Vendredi 3 juillet 2020

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Présentation des conclusions communiquées par le président Michel Magras au groupe de travail sur la décentralisation à la suite de ses échanges avec les présidents des départements, des régions et des collectivités d'outre-mer et du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, c'est un exercice difficile auquel je vais me livrer. Le travail qui a été réalisé est très dense et le bilan n'est pas simple. Tout d'abord, je voudrais évoquer la méthode.

Comme vous le savez, le Président du Sénat a constitué un groupe de travail sur la décentralisation dont MM Philippe Bas et Jean-Marie Bockel sont les rapporteurs. Ce groupe de travail est transpartisan puisque tous les présidents de groupe y sont associés. Quant à moi, j'y figure en qualité de président de la délégation, organe du Sénat associé à la démarche.

Initialement - avant la crise sanitaire - je vous avais proposé d'organiser une conférence début mai, en collaboration avec l'Association des juristes en droit des outre-mer (AJDOM) afin de réunir l'ensemble des présidents d'exécutifs et d'assemblées ultramarins en vue d'une contribution aux travaux du groupe de travail. Cet événement ayant été bien sûr annulé, j'ai dû recourir à la visioconférence pour m'entretenir avec les exécutifs des assemblées territoriales des outre-mer, exception faite des présidents des conseils départementaux de Mayotte et de La Réunion avec lesquels je n'ai pas réussi à caler une date.

Au total, j'ai pu tenir onze réunions et avoir plus d'une quinzaine d'heures d'auditions, particulièrement riches et variées, qui me semblent constituer un recueil inédit des volontés locales. Les sénateurs de chacun des territoires ont naturellement été associés à ces entretiens.

J'en ai rendu compte oralement devant les membres du groupe de travail le 17 juin dernier et transmis une contribution qui formule des propositions dont la présentation constitue l'objet de notre réunion de ce jour.

Le 24 juin, le groupe de travail a adopté ses conclusions et l'ensemble a été présenté par le Président du Sénat, Gérard Larcher et les deux co-rapporteurs en conférence de presse le 2 juillet.

Aujourd'hui, je souhaite vous présenter cette synthèse qui, sans être exhaustive, se veut aussi fidèle que possible.

Je suis parti d'un constat : les normes, au sens large, lorsqu'elles sont décidées, créées ou votées au niveau national par l'État, sont initialement pensées pour le territoire métropolitain et prennent insuffisamment en compte les outre-mer. Elles n'y donc jouent pas pleinement le rôle d'accompagnateur des modèles de développement, car elles peuvent, faute d'adaptation, se révéler contre-productives comme nous l'avons vu avec les études de la délégation sur les normes.

Les processus d'adaptation n'ont manifestement pas permis un développement optimisé de l'ensemble de nos territoires. Les exécutifs ultramarins, en particulier des collectivités régies par l'article 73 de la Constitution, sont donc unanimes pour admettre qu'une adaptation effective de l'action publique aux réalités locales de chaque territoire ultramarin passe obligatoirement par un traitement différencié. Il s'agit de penser davantage l'action et son cadre au niveau du territoire.

Cela signifie en termes clairs qu'outre-mer, la définition de la différenciation territoriale efficace s'articule autour de la question des transferts de compétences. Puisque l'adaptation par le haut montre ses limites, il convient de permettre aux collectivités elles-mêmes d'y procéder. Reste à définir dans quelle mesure, selon les aspirations de chaque territoire. Cela ne signifie pas pour autant que le besoin d'État s'efface. Bien au contraire, l'État doit rester le garant et l'accompagnateur des collectivités vers leur autonomie chaque fois que cela correspondra à la volonté locale et répondra au principe de subsidiarité. C'est à mon sens un changement de culture qui doit impérativement être opéré.

Il va sans dire que différencier outre-mer, c'est décliner une organisation en fonction des aspirations locales. Une fois ce principe posé, les territoires ont à répondre à ces deux questions principales se posent alors : quel degré de décision et dans quels domaines ?

Les projets qui m'ont été exposés diffèrent dans la définition des domaines de compétences et le degré de pouvoir de décision local souhaité, révélant, s'il en était besoin, la singularité de chacun d'eux.

Ces échanges m'ont conforté dans la conviction que la dichotomie constitutionnelle entre les territoires ultramarins placés sous le régime de l'article 73 et ceux relevant de l'article 74 doit désormais être dépassée.

En réalité, dans les collectivités de l'article 74, la spécialité législative n'est pas nécessairement le régime dominant. À Saint-Barthélemy par exemple, sauf dans les matières transférées à la collectivité, c'est l'identité législative qui s'applique. C'est le cas en matière de sécurité sociale, d'aviation civile, d'éducation ou encore dans le domaine sanitaire. En outre, les actes que nous adoptons doivent naturellement être conformes à la Constitution, mais surtout les règles que nous fixons s'inspirent de celles qui prévalent au niveau national. Disposer de la compétence, nous permet de les adapter en les mettant à la taille et à la mesure des besoins de notre territoire. Tel est le cas pour les conventions sur l'énergie que Saint-Barthélemy vient de signer, même si elles sont adaptées à notre taille. Tout cela pour dire que la réalité de l'article 74 est plus nuancée qu'il n'y paraît notamment dans les imaginaires collectifs. Ces deux articles sont historiquement chargés de symbolique.

Le degré d'exercice des compétences se heurte au statut juridique de chaque territoire. Il ressort des entretiens que toutes les collectivités aspirent à des responsabilités accrues, soit en restant dans leur cadre statutaire actuel, soit en le modifiant. Les collectivités de l'article 74 - Wallis-et-Futuna mise à part - ont développé une culture de la responsabilité et aucune d'entre elle ne remet en cause son cadre constitutionnel. S'agissant des collectivités de l'article 73, la situation est moins nette car la question du statut constitutionnel n'est pas tranchée.

Se pose bien entendu la question du financement de la mise en oeuvre des compétences locales. Je reviendrai dans un instant sur le problème des habilitations de ce point de vue.

Exercer plus de compétences localement renvoie à l'autonomie fiscale. Il faut pouvoir lever les taxes et les impôts qui financeront l'exercice de la compétence. En cas de transfert d'une compétence fiscale, l'État ne peut pas demander d'appliquer exactement la même fiscalité. Elle peut être aussi optimisée pour être adaptée aux réalités de notre territoire.

