Mercredi 3 février 2021

- Présidence de M. René-Paul Savary, président -

La réunion est ouverte à 11 heures.

Situation financière du régime complémentaire et unification du recouvrement - Audition de Mme Brigitte Pisa, vice-présidente et de M. François-Xavier Selleret, directeur général de l'Agirc-Arrco

M. René-Paul Savary, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir l'Agirc-Arrco, représentée par sa vice-présidente, Mme Brigitte Pisa, et son directeur général, M. François-Xavier Selleret. Je tiens tout d'abord à saluer votre élection, Mme Pisa, en tant que vice-présidente de la fédération aux côtés de M. Weckner, président, à la fin du mois de janvier dernier.

Nous avons l'habitude de recevoir l'Agirc-Arrco afin de faire le point sur diverses questions relatives à la retraite complémentaire du secteur privé et à la situation financière du régime.

Votre mandat commence cette année dans un contexte sanitaire, économique et social particulièrement heurté et incertain et cet exercice traditionnel prend ici un relief particulier.

Nous sommes donc intéressés de vous entendre en ce début d'année pour faire un point sur les défis et chantiers de l'Agirc-Arrco. C'est d'ailleurs dans ce contexte que votre conseil d'administration a adopté à l'unanimité une déclaration alertant sur la réforme du recouvrement des cotisations sociales. Quels ajustements doivent selon vous être apportés à cette réforme, adoptée dans le cadre du PLFSS 2020 pour une entrée en vigueur en 2022 ?

Concernant le régime complémentaire en tant que tel, quelles sont les conséquences de la crise sur l'équilibre financier de l'Agirc-Arrco, qui revenait précisément à l'équilibre juste avant qu'elle éclate ?

Vous le savez peut-être, notre mission d'évaluation et de contrôle a décidé de s'intéresser cette année à la situation et à l'avenir des régimes de retraite, nous aurons l'occasion d'y revenir. À ce sujet, les réserves financières dont vous disposez vont-elles vous permettre de gérer ce nouveau choc sans remettre en cause les droits des assurés ?

Votre conseil d'administration avait, en octobre dernier, exercé son « devoir d'alerte » et gelé les retraites et la valeur d'achat du point. Avez-vous un calendrier de remise à plat des paramètres du régime ?

Madame Pisa et Monsieur Selleret, je vous propose de vous céder la parole pour un exposé liminaire avant de répondre aux questions successives du rapporteur de la branche vieillesse, c'est-à-dire moi-même, du rapporteur général puis des membres de la Mecss et des autres commissaires des affaires sociales qui souhaiteront vous interroger.

M. François-Xavier Selleret, directeur général de l'Agirc-Arrco. - En mars 2020, avant le début de la crise sanitaire, nous anticipions un équilibre technique des comptes de l'Agirc-Arrco et nous pouvions compter sur 65 milliards d'euros de réserves.

La crise sanitaire a eu un impact extrêmement important sur les recettes, essentiellement en raison du recours massif à l'activité partielle, au titre de laquelle les employeurs ne versent pas de cotisation. En outre, nous avons été conduits à accorder des délais de paiement à des entreprises en difficulté. Au total, les recettes pour 2020 sont inférieures d'environ 6 milliards d'euros aux prévisions.

Dans le même temps, les dépenses ont augmenté de 2 %.

Nous enregistrons donc un déficit qui devrait s'établir entre 6,5 et 7 milliards d'euros en 2020.

Cela ne nous a pas empêché d'assurer le versement des pensions, en mobilisant divers outils de trésorerie ainsi que nos réserves. Nous n'avons pas eu recours aux avances de trésorerie de l'Acoss prévues par une ordonnance.

De même, la dégradation des comptes du régime a été sans impact significatif pour les salariés couverts. En effet, l'activité partielle donne droit à des points au titre de la retraite complémentaire au-delà de la 60ème heure indemnisée.

Au 31 décembre 2020, les réserves du régime complémentaire s'élevaient à 61 milliards d'euros.

