message et des conduites à suivre en cas de manifestation d'un risque naturel majeur. Si les consignes en cas de cyclone sont bien connues, des progrès restent à faire en ce qui concerne le risque de fortes pluies. Ce constat ne date pas de l'épisode Berguitta mais figure dans chaque retour d'expérience.

Sur la question de la formation, je donnerai la parole à M. Christian Pailler, représentant de la plate-forme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI) afin qu'il expose les enjeux de coopération régionale ainsi que les grandes lignes d'un projet de formation que nous jugeons particulièrement pertinent.

M. Christian Pailler, chef de délégation de la plate-forme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI). - La PIROI, mise en place il y a 18 ans, est gérée par la Croix-Rouge française. Il s'agit d'un programme de coopération régionale avec les 7 pays de la sous-région, dont 5 pays de la zone COI (Commission de l'océan Indien) et 2 pays de la côte africaine, le Mozambique et la Tanzanie. Nous travaillons sur le cycle de gestion des catastrophes. En phase préparatoire, la PIROI a pré-positionné 7 stocks de secours dans différents entrepôts dispersés dans toute la région. La Réunion abrite l'un de ces stocks qui compte 200 tonnes de matériel. Au total, nous disposons de 520 tonnes de matériel mutualisé, sachant que plusieurs entrepôts peuvent être utilisés pour faire face à une seule catastrophe. La préparation des crises passe également par la formation, via le réseau Croix-Rouge, auprès de 35 000 personnes, à la fois en interne et en externe. En matière de prévention, la sensibilisation de la population est essentielle et passe notamment par des interventions dans les écoles. À titre d'exemple, le programme éducatif « Paré pas paré » est présenté aux enfants de CM1 et de CM2 de 100 écoles réunionnaises. Ce projet de réduction des risques a été dupliqué dans l'ensemble de la région où l'on compte aujourd'hui 15 programmes similaires.

Nous avons également pour projet de mettre en place le « PIROI center », centre de formation autour de la gestion des catastrophes, à destination des acteurs de la gestion des risques mais aussi de l'ensemble des membres du réseau PIROI et du grand public. Nous cherchons pour cela à développer des partenariats avec les universités dans la région, et en premier lieu avec l'Université de La Réunion.

M. Sébastien Audebert. - Le projet de création du « PIROI center », destiné à améliorer le rayonnement de la France dans la région tout en développant la résilience des territoires, sera signalé dans le cadre des Assises des outre-mer.

Mme Vivette Lopez, présidente. - Pouvez-vous me confirmer que le niveau d'alerte ne peut pas être différencié selon les secteurs de l'île ?

M. Sébastien Audebert. - Le niveau cyclonique est uniforme. Le dispositif de vigilance, lui, est sectorisé en cinq sous-zones (nord, est, sud-est, sud, ouest). À La Réunion, certains épisodes météorologiques peuvent ne concerner qu'une commune, voire une partie de commune. La commune de Saint-Philippe, par exemple, est située à l'extrême sud et a été touchée en décembre 2015 par un épisode localisé et reconnu comme une catastrophe naturelle. Nous devons donc réfléchir aux dispositifs adéquats pour prévenir les déplacements de population ou les restrictions selon les secteurs. Cette réflexion ne s'inscrit pas dans le cadre du plan ORSEC puisqu'elle touche plutôt les pouvoirs de police des maires et du préfet, notamment en matière d'interdiction de circulation. Ces mesures peuvent avoir des conséquences importantes puisqu'en alerte orange les écoles et les transports scolaires sont fermés mais la population active doit continuer à travailler, ce qui peut poser des difficultés logistiques et organisationnelles pour une partie des habitants. Comme au niveau national, la population est de plus en plus demandeuse de consignes claires afin d'éviter les prises de risque inutiles, surtout en ce qui concerne la liberté de circulation. Dans ces situations de crise, le préfet a donc la responsabilité de donner les consignes de sécurité adaptées et de garantir que les salariés, par exemple, puissent être indemnisés en cas de journée de travail manquée.

Mme Vivette Lopez, présidente. - Quelles sont les relations que vous entretenez avec le Conservatoire national du littoral ?