J'arrive à la conclusion que les moyens financiers, aujourd'hui, arbitrent les choix et la différenciation territoriale. Certaines collectivités se sont résignées ou ont choisi le statu quo de perdre leurs ressources budgétaires car l'idée d'autonomie est associée à celle de « largage », il faut bien le dire. Je suis pourtant persuadé que l'État a intérêt à accompagner ces choix, y compris financièrement car j'estime en effet que l'État y gagne in fine.

Au cours des vingt ou trente dernières années, des politiques publiques parfois coûteuses ont été déployées sans pour autant que l'on parvienne à réellement développer, cela vaut pour les collectivités de l'article 73 en particulier. C'est par exemple le cas en matière de défiscalisation. Nous en avons vu les effets. Les investisseurs hexagonaux ont pu déduire leurs placements de leurs impôts, mais, avec la détunnelisation, ils avaient en réalité intérêt à ce que l'investissement soit déficitaire pour déduire le déficit du revenu imposable de leur société. Ces effets pervers ont été corrigés au fur et à mesure mais force est de constater que ces investissements n'ont pas permis un développement rentable pour les finances publiques des territoires alors que le niveau de la dépense fiscale a été élevé.

Si nous voulons soutenir ce développement, nous devons plaider aujourd'hui pour une nouvelle relation de confiance entre l'État et les collectivités. D'abord, en différenciant, il n'y a aucune crainte que l'unité et l'indivisibilité de la République soient mises en cause. L'efficience outre-mer passe obligatoirement par une meilleure adéquation aux réalités locales, donc par une contextualisation des mesures.

La loi permet aujourd'hui une certaine décentralisation de l'adaptation par le biais l'habilitation. Cependant, malgré quelques améliorations, sa mise en oeuvre reste embryonnaire. De deux ans, la validité de l'habilitation est passée à la durée du mandat, renouvelable une fois.

Il convient de s'interroger pour savoir pourquoi les habilitations sont si peu utilisées outre-mer ? D'une part, le processus est jugé par les exécutifs extrêmement lourd à mettre en place. D'autre part, les moyens financiers ne sont pas transférés et les collectivités doivent en assumer le coût, le cas échéant.

Les collectivités relevant de l'article 74 bénéficient déjà, d'une autonomie plus ou moins large, la Polynésie étant la plus avancée - je mets la Nouvelle-Calédonie de côté, car elle n'est pas juridiquement une collectivité d'outre-mer.

La Polynésie, dans son contexte international actuel, réclame l'approfondissement de ses compétences pour mieux s'insérer dans son environnement régional.

En outre, alors que les collectivités de l'article 73 ont déploré un manque de concertation avec les services déconcentrés de l'État durant la crise sanitaire, la représentation de l'État, dans le Pacifique, a adopté une attitude intéressante à relever. En Nouvelle-Calédonie, les décisions ont été prises en concertation, jusqu'à la signature d'arrêtés conjoints du Haut-commissaire et du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. En Polynésie, l'État a agi en se concertant préalablement avec la collectivité même si les textes ont été signés par le seul représentant de l'État. Ces deux situations montrent qu'une délimitation claire des compétences peut améliorer les relations État/collectivités.

La situation a été différente aux Antilles, où de nombreux responsables politiques ont eu le sentiment que les préfets ont géré sans tenir réellement compte de l'avis des élus du territoire.

À l'issue des auditions, j'ai donc tenté de formuler quatre propositions, qui constituent la synthèse des propos que j'ai recueillis.

En premier lieu, il s'agit de prévoir la transmission au Premier ministre et aux assemblées parlementaires des propositions de modifications législatives ou réglementaires présentées par les territoires ultramarins. En effet, je rappelle qu'une loi de 1960 prévoyait la possibilité pour les collectivités de formuler des propositions de lois ou de modifications de lois et règlements qui leur sont applicables adressées au Premier ministre. Restée lettre morte faute de décrets d'application, cette disposition a été reprise par la loi d'orientation pour les outre-mer du 13 décembre 2000. Je pense que ce n'est pas suffisant. Le Premier ministre, en fonction de ses priorités, choisira de les traiter ou non. Je propose donc de les adresser dans le même temps qu'au Premier ministre, au Sénat et à l'Assemblée nationale. Ces propositions pourraient être examinées soit à l'initiative du Gouvernement, soit à l'initiative de l'une des deux assemblées.

Par ailleurs, vous m'avez souvent entendu à la tribune évoquer l'idée qu'une loi d'actualisation annuelle de la législation outre-mer. Pour adapter les dispositions outre-mer, le Gouvernement demande régulièrement l'autorisation de légiférer par ordonnance, et le Parlement ratifie aimablement ce qui a été décidé. Cela prive du débat parlementaire et constitue chaque fois une occasion manquée d'adapter précisément les textes. À mon sens, une loi d'actualisation du droit des outre-mer chaque année permettrait, comme son nom l'indique, de procéder aux adaptations aux contraintes particulières des territoires ultramarins à la faveur d'un débat. C'est ma deuxième proposition. Le Conseil Constitutionnel interdit les textes fourre-tout du type « diverses dispositions », mais une loi d'actualisation reste possible. Elle pourrait permettre de passer en revue un certain nombre de domaines.

Ma troisième proposition est la plus complexe et la plus sensible. Les articles 73 et 74 induisent une approche statutaire des outre-mer selon un mode binaire. Selon ce raisonnement, on aurait d'un côté le paradis de l'article 73 et de l'autre, l'enfer de l'article 74 ! Cette distinction est bien sûr une vue de l'article 73 dont les collectivités sont, potentiellement ou effectivement, les seules concernées par la question statutaire puisque celles de l'article 74 l'ont réglé. Exception faite de Wallis-et-Futuna bien entendu.

De plus, aucune collectivité d'outre-mer de l'article 74 n'a envie de revenir sur son statut. Celles qui relèvent de l'article 73 ne veulent pas davantage que l'on touche à leurs acquis. Mais toutes veulent une plus large marge de décision.

Je le redis, l'article 74 n'est pas l'enfer et il ne nous prive pas de la solidarité nationale. D'ailleurs, le président de la Polynésie française Édouard Fritch a fortement insisté sur le fait que l'autonomie, même en Polynésie, ne place pas le territoire hors de la solidarité nationale. Je propose donc de réunir les articles 73 et 74 de la Constitution sachant, cela va sans dire, que cette réunion ne doit pas constituer une absorption de l'un des régimes par l'autre, mais plutôt une addition garantissant à chaque collectivité de pouvoir déterminer librement la part de spécialité législative et celle d'identité législative qu'elle souhaite ou être régie intégralement par l'identité législative. On doit aboutir à l'addition de l'article 73 et de l'article 74, et non à une soustraction 74 moins 73.

