Mardi 18 juin 2019

- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 40.

Audition de MM. Hugo Bevort, directeur des stratégies territoriales, et Philippe Cichowlaz, chef de la mission des affaires européennes au Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET)

Mme Laurence Harribey, présidente. - Notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de M. Hugo Bevort, directeur des stratégies territoriales au Commissariat général à l'égalité des territoires. M. Bevort est accompagné de M. Philippe Cichowlaz, chef de la mission des affaires européennes.

Le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) est issu du regroupement de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale, du Secrétariat général du comité interministériel des villes et de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances. Il évoluera prochainement en une Agence nationale de la cohésion des territoires.

Le CGET est placé sous l'autorité de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, que nous avons prévu d'auditionner. Il appuie le Gouvernement dans la lutte contre les inégalités territoriales et le soutien aux dynamiques territoriales, en concevant et animant les politiques de la ville et d'aménagement du territoire avec les acteurs locaux et les citoyens. Ses champs d'intervention sont interministériels : accès à l'emploi, aux soins et aux services au public, cohésion sociale, inclusion numérique, aide aux mobilités, attractivité économique, transitions écologique et numérique, redynamisation des territoires fragiles et des centres-villes en déprise, etc.

Le CGET est actuellement organisé en trois directions : ville et cohésion urbaine, développement des capacités des territoires et, celle qui nous intéresse le plus aujourd'hui, stratégies territoriales.

L'audition du CGET est évidemment un moment incontournable des travaux de notre mission d'information car ce service a une vision d'ensemble de la gestion et de la consommation des fonds européens en France. Il a d'ailleurs publié une brochure très complète sur les fonds européens structurels et d'investissement 2014-2020.

Notre mission d'information souhaite dresser un bilan de l'utilisation des fonds européens dans notre pays. Où en est la programmation en cours ? Quelle est votre appréciation du transfert aux régions de la gestion des fonds européens ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées ? Ce transfert de gestion est-il complet ? Le constat est-il différencié selon les régions, y compris en outremer ? La situation de notre pays est-elle vraiment caractérisée par une sous-utilisation chronique des fonds européens ou l'analyse est-elle à nuancer ? Par ailleurs, quelle appréciation portez-vous sur les propositions de la Commission européenne pour le prochain cadre financier pluriannuel ? Comment pourrait-on améliorer la gestion des fonds européens ? Voici quelques-unes des questions qui intéressent notre mission d'information.

Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteure, Colette Mélot, à vous poser des questions.

Cette audition est ouverte au public et à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

M. Hugo Bevort, directeur des stratégies territoriales du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET). - La mission d'information que vous conduisez arrive à point nommé. Elle se déroule au lendemain des élections européennes, ce qui permet probablement de mener des travaux plus sereins sur ce sujet, et à la veille d'un nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne. La question de la sous-utilisation des fonds européens a fait l'objet d'un traitement médiatique important, mais, en réalité, cette problématique ne concerne pas tous les fonds européens, mais plutôt un fonds, et même un programme : le programme LEADER. Le premier message que je souhaiterais faire passer est que ce programme connaît des difficultés bien spécifiques, et médiatisées, alors que son montant ne s'élève qu'à 700 millions d'euros sur sept ans. Si les difficultés rencontrées par le programme LEADER ne peuvent être niées, elles ne concernent pas la totalité des fonds que le CGET coordonne, dont le montant s'élève à 27 milliards d'euros sur sept ans.

L'intitulé de votre mission fait le constat d'une sous-utilisation chronique des fonds européens. Actuellement, nous nous situons à mi-chemin de la programmation actuelle, qui concerne les années 2014 à 2020 mais peut se prolonger jusqu'à fin 2023. Le bilan que nous pouvons tirer de la sous-utilisation est celui d'une comparaison avec la programmation précédente qui a atteint un niveau de programmation de 99 %. Le taux de certification des montants s'élève, selon les fonds, entre 95 % et 99 %. Certes, des marges de manoeuvre existent, mais les fonds européens sont utilisés de façon importante et utile.

La programmation actuelle se caractérise par un contexte particulier, avec un changement dans l'architecture de gestion, et donc dans la répartition des rôles. L'adoption par le Parlement de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi « MAPTAM », s'est traduite par une décentralisation partielle de ces fonds. Il est alors légitime de s'interroger sur les conséquences de cette décentralisation : a-t-elle compliqué la tâche ? La consommation des fonds est-elle moindre ?

On constate que la consommation des fonds est restée stable, dans des proportions sensiblement équivalentes et comparables à celle des autres pays européens. Ce constat est réalisé aussi bien par la commission européenne que par le CGET, car nous disposons d'un rôle de collecte de données et de restitution de celles-ci, en lien avec Régions de France. Par conséquent, il n'y a rien de chronique dans la sous-utilisation des fonds européens et la programmation actuelle est globalement en ligne avec la programmation antérieure. Il faut rester constamment mobilisé pour s'approcher au plus du taux de 100 % de consommation.

Concernant le programme LEADER, le CGET n'est pas compétent sur ce programme dont l'autorité de coordination est assurée par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation.

Le CGET est l'héritier de la DATAR, mais, à la différence d'aujourd'hui, à l'époque de la DATAR, les fonds n'étaient pas décentralisés. Trois missions actuellement exercées par le CGET permettent d'avoir un éclairage sur l'utilisation des fonds européens, sous réserve des modifications qui seront éventuellement apportées par la proposition de loi qui créera l'Agence nationale de cohésion des territoires.

La première mission concerne la coordination de la gestion des Fonds européens structurels et d'investissement (FESI). Nous assumons les rôles, définis par la législation européenne, de coordination inter-fonds, de coordination sur le Fonds européen de développement régional (FEDER), ce qui implique des compétences renforcées sur ce fonds, et nous sommes également autorité de gestion sur le programme nationale d'assistance technique, appelé Europ'Act. Cette première mission implique une double coordination, de l'État et des régions. À ce titre, le CGET assure le secrétariat du comité État-Région qui organise le dialogue avec les régions. Au titre de cette première mission de coordination, le CGET doit s'assurer que les fonds sont bien connus et que les actions qu'elles financent sont bien identifiées comme ayant bénéficié de ces fonds européens.

La deuxième mission n'a pas de traduction législative : il s'agit du chef de file interministériel, en particulier dans le cadre des négociations relatives au prochain CFP. Nous représentons la France dans les réunions sur la définition de la politique de cohésion, même si le ministère du travail exerce un rôle prépondérant pour le Fonds social européen (FSE). Nous portons une position interministérielle, sous l'autorité de la ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault.

La troisième mission consiste à appuyer les autorités de gestion dans la mise en oeuvre des fonds. Cet appui technique porte sur les contenus, la méthode de programmation et la valorisation des fonds européens. Il est exercé lorsque qu'un problème rencontré est commun à plusieurs fonds, au titre de notre fonction de coordination inter-fonds, et lorsqu'il touche au FEDER, pour lequel nous sommes autorité de coordination. En revanche, cet appui technique n'est pas de notre ressort pour le programme LEADER, ce rôle étant alors dévolu au ministère de l'agriculture, compte tenu de la nature spécifique de ce fonds.

Cette mission d'appui technique permet d'accompagner les régions et les services déconcentrés de l'État, en particulier pour les questions d'éligibilité des aides, mais aussi pour les enjeux relatifs aux aides d'État. Le programme Europ'Act, dont nous assurons la gestion en directe pour le compte de l'ensemble des autorités de gestion, a mis en place le système « Synergie » qui permet de suivre l'utilisation et de piloter le FEDER, le FSE, le FEADEr et le FEAMP disposant de leurs propres systémes d'information. Enfin, le CGET porte une attention particulière aux politiques publiques mises en oeuvre par le ministère de la cohésion des territoires, en particulier en matière de développement urbain. Le choix a été fait de concentrer 10 % des crédits des FESI sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Le CGET assume également un rôle important concernant la coopération territoriale européenne (CTE), dont l'enveloppe s'élève à près d'un milliard d'euros sur les 27 milliards d'euros de FESI dont la France bénéficie entre 2014 et 2020. Enfin, le CGET a un rôle particulier dans la mobilisation des instruments financiers. Ce mode de financement a été encouragé par la Commission européenne au début de l'actuelle programmation, comme alternative aux subventions. L'adéquation de ces instruments financiers avec les besoins des autorités de gestion est un vrai sujet.

Il existe des marges de manoeuvre pour améliorer les conditions d'utilisation des fonds européens. Le Président de la République a appelé à une refondation profonde de la politique de cohésion, ce qui constitue une opportunité à saisir pour dialoguer avec l'Europe, d'une part, et sur l'architecture de gestion de ces fonds, d'autre part. Toutefois, le bilan des conditions de l'utilisation des fonds européens est globalement positif : compte tenu du fait que ce sont des fonds dont la mise en oeuvre est exigeante, la régularité de ces fonds est très contrôlée. Je ne connais pas de politique en France qui fasse l'objet d'autant de contrôles. À ce titre, l'enjeu de la surrèglementation est important ; il faut veiller à ne pas aller au-delà des exigences de la réglementation européenne, ce qui implique de soulever la question des simplifications à y apporter. L'efficacité des fonds est évaluée avec une constance qu'aucune autre politique publique, a fortiori territoriale, ne connaît. Il faut maintenir ce niveau de rigueur, tout en simplifiant la vie des porteurs de projets.

M. Philippe Cichowlaz, chef de la mission des affaires européennes du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET). - La complexité des règles relatives à la gestion et aux contrôles de ces fonds européens provient également de la volonté des États contributeurs nets de s'assurer que ces fonds soient correctement utilisés par les bénéficiaires nets. Le contrôle de ces fonds est le même, quelle que soit l'intensité de l'aide versée, c'est-à-dire que le corpus de règles de contrôle auquel il faut se conformer est le même, qu'un programme bénéficie de 300 euros par habitant et par an de fonds européens dans les Etats et régions les moins développées, ou de 10 euros par an et par habitant dans les Etats et régions les plus riches. Cette équivalence peut paraître excessive puisque, dans le cas de faibles montants, l'effet de levier est moindre. Toutefois, la part des fonds européens dans l'investissement public peut être très significative pour les États membres bénéficiaires du fond de cohésion, jusqu'à 80 % pour certains d'entre eux. La négociation des règles de contrôle relève cette difficulté à pondérer les exigences selon la nature des écarts de développement.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Pouvez-vous nous donner des éléments chiffrés sur le nombre d'agents et le budget affecté à la gestion des fonds européens dans chaque conseil régional ? Le transfert de l'autorité de gestion aux régions s'est-il réellement traduit par un transfert des agents auparavant dédiés à cette mission au sein des services préfectoraux ? Vous avez mentionné les exigences en matière de contrôle des fonds européens. La programmation 2014-2020 s'est-elle traduite par des exigences accrues en matière de contrôle et d'audit des fonds ? Pouvez-vous nous indiquer le montant des crédits « dégagés » d'office chaque année ? Enfin, je souhaiterais savoir s'il est possible de bénéficier de fonds qui, après avoir été affectés, n'ont pas été utilisés.

M. Hugo Bevort. - Pour vous répondre sur le dégagement d'office, il faut regarder à la fois le taux de programmation et le taux de certification. Sur le FEDER, au 31 décembre 2018, 70 % des montants sont programmés, contre 74 % en moyenne dans l'Union européenne. Sur le FSE, on est à 73 % de programmation, contre 69 % en Union européenne. Concernant le taux de certification, la France est globalement au-dessus de la moyenne européenne. Pour le FEDER, le taux de certification en France est de 25 %, contre 22 % au niveau de l'Union européenne, et à 38 % sur le FSE, contre 27 % dans l'Union européenne. Le FEAMP connaît plus de difficultés, mais son enveloppe est moindre, et le FEADER est surtout en décrochage pour le seul programme LEADER.

Jusqu'à présent, il n'y a pas de dégagement d'office en France. Au 31 décembre 2018, les dégagements d'office sont circonscrits et limités. Aujourd'hui, la règle du « n+3 » s'applique, mais dans la prochaine programmation, la règle sera celle du « n+2 ».

Votre question touche à la fongibilité des fonds. Les difficultés de programmation sur un fonds constituent-elles de l'argent perdu ? Non, car les autorités de gestion peuvent réaffecter les sommes au sein d'un même programme jusqu'à certaines limites bien entendu. L'exercice de programmation vise à garantir la montée en puissance des fonds, c'est un exercice acrobatique pour les autorités de gestion. Entre l'absence de dégagement d'office et la capacité de transférer la programmation des fonds au sein d'un programme voire entre programmes dans des cas particuliers, il n'y a pas de perte de crédits européens, même sur les crédits du FEADER. Le moment de vigilance sera la période 2021-2023, au cours de laquelle il faudra certifier les dépenses au terme de la programmation. Cet exercice de gestion ne constitue pas une difficulté politique ; il s'agit le plus souvent d'une difficulté de programmation habituelle que traitent les gestionnaires.

Sur les conditions de transfert de personnels des agents d'État vers les conseils régionaux, la situation est très variable d'une région à l'autre. Le cadre de gestion des fonds européens ayant beaucoup évolué, même si le nombre d'agents de l'État assurant la gestion des fonds a bien été transféré aux régions, ce nombre ne permet plus de couvrir les besoins. Les taux de programmation sont extrêmement variables d'une région à l'autre, ce qui s'explique par des choix de gestion interne différents, et des difficultés qui ne sont pas corrélées à la richesse de ces régions.

M. Philippe Cichowlaz. - Pour le FEDER par exemple, on pourrait comprendre en première lecture que la dernière année de programmation théorique serait 2020, dans les faits vous pouvez programmer bien au-delà, en théorie jusqu'en 2023 si vous êtes certain de pouvoir certifier les dépenses avant le 31/12/2023. De même, le taux de certification à atteindre fin 2020 n'est que de 38 %. La clôture de la programmation aura lieu en 2023, ce qui signifie qu'entre 2020 et 2023, il faudra encore certifier 62 % de la programmation.

Les autorités de gestion, l'État hier et aujourd'hui les régions, utilisent le dégagement d'office comme un instrument de pilotage. L'objectif est d'éviter de rendre de l'argent à l'Union européenne, ce qui implique de concentrer ses efforts en termes de ressources humaines sur la programmation. Une fois que la programmation sera terminée, pour l'essentiel fin 2020, les ressources humaines se concentreront principalement sur la certification. Le pilotage en fin de programmation est ainsi très complexe, d'autant que la clôture ne sera définitive qu'après les campagnes de contrôles, soit en 2025. Pour les dégagements d'office, seuls deux programmes interrégionaux ont perdu des sommes marginales. Il n'y a rien de pire que d'avoir des dégagements d'office pour les autorités de gestion, ce n'est pas compréhensible pour les bénéficiaires potentiel du territoire, ce qui explique que le dégagement d'office est presque devenu un instrument de management.

Pour la prochaine programmation, les propositions de règlement de la commission européenne prévoient de doubler le rythme de certification, ce qui va encourager les autorités de gestion à privilégier l'efficacité dans leur programmation, et l'utilisation immédiate des fonds. Or, ceci n'est pas toujours compatible avec la nature des porteurs de projets, les degrés de maturation des projets, et les prises de risques des porteurs de projets.

Concernant les transferts d'agents de l'État, cet exercice a été compliqué car les agents en charge de la certification de la précédente programmation n'ont pas cessé d'exercer leurs fonctions en 2013. L'État ne pouvait pas se priver de ses agents les plus compétents à une période charnière, la fin de programmation. De plus, les agents de l'État n'étaient pas forcément volontaires pour intégrer la fonction publique territoriale. Par ailleurs, certains d'instructeurs étaient dans des services déconcentrés de l'État sur des fractions d'emploi à temps plein (ETP). Les calculs de transferts d'ETP ont été réalisés en partie sur la base de fractions individuelles, et non de transferts physiques. Il a fallu ainsi que les nouvelles autorités de gestion anticipent la formation des nouveaux agents. Or, il faut au minimum six mois pour former un agent sur l'instruction et la certification des fonds européens au regard du degré de technicité que cela requiert. Les autorités de gestion ont eu beaucoup de difficultés à recruter en interne ; la plupart des candidatures ont été externes. Heureusement, de nombreux masters proposent aujourd'hui des formations en ce sens. On a donc constaté un déficit d'appropriation au début de la programmation par ces nouveaux agents, d'autant que la fusion des régions a complexifié le processus.