M. Jean-Michel Maurin. - La DEAL travaille en étroite collaboration avec le Conservatoire national du littoral, pas uniquement sur la question des risques naturels mais aussi en ce qui concerne la préservation des espaces naturels sensibles et des paysages. Nous entretenons d'excellentes relations avec le conservatoire et fonctionnons de manière complémentaire. Nous n'avons pas évoqué nos partenaires en dehors du panel invité à cette visioconférence mais nous travaillons également, par exemple, avec l'agence d'urbanisme l'AGORAH qui croise les données liées aux risques à celles disponibles sur la localisation des populations, ou encore le parc national et l'Office national des forêts. L'insularité explique peut-être que nous bénéficions d'un réseau d'acteurs dense pour mener à bien nos missions.

Lieutenant-colonel Henri-Claude Pothin. - Le SDIS collabore également avec le Conservatoire national du littoral en matière de prévention du risque incendie dans certaines zones urbanisées à proximité de la savane, essentiellement dans l'ouest de l'île. Sous l'égide de l'état-major de zone, nous menons ensemble des actions de brûlage dirigé.

Mme Vivette Lopez, présidente. - Associez-vous la population à des exercices collectifs grandeur réelle ?

M. Sébastien Audebert. - Nous avons listé environ 8 exercices par an.

Colonel Manuel Kremer. - 8 exercices départementaux sont organisés chaque année, mais rares sont ceux qui associent la population. Deux d'entre eux concernent spécifiquement les risques majeurs, l'un les cyclones et l'autre un aléa défini en fonction de l'actualité.

Au niveau de la zone océan Indien, nous participons à d'autres exercices. La PIROI conduit l'un de ces exercices sur l'ensemble du bassin et l'Unesco pilote un exercice annuel sur le risque tsunami. L'état-major de zone y participe en tant que membre du comité.

Au-delà des exercices à proprement parler, les mises en situation opérationnelle sont nombreuses et régulières. Sur l'année 2017, La Réunion a été touchée par le cyclone Enawo qui a entraîné une posture de cyclone effective, les tempêtes tropicales Carlos et Fernando ainsi que 8 événements météorologiques dangereux à cause de fortes pluies, 3 éruptions volcaniques et 2 séismes.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Vous avez évoqué les moyens matériels à votre disposition, mais il n'a pas été fait mention des moyens humains nécessaires à l'organisation de la gestion des risques. Avez-vous le sentiment d'être suffisamment armés pour mener à bien ces tâches ?

En outre, je rappellerai que notre mission a pour but de formuler des préconisations et vous demanderai donc, M. Goutx, de nous faire part, en toute franchise, de votre avis concernant la réduction des moyens humains et financiers de Météo France au regard de l'importance des prévisions météorologiques sur l'île de La Réunion. Craignez-vous un repli de votre capacité d'information ? Vous êtes sans doute soumis à une obligation de retenue vis-à-vis de votre hiérarchie, mais la Délégation sénatoriale aux outre-mer est aussi là pour relayer les insuffisances afin de formuler des propositions concrètes qui seront écoutées. Je vous invite à profiter de la possibilité qui vous est offerte pour nous faire part de votre sentiment.

Enfin, en présentant la répartition des rôles, vous avez furtivement évoqué, M. Audebert, les difficultés de coordination entre les communes, les préfectures et les sous-préfectures. Pouvez-vous nous éclairer sur ces difficultés et, le cas échéant, formuler des préconisations que nous pourrions être amenés à intégrer au rapport ? Vous qui considérez que les dossiers n'avancent pas suffisamment vite à Paris, je vous rappelle que nous sommes là pour vous aider.

Mme Vivette Lopez, présidente. - Pourriez-vous nous donner des précisions sur le projet SPICy (système de prévision des inondations côtières et fluviales en contexte cyclonique) qui nous a été présenté lors de notre visite au BRGM ?

M. Sébastien Audebert. - Le projet SPICy entre en effet dans le champ des actions menées en matière de prévention des risques naturels majeurs.

M. David Goutx. - Je vous remercie de la liberté de parole que vous m'offrez. Cela peut paraître étonnant à entendre - et ce n'est pas que par loyauté envers ma direction générale -, mais je dois dire que Météo France, dans l'océan Indien, est correctement dotée en moyens humains, au prix d'un certain remaniement de la répartition des effectifs.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - C'est important à savoir.