Les prévisions pour l'avenir sont fortement tributaires de l'évolution de la situation économique, qui demeure très incertaine. Nous envisageons pour 2021 un déficit technique qui s'élèverait entre 3,5 et 4 milliards d'euros. Sans évolution règlementaire, ce déficit serait ensuite compris entre 2 et 2,5 milliards d'euros jusqu'en 2032.

Par comparaison, nos prévisions en début d'année 2020 permettaient d'espérer un équilibre jusqu'en 2025-2026.

Les réserves passeraient ainsi sous la barre des 50 % des dépenses annuelles dès 2026 au lieu de 2033, ce qui a justifié l'activation du devoir d'alerte par le conseil d'administration.

Mme Brigitte Pisa, vice-présidente de l'Agirc-Arrco. - En effet, le conseil d'administration a alerté les partenaires sociaux en octobre dernier. Des discussions vont s'ouvrir et la situation pourrait justifier une évolution de la règle prudentielle qui veut que nous disposions dans nos réserves de l'équivalent de six mois de trésorerie. Il n'y a toutefois selon moi pas d'urgence à agir.

Un déficit de 2 milliards d'euros par an reste relativement limité au regard des sommes redistribuées par le régime de retraite complémentaire. Il est possible d'y remédier en mobilisant des leviers relativement indolores pour les assurés et les entreprises.

Les partenaires sociaux vont s'atteler à la construction d'une boîte à outils que nous pourrons mobiliser en tenant compte de l'évolution de la situation économique.

Vis-à-vis des partenaires sociaux, l'objectif en soi n'est pas d'obtenir un accord, mais bien de leur faire prendre conscience de tous les risques à prévoir dans les dix prochaines années, de ramener ces risques dans le cadre des règles que nous nous sommes fixées et d'ajuster les curseurs afin de nous donner tous les moyens possibles pour passer le cap de la crise. Je pense que nous sommes capables de le faire.

M. René-Paul Savary, président. - Vous dites qu'il n'y a pas d'urgence. Cependant, le problème qui se pose toujours en matière d'équilibre des retraites, c'est que plus on tarde à prendre les décisions qui s'imposent, plus elles sont douloureuses. Vous avez donc raison d'anticiper dès à présent et, en parlant d'« ajuster les curseurs », vous avez employé la bonne expression. En 2015, les partenaires sociaux avaient pris leurs responsabilités...

Malgré la possibilité, prévue par ordonnance, de bénéficier d'avances de trésorerie de l'Acoss, cette facilité ne vous a pas été accordée, si bien que vous avez dû puiser dans vos réserves. Celles-ci s'élevaient à 65 milliards d'euros début 2020 puis ont diminué à 61 milliards d'euros. Vous avez su rebondir, mais comment ne pas y laisser des plumes ? Je suis toutefois convaincu que vous gérez cela de très près.

Vous avez expliqué que le déséquilibre était davantage lié à la baisse des recettes qu'à l'augmentation des dépenses. Il apparaît en revanche qu'il n'y a pas de répercussion liée à la mortalité.

Pourriez-vous préciser vos anticipations pour 2021 ? Les mêmes problèmes qu'en 2020 se poseront-ils à nouveau ?

Par ailleurs, allez-vous changer de stratégie sur le niveau des réserves, qui s'établissait à neuf mois de prestations avant la crise ?

Enfin, concernant la réforme du régime universel de retraites, le Gouvernement vous a-t-il demandé d'y retravailler ? Avez-vous des demandes particulières dans ce domaine ou la volonté de trouver une harmonisation de certaines prestations qui diffèrent d'un régime à l'autre ? Y a-t-il une concertation dans le cadre du groupement d'intérêt public (GIP) Union retraite pour tenter d'avancer sur cette voie ? Au sein du GIP, les relations sont-elles désormais plus fluides ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Les membres du conseil d'administration de l'Agirc-Arrco sont responsables et j'estime qu'il s'agit du régime paritaire le mieux géré. Je compte donc sur votre sens des responsabilités pour ajuster la situation. Je suis toutefois inquiet au regard des prévisions que vous affichez : faudra-t-il bien trouver 40 à 50 milliards d'euros par an sur les dix prochaines années ? Vos réserves risquent d'être formidablement attaquées.