L'ensemble de ces défis cumulés était très lourd à relever et les retards pris au début d'une période sont difficilement rattrapables sauf au prix de très lourds efforts.

M. Benoît Huré, sénateur. - Cette mission d'information intervient à un moment important. J'ai relevé avec attention vos explications sur l'articulation complexe entre les deux programmations, la fin de la précédente programmation qui relevait de la responsabilité des services de l'État, et la nouvelle qui revient aux régions.

Concernant la rigueur du contrôle de l'utilisation des fonds européens, est-elle réellement la même partout en Europe ? Certains États membres, notamment en Europe de l'Est, appliquent-ils correctement ces règles ?

Par ailleurs, la surrèglementation est un sujet d'inquiétude. La commission des affaires européennes du Sénat s'assure d'ailleurs, depuis 2018, qu'il n'y ait pas de sur-transposition des directives européennes dans les textes législatifs que nous examinons.

Enfin, était-ce réellement pertinent que l'État transfère la gestion des fonds européens aux régions, alors qu'elles devaient elles-mêmes absorber les conséquences de la fusion des régions ? La décentralisation de la gestion des fonds a pu entraîner une mise en oeuvre et des performances différentes de ces fonds, d'une région à l'autre. Sur la question des transferts de personnel, les agents de l'État n'ont pas automatiquement été transférés dans les régions, nécessitant ainsi de former de nouvelles équipes aguerries à ces sujets. Que sont devenus ces agents d'État qui disposaient de ces compétences lorsqu'ils n'ont pas été transférés ?

M. Hugo Bevort. - L'actuelle programmation a été marquée par deux phénomènes concomitants qui ont pu perturber la gestion des programmes : la mise en place de nouveaux exécutifs en début de programmation, d'une part, et la fusion des régions, d'autre part. Or, on constate que les taux de programmation ne sont pas corrélés à la question de la fusion des régions : celles qui réussissent le mieux ne sont pas forcément celles qui ont été épargnées par la fusion. En revanche, les scores de programmation sont les meilleurs, et l'utilisation des fonds européens est la plus cohérente, dans les régions qui ont connu une certaine stabilité politique et pour lesquelles l'enjeu européen, loin d'être considéré comme un sujet étranger à la politique de développement régional, a été mobilisé par l'exécutif comme un des leviers majeurs de développement de cette politique régionale.

Les taux de programmation des fonds européens peuvent être comparés à ceux des contrats de plan État-Régions (CPER), qui ont démarré en même temps. L'utilisation de ces crédits est plus compliquée ; elle est soumise à des aléas politiques importants. Pour ces deux outils de programmation, les CPER et les fonds européens, il a fallu articuler leur mise en oeuvre qui a été négociée une première fois avec un exécutif pour un diagnostic initial, puis une seconde fois avec un nouvel exécutif un an après seulement, et dans le cadre d'un périmètre des régions modifié.

L'articulation de ces deux outils et des exécutifs changeants a été complexe à mener, ce qui a nécessairement pesé sur la consommation des crédits. Cette question est toujours d'actualité pour la prochaine programmation puisque le Gouvernement va lancer concomitamment une nouvelle génération de CPER, une nouvelle programmation de fonds européens à partir de 2021, et les exécutifs vont être à nouveau renouvelés au tout début. Or, les fonds européens constituent un outil extrêmement structurant, qui n'a de sens que lorsqu'ils sont intégrés dans une politique régionale globale. Pour certaines régions, comme les régions ultrapériphériques, les fonds européens peuvent représenter jusqu'à 30 % de l'investissement public. L'administration territoriale fonctionne lorsqu'elle est portée politiquement. Or, répéter deux fois en début de programmation une phase d'apprentissage ne constitue pas des conditions favorables.

Sur la question de la rigueur de la gestion de ces fonds dans les États membres de l'Europe de l'Est, les fonds européens y représentent une part considérable de l'investissement public, en particulier dans les pays dits « en transition », c'est-à-dire dont le revenu national brut par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne de l'Union européenne. Ils présentent une architecture de gestion plus simplifiée et financent principalement des grands projets d'infrastructures. En France, seules les régions ultrapériphériques peuvent financer de tels projets d'infrastructures avec les fonds européens. Toutefois, ils sont bien soumis aux mêmes contrôles que les autres États membres et, dans les phases de certification, ils n'ont pas montré jusqu'à présent des situations alarmantes.

L'Union européenne est marquée par deux lignes de fracture, est-ouest et nord-sud. La France se situe au carrefour de ces fractures : elle emprunte, pour ses règles de gestion, des caractéristiques à l'Espagne et l'Italie, et à d'autres égards, elle se rapproche de l'Allemagne ou de la Pologne.

Le renforcement des règles de gestion et d'audit provient de l'intégration de nouveaux États membres qui ont encouragé les contributeurs nets à accroître les règles de certification.

La question de la proportionnalité des contrôles fait l'objet de nombreuses discussions au Conseil de l'Union européenne, c'est-à-dire l'idée d'ajuster les exigences de contrôles en fonction du montant de l'aide. L'autre versant de la proportionnalité est de conditionner les contrôles à la qualité de la gestion constatée. Lorsqu'un pays est vertueux, les contrôles pourraient être allégés. Mais, comment peut-on apprécier la gestion vertueuse d'un pays ?

M. Philippe Cichowlaz. - Concernant la surrèglementation, parfois il peut s'agir davantage d'un problème d'inadaptation chronique des règles nationales préexistantes par rapport à la logique communautaire qui relève d'une logique plus anglo-saxonne. Un exemple actuel est celui de la gestion de la TVA. Est-elle éligible ou non aux fonds européens ? Si vous pouvez récupérer la TVA, il est logique que les fonds européens ne la cofinancent pas. Toutefois, encore faut-il savoir si la TVA est récupérable au moment du montage du dossier. Or, en France, on ne sait parfois si la TVA est récupérable ou non que plusieurs années après d'où la difficulté d'instruction. Ce sujet n'est pas une préoccupation pour beaucoup d'États membres. Ici, c'est bien un problème de compatibilité de l'application des règles nationales et européennes.

Par ailleurs, on rencontre parfois une volonté politique de programmer les fonds avec des règles très encadrantes. Dans ce cas, il est vrai que certaines autorités de gestion peuvent rajouter d'autres critères aux critères européens, par exemple pour ne cibler qu'une seule partie du financement de l'efficacité énergétique. On peut ainsi s'apercevoir en cours de programmation qu'une priorité politique choisie n'est pas compatible avec la capacité des porteurs de projets à satisfaire ces différents critères, pas conforme à la capacité d'absorption par les territoires que l'on espérait.

Les fonds européens doivent se piloter, de la définition politique jusqu'à la mise en oeuvre technique, et c'est l'une des conditions de leur succès, mais aussi une de leurs difficultés, et qui s'expriment de façon différente d'une autorité de gestion à l'autre. Ils ne doivent pas être utilisés comme de simples disponibilités budgétaire venant cofinancer les dispositifs existants et cela principalement en raison des lourdeurs de gestion tout à fait particulières qui pèsent sur eux.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Sur le plan local, on constate que les services instructeurs ont souvent du mal à trouver une compatibilité entre les projets présentés et les objectifs et sous-objectifs à respecter pour bénéficier des fonds européens. Cette difficulté est-elle propre à la France ?

M. Philippe Cichowlaz. - La comparaison est délicate à réaliser car la France est un pays intermédiaire. Par exemple, aux Pays-Bas, pays plutôt riche qui bénéficie d'un montant réduit de fonds européens, 10 euros par habitant et par an environ, le choix a été fait de massifier l'intervention des fonds européens. Ainsi, pour le FEDER, les fonds européens ne cofinancent principalement que les politiques d'innovation et d'excellence. La France, elle, bénéficie d'une plus forte intensité en fonds européens, avec près de 35 euros par an et par habitant, elle ne va pas pouvoir réserver ces crédits que pour une seule priorité politique. Ainsi, il faut toujours comparer les États membres en tenant compte du prisme territorial du pays, de son niveau de développement et des niveaux de financement qui lui sont alloués.

La Commission européenne pilote de plus en plus les programmes par la performance. À l'avenir, si la mise en oeuvre des fonds européens ne satisfait pas des indicateurs préalablement établis, vous ne pourrez plus bénéficier de cofinancement européen. Ces indicateurs de performance donneront moins de souplesse. La complexité vient de tout le monde, y compris de la Commission européenne qui souhaite protéger le contribuable européen.

M. Pierre Louault. - Dans le cadre de votre mission visant à favoriser l'égalité des territoires, considérez-vous que les fonds européens bénéficient plutôt aux territoires les plus défavorisés, ruraux ou périphériques ? Concernant le retard dans la mise en oeuvre des fonds européens, les équipes au plan local passent beaucoup de temps en fin de programmation sur la certification des dépenses, au lieu de préparer la prochaine programmation, ou de clarifier les règles d'allocation des financements, ce que souhaiteraient les bénéficiaires. On attend plusieurs années avant de connaître « les règles du jeu ». Auriez-vous des propositions concrètes à formuler pour accélérer la mise en oeuvre des fonds ? Seriez-vous en mesure de proposer des solutions pour réduire la complexité de leur mise en oeuvre, tout en conservant une rigueur nécessaire ? Il semble que la lourdeur administrative est un mal français, alors que la Commission européenne vise plutôt à satisfaire des règles minimales de bonne gestion.

M. Hugo Bevort. - Il faut garder à l'esprit la vocation initiale de la politique de cohésion. Deux types d'objectifs ont toujours cohabité. Le premier est l'objectif de rattrapage économique des régions les moins développées, pour atteindre le niveau de développement moyen. Cet objectif a permis la transition de certains États membres comme la Belgique, la Hongrie, la Pologne. Le second objectif est d'accompagner les territoires que l'ouverture des frontières a rendus plus vulnérables, notamment en l'absence d'une convergence fiscale et sociale. La crise économique de 2008 a bouleversé le paysage des inégalités en Europe. La crise n'a pas enrayé le phénomène de rattrapage, mais elle a particulièrement touché les régions intermédiaires. Les régions développées, comme l'Ile-de-France, n'ont pas tellement été touchées. En revanche, les régions moyennes ont vu leur rattrapage économique stoppé, avec le développement d'inégalités infrarégionales importantes.

Comment mobiliser la politique de cohésion pour répondre à ce nouveau paysage des inégalités ? Si on considère, comme l'a fait le Gouvernement en 2014, que la réduction des inégalités territoriales suppose de mettre en situation les acteurs territoriaux, alors la décentralisation de la gestion des fonds était la bonne réponse. Si à l'inverse, on considère que la mission de favoriser l'égalité est une mission régalienne, alors il appartient plus que jamais à l'État de guider cette politique. Vous comprendrez qu'il ne m'appartient pas de me prononcer sur ce choix. En tout état de cause, si on veut toucher les territoires les plus fragiles, les autorités de gestion sont bien positionnées pour utiliser ces outils. Si on plaide pour la simplicité, alors cela revient à demander à l'État de reprendre la main et de piloter les fonds européens de façon plus éloignée de l'échelon local. Le nouveau paysage des inégalités appelle toutefois à un pilotage plus fin, au plus près des porteurs de projets.

En 2014, l'État et les présidents de régions se sont mis d'accord pour consacrer 10 % des crédits aux quartiers prioritaires dans le cadre de la politique de la ville. La législation européenne prévoit que 5 % des crédits soient dédiés au développement urbain. Il ne s'agit donc pas de surrèglementation, mais du choix de l'affichage d'une politique sociale et territoriale très marquée, les quartiers prioritaires de la ville ne concernant qu'une partie du développement urbain. Malheureusement, pour répondre à votre question, nous ne disposons pas de données précises sur la nature des projets par rapport à la classification des territoires. Par exemple, je ne peux pas vous indiquer le nombre de communes, parmi celles ayant bénéficié d'un type de financement précis, qui sont classées en zone de revitalisation rurale, etc. Ce qui est certain est que, plus on favorise les projets visant à développer l'attractivité et la compétitivité, plus les projets concernés se situent dans les métropoles. C'est pourquoi la ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, a défendu l'idée de réserver des crédits pour les territoires dans la prochaine programmation. À ce stade de la discussion, 15 % des crédits pourraient potentiellement être dédiés au développement rural et urbain.

Mme Cécile Cukierman. - La programmation précédente a révélé des expériences très variées entre les régions dans l'utilisation des fonds, y compris dans la mobilisation des agents des conseils régionaux, même si ces derniers n'étaient pas encore autorités de gestion de ces fonds. Par exemple, l'Auvergne s'était très fortement mobilisée ; il y avait une véritable volonté de se tourner vers les financements européens. Au contraire, Rhône-Alpes mobilisait les fonds européens, mais sans volonté d'afficher la place de l'Europe dans les politiques menées. Ces deux régions ayant été dirigées par la même majorité politique, il n'y a là aucun jugement de valeur à cet égard dans mes propos.

Ainsi, la fusion des régions a compliqué le démarrage de la programmation étant donné qu'on a fusionné des agents ayant des pratiques différentes et qui portaient un regard différent sur ces outils. Se sont ajoutées les difficultés liées au recrutement, que vous avez évoquées. Dans le cas de deux régions qui ont fusionné, et que cette fusion s'est traduite par un changement de catégorie de région pour l'une d'entre elles, comment peut-on mener les mêmes politiques, avec moins d'agents dédiés à la gestion des fonds européens, alors que les besoins des populations locales restent les mêmes ?

Sur la question de la sur-transposition et de la surrèglementation, l'expérience des fonds « Massif central » m'a montré la difficulté de faire coexister les besoins de six régions et vingt-deux départements ; ce n'est pas toujours simple pour respecter les équilibres des territoires.

Il me semble que, dans l'élaboration des programmes, nous avons été confrontés au fait que, en France, nous n'attendons pas le même effet de levier de la mobilisation de financements publics que dans le reste de l'Union européenne. À certains moments, nous avons essayé d'introduire de la souplesse, notamment en ce qui concerne les mesures environnementales, mais cette pratique était contraire à la législation européenne, en dépit d'une volonté partagée par les acteurs locaux sur la finalité de ces fonds européens. Comment agir, dans le cadre d'une proximité territoriale, pour que ces fonds soient réellement utilisés ?

M. Benoît Huré. - Le transfert de l'autorité de gestion aux régions aurait pu faire l'objet d'une étude d'impact plus approfondie, notamment de ses conséquences de ses inégalités territoriales.

La solidarité territoriale provient de la péréquation, et c'est l'État qui peut seul la mettre en oeuvre. Dans chaque département, il y a un préfet qui peut assurer cette proximité territoriale et faire la synthèse des difficultés spécifiques d'un département. Il est dommage de décider dans la précipitation.

Mme Pascale Gruny. - Vous avez dressé un constat plutôt positif de l'utilisation des fonds européens, en termes de taux d'engagement et de consommation. Toutefois, même si les marges d'amélioration sont faibles, elles existent, et ces retards sont préjudiciables pour les porteurs de projet, notamment dans la région Hauts-de-France que je connais bien. Il faut que l'égalité des territoires soit au coeur des préoccupations.

Les freins à l'utilisation des fonds européens sont, bien entendu, les contrôles. Ils peuvent être allégés par l'application de remboursements sur la base de coûts forfaitaires. L'autre problème est celui de la trésorerie. Prenons l'exemple du canal Seine-Nord : le blocage provient du cofinancement apporté par l'État. On ressent un besoin d'accompagnement des territoires pour bénéficier de cette manne des fonds européens.

