Jeudi 4 avril 2019

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de Mme Stéphanie Defossez, maître de conférences en géographie à l'Université Paul-Valéry de Montpellier

M. Michel Magras, président. - Nous reprenons aujourd'hui notre cycle d'auditions pour l'instruction du second volet de l'étude sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer, volet consacré aux questions de la reconstruction et de l'organisation de la résilience des territoires sur le plus long terme, sur lequel nos collègues Abdallah Hassani et Jean-François Rapin sont conjointement rapporteurs. Je vous rappelle que Guillaume Arnell est notre rapporteur coordonnateur pour l'ensemble de l'étude.

Après avoir échangé en visioconférence le 14 novembre dernier avec le préfet Philippe Gustin qui cumule les responsabilités de délégué interministériel à la reconstruction des Îles du Nord et de préfet de la Guadeloupe, nous avons abordé à la mi-février la question assurantielle avec l'audition des représentants de la Caisse centrale de réassurance (CCR). Nous reviendrons d'ailleurs sur la problématique assurantielle, au coeur des enjeux de reconstruction post-catastrophes naturelles, avec une table ronde au mois de mai.

Mais c'est aujourd'hui les conséquences humaines, la préparation et la reconstruction des personnes confrontées à la violence de ces phénomènes hors normes qui vont retenir notre attention. À cet effet, nous recevons Mme Stéphanie Defossez qui, avec sa collègue Mme Monique Gerardhi, mène un travail de recherche à l'Université Paul Valéry de Montpellier. Enseignantes-chercheuses, elles sont toutes deux allées à la rencontre des témoins et victimes de l'ouragan Irma. Cette audition s'intègre dans une série de trois consacrées à l'accompagnement des populations. Nous recevrons ce matin même les représentants de la Croix-Rouge française, puis la directrice générale de l'Agence régionale de santé (ARS) de Guadeloupe et le professeur Jehel du CHU de la Martinique seront entendus le 11 avril.

Je vous remercie Madame Defossez d'avoir accepté de venir présenter devant la délégation les premières conclusions des travaux menés.

Mme Stéphanie Defossez, maître de conférences en géographie à l'Université Paul-Valéry de Montpellier. - Je vous remercie de votre invitation qui me permet de pouvoir exprimer les paroles recueillies auprès des populations de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy après le cyclone Irma.

Avec ma collègue Monique Gerardhi, nous travaillons au sein d'une équipe de recherche ; nous sommes géographes de formation et menons des retours d'expériences scientifiques après les catastrophes. Précédemment, nous avions notamment travaillé sur le cyclone Pam qui s'était produit au Vanuatu en mars 2015.

La saison 2017 a été une saison cyclonique intense, avec le cyclone Harvey qui a touché les côtes américaines fin août, puis les cyclones Irma, José et Maria. Nous nous sommes intéressées particulièrement à Irma et, dans une moindre mesure, au cyclone Maria qui a touché la Guadeloupe. Dans les jours qui ont suivi le cyclone, nous avons monté une équipe de chercheurs pour mener un retour d'expérience scientifique dans lequel nous souhaitions exposer la cinématique de l'événement, analyser la prévention des risques, la préparation et la gestion de la crise des points de vue institutionnel, des réseaux privés et des populations. Avec ma collègue, nous nous sommes particulièrement intéressées à ces acteurs parfois délaissés que sont les populations. Nous avons voulu examiner s'il existait une dimension individuelle, citoyenne, au sein de cette gestion de crise, même si celle-ci est implicitement guidée par les institutions et donc de manière collective.

Les résultats que je vous présente aujourd'hui sont essentiellement liés à Saint-Martin et, dans une moindre mesure, à Saint-Barthélemy. Pour récolter ces résultats, nous avons établi une grille d'enquête et mené une soixante d'entretiens sur le terrain 7 semaines après Irma. Nous sommes retournées en mai 2018 une nouvelle fois Saint-Martin et à Saint-Barthélemy pour rencontrer respectivement une quarantaine et une vingtaine de personnes supplémentaires, et reprendre contact avec les premières personnes rencontrées.

Notre but était d'assurer un suivi et d'étudier tout au long de la durée du projet - et au-delà si les financements le permettent - la résilience des populations et des territoires. Pour observer l'évolution de la situation, nous y sommes retournées récemment et en sommes revenues il y a deux semaines. Durant ces entretiens, l'idée était de parler le moins possible et d'écouter le plus possible les populations afin qu'elles nous racontent leur expérience et qu'il n'y ait pas de non-dit. La parole était facile et les personnes très accueillantes. Nous les avons seulement guidées en leur demandant de nous raconter leur expérience avant, pendant et après, comment elles se sont préparées à l'événement, comment elles l'ont vécu et comment cela se passe après. Même si nous ne sommes pas psychologues, nous avons essayé de faire ressortir quelques éléments. Le suivi des populations nous permet d'avoir un réel développement sur le long terme.

Notre échantillon concerne ainsi une centaine de personnes à Saint-Martin et une trentaine à Saint-Barthélemy pour lesquelles nous allons assurer un suivi.

Sans revenir sur le détail de l'événement, je voudrais rappeler quelques éléments de la chronologie du cyclone pour vous montrer à quel point le phénomène s'est déroulé très rapidement, avec notamment les vigilances qui se sont succédé dans un temps bref au fur et à mesure de son évolution.

Dès le 28 août, une vigilance institutionnelle a été mise en place à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy car une dépression tropicale était en train de se former au large du Cap Vert. Elle s'est transformée très rapidement en tempête tropicale puis en cyclone de catégorie 1, puis 2 puis 3. Elle est ensuite rétrogradée en catégorie 2 puis relevée en catégorie 3. Le 4 septembre au soir, le cyclone est en catégorie 4. Le 5 septembre, au réveil, les populations apprennent que le cyclone est de niveau 5. Ces modifications influenceront la gestion de la crise par les populations et par conséquent leur implication.

Il ressort deux grandes idées générales de notre étude. Nous avons ainsi relevé des similarités dans les phases d'avant et de pendant la crise car elles relèvent d'implications individuelles - en fonction de la connaissance, du vécu des personnes ou de ce qu'on a pu leur raconter sur ce qu'est un cyclone -, et ce même si la vigilance et l'ouverture d'abris sûrs par les autorités sont du ressort du collectif et des institutions. Mais nous avons également repéré des divergences, notamment dans la phase post-événement. Cela résulte du fait que l'implication individuelle est supplantée par l'implication collective, la gestion institutionnelle et les réseaux privés.

Après la crise, les ressentis ont été très différents entre les deux îles. Alors que le phénomène a été de même intensité : Saint-Martin apparaît beaucoup plus vulnérable, avec des conditions socio-économiques différentes et un bâti pas toujours adapté.

Plusieurs conclusions ressortent de nos enquêtes :

- les populations ont une assez bonne connaissance de la saison cyclonique. Dès le 1er juin, les populations des Antilles du Nord s'informent, sont vigilantes et, dès qu'une tempête tropicale est annoncée, recherchent des informations sur cet événement ;

- les populations ont une assez bonne connaissance des consignes de vigilance, tant dans les niveaux de couleurs que dans les consignes associées ;

- l'anticipation et la préparation des populations sont parfois insuffisantes ou inadaptées, notamment au regard de la vitesse de montée en grade du cyclone et, ensuite, du déroulé.

Nous nous sommes rendu compte qu'il fallait faire une distinction entre les types de populations que l'on pouvait retrouver sur les deux îles. Les dénominations ne sont pas issues de nos analyses, elles viennent des populations elles-mêmes. On distingue ainsi trois catégories : les populations qui se disent « natifs » de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, les populations immigrées d'origine haïtienne et dominicaine, principalement à Saint-Martin, et les métropolitains.

Les natifs ont une assez bonne connaissance des phénomènes cycloniques et de la prévention des risques. En amont de la préparation et de la gestion de la crise à venir, ils ont mis en place des mécanismes de prévention des risques, notamment en matière d'adaptation de leur habitat, avec des matériaux adaptés et des normes para-cycloniques respectées, la présence de citernes à eau ou de barricades. Bien évidemment, cette adaptation varie selon le niveau socio-économique des populations.

