Lundi 18 mai 2020

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente -

La téléconférence est ouverte à 17 heures.

Audition de M. François Bonneau, président délégué de Régions de France et président de la région Centre-Val de Loire, sur le rôle des régions dans la sortie de crise pour les entreprises (en téléconférence)

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Au cours du dernier mois, notre délégation a auditionné diverses personnalités du monde économique au sujet des conséquences de la crise actuelle sur les entreprises et des réponses à lui apporter. Nous souhaitons vous entendre en votre qualité de président délégué de l'association Régions de France, car les régions sont très actives en la matière. Elles se sont montrées plus réactives que l'État pour la fourniture de matériel de protection et l'apport d'aides directes aux entreprises, par le biais de fonds de solidarité territoriaux à hauteur de 500 millions d'euros. Leur rôle dans la formation professionnelle et l'apprentissage sera également crucial pour la relance. Vous proposez par ailleurs qu'elles s'engagent en faveur d'une nouvelle politique industrielle et de l'économie sociale et solidaire. Pouvez-vous nous dresser un tableau de l'action des régions au cours des dernières semaines ?

M. François Bonneau, président délégué de Régions de France et président de la région Centre-Val de Loire. - Merci de me donner la possibilité d'échanger avec vous sur ces sujets. Les régions se sont engagées fort et vite pour affronter le nouveau contexte dans lequel nos entreprises vivent du fait de la crise du Covid-19 et développer le paradigme qui leur permettra de se développer à nouveau.

Dans un premier temps, les régions se sont mobilisées, en dehors même de leur champ de compétence directe, pour que les soignants puissent disposer des équipements de protection individuelle nécessaires, que ce soit pour la médecine de ville, dans les Ehpad, ou dans les structures de soins ; dans les premières semaines de la crise, la mobilisation de l'État était insuffisante pour répondre à la totalité de ces besoins. Nos importations ne pouvaient être destinées qu'au personnel soignant, faute de quoi elles auraient été réquisitionnées par l'État. Pour sécuriser ces acquisitions et éviter les surenchères, il a fallu utiliser les leviers de prospection qu'avaient développés les régions dans le domaine économique. Le Gouvernement a décidé que les achats effectués avant le 13 avril ne seraient pas pris en charge à 50 % par l'État. J'ai exprimé mon incompréhension de cette décision, dans la mesure où ils étaient directement liés aux charges de l'État, alors que les achats ultérieurs visaient plutôt à assurer le fonctionnement de nos services et le redémarrage de l'activité économique régionale : ainsi, j'ai fait procéder à l'achat de près de 3 millions de masques destinés à 1 700 entreprises de ma région.

Nous avons cherché des points de convergence entre l'action de l'État et la responsabilité économique des régions afin de développer des outils communs. C'est dans cet esprit que les régions participent au fonds de solidarité national ; elles ont la responsabilité de l'instruction des demandes de son deuxième volet. Nous avons pesé pour que le premier volet de ce fonds soit ouvert à tous, y compris aux indépendants, qui en étaient d'abord exclus : cela pouvait entraîner des situations très dégradées pour nombre de cafés, de restaurants, ou de petits commerces.

Nous avons accéléré les paiements dus aux fournisseurs et aux prestataires de services des régions, afin de soutenir leurs trésoreries ; nous avons également prévu des moratoires de loyers et des remboursements de prêts dus aux régions. Nous avons apporté une aide aux stagiaires de la formation professionnelle, afin de maintenir leur rémunération en dépit de la suspension de leurs stages. Nous avons enfin engagé d'autres dispositifs de conseils dédiés aux acteurs économiques et soutenu leur trésorerie dans de nombreuses filières.

Concernant le fonds de solidarité national, nous saluons la réactivité de son premier volet  1 500 euros versés en mars et en avril - ; le deuxième volet, dont nous assurons l'instruction, prévoit le versement de sommes allant jusqu'à 5 000 euros, voire 10 000 depuis le 24 avril. Ce sera fondamental pour que les entreprises puissent survivre. L'utilisation de ce fonds reste très dynamique : les projections montrent qu'elle pourrait atteindre 7 à 8 milliards d'euros. Nous avons travaillé avec Bpifrance pour que les garanties que nous accordons aux prêts octroyés par cette institution soient appropriées.