M. Savary a insisté sur le transfert du recouvrement des cotisations aux URSSAF. Le calendrier de cette réforme est-il modifié compte tenu de la crise sanitaire ?

Quel est votre sentiment sur les dispositions du projet de loi organique de réforme des retraites, qui n'a pas été examiné au Sénat ? Une intégration des retraites complémentaires dans le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) vous semblerait-elle souhaitable ?

M. François-Xavier Selleret. - Quand la question a été posée, en mai 2020, de recourir à une avance de trésorerie, les pouvoirs publics ont estimé que ce n'était pas possible, même si la loi le permettait, compte tenu de la difficulté pour l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) de se refinancer sur les marchés de trésorerie via des emprunts de moins d'un mois, soit une structure de financement très sensible à la liquidité et à la profondeur de cette liquidité. D'ailleurs, l'Acoss n'a pas non plus pu répondre aux besoins de financement de la Mutualité sociale agricole (MSA). Nous avons donc dû trouver d'autres solutions de financement avec les partenaires sociaux, notamment auprès d'institutions financières avec lesquelles nous travaillons, avec le souci de ne pas désinvestir à un mauvais moment et en prenant soin de lisser les échéances.

Le montant des réserves de 65 milliards d'euros début 2020 est en fait le plus élevé jamais détenu. L'Agirc-Arrco dispose par ailleurs d'autres réserves qui ne sont pas immédiatement disponibles pour le financement des retraites.

Le décalage de trésorerie entre la retraite Agirc-Arrco qui est versée d'avance et l'encaissement des cotisations qui intervient à la fin du mois suivant justifie l'existence d'un fonds de roulement d'une quinzaine de milliards d'euros.

Pour 2021, nous anticipons une perte de recettes de 3,5 milliards d'euros dans la mesure où il y aura encore un niveau élevé d'activité partielle.

Les partenaires sociaux ont pris leurs responsabilités en octobre en décidant de ne pas revaloriser les retraites. Les statuts prévoient que les retraites évoluent comme les prix, sauf si l'évolution des prix est supérieure à celle des salaires, au nom du principe de solidarité entre les actifs et les retraités. Le salaire moyen en France ayant baissé de 5 % l'an passé du fait notamment de l'activité partielle, les retraites ont donc été stabilisées à leur niveau de 2020.

Nous aurons ensuite besoin de consolider une certains nombre d'éléments pour avoir de la visibilité, en obtenant notamment les comptes consolidés de l'année 2020, alors que nous sommes toujours face à l'incertitude d'éventuels reconfinements de la population. Un système de retraite par répartition se pilote à moyen terme donc notre prochaine échéance se situe à l'automne.

Sous un angle de gestion, l'Agirc-Arrco est investie depuis 15 ans dans les projets de gestion interrégime et déploie dans cette perspective le droit à l'information des assurés, un simulateur unique de retraite, la possibilité d'une demande unique de retraite et, depuis la fin du mois d'août dernier, de pension de réversion sur internet. Ces avancées permettent de simplifier les démarches des assurés et de consolider la confiance dans le régime par répartition. Nous contribuons également à la mise en place répertoire de gestion des carrières unique (RGCU).

À l'Agirc-Arrco, la pension de réversion est versée sous condition de non-remariage alors que dans le régime général elle est versée sous condition de ressources. Compte tenu de ces différences, toutes les démarches pour simplifier la vie des personnes doivent être promues. Nous organisons des rendez-vous de la retraite pour les usagers et nous les avons faits cette année avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav). Dans chacune de nos agences, un conseiller de la Cnav était présent et inversement. Près de 40 000 rendez-vous ont été donnés en quelques jours, ils répondaient vraiment aux besoins car ils étaient centrés sur le parcours de la personne. Nous offrons donc un accompagnement en amont du départ à la retraite.

