Jeudi 1er avril 2021

- Présidence de M. Stéphane Artano, président -

Étude sur le logement dans les outre-mer - Table ronde sur l'habitat innovant

M. Stéphane Artano, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux dans le cadre de la préparation du rapport sur le logement dans les outre-mer, avec une table ronde dédiée à l'habitat innovant. Nous vous remercions vivement, Mesdames et Messieurs, d'avoir répondu à notre invitation et de permettre à nos trois rapporteurs, Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel, de vous interroger. Cette table ronde a pour but d'identifier des réponses adaptées aux nouveaux enjeux, dans les territoires ultramarins, de l'habitat au sens large. La semaine dernière, nous avons auditionné le ministre polynésien du logement qui a détaillé la stratégie globale adoptée par sa collectivité sur dix ans. Cette stratégie prend précisément en compte l'environnement du logement. Nous savons également que la pandémie de Covid-19 entraîne une évolution des demandes et des attentes dans ce domaine comme dans bien d'autres. Nous comptons sur votre expertise et votre expérience pour nous aider à formuler des propositions concrètes concernant les défis considérables qui nous attendent.

Nous avons ainsi le plaisir d'accueillir l'association Actions pour une qualité urbaine et architecturale amazonienne (AQUAA), représentée par M. Laurent Chamoux, membre du conseil d'administration ; l'association AsTerre, représentée par M. Andreas Krewet, ingénieur, membre du conseil d'administration ; l'association CRAterre, représentée par MM. Arnaud Misse, responsable du pôle matériaux, et Éric Ruiz, directeur de la rénovation urbaine de Grenoble Alpes Métropole, ex-responsable de l'habitat social de la Société Immobilière de Mayotte (SIM) ; le Centre d'innovation et de recherche sur le bâti tropical (CIRBAT), représenté par MM. Alçay Mourouvaye, directeur et Frédéric Chanfin, responsable scientifique et technique ; le Conseil régional de l'ordre des architectes de La Réunion-Mayotte, représenté par M. Marc Joly, architecte ; les Conseils régionaux de l'ordre des architectes de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique, représentés par M. Michel Corbin, architecte ; l'atelier d'architecture BMC, représenté par M. Jean-Michel Mocka-Célestine, co-gérant et le Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) de la Guadeloupe, représenté par M. Jacques Sainsily, directeur.

S'agissant des aspects généraux de l'habitat innovant, nous vous avons soumis les cinq axes de réflexion suivants :

Les outre-mer peuvent-ils être des terrains d'expérimentation pour l'habitat innovant ? Qu'est-ce que les outre-mer peuvent apporter à l'Hexagone dans ce domaine ?

Quels sont les principaux freins actuels à l'innovation dans l'habitat outre-mer ?

Quelles sont, selon vous, les grandes tendances de l'habitat de demain en outre-mer (logement collectif ou individuel ; stratégie urbaine...) ?

Pourrait-on réduire substantiellement les coûts de construction en innovant et en adaptant davantage les constructions ?

Comment renforcer le partage d'expériences et de bonnes pratiques entre outre-mer et permettre l'accélération des procédures et la simplification des normes ?

En raison de l'actualité parlementaire sur la crise sanitaire, je donne pour commencer la parole au rapporteur Guillaume Gontard, qui devra ensuite nous quitter pour participer à la séance publique.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je vous remercie de votre mobilisation. Toutes les personnes que nous avons sollicitées ont accepté notre invitation à s'exprimer sur la question importante de l'habitat en outre-mer et en particulier sur l'innovation et l'habitat de demain. Il nous paraît intéressant d'organiser le partage des réflexions sur ce sujet entre l'Hexagone et les outre-mer. Nous recueillerons donc avec intérêt vos interventions sur les différentes initiatives ou réflexions menées dans les territoires. L'habitat des territoires ultramarins présente des spécificités, notamment en matière d'adaptation aux risques naturels, qu'il s'agisse des tempêtes, des cyclones, des séismes ou des glissements de terrain. Nous devons chercher à mieux répondre à ces problématiques et en tenir compte dans les choix d'urbanisme et de localisation des constructions et dans les choix des matériaux et des techniques.

Notre réflexion doit également s'appuyer sur l'analyse du passé et des techniques mises en oeuvre jusqu'à présent pour utiliser au mieux les savoir-faire existants sur l'ensemble des territoires ultramarins au profit d'un habitat adapté à notre époque. Les auditions que nous avons menées ont souvent pointé la nécessité de renforcer les formations en matière de BTP et d'améliorer la professionnalisation de ces entreprises. Nous entendrons donc avec intérêt votre point de vue sur ces questions.

Nous souhaitons également aborder le sujet de la performance énergétique des bâtiments, qui n'est pas assez discuté alors que les enjeux en matière de climatisation sont très importants. Une réflexion doit être menée sur la ventilation des bâtiments, enjeu renforcé par la crise sanitaire. La construction doit être conçue de manière à optimiser la ventilation naturelle et la fraîcheur des bâtiments.

L'utilisation de matériaux locaux et la relocalisation constituent également des enjeux importants, d'autant plus dans des territoires pour lesquels l'importation de matériaux génère des coûts environnementaux et financiers très élevés. La relocalisation du choix des matériaux renvoie par ailleurs à la question des savoir-faire. Elle consiste notamment à utiliser la terre crue pour fabriquer des briques, ainsi que le bois. Nous avons, par exemple, noté lors des précédentes auditions que la Guyane utilise très peu de bois local malgré l'abondance de cette ressource. Il serait possible de répondre à cette problématique en s'inspirant des démarches de labellisation conduites dans l'Hexagone avec la certification Bois des Alpes ou l'AOC Bois de Chartreuse, qui ont permis de relancer l'utilisation de bois local.

Nous vous invitons donc à nous faire part de vos expériences, dans leurs aspects positifs ou négatifs.

