Mardi 2 juillet 2019

- Présidence de M. Jean-Noël Cardoux, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 - Audition de MM. Yann-Gaël Amghar, directeur, et Alain Gubian, directeur financier, de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale

M. Jean-Noël Cardoux, président. - Je tiens à remercier nos interlocuteurs, MM. Aghmar et Gubian, respectivement directeur et directeur financier l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). Dans le cadre du contrôle de l'application de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018, nous souhaiterions savoir comment ont évolué les recettes des organismes de sécurité sociale. Peut-être pourrez-vous, messieurs, nous indiquer comment l'Acoss a appris un nouveau métier, à savoir la compensation à l'Unédic de la diminution puis de la disparition des contributions des salariés à l'assurance chômage.

Enfin, de manière plus prospective, les 3 milliards d'euros de cadeaux consentis dans le cadre de la crise des gilets jaunes seront-ils compensés ? Si tel n'est pas le cas, le déficit de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) pourrait s'élever en 2019 non pas à 1,7 milliard d'euros comme annoncé, mais à plus de 4 milliards d'euros.

L'Acoss avait déjà 15 milliards d'euros de déficit non transférable à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Est-elle en mesure d'absorber 3 ou 4 milliards de déficit supplémentaires ? Cela pourrait-il remettre en cause l'extinction de la Cades prévue pour 2024 ?

M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale. - La LFSS pour 2018 nous a effectivement confié pour nouvelle mission de verser à l'Unédic les contributions salariales exonérées. En contrepartie, nous avons reçu une fraction de TVA à hauteur de 5,59 %.

La prise en charge de cette nouvelle mission n'a présenté aucune difficulté sur le plan technique. Une convention a permis de déterminer avec l'Unédic les modalités de versement de nos recettes désormais exonérées.

La mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) et la commission des affaires sociales du Sénat nous avaient interrogés sur la cohérence entre la privation de recettes de cotisations salariales compensées par l'Acoss et l'Unédic et la recette de TVA affectée à l'Acoss.

En réponse, je vous indique qu'en 2018, 9,63 milliards d'euros de cotisations salariales exonérées ont été versés directement à l'Unédic. La recette de TVA qui nous a été imputée s'est élevée à 9,527 milliards d'euros. Le déficit de 103 millions a été imputé à l'Acoss et réparti dans les comptes des différentes branches du régime général.

Par ailleurs, la LFSS pour 2019 prévoyait que l'excédent généré par la sécurité sociale serait affecté à hauteur de 10 milliards d'euros à la Cades et que le reste serait réparti entre l'État et le régime général pour éponger ses déficits. Ainsi, la dette portée par l'Acoss aurait pu passer en dessous de 5 milliards d'euros, soit un niveau plus faible que ses variations de trésorerie au cours de l'année.

Cette trajectoire est aujourd'hui remise en cause du fait de la révision de la prévision de croissance à 1,4 % pour 2019-2022 au lieu de 1,7 %.

M. Jean-Noël Cardoux, président. - La prévision n'a-t-elle pas récemment été portée à 1,2 % ?

M. Alain Gubian, directeur financier de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale. - La prévision du programme de stabilité, qui sert de référence, est toujours à 1,4 %, mais certains organismes ont effectivement revu leur prévision à la baisse.

M. Yann-Gaël Amghar. - De même, les prévisions d'accroissement de la masse salariale ont été revues à 3,1 % en 2019-2020 puis entre 3,1 % et 3,4 % pour les années suivantes alors qu'elles s'élevaient respectivement à 3,5 et 3,8 %.

Cette trajectoire économique moins favorable affecte mécaniquement la position des comptes pour 2019, la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) prévoit désormais un déficit de 1,7 milliard d'euros alors que la LFSS prévoyait un excédent de 100 millions.

Ce solde ne tient pas compte de l'impact des dispositions de la loi portant mesures d'urgence économique et sociale (MUES). En effet, le rapport de la CCSS considère par convention que celles-ci sont compensées. Or leur coût s'élève à 2,7 milliards d'euros : 1,5 milliard au titre de l'annulation de l'augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG), et 1,2 milliard au titre de l'anticipation de l'exonération des heures supplémentaires. Je ne dispose pas d'information nouvelle quant à la compensation éventuelle de ces recettes.