Mme Brigitte Pisa. - Sur le recouvrement, la LFSS a imposé un recouvreur unique. Nous devons donc le mettre en oeuvre dans les meilleures conditions et sans casse sociale. Nous avons quelques difficultés de compréhension avec l'Acoss, nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord sur le périmètre à transférer. Pour mettre fin au dialogue de sourds qui s'était installé, notre conseil d'administration a alerté les pouvoirs publics afin de lever les zones d'ombres. Le Medef a fait une demande officielle pour reporter l'unification au 1er janvier 2023. Notre conseil d'administration s'est rangé derrière la demande des entreprises qui ont fait état des difficultés éventuelles de trésorerie que pourrait représenter des modifications du calendrier du recouvrement. Cela irait à l'encontre des mesures actuellement destinées à soutenir les entreprises.

Il faut maintenant que le périmètre de chacun soit clairement défini. Nous avons fait des propositions. Sur ses deniers, l'Agirc-Arrco a développé des outils robustes et efficaces qui nous permettent d'attribuer un droit face à une cotisation. C'est ce que nous faisons tous les mois. La déclaration sociale nominative (DSN) est recalculée par nos systèmes et si nous constatons une erreur, l'entreprise est recontactée pour la corriger le mois d'après. C'est une compétence que nous sommes les seuls à avoir. L'Acoss s'assure que l'entreprise paie bien ce qu'elle a déclaré et nous assurons un contrôle au fil de l'eau et la relation individuelle.

Nous devons valoriser nos compétences et en faire profiter les autres. Il y a des risques à effectuer les transferts envisagés donc nous devons travailler ensemble pour les éviter, l'Acoss en assurant le recouvrement et nous en conservant nos compétences. Nous avons une gestion saine et nous avons montré qu'en temps de crise, nous savons prendre des décisions graves et maintenir les pensions.

M. François-Xavier Selleret. - Dans la loi de financement de la sécurité sociale a été posé le principe de la cotraitance. Nous devons nous assurer que la cotisation déclarée est bien la cotisation due, c'est un travail à fine maille qui est essentiel pour le consentement à la cotisation. Nous sommes le seul organisme à le faire. L'Urssaf le fait au niveau de l'entreprise, nous le faisons niveau de individu. L'intérêt du répertoire de gestion des carrières unique (RGCU) est d'avoir un seul traitement, base et complémentaire. Il permet de sécuriser le lien cotisation-droit et de limiter au maximum le risque d'erreurs et d'incompréhensions. Au régime général, avant 1999, ils n'ont pas les données infra-annuelles. Pour notre système par points, nous avons besoin d'un suivi beaucoup plus fin, car un euro de cotisation ouvre un euro de droit. Nous avons donc des compétences et les partenaires sociaux ont considéré qu'il fallait les mettre à la disposition de l'ensemble des acteurs. Le but des cotisations est d'ouvrir des droits, pas que d'effectuer un recouvrement. Il faut donc assurer un continuum.

M. René-Paul Savary, président. - La Cnav vous suit sur ce point ?

M. François-Xavier Selleret. - Oui, la Cnav a la même position que nous.

M. René-Paul Savary, président. - La question d'inclure les régimes complémentaires dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale se pose.

M. François-Xavier Selleret. - C'est un choix politique !

Mme Brigitte Pisa. - Je ne me rends pas bien compte des conséquences qu'aurait l'inscription des comptes de l'Agirc-Arrco dans la LFSS mais il me semble que retirer leurs responsabilités aux partenaires sociaux mettrait leur régime en péril. Je ne dis pas que l'État est un mauvais gestionnaire, mais je n'ai pas l'impression, depuis dix ans que je navigue dans le monde de la protection sociale et des régimes complémentaires, que nous ayons mal fait, bien au contraire. Je suis en outre attachée au principe selon lequel qui paie gère. Globalement, la gestion de l'Agirc-Arrco, tant en termes financiers que de service rendu, est efficace : nous avons fusionné les nombreux régimes existants, rationalisé, industrialisé, au point qu'un salarié passé par dix entreprises dans sa carrière peut sereinement taper à la porte de l'Agirc-Arrco pour obtenir l'ensemble de ses droits actualisés. Nous travaillons pour cela en interrégime tout au long de la carrière pour anticiper cet angoissant changement de vie qu'est le départ à la retraite.