Les populations immigrées sont très alertes sur les phénomènes cycloniques. Elles ont, en effet, pour la plupart, déjà rencontré des cyclones. Elles n'ont cependant pas les mêmes capacités de préparation car elles habitent souvent dans des quartiers précaires, dans des habitations qui ne sont pas toujours adaptées.

Enfin, les « métros » n'ont, pour la plupart, jamais vécu de cyclone. Ils ont vécu l'événement en fonction des représentations que l'on peut se faire d'un cyclone et de ce que l'on avait pu leur raconter sur le phénomène cyclonique. Ces populations ont beaucoup tenu compte des consignes institutionnelles, notamment de vigilance.

Toutes les populations ont le sentiment d'être habituées aux cyclones mais le cyclone Irma était plus puissant que tous les phénomènes connus jusqu'à présent : il était inimaginable. Si Irma a été un cyclone traumatisant pour les populations, celles-ci ont bien conscience qu'il y aura toujours des cyclones.

En ce qui concerne les vecteurs d'information, leur origine est plus importante que leur type. Ce sont d'abord les vecteurs locaux d'information classiques qui ont permis de faire le lien avec les institutions : les médias, internet, les réseaux sociaux - notamment les pages Facebook de la préfecture et de la collectivité qui ont été largement consultées -, la radio, la presse écrite et la télévision, les sms, la police et la gendarmerie.

Les populations sont aussi allées chercher des informations à l'extérieur - information officielle et information officieuse - principalement par la télévision et internet, mais aussi par des sms avec la famille située en Guadeloupe ou en métropole. Certaines personnes nous ont ainsi confié avoir pris la mesure du danger en raison de l'inquiétude de leur famille en métropole.

Enfin, même si les populations ont confiance en Météo France, l'entreprise est associée essentiellement à la métropole et est considérée comme ayant peu de connaissances sur les phénomènes cycloniques. Les populations se sont tournées vers des vecteurs d'information en provenance des États-Unis - comme celles du National Hurricane Center (NHC) -, à la télévision et surtout internet. Saint-Martin est très influencée par la culture américaine, et pas seulement pour l'approche des cyclones.

Il est important de noter que les populations ont une démarche active de recherche d'informations. Elles ne sont pas attentistes dans la phase qui précède la crise.

Par ailleurs, les populations qui avaient vécu un cyclone, et notamment les natifs de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, s'étaient fondé une représentation de l'événement à partir d'un événement de référence. Toutes les personnes qui avaient déjà vécu un cyclone avaient de fait vécu Luis en 1995. En 22 ans, la mémoire s'était un peu effacée et l'intensité de cet événement a été assimilée à celle d'Irma. Or Luis était de catégorie 4. La violence des vents avait été bien inférieure à ceux d'Irma qui ont atteint environ 200 km/h. Les populations se sont préparées pour faire face à Luis. La sous-estimation d'Irma et l'évolution rapide du cyclone ont eu pour conséquence de déstabiliser la préparation, écourtée et en définitive insuffisante et inadaptée : insuffisante parce que les stocks n'étaient pas à la hauteur des besoins, inadaptée parce que certains ont fait des réserves de nourriture qu'il fallait cuire alors qu'il n'y avait plus d'électricité ni de moyens de cuisson.

À Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, un autre vecteur d'information n'a concerné que les populations du littoral. Ce sont les patrouilles de police et de gendarmerie qui ont appelé à l'évacuation. Globalement, et pas uniquement sur le littoral, ces demandes ont été très peu suivies alors que des abris sûrs étaient ouverts depuis la veille et connus via les vecteurs d'information locaux. Pourquoi y a-t-il eu peu d'évacuations anticipées ? À nouveau, le spectre de Luis revient. Il y a une véritable méfiance - et le mot est faible - envers les refuges. Une faible proportion de la population a fait état de ses craintes face à la promiscuité avec des inconnus. La majorité nous a dit ne pas avoir du tout confiance dans la résistance des refuges, que certains d'entre eux étaient mal situés, avec l'exemple de Sandy Ground sur un lido, entre la mer et l'étang. La méfiance des refuges a été véhiculée au sein des natifs, des populations émigrées et des « métros » parce que, lors de Luis, un certain nombre d'abris déclarés sûrs avaient été endommagés. Malheureusement, Irma a conforté cette idée puisqu'au moins 5 refuges à Saint-Martin ont été dégradés, l'un d'eux ayant dû être évacué en soirée avant d'être totalement dévasté. À l'arrivée des saisons cycloniques 2018 et 2019, des personnes nous ont déclaré qu'il était pour elles hors de question d'aller s'abriter dans ces abris soi-disant « sûrs ». Dans le même temps, les populations ont témoigné de leur confiance dans les maisons individuelles, notamment à Saint-Barthélemy où la problématique des refuges ne s'est pas posée.

Pendant la période de crise, la bonne connaissance des phénomènes et le suivi des consignes de vigilance ont fait prévaloir le confinement au domicile. Cette bonne appréhension des cyclones a été plutôt profitable puisqu'un certain nombre de personnes ont pu, pendant l'oeil du cyclone, se réfugier au rez-de-chaussée alors qu'ils habitaient à l'étage et que leur toiture s'était envolée ou, au contraire, à l'étage quand le rez-de-chaussée était envahi par l'eau. Des personnes ont recueilli des voisins.

Les personnes rencontrées nous ont ainsi dit qu'elles n'avaient pas eu de problèmes pendant le cyclone si ce n'est la peur, l'angoisse et la dégradation du lieu de confinement. On constate qu'il y a une acceptation des événements : toutes les personnes entendues considèrent que cela s'est bien passé car elles sont en vie ; toutes s'estiment bien préparées pour un cyclone, mais pas de l'amplitude du cyclone Irma.

La phase post-événement est variable selon les territoires. Globalement, ce qui ressort des témoignages, quelques jours après Irma et au sein des quartiers, c'est la solidarité. Les sentiments sont cependant un peu plus mitigés à Saint-Martin.

À Saint-Martin comme à Saint-Barthélemy, toutes les populations se sont senties coupées du monde parce qu'il n'y avait plus aucun moyen de communiquer. À Saint-Martin - et beaucoup moins à Saint-Barthélemy -, on parle beaucoup de désorganisation, de l'absence de communication entre les institutions et les populations qui, cependant, a été à la fois critiquée et excusée par l'arrivée du cyclone José. Quand les populations et les institutionnels se sont réveillés le mercredi matin, Irma était terminé et on leur annonçait l'arrivée de José !

À Saint-Martin, d'autres problèmes sont survenus à la suite d'Irma : les pillages. De nombreuses personnes nous ont dit que les pillages avaient été plus traumatisants qu'Irma. Il y a une incompréhension : d'un côté, il y avait de la solidarité et de l'autre, des pillages organisés, des vols de voisinage et des vols de nécessité. Ces derniers ont été compris sans être excusés.

Enfin, il y a eu le temps des rumeurs. À Saint-Martin, la rumeur la plus véhiculée a porté sur le nombre de morts. Personne ne croit au bilan officiel de 11 morts. Tout le monde a imaginé que l'État et la collectivité masquaient des centaines de morts, cachés et évacués par containers vers une destination inconnue. Un an et demi après, la rumeur est encore très vive. Quand nous avons demandé la raison pour laquelle les personnes ne croyaient pas au chiffre officiel, la première réponse était qu'au-delà de 40 morts le territoire aurait dû être mis en quarantaine et que les autorités ne pouvaient pas décider cela. La seconde réponse portait sur les immigrés qui représentent un peu plus de 40 % de la population de Saint-Martin : ils auraient juste pleuré leurs morts et ne se seraient pas plaints.

D'autres rumeurs se sont également propagées, notamment sur des évasions de la prison de Sint Maarteen ou des Saint-Martinois - notamment les prisonniers évadés - annoncés comme venant piller Saint-Barthélemy. Des vols ont été déclarés sur cette dernière puis les rumeurs ont disparu.

La population regrette également que la remise en état des réseaux ait été très inégale en fonction des quartiers. À Grand-Case, une des communes du littoral de Saint-Martin, la visite du Président de la République a été perçue comme un élément extrêmement positif. Elle a donné le sentiment rassurant de la présence de l'État : la France venait s'occuper des habitants. Ils ont estimé que cette présence avait constitué un véritable accélérateur de la remise en état des réseaux.