Ainsi, les collectivités d'outre-mer pourraient choisir et définir intégralement leur organisation locale. La problématique de la simplification du schéma institutionnel se pose encore. C'est le cas en Martinique, par exemple, du fait de l'existence des communautés de communes. Elles sont perçues comme de véritables collectivités qui viennent complexifier l'organisation institutionnelle au lieu de la simplifier. Or l'article 73 impose en outre-mer de retrouver l'ensemble des échelons administratifs nationaux. L'adaptation ne peut porter que sur la fusion département/région en vue d'une collectivité unique ou d'une assemblée unique. En l'absence d'organisations particulières comme pour Lyon - fusion du département de la métropole -, l'organisation de la démocratie locale est alignée sur le droit commun.

Une affirmation politique forte doit garantir qu'une telle évolution ne s'accompagnera pas de l'obligation de renoncer au régime de l'identité législative, à moins que la volonté de la population n'ait été exprimée, et inversement, pour les collectivités régies par le principe de spécialité législative. Il s'agit de « verrouiller » les statuts dans les deux sens.

Vue des DOM, la peur vient de l'inconnu que représente l'article 74. En l'état, la Constitution organise en effet un changement d'une situation vers un concept sans aucune garantie de ce qu'il adviendra une fois le changement consenti. Le proverbe créole « On n'achète pas de chat dans un sac » a été le slogan des campagnes de 2003 et 2010. C'est pourquoi la réunion des deux articles devra s'accompagner de la consultation des populations sur les transferts de compétences lorsqu'ils sont assortis d'un changement de régime législatif.

Cela est de surcroît conforme à la demande de plus de démocratie participative qui traverse notre société. Il est donc impossible de remettre en cause la solidarité nationale sans accord de la population. Je vous rappelle que l'article 73 n'a pas empêché un alignement plus tardif du SMIC et celui du RMI en 2001 seulement. Que risque-t-on de perdre ? À mon avis, rien ! On prendra les compétences que l'on souhaite dans les transports, l'urbanisme ou autres domaines levier du développement et de la maîtrise de la destinée du territoire. Car c'est l'enjeu. Le domaine régalien n'est naturellement pas transférable et celui de la solidarité ne pourrait pas l'être sans consentement de la population. C'est d'ailleurs révélateur. Quand on parle de santé et de solidarité outre-mer, on pense parfois qu'il s'agit de sujets régaliens. Or sauf erreur de ma part, la santé ne relève pas du pouvoir régalien.

La véritable différenciation outre-mer passe donc obligatoirement aujourd'hui par une révision constitutionnelle. J'estime qu'on ne peut y échapper pour dépasser cette logique binaire des articles 73 et 74 afin de passer à une logique de subsidiarité, pour que l'exercice d'une compétence se fasse au niveau le plus approprié.

Comment cela se traduirait-il concrètement ? Chacune des dix collectivités d'outre-mer - la Nouvelle-Calédonie n'est pas une collectivité - disposerait d'un statut ou d'une organisation définie par une loi organique. C'est la loi organique qui définirait le régime et qui attribuerait les compétences demandées par cette collectivité. Les transferts de blocs de compétences nouveaux ne pourraient être opérés sans une consultation de la population. Cela pèse considérablement. On ne peut pas ignorer la demande de la population d'un territoire. À l'inverse, on ne peut pas non plus ignorer son refus. C'est aussi une double sécurité pour les élus, forts de l'approbation de leur population, et pour la population, contre laquelle les élus et l'État ne peuvent décider seuls. J'y vois un progrès non négligeable.

Enfin, ma quatrième proposition consiste à reconnaître les collectivités d'outre-mer comme une catégorie générique dans l'article 72 de la Constitution, qui cite les collectivités régies par l'article 74. Je pense que l'on pourrait simplement les regrouper sous la catégorie « collectivités d'outre-mer ». Elles pourront alors librement choisir l'appellation qu'elles souhaitent donner à la nouvelle collectivité, y compris le terme de « département » ou de « région » si elles entendent la conserver.

Voilà, mes chers collègues, la synthèse à laquelle je suis parvenu en ayant en tête en permanence l'exigence de l'intérêt des collectivités et de leur développement. Ces travaux et réflexions n'ont été guidés que par une double question : Quel cadre constitutionnel garantira le mieux l'épanouissement des outre-mer ? Quels enseignements faut-il tirer pour sortir de ces schémas qui, plus de soixante-dix ans après la départementalisation, n'ont pas été suffisamment créateurs de développement ?

J'ai souhaité en outre donner une suite à ma contribution aux travaux du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation. Mes propositions ont été intégrées aux « 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales » présentées hier par le président Larcher. Je vous propose d'approfondir ces premières réflexions avec un rapport de la délégation, auquel seront annexés les comptes rendus des auditions. Elles pourraient être complétées par des auditions complémentaires de personnalités qualifiées, comme des spécialistes du droit constitutionnel. Si vous en êtes d'accord, je vous proposerai conjointement d'être le rapporteur de ce travail qui devra être achevé avant la fin de mon mandat en septembre.

Mes chers collègues, je vous cède la parole pour recueillir votre sentiment sur cette démarche, sur le bilan, sur les propositions et sur le rapport.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je vous remercie vivement, Monsieur le président, pour votre travail effectué dans des conditions qui n'ont pas été faciles. Il s'agit d'un travail de qualité que je tiens à saluer.

À titre personnel, je suis favorable à l'ensemble des propositions qui ont été exprimées, notamment un rapport réunissant les préconisations de notre délégation. Je considère comme une satisfaction supplémentaire le fait que vous en soyez le rapporteur.

Je suis également favorable à la proposition de réunion des articles 73 et 74. Si nous nous orientons dans cette direction, il faut en effet prévoir de nouvelles auditions, comme vous l'avez suggéré. Mme Véronique Bertile a travaillé sur cette idée intéressante qui mérite d'être examinée. Effectivement, l'article 73 recouvre des éléments de l'article 74 - via les habilitations - et inversement. Leur addition pourrait constituer un socle, avec un renvoi à des lois organiques pour des adaptations inhérentes à chaque collectivité. Cette démarche serait de nature à clarifier ce sujet et à le dépasser. De fait, les outre-mer ont excessivement tendance à raisonner de manière institutionnelle pour examiner ensuite les problèmes de fond, cela se vérifie dans mon département.