M. René-Paul Savary, président. - Certes, mais pour l'heure le PLFSS ne permet guère de se faire une idée de l'équilibre de votre régime. Nous sommes donc en droit de souhaiter nous prononcer sur un périmètre plus global des dépenses de retraite, incluant les 80 milliards d'euros que vous gérez.

M. François-Xavier Selleret. - Nous sommes une maison de verre : chaque fois que vous nous invitez ou nous interrogez, nous répondons présent et vous communiquons toutes les informations que vous souhaitez. Mais l'inscription en LFSS consiste, elle, à transférer la responsabilité politique. Si j'étais taquin je poserais la question ainsi : faut-il, pour un simple tableau Excel, transférer la responsabilité politique ? Qu'en retirerait-on ? Les partenaires sociaux sont en responsabilité, ils ont des résultats. L'ancien Premier président de la Cour des comptes Didier Migaud a dit un jour : regardons les résultats des deux côtés ; qui a produit des réserves, qui a produit de la dette ? Si la question est celle de la transparence, je le redis : nous sommes à votre entière disposition et répondrons aussi souvent que vous le souhaiterez.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - J'entends absolument ce que vous dites. Il n'est pas question, dans le contexte actuel, qui n'est pas celui de la réforme du système universel, de nous mêler de la gestion de l'Agirc-Arrco, c'est clair ! Néanmoins, puisque des décisions politiques vous ont apporté quelques compensations, le politique a le droit de contrôler votre financement, qui s'élargit, sans pour autant intervenir sur les équilibres généraux de votre système. Nous ne faisons que poser une question, et j'entends pour ma part tous les arguments, pour ou contre. Mais je le redis : il n'est pas dans l'intention de la commission des affaires sociales de se mêler de votre gestion.

Mme Brigitte Pisa. - Je comprends que l'inclusion de l'Agirc-Arrco dans le périmètre des LFSS vous permettra de vérifier officiellement que les équilibres sont bien respectés. Mais aujourd'hui, nous fournissons déjà nos comptes agrégés aux pouvoirs publics. Que changerait leur inscription en LFSS ?

M. François-Xavier Selleret. - La compensation des allègements généraux qu'évoque le rapporteur général représente une masse financière de 5 à 6 milliards d'euros sur 80. Il serait surprenant pour les partenaires sociaux que le marginal l'emporte sur le principal.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Le fait que ces allègements ne soient pas compensés pour tout le monde nous fournirait un argument à opposer au Gouvernement !

M. François-Xavier Selleret. - Tout à fait, mais pour ces 5 à 6 milliards d'euros dont nous pouvons très bien vous rendre compte, pourquoi faire entrer 80 milliards d'euros en LFSS ? Nous avons plaisir à vous rendre compte chaque année, et sommes mêmes intégrés dans les projections du Conseil d'orientation des retraites (COR) à partir des hypothèses qu'il nous soumet - qui ne sont pas forcément celles des partenaires sociaux ! Les données, encore une fois, sont disponibles !

M. René-Paul Savary, président. - Le périmètre des dépenses faisant l'objet des LFSS n'est pas compréhensible par nos concitoyens : les dépenses médico-sociales des départements, l'Unédic, par exemple, en sont exclus. Or ce sont des masses financières significatives, supérieures en tout au budget de l'État ! Elles doivent donc être examinées globalement, pour avoir une vision complète permettant de prendre les bonnes décisions et ainsi défendre le paritarisme, auquel nous sommes tous attachés. Les régimes complémentaires, gérés par les partenaires sociaux, n'ont certes pas à recevoir de leçons, non plus qu'à en donner, mais ils peuvent contribuer à cette vision globale.