À Saint-Barthélemy, le président de la collectivité avait annoncé ne pas avoir besoin de l'État ; les populations l'ont très bien compris dans la mesure où elles ont considéré que les populations de Saint-Martin en avaient très probablement davantage besoin. Il y a eu là un véritable sentiment de solidarité d'une île envers sa voisine. Toutefois, les populations estiment que l'État doit avoir un rôle plus actif notamment pour débarrasser les mornes des toitures ; c'est le seul élément négatif qui est ressorti de nos entretiens.

Les habitants regrettent la longueur des délais de la reconstruction - très inégale selon les quartiers -, mais également la difficulté à trouver de la main d'oeuvre et des matériaux. À Saint-Martin, la demande en maçonnerie ou en charpente a littéralement explosé sans que les moyens pour y répondre ne soient disponibles.

Nous avons également noté les incertitudes et le sentiment d'injustice qui ont commencé à émerger dès les semaines qui ont suivi le cyclone, et qui s'exacerbent peu à peu, sur la résilience à long terme et l'urbanisation. La révision des plans de prévention des risques naturels (PPRN), des plans locaux d'urbanisme (PLU), l'autorisation de reconstruire certains bâtiments en bord de mer et pas d'autres, sont en train d'alimenter ce sentiment d'injustice. Les populations attendent des réponses de la part des collectivités et, surtout, de l'État.

Après Irma, et nous sommes là sur une donnée sociologique, des trajets de vie ont été bouleversés. Les nombreuses destructions, totales ou partielles, ont entraîné beaucoup de déménagements au sein de l'île, des retours en Guadeloupe ou en métropole. Si toutes les personnes interrogées connaissaient quelqu'un qui était parti, le nombre des départs est cependant difficilement quantifiable. Une estimation autour de 7 000 personnes a été établie mais la fiabilité de cette source reste à démontrer.

Les trajets de vie bouleversés ont également eu un impact sur la vie conjugale - notamment avec des divorces -, sur la vie familiale, avec des enfants partis poursuivre leurs études en métropole ou en Guadeloupe, et sur l'emploi - avec des pertes ou des changements d'emplois. Il faut cependant noter que la demande sur certains emplois - les charpentiers, les maçons, les installateurs de climatisation - a explosé.

Il y a enfin eu des répercussions sur la santé des personnes. Un rapport paru récemment relève l'évolution du nombre de cancers et des répercussions d'ordre socio-psychologique. Les populations que nous avons rencontrées sont encore très marquées, se disent très anxieuses ou angoissées et dans une plus large part à Saint-Barthélemy qu'à Saint-Martin. Un an et demi après, le spectre d'Irma est toujours présent.

Pour conclure sur « l'après-Irma », nous avons noté que ces mécanismes post-catastrophes de sous-estimation du phénomène, parfois de déni, se retrouvent sur d'autres territoires, avec d'autres cyclones. Les populations ont juste envie d'avancer ; elles perdent un peu la mémoire du risque, ce qui est normal. Nous avons également noté l'implication forte et la capacité citoyenne collective ou individuelle des populations. Nous avons l'habitude de dire que la crise est gérée au niveau des institutions, les populations ont en réalité une véritable implication. Les populations ne sont pas attentistes.

Plusieurs mois après Irma, les attentes des populations - notamment les habitants de Saint-Martin et les « métros » - concernent une meilleure préparation au type et à l'intensité du phénomène et une meilleure communication avec les institutions. J'ai évoqué précédemment le sentiment d'abandon des populations, coupées de toute communication avec la Guadeloupe ou la métropole. Mais les populations se sont senties également abandonnées par la collectivité et par l'État. De nombreuses personnes de Saint-Martin nous ont fait part de leur souhait de voir l'État reprendre les choses en main sur le territoire.

Un travail de rétablissement de la confiance dans les institutions doit être mené, notamment sur la sûreté des abris, la reconstruction et la perspective de l'urbanisation. Il faut accorder une priorité à la reconstruction. À Saint-Barthélemy, la population estime que le territoire a globalement bien engagé - voire terminé - sa reconstruction, même s'il reste toujours des choses à faire. À Saint-Martin, le bilan est beaucoup plus mitigé. La population estime qu'il n'y a pas eu de priorité dans la reconstruction, pour les écoles notamment, alors que d'autres chantiers sont en cours.

Les populations souhaitent que des leçons soient tirées de ces événements, sur le court comme sur le long terme. De nombreuses personnes nous ont dit qu'elles prenaient le risque de rester. Elles savent que d'autres cyclones se produiront dans 2, 20 ou 50 ans, qu'il faut revoir l'urbanisation, mais elles veulent rester où elles sont. Toutefois, l'acceptation par les populations d'une réglementation d'urbanisation plus stricte reste un sujet à travailler. Je vous remercie pour votre attention.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie pour ce bilan exhaustif. Votre travail rend bien compte de la situation pour ce que j'en connais.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je voudrais vous remercier très sincèrement pour la qualité de votre présentation. Étant un natif et ayant vécu le phénomène dans toutes ses phases, je n'aurais pas pu le restituer mieux que ce que vous venez de faire. S'agissant de Saint-Martin, vous avez soulevé avec exactitude l'ensemble des situations que nous avons traversées. Il y aurait peut-être un point à détailler en ce qui concerne la lenteur de la reconstruction, le manque de priorité et sur l'habitude du territoire à être confronté à ces phénomènes. Ceux qui sont partis sont très certainement ceux qui sont arrivés après Luis et n'ont donc pas connu de phénomènes aussi importants. Un certain nombre d'entre eux commencent à revenir, à la fois en raison de la remise en état des logements et du fait que le retour dans leur territoire d'origine n'a pas été aussi facile qu'ils l'espéraient. Quitte à se reconstruire, pourquoi ne pas se construire avec ceux avec lesquels ils sont solidaires et qui ont partagé ce moment important !

M. Abdallah Hassani, rapporteur. - Je n'ai jamais vécu une telle situation. À Mayotte, nous sommes protégés par Madagascar et les derniers cyclones datent d'une bonne trentaine d'années. En 1985, deux cyclones se sont succédé et Mayotte a été rasée. Je me pose la question suivante : en cas de phénomène d'une telle ampleur, comment réagirait la population immigrée installée sur les collines ? Lors d'un événement climatique, au lieu d'écouter les institutions et la météo, les gens vont prier pour qu'il dévie et ne se mettent pas à l'abri. De plus, à Mayotte, il n'y a pas de refuges ; les gens s'abritent soit dans les mosquées, soit dans les écoles.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - J'ai rencontré un maire de mon département, également expert d'assurances, qui s'est rendu à Saint-Martin. Il m'a dit que je ne pouvais pas imaginer ce que les gens avaient vécu, ni le ressenti des assureurs lorsqu'ils découvraient qu'il n'y avait plus rien à l'adresse qui leur avait été indiquée.

Sur le post-traumatique, je distinguerais le post-traumatique immédiat avec la colère, le désarroi parfois, la perte de repère, le post-traumatique à moyen terme quand les gens ne savent pas s'ils doivent partir ou rester pour reconstruire et le post-traumatique de long terme qui porte sur la perte de la mémoire car les gens veulent oublier. Ceci n'est pas propre aux outre-mer, nous l'avons également observé en métropole avec Xynthia. Les gens veulent reconstruire aux endroits qui ont été violemment percutés.

Je crois résolument en l'expérimentation que peuvent porter les territoires d'outre-mer. On le voit à La Réunion avec les énergies renouvelables. Je pense qu'après ce qu'il s'est passé à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, on peut envisager de faire de ces territoires des lieux d'expérimentation en matière de résilience et de reconstruction.

Il me semble qu'il serait utile de mettre en place un registre des événements qui se sont produits, associant la géographie et l'histoire car il est important que la mémoire ne se perde pas et ne disparaisse pas au fil des générations.