M. Laurent Chamoux, membre du conseil d'administration d'Actions pour une qualité urbaine et architecturale amazonienne (AQUAA). - Nous avons créé l'association AQUAA en 2004, dans le territoire très spécifique de la Guyane, qui ne connaît pas les problématiques des Antilles. La Guyane est productrice de bois et de terre crue : nous disposons donc effectivement de capacités de production de matériaux locaux. Par ailleurs, nous disposons d'une plus grande liberté que nos homologues des autres outre-mer pour réaliser des expériences, n'étant pas exposés aux risques cyclonique ou sismique. La Guyane est donc depuis plus de trente ans une terre d'expérimentation.

Nous nous félicitons de l'organisation de cette table ronde mais une grande partie des réponses aux questions soulevées ont déjà été apportées. Nous avons le sentiment que le temps souvent bénévole que nous consacrons à la recherche de solutions l'est en vain puisque les mêmes questions nous sont posées régulièrement tous les deux ou trois ans. Nous y apportons les mêmes réponses puisque nous disposons de solutions et les avons expérimentées dans la plupart de nos territoires. Il conviendrait donc d'exploiter la bibliographie existante et de mettre en application les réponses de bon sens apportées depuis vingt ou trente ans.

La problématique du coût global de la construction, notamment de logements sociaux, n'est pas prise en compte. Les opérateurs sociaux disposent de budgets très contraints, voire insuffisants au regard de la nécessité d'importer des matériaux. Nous essayons d'utiliser de plus en plus de ressources locales mais la faible taille des entreprises d'outre-mer n'est pas propice aux économies d'échelle. Le logement d'outre-mer se caractérise par ailleurs par des coûts d'entretien très élevés. Or, les coûts d'entretien et les coûts de construction sont traités de manière séparée par les opérateurs sociaux. Nous demandons depuis trente ou quarante ans qu'ils soient regroupés afin d'avoir une approche en fonction du coût global, la seule qui soit de nature à générer des économies. Nous sommes incapables de baisser le coût de la construction en outre-mer parce que nous réalisons déjà des prouesses quotidiennes pour éviter qu'il soit plus élevé. Il est donc vain de demander aux architectes d'outre-mer de baisser le coût de la construction. Nous travaillons avec des petites entreprises et nous supportons des frais de transport très élevés. Nos coûts de construction sont donc incompressibles. La solution consisterait plutôt à permettre aux opérateurs sociaux de globaliser leur budget d'entretien et leur budget de construction de manière à nous permettre de travailler sur le long terme pour générer des économies.

M. Andreas Krewet, ingénieur, membre du conseil d'administration de l'Association AsTerre. - AsTerre est l'association nationale des professionnels de la terre crue. Elle est relativement peu présente dans les outre-mer. J'ai néanmoins participé à deux ou trois concours en tant qu'ingénieur de bureau d'études sur les matériaux terre et géo-biosourcés.

Les outre-mer doivent être des terrains d'expérimentation. Ils sont confrontés aux mêmes freins à l'innovation que la métropole mais de manière plus importante parce que la plupart des règlementations et des normes sont conçues pour le climat continental européen, alors que la majorité des outre-mer sont exposés à un climat tropical ou subtropical qui appelle un type de construction différent. Par ailleurs, les outre-mer ne disposent pas des mêmes ressources que l'Hexagone et doivent par exemple importer le ciment et ne possèdent pas suffisamment de combustible pour produire de la brique cuite. En revanche, ils disposent de bois, de bambou, de terre et de pierre, autant de matériaux qui sont de plus en plus utilisés en France et dans d'autres pays. Deux ou trois écoles ont été construites en pisé en région parisienne notamment, illustrant le regain pour ces matériaux qui présentent également un intérêt du point de vue de l'entretien. C'est pourquoi l'approche par le coût global est pertinente. Il convient également d'y inclure le coût de l'énergie supporté par les habitants, surtout lorsqu'il s'agit de logements sociaux.

Les apports des outre-mer dans le domaine de l'expérimentation peuvent être illustrés par l'exemple de la norme expérimentale « Bloc de terre comprimée » qui a été créée à Mayotte il y a une vingtaine d'années et va être étendue à l'ensemble de la France, après adaptation.

Le sujet de la localisation des constructions constitue une problématique déterminante de l'habitat de demain en outre-mer, compte tenu des risques de glissement de terrain. Si un glissement de terrain se produit dans une zone habitée, c'est que la création du lotissement n'a pas été précédée d'une étude sérieuse. Le risque de glissement de terrain est évitable dans 90 % des cas.

Le niveau élevé des coûts de construction en outre-mer s'explique par la pratique consistant à appliquer des méthodes de construction proches de celles de l'Hexagone malgré un climat et des ressources différentes. Au sud du Maroc où la température atteint les 50 degrés, la plupart des constructions nouvelles est effectuée en parpaings de 20 centimètres, ce qui donne des logements invivables. Quelques constructeurs continuent néanmoins ou recommencent à construire des murs en pisé de cinquante centimètres, adaptés au climat local. De même, il est nécessaire d'adapter l'architecture en outre-mer au climat tropical et aux ressources, tout en réduisant les importations pour réduire le coût. La baisse des coûts suppose de réduire l'utilisation de ciment.

Les nombreux concours architecturaux en vue de la construction de collèges et de lycées à Mayotte montrent que le rectorat soutient la brique de terre comprimée. Par ailleurs, les lycées techniques commencent à développer des formations à ce matériau, qui connaît ainsi un nouveau départ. En outre, les techniques traditionnelles de cloisons intérieures en torchis et en bambou, la mise en place d'ossature et d'autres techniques de terre permettent de limiter les besoins en ciment. La renaissance de la filière de la brique de terre comprimée mérite donc d'être accompagnée d'autres expérimentations. Il convient d'encourager la constitution de filières associant architectes, bureaux d'études, entreprises et donneurs d'ordres autour de ce matériau.