M. David Goutx. - J'ai dû faire évoluer l'équipe en supprimant et en créant des postes afin de conserver la capacité opérationnelle de Météo France dans l'océan Indien, qui reste notre priorité. Depuis que j'ai pris la tête de ce service, il y a trois ans, j'ai supprimé des postes de chef de station météo obsolètes car automatisés et des postes en gestion des finances et en administration générale afin de limiter l'engagement sur les tâches administratives. En parallèle, j'ai renforcé d'un poste d'ingénieur de prévision cyclonique l'équipe qui assure les prévisions sur l'ensemble de la zone. Un poste de production opérationnelle améliorant les produits pour les usagers de niveau ingénieur a également été créé. Il y a trois mois, en effet, j'ai obtenu la création d'un poste afin de renforcer notre connaissance du réchauffement climatique dans la région. Moyennant une définition claire des priorités et un dialogue soutenu avec ma direction générale, j'obtiens, depuis trois ans, des arbitrages en faveur d'un renforcement de la capacité opérationnelle de Météo France dans l'océan Indien. Je crois donc sincèrement que nous sommes en capacité d'agir.

Ceci dit, je profite de votre main tendue pour rappeler que si la robustesse de Météo France n'est pas remise en cause au niveau local, des progrès pourraient être faits sur le soutien aux outre-mer de la part de l'établissement au niveau national. Je crois que le sujet ultramarin, dans la réflexion stratégique de Météo France, n'est pas assez identifié. Il y a encore trois ans, un directeur délégué aux outre-mer assurait la coordination entre les différents territoires et permettait aux outre-mer de se faire entendre en métropole. Ce poste a été supprimé dans le cadre du plan de réduction des effectifs, et nous en subissons les conséquences.

En ce qui concerne le troisième radar, j'ai défendu avec insistance la position de l'établissement, comme vous l'avez relevé. Un demi-ETP ne devrait pas être un sujet aussi critique pour Météo France, mais je n'ai pas la capacité de me faire entendre au niveau de la direction générale. Une stratégie outre-mer clairement définie permettrait de mettre en lumière la nécessité de répondre à ces besoins opérationnels. Sans remettre en cause la capacité de Météo France dans l'océan Indien, la réduction des effectifs à l'échelle nationale emporte avec elle l'espoir de réaliser certains projets outre-mer.

M. Sébastien Audebert. - Sur la question des moyens humains, je pense que nous disposons de ressources suffisantes pour répondre de façon opérationnelle aux crises. Les sapeurs-pompiers, le SAMU et les services de secours sont des acteurs essentiels de cette gestion de crise. Toutefois, à l'instar des autres territoires ultramarins, les effectifs de la police et de la gendarmerie sont sous-dimensionnés par rapport à la population réunionnaise.

Par ailleurs, le manque d'effectifs de l'état-major de zone explique que celui-ci réalise environ 90 % de son activité sur le département de La Réunion. Compte tenu de ces contraintes, il lui est particulièrement difficile d'animer la zone de défense et de s'affirmer comme un véritable appui pour Mayotte. Nous en mesurons les conséquences aujourd'hui, car la crise à Mayotte aura vraisemblablement des répercussions en matière de sécurité civile. À l'heure actuelle, des sapeurs-pompiers ne peuvent plus sortir de leur caserne et les services de secours ont du mal à circuler. De manière générale, la création d'un ou deux postes supplémentaires au sein de l'état-major de zone semble nécessaire pour faire de l'animation régionale et développer les partenariats. Il pourrait s'agir d'un militaire de la sécurité civile qui viendrait renforcer les quatre postes similaires déjà existants, d'un sapeur-pompier ou d'un autre personnel dédié, pourvu que cette personne soit en capacité de se déplacer dans la région pour effectuer des missions comme ce fut le cas au Mozambique, à Mayotte et à Maurice par le passé. Ces renforts permettraient de renforcer l'animation de l'environnement régional, et plus particulièrement de la zone de défense.

Enfin, en cas de crise, nous souhaiterions avoir la capacité de projeter aux côtés des sous-préfets qui le demandent, dans les autres arrondissements, des professionnels de la gestion de crise.