Concernant la dette de la sécurité sociale, je rappelle que la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'autorise de transfert de ressources du régime général vers la Cades qu'à la condition que le régime général soit excédentaire. Le contexte actuel nous amène donc à réinterroger les conditions du transfert de dette tel qu'il était prévu par la LFSS pour 2019, mais je ne dispose pas d'information sur les intentions du Gouvernement.

Sur le plan strictement technique, je peux néanmoins vous répondre que le portage de cette dette ne pose pas de difficulté.

Nous devrions finir l'année 2019 avec un découvert de 22 milliards d'euros, avec un emprunt brut de 27 milliards. Nous avons connu des emprunts nettement plus élevés dans le passé.

Le contexte des marchés financiers est actuellement très favorable. Les taux d'intérêt étant négatifs, cette dette nous rapporte. Par ailleurs, les incertitudes pesant sur le contexte international incitent les investisseurs à privilégier les émetteurs publics que nous sommes. Nous n'avons donc de difficulté ni de prix ni de profondeur du marché. Dans les conditions actuelles, nous pourrions absorber un déficit de 1,7 milliard d'euros en 2019.

M. Yves Daudigny. - Vous avez dit que le transfert du régime général à la Cades devait s'élever à 10 milliards d'euros d'ici à 2022. N'est-ce pas plutôt 15 milliards ?

M. Yann-Gaël Amghar. - Oui, tout à fait, j'ai commis un lapsus !

M. Jean-Noël Cardoux, président. - Vous avez parlé d'un découvert de 22 milliards d'euros en fin d'année. Quel est le montant du cumul des déficits ?

M. Alain Gubian. - La grille de passage entre la situation de trésorerie et l'accumulation du déficit est en général actualisée à l'automne.

Le solde net du compte Acoss est d'environ 15 à 16 milliards d'euros. Les excédents anticipés par la dernière LFSS et la reprise de dette de 15 milliards d'euros auraient permis de porter la dette de l'Acoss à 1 ou 2 milliards d'euros. Elle s'élèvera finalement plutôt à 3 ou 4 milliards d'euros.

Le financement de cette dette est un lourd travail, mais il ne pose pas de difficulté car les marchés financiers sont prêts à se positionner sur un émetteur français reconnu de qualité. Les taux d'intérêt auxquels nous empruntons sont d'ailleurs toujours plutôt plus bas que ceux du marché.

M. Jean-Noël Cardoux, président. - Il y a toutefois une double inconnue : l'accélération économique anticipée par le Gouvernement pourrait ne pas se produire, et les taux pourraient redevenir positifs...

M. Alain Gubian. - On ne fait pas de prévision à moyen terme, mais il est aujourd'hui possible d'emprunter aux taux actuels à horizon de deux ans, ce qui est plutôt rassurant.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, vice-président. - N'y a-t-il pas un risque que le Gouvernement demande à l'Acoss de compenser également la contribution des cotisations patronales aux retraites complémentaires et à l'assurance chômage ?

Pourriez-vous nous dresser le bilan chiffré des mesures de pouvoir d'achat adoptées dans le cadre de la LFSS pour 2018 et dans le cadre de la loi MUES ? Dans l'idéal, il conviendrait de distinguer les différentes catégories de contributeurs, notamment les actifs et les retraités.

Mme Buzyn et M. Darmanin ont confié à M. Alexandre Gardette un rapport sur la possible unification de la mission de recouvrement des prélèvements obligatoires.

Savez-vous quand ce rapport sera rendu et quelles sont ses premières orientations ? L'Acoss perdurera-t-elle dans sa forme actuelle, ou bien aura-t-elle vocation à se fondre dans une « super-agence » chargée de la collecte des prélèvements obligatoires de toute nature ? A minima, dans la sphère sociale, sur quel périmètre et selon quel calendrier une telle unification pourrait-elle se faire ?

M. Yann-Gaël Amghar. - Les baisses de cotisations sociales et les mesures équivalentes prises pour le secteur public ont coûté 17,2 milliards d'euros dont 14,5 milliards pour les salariés du régime général, 900 millions pour les agents de la fonction publique et 1,8 milliard pour les travailleurs indépendants.

La hausse de la CSG représentait dès le départ un montant considéré comme supérieur à celui des baisses de cotisations en 2018 car, s'agissant des actifs, une partie des mesures étaient différées au 1er octobre, entraînant un effet report d'environ 5 milliards d'euros.

Les chiffres finaux sont en ligne avec les prévisions : la hausse de la CSG a représenté 22,8 milliards d'euros dont 16 milliards sur les revenus d'activité, 4,3 milliards sur les revenus de remplacement et 2,4 milliards sur les revenus du capital.