Je pense également - et je porte cela depuis de nombreuses années, avant même Xynthia - qu'il faut réellement développer une culture du risque. Les gens veulent rester sur le territoire mais il faut intégrer des notions beaucoup plus fortes de la culture du risque, dans la construction - en reculant notamment les habitations par rapport aux côtes -, dans les comportements et dans la préparation.

M. Michel Magras, président. - Il faudra réellement s'intéresser au traitement psychologique des populations. Les îliens sont des populations plus ou moins résignées ; ils ont tendance à ne pas se plaindre, à garder cela pour eux. Je pense à cela avec émotion. En tant qu'élu, j'ai pu constater les bouleversements familiaux que vous avez évoqués.

Dans de telles situations, dans notre tempérament d'îlien, nous ne cherchons pas de responsables. La solidarité est cependant un élément caractéristique. La solidarité interne à l'île de Saint-Barthélemy a été importante, notamment de la part des personnes récemment arrivées et de la communauté portugaise. Il y a eu aussi une solidarité inter-îles, venant de la Guadeloupe et de la Martinique, la solidarité de l'État français avec la venue du Président de la République et de la ministre des outre-mer. Il y a aussi eu, en ce qui concerne mon île, une solidarité nord-américaine. Les personnes qui fréquentent régulièrement notre île ne sont pas seulement des touristes, elles deviennent des amies.

Nous avons désormais une nouvelle référence dans notre vécu : ce n'est plus Luis, c'est Irma.

M. Michel Vaspart. - Je préside la mission d'information portant sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation, créée à la demande du groupe socialiste du Sénat.

Dans votre enquête, très importante, avez-vous recueilli des informations sur la manière dont les personnes ont été indemnisées ? Qu'en est-il des délais et des montants versés par rapport au coût des travaux ? À Saint-Martin, moins de la moitié de la population est assurée. On sait que l'État a beaucoup aidé mais où en est la reconstruction pour les personnes non assurées ?

Mme Stéphanie Defossez. - Je voudrais tout d'abord remercier les habitants de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy pour l'accueil extraordinaire qu'ils m'ont fait. Ils ont accepté de partager leur expérience alors qu'ils avaient encore ces traumatismes.

J'ai observé des disparités spatiales très importantes dans les temps de reconstruction, surtout à Saint-Martin, où, pour le rétablissement de la distribution de l'eau et de l'électricité, les délais ont varié entre une semaine et deux mois, en partie à cause du manque de main d'oeuvre. Il faut à ce sujet mentionner la solidarité des métropolitains, des habitants de Guadeloupe et de Martinique : par exemple, du personnel de Engie a ainsi été présent, non seulement parce que c'était leur travail, mais aussi pour aider.

La population n'a pas compris pourquoi la reconstruction des écoles n'a pas été prioritaire. Un terrain de tennis a été reconstruit à Marigot alors qu'il y a des écoles maternelles et primaires à reconstruire. Il y a encore des écoles qui fonctionnent en deux mi-temps, avec des cours en maternelle le matin et en primaire l'après-midi.

Même si la population a fait preuve de compréhension, le départ de certains professeurs - il est difficile de quantifier le nombre de ceux qui sont partis et tous ne sont pas revenus - a également engendré un sentiment d'abandon. L'absence de professeurs a été très problématique au cours des mois qui ont suivi Irma. Heureusement de nombreux professeurs reviennent.

Monsieur le sénateur Hassani, pour Mayotte, il s'agit de bien connaître le phénomène pour bien se préparer. Si on ne peut pas sauver tous les biens matériels, il faut sauver les vies humaines. C'est la priorité de notre pays en matière de prévention des risques naturels. Vous parliez de refuges dans les mosquées et les écoles. C'est peut-être une bonne idée mais il faut évaluer la résistance de ces sites et essayer de mobiliser la population pour qu'elle se rassemble dans des endroits sécurisés.

Monsieur le sénateur Rapin, en termes de conséquences psychologiques, force est de regretter l'inadéquation des moyens mis en oeuvre et de leur temporalité en proportion du stress post-traumatique de la population que l'on retrouve après toute tragédie. Les populations ont regretté que les psychologues aient été envoyés seulement deux mois après la crise alors qu'elles étaient en pleine action de déblaiement, et qu'ensuite ils les laissent seules alors qu'approchait la saison cyclonique 2018.

Je vous rejoins sur la place accordée à la mémoire et à la culture du risque. Dans nos recherches, nous essayons de développer ce que l'on appelle des traqueurs de mémoire comme cela est fait pour la Montagne pelée en Martinique ou sur les volcans en Islande. Il est très important de développer ces marqueurs.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Les « arbres bleus » à La Rochelle montrent le niveau de montée de l'eau lors de la tempête Xynthia. À chaque fois que les gens vont se promener dans ces endroits, ils se rappellent les événements.

Mme Stéphanie Defossez. - Des dispositifs comme celui-ci sont très importants pour la population résidente mais également pour sensibiliser les touristes. Il faut également systématiquement mettre en place des exercices annuels de simulation de crise pour faire des piqûres de rappel. Cela est fait à Saint-Martin pour les tsunamis, avec le projet Exploit.

Les restaurateurs et les personnels hôteliers ont été très touchés par le retour des touristes nord-américains. Ils ont estimé qu'il y avait une véritable fidélité de leur part. Le tourisme a facilité la reprise économique.

En ce qui concerne les indemnisations, il ne faut pas oublier que 50 % de la population de Saint-Martin n'était pas assurée. Certaines personnes en raison de facteurs socio-économiques et d'autres parce qu'à la suite du cyclone Luis elles n'avaient pas été remboursées à la hauteur des dégâts. Des Saint-Martinois nous ont dit avoir fait une économie d'échelle et pris le risque de ne plus s'assurer pour un éventuel cyclone qui pourrait survenir dans 20 ans.

Les délais d'indemnisations sont très variables. Certaines personnes ont eu la visite des experts puis ont été indemnisées en quelques semaines, d'autres en deux mois, d'autres enfin attendaient toujours en mai 2018. Nous nous sommes interrogés : si 100 % de la population avait été assurée, quels auraient été les délais d'indemnisation ?

Sur le montant d'indemnisation, ce qui nous a été rapporté, aussi bien à Saint-Martin qu'à Saint-Barthélemy, c'est qu'il avait été satisfaisant et avait suffi à couvrir les dépenses engagées pour les remises en état.

Les personnes non assurées se retrouvent dans deux situations possibles : soit elles n'ont pas assez d'argent et attendent de se refaire une épargne pour reconstruire peu à peu, soit elles ont utilisé leur épargne pour entamer la reconstruction, voire la terminer. C'est notamment le cas des restaurants appelés les « lolos » à Grand-Case : les personnes n'étaient pas assurées et c'est leur chiffre d'affaires qui leur a permis de reconstruire et de reprendre leur activité.

M. Michel Magras, président. - À Saint-Barthélemy, de mémoire, moins de 200 personnes n'étaient pas assurées et la collectivité est intervenue pour les aider.

M. Guillaume Arnellrapporteur coordonnateur. - La perception des dégâts est différente selon les experts d'assurance et les indemnisations ont été plus ou moins conformes à l'attente des assurés. Ce n'est pas simplement une question de clauses ; des instructions avaient été données en amont de minorer ou de ne pas regarder tel ou tel dégât. Pour les climatiseurs, certains experts ont minoré les dégâts, d'autres les ont majorés, par exemple en prenant en compte les appareils non détruits mais susceptibles d'être victimes à l'avenir de la salinité. Globalement, les réponses que vous avez apportées correspondent à la réalité.

Mme Stéphanie Defossez. - Les caractéristiques personnelles ont également joué : les personnes qui ont manifesté leur mécontentement ont reçu davantage que celles qui se sont contentées de l'estimation de l'expert.

M. Stéphane Artano. - Un point n'a pas été évoqué : l'alimentation des populations de manière efficace et l'accès à l'eau potable après une catastrophe naturelle. De nombreuses communes disposent d'un document d'information communal sur les risques majeurs (DICRIM) : pourraient-ils être adaptés pour garantir l'alimentation en vivres et en eau potable dans les jours qui suivent une catastrophe majeure ? Personne n'a songé, y compris dans ma région, à organiser un accès à la subsistance alimentaire au-delà des 72 premières heures qui sont bien souvent les plus délicates.