À ce titre, je regrette énormément que le conseil départemental de Mayotte n'ait pas donné suite aux invitations de notre délégation. Cela n'est pas faute d'avoir essayé à plusieurs reprises, alors qu'il s'agit de la collectivité la plus concernée par ce sujet. En effet, Mayotte est la première collectivité unique régie par l'article 73 de Constitution de l'histoire institutionnelle française, ce qui s'est traduit par la loi de 2008 puis le référendum de 2011 qui a instauré le département. Pour autant, Mayotte n'a de département que le nom, puisque la question référendaire qui avait été posée était la suivante : « Êtes-vous d'accord pour que la collectivité de Mayotte devienne un département exerçant les compétences d'une région ? ». Il convient de rappeler que le projet de département n'est pas allé jusqu'au bout puisque toutes les compétences en matière sociale ne sont pas intégralement exercées. De plus, la région Mayotte existe dans l'intitulé mais elle ne bénéficie pas, par exemple, des dotations régionales. Les compétences régionales font l'objet d'un accompagnement de l'État. Mayotte étant donc la collectivité la plus concernée par ces problématiques, il est vraiment dommage qu'elle n'ait pas pu être entendue. Comme vous le savez, les polémiques ne sont pas mon fort, mais certaines choses méritent d'être dites. Je déplore cet état de fait et j'espère que le conseil départemental de Mayotte va se rattraper. J'insiste sur le fait que ce sujet le concerne au premier chef.

À titre personnel, j'ai présenté deux propositions de loi, ordinaire et organique, à la suite de travaux du conseil départemental. Ces propositions de loi sont sur la table. Il faut assurer un consensus pour qu'elles soient adoptées. Elles vont dans le sens des propositions qui viennent d'être développées et visent à achever ce qui a été commencé en 2008 et 2011. Il s'agit de mener la départementalisation jusqu'à son terme et de donner de la consistance à l'échelon régional, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.

Enfin, les préconisations exprimées dans votre propos, Monsieur le président, sont en accord avec celles vers lesquelles il me semble nécessaire de tendre, même si des adaptations sont envisageables en l'état actuel du droit positif. Il n'y a pas si longtemps, j'ai pu adapter le droit de la nationalité dans mon territoire au regard de la problématique de l'immigration clandestine, qui connaît une particularité dramatique dans mon département. Les préconisations formulées permettraient certainement de clarifier et de simplifier la situation et d'aller plus loin dans la nécessité d'adapter les législations à nos territoires.

M. Michel Magras, président. - Cher collègue, je vous remercie pour votre intervention. Je suis heureux d'avoir entendu votre point de vue. S'agissant de Mayotte, je n'ai pas renoncé. J'avais simplement un délai à respecter vis-à-vis du président du Sénat et du groupe de travail. J'ai dû rendre mes conclusions en rappelant que Mayotte est la seule collectivité que je n'ai pas pu auditionner.

Par ailleurs, vous avez évoqué Mme Véronique Bertile de l'Association des juristes en droit des outre-mer (AJDOM). Nous sommes en contact avec elle ainsi qu'avec le Professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien et avec d'autres interlocuteurs comme le Professeur Michel Verpeaux. Nous allons nous entourer d'avis de spécialistes du droit constitutionnel qui peuvent attirer notre attention sur des aspects qui nous auraient échappé. Nous nous inscrivons bien dans cette démarche.

Comme vous le savez, le Bureau du Sénat a décidé que les réunions par visioconférence prendraient fin le 10 juillet. J'ai demandé au Président du Sénat une dérogation jusqu'à la fin de la session extraordinaire afin de pouvoir continuer à en organiser, en accord avec la délégation, pour compléter ce travail. L'objectif est que le rapport et sa publication interviennent en septembre avant la fin de mon mandat

M. Guillaume Arnell. - Comme d'habitude, le travail que vous avez mené est de qualité, y compris dans sa restitution, où vous manifestez toujours le souci de respecter scrupuleusement ce qui a été mentionné par les uns et les autres.

Ce sujet est important et complexe. Il concerne l'ensemble des outre-mer. Comme vous l'avez souligné, le débat sur les articles 73 et 74 persiste. Pour avoir été un artisan de l'article 74, et malgré les difficultés de mise en application des compétences transférées et de l'exercice d'une certaine autonomie, les aléas tels que la crise sanitaire ou les risques naturels, je ne souhaite pas un retour à l'article 73. Je vous remercie, Monsieur le président, de m'avoir associé à l'entretien que vous avez mené avec le président de la collectivité de Saint-Martin.

Je ferai une remarque concernant l'énergie. Il n'est pas satisfaisant de demander une recentralisation de la compétence énergie car cette compétence a été transférée, non pas au moment où nous accédions à la nouvelle collectivité, mais lors d'une mandature ultérieure. Nous avions donc le temps de nous préparer à ce défi. L'une des difficultés est de ne pas travailler de façon assidue et complète sur les conséquences du statut résultant de l'article 74. Si nous travaillons de façon saccadée et parcellaire, il y aura toujours un moment où cela sera ressenti par la population.

Nous avons hérité de compétences que nous avons voulues. Il faut les assumer avec les difficultés que cela comporte. Il n'est pas trop tard pour continuer à travailler sur ce sujet. J'invite les représentants des autres collectivités à faire preuve de vigilance dans les négociations avec l'État, car la compensation n'est pas toujours facile. Le principe veut que tout transfert de compétences s'accompagne du transfert de moyens correspondants mais cela n'est jamais le cas. Je mets donc en garde sur cet aspect de l'article 74. En ma qualité de sénateur et d'ancien chef de l'exécutif de la collectivité de Saint-Martin, je pense que nous devons continuer à travailler. Je ne conçois pas cette forme de responsabilisation comme un aller-retour. Cela ne grandit pas les élus et cela ne donne pas de lisibilité à nos concitoyens.