M. Arnaud Misse, responsable du pôle matériaux de l'association CRAterre. - Le CRAterre est le centre international de constructions en terre. Il travaille sur l'utilisation de ressources locales, en particulier les matériaux géosourcés et la terre. Il résulte de l'adossement entre un laboratoire de l'école d'architecture de Grenoble, chargé des volets scientifiques et académiques, et une association gérant les missions de terrain et les projets sur site. Le CRAterre est structuré autour de trois axes à savoir le patrimoine, l'habitat et les matériaux. Il a accompagné la mise en place de la filière « Bloc de terre comprimée » à Mayotte au début des années 1980, conduisant à la création de quatorze briquèteries sur le territoire, alimentant majoritairement la construction de l'habitat social mais également de l'habitat locatif, des équipements scolaires et des bâtiments administratifs. Jusqu'au début des années 2000, cette filière a produit 50 à 60 millions de blocs et permis la réalisation de 20 000 logements. Cette expérience présentait un intérêt environnemental, alors que le territoire était confronté à une problématique d'accès au granulat et que les constructeurs utilisaient le sable des plages pour produire des parpaings, ce qui entraînait un risque écologique pour le lagon. Mayotte était également confrontée à des difficultés d'importation des matériaux. Or la terre constituait une ressource disponible en abondance. Mayotte possédait par ailleurs une carrière de pouzzolane, roche naturelle constituée par des scories volcaniques.

Après le début des années 2000, la filière de « blocs de terre comprimée » a été moins sollicitée pour différentes raisons et la production est devenue confidentielle, voire anecdotique. Récemment, l'association Art-Terre Mayotte a relancé cette filière de matériaux locaux, soutenue par la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement par la délivrance d'une appréciation technique d'expérimentation (Atex) par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Même si ce matériau n'était plus expérimental puisqu'il avait déjà été largement utilisé, cette Atex permettait de couvrir l'absence de norme. Le rectorat a également soutenu cette initiative en choisissant le bloc de terre comprimée pour la construction de lycées et de collèges. Par ailleurs, la DEAL finance la rédaction d'une norme professionnelle.

M. Éric Ruiz, directeur de la rénovation urbaine de Grenoble Alpes Métropole, ex-responsable de l'habitat social de la Société Immobilière de Mayotte (SIM). - La politique de l'habitat à Mayotte présentait l'intérêt de ne pas aborder le sujet uniquement par le prisme technique de la brique de terre comprimée ou d'une filière de production de matériaux mais de l'aborder dans sa globalité, en incluant notamment une approche culturelle. Les élus et les institutions politiques de l'époque s'étaient totalement émancipés du cadre métropolitain pour se donner la liberté de créer un modèle spécifique basé sur l'expérimentation et l'innovation, trans-thématiques, incluant notamment une étude des modes de vie de la population par un ethnologue. Cette approche avait pour objectif de faire de la politique du logement un outil de développement local avec, à son apogée, la création de plus de 1 000 logements par an, par des petits artisans ou en auto-construction encadrée. 500 micro-entreprises locales vivaient de cette filière, ce qui était très important à l'échelle de Mayotte. Cette approche globale et transversale a permis de créer un outil de production massif, conduisant à la construction de 20 000 logements. Cette approche avant-gardiste portée par les élus locaux et les institutions a par ailleurs permis de ramener la part des matériaux importés pour la production de logements de plus de 80 % à 20 %.

M. Arnaud Misse, responsable du pôle matériaux de l'association CRAterre. - CRAterre a conduit en outre-mer d'autres expérimentations qui n'ont pas donné lieu à la constitution d'une filière comme à Mayotte. L'innovation en outre-mer nécessite d'encourager l'utilisation des ressources locales et la circularité de l'économie du bâtiment pour favoriser l'emploi mais également pour réemployer les déchets et les déblais de construction, sachant que les outre-mer sont soumis à une demande de construction forte. L'utilisation de la terre de terrassement, aujourd'hui considérée comme un déchet par la norme européenne, constitue une piste d'innovation importante pour la construction de logements. Elle mérite d'être considérée sérieusement. Par ailleurs, les expériences menées sur différents territoires, y compris dans l'Hexagone, montrent l'importance du soutien apporté aux opérations pilotes pour démontrer la viabilité et l'intérêt de l'innovation dans la construction, par des actions de communication et en faisant vivre des habitants dans des logements innovants pour dépasser les préjugés.

Ce type d'opération nécessite donc un soutien économique, technique et opérationnel. L'innovation présente un coût initial et la recherche sur les matériaux est elle-même coûteuse, y compris pour la production des règles professionnelles et pour l'obtention de l'appréciation technique d'expérimentation sur un matériau déjà très utilisé comme le bloc de terre comprimé, qui a nécessité de réaliser des essais de résistance aux incendies, de résistance mécanique et de résistance aux séismes. La recherche a donc besoin d'être soutenue par des subventions ou par la production de démonstrateurs dérogeant à certaines règles thermiques ou de surface.

M. Alçay Mourouvaye, directeur du Centre d'innovation et de recherche sur le bâti tropical (CIRBAT). - Le CIRBAT, en tant que pôle d'innovation et de recherche sur la construction en milieu tropical, a été labellisé pôle d'innovation national en 2009. Il travaille sur les techniques de construction, les matériaux et les savoir-faire utilisés par les entreprises locales. Le dispositif labellisé existe depuis la fin des années 1990. Ses laboratoires permettent de réaliser des essais, notamment de résistance et de lutte anti-termites. Les travaux menés à La Réunion par le CIRBAT sont susceptibles de concerner l'ensemble des territoires ultramarins mais également l'Hexagone. Les solutions qu'il expérimente, notamment en matière d'isolation du bâti, peuvent être transposées à l'ensemble du territoire national et notamment aux régions du Sud de la France.