Mme Stéphanie Defossez. - Je n'ai pas évoqué le ravitaillement mais la problématique l'a été à de nombreuses reprises lors de nos entretiens. Les restaurateurs ont notamment beaucoup fait preuve d'une grande solidarité en donnant ce qu'ils avaient dans leurs congélateurs qui étaient en train de décongeler. Le ravitaillement a été un peu décrié. À Saint-Barthélemy, la population a fait preuve de discipline et il a été plutôt bien organisé, y compris pour l'accès ensuite aux supermarchés. À Saint-Martin, par contre, il y a eu un manque d'organisation : dans de nombreux quartiers des gens nous ont dit qu'ils savaient qu'il y avait des ravitaillements mais n'étaient pas informés du lieu et de l'heure.

Sur les DICRIM, je suis plus réservée. La population n'y a pas forcément accès. C'est à elle d'aller chercher l'information. Un département d'outre-mer a fait un effort sur ce point : la Martinique. Quand nous sommes arrivés dans notre location, le DICRIM était déposé sur la table, avec tous les risques et ce qu'il fallait faire. La culture du risque est peut-être plus importante dans les départements insulaires, mais c'est une perception personnelle.

Toutes les recherches scientifiques post-catastrophes montrent qu'il faut prévoir un approvisionnement en eau et en nourriture pour les 72 premières heures.

M. Michel Magras, président. - Dans nos îles et particulièrement à Saint-Barthélemy, tout est prévu pour assurer un approvisionnement pendant ces 72 heures. Il faut noter que l'eau est livrée par conteneurs. Après la période cyclonique, il faut faire quelque chose avec car elle ne se conserve pas.

La culture du risque est une notion fondamentale qu'il faut développer. Elle peut l'être en partie dans les écoles, par des exercices, mais elle est essentiellement liée à notre passé, à nos parents qui nous l'ont transmise. La personne qui arrive de métropole mettra des années avant de la prendre en compte, même en ayant vécu un phénomène car il l'aura oublié pour le suivant.

Nous vous remercions d'être venue au contact des populations de nos territoires et pour la qualité de votre intervention devant notre délégation.

Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de MM. Frédéric Pichonnat, directeur outre-mer, et Jean Fabre-Mons, chargé de mission auprès du directeur général et responsable des relations institutionnelles, de la Croix-Rouge française

M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, la Croix-Rouge française est un acteur humanitaire incontournable des situations de crise et joue un rôle majeur dans l'assistance aux populations, dans l'immédiat après-crise mais également sur la durée pendant la phase de reconstruction. C'est pourquoi il nous a paru nécessaire d'auditionner ses représentants alors même qu'ils avaient déjà apporté leur contribution à nos travaux sur le premier volet de l'étude qui a traité de la prévention et de la gestion de l'urgence lors de la survenance d'une catastrophe.

Nous allons donc aujourd'hui nous intéresser à l'accompagnement prodigué par la Croix-Rouge sur la durée et examiner comment s'exerce la solidarité et s'organise la résilience face à des événements dont la fréquence et la violence pourraient s'aggraver. Notre champ d'investigation inclut bien sûr la dimension internationale, sous l'angle de la coopération, et nous aimerions également connaître les enseignements qui ont pu être tirés par la Croix-Rouge d'un événement tel que l'ouragan Irma.

Je vous rappelle que Guillaume Arnell est notre rapporteur coordonnateur pour l'ensemble de l'étude, et qu'Abdallah Hassani et Jean-François Rapin sont conjointement rapporteurs du présent volet sur la reconstruction et la résilience des territoires.

M. Jean Fabre-Mons, chargé de mission auprès du directeur général et responsable des relations institutionnelles de la Croix-Rouge française. - Je tiens à vous remercier de l'invitation qui nous a été faite. Les situations des outre-mer constituent des enjeux particulièrement importants pour la Croix-Rouge française, très heureuse et très fière d'être présente dans tous les territoires qui ont chacun des spécificités au vu des risques climatiques et sociaux auxquels ils sont confrontés. Nous développons au sein de notre organisation une stratégie outre-mer très ambitieuse.

La survenue de l'ouragan Irma a été un moment refondateur pour notre association. Nous étions prêts. Nous avions anticipé l'importance majeure de l'ouragan et avions mis en place une cellule de crise deux jours avant son passage ; nous étions pré-positionnés sur place. Nous disposions également de la plateforme d'intervention régionale Amériques-Caraïbes, la PIRAC, - qui a son pendant à La Réunion avec la plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien, la PIROI - qui intervient dans les territoires français de l'Atlantique, mais également dans les territoires des Antilles qui ne sont pas français dans le cadre de la coopération internationale. Nous avions envoyé un équipier pour préparer la réponse au passage de l'ouragan.

Toute l'association a été mobilisée sur cet événement. Cela a été un moment fondateur. Nous avons envoyé plus de 400 personnes sur place. Plus de 2 ans après l'ouragan, nous sommes toujours mobilisés au cas où un tel phénomène se reproduirait, comme les changements climatiques nous le laissent présager.

Je laisse la parole à M. Frédéric Pichonnat, directeur outre-mer depuis douze ans à la Croix-Rouge française. Il a une vision d'ensemble de nos actions dans tous les outre-mer, et plus particulièrement à la suite de l'ouragan Irma à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et en Guadeloupe.

M. Frédéric Pichonnat, directeur outre-mer. - La Croix-Rouge française a créé une direction nationale dédiée aux outre-mer, avec l'objectif prioritaire qui est la prévention et la gestion des crises, que celles-ci soient sociales, sanitaires ou écologiques.

En 2017, juste avant le passage d'Irma, nous avions établi la liste des cyclones et des typhons dans les trois bassins océaniques et nous nous doutions qu'un tel phénomène était sous-jacent. Avec des inondations à Mayotte ou en Guyane, des ouragans en Nouvelle-Calédonie, des crises sociales ou sanitaires comme avec la dengue à La Réunion en ce moment, nous avons été confrontés en trois ans à tous les types de phénomènes. Nous travaillons avec les populations. Je vous remercie de votre attention sur ce sujet car il y a encore un gros travail à faire pour être réellement résilients.

La Croix-Rouge française s'organise sur trois niveaux d'intervention sur un territoire : les délégations de la Croix-Rouge avec ses bénévoles que vous voyez souvent marauder sur les territoires pour aller à la rencontre des populations et des jeunes dans la rue ; les établissements de la Croix-Rouge, avec la prévention spécialisée auprès des jeunes à Mayotte, mais aussi des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) à caractère social, des centres de formation professionnelle, un service tutélaire ; le dernier niveau est constitué par les plateformes d'intervention régionale. La PIROI est mondialement connue. Nous avons déployé sur l'ensemble des territoires ultramarins des formations en milieu scolaire qui ont toutes leur importance car c'est au niveau des enfants qu'on commence à travailler la résilience. La Croix-Rouge française, via la PIROI, a mis en place à La Réunion le projet « Paré pas Paré » connu pour l'image de la fameuse tortue ou de la grenouille dans le Pacifique Sud. Les activités organisées depuis 2011 visent à sensibiliser la population réunionnaise, et en particulier les jeunes, aux risques de catastrophes naturelles affectant la région. Ce sont des formations, des jeux qui sont proposés en milieu scolaire ; c'est un premier niveau par rapport à la catastrophe naturelle qui pourrait survenir. Des programmes sont également déployés sur les Antilles et la Guyane.

Mme Viviane Malet. - J'ai contribué en tant qu'élue à la mise en place du service tutélaire à La Réunion, le seul en outre-mer.

M. Frédéric Pichonnat. - Nous menons également un combat contre les addictions. Sous la forme d'un premier test, nous avons monté un établissement de lutte contre les addictions en Polynésie française que l'on déploie également à Wallis-et-Futuna et en Nouvelle-Calédonie, à Nouméa. Lorsque nous aurons fait le tour des manières de lutter contre les addictions, nous verrons comment intervenir sur l'océan Indien où il y a une forte demande. Ces addictions peuvent aussi bien concerner le zamal à La Réunion que les addictions aux écrans que nous connaissons bien. Nous sommes également investis dans des politiques de prévention.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Sans esprit de polémique, mais dans un souci de compréhension, pourriez-vous nous indiquer comment vous avez, dans le cas d'Irma, vécu la phase immédiatement après la crise avec les autres partenaires présents ?