Je m'associe au constat de mon collègue Benoît Huré sur la nécessité de présenter des études d'impact plus approfondies, et sur le besoin de garder une présence importante de l'État dans le pilotage des fonds européens. J'ai d'ailleurs présenté un rapport sur ce sujet lorsque j'étais députée européenne, et c'est la conclusion à laquelle j'étais arrivée.

M. Pierre Louault. - Je partage l'idée que l'État doit veiller à l'égalité des territoires dans le cadre de l'utilisation des fonds. Les régions qui ont pu bénéficier de ces fonds sont celles qui ont eu les moyens de mobiliser l'expertise nécessaire pour monter les dossiers, autrement dit les régions les plus aisées, et les métropoles.

M. Philippe Cichowlaz. - La politique de cohésion a été fortement remise en cause au début des années 2000, à la suite de la publication du rapport Sapir. Toutefois, elle a été sauvée grâce au fait que les grandes stratégies pour l'Union européenne, la stratégie de Lisbonne et de Göteborg, ont privilégié la compétitivité et l'innovation, d'une part, et le développement durable, d'autre part. L'idée de la politique de cohésion est de donner des chances à des territoires en les dynamisant, de se donner les moyens de la concurrence avec les États-Unis et la Chine, tout en respectant des principes de cohésion. Dans les pays intermédiaires ou plus développées, ces objectifs ont entraîné une concentration thématique dans les régions et territoires les plus dynamiques. Or, il est très difficile de favoriser les équilibres territoriaux lorsque l'on consacre une part importante de ces crédits à l'innovation et de la recherche. On peut souvent manquer de porteurs de projets potentiels dans les territoires les moins développés qui disposent pourtant de davantage de crédits. D'un côté, les allocations financières donnent des moyens conséquents pour les régions en décrochage, mais, en même temps, la nature des projets financés en matière de compétitivité favorise les régions les plus développés. Par ailleurs, les coûts de gestion de ces fonds sont élevés. Entre choisir trois priorités à financer, ou en choisir dix, les coûts de gestion ne sont pas les mêmes. On s'aperçoit par ailleurs que les taux de cofinancement européen ne sont pas utilisés à leur maximum : au lieu de mettre 50 % de FEDER sur un projet, vous allez parfois cofinancer deux projets à 25 %, mais cela coûte deux fois plus cher en coûts de gestion. Il y a un équilibre à trouver entre les choix politiques et les choix de gestion qui in fine doivent se rejoindre.

Jusqu'où peut-on également accompagner les porteurs de projets ? Il ne s'agit pas de ne plus accompagner les petits porteurs de projets, mais dans certains domaines d'intervention, les coûts de gestion sont trop élevés pour agir sans discernement. Les coûts de gestion d'un projet FEADER sont d'environ 5 000 euros ; or sur certains programmes LEADER, on trouve encore des exemples rares heureusement de projets situés entre 50 et 500 euros. Le coût d'instruction d'un projet FEDER est de 12 000 euros environ. L'équilibre à trouver est à mi-chemin entre le politique et la gestion, mais la gestion est devenue également un problème politique. Si le coût de gestion est trop élevé, l'autorité de gestion ne dispose plus de moyens suffisants pour animer un territoire et bien utiliser ces fonds. Sur le programme LEADER, il existe aujourd'hui 340 groupes d'action locale (GAL) en France. L'enveloppe du programme est de 680 millions d'euros, soit 280 000 euros par GAL et par an. Aide-t-on les territoires ruraux les plus en difficulté avec LEADER ? C'est une vraie question. Avec un nombre réduit de GAL, 50 par exemple, vous pouvez faire de la cohésion territoriale, mais avec 340 GAL, l'objectif n'est pas le même, il s'agit de l'animation de territoires ruraux, pas de cohésion territoriale à proprement parler compte-tenu de la faible intensité financière par habitant.

La question de l'échelle de l'intervention et de l'action publique se pose dans la gestion des fonds européens. Comment plaquer un modèle national sur des modèles régionaux qui ont leur propre légitimité ? Pour les quartiers prioritaires de la ville, certaines régions ont choisi de sélectionner 30 quartiers prioritaires, d'autres 3, les effets sont nécessairement différents. Il faut trouver le juste équilibre pour faire rentrer une dimension européenne soit dans un nombre limité de territoires, soit en ciblant davantage les priorités à financer. L'équation n'est pas simple.

M. Hugo Bevort. - Nous avons souhaité rectifier l'impression selon laquelle les fonds européens sont sous-utilisés, engendrée par les difficultés du programme LEADER. En dépit des difficultés rencontrées en début de programmation, ça ne marche pas si mal au regard du taux de programmation atteint. Pour autant, je ne voudrais pas délivrer un constat selon lequel la gestion des fonds européens fonctionne parfaitement. La promotion de l'égalité des territoires reste une nécessité. Nous plaidons aujourd'hui pour une meilleure concentration et pour des objectifs et stratégies définis. Nous regardons avec jalousie nos partenaires européens qui concentrent leurs crédits européens, par exemple sur l'innovation en Finlande, et qui font des fonds européens un axe de transformation du pays. En France, les fonds européens sont mobilisés sur tout type de politique publique. Notre stratégie, en accord avec les régions, consiste à confirmer le choix du Gouvernement d'une décentralisation de la gestion des fonds. Cela ne signifie pas que l'État disparaît. Les crédits européens sont l'occasion d'inventer un partenariat entre l'État et les régions qui échappe à cette opposition un peu stérile entre, d'une part, un État qui disparaît parce qu'il avait laissé la main aux régions, et des régions, d'autre part, qui auraient tout le pouvoir dans le pilotage. Nous arriverons à utiliser ces fonds de façon pertinente, à développer des leviers de transformation et de cohésion, et donc à assurer l'égalité des territoires, à la condition de travailler ensemble.

Par ailleurs, les difficultés évoquées de l'actuelle programmation résultent d'un démarrage compliqué, avec la désignation de nouveaux exécutifs et une phase d'apprentissage. Il ne faut pas refaire la même erreur en 2021. La qualité du partenariat entre l'État et les régions sera déterminante en la matière. La gestion des 27 milliards d'euros, peu ou prou, que nous recevrons lors de la future programmation, en 2021, dépend de ce que nous construisons aujourd'hui. Le temps européen est très lent et nécessite de se mobiliser maintenant pour engendrer des bénéfices politiques et sociaux dans plusieurs années. Nous avons la possibilité aujourd'hui de construire un partenariat fin, intelligent, et qui ne se traduit pas par un retrait de l'État.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que l'État devrait reprendre en mains la gestion des fonds européens. Vous avez posé les bonnes questions du débat, à savoir le degré de concentration thématique par rapport à la lutte contre les inégalités territoriales. L'histoire des fonds de la politique régionale nous rappelle que les axes prioritaires n'ont été définis qu'à partir des années 1990 ; auparavant, les États membres se partageaient les crédits de la politique de cohésion. Ces axes ont évolué au cours du temps, soulignant l'évolution de l'approche régionale au niveau européen. La difficulté de l'actuelle programmation tient aussi à des raisons structurelles avec la fusion des régions, mais aussi le renouvellement des exécutifs. Or, la mandature européenne viendra toujours percuter les mandats locaux.

Je partage votre constat sur le fait que la confirmation de la décentralisation ne veut pas dire que l'État est totalement absent. La clé de la réussite réside dans le fait d'être au plus proche des territoires. On n'a pas le droit de ne pas l'être, au regard des fractures territoriales qui existent aujourd'hui en France. Il suffit de relire La France périphérique de Christophe Guilluy, ou encore L'Archipel français de Jérôme Fourquet, pour bien comprendre la nécessité de revenir à cette proximité, à condition que celle-ci n'empêche pas une politique d'être efficace. Il faut questionner la place des territoires dans cette articulation de l'État et de l'Europe. La question de l'appropriation de l'Union européenne est centrale. L'émiettement des fonds européens sur l'ensemble des territoires permet, certes, de dire que l'Union européenne est présente partout. La concentration thématique ne doit pas, à l'inverse, oublier les territoires.

La réunion est close à 19h10.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.

Mercredi 19 juin 2019

- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 05.

Audition de M. David Le Bras, délégué général de l'Association des directeurs généraux des communautés de France, et Mme Katia Paulin, déléguée générale adjointe

Mme Laurence Harribey, présidente. - Notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de M. David Le Bras, délégué général de l'Association des directeurs généraux des communautés de France. M. Le Bras est accompagné de Mme Katia Paulin, déléguée générale adjointe.

L'Association des directeurs généraux des communautés de France a été créée en 1992. Cette date est intéressante, à la fois dans l'histoire française, mais aussi européenne. Votre association rassemble les directeurs généraux des communautés de communes, d'agglomération et urbaines. Elle cherche à faire émerger un mouvement unifié de professionnels de l'intercommunalité - elle compte aujourd'hui environ 1 000 cadres dirigeants - et à valoriser une vision constructive de l'intercommunalité de projet.

Dans un contexte marqué, depuis quelques années, par le transfert aux régions de l'autorité de gestion de la quasi-totalité des fonds européens, ainsi que par la fusion des régions, notre mission d'information s'interroge sur la place de l'intercommunalité. Quelles sont, notamment, les conséquences de ce transfert sur les structures intercommunales ? Les intercommunalités sont au coeur de ces problématiques. En effet, elles portent des projets de territoires. Or, les fonds européens visent justement à financer de tels projets. Nous souhaitons également connaître les difficultés que rencontrent les intercommunalités sur le terrain. 

Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteure, Colette Mélot, à vous poser des questions.

Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.

Mme Katia Paulin, déléguée générale adjointe de l'Association des directeurs généraux des communautés de France. - Madame la Présidente, permettez-moi d'apporter quelques précisions relatives à notre association. Nous représentons également les directeurs généraux des services des métropoles. Par ailleurs, il y a un peu plus d'un an, nous avons élargi nos statuts aux directeurs de territoires de projets : les directeurs de communes nouvelles, d'agences d'urbanisme, de pôles métropolitains, de pôles d'équilibre territorial et rural (PETR), de schémas de cohérence territoriale (SCOT) et de parcs naturels régionaux. 

M. David Le Bras, délégué général de l'Association des directeurs généraux des communautés de France. - Nous avons adressé votre questionnaire, lundi matin, à notre réseau d'un millier d'adhérents. Nous fonctionnons toujours selon cette méthodologie. En moins de 24 heures, nous avons reçu 44 réponses de directeurs généraux des services (DGS). Ce taux de réponse, dans un délai aussi court, est exceptionnel.

La note que je vous transmettrai sera la synthèse de ce que font remonter les directeurs généraux (DG) d'intercommunalité sur la sous-consommation des fonds européens. Objectivement, le terme qui m'a marqué dans une bonne moitié des contributions est celui de « mitigé ». On reconnaît la plus-value du transfert de la gestion des fonds aux régions, dans une logique de proximité. Il y a un ADN commun entre les intercommunalités, les régions et l'Europe. Les attentes étaient très nombreuses, et la déception est forte. J'ai procédé à une analyse sémantique. Après le mot « mitigé », celui qui revient le plus est « catastrophique ». Sur les 44 réponses recensées, j'ai eu très peu de réponses positives - 4 ou 5. 

Ont été notamment regrettés : des transferts inadaptés, un personnel manquant d'expertise, la temporalité et les retards dans les versements. En outre, on nous a beaucoup parlé des logiciels Osiris, Isis et Synergie comme frein à l'efficacité de gestion. Les directeurs généraux tempèrent en raison du contexte de fusion et d'extension du périmètre des régions. Ils considèrent par ailleurs qu'il y a eu une amélioration depuis un an. Les régions s'adaptent à cette responsabilité nouvelle. Toutefois, la gestion est encore perfectible. La consommation du programme LEADER est très faible. 

De manière synthétique, la gestion des fonds européens ne fonctionne pas suffisamment bien aujourd'hui. Mais, l'attitude des régions qui cherchent à améliorer leur technicité est jugée dans la majorité des cas positive. Pour les directeurs généraux d'intercommunalité, il est nécessaire de laisser aux régions encore un peu de temps. L'attitude est donc bienveillante. En 2023, à la fin de cette programmation, on pourra dresser un bilan plus exhaustif. 

De manière générale, les directeurs généraux d'intercommunalité partageaient les conclusions de la Cour des comptes : le transfert de l'autorité de gestion aux régions était mal anticipé et partiel. En outre, les processus sont beaucoup trop complexes. J'ai repris dans la note des verbatim de directeurs généraux d'intercommunalités décrivant clairement le cheminement d'un dossier une fois déposé, ainsi que les relations qu'ils entretiennent avec la région.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Vous avez eu 44 réponses, avec une tonalité mitigée. Quels territoires vous ont répondu ? S'agit-il de régions qui sont issues de fusion ou plutôt de régions dont le périmètre n'a pas évolué ? Les remontées venaient-elles plutôt de territoires ruraux ou urbains ? Enfin, peut-on penser que ceux qui n'ont pas répondu sont satisfaits de la gestion des fonds par les régions ? 

M. David Le Bras. - Il y a toujours un biais lorsque l'on procède à une consultation de nos adhérents. 

Mme Colette Mélot, rapporteure. - En effet, peuvent vous répondre seulement ceux qui ont des récriminations à partager...

M. David Le Bras. - Les 44 réponses proviennent de presque toutes les régions. Le discours de DGS bretons - la Bretagne n'a pas connu de modification de son périmètre - est beaucoup plus positif sur le travail régional. Certes, ils regrettent la complexité des processus, mais ils ont déjà des habitudes de travail avec les équipes en place. Les interlocuteurs n'ont pas changé, permettant une plus grande fluidité dans les transmissions des dossiers. Leur traitement est donc plus rapide. La fusion des régions a eu un réel impact sur l'efficacité régionale. 

Plusieurs directeurs généraux d'intercommunalités rurales nous indiquent ne pas disposer de l'ingénierie suffisante pour pouvoir répondre à une grande partie des appels à projets. Ils peuvent bénéficier de l'aide d'un pays ou d'un PETR. Dans le cas contraire, ils nous expliquent ne plus répondre à ces appels à projets. Certaines expériences sont intéressantes à ce sujet : ainsi, la métropole de Rouen met à disposition une partie de son ingénierie pour aider les territoires périphériques à répondre aux appels à projets. 

Les communautés d'agglomération disposent en interne de l'ingénierie nécessaire. Il est intéressant de constater, dans les remontées d'informations, la mise en place d'alliances de communautés d'agglomération, qui ne passe pas forcément par la création d'une structure ad hoc - un syndicat par exemple. Elles mutualisent leurs ingénieries pour répondre aux appels d'offres. 

Une vraie distinction existe cependant entre le rural et l'urbain. Pour des raisons d'ingénierie et de ressources, certains territoires ne peuvent plus répondre aux appels à projets. Enfin, certains territoires d'agglomération ne répondent que si le montant de l'aide versée est jugé suffisamment important. L'engagement nécessaire pour répondre est tel - notamment parce qu'il est parfois nécessaire de faire appel à un cabinet extérieur -, qu'il n'y a de rentabilité que si le montant obtenu est substantiel. 

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Que pensez-vous du recours à des prestataires extérieurs ? Comment sont-ils recrutés ? Quel est l'échelon le plus pertinent - région, département, intercommunalité - pour accompagner les porteurs de projet ? 

Mme Katia Paulin. - Du temps a été perdu en raison de la fusion des régions puis des élections régionales. Mais surtout, il n'y a pas eu une fusion des programmes opérationnels au sein d'une nouvelle grande région. Cela a posé un problème aux nouveaux exécutifs. 