Les territoires ultramarins, du fait de leur positionnement géographique sur l'ensemble de la planète, représentent une véritable richesse pour la France et l'addition des travaux qui y sont menés peut générer un effet de levier en matière d'innovation. L'île de La Réunion n'utilise pas à ce jour de technique de construction spécifique qui serait liée au territoire ou aux matériaux disponibles localement. En revanche, nous avons investi le champ des matériaux biosourcés qui constituent une piste intéressante, notamment l'utilisation de ressources végétales disponibles sur le territoire telle que la bagasse de canne à sucre ou le vétiver. Les études menées avec le CSTB et la Sustainable Traditional Buildings Alliance (STBA) donnent des résultats prometteurs, qui permettent d'envisager le prolongement de cette dynamique. Ces travaux font l'objet de demandes complémentaires dans le cadre du plan France Relance, pour approfondir les recherches en vue de la création d'unités industrielles pouvant proposer aux entreprises locales des solutions innovantes, biosourcées, produites localement, dans une logique de singularité, pour une meilleure construction en territoire ultramarin.

Parmi les freins identifiés figure la question du financement de l'innovation, qui est relativement coûteuse. Une autre difficulté consiste à amener les filières industrielles à s'approprier les solutions et les préconisations formulées pour produire un changement d'échelle. La réglementation constitue également un obstacle. L'encadrement de la construction ne permet pas d'intégrer directement les solutions innovantes, qui nécessitent des procédures longues et couteuses à l'image de l'Atex.

Une autre difficulté réside dans l'uniformité des normes de construction, puisque les mêmes règles s'appliquent en Languedoc-Roussillon, dans les Pyrénées, dans le Calvados ou à Saint-Denis de La Réunion alors que ces territoires sont soumis à des phénomènes climatiques très différents. L'adaptation des normes de construction aux différents territoires constitue donc un axe de progrès important. À ce titre, des travaux ont été engagés pour la mise en place d'un BNTEC à l'échelle des outre-mer. Cette initiative qui bénéficiait d'un soutien dans le cadre du Programme d'Action pour la qualité de la Construction et la Transition Énergétique (PACTE) s'est néanmoins arrêtée. Des discussions sont engagées pour relancer ce type de solution.

M. Marc Joly, architecte au conseil régional de l'ordre des architectes de La Réunion-Mayotte. - Nous tenons à votre disposition une étude sur le logement social que nous avons publiée en 2020. Nous avons étudié 200 logements à La Réunion sur une période de 25 ans sous l'angle de l'évolution des coûts de construction. Nous nous préoccupons de l'augmentation hypertrophiée de nos coûts de construction, notamment dans le logement social. Nous constatons une diminution constante de la production de logements en termes de quantité depuis 2010, notamment de logements sociaux. Jusqu'en 2005, la production et les coûts étaient relativement stables et le niveau de la production permettait de couvrir les besoins de la population. L'effondrement auquel nous assistons depuis 2010 provient entre autres de problèmes économiques et de disparités de marché. À La Réunion, l'indice des prix à la consommation (IPC) progresse en moyenne de 1 % par an, le niveau de vie moyen augmente légèrement plus que l'IPC et l'indice mesurant l'évolution du coût de la construction augmente deux fois plus rapidement que l'IPC, soit 2 % par an. Cet écart est donc jugé substantiel. Le plan logement outre-mer (PLOM) constatait par ailleurs un doublement des coûts de la construction en 20 ans.

Nous avons néanmoins souhaité vérifier ces données car elles ne correspondaient que très partiellement à notre ressenti. Pour notre part, nous avons mesuré un triplement des coûts de construction à La Réunion entre la fin des années 90 et 2020, soit une augmentation moyenne de 4,5 % par an. Par conséquent, l'écart entre le rythme d'évolution du niveau de vie moyen, de 1,1 % par an, et celui du coût du logement entraîne l'impossibilité de réguler le système. À ce jour, il est devenu quasiment impossible de construire de nouveaux logements. Notre analyse des causes de ce phénomène nous a conduits à la conclusion que la sur-inflation du domaine du logement est essentiellement due à des considérations réglementaires et normatives. Il n'existe pas d'autre explication, surtout sur une durée aussi longue et dans des proportions aussi importantes.

Il en résulte l'effondrement du secteur privé. À ce jour, 90 % de la filière du BTP dépend de fonds publics, ce qui signifie que l'économie est totalement administrée, tout en étant très mal planifiée. Nous soutenons la volonté du rectorat de relancer la filière de la brique de terre comprimée de Mayotte. Néanmoins, la filière n'est plus en capacité de répondre à des besoins aussi importants. Le marché est donc déréglé.

Par conséquent, les normes expliquent la dégradation de la production de logements à La Réunion. La filière du BTP est peu performante et subit des blocages à tous les niveaux, ainsi qu'un défaut de gouvernance. Les chaînes de décision sont insuffisamment structurées et l'administration prend ses décisions sans concertation avec les acteurs locaux. La bonne gouvernance de la filière du BTP consisterait à solliciter les compétences là où elles se trouvent, c'est-à-dire dans les territoires et non seulement au sein des institutions nationales. Nous souffrons du blocage résultant de la technostructure régalienne composée de l'AFNOR, du CSTB, des concessionnaires, des municipalités et des architectes conseils de la DEAL. Nous avons le sentiment d'être empêchés de développer des logements adaptés à nos territoires, voire de construire puisque depuis 2010, la production du BTP ne répond plus aux besoins de notre population.

M. Michel Corbin, architecte des conseils régionaux de l'ordre des architectes de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique. - Étant inscrit à l'Ordre des architectes depuis quarante ans, j'ai assisté au développement de nombreuses initiatives ainsi qu'à de nombreux colloques ou débats mais j'ai observé peu de progrès. Les architectes ont déjà beaucoup innové dans les départements d'outre-mer. J'ai constaté que l'étude de l'habitat vernaculaire et des us locaux nous permet de trouver les solutions à toutes les problématiques qui se posent à nous, notamment les risques sismiques, cycloniques ou de tsunamis.