M. Michel Magras, président. - Cher collègue, je vous remercie pour votre propos. L'exemple de l'énergie que vous citez illustre parfaitement le problème soulevé par les articles 73 et 74. D'une manière générale, les collectivités de l'article 74 ont demandé la compétence énergie. Nos deux collectivités, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sont celles qui ont tardé à mettre ces dispositions en application. Cela a conduit Saint-Barthélemy à signer récemment une convention avec l'État, EDF et les acteurs qui interviennent dans ce domaine pour garantir la pérennité de la péréquation, et pas seulement du bénéfice des fonds de la contribution au service public de l'électricité (CSPE). S'il existe un domaine dans lequel les îles ont intérêt à marquer leur singularité, c'est bien celui de l'énergie. Je pense que Victorin Lurel ne me contredira pas, puisque sauf erreur de ma part, c'est lui qui a demandé pour la Guadeloupe une habilitation dans ce domaine.

Je n'ai pas trouvé une seule collectivité territoriale relevant du régime de l'article 74 qui veuille en changer. Au contraire, toutes veulent aller de l'avant et demander l'exercice de compétences nouvelles. S'agissant de la ressource financière, elle suppose d'adapter notre fiscalité locale si nous voulons financer les besoins qui sont les nôtres, à la suite des transferts de compétences.

Mme Victoire Jasmin. - Monsieur le président, je suis très favorable à l'idée d'un rapport à partir des entretiens réalisés avec les exécutifs des différents territoires. J'ai entendu les remarques de notre collègue Thani Mohamed Soilihi et je souscris également à sa suggestion ainsi qu'à la proposition que vous venez d'exprimer. Concernant le fait que vous en soyez le rapporteur, en tant que président de la délégation, je n'y vois donc aucun inconvénient. Les différentes propositions ne me posent pas de problème. S'agissant des articles 73 et 74, je rappelle qu'avec Victorin Lurel et la députée de la Guadeloupe, Hélène Vainqueur-Christophe, nous avons également fait des propositions.

Nous nous inscrivons également dans la démarche du congrès des élus départementaux et régionaux. La réflexion y a déjà été initiée et nous progressons. Votre travail va permettre d'aller encore plus loin, avec une analyse plus approfondie. Mme Véronique Bertile a été auditionnée lors d'un congrès et son analyse a été appréciée. Il faut désormais la poursuivre dans chaque territoire. Pour avoir également réalisé en 2018 avec la délégation le rapport sur les risques naturels majeurs, je sais que nous devons aller plus loin sur les domaines de compétences.

Je me souviens que, lors de notre rencontre avec les services déconcentrés de l'État, nous avons remarqué une sorte de dichotomie entre les territoires et les services de l'État. Ces derniers avaient tendance à travailler sans tenir compte des élus locaux dans leur diversité, qu'il s'agisse des élus des régions, des départements, des communes ou des intercommunalités. La remontée des informations du terrain s'est parfois avérée inaudible lors de l'application de la législation, précisément celle concernant les risques naturels. Je crois que nous devons à la fois discuter des articles de la Constitution et élargir ces échanges en fonction de nos territoires pour faire en sorte que les meilleures options soient prises. Ce travail de réflexion est en cours en Guyane. Nous devons faire évoluer les statuts en tenant compte des besoins respectifs de nos territoires. La Guadeloupe, par exemple, est un archipel ce qui lui confère un certain nombre de particularités. En tout cas, l'intérêt de ce travail est exceptionnel et pourra servir de base pour aller plus loin.

M. Michel Magras, président. - J'ai bien noté les propositions de Mme Josette Borel-Lincertin, présidente du conseil départemental de la Guadeloupe. Puisque vous citez le cas de la Guyane, j'ai retenu de l'audition du président Rodolphe Alexandre, que dans les cinq prochaines années, la Guyane devra disposer d'un statut. Il souhaite la mise en place d'un statut sui generis, permettant à la Guyane de conserver les acquis tout en évoluant vers davantage de transferts de compétences. En résumé, « je sais ce dont je dispose au travers de l'article 73 et je ne sais pas ce que je trouverai dans l'article 74 ». 

M. Victorin Lurel. - Monsieur le président, ce dossier est important et je m'y intéresse depuis longtemps. Compte tenu de l'histoire de la Guadeloupe, il passionne et divise. Nous sommes peut-être proches d'un consensus. Il reste encore à trouver la bonne formule, le « bon véhicule ». Nous nous sommes mis d'accord lors d'un congrès et nous sommes favorables à ce que propose Rodolphe Alexandre. Il nous faut aussi une loi Guadeloupe. Il faudra peut-être passer par un certain nombre d'étapes. Nous ne sommes pas opposés à la fusion des articles 73 et 74. Comme Victoire Jasmin, je pense qu'il faut aller au-delà et j'attends celles des juristes et des universitaires.

J'ai entendu comme vous la proposition de Mme Véronique Bertile, mais je n'ai pas vu la rédaction qu'elle propose. J'avais consulté le Professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien mais je n'ai toujours pas vu de texte. En revanche, j'ai vu celui du député de la Guyane Lenaïck Adam. Cette rédaction mérite à mon sens d'être étudiée et me paraît intéressante. Par ailleurs, je suis globalement en accord avec la proposition que vous avez exprimée, monsieur le président, même si nous aurons également à vous soumettre des propositions. Elles ne sont pas antinomiques.

Je souhaite également revenir sur la synthèse qui nous est soumise. Je ne vois pas comment déclencher la demande. Le Premier ministre ou le Président de la République peut prendre l'initiative d'une modification, d'une évolution, voire d'un changement de régime législatif. En revanche, le congrès n'est pas toujours suffisant. Il faut peut-être réfléchir au pouvoir d'initiative : les élus locaux réunis en congrès ou un congrès aux bases élargies ? Le congrès réunit les conseillers départementaux et les conseillers régionaux, mais ne se substitue pas pour autant au peuple qui reste le décideur en dernière instance. Est-ce suffisant ? À mon sens, cela n'est pas le cas. Nous avons 32 communes. Si le Congrès pouvait réunir les conseillers départementaux et les conseillers régionaux, mais également les conseillers municipaux, et si nous pouvions disposer d'une majorité qualifiée, il y aurait une véritable légitimité à demander au Gouvernement de mettre en chantier la révision institutionnelle ou à introduire un référendum de consultation de la population pour recueillir son consentement préalable. Certes, ces précisions n'ont pas à figurer dans la Constitution, mais il me semble que nous pouvons y réfléchir. Pour le moment, le congrès est inscrit dans la loi de décembre 2000. Il faudrait donc étudier ce sujet.