Quinze régions ont par ailleurs créé des fonds complémentaires, dits de « résistance », de « résilience », ou de « renaissance » suivant la région. Ces outils, mis en oeuvre, en général, avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la Banque des territoires, nous ont permis d'aller chercher les contributions des EPCI de manière à apporter une aide aux entreprises qui n'avaient pas eu droit aux prêts garantis par l'État (PGE) et à celles auxquelles ces prêts ne donnaient pas une robustesse financière suffisante. Ces dispositifs simples et réactifs ont permis la consolidation des trésoreries, mais ils visent aussi à aider le redémarrage de l'activité des petites et très petites entreprises qui connaissent des situations difficiles, notamment dans les secteurs du tourisme, de l'hôtellerie et de la restauration, qui connaîtront une période d'inactivité considérable ; ces acteurs du commerce et de l'artisanat sont indispensables à la vitalité de nos territoires.

On commence aujourd'hui à penser à la relance de certains secteurs d'activité : il faudra, pour franchir ce nouveau cap, songer à la relocalisation et prendre en compte les défis environnementaux et sociaux. Les diagnostics et la définition des objectifs devront faire l'objet d'une démarche concertée entre l'État et les régions. Je pense au secteur aéronautique : au-delà d'Airbus et de la région toulousaine, les sous-traitants sont nombreux dans beaucoup de régions, et les annulations ou les ralentissements de commandes les inquiètent fortement.

La relocalisation industrielle nous occupe également. Comment favoriser la réimplantation de la production pharmaceutique qui avait été délocalisée vers la Chine et l'Inde ? Comment intervenir pour que la production de masques retrouve une place dans nos territoires ? Il faut, dans bien des domaines, accélérer les transitions à l'oeuvre pour trouver un équilibre économique qui prenne en compte les défis énergétiques, environnementaux et numériques, mais aussi les nouvelles relations souhaitables entre production, transformation et consommation, telle la territorialisation accrue de l'agroalimentaire. Tout cela doit se faire par la concertation entre l'État, les régions et les branches professionnelles.

J'en viens au problème des fonds propres des entreprises. Les renforcer est prioritaire pour un redémarrage. Les principaux outils d'aide aujourd'hui mobilisés sont les PGE et les avances remboursables. Un mécanisme d'obligations convertibles, ou encore la transformation de certains PGE en quasi-fonds propres pourraient constituer de bonnes solutions ; nous menons en région une réflexion en ce sens. Un tel soutien sera essentiel, car les outils actuels, en dépit des taux préférentiels, creusent l'endettement d'entreprises qui n'étaient déjà pas toutes très compétitives. Confrontées à une perte de chiffre d'affaires, elles ne sont pas certaines de pouvoir rembourser les emprunts contractés aujourd'hui : nous devons donc rester attentifs à la mise en oeuvre de ces dispositifs. Bpifrance et la Banque des territoires devront nous aider à trouver des solutions : rappelons que cette dernière peut être sollicitée, non seulement pour des prêts, mais aussi pour des interventions en capital.

Enfin, un soutien fort et spécifique à l'économie sociale et solidaire, dans le cadre du plan de relance, nous apparaît comme une priorité incontournable en ce moment. Ce secteur, bien enraciné dans nos régions - entre 10 % et 12 % de leur PIB -, mais fortement impacté par la crise, peut permettre au redémarrage de se faire de manière solidaire avec des populations fragilisées.

Les régions doivent donc à la fois faire face aux besoins immédiats et préparer des plans de relance pour les infrastructures de transport, la réimplantation industrielle et la transition énergétique. Tout cela nécessitera beaucoup de moyens, mais l'équilibre budgétaire doit être respecté. Or, on risque un effet de ciseau : les pertes de recettes seront en effet considérables dès cette année, qu'il s'agisse de la part de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui leur revient, de la TVA, ou encore des cartes grises : ainsi, la région Centre-Val de Loire, loin d'être la plus peuplée, devrait voir ses recettes amputées de 50 millions d'euros en 2020. Cette perte ne sera pas résorbée en 2021, dans la mesure où la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) est calculée à partir de leur activité l'année précédente. Si les régions ne voient pas ces pertes compensées, cela aura des effets délétères. Nous ne sommes déjà plus en situation de maintenir le niveau d'investissement actuel ; nous aurons donc de grandes difficultés à intervenir pour la relance en l'absence de consolidation de nos ressources.