M. David Le Bras. - Sur nos 44 réponses, quatre nous indiquent avoir fait appel à un soutien extérieur. Il s'agit de communautés d'agglomération. Les cabinets ont été recrutés sur des dossiers complexes ou lorsque la rédaction de la demande présentait une spécificité particulière. Dès lors, la collectivité a décidé de s'appuyer sur un cabinet spécialisé. Ces cabinets ont été recrutés via un marché public. Mais, au final, très peu de DGS nous ont indiqué recourir à un prestataire extérieur. Il s'agit d'ailleurs d'une des questions pour lesquelles nous avons obtenu le moins de retour. Les quatre intercommunalités ayant répondu par l'affirmative à cette question nous ont précisé qu'elles souhaitaient disposer d'une ingénierie en interne pour être plus réactives. Le recours à un prestataire externe était donc très ponctuel et porte sur des points bien précis. En outre, ces intercommunalités disposent de moyens financiers pour pouvoir recruter ces prestataires externes. Cela fait également partie des intercommunalités qui s'allient pour mutualiser les personnels travaillant sur ces sujets. Et comme précédemment, nous sommes plutôt dans des régions dont les périmètres n'ont pas évolué. 

Les régions où le transfert de l'autorité de gestion est jugé globalement le plus positivement sont la Bretagne, l'Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes.

Mme Katia Paulin. - L'intérêt de recourir à un cabinet externe serait pour les DGS d'intercommunalité plutôt en début de programmation afin de détecter les opportunités et de constituer et former les équipes.

M. Pierre Louault. - Avez-vous eu des retours concernant le suivi des dossiers et les délais de paiement ? 

M. David Le Bras. - Les délais moyens convergent vers deux ou trois ans. Ces délais sont très longs. Beaucoup de porteurs de projet n'ont pas les moyens de survivre pendant ce laps de temps. Des associations notamment mettent la clé sous la porte. Dans d'autres cas de figure, les régions vont compenser ces délais afin d'assurer la survie de telle association ou de telle microentreprise. Une intercommunalité nous a notamment indiqué gérer actuellement plus de 130 projets ; deux seulement avaient obtenu un versement effectif des fonds européens sur les trois dernières années.

M. Pierre Louault. - Disposez-vous des délais d'instruction et de réponse, entre le moment où l'intercommunalité dépose un dossier et la réponse définitive d'acceptation ? 

Mme Katia Paulin. - Le délai moyen de réponse est de dix-huit mois. 

M. David Le Bras. - Des expériences de projets transfrontaliers sont relatées, permettant de disposer d'éléments de comparaison internationale. Ainsi, dans un projet avec l'Espagne, le délai d'instruction a été de six mois de l'autre côté des Pyrénées. Pourquoi cela prend-il autant de temps en France ?

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Est-ce parce que l'on travaille différemment dans ces pays ?

Mme Katia Paulin. - Nous disposons de quelques éléments de réponse pour le Royaume-Uni. Ce pays consomme tous ses crédits, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, contrairement à la France, il n'y a pas d'empilement administratif. Par ailleurs, il adopte une position de principe en n'ajoutant pas de règles à celles imposées par l'Union européenne. La réglementation britannique reste à un niveau de généralités, d'énoncés des principes, sans ajouter de normes nationales.

M. David Le Bras. - Nous avons eu une réponse très intéressante d'une intercommunalité située en Bourgogne-Franche-Comté. Elle montre comment la région a complexifié la réglementation. Les directeurs généraux nous indiquent que cette complexification s'est faite dans un souci de protection. La région veut absolument tout contrôler afin de ne pas être pénalisée lors de l'audit.

Mme Annick Billon. - Hier, lors des auditions, le contraire nous a été indiqué. On nous a notamment dit que la France n'appliquait stricto sensu que ce que demandait l'Europe. La règle était la même quels que soient les pays de l'Union européenne, et les contrôles sont les mêmes quels que soient les montants. Or, le discours que vous tenez est tout autre.

M. Pierre Louault. - Les règles identiques sont au niveau européen.

Mme Annick Billon. - Je ne vois pas comment la région peut réussir à complexifier les règles. En outre, cela signifie que la complexification est plus ou moins importante selon les régions. Or, les régions sont pilotées par des élus qui se plaignent de la surtransposition et des contraintes normatives. Je ne vois pas comment des élus régionaux de leur plein gré complexifient les procédures.

Mme Katia Paulin. - Les directeurs généraux d'intercommunalité nous indiquent qu'à chaque strate, à chaque niveau de décision, des normes sont ajoutées.

Mme Annick Billon. - En fonction de la taille de l'intercommunalité, certains projets sont-ils mieux portés en raison de la présence de compétences en interne ? Nous sommes en effet passés d'intercommunalités de petite taille à des intercommunalités de grande taille avec la présence d'une ingénierie. La taille influence-t-elle sur le taux de réussite du projet ?

M. David Le Bras. - Nous avons évoqué précédemment la fusion des régions. Cette dernière a impacté la prise de responsabilité des nouvelles régions et l'efficience dans le traitement des dossiers. On nous dit la même chose pour les intercommunalités. Celles qui ont fusionné ont eu besoin - et ont toujours besoin - d'un laps de temps d'adaptation. Elles sont aujourd'hui moins efficaces. Les directeurs généraux de grandes intercommunalités ayant récemment fusionné nous le disent. Ils doivent davantage manager l'ingénierie. On a fusionné des territoires ayant leurs propres cellules. Il faut recréer une culture commune. On pourrait penser de prime abord que la fusion engendre une ingénierie plus performante. Sur le terrain, il apparaît que ce n'est pas forcément le cas aujourd'hui.

Plusieurs directeurs généraux d'intercommunalité nous expliquent que la région a complexifié, par exemple, la norme européenne sur les équivalents de subventions brutes et sur les prêts à taux zéro. La région adopte toujours la position la plus dure, alors qu'elle pourrait faire preuve de plus de souplesse dans l'interprétation du droit européen.

Mme Annick Billon. - L'objectif du directeur général de région est que la mission réussisse. Or, il participe à complexifier le système. Je ne vois pas comment, en pleine conscience, les élus régionaux, leurs directeurs généraux, et de manière générale toute la chaîne décisionnaire, décident de complexifier la réglementation applicable. Un directeur général a également un rôle de conseil auprès des élus pour lesquels il travaille.

M. David Le Bras. - Il faudrait interroger les DGS de région. Les retours dont je vous fais part ici sont ceux des DGS d'intercommunalité.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Monsieur Le Bras a indiqué de manière intéressante que les régions cherchent à se protéger. Tant que l'État était instructeur des dossiers et autorité de gestion, c'est lui qui portait la responsabilité. En effet, l'autorité de gestion doit rendre des comptes à la Commission européenne, et éventuellement rembourser des crédits mal utilisés. L'État disposait d'une possibilité d'amortisseur plus importante que les régions en cas de sanctions. Pour les régions, il s'agit d'une responsabilité nouvelle. En Nouvelle-Aquitaine, les fonds européens représentent 2,5 milliards d'euros, soit une année budgétaire supplémentaire. En cas de problème sur des projets importants, cela pourrait représenter un risque budgétaire significatif. D'où cette volonté de se protéger.

Vous avez indiqué que chaque strate rajoute sa norme. Nous devons creuser cet aspect.

M. Pierre Louault. - À mon avis, l'une des raisons de mettre en place des règles rigoureuses au départ est de pouvoir subventionner de gros projets régionaux en fin de programmation. L'État faisait de même. Les vieilles habitudes ont la vie dure. Cette pratique avait été dénoncée par l'Union européenne car l'État faisait de la subsidiarité au lieu de faire de la complémentarité. La France avait même été condamnée pour cela.

Mme Annick Billon. - Certains projets sont éligibles. Je ne vois pas de quoi veut se prémunir la région.

M. Pierre Louault. - L'administration aime les complexifications.

Mme Annick Billon. - Aujourd'hui, dans la mesure où l'on connaît la liste des projets éligibles, n'est-il pas plus simple de respecter une telle liste, plutôt que de proposer de très nombreux projets, avec peu de chances de succès ?

Mme Laurence Harribey, présidente. - L'audition du commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), hier, a permis d'illustrer les questions que se posent les régions et leur volonté de se protéger face à des incertitudes. Ainsi, en termes de marché public, qu'est-ce qu'une aide publique au sens communautaire ? Jusqu'où va la contrepartie ? À partir de quand commence l'aide ? Ce sont des questions que se posent les régions. De même pour le Fonds social européen (FSE), est-il nécessaire de faire signer et contresigner des listes de présence, pour un seul stagiaire ?

M. David Le Bras. - De nombreux directeurs généraux d'intercommunalité s'interrogent sur la façon dont sont définis les critères d'éligibilité. Selon eux, il y a un défaut de transparence sur les critères initiaux permettant de savoir si un projet pourra être sélectionné. Ce sentiment est récurrent. En outre, il existe un problème plus global : les régions se cherchent. Il existe une entente historique entre les régions et les intercommunalités. Les intercommunalités et les directeurs généraux, relatant les propos de leurs élus, nous disent que la région n'assume pas un véritable leadership. La région pilote par les normes, par la définition de critères. Les appels à projets sont à sens unique. Les intercommunalités ne contribuent donc pas à la co-construction des règles d'éligibilité, ce qu'elles regrettent. Ce point dépasse d'ailleurs largement la seule question des fonds européens.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Est-ce que l'on retrouve cette problématique dans toutes les régions, qu'elles soient ou non issues de fusion ?

M. David Le Bras. - Les régions qui n'ont pas fusionné fonctionnent un peu mieux. Cela se passe relativement bien en Bretagne. J'ai également le sentiment qu'il en est de même dans le Centre-Val de Loire. Il est vrai que la fusion a ajouté de la complexité. Mais, dans toutes les régions, on constate un changement de posture.

Mme Katia Paulin. - La région n'assure pas son rôle d'animateur sur le terrain.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - La situation est-elle différente en Ile-de-France par rapport aux autres régions qui n'ont pas fusionné ?

M. David Le Bras. - La région Ile-de-France se caractérise par les rapports entre la métropole et la région, ainsi qu'entre les établissements publics territoriaux, la métropole et la région. Le jeu institutionnel et le jeu d'acteurs complexifient le lien entre ces trois strates institutionnelles. Intrinsèquement, il n'y a pas de raisons qu'il y ait des difficultés. Mais le jeu d'acteur est tellement complexe, et il y a tellement d'enjeux, que cela entraîne des blocages sur le terrain.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - L'association que vous dirigez a-t-elle un rôle de conseil ? Pouvez-vous apporter à vos adhérents un guide de bonnes pratiques et les aider ? Ce sujet paraît beaucoup préoccuper les directeurs généraux.

M. David Le Bras. - Comme je l'ai dit initialement, nous avons été très surpris du taux de réponse. D'ailleurs, nous continuons à recevoir des réponses.

Nous avons une plateforme collaborative. Tous les directeurs généraux de notre association peuvent se connecter et déposer des questions, ou faire part de leurs problèmes. La communauté répond. Nous avons une rubrique sur l'Europe, où ont lieu des échanges sur les fonds européens : les délais, les pièces à fournir, les devis, etc.

Nous n'avons pas publié de guide. Toutefois, c'est potentiellement envisageable. Objectivement, c'est grâce à cette audition que nous nous sommes aperçus de l'importance de ce sujet. Cela nous a interrogés et nous en avons discuté avec notre président hier, afin d'être plus présents sur ces questions.

Mme Pascale Gruny. - Hier, le CGET nous a indiqué que 70 % des fonds européens étaient consommés. Nous étions ainsi dans la moyenne européenne. Qu'en est-il des 30 % restants ? Pourquoi n'arrive-t-on pas à aller plus loin ? Nous comprenons dans vos propos qu'il existe de nombreux freins. Avez-vous connaissance des projets auxquels les collectivités ont renoncé ? Y a-t-il des types de projets particuliers ? Ce taux de renonciation est-il élevé ? Vous avez évoqué les associations. Le frein principal est l'avance de trésorerie, ainsi que le cofinancement. Pouvez-vous nous donner un ressenti ou des éléments plus factuels sur ces points ?

M. David Le Bras. - Nous avons des cas de figure où des directeurs généraux nous disent avoir arrêté un projet car la difficulté ou les délais étaient tels que cela prenait trop temps ou coûtait trop cher. Le projet a été mené autrement, en sollicitant d'autres fonds, en cherchant des alliances avec d'autres territoires. Si le projet est vraiment important, on s'efforce de trouver des solutions. La note mentionne un certain nombre de projets qui ont été abandonnés, notamment en matière culturelle, ou encore un projet de maison médicale qui n'a pas abouti en raison des délais.

Mme Katia Paulin. - Cela concerne également les acteurs privés. Nous avons un exemple de projet qui a été arrêté, en raison de la cessation d'activité d'une plateforme logistique de produits bio.

Mme Cécile Cukierman. - Vous avez fait référence au ressenti de certains élus, vis-à-vis de décisions régionales trop verticales et « descendantes », ainsi qu'à leur volonté d'être plus associés et de mettre en place une meilleure co-élaboration des cahiers des charges et des procédures. Cette problématique n'est pas limitée aux seuls fonds européens. Cette co-construction permettrait-elle, en toute objectivité, et au-delà de l'implication politique, une plus grande efficacité quant à la consommation des fonds européens ?

Est-il possible de procéder à une analyse qualitative, sur un certain nombre de projets, permettant de mettre en avant que la lourdeur de la procédure, le délai excessif pour l'obtention des fonds européens est la raison de l'échec de ce projet ? Ou bien, ce projet était-il fragile dès le départ, et n'aurait de toute façon jamais vu le jour ? Tous les fonds européens n'ont pas pour objectif d'être là en accompagnement d'urgence et de sauvegarde ou de réalisation de tel ou tel projet. Cela rejoint le débat que nous avons eu hier sur la manière dont nous percevons l'utilisation des fonds européens en France. Ces fonds doivent-ils servir à des politiques structurantes, avec de véritables effets de levier ? Dans cette perspective, le fait de souffrir de délais importants rendant nécessaire un avancement de trésorerie est moins handicapant. Au contraire, les fonds européens doivent-ils être considérés comme un fonds public existant parmi d'autres ? Il serait intéressant de disposer, sur un ou deux cas, d'une étude qualitative sur les raisons de l'échec d'un projet.

Je me souviens d'un projet que j'ai fait en lien avec la mission locale. Cette dernière a touché une subvention du FSE au bout d'un an et demi ou deux ans. Elle a obtenu 150 000 francs à l'époque. Si on a fait ce projet, c'est parce que nous avions les reins suffisamment solides. Aujourd'hui, dix ou quinze ans après, je me dis que si nous n'avions pas eu les fonds nous aurions quand même mené à terme ce projet. Ces fonds m'ont-ils amené plus de soucis que d'autres sources de financement ? Je le pense, si on compare la somme touchée aux avances de trésorerie nécessaires et aux difficultés rencontrées.

Mme Katia Paulin. - Il y a une multiplicité d'acteurs pour le FSE. Il y a au minimum quatre acteurs, en allant parfois à 7 ou 8. Il est donc normal que cela prenne du temps. En revanche, les directeurs généraux des intercommunalités sont étonnés des délais pour les autres fonds, maintenant qu'il existe un seul guichet - la région.

M. David Le Bras. - Aujourd'hui, les directeurs généraux et les élus intercommunaux nous indiquent que l'on ne peut pas avoir le même traitement pour tous les territoires. Il est donc nécessaire de travailler avec la région avant de développer du sur-mesure adapté à chaque intercommunalité. Bien évidemment, c'est très compliqué à mettre en place. En effet, dans les grandes régions, il y a entre 100 et 150 intercommunalités.

Les directeurs généraux nous indiquaient pouvoir obtenir des financements, mais pour des projets inutiles pour leurs territoires. Ils savaient ainsi que la région abondait des fonds sur certains thèmes, la filière bois par exemple. Or, cela ne les intéressait pas, donc ils n'ont pas candidaté. En revanche, ils avaient des besoins sur d'autres thèmes pour lesquels il n'y a pas eu d'appels à candidature.