M. François-Xavier Selleret. - Nous n'avons pas abordé la question de l'annualité budgétaire. Un régime de retraite par répartition ne se gère pas de manière annuelle. Les partenaires sociaux, avant de se prononcer sur quatre ans, se projettent sur quinze ! Voilà une autre question qu'il faudra se poser : l'annualité budgétaire est-elle un bon principe pour piloter un risque plus long que la maladie ou le chômage ?

M. René-Paul Savary, président. - Cela ne nous a pas échappé. Nous examinons d'ailleurs en PLFSS des trajectoires pluriannuelles et proposons des « règles d'or ». Reste que le pilotage des finances sociales exige une vision globale, qui n'est pas une ingérence dans votre gestion.

Mme Monique Lubin. - La situation que vous nous avez décrite montre bien que ceux qui s'émouvaient naguère à l'idée de « piquer dans les réserves » des régimes complémentaires avaient raison. On nous répondait alors que cela n'avait rien de dangereux puisque rien de grave ne s'était produit. Nous voyons bien aujourd'hui que nous ne maîtrisons pas tout et la grave crise que nous traversons nous conforte dans notre idée.

Je ne partage pas votre avis, Monsieur le président Savary, sur le périmètre des dépenses de retraite : si nous commençons à inclure les régimes complémentaires en LFSS, malgré les garanties apportées sur la gouvernance, je ne vois pas ce qui nous empêcherait de voter des dispositions analogues à celles que nous votons sur le régime général... Or les régimes complémentaires ont fait la preuve de leur efficacité et rendent des comptes. Mais cette question mériterait un débat plus large.

Vous aviez pris il y a trois ou quatre ans des décisions incitant les gens à partir un peu plus tard à la retraite, en minorant les pensions versées à ceux partant à l'âge légal. Il me semble cependant que l'objectif était de leur rendre leurs droits initiaux au bout de trois ou quatre ans. Où en est ce mécanisme ? Le remettez-vous en cause, à la lumière de ce que nous vivons ?

Vous avez décidé, dans le cadre du chômage partiel, de continuer à verser les pensions et à abonder les droits des travailleurs au même niveau. Pourrait-on imaginer, si la situation actuelle perdurait, que vous décidiez de ne plus abonder les comptes des salariés, comme le fait le régime général, ou de baisser les pensions des retraités actuels - ce qui me paraîtrait particulièrement injuste ?

Mme Élisabeth Doineau. - Je vous remercie, Madame la présidente et Monsieur le directeur général, pour vos propos liminaires et vos premières réponses.

J'ai noté que pour combler ces 2 milliards de déficits anticipés, vous disposiez de « beaucoup de leviers ». Nous connaissons les paramètres habituels qui peuvent être mobilisés sur les retraites, mais je m'interroge sur ce « beaucoup »...

Vous avez insisté sur le risque en matière de sécurisation du lien entre les cotisations et les droits constitués, alors que ce lien est particulièrement fort dans un régime à points comme celui de l'Argirc-Arrco. Je voudrais savoir comment ce lien est garanti dans le cas des droits constitués sur les salaires exonérés pour tout ou partie, je pense notamment aux allègements généraux ?

Mme Brigitte Pisa. - Sur la baisse des pensions, c'est la syndicaliste qui va vous parler : ce n'est absolument pas envisagé. Nous avons établi une règle d'or, le montant des retraites ne peut pas baisser d'une année sur l'autre. Nous n'avons pas imaginé cette hypothèse.

M. René-Paul Savary, président. - Mais une non-revalorisation...

Mme Brigitte Pisa. - Ce n'est pas la même chose ! Une baisse des pensions n'est en revanche à ce jour absolument pas envisageable.

Sur le non-abondement au titre des périodes de chômage partiel, je vous donne la même réponse. Nous sommes un régime contributif mais aussi un régime solidaire. Ces règles sont anciennes et nous n'entendons pas les changer.

M. René-Paul Savary, président. - Une personne au chômage partiel constitue les mêmes droits qu'une personne en activité. Cependant, l'activité partielle a représenté 3,4 milliards d'euros de recettes en moins pour votre régime.