En 2020, le solde sera de l'ordre de 6 milliards d'euros pour les actifs, et pour les retraités, les nouvelles mesures prises sur la CSG réduiront l'impact de 1,5 milliard d'euros. Ces chiffres ne tiennent pas compte des mesures de la loi MUES.

Le dispositif conçu pour la compensation des allégements généraux des cotisations patronales est conceptuellement le même que celui qui a été retenu en 2018 pour la suppression des contributions des salariés à l'assurance chômage : la perte de recettes est compensée à l'euro près pour l'Unédic et l'Agirc-Arrco par l'Acoss, et l'Acoss reçoit en contrepartie une recette de TVA calibrée pour être d'un montant équivalent à ce qu'elle reverse à ces organismes. Si toutefois un écart se réalise, celui-ci sera réparti entre l'ensemble des branches.

Je ne suis pas en mesure de vous dire à quelle date le rapport de M. Gardette sera remis. À ce stade, et sans préjuger des décisions que prendra le Gouvernement, il me semble qu'il fait le constat de la richesse du paysage des collecteurs publics actuels - on compte une trentaine de collecteurs sociaux et environ autant de collecteurs fiscaux - et évalue l'intérêt qu'il peut y avoir à faire un certain nombre de regroupements.

Concernant le rapprochement entre sphère sociale et sphère fiscale, les travaux de M. Gardette montrent qu'il n'est pas forcément pertinent de rapprocher des impôts qui ont des faits générateurs et des rythmes de recouvrement complètement différents. Au sein des entreprises ce sont souvent des services différents qui gèrent les cotisations et les impôts commerciaux. De plus, les fusions de grande ampleur entraînent des risques et des coûts importants.

Par ailleurs, M. Gardette approfondit trois sujets.

Le premier est la rationalisation du recouvrement au sein de chaque sphère. L'intégration du régime social des indépendants (RSI) au régime général constituait déjà une rationalisation. Le transfert de la collecte des contributions au titre de la formation professionnelle et de l'apprentissage à horizon 2021 est le prochain chantier. D'autres collectes nous seront transférées d'ici à 2021, comme celle des cotisations des artistes-auteurs ou des marins.

M. Gardette travaille sur les modalités d'un éventuel transfert aux Urssaf des autres collectes sociales : les quelques régimes spéciaux de salariés qui ne sont pas encore collectés par les Urssaf, les douze caisses de retraite des professions libérales et l'Agirc-Arco. Un des enjeux de la mission de M. Gardette est d'évaluer le coût et les bénéfices qui peuvent être attendus de ces opérations et d'établir un calendrier.

Le deuxième sujet a trait aux synergies possibles entre la sphère fiscale et la sphère sociale. Des services conjoints, tel un portail commun, permettraient aux entreprises ou à leurs tiers déclarants d'avoir une vision globale de leur situation.

Enfin, le troisième sujet de travail de M. Gardette porte sur les possibilités de mutualisation de certaines activités.

M. Yves Daudigny. - Sur l'exercice 2018 vous avez indiqué que le différentiel entre l'excédent de recettes dû à l'augmentation de la CSG et aux compensations de cotisations s'élevait à 5 milliards d'euros. Que sont-ils devenus ? Un tel excédent n'apparaît pas à la fin de l'exercice 2018. Ce point avait été souligné au moment de l'examen de la LFSS.

Par ailleurs, le déficit du fonds de solidarité vieillesse (FSV) est-il géré par l'Acoss ?

Mme Michelle Meunier. - La Cades est l'objet de toutes les attentions et de toutes les hypothèses pour la fin d'année. On parlait d'apurement de la dette sociale à l'horizon 2024-2025. Est-ce remis en cause ?

M. Yann-Gaël Amghar. - Ces 5 milliards d'euros d'excédent n'apparaissent qu'en 2018. Ils sont venus en réduction du déficit public.

Concernant le FSV, ses déficits cumulés sont bien portés par l'Acoss en trésorerie commune.

Enfin, s'agissant de la Cades, à ce stade, il n'y a aucune remise en cause de l'horizon 2024-2025. Le Gouvernement ne pourrait en tout état de cause le proposer au Parlement que via un projet de loi organique. Ce qui pose question, aujourd'hui, c'est la faisabilité des transferts prévus de l'Acoss vers la Cades, compte tenu de la trajectoire actuelle des finances publiques.

La réunion est close à 15 h 20.