Vos propos relatifs aux projets structurants sont justes. Je ne pense pas que tous les projets aient vocation à être financés par les fonds européens. Il faut se recentrer sur les projets structurants et qui contribuent au développement des territoires. Il existe de très nombreux micro-projets. Je peux vous citer un exemple : un financement pour une manifestation culturelle. L'intercommunalité voulait faire venir un chanteur. La région lui a demandé un devis. En outre, l'intercommunalité a été contrainte de demander un devis à un autre chanteur. Au final, la manifestation n'a pas lieu car cela était trop compliqué.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Cette réflexion sur une utilisation des fonds européens pour financer tout type de projets est particulièrement importante pour le programme LEADER. La raison même de ce programme est la lutte contre la désertification des territoires reculés. Au départ, il s'agissait d'une initiative communautaire qui est ensuite devenue un programme. Les territoires posent leurs candidatures au programme LEADER. Un cahier des charges est rédigé aujourd'hui par la région - autrefois par l'État, voire par l'Union européenne directement. Il faut être cohérent avec les attendus des fonds. Le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le FSE sont des fonds structurels. Le programme LEADER est un programme financé par les fonds du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Nous devrons faire une distinction entre ces différents fonds. Deux enjeux différents doivent être pris en compte : d'une part, porter des projets structurants pour les territoires, d'autre part permettre aux territoires de s'approprier l'Union européenne. Or, ce deuxième point ne peut pas se faire uniquement via les grands programmes numériques, ou d'infrastructures.

Nous vous avons interrogés sur la coopération territoriale. On dit souvent en France que la coopération territoriale est le parent pauvre des fonds européens et de la dimension européenne. On considère ainsi l'Europe comme un guichet supplémentaire, comme des fonds publics comme les autres. Vous avez indiqué que les choses se passaient relativement bien en Bretagne ou en Occitanie. Or, ce sont des territoires où il existe des programmes avancés de coopération territoriale.

M. David Le Bras. - Cela fait également partie des questions pour lesquelles nous avons eu très peu de réponses. Nous avons un exemple, en région Occitanie, de coopération transfrontalière avec l'Espagne. Le directeur général de l'intercommunalité indique avoir participé au même projet que les Espagnols. Ces derniers ont déjà été payés depuis un certain temps maintenant, alors que l'intercommunalité française ne l'est toujours pas.

Mme Katia Paulin. - Sur le même projet, 70 % des versements ont été effectués côté espagnol, contre 4 % en France.

Mme Cécile Cukierman. - Peut-être vais-je me faire l'avocat du diable afin d'essayer de comprendre ce retard, mais n'y a-t-il pas aussi de la part des instructeurs, au niveau européen, l'idée de se dire que la France peut attendre un petit peu avant de recevoir le paiement ? En effet, le dossier est le même. Ce n'est pas une question de projet, de normes, etc.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Un élément de réponse réside dans le fait que l'instructeur du dossier n'est pas européen.

Chez les Espagnols, la dimension européenne est utilisée comme un levier. Dans la tradition française, nous utilisons les fonds européens comme un guichet supplémentaire. Sur certains programmes, la France a fait de la subsidiarité. Nous avons également constaté pour un certain nombre de projets que le désengagement de l'État a été compensé par des subventions européennes. A contrario, j'ai vu des pratiques régionales où il a été décidé de limiter le cofinancement européen à 20 % afin de pouvoir y mettre du cofinancement étatique. Les fonds structurels et leur valeur ajoutée ne sont pas mis en exergue.

M. David Le Bras. - En Auvergne-Rhône-Alpes, un directeur général d'intercommunalité nous explique que la sous-mesure 19-3 du programme LEADER du programme de développement rural de l'ancienne région Rhône-Alpes prévoyait une aide à la préparation et la mise en oeuvre d'activités en matière de coopération. Cette ligne n'est plus soutenue par la nouvelle région qui priorise désormais la mesure 19-2 : l'aide à la préparation et à la mise en oeuvre dans le cadre de la stratégie locale de développement. L'agglomération ne peut obtenir des fonds car la ligne du programme correspondant à son projet n'est plus ouverte.

Mme Katia Paulin. - En matière d'ingénierie, nous avons l'exemple du Grand Angoulême qui souhaitait aider les territoires voisins. La région n'a pas accepté de mettre à disposition son ingénierie.

M. Jean-Yves Roux. - Pensez-vous que la future Agence nationale de cohésion des territoires puisse accompagner les territoires par de l'ingénierie et les aider à monter les dossiers ? Ce projet a été proposé par l'ancien ministre Jacques Mézard afin d'accompagner les communes.

Mme Katia Paulin. - Comme la DATAR ?

M. David Le Bras. - Idéalement, ce serait bien. Mais je pense qu'il y a un manque de pensée territoriale au sein de cette agence. Nous n'arrivons pas à discerner la stratégie qu'elle va adopter. Pour rappel, la DATAR permettait à l'État de développer une vision pour les territoires.

Je ne suis pas sûr que la future Agence soit suffisamment dotée en ingénierie pour pouvoir faire un accompagnement des territoires. Au mieux, ce sera un observatoire.

Mme Cécile Cukierman. - À mon avis, il ne faut pas non plus faire preuve d'angélisme sur la période de la DATAR. Mais, il est vrai que la gestion régionale des fonds européens fait peser davantage les orientations politiques de l'autorité gestionnaire sur les programmes ouverts. J'ai l'impression que l'on ressent davantage les bascules politiques sur un territoire régional qu'au niveau national.

M. David Le Bras. - Paradoxalement, certains directeurs généraux expriment le besoin d'une plus grande verticalité. Afin d'éviter que la couleur politique de l'autorité de gestion puisse influencer l'attribution des fonds, ils appellent à l'instauration de quelques règles partagées sur l'ensemble du territoire.

La réunion est close à 16h00.

- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 35.

Audition de MM. Jules Nyssen, délégué général de Régions de France, Pascal Gruselle, conseiller Europe, et Mme Julie Gourden, conseillère Europe et contractualisation

Mme Laurence Harribey, présidente. - Mes chers collègues, notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de M. Jules Nyssen, délégué général de Régions de France. M. Nyssen est accompagné de Mme Julie Gourden, conseillère Europe et contractualisation, et M. Pascal Gruselle, conseiller Europe.

Régions de France, présidée par le président du conseil régional de Normandie, Hervé Morin, et anciennement dénommée Association des régions de France, a été créée en 1998 pour répondre au besoin de concertation étroite ressenti par les présidents de conseil régional, les élus et leurs services. Ceux-ci ont souhaité mettre en commun les expériences vécues dans les régions. Régions de France regroupe 19 membres, soit 12 régions métropolitaines et 7 collectivités d'outremer.

Depuis 2012, les régions travaillent étroitement avec les services de l'État pour mener à bien le transfert de l'autoritéì de gestion des fonds européens. Elles oeuvrent avec la Commission européenne et de nombreux acteurs régionaux et nationaux pour assurer une bonne mise en oeuvre des programmes dont elles ont la charge pour contribuer au développement des territoires. Je rappelle que, pour la programmation 2014-2020, les régions gèrent 20,6 milliards d'euros, soit 77 % de l'enveloppe des fonds européens structurels et d'investissement (FESI) attribuée à la France.

En effet, les régions sont désormais autorités de gestion de la quasi-totalitéì du Fonds européen de développement régional (FEDER), soit 8,2 milliards d'euros, d'un tiers du Fonds social européen (FSE), soit 1,96 milliard d'euros, et de la quasi-totalitéì du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), soit 10,3 milliards d'euros. Elles sont aussi autorités de gestion déléguées de 30 % du Fonds européen pour les affaires maritimes et de la pêche (FEAMP), soit 180 millions d'euros. Enfin, elles sont également impliquées dans les programmes de coopération territoriale européenne soutenus par le FEDER.

Notre mission d'information souhaite dresser un bilan de l'utilisation des fonds européens dans notre pays. Quelle est votre appréciation du transfert de leur gestion aux régions ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées ? Les moyens nécessaires ont-ils été accordés aux régions ? Ce transfert de gestion est-il complet ? La situation est-elle différenciée selon les régions, y compris en outremer ? La situation de notre pays est-elle vraiment caractérisée par une sous-utilisation chronique des fonds européens ou l'analyse est-elle à nuancer ? Les premières auditions que nous avons menées tendent plutôt à nuancer le ressenti des territoires. Par ailleurs, quelle appréciation portez-vous sur les propositions de la Commission sur le prochain cadre financier pluriannuel ? Comment pourrait-on améliorer la gestion des fonds européens ? Voici quelques-unes des questions qui intéressent notre mission d'information.

Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteure, Colette Mélot, à vous poser des questions.

Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.

M. Jules Nyssen, délégué général de Régions de France. - Cette audition est l'occasion d'apporter un certain nombre d'explications et d'avoir une discussion de fond sur ce sujet. Je souhaite préciser que la région des Hauts-de-France ne fait plus partie de notre association, ce que nous regrettons. Par ailleurs, cinq régions et départements de l'article 73 sont membres ; Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon sont membres associés.

Comme vous l'avez dit, l'intitulé de la mission apparaît excessif et renvoie à une image un peu négative que l'on se donne tous de l'utilisation des fonds et d'une incapacité collective à les gérer. Nous prenons à coeur ce sujet. En effet, le transfert de la gestion des fonds est une compétence que les régions souhaitaient avoir depuis longtemps. Elles en disposent depuis le début de cette programmation et veulent bien faire. Les ressentis négatifs des territoires nous poussent à être plus performants.

Le programme LEADER a fait l'objet d'une forte médiatisation conduisant à cette vision négative sur l'utilisation des FESI. Son organisation complexe et opaque a également contribué à alimenter les critiques. Or, ramené aux montants, le programme LEADER représente moins de 2,5 % de l'ensemble des FESI en France.

Comme ce programme, financé par le FEADER, touche des programmes d'aménagement du territoire et de développement rural, une forme d'incompréhension se développe sur l'utilisation finale de ces dispositifs. Vous m'avez interrogé sur la capacité de la France à consommer l'ensemble des crédits alloués. Nous y arriverons, y compris pour ce fonds.

Le transfert de la compétence de gestion des fonds aux régions a été décidé in extremis, eu égard aux délais de négociation avec la Commission européenne et au temps nécessaire en France pour réorganiser la répartition des rôles. Certes, l'ex-région Alsace avait expérimenté la gestion du FEDER et la collectivité de Corse disposait également d'une compétence expérimentale sur le FEADER. Mais la généralisation de ce transfert a nécessité une montée en compétences au sein des régions, qui a pris du temps, ainsi que des négociations avec de nombreux partenaires, comme la Caisse des dépôts - laquelle au final a fait marche arrière. Les règles de gestion des programmes européens sont très différentes du mode habituel de gestion d'une collectivité territoriale. Elles ont ainsi été difficiles à intégrer par les partenaires classiques des régions, y compris par les services déconcentrés de l'État.

En outre, ce transfert s'est effectué à l'occasion d'une nouvelle programmation et donc d'un nouveau règlement, non comparable au règlement de la programmation précédente. Un certain nombre d'opérations ont été exclues, des complexités ont été introduites en matière de critères d'éligibilité par exemple. Ainsi, le décret définissant les dépenses éligibles a été pris très tardivement. Cela a contribué à la complexité existante. En outre, se sont ajoutés des problèmes techniques. Le règlement établissant les dépenses éligibles au titre du FEDER est plus précis que le précédent ; nous sommes donc confrontés aux aléas techniques de la mise en oeuvre de projets souvent de taille modeste. Ces projets se gèrent de manière très différente d'un gros programme d'infrastructures, qui est plus visible et mobilise tout de suite des masses plus importantes.

Enfin, la question institutionnelle ne doit pas être écartée. La compétence a été transférée aux régions peu de temps avant que la loi ne décide d'organiser la fusion de celles-ci. Pour beaucoup d'entre elles, il a fallu aborder les deux chantiers en parallèle. Je rappelle que les programmes opérationnels sont restés disjoints. Une région comme la Nouvelle-Aquitaine ou Grand-Est ont géré trois programmes opérationnels par fonds. Dans ces conditions, auxquelles s'ajoutent des problèmes de moyens humains, il est compliqué de procéder à une harmonisation des systèmes d'information. L'ensemble de ces informations permettent d'éclairer le contexte dans lequel nous opérons.

Il ne nous semble pas que la France soit particulièrement en retard. Certes, notre pays, en fonction des critères d'analyse, peut se retrouver assez bas dans les classements. Nous assumons collectivement ce fait. Mais il faut également ne pas perdre de vue que tous les pays membres ne se voient pas appliquer les mêmes règles d'intervention. Ainsi, les pays d'Europe de l'Est bénéficient de possibilités de financement sur des projets d'infrastructures. Cela explique leurs taux très élevés d'engagement. Il est donc nécessaire de prendre avec un certain recul ces comparaisons internationales. Certes, nous ne devons pas nous satisfaire de la situation, mais, sur la base des éléments dont nous disposons, nous ne sommes ni en avance, ni en retard par rapport à ce qui se faisait au cours des programmations précédentes.

Par ailleurs, on parle de la période 2014-2020 comme période de programmation. Or, la période à prendre en considération débute à partir du moment où les programmes ont été arrêtés et prend fin au moment où l'on ne pourra plus utiliser ces crédits. Cette période court pour le FEDER et le FSE de 2015 à 2023, et pour le FEADER de 2016 à 2023. Il nous reste ainsi les 5/9e du calendrier pour le FEDER et le FSE, et les 5/8e du calendrier pour le FEADER, alors que les taux d'engagement sont déjà respectivement à 73 %, 78 % et 63 %. Nous n'avons donc pas d'inquiétudes particulières.

Mais, derrière ces chiffres qui corrigent la vision négative que l'on peut avoir, se cachent des difficultés, notamment sur la mise en paiement de ces aides. Nous savons d'ailleurs que l'on ne pourra pas engager des crédits jusqu'en décembre 2023. L'engagement des dépenses se fera jusqu'à la fin de l'année 2022 et l'on aura l'année 2023 pour finir de liquider l'ensemble des paiements.

Systématiquement, et il en est de même pour les contrats de plan État-régions, on constate une montée en puissance non linéaire. La phase de démarrage est un peu lente, puis il y a ensuite une montée en volume importante. Sans rien négliger des difficultés qui peuvent exister, nous ne sommes pas inquiets sur la capacité des régions à exécuter globalement la totalité de la programmation.

Je souhaite préciser un élément de vocabulaire. On regroupe parfois deux notions différentes sous le terme « programmation ». Normalement, la programmation recouvre le programme établi sur l'ensemble de la période. On devrait parler de taux d'engagement, qui est la part de programmation engagée puis payée. Mais, dans les chiffres du Commissariat général à l'égalité des territoires, le terme « programmation » est utilisé à la place « d'engagement ». Lorsque l'on parle de pourcentage, on parle forcément du taux de réalisation de l'engagement de la maquette telle qu'imaginée au départ.

Il nous faut agir. De nombreuses initiatives sont en train d'être prises afin de voir comment re-flécher des crédits et réallouer les moyens entre les projets. En Centre-Val de Loire, un important projet d'infrastructures ferroviaires a été abandonné. Cela a réaffecté les crédits sur d'autres sujets ; et donc pousse la région à repenser et remobiliser tel ou tel projet. En outre, toutes les régions travaillent à capitaliser l'expérience acquise afin de préparer la prochaine programmation dans les meilleures conditions possibles.

Nous souhaitons que la prochaine programmation se fasse en cohérence avec les prochains contrats de plan État-régions. Nous avons une réunion avec le Premier ministre la semaine prochaine, au cours de laquelle devrait nous être confirmé, qu'à l'exception des infrastructures de transport, qui ne sont pas éligibles aux fonds européens, les contrats de plan État-régions devraient être renégociés sur le même calendrier que la prochaine programmation. Ce point est important. En effet, cela va permettre de caler les deux instruments sur les mêmes calendriers.

Les régions étant maintenant fusionnées, il n'y aura plus qu'un programme opérationnel par région. Cela va en réduire le nombre de manière conséquente, leur donnera plus de cohérence et les rendra plus visibles.