La Guadeloupe et la Martinique sont deux petites îles fortement sismiques puisqu'elles sont classées en zone 5. Les architectes qui y construisent des logements portent donc des responsabilités très importantes et doivent s'appuyer sur des ingénieurs. Ils appliquent des normes antisismiques depuis 1955, suite à un tremblement de terre violent survenu en Algérie en 1954. D'autres normes ont été instaurées depuis, jusqu'à l'Eurocode 8. La production de logements est relativement élevée en Guadeloupe et en Martinique. Par ailleurs, il existe un transfert technologique vers l'habitat informel. Le savoir-faire acquis dans les Antilles est également exploité en métropole, où l'on découvre de nouvelles zones à risque sismique. Il y a trois ans, une délégation du bureau de contrôle Veritas du Sud-Ouest de la France nous a ainsi rendu visite pour étudier nos méthodes de construction.

En revanche, je regrette la suppression du diplôme propre aux écoles d'architecture (DPEA) parasismique dont nous disposions en Guadeloupe et qui avait été conçu avec l'École de Marseille Luminy, avec le soutien du conseil régional de l'époque. Cette initiative qui avait permis de former une trentaine d'architectes aux problèmes parasismiques aigus mériterait d'être relancée. Elle pourrait en outre bénéficier aux personnes qui construisent elles-mêmes leur logement. Le Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) contribue à la maîtrise de la qualité de l'habitat auto-construit en l'encadrant.

Les architectes d'outre-mer possèdent donc une expertise en matière de prévention du risque sismique et du risque cyclonique dont ils peuvent faire bénéficier l'Hexagone. La difficulté est que les règles parasismiques et paracycloniques s'opposent puisque la légèreté du bâti favorise sa résistance aux séismes tandis que c'est sa lourdeur qui renforce sa résistance aux cyclones. Les architectes antillais ont donc appris à concilier ces deux contraintes.

M. Jean-Michel Mocka-Celestine, co-gérant à l'atelier d'architecture BMC. - Parler de logement, c'est avant tout parler d'aménagement des territoires, des espaces et des équipements nécessaires à la création de pôles d'habitat, en tenant compte notamment des besoins des populations en matière de transport. Le risque de tsunami, de séisme, d'éruption volcanique et de cyclone doit nous amener à inclure des zones de retrait dans nos projets d'aménagement.

Nous rencontrons par ailleurs une problématique liée au prix du foncier. Les règles d'urbanisme commencent à devenir obsolètes et l'apparition régulière de nouvelles normes accroît sans cesse les coûts de construction. En outre, l'application de normes européennes constitue un frein important à l'utilisation de matériaux provenant de l'espace Caraïbe qui permettraient de réduire certains coûts de la construction à la Guadeloupe et à la Martinique.

En outre, la réflexion sur le logement et l'innovation doit nous amener à considérer les besoins des habitants. De ce point de vue, il apparaît que la réglementation actuelle sur le financement du logement social et ses modèles stéréotypés ne sont pas adaptés au mode de vie antillais. Au sujet de la climatisation ou de la ventilation, nous construisons depuis plus de trente ans des logements qui marquaient un progrès et dont les bilans énergétiques ne sont pas obsolètes. L'État nous impose aujourd'hui des systèmes très stéréotypés qui constituent un frein à l'innovation. Les habitants des Antilles françaises ont besoin d'un espace extérieur où ils puissent vivre tout en étant protégés. Par conséquent, la loggia ne doit pas devenir un simple balcon car elle ne constitue alors plus un espace de vie. L'espace de vie extérieur peut également être un espace de rencontre. Or, les règles en matière de financement du logement social ne permettent pas la création de tels espaces.

L'innovation en matière d'architecture nécessite de se remettre en question. Tant que les bailleurs seront enfermés dans le carcan des règles liées au financement, les architectes ne seront pas en mesure d'innover. Nous appliquerons des modèles stéréotypés inadaptés aux modes de vie, comme dans les années 60. En outre, je doute que l'application de ces modèles importés permette réellement de réduire le coût de la construction.

Les Antilles constituent néanmoins un terrain d'expérimentation dans le domaine de la prévention paracyclonique et parasismique. Nous commençons par ailleurs à exploiter le potentiel énergétique qui caractérise ces territoires mais il serait nécessaire d'accélérer les développements en la matière. Il y a une quinzaine d'année, un bailleur social a essayé d'innover en utilisant le photovoltaïque et en récupérant l'eau pluviale. Mais la réglementation ne permettait pas la récupération de l'eau pluviale et les assureurs refusaient d'assurer les panneaux photovoltaïques. Les problématiques dont nous discutons aujourd'hui sont donc identifiées depuis dix ans ou quinze ans, voire davantage. Il convient de s'y attaquer sérieusement, en permettant l'utilisation de matériaux locaux et surtout en permettant à ces territoires de maîtriser la conception et l'aménagement. Nous avons par exemple créé, dans le cadre d'une opération de rénovation urbaine, des zones de retrait où la population pourra se rassembler en cas de catastrophe. Or de tels espaces ne sont pas couverts par les règles de financement du logement social. Il convient donc d'adapter les règles pour permettre la prise en compte des spécificités de chaque territoire.

M. Jacques Sainsily, directeur du Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) de la Guadeloupe. - Le CAUE, le Conseil de l'Ordre des architectes et l'Association des urbanistes de la Guadeloupe ont produit en 2013 l'ouvrage Diversité des éclairages qui a permis d'aborder l'ensemble des questions relatives au cadre de vie et de balayer l'ensemble des sujets posés ce jour en préambule. Je vous renvoie également au regard croisé que nous avons initié dès 2007 et qui a donné lieu à l'édition d'actes en 2009 et 2010, Vers une nouvelle stratégie d'aménagement du territoire pour le développement de la Guadeloupe. Cet ouvrage résulte d'une concertation large sur l'ensemble du territoire de la Guadeloupe, pour un développement harmonieux du territoire. Nous considérons en effet que l'habitat ne se limite pas au logement mais englobe également l'environnement, l'urbanisme et l'aménagement du territoire. De ce point de vue, si vous les aviez invités, les bailleurs auraient mis en avant la question du foncier, la stratégie d'aménagement du territoire et la vision urbanistique au travers des PLU (plans locaux d'urbanisme), des SCoT (Schémas de cohérence territoriale) et même des SAR (Schémas d'aménagement régional).