De manière générale, les moyens humains sont suffisants, comme le montre notre capacité à dupliquer certaines ressources dans les zones susceptibles de se retrouver isolées du reste de l'île. Pour vous donner un exemple précis, en cas d'inondation, il existe dans les cirques un sérieux risque d'éboulis qui pourrait rendre les accès impraticables pendant plusieurs jours. Nous pré-positionnons donc toujours des médecins dans ces zones. Nous avons ainsi les moyens de répondre à une crise classique, mais nous serions vraisemblablement amenés à solliciter le niveau national pour répondre à une crise exceptionnelle.

En ce qui concerne les relations entre la préfecture et les communes, celles-ci sont au beau fixe en période de crise puisque chacun sait quel rôle il a à jouer. En revanche, elles mériteraient d'être améliorées sur la durée, hors épisodes de crise, car nous avons des difficultés à mobiliser notre réseau partenarial pour étendre, par exemple, les plans communaux de sauvegarde à tous les risques ou pour assister aux conseils départementaux sur les risques naturels majeurs organisés tous les ans. Les référents dans les services sont impliqués, mais nous aurions besoin de davantage d'investissement de la part des élus car leur présence aux réunions stratégiques est indispensable. La mise en place des plans de prévention des risques (PPR) pose quelques difficultés car elle touche à des enjeux d'aménagement du territoire. Pour l'anecdote, un élu avait par exemple déchiré un PPR devant la presse. Ce sont des difficultés habituelles qui n'empêchent pas la mise en route des PPR et n'entachent pas la réactivité des communes en période de crise.

Enfin, le projet SPICy a été déployé l'année dernière sur deux communes, Saint-Paul dans l'ouest et Sainte-Suzanne dans le nord.

M. Rémi Belon. - Le projet SPICy portait à la fois sur l'amélioration des prévisions météorologiques et sur la définition des plans d'intervention. Pour atteindre ce premier objectif, le module animé par Météo France a travaillé à l'affinement des prédictions sur la houle pour le risque de submersion marine et sur les inondations fluviales afin de mieux anticiper les conséquences des phénomènes cycloniques.

Sur le deuxième volet, l'objectif était de parvenir à associer des valeurs seuils à des plans d'intervention gradués auprès des communes en fonction de l'intensité et de la chronologie du phénomène, heure par heure. Il s'agit d'un outil d'aide à la décision, puisque l'anticipation des inondations par secteur permet, par exemple, de savoir à partir de quelle heure il convient de fermer certaines routes.

Aujourd'hui, nous disposons des outils pour sectoriser la partie littorale, ce qui améliore considérablement notre capacité d'anticipation des cyclones. Nous avons défini différentes approches méthodologiques et calculatoires pour identifier l'impact du phénomène en termes de submersion marine et d'érosion côtière.

Or, même si ces outils existent, ils ne sont pas opérationnels. Nous manquons en effet de la capacité de les associer pour faire fonctionner le système en temps réel au-delà de l'expérience SPICy. Le projet est aujourd'hui au point mort. Il convient désormais de concentrer nos efforts sur la mise en oeuvre opérationnelle du système car nous disposons des moyens technologiques pour le faire, à défaut de ressources financières suffisantes. Des améliorations sont également possibles en termes d'instrumentation et de bancarisation des informations sur les impacts pour renforcer la crédibilité des seuils définis lors du projet SPICy.

M. David Goutx. - Le projet SPICy a donné l'opportunité à Météo France de corriger un travers courant chez les opérateurs techniques de ce type qui négligent souvent le caractère opérationnel des prévisions météorologiques. Nous nous sommes donc attachés à traduire nos prévisions météorologiques en prévision de phénomènes susceptibles d'avoir des conséquences sur le terrain et à inscrire nos résultats dans une perspective probabiliste. Contrairement à la philosophie générale chez Météo France, les autorités préfectorales et les services gestionnaires de crise, voire le grand public sont prêts à entendre différents scénarios probabilisés et à en faire bon usage. Il s'agit d'une piste de réflexion intéressante pour améliorer l'aide à la décision. SPICy nous a donc donné l'occasion de nous essayer à cet exercice et de vérifier l'utilité, pour les communes-tests et les partenaires du projet, de cette approche probabiliste. Notre objectif est de rendre cette méthode opérationnelle et courante dans les années à venir.

Mme Vivette Lopez, présidente. - Nous arrivons au terme de notre entretien et je vous remercie infiniment de nous avoir consacré autant de temps, d'avoir fait montre d'une telle liberté de parole. Je vous invite à nous communiquer toutes les informations que vous jugerez utile à notre travail.