Mme Brigitte Pisa. - En effet, l'impact est important en recettes. Cependant, les droits à pension représentent un impact sur une durée bien plus longue, sur 25 ans.

C'est une affaire de responsabilité : le salarié ne choisit pas son activité partielle. Nous espérons que l'économie va repartir, les entreprises embaucher et les cotisations revenir et ainsi nous pourrons peut-être commencer à reconstituer nos réserves, selon une jauge à définir.

Au moment de la signature de l'accord, les prévisions que nous avions fait tourner nous laissaient penser que le niveau de 50 % du montant annuel des prestations en réserves nous paraissait justifié et surtout soutenable. Je vous le disais, dans nos discussions entre partenaires sociaux, la question se pose d'un changement de cette jauge pour savoir si les conditions ne sont pas réunies pour pendant un ou deux ans ne pas diriger l'argent vers les réserves mais permettre que l'économie, qui fait fonctionner ce régime contributif, reparte.

M. François-Xavier Selleret. - Sur les allègements généraux, nous reconstituons les salaires bruts pour les salariés entre 1 et 1,6 SMIC : cela n'a pas d'impact pour le salarié. Avec les allègements de cotisations patronales nous reconstituons la base et cela n'a pas d'impact sur les droits des salariés.

La question du bonus-malus s'applique pour les personnes nées après le 1er janvier 1957 et qui ont le taux plein, après cette date. Cela fait deux ans, nous n'avons pas encore le recul pour savoir si les générations 1957 et 1958 ont modifié leur comportement.

Ce que nous avons mis en place, dès 2016 à la demande des partenaires sociaux, c'est un simulateur de droits. La question que les gens se posent n'est pas tant celle du malus temporaire mais « si je pars, combien aurai-je et quand ? ». Le simulateur M@rel, commun à l'ensemble des régimes, qui a eu 4 millions de connexions l'an dernier, permet des simulations. Tous les droits sont répertoriés, sur l'ensemble des régimes de l'assuré. La personne peut en outre personnaliser sa simulation et mesurer le montant de ses retraites en fonction de son parcours et des évolutions professionnelles qu'elle peut encore faire, par exemple un passage d'un temps plein à un temps partiel, une création d'entreprise ou une formation. À chaque âge, la personne peut estimer le montant de sa retraite en fonction de son parcours de carrière.

Nous avons eu le sentiment que le taux plein était compris, la décote et la surcote pas toujours. Nous ne voulions pas embêter les gens avec les dispositifs, mais nous voulons apporter des réponses simples et des éléments de service pour que nos concitoyens puissent faire des choix de manière éclairée selon leurs objectifs de départ ou de pouvoir d'achat. Dans l'évaluation du rendement de la mesure dans la « boîte à outils » de 2015, nous avions estimé un rendement du « coefficient majorant » de 300 millions d'euros en 2020, nous devrions en être proches. Notre priorité est surtout que les assurés puissent faire des choix simples. L'évolution du dispositif est un choix qui relève des partenaires sociaux.

Mme Monique Lubin. - Ce bonus-malus, pour l'instant, donc, on n'y touche pas ? La crise de la covid n'a pas d'impact sur ce sujet ? Un retour à la normale n'est pas envisagé.

Mme Brigitte Pisa. - Je peux imaginer que ce dispositif puisse être posé sur la table quand nous allons discuter à nouveau. En revanche, pour savoir si ce dispositif est efficace, il faut que nous ayons un retour. 300 millions d'euros, c'est « anecdotique » à l'échelle de l'Agirc-Arrco, si je peux le formuler ainsi. Il faut que nous sachions si ces 300 millions d'euros représentent un changement majeur de comportement. Il ne faut pas faire cela à la louche mais connaître l'impact réel. Nous n'avons pas encore de retour mathématique, impartial sur ces mesures.