Nous avons traité ces questions après une enquête large commandée à QualiStat, qui a permis de recueillir les doléances de la population et a montré que certains préceptes sont totalement erronés, tel que celui selon lequel chacun aspirerait à disposer d'un logement individuel. L'habitat collectif est beaucoup moins décrié qu'on ne le pense. Cette enquête démontre donc l'intérêt de la concertation. Par conséquent, je recommande au Sénat d'élargir la concertation à l'Association régionale des maîtres d'ouvrages sociaux (Armos), qui regroupe la plupart des bailleurs sociaux, confrontés à la nécessité d'innover en permanence pour rentrer dans le carcan des normes qui leur sont imposées. De même, il serait utile de bien expertiser le territoire et de questionner les acteurs pertinents, dont les ingénieurs et les praticiens.

Nous constatons effectivement que les questions posées ce jour l'ont déjà été et ont déjà donné lieu à des réponses pertinentes. La situation n'évolue pas parce que ces réponses ne sont pas prises en compte. C'est pourquoi nous encourageons la concertation. Par ailleurs, le rapport de la Cour des comptes sur le logement dans les DROM identifie l'ensemble des maux et des faiblesses dans ce domaine. Il me semble néanmoins nécessaire d'apporter des précisions sur le sujet du manque d'ingénierie et d'expertise qui y est relevé. Si nos territoires semblent manquer d'ingénierie, c'est à cause du système qui nous demande de décalquer des modèles. Les outre-mer ne peuvent être considérées comme une entité homogène. Chaque territoire possède ses particularités liées à son histoire, à sa culture et à ses conditions climatiques. La Martinique et la Guadeloupe présentent certes des similitudes. Néanmoins, il y a lieu de bien distinguer l'organisation de chacun de ces territoires. Par conséquent, la question de l'ingénierie ne peut se résumer à l'application de modèles théoriques issus du pouvoir central.

La concertation présente une importance fondamentale. Elle doit se tenir non seulement avec les experts mais également avec la population. Nous savons pertinemment que l'innovation en Guadeloupe est issue non de la recherche fondamentale mais de l'observation des pratiques ancestrales, dont nos architectes et nos ingénieurs savent tirer profit. J'ignore en revanche si leurs observations présenteront un intérêt pour la construction en métropole. L'innovation utile à nos territoires constitue déjà un apport au niveau national en lui évitant de s'égarer dans des recherches inadaptées à nos situations. Par ailleurs, avec les changements climatiques et la multiplication des événements climatiques, notre expertise sur les questions relatives à l'énergie et aux risques majeurs constitue peut-être déjà un apport considérable.

Les freins à l'innovation résident également dans l'éloignement et la double, voire la triple, insularité de notre territoire. La question du coût ne s'apprécie pas uniquement du point de vue de la dépense immédiate mais doit relever d'une vision à long terme, sur le coût global. Par ailleurs, il est inacceptable que la réalité géographique de notre territoire ne soit pas prise en compte et que lui soient imposés des normes et des matériaux dont le bon sens devrait plutôt conduire à l'interdiction sur notre territoire. Cette dernière serait aisée à mettre en oeuvre puisque nous ne pouvons être approvisionnés que par voie aérienne ou navale. Ces matériaux sont en effet inadaptés à l'hygrométrie tropicale et conçus pour un usage totalement différent de celui qui conviendrait à notre territoire.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Je vous remercie pour la qualité de vos interventions. Si je me suis penchée sur ce dossier et ai proposé au Président de la délégation sénatoriale aux outre-mer de traiter cette problématique, c'est parce que nous avons conscience que les territoires ultramarins rencontrent de réelles difficultés en matière de logement. Je partage parfaitement votre analyse et je comprends la frustration que vous pouvez ressentir en constatant que vous avez déjà proposé des solutions et que la situation n'évolue pas. Je ne peux vous promettre la révolution mais les membres de la délégation sont fortement engagés dans cette dynamique d'adaptation.

Les problématiques que vous évoquez comportent plusieurs volets. Nous ne pouvons agir sur la partie politique, concernant la volonté d'aménager, de développer le territoire et de l'organiser en concertation avec les populations. Je vous rejoins sur la nécessité d'associer les usagers à l'organisation des quartiers. La partie normative est celle qui représente le frein le plus fort dans la problématique du logement en outre-mer, qui dépasse malheureusement la réglementation française puisque nous sommes assujettis également aux normes européennes. Cependant, sous la présidence de mon prédécesseur Michel Magras, la délégation s'était penchée sur cette problématique des normes dans le BTP et avait produit un travail remarquable. Nous avons par ailleurs auditionné le 25 mars l'Agence qualité construction (AQC), qui a confirmé que ce travail commence à être pris en compte et permet des améliorations. Néanmoins, nous sommes toujours confrontés au blocage lié aux normes européennes. La poursuite de ce travail nécessite donc un examen de fond au niveau métropolitain mais également des négociations avec l'Union européenne pour prendre en compte les spécificités locales.

L'objectif est de produire dans les territoires ultramarins des logements accessibles à tous et respectueux des spécificités locales. La question de l'ingénierie a également été soulevée lors des auditions. Elle renvoie principalement au sujet de la formation. Les entreprises manquent d'ouvriers qualifiés pour obtenir des rendements intéressants. La résolution de cette problématique constituerait donc une opportunité pour la lutte contre le chômage dans les territoires ultramarins.