Par ailleurs, votre suggestion sur les textes de 1960 mérite d'être approfondie. Au total, ces propositions me semblent aller dans la bonne voie. Le préalable me semble être un accord entre les élus. Si nous ne sommes pas d'accord entre nous, la population ne sera pas convaincue, nous l'avons vu en 2003 en Guadeloupe. Il faut trouver une base rassurante sans être trop complexe, ce qui passe nécessairement par une réforme constitutionnelle. La Guadeloupe et La Réunion ne sont pas d'accord pour évoluer comme l'ont fait la Martinique et la Guyane. En Guadeloupe, nous ne sommes pas tentés par le modèle martiniquais, par exemple. L'opposition n'est pas représentée au sein des instances dirigeantes du conseil exécutif. Il n'y a pas de statut de l'opposition. Je ne veux pas d'une assemblée unique qui concentre tous les pouvoirs. Je ne souhaite pas que le seul interlocuteur soit le préfet ou le haut-commissaire. Les élus de l'opposition n'existent pas sur le plan institutionnel. Or nous représentons pour notre 45 % à 46 % de la population. Selon une faculté inscrite dans le code général des collectivités territoriales, nous pouvons ou non reconnaître les groupes de l'opposition. Cette appréciation est laissée à la seule liberté de l'exécutif et de la majorité. Nous devons aussi travailler sur ce point, qui figure dans la loi organique.

On dit que « le diable est dans les détails ». Il faut tout faire pour que les pouvoirs soient équilibrés. S'il existe une collectivité unique, elle doit marcher sur ses deux jambes. Il faut des pouvoirs et des contre-pouvoirs ou des pouvoirs compensateurs, comme disent les Américains. Nous n'en disposons pas dans nos territoires et je le regrette. Je continuerai donc à travailler sur ce sujet. Il faut espérer que le gouvernement va reprendre ce chantier et trouver un consensus avec le Parlement pour aboutir à une Constitution modernisée et à une véritable démocratie moderne.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie, cher collègue, et je comprends parfaitement votre analyse. Le rapport pourrait permettre de « faire bouger » un peu les instances nationales, le Parlement et le Gouvernement. La délégation a toujours agi ainsi. Nous formulons des préconisations, puis nous nous battons pour qu'elles soient reprises dans les dispositions légales ou dans le règlement pour faire avancer les territoires.

Enfin, il existe des opportunités. Je crois en effet comprendre que le Président de la République n'a pas tiré un trait sur son projet de réforme constitutionnelle. Il entend bien y revenir et a même affirmé qu'il va saisir les parlementaires. S'ils ne réussissent pas à se mettre d'accord, il y aura un référendum. En tout cas, la Constitution le permet. Peut-être avons-nous intérêt à anticiper.

M. Georges Patient. - J'ai pris connaissance de votre contribution avec beaucoup d'intérêt. Elle résume assez bien les positions que nous entendons dans les différents territoires d'outre-mer. Il faut poursuivre la réflexion de façon plus approfondie. En tout cas, il s'en dégage trois points essentiels au sujet de l'évolution institutionnelle ou statutaire.

La priorité concerne les transferts de compétences. Je crois comprendre que nous sommes y sommes tous favorables. Les compétences sollicitées sont peut-être différentes, mais nous sommes tous mal à l'aise dans le système actuel.

Le deuxième point concerne les moyens financiers dévolus à ces transferts de compétences. Ce sujet est en effet parfois source d'hésitations entre l'article 73 et l'article 74.

Enfin, le troisième point est le consentement des populations. Vous vous êtes exprimés tout à l'heure sur la Guyane. Le président de la collectivité territoriale est favorable à une loi Guyane. Je ne sais pas si elle peut être interprétée comme une forme d'extension de l'article 73 ou si elle commence à ressembler à l'article 74. Ce qui a été décidé en Guyane lors du congrès est un statut sui generis qui n'est pas tout à fait ce que souhaite le président et s'apparenterait davantage à une fusion sur mesure des deux articles. Tel est le souhait des Guyanais qui, pour bon nombre d'entre eux, seraient presque favorables à une autonomie comparable à celle de la Polynésie.

Le système actuel bloque toute velléité de développement endogène. Nous ne pouvons plus exploiter nos ressources pétrolières depuis la loi Hulot, de même que nos ressources minières. Cela sera pire avec la montée des écologistes. En Guyane, nous considérons qu'une plus grande autonomie nous permettrait d'utiliser davantage nos ressources naturelles plutôt que de rester accrochés à un système qui nous enferme quasiment dans le non-développement. Cette position est défendue en Guyane par beaucoup, à l'exception du président de la CTG, qui n'est pas opposé au développement des ressources minières, mais nourrit des inquiétudes quant aux conséquences financières d'un statut sur mesure s'inspirant de l'article 74. Saint-Martin a peut-être fait de mauvais calculs lors de son passage à cet article et n'obtient pas les retombées financières escomptées.

Je demeure persuadé pour ma part que nous devons évoluer vers un statut d'autonomie. La situation de la Guyane le permet, peut-être davantage que les autres outre-mer qui sont des îles. Nous disposons de ressources naturelles et de ressources foncières. Nous pourrions atteindre rapidement un développement endogène. Je demeure convaincu qu'il nous faut aller vers davantage d'autonomie. La situation actuelle en matière de gestion de la pandémie me donne raison. Celle-ci a été trop centralisée, trop « hors sol », ce qui peut expliquer les problèmes que nous rencontrons actuellement. Le confinement n'a pas été effectué au bon moment. La sortie du confinement n'a pas non plus été réalisée au bon moment. Les décisions sont prises par le biais des Agences régionales de santé (ARS) et des préfets, qui relèvent du Gouvernement depuis Paris. Hier encore, nous avons souligné auprès du ministre de la santé et du ministre des outre-mer que cette gestion centralisée est à l'inverse de la gestion que souhaitent les Guyanais. Il nous faut sortir de ce système, qui crée des blocages, et aller vers davantage d'autonomie. Certains, en Guyane, commencent même à parler d'indépendance.

Cette réflexion, qui apparaît dans la note, me donne satisfaction. Je vous rejoins quant à la proposition de fusion des articles 73 et 74, qui tend à aller vers un statut sur mesure pour chaque outre-mer.

M. Michel Magras, président. - J'entends à travers vos propos un certain nombre d'éléments que j'ai énoncés dans mon introduction quant à la méthode ayant permis de définir les quatre propositions.