Les effets collatéraux de cette crise budgétaire seront terribles, notamment dans le domaine de l'apprentissage, du fait de sa récente réforme. Celui-ci est très lié à la dynamique économique : bien orienté dans les phases de croissance, il s'effondre dans les périodes de décélération économique, comme on l'a vu en 2008 et en 2009. Dès lors que les régions n'ont plus la responsabilité des centres de formation d'apprentis (CFA), elles ne peuvent plus intervenir comme par le passé ; nous nous interrogeons donc sur la santé financière de ces établissements dès la rentrée prochaine.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je souhaite revenir sur les recettes des régions et, plus largement, sur la commande publique, dont on connaît l'importance pour l'économie locale. Il faudrait une reprise très rapide des investissements. Auriez-vous des propositions à faire pour simplifier et accélérer cette commande ?

M. François Bonneau. - En guise d'exemple, les régions ont la responsabilité du transport collectif, notamment ferroviaire ; or bien des lignes du quotidien sont dans un état très dégradé. Nous avons travaillé avec l'État et SNCF Réseau pour quantifier les besoins ; à très brève échéance, certaines lignes pourraient voir leur vitesse commerciale réduite à 40 km/h. Nous demandons à l'État de prendre sa part de l'effort nécessaire : les régions ne reçoivent aujourd'hui aucune compensation pour ce travail d'entretien qui leur revient, alors que de tels investissements seraient utiles pour les territoires et la relance des travaux publics.

Plus généralement, nous serions preneurs de nouveaux contrats de plan État-régions (CPER) dès 2021 ; seulement, il faudrait qu'ils soient coordonnés avec le plan de relance et qu'une clarification soit apportée quant au maintien de nos ressources à leur niveau actuel. Ces CPER pourraient concerner les infrastructures, mais aussi favoriser la relocalisation industrielle, la recherche, le très haut débit, l'enseignement supérieur et le tourisme. Un dialogue avec l'État est nécessaire sur ces sujets majeurs, qui pourraient faire l'objet d'engagements rapides.

M. Michel Canevet. - Concernant les fonds régionaux que vous avez évoqués, les EPCI ont-ils apporté leur cofinancement spontanément ou ont-ils exprimé des réticences ? Les limites fixées à 5 000 et 10 000 euros ne conviennent pas nécessairement à tous les types d'activités. N'est-ce pas là une contrainte trop forte ?

Vous avez également évoqué les questions de la rémunération des apprentis et de la formation professionnelle. Un grand nombre d'apprentis aura sans doute de grandes difficultés à trouver des entreprises.

L'orientation des élèves, qui est désormais une compétence régionale, ne devrait-elle pas figurer dans les CPER ?

Qu'en est-il des prêts garantis par l'État ? Les entreprises éprouvent-elles des difficultés à y accéder ? Faudrait-il permettre aux régions d'entrer au capital d'entreprises considérées comme stratégiques ? Dans l'affirmative, le cadre juridique actuel vous paraît-il adapté ?

M. François Bonneau. - Concernant les fonds complémentaires, dits de « résistance », de « résilience », ou de « renaissance », les régions ont généralement permis aux EPCI d'intervenir à hauteur de 500 à 5 000 euros, sous forme de subventions. Ensuite, les régions, les EPCI et la Banque des territoires ont travaillé sur des « tickets » compris 5 000 et 20 000 euros pour aider des entreprises dont la taille est variable selon les régions. Nous avons voulu que ces fonds soient très réactifs. Les déclencheurs de ces fonds peuvent être les EPCI, qui connaissent leur territoire, la région, lorsqu'elle a développé des antennes ou des services de proximité. Ces fonds sont complémentaires des prêts garantis par l'État et du fonds national de solidarité. Leur attribution est soumise à un nombre restreint de conditions.