Comment la population devrait-elle être associée aux projets d'aménagement pour obtenir une plus grande adhésion ? Que pensez-vous de la recherche de la mixité entre le logement très social, le logement social et le logement intermédiaire, qui doit permettre de créer une certaine harmonisation et d'éviter les quartiers qualifiés de sensibles ou très sociaux ? Que pourrait apporter la nouvelle réglementation environnementale aux outre-mer ? Serait-il plus judicieux de développer des règlementations propres à chaque territoire ? Le coût de la rénovation étant très élevé en raison de la problématique de l'amiante, pensez-vous qu'il soit intéressant de développer des filières de traitement de l'amiante dans les territoires ultramarins ?

Mme Viviane Malet. - Nous vous remercions pour la qualité de vos propos, qui sont très utiles pour notre réflexion. Lorsqu'un cyclone, un ouragan ou un séisme frappe l'un de nos territoires, les expertises et les études montrent que les bâtiments détruits relèvent principalement de l'habitat informel. Cette observation ne peut cependant pas être généralisée à toutes les constructions ni à l'ensemble des territoires ultramarins, qui présentent des différences importantes en termes de climat, d'histoire et de géologie. Le département de La Réunion est très avancé en matière de recherche et développement dans le domaine du bâti tropical. Il a développé depuis de nombreuses années un savoir-faire et une expertise reconnus dans la construction, tant pour faire face aux conditions cycloniques et sismiques que pour le confort thermique, et cela grâce à la mutualisation des compétences d'ingénieurs, d'architectes et de scientifiques. Il en ressort que La Réunion peut être force de proposition sur l'adaptation des règlementations et des normalisations de la construction, en prenant en compte les coûts de construction et en visant des niveaux de loyer adaptés aux familles. J'ai par ailleurs noté que les compétences sont bien présentes dans nos territoires.

Dans le cadre de l'expérimentation et de l'innovation, vous paraît-il possible de créer un organisme local pour une règlementation adaptée de la construction, qui serait chargé d'élaborer des adaptations aux documents techniques unifiés (DTU), aux normes et aux certificats de conformité des matériaux produits localement ou importés, sous forme de propositions ou d'avis ? Pourrait-on envisager une évolution réglementaire consistant à reconnaître l'existence et la compétence d'un tel organisme, avec l'aide de l'État, en partenariat avec le CSTB et l'Afnor, et sa mise en place dans le cadre du PLOM actuel ? Y aurait-il la possibilité d'y intégrer le BNTEC et la CIRBAT ?

Mme Victoire Jasmin. - Il y a deux ans, le sénateur Mathieu Darnaud et moi-même avons remis un rapport sur les risques naturels majeurs suite aux ouragans Irma et Maria, comportant un certain nombre de recommandations en matière de prévention, en lien avec les problématiques que vous venez d'évoquer. Il est important que nous travaillions tous ensemble pour continuer de faire évoluer la situation et pour adapter les politiques publiques à vos besoins. C'est vous qui possédez l'expertise et connaissez nos territoires. Il est donc regrettable que les architectes n'aient pas été associés à l'élaboration et à l'examen de la loi Elan. Nous ne pourrons progresser sans vous. Nous avons besoin de vous pour aiguiller nos travaux.

Nous avons déjà évoqué la problématique des normes. Nous devons réunir les conditions nécessaires à l'innovation, en nous appuyant sur tous les acteurs qui peuvent y contribuer et nous permettre de répondre aux besoins actuels. Les normes doivent donc être redéfinies pour favoriser une innovation adaptée à chaque territoire. Dans le rapport sur les risques naturels majeurs, nous constations déjà que la normalisation constitue un frein car les références nationales ne sont pas adaptées à nos territoires. Il est nécessaire de prendre en compte les spécificités des territoires de façon à permettre la mise en oeuvre des solutions les mieux adaptées.

Nous devons également faire reconnaître les spécificités des outre-mer par les assureurs pour permettre l'utilisation de nouveaux matériaux. Il convient par ailleurs de profiter de la future présidence française de l'Union européenne pour permettre l'application de normes spécifiques aux outre-mer. Chaque territoire appelle une approche spécifique.

Nous devons nous mobiliser pour que le rapport qui sera produit par la Délégation sénatoriale aux outre-mer permette de répondre réellement aux problématiques des territoires, en revoyant les normes et les référentiels et en conduisant une démarche de labellisation associant les experts. Nous devons également soutenir la formation professionnelle de l'ensemble des acteurs de la construction. Il conviendrait par ailleurs de rendre obligatoire la formation des élus qui siègent dans les commissions d'appel d'offres pour leur permettre de mieux appréhender les différents critères des cahiers des charges et d'effectuer des choix pertinents.

L'examen de la loi Climat par le Sénat constituera l'opportunité de s'assurer de la prise en compte des besoins spécifiques aux outre-mer et de l'expertise des architectes. Il convient notamment d'éviter le transport de matières premières depuis l'Hexagone alors qu'il est possible de les faire venir de la Caraïbe. Nous devons identifier les produits fabriqués par les États voisins des outre-mer et susceptibles de répondre à nos normes, en s'appuyant sur l'AFNOR et sur les autres acteurs de la normalisation.

Nous devons également tenir compte du Plan Séisme Antilles et faciliter l'utilisation du Fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit Fonds Barnier, en simplifiant les procédures. Enfin, nous devons permettre aux personnes ressources que représentent les architectes d'accompagner les élus des différents territoires.

M. Stéphane Artano, président. - Je propose de procéder à un nouveau tour de table pour répondre aux questions des membres de la délégation.

M. Laurent Chamoux. - La promotion des matériaux locaux présente un enjeu transfrontalier. Le Brésil pourrait fournir tous les matériaux nécessaires à la Guyane, ce qui permettrait de réduire les coûts de construction. Leur importation suppose néanmoins de simplifier les procédures de normalisation. La Guyane pourrait par ailleurs fournir davantage de bois à la Guadeloupe et à la Martinique. Des simplifications sont nécessaires pour permettre aux Antilles françaises d'utiliser le bois guyanais plutôt que d'importer du pin. En effet, le pin constitue à ce jour le bois le plus utilisé dans la construction aux Antilles françaises alors que le bois guyanais provient de moins loin et présente une qualité anti termite bien meilleure. En outre, la Guyane dispose de forêts immenses. Par conséquent, ce bois pourrait être utilisé également pour limiter le recours au béton. Les échanges inter-régionaux méritent d'être développés.