Il semblerait que l'absence de connaissance des acteurs ait suscité quelques frictions dans certaines zones : comment améliorer les relations, la répartition des rôles et des responsabilités entre vous ?

À Saint-Martin, la Croix-Rouge était déjà présente mais elle est passée par des phases difficiles de réorganisation. Elle a acquis aujourd'hui une visibilité beaucoup plus forte - en termes de bâtiments plus identifiés, de moyens de transport, d'actions sur le terrain - qui interroge cependant certaines personnes.

Enfin, nous n'avons pas eu, je crois, de bilan sur les dons reçus à la suite de l'ouragan et les actions de redistribution menées sur les territoires. Ce bilan permettrait de lever les interrogations sur votre rôle, votre action, votre efficacité et votre indispensable présence, avant, pendant ou après les crises, et d'éviter que des erreurs ne se reproduisent. Comme Saint-Martin et Saint-Barthélemy semblent devoir se retrouver chaque année - contrairement à la Martinique, et, à un degré moindre, la Guadeloupe - sur l'autoroute des cyclones, même s'ils sont d'intensités différentes, ce bilan permettrait d'amplifier vos actions d'information et l'acceptation de la population.

Certains vous reprochent - à tort ou à raison - de laisser la population s'installer dans la précarité et l'assistanat au lieu de la stimuler afin qu'elle s'implique davantage dans la reconstruction.

M. Frédéric Pichonnat. - Vous nous interrogez sur la façon dont nous avons vécu nos relations avec nos partenaires dans l'organisation de la période d'urgence. Ce terme est bien choisi. La « grande maison » Croix-Rouge a pu avoir tendance à se regarder le nombril et à communiquer sur ses propres actions. Dans le cadre d'Irma, c'était impossible. Nous ne pouvions faire seuls.

En cas de catastrophe, quelle que soit la zone concernée, il y a une guerre de territoires dans les deux jours qui suivent ; chacun veut monter des tentes et montrer son drapeau ; tout le monde veut arriver et prendre sa place. Il y a un vrai mea culpa collectif à faire sur ce sujet. Nous ne l'avons pas mal vécu car nous sommes arrivés avec beaucoup de moyens dans les quinze jours qui ont suivi, grâce aux sponsors et à la générosité de la population française. Nous ne sommes pas en opposition avec d'autres organisations comme Médecins du Monde. Dans le même avion que nous, il y avait Électriciens sans frontière et j'ai revu récemment un électricien dans un avion qui partait travailler bénévolement en Polynésie française. Aujourd'hui, nous travaillons avec les compagnons bâtisseurs de France. Nous avons appris à nous connaître. La conclusion que j'en tire est que nous devrions nous rencontrer plus souvent. Pour organiser une action d'aide alimentaire en métropole ou dans les outre-mer, le Gouvernement réunit les 4 grands acteurs que sont la Banque alimentaire, le Secours populaire, les Restos du coeur et la Croix-Rouge afin de définir les budgets et d'éviter que nous nous marchions sur les pieds. Les humanitaires ont parfois oublié qu'il y avait une personne au centre du besoin.

La meilleure répartition des rôles et des responsabilités, sous l'égide de l'État, de la collectivité, de l'agence régionale de santé, de la direction de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DJSCS) et le fait d'avoir appris à nous connaître sont des éléments positifs qui doivent encore être améliorés. Je suis un navigateur, je sais la nécessité d'avoir un seul cap et d'être le seul patron à bord. Nous avons beaucoup appris d'Irma et je note qu'à cette occasion la coopération entre nos associations a été assez rapide.

Pourquoi s'interroge-t-on aujourd'hui sur notre visibilité ? Notre président, qui s'est déplacé 5 jours après l'événement, a considéré que nous avions délaissé les territoires ultramarins. Il a ainsi voulu que la Croix-Rouge - sur fonds propres - achète une maison « solide » pour accueillir les populations, leur permettre de venir se ressourcer, chercher de l'aide, à manger ou à boire, une bâche...

La Croix-Rouge a investi 645 000 euros pour cette maison en faisant un prêt auprès de l'Agence française de développement (AFD). Effectivement, nous sommes plus visibles. Comme vous l'avez rappelé, Saint-Martin se trouve sur la route des cyclones : la Croix-Rouge, organisme international, se doit d'être présente sur un territoire exposé. Nous sommes également visibles car le monde associatif a eu tendance à se déliter, alors que les besoins sont en augmentation.

Nous avons travaillé sur les addictions avec l'association Les liaisons dangereuses, présidée par Katie Karam, et avec des professeurs au niveau de la psychothérapie de reprise. Nous travaillons en lien direct avec l'ARS sur les besoins post-traumatiques de la population. Nous avons constaté une surmortalité chez les personnes âgées qui avaient été déplacées avant le cyclone dans des familles d'accueil en Guadeloupe ou en Martinique. C'est un effet post-traumatique. Il y a une vraie volonté de la Croix-Rouge d'être présente sur le territoire.

Concernant la transparence relative aux dons reçus par l'association, je tiens à votre disposition un rapport interne très détaillé (« Retex ») qui dresse un retour d'expérience. Plus de 400 personnes ont été déployées sur Saint-Martin. Ce sont des bénévoles et cela représente un budget énorme, pris sur les fonds publics qui nous avaient été donnés. Il ressort du retour d'expérience que les 200 personnes présentes les premiers temps avec leur chasuble Croix-Rouge pour marauder dans les rues de Saint-Martin principalement et un peu à Saint-Barthélemy ont apporté un grand réconfort aux populations. La mise en place de cellules d'accueil des impliqués (CAI) dans les aéroports de Pointe-à-Pitre, de Saint-Martin et d'Orly a été très utile.

Tout a été contrôlé dans ce retour d'expérience, cela couvre les volontaires déployés dont on s'est aperçu qu'ils manquaient parfois de savoir-être ou encore les tenues Croix-Rouge, qui n'étaient pas du tout adaptées : on ne va pas à Mayotte habillé de la même façon qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, les volontaires de Rennes ou de Châteauroux sont partis avec les tenues de Rennes ou de Châteauroux. Nous avons aussi examiné le bilan tiré concernant la formation à mettre en place, l'efficacité et la transparence.

Nous avons également établi un autre document, développé à la Croix-Rouge, sur la santé ; c'est un outil multilingue. Sur l'île de Saint-Martin se côtoient un grand nombre de nationalités, visibles ou invisibles, plusieurs langues sont parlées. Ce document nous permet de faire de la consultation médicale. C'est un élément important, à prendre en compte dans nos actions futures.

Cela va au-delà de l'assistanat que vous évoquiez, monsieur le sénateur. Mettre en place l'aide alimentaire, c'est facile, c'est de l'urgence ; mais reconstruire quelque chose est tout aussi important et cela s'inscrit dans la durée et correspond à une volonté exprimée par le président de la Croix-Rouge.

Si nous étions arrivés à Saint-Martin avec une plateforme, un dock, des quantités très importantes d'aide alimentaire, nous aurions pris le risque d'une explosion sociale. Or, l'aide humanitaire fournie à Saint-Martin a été exemplaire : nous avons, sur l'exemple de notre expérience à Mayotte, démonétarisé l'aide alimentaire. Nous avons été en mesure de produire des cartes magnétiques pour les personnes que les CCAS et les agents de la collectivité nous indiquaient comme étant le plus dans le besoin. Nous pouvions les créditer de 40, 50 ou 90 euros par semaine parfois. Les personnes ont pu aller dans les grandes surfaces et les utiliser comme une carte bancaire, discrètement, pour acheter de quoi manger. Fort de cette expérience, aujourd'hui, l'État et les DJSCS reviennent vers nous.

Je vous rejoins totalement sur votre constat, Monsieur le Sénateur, il faut arrêter l'assistanat et proposer un réel accompagnement social. J'ai défendu cette idée récemment devant des représentants du ministère des solidarités. Il vaut mieux promouvoir une plateforme sociale avec tous les partenaires, comme par exemple les associations qui travaillent sur les addictions. À Mayotte, pour l'aide alimentaire, nous avions fait de l'assistanat, revu et corrigé, avec un accompagnement social.