Dans ma région, nous avons créé un fonds additionnel destiné aux entreprises qui, au moment de redémarrer, intègrent les dimensions développement durable, économie circulaire, approvisionnement et consommation de proximité.

Nous sommes très préoccupés par l'apprentissage. La loi ne nous donne pas la possibilité d'intervenir. Le Gouvernement n'y peut rien, qui ne pouvait pas imaginer le tsunami économique qui arrive. Certaines régions ont lancé des campagnes de communication avec les chambres de commerce et d'industrie et les chambres de métiers et de l'artisanat sur l'apprentissage.

S'agissant de l'orientation, vous avez mille fois raison. Il y a eu des avancées, mais elles sont partielles. En effet, les régions ne s'occupent que de la partie information sur les métiers, ce qui exclut le conseil et la sensibilisation des enseignants et des personnels d'orientation aux métiers de demain. Dans ma région, nous avons négocié avec le rectorat que quelques fonctionnaires de l'éducation nationale soient affectés à la structure régionale faisant l'interface avec l'État pour nous permettre de sensibiliser les établissements scolaires et les professeurs principaux à la vie économique et sociale lors des choix d'orientation.

Les prêts garantis par l'État permettront sans doute la survie de nombreuses entreprises, et ils sont indispensables compte tenu de la crise que nous vivons - arrêt d'activité, baisse de la demande - très différente de la crise de 2008. Les représentants de l'État s'impliquent beaucoup aux côtés des présidents de région pour assurer un suivi auprès des réseaux bancaires régionaux. Nous étudions ensemble les conditions d'engagement de ces PGE, la mise à disposition dans les agences d'équipes dédiées, et enfin nous suivons les refus opposés aux demandes des entreprises. À ce jour, il semble que ce taux de refus soit assez limité - moins de 5 % -, même s'il est possible que ne soient pas comptabilisés les refus à des entreprises qui ont été orientées vers d'autres dispositifs.

Au final, l'outil bancaire me paraît mieux positionné qu'il ne l'était en 2008 et les banques répondent dans des délais auxquels elles ne nous avaient pas habitués.

Le cadre juridique permet-il aux régions d'intervenir avec leurs fonds propres ? Non, et c'est problématique. Avant même cette crise, les régions étaient souvent sollicitées pour assurer le portage bâtimentaire des industriels. Il nous faudra à l'avenir trouver des outils juridiques pour que les régions puissent intervenir dans le capital des entreprises s'agissant non seulement des bâtiments, mais également des équipements. Il faut mener cette réflexion avec Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations et le ministère de l'économie et des finances.

Mme Catherine Fournier. - Vous avez rappelé le rôle important des régions dans les domaines de la formation et de l'apprentissage. À cet égard, vous savez l'implication du président des Hauts-de-France.

Avec la compétence du développement économique, la région est la structure qui est la plus proche du territoire. Vous avez évoqué les différentes formes d'aides mises en place par les régions et leur rôle de « booster ». Vous avez abordé - et c'est ce qui m'intéresse - le plan de relance de certaines filières, notamment l'industrie pharmaceutique. Dans notre histoire, la notion de souveraineté a souvent été limitée au champ de l'alimentaire et de la sécurité. La crise actuelle a démontré que l'approvisionnement en produits de santé en faisait également partie. Or la France, comme l'Europe, ne dispose plus d'industrie de ce type et cela s'est avéré fatal. Le manque de masques n'est que la partie émergée de l'iceberg. Le rapport d'information publié en 2018 par le Sénat, Pénuries de médicaments et de vaccins : renforcer l'éthique de santé publique dans la chaîne du médicament, dressait un constat dramatique. La région va être au centre de cette relance économique : comment imaginez-vous pousser le Gouvernement à engager un réel plan de relance à vos côtés ? Quels leviers peuvent être utilisés pour soutenir des industries phares de notre pays ou forcer à des réimplantations ? Quels outils imaginez-vous pour garder notre souveraineté en la matière ?