Reste néanmoins un souci pour le FEADER, également présent, mais dans une moindre mesure, pour le FEDER, et de manière marginale pour le FSE : la bonne articulation avec les responsabilités restant à l'État. Il faut éviter que les responsabilités ne se superposent. Elles doivent être clairement réparties afin d'optimiser les moyens à disposition pour l'exécution de ces fonds. Cette répartition doit également être lisible pour les porteurs de projets.

Les régions souhaitent que la prochaine programmation soit engagée avec le plus de simplification possible. Très souvent, nous accusons les règlements européens d'être lourds et complexes. Ce n'est pas faux. Mais ils sont aussi issus d'une conception anglo-saxonne de l'administration publique. Or, nous les transposons dans notre culture administrative, avec un souci de sécurisation maximale des gestionnaires des fonds. Cela ajoute de la complexité à la complexité. Lorsque les régions ont eu cette responsabilité, elles ont eu le souci de ne pas commettre d'erreurs. Elles ont ainsi sécurisé au maximum les procédures. Aujourd'hui, des degrés de liberté peuvent être mis en place afin de simplifier la chaîne le plus possible.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - L'intitulé de notre mission fait référence aux regrets exprimés par les territoires sur l'utilisation de ces fonds. Il s'agit surtout des crédits LEADER. De nombreux territoires ruraux se sentent en difficulté. Cette mission doit nous permettre de faire le point sur la situation et de faire un certain nombre de préconisations.

Vous avez indiqué que tous les États membres ne sont pas soumis aux mêmes règlements. Pouvez-vous revenir sur ce point ? Il existe un règlement européen. Y a-t-il surtransposition en France ?

M. Jules Nyssen. - Toutes les régions des États membres ne sont pas classées dans les mêmes catégories. Il existe des objectifs de rattrapage importants. Les matières éligibles au financement européen ne sont donc pas de la même nature. Cela ne nous pose aucun problème. Il nous paraît même légitime que ce rattrapage soit mis en oeuvre. Cependant, dans ces conditions, il paraît difficile de comparer des chiffres, alors que les critères d'éligibilité sont différents.

M. Pascal Gruselle, conseiller Europe. - Les régions sont classées en différentes catégories. Certes, il existe un corpus commun s'appliquant à l'ensemble des régions. Mais, ensuite, des spécificités s'appliquent en fonction des catégories de régions. Cela rend difficilement comparables les régions. Nous connaissons cela en France entre les régions métropolitaines et les régions d'outre-mer. Même au sein des régions métropolitaines, nous avons la distinction entre les régions les plus développées et celles en transition. La nature même des interventions est différente. On ne peut pas financer les mêmes dépenses, les modalités opérationnelles varient, par exemple sur les taux de cofinancement ou la concentration thématique. Cela se répercute dans la mise en oeuvre et la programmation. On observe traditionnellement, en France, un décalage entre les régions de métropole et les régions d'outre-mer. En effet, la nature même des interventions dans ces dernières est plus spécifique. Les interventions peuvent se faire sur des projets d'infrastructures, avec des conséquences en matière de marchés publics. Cela explique pourquoi, souvent, la consommation des crédits commence un peu plus tard dans les régions d'outre-mer. Mais, ensuite, on constate un rattrapage.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Comment chaque région procède-t-elle pour informer les bénéficiaires des aides qui sont éligibles ou non ?

M. Jules Nyssen. - Le rôle de l'autorité de gestion est de faire la clarté vis-à-vis des bénéficiaires, de la finalisation du programme opérationnel à l'information des bénéficiaires, en passant par l'accompagnement des porteurs de projets. Il ne s'agit pas simplement d'une responsabilité administrative de gestion des crédits.

Mme Julie Gourden, conseillère Europe et contractualisation. - Le partenariat est au coeur de la mise en oeuvre de ces fonds. Les autorités de gestion en France, l'État puis les régions, ont intégré cette dimension partenariale dans la conception du programme et la prise de décisions. Actuellement, les régions se concertent avec leurs partenaires sur les territoires pour la prochaine programmation. Elles identifient les besoins et proposent des orientations. Une fois que ces dernières sont prises, une animation technique se met en place : des conférences thématiques, fonds par fonds, précisant ce qu'il est possible de financer avec tel fonds, le fonctionnement de celui-ci, le calendrier, le lancement de l'appel à projets.

Ces étapes s'effectuent en respectant des règles de transparence et de publicité prévues par le règlement européen. Si les autorités de gestion ne s'y conforment pas, les autorités d'audit peuvent être amenées à leur rappeler leurs obligations.

Les candidats déposent ensuite un dossier pour bénéficier d'un financement européen, et après avoir collecté un certain nombre de dossiers, un comité partenarial est réuni.

M. Jules Nyssen. - La démarche partenariale constitue l'intérêt de la décentralisation de la gestion de ces fonds. La région peut co-construire avec le territoire les caractéristiques du programme et elle devrait le faire d'autant mieux pour la prochaine programmation, si on ne prend pas trop de retard. Les élus régionaux ont cette responsabilité désormais.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Au regard de la lourdeur de la procédure que vous venez de décrire, estimez-vous que les régions disposent du personnel nécessaire pour l'assurer ?

M. Jules Nyssen. - Les transferts n'ont pas été suffisants, mais le constat est variable selon les fonds. Sur le FEADER, il n'y a pas eu de transferts et ça s'est mal passé ; les services déconcentrés de l'État se sont vues délégués certaines tâches. Pour d'autres fonds, les transferts de personnels ont peut-être été sous-estimés au départ, mais il ne faut pas négliger le fait que certains agents ne souhaitaient pas être transférés, et ceux qui l'ont été ont pu rencontrer des difficultés d'acculturation. Désormais, la situation s'est améliorée, les agents ont été formés.

M. Pascal Gruselle. - Sur le FEDER, les transferts ont été globalement suffisants et il y a eu un respect des engagements de l'État. Sur le FSE, c'était déjà moins le cas. Pour le FEADER effectivement, la compensation du transfert par l'État était faible, d'une part, et les agents de l'État ont été mis à disposition dans le cadre d'un montage juridique et institutionnel particulièrement complexe, d'autre part. La préparation de la prochaine programmation nécessite des améliorations sur ce point pour que chacun puisse être identifié dans ses responsabilités.

Mme Julie Gourden. - Les transferts de personnels ont été réalisés sur des bases historiques, c'est-à-dire sur la base du nombre d'agents chargés de ces tâches au sein des services de l'État. Certaines régions ont reçu peu d'équivalents temps plein (ETP) et ont dû compléter leurs effectifs.

Même dans le meilleur des cas, à savoir celui du FEDER, les équipes des préfectures qui géraient les fonds au cours de la programmation précédente n'étaient pas assez nombreuses pour prendre en charge la règlementation particulièrement complexe de l'actuelle programmation. Les équipes transférées se sont révélées insuffisantes sur l'ensemble des fonds, même lorsque le transfert a été réalisé correctement.

M. Bernard Delcros. - Cette mission a pour objet d'identifier les pistes d'amélioration pour la programmation suivante, et non de critiquer la gestion des fonds européens. Les difficultés rencontrées sur le terrain sont bien connues, en particulier celles du programme LEADER qui certes, comprend des aides de montants réduits, mais qui répond à des attentes très fortes de la part des bénéficiaires. On constate, à tous les niveaux, une mauvaise connaissance des aides, et des difficultés dans l'instruction des dossiers.

Vous avez mentionné la date de 2023 comme date limite de versement des paiements. S'agit-il d'une date prévue dès le début de la programmation, et dont les régions peuvent bénéficier automatiquement, ou d'une échéance que les régions doivent activer ? Jusqu'à quand les engagements pourront-ils être pris ? Une telle superposition avec la programmation suivante est-elle source de difficultés ?

Quelles sont les pistes concrètes d'amélioration, notamment sur le plan des procédures ? Avons-nous tendance à rajouter des complexités en France ?

On constate un réel souci d'ingénierie sur le terrain, notamment pour le programme LEADER. Comment peut-on mieux accompagner les porteurs de projets ? Comment les régions peuvent-elles améliorer l'ingénierie du programme LEADER ?

Vous avez évoqué le besoin de clarifier les responsabilités et les compétences. Avez-vous des propositions concrètes en la matière ?

M. Jules Nyssen. - Nous vous transmettrons un certain nombre d'éléments par écrit. J'ai bien compris les intentions initiales de la mission d'information, mais il est vrai que son intitulé surprend au premier abord.

Certes, le programme LEADER représente 2,5 % du montant total des fonds. Mais j'ai conscience que cette réponse est un traitement quantitatif d'un sujet ayant des impacts qualitatifs beaucoup plus forts. J'ai été directeur général de région et je vois la difficulté que cela pose aux porteurs de projets. Toutes les régions se sont investies afin d'essayer de sortir ce programme de l'ornière dans laquelle il s'était embourbé. Ce programme, ainsi que les difficultés du FEADER, ont engendré une image générale de complexité qui me paraît exagérée par rapport à la réalité globale. Pour autant, ces deux cas me permettent de répondre à vos réponses en matière de simplification. Quant à l'échéance de 2023, elle est prévue par les règlements.

M. Bernard Delcros. - Une intervention de la région est-elle nécessaire pour prolonger la programmation jusqu'en 2023 ?

M. Jules Nyssen. - Non, cette prolongation est faite automatiquement. Ce délai supplémentaire prend en compte le temps nécessaire aux négociations entre les acteurs concernés en début de programmation. Cette prolongation n'aura pas non plus d'influence sur la programmation suivante. Elle permet au contraire des tuilages.

M. Bernard Delcros. - Si j'ai bien compris, en 2022, il sera possible de continuer à engager des crédits sur les programmes de l'actuelle programmation.

M. Jules Nyssen. - Tout à fait. Cet élément nous permet de penser que nous arriverons à consommer la totalité du programme LEADER. Toutefois, je suis conscient que cela ne répondra pas aux problèmes des porteurs de projets confrontés à des difficultés de trésorerie. Mais il est nécessaire d'arrêter de tenir un discours aussi négatif. Le ministre de l'agriculture lui-même le tenait et déplorait le fait que la France n'arriverait pas à consommer tous ses crédits. Or, de telles interventions sont très décourageantes pour les porteurs de projets eux-mêmes.

Pour le programme LEADER, nous sommes confrontés à un problème d'ingénierie. Cela s'explique tout d'abord par la grande complexité de ce programme. En outre, il est nécessaire d'accompagner les porteurs de projets. Les régions ont fortement soutenu les groupements d'action locale (GAL) de différentes manières : elles ont recruté beaucoup de personnels au sein des services des conseils régionaux afin de pallier l'arrêt total d'instruction des dossiers par les services de l'État. Les régions qui avaient totalement délégué aux GAL la gestion du programme ont tendance à avoir de meilleurs résultats que d'autres. Aujourd'hui, un groupe de travail à Régions de France compare les bonnes pratiques afin de les diffuser.

Plus globalement, où sont les pistes d'amélioration ? Elles sont tout d'abord dans les systèmes d'information. Certes les améliorations sont nombreuses. Mais il faut être conscient que le transfert de la compétence aux régions s'est fait avec des systèmes d'information qui n'étaient pas au niveau, même pour le FEDER et le FSE. Pour le FEADER, on est passé d'un logiciel conçu pour gérer un programme national unique à un logiciel devant pouvoir intégrer des dispositions particulières émanant d'autant d'autorités de gestion qu'il y avait de régions dans l'ancienne configuration. Cela a nécessité de très nombreux développements du logiciel OSIRIS, sans aucune modification dans la conduite du projet informatique lui-même.

Le logiciel Synergie intervient pour le FEDER et le FSE. Les régions ont fait savoir que, pour une majorité d'entre elles, elles continueraient à utiliser Synergie qu'elles maîtrisent bien aujourd'hui. En outre, le logiciel est interfacé avec les propres systèmes d'information des régions. Il me semble qu'il n'y a plus trop d'inquiétudes à avoir sur ces deux fonds. En revanche, pour le FEADER, la situation est plus complexe. Une assistance à maîtrise d'ouvrage a été commandée par un groupement de régions afin de repenser complètement le système. Je parle sous réserve d'un arbitrage final attendu du Premier ministre, mais normalement la prochaine génération du FEADER sera mise en oeuvre sous la logique du décroisement. Pour les mesures sous autorité de gestion des régions, celles-ci auront une complète liberté d'organisation en matière de système d'instruction et de mise en paiement. Le paiement proprement-dit ne peut pas être autonome car les règles européennes nécessitent qu'il ait lieu via une structure certifiée. Mais toute la partie amont - l'instruction, la liquidation - sera aux mains des régions.

M. Bernard Delcros. - Les outils seront-ils différents selon les régions ?

M. Jules Nyssen. - Absolument. Les outils seront correctement interfacés avec les outils métiers des régions et seront adaptés aux mesures spécifiques de la région X qui ne sont pas forcément les mêmes que celles de la région Y. En effet, la géographie et les problématiques agricoles ne sont pas les mêmes.

La clarification du partage des tâches et des responsabilités sera améliorée. Les régions sont autorités de gestion du FEADER, à hauteur de 97 % du budget du programme. Mais, dans les faits, leur pouvoir de décision est très limité. Toutes les mesures dites surfaciques sont encadrées par un programme national qui a été négocié au dernier moment. Chacun fait comme il peut, et rien ne peut être décidé sans l'aval du ministère de l'agriculture. L'instruction du dossier était faite par les directions départementales de l'agriculture, avant que les régions commencent à s'y substituer progressivement. Ces services départementaux ont eux-mêmes été victimes de coupes budgétaires. Il n'est pas normal qu'une autorité de gestion n'ait pas la main sur les personnels chargés de l'instruction des aides. Les contreparties nationales du FEADER sont encore au ministère de l'agriculture. Or, comme il s'agit d'un fonds sous autorité de gestion régionale, ces contreparties devraient être au niveau des régions. Le ministre de l'agriculture a donné son accord sur le principe suivant : lorsqu'une mesure est sous autorité de gestion régionale, une liberté des systèmes d'information et une liberté de paiement seront mises en place. Un transfert des ETP de l'État devra également se faire. Certes, numériquement, ces personnels ne sont pas nombreux, mais il s'agit de personnes expérimentées qui permettraient de renforcer les équipes régionales chargées de la gestion et de l'animation du programme. En outre, les contreparties nationales devraient également être transférées. Cela permettra d'avoir une politique cohérente, globale et en provenance d'un seul guichet.

La répartition entre ce qui relève de la région et ce qui relève de l'État continue toutefois de faire l'objet d'un débat politique : 97,3 % du FEADER est sous autorité de gestion régionale dans les textes. Nous pourrions dénoncer un retour en arrière, dans la mesure où nous allons céder une partie de cette autorité de gestion. Mais nous ne sommes pas naïfs. Nous avons une autorité de gestion sans pouvoir. Dans ces conditions, nous ne sommes pas capables d'assumer les responsabilités qui nous incombent. En contrepartie du transfert de moyens et de l'évolution du rôle des régions, nous accepterions de revoir la répartition. Tel est l'objet de la négociation en cours. Il est acquis que toutes les mesures qui relèvent des calamités et de l'assurance agricole seraient de la responsabilité de l'État. Elles répondent en effet à une logique d'assurance nationale. Seraient également incluses les mesures relatives aux indemnités compensatrices des handicaps naturels (ICHN). Elles seraient gérées par l'État qui dispose d'une vision nationale des déséquilibres territoriaux. Il est acquis que les aides à l'investissement seraient sous l'autorité des régions.