M. Jean Fabre-Mons. - Je voudrais insister sur la question soulevée de la visibilité de la Croix-Rouge. Le président de la Croix-Rouge s'était déplacé à Saint-Martin 5 jours après le passage du cyclone. À cette occasion, il avait rappelé la volonté stratégique très forte de la Croix-Rouge de s'impliquer durablement dans le paysage social du territoire. À cet effet, outre les fonds qui nous été alloués, la Croix-Rouge a engagé des fonds propres. La visibilité tient à cette volonté stratégique de s'investir.

Sur les frictions qui ont pu intervenir dans l'après cyclone et les doutes qu'il a pu y avoir sur l'efficacité de notre action, je souhaite souligner que la Croix-Rouge tient à développer des partenariats avec ses confrères et les autres associations. Notre stratégie globale est de dire qu'on ne peut pas tout faire seuls et que l'on agit mieux dans l'intelligence collective et la coopération.

En ce qui concerne le risque d'assistanat que vous évoquiez, la stratégie générale de la Croix-Rouge est d'accompagner les gens vers un retour à l'autonomie. Le détail de nos actions montre que ce que nous cherchons à faire est de permettre aux gens de se prendre en main, notamment en réhabilitant eux-mêmes leurs logements dans des actions d'auto-réhabilitation, en lien avec des artisans locaux. L'idée est de reconstruire une communauté dont la fragilité a été largement accrue par le cyclone.

M. Abdallah Hassani, rapporteur. - Je tiens à revenir sur votre intervention en matière sociale et saluer votre travail sur le terrain. À Mayotte, la Croix-Rouge intervient beaucoup, notamment dans le social. Nous avons entre 3 000 et 4 000 jeunes errants dans Mamoudzou mais aussi dans les autres villes.  Pouvez-vous faire un bilan rapide de vos actions sur ce sujet ?

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - J'ai apprécié le constat que vous avez dressé et l'honnêteté qui est la vôtre sur la situation que vous avez décrite et que j'appellerais volontiers « le syndrome de l'ego humanitaire ». Vu de l'hexagone, on a parfois le sentiment que tout le monde intervient sur tout et qu'il n'y a plus réellement de lisibilité. Cette situation est compréhensible et humaine : la visibilité n'est pas négligeable, elle permet à chaque structure de soulever davantage de dons privés notamment. Cette situation que vous avez humblement décrite - sans faire de mea culpa - me semble un peu décalée par rapport à l'urgence de la situation et ne renforce pas l'efficacité de nos moyens. Le cumul de plusieurs moyens n'est peut-être pas aussi efficace que la présence d'un patron coordonnateur, certes avec plusieurs entités. Je pense toutefois que votre volonté de coordination est louable.

Nous avons bien perçu ce que peut être votre implication anticipée et directe. Pourriez-vous nous donner des indications chiffrées précises sur votre déploiement post crise, sur ce que peut représenter une opération humanitaire portée par la Croix-Rouge dans ce genre de situations ?

M. Frédéric Pichonnat. - En ce qui concerne l'océan Indien et plus particulièrement le territoire mahorais, nous essayons de construire une réponse la plus adaptée possible. Les jeunes migrants illégaux qui « embolisent » la société mahoraise sont montrés du doigt. Une réponse très appropriée est la prévention spécialisée. Les maires des communes nous demandent d'intervenir et nous sommes en partenariat avec l'association Mlezi Maore, autrefois appelée TAMA.

Je pars en Nouvelle-Calédonie à la fin de cette semaine et l'expérience mahoraise nous servira dans notre partenariat avec l'un des bailleurs sociaux du territoire, la Société immobilière de Nouvelle-Calédonie (SIC). Le modèle mahorais peut être reproduit, en ce qui concerne l'aide alimentaire évoquée précédemment ou la prévention spécialisée. Le démarrage a été un peu lent car l'une des difficultés à Mayotte était la langue française ; nous n'avions pas d'éducateurs parlant le shimaore.

Une autre réponse intéressante, qui plaît aux jeunes est « Bibliothèques sans frontières » que nous allons déployer en avril à Mayotte à la demande de notre directeur général, via une association qui propose des e-box et tablettes. Nous sommes actuellement à la recherche de Fonds pour la financer. La réduction de la fracture sociale passe par la réduction de la fracture numérique. De tels projets sont de bons vecteurs et ceci est valable pour tous les territoires. Dans le cas de la prévention spécialisée, nous avons également des sacs qui contiennent des livres que nous faisons découvrir aux enfants dans la rue. La culture est un outil pour accéder à un meilleur niveau social.

Nous sommes les seuls à disposer d'équipes mobiles d'insertion sociale (EMIS) qui vont dans les bangas en travaillant sur l'accès aux droits des Mahorais, notamment avec la caisse d'allocations familiales (CAF) qui nous a demandé de faire des maraudes thématiques.

Monsieur le sénateur, vous avez évoqué le syndrome de l'« ego humanitaire ». Les organisations non gouvernementales (ONG) se sont développées grâce à la médiatisation : rappelez-vous des images du sac de riz sur l'épaule de Bernard Kouchner ! Quand vous interrogez des jeunes sur ce qu'ils voudraient faire, ils vous répondent qu'ils veulent aller aider : après le passage de l'ouragan, des jeunes Réunionnais téléphonaient à la PIROI pour dire qu'ils voulaient partir au Mozambique. Médecins du monde, Les Restos du coeur, Médecins sans frontières, la Croix-Rouge et de nombreuses petites organisations qui se créent comptent sur la médiatisation de leurs actions pour pouvoir se développer.

Être visible sur place, c'est la commande de notre président et de notre bureau national. Si nous ne sommes pas présents dans les territoires, si nous n'y vivons pas, nous ne sommes pas efficaces. Si vous n'avions pas une Jocelyne Berchel à Saint-Martin, un Yacine Boinali à Mayotte, que ferions-nous ? Il s'agit d'être présents au quotidien sur place, de faire vivre la Croix-Rouge avec des personnes engagées, issues des territoires. Il ne faut pas intervenir puis partir.

En 2008/2009, j'ai vécu dramatiquement ce problème lors de notre intervention auprès des Amérindiens de Guyane dans le cadre de la lutte contre la pollution au mercure. Quand les financements se sont taris, nous avons dû partir et arrêter nos actions de prévention. C'est là une manifestation de l'« ego humanitaire » : il faut de l'argent et on communique en premier. Les femmes enceintes avaient des taux de mercure anormaux dans le sang, elles en ont toujours et les bébés naissent toujours avec du mercure dans le sang !

Le déploiement post-crise passe par le renforcement de la formation des bénévoles et des populations. Depuis Irma, nous mettons en place des formations de formateurs. Je donne souvent l'exemple du Japon : en métropole comme dans les outre-mer, nous n'avons pas de vraie résilience. À Saint-Martin, Irma commence à être oublié, parce que le territoire a reverdi, que les maisons sont en train d'être reconstruites... Pourtant, près de 18 mois après le cyclone, il y a encore des maisons avec des bâches et nous sommes loin d'une reconstruction durable.

Il faut continuer à travailler la résilience en milieu scolaire ; c'est à mon sens primordial. Ce canal permet de faire passer des messages. Nous attendons la réponse du préfet pour développer « Bibliothèques sans frontières ».

Dans le cadre de la crise d'Irma, le budget de la Croix-Rouge est issu de trois sources : les dons, les subventions et les fondations (notamment Véolia, la Caisse d'épargne et dans une moindre mesure la Fondation de France qui mène ses propres actions) et nos ressources internes. Les bénévoles de toute la France ont envoyé des chèques. En dépit de ses faibles moyens, la population de Mayotte a envoyé des chèques pour un montant total de 5 000 euros, nous avons également reçu un chèque conséquent de la délégation de Saint-Pierre-et-Miquelon. Globalement, nous avons reçu 7,855 millions d'euros. Nos commissaires aux comptes sont chargés de valider nos comptes et nos dépenses pour l'assemblée générale de juin 2019.