Je respecte les avis de chacun, mais les exigences pour le statut sui generis dessiné par le président Rodolphe Alexandre pour la Guyane sont déjà satisfaites par l'article 74 de la Constitution. Il faut une bonne négociation avec l'État.

La notion d'autonomie doit trouver toute sa place dans la rédaction du futur article. Pour chacune des collectivités, c'est la loi organique qui définira ses compétences. Il n'existe pas de rupture. Le président de la Polynésie française, Édouard Fritch, précise que l'autonomie ne doit pas remettre en question la notion de solidarité nationale, comme l'a montré la crise sanitaire. C'est ici qu'interviennent les deux notions d'unité et d'indivisibilité de la République française, auxquelles nous adhérons. Il n'y a jamais eu autant d'État à Saint-Barthélemy que depuis la mise en place de la collectivité. Pour autant, la relation est claire, précise et fluide.

Avant de revenir à la réflexion sur les articles, je souhaite souligner que La Réunion est la collectivité qui m'a paru faire le plus de résistance à l'évolution, compte tenu de l'« amendement Virapoullé ».

Mme Nassimah Dindar. - J'ai pris connaissance des conclusions du groupe de l'Union centriste au sujet du rapport sur la décentralisation et j'ai également suivi l'audition de Jean-Paul Virapoullé. La fusion des deux articles 73 et 74 est une très bonne proposition. Certains y sont défavorables, même si nous pouvons le comprendre, cela reflète me semble-t-il une vision passéiste de l'évolution de nos territoires.

J'estime que la fusion des deux articles est nécessaire pour parvenir à un nouveau modèle. L'évolution de la Guadeloupe de ce point de vue va être importante pour La Réunion. Il faut préparer les éléments pour aller éventuellement vers une collectivité unique dotée de véritables moyens. Les Réunionnais n'approuvent pas non plus le modèle martiniquais. Je pense que la délégation doit être attentive à l'unité de l'ensemble des territoires, au-delà de leurs modèles différents, tant dans le cadre du travail mené par le Sénat au sujet de la décentralisation que de celui de l'État avec le projet 3D : décentralisation, déconcentration et différenciation. Je pense que le président Larcher a une vision juste pour faire avancer les territoires vers un autre modèle, ce qui est nécessaire. La focalisation de La Réunion sur l'article 73 serait un recul plutôt qu'une avancée. Certains élus travaillent déjà sur ce sujet comme l'ancien député Wilfrid Bertile qui réfléchit avec des universitaires à des propositions.

M. Michel Magras, président. - Je voudrais revenir sur la question de la relation avec l'Union européenne. Lors d'un déplacement à Bruxelles pour le Forum des PTOM, Jean-Paul Virapoullé m'avait dit à quel point il avait apprécié la communication que j'avais pu faire sur la nécessaire prise en compte de l'article 349, qui reconnaît depuis « l'arrêt Mayotte » les spécificités ultramarines. En simplifiant, il pensait alors que tout allait bien dans la relation avec l'Europe, mais qu'il y avait des blocages dans la relation avec la France... Par ailleurs, j'ai auditionné les présidents de l'exécutif et de l'assemblée de la Martinique. Leurs points de vue sont totalement différents, mais je crois pouvoir dire que le statut actuel de la Martinique révèle de réels dysfonctionnements. J'ai auditionné les présidents Claude Lise et Alfred Marie-Jeanne, je crois que la Martinique ne pourra pas rester dans le cadre actuel, car il n'est pas opérationnel.

Pour répondre à Georges Patient, je rappelle qu'en outre-mer, la différenciation territoriale passe indiscutablement par les transferts de compétences assortis ou non de la faculté d'adapter les lois et les règlements, ce qui modifiera par voie de conséquence le régime législatif applicable selon que la faculté d'adaptation est transférée ou non. Si nous réunissons les articles 73 et 74 dans un même article, une loi organique définira le statut de chacun des territoires qui sera libre de demander les compétences qu'il souhaite se voir transférer.

Certes, j'ai entendu dire que les collectivités relevant de l'article 73 administrent tandis que les collectivités relevant de l'article 74 légifèrent, mais cela n'est pas exact. Seul le Parlement légifère. Ensuite, soit le droit commun s'applique - dans les domaines autres que ceux transférés à la collectivité, soit la loi nationale ne s'applique pas et dans ce cas, c'est la collectivité qui est compétente pour fixer les règles - exception faite des compétences régaliennes. Ainsi, la loi est applicable de plein droit à Saint-Barthélemy à l'exception des domaines de compétences choisis par la collectivité, qui a peut les adapter.

Une réécriture des articles 73 et 74 réunis pourrait suivre le schéma suivant.

Les règles d'organisation et de fonctionnement, les institutions et les conditions dans lesquelles elles sont consultées sur les projets de lois, d'ordonnances ou de décrets constitueraient une sorte de tronc commun à tous les statuts.

Chaque collectivité aurait en outre la possibilité de garder ou choisir sa dénomination, mais je propose que toutes soient mentionnées à l'article 72 sous le terme de collectivités d'outre-mer.

Pour les collectivités de l'article 73 qui le souhaiteraient, comme possiblement La Réunion, continueraient de s'appliquer de plein droit.

Lorsque la collectivité disposerait d'un statut qui tient compte de ses intérêts propres au sein de la République, comme Saint-Barthélemy, la loi organique préciserait les compétences et les conditions dans lesquelles la collectivité est consultée pour la ratification ou l'approbation des engagements internationaux. La collectivité est consultée presque toutes les semaines sur des projets dès lors qu'ils peuvent directement ou indirectement nous concerner. Idem pour les projets d'accord internationaux signés par l'État, lorsqu'il s'agit d'accords dans la Caraïbe, par exemple.

Sur la question de l'autonomie, la loi organique déterminerait les conditions du contrôle juridictionnel du Conseil d'État, d'une modification d'une loi promulguée ultérieurement à l'entrée en vigueur du statut, etc. Pour les collectivités d'outre-mer l'intégralité de l'article 74 continuera à s'appliquer.

Une innovation de la réunion des deux articles résiderait dans la faculté pour les DROM de déroger à l'uniformité de l'organisation institutionnelle nationale par le biais d'une loi organique. La loi NOTRe, censée être une loi de simplification, est appliquée à des territoires dont la taille n'est pas adaptée. Elle a conduit à créer des couches supplémentaires, à affecter des missions et des budgets créant des difficultés pour les petites collectivités. Certes, elle peut se comprendre au niveau national où les territoires sont regroupés sur une étendue considérable et où la mutualisation des compétences les rend plus faciles à exercer. En revanche, à l'exception de la Guyane, nos territoires ne sont pas étendus et il n'est pas opportun que plusieurs instances aient des compétences qui se chevauchent.