Restent aujourd'hui encore en débat les mesures agroenvironnementales et les aides à la conversion à l'agriculture biologique. Elles ont le malheur d'être assises sur des unités de surface. Elles sont donc cataloguées comme aides surfaciques. Mais, de notre point de vue, ce sont des aides complémentaires des aides à l'investissement. Lorsqu'un agriculteur veut transformer son exploitation pour renforcer sa production bio, il a besoin d'investissements - création d'un laboratoire, construction d'un hangar - car cela conduit à un changement du circuit de distribution de ses produits. Nous considérons que ce changement de matériel constitue des aides à l'investissement. Ainsi, les aides à l'exploitation et les aides à l'investissement sont complémentaires. Depuis maintenant six mois, nous essayons d'expliquer notre position à tous nos interlocuteurs. Nous avons discuté avec toute la profession agricole. Nous sommes maintenant en attente de l'arbitrage. Les régions se sont engagées par écrit à respecter des objectifs nationaux sur le pourcentage d'exploitations se convertissant à l'agriculture biologique, ainsi que sur la co-construction du programme stratégique national. Celui-ci est une spécificité du futur règlement FEADER qui prévoit un unique programme stratégique national intégrant les piliers 1 et 2 de la politique agricole commune (PAC). Les régions ont indiqué vouloir travailler avec le ministère de l'agriculture pour la co-écriture de ce document. Mais, pour co-construire, il faut être deux. Le ministère doit accepter de ne pas écrire le plan stratégique national seul, au risque de retomber dans les mêmes errements que ceux évoqués précédemment.

M. Bernard Delcros. - Il reste beaucoup de choses à régler. Pensez-vous que l'on puisse être prêt et opérationnel pour la nouvelle programmation ?

M. Jules Nyssen. - Nous sommes des gens optimistes qui pensent que le bon sens va l'emporter. Nous avons commencé à travailler. De nombreuses discussions techniques ont lieu. La question des systèmes d'information a déjà été abordée. Certes, nous ne sommes pas en avance, mais c'est encore possible.

Il existe une autre urgence, notamment pour le FEADER. Aujourd'hui, il ne va pas de soi que le futur règlement européen autorise un État membre à confier à une région une autorité de gestion. Nous devons donc nous assurer que cela figure bien dans le texte en discussion à Bruxelles. En outre, les enjeux agricoles font l'objet de discussions vives, renforcées par les incertitudes du Brexit. Ces dernières portent notamment sur l'équilibre à trouver entre les piliers 1 et 2 de la PAC. Les régions et le ministère de l'agriculture partagent les mêmes objectifs. Il faut défendre une politique ambitieuse. J'ai pris mes fonctions le 1er octobre 2018. Le 19 octobre suivant, nous avions un déjeuner avec le Premier ministre et les présidents de régions, avec ce sujet à l'ordre du jour. Une réunion aura lieu le 27 juin prochain. Ce sujet est toujours à l'ordre du jour. Normalement, elle devrait être conclusive.

Quant au FSE, il faut le simplifier. Ce fonds illustre l'approche trop théorique qu'a pu avoir l'administration centrale, sans prendre en compte les réalités de terrain. On a considéré qu'il y avait trois grands ensembles de financement FSE : Pôle emploi pour l'État, les départements qui font de l'insertion, et les régions qui font de la formation professionnelle. De manière schématique, l'enveloppe a été divisée en trois, avec un tiers géré par les régions et deux tiers par l'État - un tiers via Pôle emploi et un tiers via une subvention globale aux départements. Ainsi, sur les territoires, il y a deux guichets pour accéder au FSE, entraînant de nombreuses complications : deux programmes opérationnels différents, deux logiques d'intervention non coordonnées. Nous avons demandé que l'autorité de gestion des régions puisse être étendue à l'enveloppe territorialisée du FSE national. Nous avons fait cette proposition en accord avec l'Assemblée des départements de France. Nous souhaitons ainsi construire avec les départements un schéma d'intervention du FSE sur le terrain, qui combine les logiques d'insertion et les logiques de formation des demandeurs d'emploi. C'est cohérent avec nos compétences et cela représente le complément logique de la réforme de l'assurance chômage. Cela permettrait de simplifier le dispositif pour les bénéficiaires en région. Je peux déjà vous indiquer la réponse du ministère du travail qui va rejeter la faute de l'absence d'accord sur les régions. Il va indiquer que celles-ci ont refusé la mise en place d'un guichet unique. Mais la direction générale à l'emploi et à la formation professionnelle conçoit cette réforme de guichet unique comme l'instauration d'un front office, d'un point d'accueil unique, sans homogénéiser les programmes d'intervention. Si cette réforme conduit simplement à amener deux dossiers à la même porte, on fera certes gagner un peu de temps aux bénéficiaires, mais l'accompagnement des demandeurs d'emploi et des personnes en insertion ne sera pas intégré dans une politique globale.

Mme Annick Billon. - Je vais me faire l'écho d'une audition antérieure et d'une question d'un collègue qui nous a interpellés. Les régions n'ont-elles pas intérêt à retarder la mise en oeuvre de certains projets financés par des fonds européens pour pouvoir privilégier d'autres projets, comme ceux de la région, qui ne sont pas cofinancés ? La difficulté de monter des dossiers serait dissuasive.

Concernant les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), il y a un retard de près de deux ans aujourd'hui. On nous a toujours dit que ce retard était lié à des problèmes informatiques. Pourquoi êtes-vous aujourd'hui optimistes sur notre capacité à rattraper ce retard ? Il est vrai que la France peut être assez performante en termes de systèmes d'information, notamment pour le recouvrement des impôts...

M. Jules Nyssen. - Sur les MAEC, il y a eu beaucoup de mauvaise volonté de la part du ministère de l'agriculture sur les conditions de ce transfert. Il résulte d'un arbitrage du Président de la République de l'époque, alors que le ministère y était opposé. Les équipes se sont senties dépossédées d'une fonction qui était dans leur ADN. Il n'y pas eu suffisamment d'investissement, et une insuffisance de l'étude d'impact sur le transfert à l'Agence de services et de paiement (ASP) de la gestion des MAEC. Cette dernière n'avait pas toutes les compétences techniques pour les prendre en charge. Je pense qu'on va arriver à consommer l'ensemble des fonds, c'est un optimisme mesuré.

L'ASP a fait de gros efforts pour se restructurer, notamment sous l'impulsion de Stéphane Le Moing, son président directeur général, en faisant appel à un consultant extérieur. Les régions n'assurent pas le paiement des aides surfaciques, mais, pour autant, on travaille en collaboration avec l'ASP.

Concernant les systèmes d'information, votre constat me fait penser aux critiques relatives au site mis en place par l'administration dans le cadre du référendum d'initiative partagée pour la privatisation du groupe ADP. Certains se sont demandé pourquoi ce site était aussi complexe d'utilisation, alors que celui des impôts est bien plus simple !...

Mme Annick Billon. - Ma remarque ne visait pas la simplicité d'utilisation des systèmes d'information de déclaration et de recouvrement des impôts. Je voulais dire que, quand on veut améliorer les systèmes d'information, on peut facilement récupérer les données des usagers et assurer le partage des informations entre les administrations.

M. Jules Nyssen. - Je partage votre constat. Les régions sont toujours tenues responsables des dysfonctionnements des systèmes d'information, en cas de retard de paiement.

Pour répondre à votre premier point, les régions, en tant qu'autorités de gestion, ont la grande chance de financer les projets des autres, hormis dans les cas de financement de la formation professionnelle, notamment ceux des communes ou des intercommunalités. Je suis donc un peu étonné de l'idée selon laquelle on pourrait distinguer les projets selon la nature du porteur de projet. Par ailleurs, nous sommes tous des entités publiques et nous travaillons à l'intérêt général. Les agriculteurs ont parfois peur que la régionalisation de l'autorité de gestion entraîne un traitement différent qui leur serait défavorable. Mais, à part quelques cas marginaux, tout ceci est mis en place dans le cadre de l'intérêt général, et tout est fait pour éviter des situations arbitraires.

Mme Laurence Harribey, présidente. - L'approche territoriale n'était pas dans l'ADN des régions qui avaient traditionnellement plutôt en charge des politiques sectorielles. Cette approche est relativement nouvelle ; d'ailleurs, certaines régions créent des référents territoriaux ou mettent en place des contractualisations.

Sur le terrain, ceci se traduit par un empilement un peu kafkaïen de structures : il faut un projet de territoires pour contractualiser avec la région, des schémas de cohérence territoriale (SCOT), les projets de territoires de LEADER, etc.

Cette appropriation territoriale des régions est en phase de transition. La co-construction sur les territoires infrarégionaux est plutôt nouvelle pour les régions.

M. Jules Nyssen. - Je suis un peu surpris par votre constat : j'ai plutôt l'impression du contraire. Les régions sont plutôt en train de revenir à leur ADN historique : les établissements publics avaient vocation à accompagner les projets de territoires qui étaient les meilleurs alliés des intercommunalités en la matière. Petit à petit, les lois de décentralisation ont confié aux régions des compétences de plus en plus importantes.

Les régions se sont vues confier les personnels techniciens, ouvriers et de service. On présente ce transfert comme celui d'une politique publique en soi, mais, en réalité, on a confié aux régions la maintenance des lycées, sauf que l'absorption de ces agents était complexe.

L'étape suivante a été caractérisée par l'imagination sans limites du ministère de la cohésion des territoires pour fonder des nouveaux contrats ou projets de territoires, et je comprends que, sur le terrain, ce soit de moins en moins lisible.

Dans le cadre du prochain acte de décentralisation, nous pensons qu'il est nécessaire de clarifier les compétences. Les départements doivent avoir une vraie responsabilité en matière de solidarité des individus, des personnes. Les régions doivent avoir la responsabilité des territoires. C'est la collectivité qui, historiquement, a une compétence d'aménagement du territoire. L'État doit se préoccuper de l'équilibre entre les grandes régions et éviter que des écarts apparaissent, tout en assurant la gestion de projets de grandes infrastructures.

Si on ajoute à cela la fusion des régions, qui n'était pas demandée par les régions elles-mêmes, les distances infrarégionales deviennent importantes.

Je vous invite à participer à notre congrès sur le thème « Que fait la région pour vous ? », avec différents ateliers qui ont pour objectif de montrer comment la région agit aux côtés de ses partenaires.

Il y a bien un travail de reconquête à faire. Le volet programmatique de la future Agence nationale de la cohésion des territoires vient ajouter encore de la confusion sur la responsabilité des régions.

Mme Laurence Harribey, présidente. - La Cour des comptes a mené une enquête sur la gestion des fonds européens. Vous semblez partager l'idée de confirmer le choix de la décentralisation, tout en clarifiant les compétences de chacun.

M. Jules Nyssen. - Tout à fait, nous pensons que la décentralisation va dans le sens naturel des choses et s'inscrit dans l'accompagnement de la transformation du modèle agricole. L'État n'a plus les effectifs sur le terrain pour accompagner ces changements. La circulaire du Premier ministre sur la réorganisation des services déconcentrés ne repositionne pas l'agriculture au rang des objectifs stratégiques.

Cette évolution implique une responsabilité des régions. Ce qu'on pouvait mettre sur le dos de la confusion des responsabilités dans le cadre de la programmation actuelle sera directement imputable aux régions pour la prochaine programmation. Les régions seront tenues responsables des dysfonctionnements. Les conseils régionaux ont longtemps été éloignés des tâches de gestion quotidienne ; aujourd'hui, ils ont une autre responsabilité à porter.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Concernant le FSE, souhaitez-vous en récupérer l'intégralité ?

M. Jules Nyssen. - La posture facile serait de dire que les régions doivent être seules autorités de gestion. Ce n'est pas si simple. Sur le FSE, on voudrait que les régions soient autorités de gestion sur l'enveloppe territoriale, pour construire avec les départements une politique intégrée englobant l'emploi, la formation professionnelle et le développement économique.

Mme Cécile Cukierman. - S'il suffisait que le FSE soit géré par les régions pour résoudre tous les enjeux en matière de chômage et de reconversion professionnelle dans nos territoires, ça serait simple !

Sur le FEADER, encore faut-il que les régions aient les moyens en interne de la gestion de ces fonds, alors même qu'elles sont soumises à la contractualisation, et donc à la baisse de la dépense publique. Or, le meilleur moyen pour baisser la dépense publique, c'est de baisser le nombre d'agents. Si on veut que les régions répondent aux attentes et à de réelles ambitions, tout en développant des politiques plus personnalisées et individualisées sur les territoires, il faut peut-être repenser les équipes en interne qui vont impulser, suivre et évaluer ces fonds.

M. Jules Nyssen. - Sur la gestion du FSE, un autre sujet est celui, pour l'autorité de gestion, de pouvoir exercer une autorité fonctionnelle sur les personnels de Pôle emploi, qui méconnaissent le fonctionnement des différentes branches professionnelles. Cet arbitrage est en cours auprès du Premier ministre. La question est celle-ci : qui connaît réellement les branches professionnelles et le territoire ? Il n'y a aucune recette miracle pour y arriver, mais il y a de mauvais exemple à ne pas suivre.

Si j'étais provocateur, je demanderais où sont les personnels de l'État qui gèrent le FEADER. Aujourd'hui, nous sommes autorité de gestion sur la quasi-totalité de ce fonds, et le problème est davantage lié à la répartition des rôles et des outils informatiques. Les équipes existent déjà et elles pourront être renforcées par des agents du ministère de l'agriculture qui connaissent bien ces sujets et qui sont déjà répartis dans les différents départements.

Sur la contractualisation, si demain on récupère des emplois du ministère de l'agriculture, ces nouveaux agents seront sortis du calcul du dispositif financier de la contractualisation puisqu'il s'agira d'un transfert de compétences, compensé en ressources. Les conseils régionaux ont la chance, par rapport aux autres collectivités, d'avoir un plus faible poids de la masse salariale dans leurs dépenses totales. Dans toutes les régions fusionnées, après un mandat passé à essayer de faire fonctionner ces énormes collectivités, on devrait observer des synergies et des pistes de rationalisation. Je pense que les régions ont aujourd'hui les moyens d'assurer la gestion du FEADER, sans aucune inflation de personnels et avec une réflexion sur une meilleure territorialisation des services, et une clarification des responsabilités.

M. Bernard Delcros. - Il reste beaucoup de chantiers à mener d'ici la prochaine programmation, ce qui m'inquiète sur notre capacité à être réellement opérationnel.

M. Jules Nyssen. - Je pense qu'on y parviendra, beaucoup de travail est engagé, notamment avec les organisations professionnelles agricoles.

Mme Laurence Harribey, présidente. - Sur cette note d'optimisme, je vous remercie.

La réunion est close à 18 h 45

Jeudi 20 juin 2019

- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Audition de M. Morgan Larhant, sous-directeur Europe et agriculture à la direction du budget du ministère de l'action et des comptes publics, et Mme Anne-Céline Didier, cheffe du bureau Finances et politiques de l'Union européenne

M. Pierre Louault, président. - Notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de M. Morgan Larhant, sous-directeur en charge notamment de l'Europe et de l'agriculture à la direction du budget du ministère de l'action et des comptes publics. M. Larhant est accompagné de Mme Anne-Céline Didier, cheffe du bureau Finances et politiques de l'Union européenne.

Je souhaite tout d'abord excuser notre présidente, Mme Laurence Harribey, qui ne peut malheureusement pas être présente à cette audition.

Notre mission d'information a pour objectif de mieux cerner les difficultés rencontrées dans l'utilisation des fonds européens. Certes, beaucoup de choses vont bien, mais les acteurs sont confrontés à une très grande complexité des procédures et certains fonds sont largement sous-consommés.

Dans ce contexte, quelle est la réalité de cette sous-consommation ? Quelle est la compétence de la direction du budget en matière de contrôle des fonds européens ? Comment articule-t-elle son action avec les missions de la commission interministérielle de coordination des contrôles ? En ce qui concerne la prochaine programmation financière 2021-2027, quelle appréciation portez-vous sur les propositions de la Commission européenne ? Comment pourrait-on améliorer la gestion des fonds européens ? Comment faire en sorte que ces programmes ne démarrent pas avec autant de retard, parfois trois ans ?

M. Morgan Larhant, sous-directeur Europe et agriculture à la direction du budget du ministère de l'action et des comptes publics. - L'objet de votre mission d'information est une question essentielle du fait des volumes financiers en jeu - ils sont maintenant très importants - et parce qu'elle conditionne largement l'efficacité de l'action publique et l'appréciation que nos concitoyens portent sur l'Union européenne.