M. Michel Forissier. - Le Gouvernement a-t-il engagé des discussions avec les régions au sujet du plan de relance ? Certaines régions, certains départements, certaines intercommunalités, certaines communes interviennent aux côtés des entreprises, et il est à craindre que ces interventions ne soient pas coordonnées, ce qui m'inquiète. Et puisque la région a, en quelque sorte, la compétence principale en matière de développement économique, elle devrait être chef de file de ce plan de relance.

Vous avez abordé les problèmes financiers auxquels vont être confrontées les collectivités locales, notamment les régions. Il ne faudrait pas croire, comme certains le donnent à penser, que tout va rentrer dans l'ordre et que l'économie va redémarrer. Les dettes qui ont été contractées ne pourront pas être remboursées à court terme. Comment envisager un étalement de ces remboursements ?

S'agissant de l'apprentissage - sujet sur lequel je travaille quotidiennement -, lors de l'examen de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, nous avions fait des propositions pour redonner toute leur place aux régions, mais le Gouvernement ne nous avait pas suivis. Nous estimions que l'apprentissage devait être du ressort des régions avec, bien entendu, une régulation au niveau national. Aujourd'hui, on se rend compte que, en l'absence de tout contrôle, il subsiste une inadéquation entre les offres de formation et les besoins de main-d'oeuvre. Le décrochage des apprentis, cette année, sera massif étant donné que les CFA sont restés fermés et que la plupart des entreprises, notamment dans la restauration, n'en recruteront pas tant qu'elles ne retrouveront pas une activité régulière. N'est-ce pas le moment de donner une place plus importante aux régions en matière d'apprentissage ?

M. François Bonneau. - La crise actuelle montre bien que le néolibéralisme et le seul intérêt des mouvements capitalistiques ne sont pas tenables, car ils ne permettent tout simplement pas de répondre aux besoins humains. C'est particulièrement vrai dans le secteur pharmaceutique. Nous ne devons pas tomber non plus dans une logique d'économie administrée. En fait, il nous faut trouver un équilibre entre libéralisme échevelé et affirmation hors-sol du politique.

Pour cela, nous devons discuter avec les grandes multinationales du médicament ; j'ai eu à le faire dans ma région et elles ne sont pas insensibles au dialogue, mais pour disposer des moyens d'action nécessaires à cette discussion, nous devons raisonner de manière dynamique, en prenant en compte les évolutions à venir de la production de médicaments, notamment le développement des biotechnologies. L'émergence d'écosystèmes fondés sur la formation, la compétence, la recherche et le développement est alors essentielle ; le coût de la main-d'oeuvre est peut-être inférieur ailleurs, mais les industriels doivent regarder la chaîne complète de production. Les réponses sont complexes ; elles imposent une affirmation politique, une vision au niveau européen. Il n'est pas normal que les recherches liées aux médicaments soient réalisées en Europe ou aux États-Unis et que la production se fasse ailleurs.

Il me semble que la problématique est la même pour le secteur automobile, où il est crucial de développer une vision politique et stratégique de l'évolution des mobilités pour les décennies à venir.

Sur ces sujets, il est plus que temps que l'Europe prenne conscience des problèmes actuels. Serons-nous capables, dans ce moment de rupture, d'avoir à l'échelle européenne une vision collective pour porter de grands projets comme ce fut le cas, jadis, pour Airbus ? Il me semble en tout cas que les Allemands doivent se garder de l'illusion du cavalier seul.

En ce qui concerne l'étalement des conséquences de la crise dans la durée, le report de la charge sur les générations futures n'est tenable que si nous revoyons dans le même temps les fondamentaux de l'économie pour qu'ils intègrent pleinement les enjeux environnementaux, numériques et sociaux. La crise doit nous amener à rééquilibrer notre modèle - il nous a apporté beaucoup de bonnes choses, mais il doit évoluer. Par exemple, le processus d'hyper-métropolisation est une totale hérésie et nous devons corriger les choses.