Sur la consultation des populations, actuellement, la loi prévoit que les populations sont consultées sur le principe de changement de régime juridique. Il s'agirait donc de consulter sur les compétences transférées dès lors qu'elles sont assorties d'un changement de régime juridique - de l'identité à la spécialité ou l'inverse. Toutefois, la loi organique qui définit le statut n'est pas figée dans le temps. J'ai même moi-même déposé deux propositions de loi organique au cours des douze années de mon mandat. Lorsqu'il s'agit de la demande d'un nouveau bloc de compétences ou d'une compétence importante nouvelle, faut-il ou non une consultation de la population ? Cela suppose que les élus lancent une importante action de communication pour en expliquer les raisons, la stratégie, les moyens et la méthode, de manière à obtenir l'aval de la population.

Nous ne sommes qu'au début de la réflexion. Il faudrait débattre de la manière d'intégrer ces éléments. À plusieurs reprises, vous avez évoqué la consultation de juristes comme Véronique Bertile. Initialement, nous avions prévu d'organiser le colloque avec l'Association des juristes en droit des outre-mer (AJDOM) qu'elle a créée avec le Professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien. Elle fait partie des experts que nous prévoyons d'auditionner en visioconférence.

Je souhaite que nous parvenions à une belle synthèse, laissant des portes ouvertes pour que chacune des collectivités puisse choisir son avenir.

Mme Nassimah Dindar. - Je suggère que le président de la délégation envoie un courrier aux universitaires qui travaillent sur ces sujets. M. André Oraison, professeur de droit à l'Université de La Réunion par exemple, s'affirme favorable à la fusion du conseil général et du conseil régional dans une collectivité unique et a réalisé un travail sur ce sujet.

M. Michel Magras, président. - Je prends acte de cette demande, qui va dans le sens de la méthode habituelle de la délégation. J'ai souhaité que le travail initié soit repris par la délégation pour en faire un rapport avec des préconisations. Je suis favorable sur le principe à d'autres échanges et preneur de communications écrites car nous avons toujours travaillé de manière transversale et consensuelle dans l'intérêt des outre-mer. C'est dans cet esprit que se situe la démarche que je propose.

M. Georges Patient. - Nous pouvons travailler avec des professeurs de droit, mais je ne voudrais que ces derniers nous dictent notre conduite. Il existe de nombreux travaux de droit sur les évolutions institutionnelles ou statutaires dans les DOM. Il ne servirait à rien de se contenter de reprendre la copie d'un professeur de droit.

M. Michel Magras, président. - Au cours des six dernières années. Nous avons su nous nourrir d'expériences variées. La délégation peut être un vivier dans lequel puiser les éléments nécessaires pour faire avancer nos territoires.

M. Victorin Lurel. - À mon sens, la consultation ou non des populations est un point clivant depuis la dernière réforme constitutionnelle de 2003. J'ai exprimé la proposition selon laquelle, en cas de majorité qualifiée de deux tiers au sein d'un Congrès élargi, nous puissions faire l'économie d'une consultation préalable. J'ai été mal compris et je suis revenu sur cette proposition. Toutefois, il suffisait d'un alinéa supplémentaire pour prévoir cette possibilité constitutionnelle. En cas de transferts de compétences, faut-il ou non consulter la population ? Cela me paraît très lourd. Sur ce point, le congrès élargi peut avoir son utilité. Selon la nature de la compétence demandée ou suggérée par le gouvernement, il y a peut-être lieu ou non de consulter. Si un congrès élargi disposant d'une majorité qualifiée accepte la proposition après un débat associant la population, pourquoi pas ? Il y a peut-être matière à y réfléchir. La consultation préalable ne se limite pas à une évolution statutaire. Il peut aussi s'agir d'une réorganisation administrative. Lorsque l'on tient une assemblée commune ou une assemblée unique, on ne change pas de régime législatif. L'identité législative est maintenue et c'est l'organisation administrative qui change. Je comprends la nécessité de consulter au préalable les populations. Pour le reste, faut-il consulter la population au sujet de la compétence urbanisme, par exemple ? Faut-il la consulter à chaque demande de transfert de compétences ? À mon sens, c'est une procédure très lourde qui n'est pas praticable.

Concernant la proposition de consulter des professeurs de droit, rappelons qu'eux-mêmes rencontrent des difficultés au sujet de la fusion des articles 73 et 74. Les juristes spécialisés dans le droit des outre-mer sont peu nombreux. Je suggère de consulter M. Stéphane Diémert, président assesseur à la Cour administrative d'appel de Paris, ancien conseiller pour les affaires juridiques et institutionnelles de deux ministres des outre-mer qui a aussi exercé ses fonctions en Polynésie française et a aidé le député Lenaïck Adam dans son travail de rédaction. Il serait intéressant de le contacter.

Je tiens à féliciter le président pour sa recherche de consensus, c'est ce qui nous a manqué en Guadeloupe. Nous ne légiférons pas uniquement pour notre génération, mais pour celles à venir. Il n'est pas souhaitable que tous les dix ans, nous fassions plaisir à un petit groupe qui sait donner de la voix, pour le regretter ensuite. Je veux que l'opinion publique ait voix au chapitre et que l'opposition puisse s'exprimer librement. Je veux des garanties en termes de mode de scrutin et de liberté de la presse. Une loi organique déclinée par territoires me paraît peut-être la meilleure situation.

M. Michel Magras, président. - Vous avez cité M. Stéphane Diémert avec qui a été rédigé le statut de Saint-Barthélemy. Nous avons également été mis en relation avec M. Didier Maus, ancien conseiller d'État et président émérite de l'association des constitutionnalistes. Nous les consulterons.

Je vous remercie pour cet échange Nous sommes sur une bonne voie. Je vous ai demandé la possibilité d'être le rapporteur sur ce sujet. Fin septembre, une fois ce travail achevé, je quitterai le Sénat, heureux d'y avoir passé douze années.

Mme Victoire Jasmin. - Je vous félicite à nouveau pour tout votre travail et je regrette que vous ne vous représentiez pas.