Par rapport à un certain nombre d'organismes que vous avez déjà auditionnés, la direction du budget a une vision plus globale et moins opérationnelle. Ses missions sont fixées par un décret du 27 mars 2007, qui prévoit notamment que la direction assure le « suivi des aspects budgétaires des travaux relatifs aux politiques européennes, à leur évolution pluriannuelle, aux modes de financement de l'Union européenne ainsi qu'à l'élaboration et à l'exécution du budget communautaire annuel ». D'un côté, nous assurons la mise à disposition de la contribution de la France à l'Union européenne, de l'autre, nous sommes l'ordonnateur du compte mutualisé et nous mettons les crédits à la disposition des organismes nationaux payeurs, notamment l'Agence de services et de paiement (ASP).

Dans ce cadre, nous suivons la consommation des crédits au niveau global, mais nous n'opérons ni contrôle ni certification et nous ne sommes pas impliqués directement dans la gestion. En revanche, nous jouons un rôle pour maximiser les retours pour la France, notamment au moment de la renégociation du cadre financier pluriannuel.

À quel niveau la France se situe-t-elle par rapport aux autres États membres ? En fait, il n'est pas évident de répondre à cette question car tout dépend du thermomètre utilisé...

Il existe aujourd'hui cinq fonds européens structurels et d'investissement (FESI) : le fonds européen de développement régional (FEDER), le fonds social européen (FSE), le fonds de cohésion, le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Ces fonds, régis par un règlement portant dispositions communes, devraient être plus nombreux dans la prochaine programmation pluriannuelle.

Chaque fonds obéit à des logiques différentes. La France se situe de manière globale dans la moyenne européenne, sauf pour le programme Leader, où les retards sont extrêmement importants. Pour le FEADER, le taux de décaissement atteint 52 % en France mi-juin 2019, contre 45 % en moyenne dans l'Union européenne. Pour les fonds de cohésion, nous sommes dans la moyenne avec un taux de 28 %.

Au-delà de ce constat général, deux aspects peuvent être mis en exergue : de grandes disparités régionales et une singularité ultramarine. Ainsi, l'exécution des fonds va de 13 % à 39 % selon les régions pour le FEDER, le FSE et l'Initiative pour l'emploi des jeunes (IEJ), et les taux sont toujours très faibles outre-mer : 18 % pour le FSE en Martinique, 19 % à Mayotte pour le FEDER et le FSE, etc. Il est évidemment difficile de comparer les régions d'outre-mer à la métropole, mais même en comparaison des autres régions ultrapériphériques de l'Union européenne, comme Madère ou les Açores, la France ne se classe pas bien, ce qui mériterait d'être analysé.

Des traits communs à ces retards peuvent être identifiés : une adoption tardive des règlements sectoriels ; un chaînage laborieux entre cette adoption et l'agrément de la programmation, c'est-à-dire les accords de partenariat ; la multiplication des programmes opérationnels ; les difficultés que rencontrent les systèmes d'information, malgré les importants investissements réalisés, à prendre en compte un grand nombre de situations différentes ; le saupoudrage. Le Commissariat général à l'égalité des territoires a fait des propositions sur certains de ces aspects, notamment sur la multiplication des programmes opérationnels, mais nous ne pourrons jamais aboutir à un modèle unique.

Un autre élément s'est ajouté en ce qui concerne le FEADER pour le cadre financier 2014-2020 : la mise en oeuvre du registre parcellaire graphique, qui a mobilisé des ressources et entraîné des retards. En outre, le processus de décentralisation des compétences n'a pas atteint son plein équilibre sur ce fonds, ce qui pose la question de la prochaine programmation : comment la France doit-elle s'organiser pour gérer les fonds européens ? Le Président de la République a d'ailleurs parlé de « désenchevêtrement » des compétences.

Ces retards ont des conséquences concrètes sur le budget de l'Union européenne, donc sur la contribution française. Ils ont ainsi conduit à une augmentation importante des restes à liquider, qui devraient atteindre 300 milliards d'euros à la fin de 2020. Cette augmentation tend à rigidifier le budget de l'Union : ainsi, lors des deux premières années du prochain cadre financier, plus de 50 % des crédits seront consacrés au paiement des restes à liquider. De ce fait, le montant exact de la contribution de la France a fortement varié ; il a atteint un point bas en 2017. Nous sommes dans une phase de rattrapage, mais les choses ne vont pas aussi rapidement que ce que nous avions modélisé.

En ce qui concerne les retours pour la France, un « jaune » budgétaire, c'est-à-dire une annexe au projet de loi de finances, est consacré chaque année à cette question. Sur le temps long, ces retours diminuent, tant sur la politique agricole commune (PAC) du fait de la montée en puissance du second pilier que sur les autres fonds européens, notamment en raison des élargissements successifs. Cependant, nous pouvons faire mieux pour maximiser les retours pour la France.

Pour cela, il faut distinguer les programmes dont la gestion est partagée avec les États membres et ceux qui sont directement gérés par la Commission européenne. La stratégie n'est pas la même. Dans le premier cas, il nous faut agir principalement au moment de la négociation du cadre financier et des règlements sectoriels. Dans le second cas, par exemple dans le domaine de la recherche, il faut inciter les opérateurs à répondre aux appels d'offres, ce qui pose une question de gouvernance interne à la France.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Plus nous avançons dans nos travaux, plus nous nous rendons compte que nous nous situons à un moment clé ! Nous pouvons déjà établir un pré-bilan de la période 2014-2020 et l'Union européenne débat des priorités de la programmation 2021-2027. Il est vrai que l'intitulé de notre mission, qui évoque une sous-utilisation chronique des fonds européens, est sans doute à relativiser, mais il correspond au ressenti du terrain. C'est pourquoi il est important de connaître la réalité et de l'analyser.

La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi Maptam, a prévu le transfert aux régions de certaines compétences, ce qui a clairement ralenti les procédures. Nous pouvons donc envisager l'avenir avec optimisme, mais encore faut-il s'en donner les moyens !

Vous nous avez indiqué que la France se situait dans la moyenne européenne, sauf pour le programme Leader et en outre-mer. Quels sont les taux de consommation de Leader ? Comment améliorer les choses ?

M. Morgan Larhant. - Leader a été identifié comme étant l'un des deux points noirs - nous étions à l'avant-dernier rang en Europe... - et une mobilisation a eu lieu depuis plus d'un an. À la fin du mois de mars 2019, 18 % de l'enveloppe, qui s'élève à un peu moins de 700 millions d'euros, ont été engagés, mais 6 % seulement ont été payés. Ces taux restent anormalement faibles, mais la dynamique est meilleure. Nous sommes entrés dans une phase intensive de gestion et d'instruction et les régions constatent un déstockage dans le nombre de dossiers. On peut donc s'attendre à ce que ces taux augmentent. Dans le cadre actuel, nous avons jusqu'à 2023 pour dépenser ces crédits.

Pour l'avenir, nous devons prévoir des mesures correctrices. Il faut noter de ce point de vue l'extrême diversité des projets finançables, ce qui explique la mise en place de près de600 modules informatiques de gestion ! Nous devrons donc certainement mieux standardiser les choses pour éviter l'éparpillement. Cependant, nous étions dans une phase d'adaptation et la consommation des crédits devrait donc s'améliorer.

Apporter une réponse au constat que chacun peut formuler sur l'outre-mer n'est guère évident. La Cour des comptes a récemment mené une évaluation à ce sujet ; elle a constaté des difficultés en matière d'assistance technique sur les dossiers européens et a proposé de mieux flécher l'enveloppe dédiée à ces sujets. Il faut aussi faire en sorte que les projets structurants qui sont choisis correspondent pleinement aux objectifs prioritaires des fonds.

M. Benoît Huré. - Je crois aussi que notre mission d'information tombe à point nommé. Vous avez évoqué une consommation des crédits qui se situe globalement dans la moyenne, mais les choses sont vécues très différemment sur le terrain. Or c'est la température ressentie qui est importante ! Dans l'agriculture, tout s'est incroyablement complexifié. C'est peut-être plus vrai en France qu'ailleurs !

M. Pierre Louault, président. - C'est certain !

M. Benoît Huré. - Il y a encore dix ans, un agriculteur pouvait remplir seul sa déclaration annuelle ; c'est à peu près impossible aujourd'hui, il doit faire appel à un prestataire ! Nous sommes dans l'outrance. La transformation de la PAC a entraîné une multiplication des formulaires et des contrôles.

J'ajoute que l'on ne doit pas sous-estimer l'impact psychologique des contrôles ; aujourd'hui, les agriculteurs sont certes soumis aux risques sanitaires et climatiques, mais ils ont d'abord peur des contrôles ! Il faut absolument que l'administration communique mieux sur ces sujets. Par ailleurs, pensez-vous qu'il soit possible de transposer le droit à l'erreur dans la PAC ?

En ce qui concerne la décentralisation des compétences, je ne suis pas certain que nous ayons bien fait de confier la gestion de ces fonds aux régions car l'État disposait d'une expertise que les régions n'ont pas nécessairement. Nous devrions vraiment faire un premier bilan de cette décision.

M. Georges Patient. - Outre-mer, la question de la sous-consommation des crédits européens ressemble à un serpent qui se mord la queue... Certes, les collectivités sont des attributaires importants de ces fonds, mais elles se débattent dans de grandes difficultés financières - j'ai été chargé d'une mission sur ce sujet - et sont souvent dans l'incapacité d'apporter les contreparties nécessaires. En outre, il arrive souvent que l'objet même des fonds ne corresponde pas à la réalité des outre-mer : ils ne sont pas adaptés à la situation de rattrapage dans laquelle nous sommes.

M. Philippe Mouiller. - Les sénateurs représentent les collectivités locales et nous sommes souvent sollicités par les élus pour les accompagner dans leurs projets, notamment sur le volet financier.

Il y a un premier problème, c'est l'information : les élus ne savent pas toujours ce qui est finançable et à qui s'adresser. En outre, l'ampleur des dossiers qu'il faut concevoir exclut de fait beaucoup de porteurs de projets, car elle demande des ressources humaines importantes. L'instruction des dossiers est lente, même en situation normale, et le financement est parfois attribué des mois, voire un an ou deux après le lancement du projet. C'est notamment le cas dans le secteur de l'insertion par l'économie. Il faut être particulièrement courageux pour lancer des projets dans une telle incertitude !

Certes, les choses n'ont jamais été simples, mais les acteurs sont complètement perdus aujourd'hui, y compris certains organismes ou collectivités de taille importante. Ne faudrait-il pas mettre en place des antennes au niveau départemental ?

Nos auditions nous montrent que la France se situe dans la moyenne en termes de consommation des crédits européens, mais ces moyennes ne sont pas nécessairement pertinentes, car elles peuvent être « dopées » par certains programmes. Or les programmes qui posent problème sont souvent ceux qui sont visibles par le grand public.

M. Pierre Louault, président. - Si les programmes démarraient en temps voulu, obtiendrions-nous un meilleur délai de paiement de la part des opérateurs ?

M. Morgan Larhant. - Cela permettrait certainement un meilleur niveau d'exécution plus tôt dans la programmation, mais nous n'atteindrions pas 100 % à la fin de la programmation car nous sommes dans des procédures pluriannuelles : il est donc normal qu'une partie de l'exécution se déroule dans le cadre financier suivant. Pour autant, il est anormal d'avoir des taux de crédits programmés si faibles.

Il faut distinguer deux temps, celui de la programmation stratégique et celui de la capacité à faire remonter, dans des délais resserrés, les appels de fonds pour avoir un flux constant de paiements. Nous devons certainement commencer à travailler sur la programmation stratégique en temps masqué dès le début du processus - ce serait un élément de réponse aux propos de M. Huré sur la « température ressentie », question à laquelle je suis également très sensible.

En ce qui concerne le droit à l'erreur, il s'agit d'une priorité pour la France dans le cadre des négociations sur la prochaine programmation financière. Une autre de nos priorités concerne la simplification ; la complexité actuelle n'est pas acceptable. Pour répondre à ces questions, il faut certainement clarifier les compétences et il faut le faire rapidement. Plus tôt la décision sera prise sur ce sujet, plus tôt les acteurs pourront se préparer. Ce sujet est ancien, il est connu, tout est sur la table et il faut acter les choses rapidement.

Outre-mer, se pose particulièrement la question de la contrepartie nationale et des capacités de financement. Les règlements communautaires prévoient d'ailleurs des taux de financements différents selon les régions, la part européenne pouvant monter jusqu'à 85 % dans les régions ultrapériphériques. La France souhaite défendre ce point de vue dans les négociations en cours.

Enfin, je partage le constat d'une complexification croissante qui peut entraîner un effet d'éviction. Nous pouvons le regretter, mais nous ne pouvons pas non plus faire l'économie d'un cadre de contrôle rigoureux. Or les rapports de la Cour des comptes européenne montrent clairement que la politique de cohésion connaît le niveau le plus élevé de fraudes. Nous pourrions alors imaginer une modulation du niveau d'exigence des contrôles en fonction de l'historique des fraudes de chacun des États membres.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - L'ensemble des États membres applique le même règlement communautaire, mais il existe toutefois des différences d'application qui sont notamment liées à la culture administrative de chacun. Ainsi, notre collègue Benoît Huré est élu des Ardennes et a bien vu les différences qui peuvent exister entre la France et la Belgique, l'instruction du même projet transfrontalier se faisant beaucoup plus rapidement en Belgique. Pouvons-nous vraiment nous réjouir des contrôles que la France a mis en place ?

M. Pierre Louault, président. - Finalement, pourquoi ajouter des règles nationales à celles qui ont été fixées au niveau européen ?

M. Morgan Larhant. - Il faut regarder les dossiers au cas par cas. En Belgique, l'architecture d'ensemble est très différente : pour le FEDER, il n'y a que trois programmes opérationnels régionaux, contre trente-trois dans notre pays. Lorsque vous multipliez les acteurs, les risques de friction se multiplient également.

En ce qui concerne les contrôles, la France a fait le choix de faire appel à des entités administratives. Nous devons trouver un équilibre entre certaines exigences et la nécessité de mettre en oeuvre les projets dans des délais restreints. La question va se poser pour la prochaine PAC : le paradigme va complètement changer, puisque nous passerons d'une logique de stricte conformité à une logique de performance. Il y aura donc deux temps de contrôle : la conformité du programme stratégique national au cadre européen, puis la vérification que les résultats atteignent bien les priorités annoncées.

M. Pierre Louault, président. - Je souhaitais justement que vous me confirmiez sur quel budget sont imputés les apurements et les pénalités du secteur agricole. Ne fait-on pas payer aux agriculteurs les dysfonctionnements et l'incapacité des services de l'État à bien gérer les fonds ?

M. Morgan Larhant. - Les refus d'apurement sont inscrits au programme 149 de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » de la loi de finances. Historiquement, ils conduisaient à des ouvertures de crédits en cours d'année ; nous avons ainsi ouvert un milliard d'euros de crédits en 2017, année exceptionnelle de ce point de vue. Pour l'avenir, et par souci de sincérité budgétaire, le Gouvernement a choisi d'inclure une provision pour risques et aléas dans ce programme. Cette provision est protéiforme, puisqu'elle couvre à la fois les risques inhérents au secteur agricole et le paiement éventuel des refus d'apurement.

M. Pierre Louault, président. - Nous souhaitons que les fonds européens soient utilisés au mieux. Pour cela, il faut vraiment simplifier les procédures et les contrôles. Le programme Leader est symptomatique : ce sont des crédits de proximité qui permettent de diffuser l'image de l'Union européenne sur le terrain et de la rapprocher des citoyens, mais le programme est devenu un véritable épouvantail ! Je prends un exemple concret : lorsqu'un maire demande une subvention de 2 000 euros, il doit fournir un dossier qui inclut notamment le procès-verbal de la réunion du conseil municipal au cours de laquelle il a été élu... C'est infernal !

La réunion est close à 14 h 55.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.