Monsieur Forissier, je me souviens des débats que nous avons eus au moment de la réforme de l'apprentissage et nous étions pleinement en phase ! Les personnes qui travaillent chez les opérateurs de compétences (OPCO) sont des techniciens, pas des entrepreneurs ou des artisans. Il existe clairement un vice de forme dans la réforme menée par Muriel Pénicaud et nous devons essayer de sauver le paquebot, de corriger les erreurs. En tout cas, nous essayons d'agir de manière concrète : dans ma région, nous opérons ainsi une connexion entre le statut de stagiaire de la formation professionnelle et celui d'apprenti pour permettre aux personnes qui en auraient besoin de basculer facilement de l'un à l'autre.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Une partie des fonds européens n'est pas utilisée - c'est une remarque qui revient régulièrement, lorsqu'on évoque la gestion de ces fonds. Régions de France a proposé de mobiliser jusqu'à 650 millions d'euros par ce biais pour faire face à la crise. Où en sont vos discussions à ce sujet ?

M. François Bonneau. - Le contrôle des dépenses engagées sur des fonds européens est exigeant, voire tatillon, si bien qu'environ 15 % des factures ne sont finalement pas prises en charge, ce qui explique en partie la sous-consommation des crédits. Nos discussions avec la Commission européenne avancent à ce sujet ; elle nous incite à « surbooker » les dépenses, c'est-à-dire à prévoir davantage de dépenses finançables que le montant prévisionnel, car certaines d'entre elles arriveront hors délai ou seront inéligibles. Environ 5 % des fonds européens concernés pourraient ainsi être fléchés vers des dépenses dites Covid-19, mais nous souhaitons qu'ils ne permettent pas seulement de financer des masques ou autres équipements de protection.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Les régions et les EPCI se sont beaucoup impliqués dans la gestion de cette crise, mais les actions menées sont assez variées selon les territoires. Que pensez-vous de cette diversité qui peut conduire certains acteurs économiques à se sentir lésés par rapport à leurs confrères ?

M. François Bonneau. - L'uniformité n'est pas un gage d'égalité ! Prenons l'exemple d'une responsabilité assurée par l'État : l'accès aux soins. Un habitant du Centre-Val de Loire a quarante fois moins de chance d'obtenir un rendez-vous avec un psychiatre qu'un habitant de Provence-Alpes-Côte d'Azur ! L'action de l'État crée donc parfois des inégalités. Il est vrai que les régions peuvent avoir des réactions différentes selon les secteurs d'activité, mais ces fluctuations sont souvent rapidement corrigées sous la pression de l'opinion publique ou des acteurs économiques eux-mêmes. Toutes les régions ne prennent pas le même chemin pour répondre aux besoins, mais elles tiennent compte des actions que les autres conduisent.

Surtout, il est indispensable que les collectivités territoriales puissent forger des outils qui soient adaptés aux spécificités de leur territoire. Cette politique est nettement préférable, selon moi, à celle par laquelle une grille unique serait édictée dans les ministères et « descendrait » dans les territoires.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Régions de France a proposé un new deal industriel et environnemental. Comment a réagi l'État ?

M. François Bonneau. - Nous menons avec l'État un dialogue avancé sur le plan de relance afin de répondre à la crise. Cependant, il existe un préalable essentiel : le maintien de nos ressources en 2020 et 2021. Sans cela, les régions devront l'an prochain diviser par deux leurs dépenses d'investissement et leur ratio de désendettement se dégradera de deux années.

La politique de relance ne doit pas être conçue exclusivement à Paris, avec des collectivités territoriales qui seraient de simples sous-traitants de l'État. Ensemble, nous devons écrire cette politique et dessiner le nouveau paradigme de l'action publique. Les échanges que nous avons avec Bruno Le Maire sur ces sujets sont de bonne qualité.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Vous avez donc noué un bon partenariat ?

M. François Bonneau. - Oui, et il avait commencé avant la crise. Ainsi, le ministre semble partisan d'une régionalisation accrue de Bpifrance pour mieux prendre en compte les spécificités des territoires.

En ce qui concerne l'intervention en fonds propres sur le capital de certaines entreprises, dont nous avons parlé tout à l'heure, nous devrons réfléchir avec le Gouvernement et le Parlement à l'organisation juridique d'un tel dispositif.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous serons donc amenés à reparler de décentralisation d'une manière très concrète ! En tout cas, je vous remercie d'avoir participé à nos travaux.

La téléconférence est close à 18 h 25.