Quand nous avons dit « beaucoup » de leviers, cela était peut-être exagéré ! Par exemple, un passage du taux des cotisations d'appel de 127 % à 128 % serait quasi indolore mais rapporterait presque 2 milliards d'euros. Il ne s'agit pas d'un report de l'âge de départ à la retraite ou d'une augmentation des cotisations de plusieurs points. Nous avons des « petits leviers » inconnus du grand public qui peuvent avoir un effet important. Ces critères techniques peuvent nous permettre d'ajuster et, en attendant d'avoir une vision claire de l'avenir, de revenir à un équilibre technique.

Au-delà de la gestion revue chaque année dans le cadre du conseil d'administration, nous avons une gestion de nos réserves. Nous avons été mobilisés pour investir sur de l'immobilier. Je rappelle que l'Agirc-Arrco investit quasi exclusivement sur le marché français, notamment d'obligations d'État ou des actions d'entreprises. Nous sommes un acteur très volontaire pour participer à une reprise notamment dans la gestion de nos réserves.

M. François-Xavier Selleret. - L'Autorité des marchés financiers l'avait souligné : l'Agirc-Arrco est un acteur nécessaire pour la profondeur et la liquidité de la place de Paris. L'Agirc-Arrco a 30 % d'actions dans ses réserves. Nous sommes un des rares acteurs qui peut investir comme cela dans les entreprises françaises. Nous ne sommes pas soumis aux normes de Solvabilité II, le risque ne nous est pas tarifé. Par ailleurs, nos décisions sont sur 10-12 ans. Quand nous parlons de patriotisme économique, l'Agirc-Arrco prend toute sa part. Nous avons des actions, à hauteur de 15-20 milliards d'euros, et notre zone domestique d'investissement est la France et la zone euro. Nous avons aussi un rôle important dans le financement de l'économie française.

Mme Brigitte Pisa. - Nous avons aussi évolué ces trois dernières années en basculant l'ensemble des réserves de l'Agirc-Arrco en investissements socialement responsable. Nous avons apporté cet élément qualitatif à nos investissements. Nous avons amené notre politique d'investissement à maturité sur ce sujet. Nous nous sommes harmonisés, avec les gestionnaires financiers que nous faisons travailler, en anticipant les travaux de la Commission européenne sur ce sujet.

M. René-Paul Savary, président. - Je vous remercie, Madame Pisa et Monsieur Selleret, pour cet échange riche. Nos entretiens réguliers nous permettent de mieux appréhender ces sujets qui dépassent la seule question - déjà importante - des retraites complémentaires du privé.

Désignation de rapporteurs

M. René-Paul Savary, président. - Notre ordre du jour appelle également la désignation de rapporteurs pour les différents contrôles que nous avons évoqués lors de notre précédente réunion, le 15 décembre.

Tout d'abord, le rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pourrait être confié à notre collègue Élisabeth Doineau.

Ensuite, nous pourrions désigner Alain Milon et Élisabeth Doineau rapporteurs du contrôle sur les conséquences de la modification des règles d'évolution du plafond de la sécurité sociale.

S'agissant de l'estimation des besoins financiers de la nouvelle branche « Autonomie » en matière de handicap, le rapporteur de la branche, Philippe Mouiller, semble tout désigné afin d'en être le rapporteur.

Pour ce qui concerne le contrôle sur la situation et l'avenir des réserves des régimes de retraites, je vous propose de me désigner en tant que rapporteur de la branche vieillesse ainsi que notre collègue Monique Lubin. Il s'agit en effet d'un sujet qui me semble justifier la constitution d'un binôme majorité-opposition.

Enfin, Jean-Marie Vanlerenberghe a souhaité que la Mecss suive la mise en place des instruments de mesure de la fraude sociale au sein des différents organismes concernés. Je vous propose donc naturellement, Monsieur le rapporteur général, d'effectuer ce suivi qui est avant tout une « mise sous tension » des organismes concernés. Vous pourrez donc nous rendre compte de vos observations à l'issue de vos travaux sans que celles-ci prennent forcément la forme d'un rapport écrit.

S'il n'y a pas d'observation, je considère que la Mecss entérine ces propositions.

Il en est ainsi décidé.

Je vous remercie et je lève la séance.

La réunion est close à 12 h 20.