M. Jean Fabre-Mons. - En tant qu'association reconnue d'utilité publique, nos comptes sont audités de façon très rigoureuse chaque année par les commissaires aux comptes. Nous sommes également membres du comité de la charte du don en confiance, créé par une association indépendante qui labellise les associations, qui nous audite régulièrement. Nos comptes sont transparents et vérifiés. Nous avons à coeur d'être exemplaires sur la façon dont nous gérons l'argent. Si la Cour des comptes n'intervient pas de manière fréquente sur la gestion de l'argent qui nous est confié, elle contrôle en revanche nos établissements et services sociaux, médico-sociaux et sanitaires.

M. Frédéric Pichonnat. - Six mois après le passage d'Irma, la moitié de cette somme était déjà dépensée. Nous nous sommes donnés 24 mois pour dépenser la totalité de la somme récoltée. Les opérations à 24 mois représentent 3,6 millions d'euros. Environ 1,2 million euros sont mobilisés sur des actions en cours comme l'aide à la reconstruction et les formations en milieu scolaire.

M. Jean Fabre-Mons. - L'« ego humanitaire » que vous décrivez est constitutif de l'action humanitaire ; c'est un travers identifié depuis longtemps et sur lequel nous travaillons.

Nous appartenons à un mouvement international, le mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui coordonne l'action de 191 sociétés à travers le monde. Nous avons la force d'avoir cet organisme de coordination qui nous permet de travailler en bonne intelligence avec les sociétés soeurs dans le cadre d'une répartition par zone, par expertise et par avantage comparatif. La Croix-Rouge française intervient dans plusieurs grandes zones internationales qui se situent autour de l'océan Indien, de la zone Caraïbes-Guyane, du Moyen-Orient, de l'Afrique francophone et dans le Pacifique Sud autour de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, nous avons deux grands coeurs d'activité que sont la prévention santé et l'assainissement de l'eau.

Forts de cette appartenance, nous avons tendance à nous considérer comme l'un des plus gros acteurs et à tomber dans le travers de l'ego. Ce travers - qui ne peut être accepté ni par les pouvoirs publics ni par le grand public - s'intègre dans le cadre d'une réflexion très importante, menée au sein du conseil d'administration, sur l'exemplarité d'une organisation telle que la nôtre. Le sens de notre action est de venir en aide, pas de nous mettre en avant.

Concernant l'utilisation des fonds récoltés post Irma, nous vous ferons parvenir par écrit des éléments chiffrés complémentaires.

M. Frédéric Pichonnat. - Je souhaite vous donner un exemple de coordination de l'action des organisations. À La Réunion, nous avons vécu une crise migratoire en décembre avec une arrivée de 75 migrants sri-lankais. Il a fallu monter en urgence un hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA). Dès le début, nous nous sommes entendus avec la préfecture pour que la Croix-Rouge ne soit pas le seul organisme à intervenir. Nous nous sommes réunis, avec des associations locales, notamment Solidarité Réunion, Emmaüs, le bailleur social qu'est la société d'habitations à loyer modéré de La Réunion (SHLMR), pour définir le rôle de chacun ; une association religieuse tamoule est également venue. C'est l'exemple de la plateforme sociale qu'il faut mettre en place en cas de crise sur un territoire. Le tour de table a permis de mutualiser tous les moyens, en concertation avec les collectivités et les élus, et nous ne sommes pas les patrons !

M. Stéphane Artano. - Lors de la survenue l'ouragan, la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon s'était mobilisée au travers de la délégation locale qui a permis l'envoi d'une aide financière.

Il est important de rappeler le contexte réglementaire qui encadre votre action. Il y a eu des dérives internationales mais le contexte réglementaire français oblige un contrôle des fonds qu'il convient de souligner.

La coordination des acteurs est très importante mais j'ai pu observer sur mon territoire que l'État est tenté de donner toujours plus de missions à la Croix-Rouge. Il ne faut pas oublier que celle-ci s'appuie avant tout sur des bénévoles. C'est à l'État stratège de coordonner les moyens lorsque des événements majeurs surviennent ; les bénévoles n'ont pas à être chargés de missions auxquelles ils ne peuvent pas faire face, mais ils peuvent assumer collectivement des missions coordonnées par l'État. Je rejoins à ce titre la préoccupation de Guillaume Arnell sur le besoin de développer une meilleure coordination des acteurs, surtout si de tels événements climatiques sont amenés à se reproduire. Avez-vous perçu des traductions de telles intentions sur le terrain ?

M. Frédéric Pichonnat. - L'indépendance est l'un des sept principes de la Croix-Rouge. En tant qu'auxiliaires des pouvoirs publics, nous sommes en capacité de dire non. Calais a été un exemple pour nous : nous avons beaucoup réfléchi en interne pour savoir si nous devions y être présents et pour quoi faire. Nous répétons régulièrement nos sept principes : humanité, neutralité, impartialité, indépendance, unité, universalité et volontariat. Celui de neutralité n'est pas toujours facile à suivre avec les exigences de l'État.

Nous étions récemment réunis en cellule de coordination pour évoquer ce que l'on appelle la réduction des risques en cas de catastrophes. C'est une vraie discussion qui se fait au niveau des 191 sociétés nationales. Quelle réduction des risques après une catastrophe ? Comment s'organiser ? Comment se coordonner avec les autres acteurs de l'urgence que sont l'État, les collectivités, les pouvoirs publics en général et les autres associations ? Quels moyens humains, matériels, financiers ? C'est un vrai retour d'expérience que nous devons mener.

M. Michel Magras, président. - À l'échelle de la zone, la PIROI et la PIRAC sont-elles inclues dans leur environnement anglophone ?

M. Frédéric Pichonnat. - Comme je vous l'indiquais dans mon introduction, nous avons trois niveaux d'intervention : le premier niveau est celui des bénévoles que vous connaissez tous ; le temps des bénévoles n'est pas celui des salariés. Le second niveau de réponse est celui des établissements - nous n'en avons pas à Saint-Pierre-et-Miquelon - avec des salariés formés à être en capacité de répondre en cas de crise : quand la Guyane est bloquée pendant 40 jours, quand Mayotte ou La Réunion sont bloquées par une crise sociale, il faut continuer à donner à manger aux personnes âgées dans les EHPAD. C'est grâce à ce type d'établissements que nous sommes capables de réagir.

Le troisième niveau, que vous évoquez, monsieur le président, est constitué par les plateformes d'intervention régionale créées en 2005/2006, avec l'accord de la Fédération internationale de la Croix-Rouge, afin de pouvoir intervenir dans les pays tiers ou les îles soeurs. Il y a à cet effet une partie de fonds européens très fléchés ; c'est le cas dans l'océan Indien avec la PIROI et la question de la localisation du PIROI Center - peut-être à Mayotte - se pose. Ces plateformes d'intervention régionale interviennent sur les pays environnants, avec des périmètres bien définis. Dans l'océan Indien, nous sommes les seuls à intervenir : s'il y a besoin d'intervenir sur Mayotte pour une catastrophe naturelle, la Croix-Rouge du Canada ou la Croix-Rouge espagnole collectent des fonds et les envoient à la Croix-Rouge française qui les reverse via la PIROI.

Une problématique se pose dans le Pacifique sud avec les accords FRANZ. La Nouvelle-Zélande, l'Australie sont à proximité de Wallis-et-Futuna. Pour autant, seule la Croix-Rouge française intervient, sur fonds propres. Vous avez évoqué dans votre rapport de 2018 les problématiques de Wallis-et-Futuna, avec le système d'alerte Sentinelle, réseau de sirènes. Je le répète, une priorité est d'intervenir davantage en milieu scolaire auprès des enfants pour bien leur expliquer ce qu'il faut faire en cas de risque majeur.

M. Michel Magras, président. - Je voudrais dire un dernier mot sur la solidarité et les aides financières. Le cyclone Irma a déclenché un élan de solidarité considérable. La collectivité n'était pas en mesure de recevoir et de gérer ces dons. Très rapidement, nous avons communiqué pour inviter les donateurs à se tourner vers la Croix-Rouge et la Fondation de France.

Nous vous remercions pour les actions que vous menez dans nos territoires et pour toutes les informations que vous nous avez apportées.