L'amiante a été utilisé pendant une quarantaine d'années dans les outre-mer, surtout dans les enduits pelliculés en ciment employés pour la qualité de la finition. L'amiante a en revanche été peu utilisé comme anti-feu en Guyane. De même, l'amiante de flocage, qui a causé le scandale de l'amiante, y est peu présente. Celui qui est présent en Guyane est peu dangereux parce qu'il est stable dans le temps. Il présente un danger en cas de découpe et génère un surcoût important lors des opérations de rénovation du logement social ou des bâtiments tertiaires. La solution consiste alors à encoffrer l'ancien enduit de finition plutôt que de le déposer. La filière de retraitement des déchets d'amiante est extrêmement onéreuse pour les outre-mer car elle comporte l'envoi des déchets par container vers la métropole. Il est nécessaire de simplifier le traitement de la problématique de l'amiante en permettant le recouvrement des enduits pelliculés par du placo par exemple.

M. Andreas Krewet. - Je ne peux qu'être favorable à la création d'un organisme local pour une règlementation adaptée de la construction. Nous ne pouvons continuer d'appliquer dans les outre-mer des normes conçues pour l'habitat de l'Hexagone, qui présente des besoins et des ressources différents.

S'agissant de l'adaptation des logements aux risques naturels, les parpaings parasismiques ou paracycloniques ne constituent pas une piste judicieuse car la lourdeur est contraire à la prévention du risque parasismique. La solution consisterait plutôt à renforcer l'attache de la toiture par des tirants fixés au sol par exemple.

Les procédures actuelles sont déjà complexes dans l'Hexagone et souvent encore moins adaptées aux outre-mer. L'utilisation du bloc de terre comprimé à Mayotte constitue un exemple de réussite architecturale en matière d'adaptation aux conditions tropicales. Il convient d'essayer de limiter les importations de ciment en intégrant cet objectif dans la conception du bâtiment, en limitant son utilisation aux murs extérieurs par exemple.

M. Arnaud Misse. - Des pôles locaux d'adaptation des normes seraient effectivement utiles. Il conviendrait également de développer des pôles d'expertise locale puisque l'expertise est présente dans les territoires. Nous manquons au niveau des territoires de moyens pour réaliser des essais et des tests sur les différents produits.

Les normes et les avis techniques des produits sont très peu adaptés aux territoires ultramarins, qui sont néanmoins contraints de les appliquer. L'innovation ne passe pas uniquement par la norme. Je doute que la future RE 2020 soit très adaptée. De nombreux produits ne disposeront pas de fiche de déclaration environnementale et sanitaire, ce qui obligera à importer des produits depuis l'Hexagone et donc à aggraver les émissions de carbone.

L'Atex est susceptible d'aider la mise en place d'expérimentations. Il serait néanmoins nécessaire de raccourcir la durée des procédures, éventuellement en s'appuyant sur les pôles d'expertise locaux qui seraient créés, et surtout en rallongeant la durée de validité de l'Atex. Une durée de validité de trois ans comme pour la brique de terre comprimée de Mayotte est en effet extrêmement courte par rapport à l'échelle de temps du secteur du bâtiment. Il serait nécessaire de la porter au moins à cinq ans.

M. Éric Ruiz. - Nous avons besoin d'un soutien financier pour développer l'innovation et l'expérimentation. Il est surtout nécessaire d'assouplir le cadre de l'expérimentation. Pour ce faire, la création d'organismes locaux appelés à travailler sur les normes et la mise en réseau des outre-mer constituent des propositions intéressantes. Par ailleurs, au-delà de l'adaptation des normes métropolitaines aux territoires ultramarins, ces territoires possèdent une expertise dont ils pourraient faire bénéficier l'Hexagone dans un contexte de réchauffement climatique.

Il convient enfin de favoriser le soutien opérationnel et l'accompagnement des maîtres d'ouvrage et des élus, de leur permettre de mener des expérimentations et d'assouplir le cadre des opérations immobilières ou d'aménagement, par exemple en réservant des marchés à des entreprises de petite taille ou en organisant des opérations de conception-réalisation. Le montage doit lui-même évoluer pour permettre la réalisation d'opérations expérimentales, en accompagnant les financeurs, les maîtres d'ouvrage et les concepteurs. Cet accompagnement pourrait être apporté par les pôles d'expertise locaux.

M. Frédéric Chanfin, responsable du Centre d'innovation et de recherche sur le bâti tropical (CIRBAT). - Le CIRBAT a lancé il y a quelques années un projet visant à mettre en place à La Réunion un organisme qui certifierait les matériaux et les produits du bâtiment. Or nous avons été confrontés à de nombreuses difficultés, financières notamment.

M. Stéphane Artano, président. - Pour compléter votre propos, je vous invite à nous transmettre par écrit les éléments que vous jugerez utiles.

M. Marc Joly. - La norme et l'innovation sont antinomiques. L'innovation nécessite de pouvoir déroger à la norme. De ce point de vue, la DHUP en matière de logement a pris des mesures intéressantes sur la question du marquage CE. Nous espérons que les discussions avec la Commission européenne aboutiront. La normalisation CE sur la sécurité et sur les portes de garage a entraîné la destruction de tout ou partie de l'artisanat local de Mayotte, ce qui est fort regrettable. Il semble néanmoins que nos autorités de tutelle ont pris conscience de cette problématique et essaient d'y apporter des réponses.

La Conseil régional de l'ordre des architectes de La Réunion-Mayotte considère que l'étude réalisée par le CSTB sur le sujet des cyclones est totalement insuffisante. Même si cette étude qui portait plus globalement sur les risques naturels a été déléguée au préfet de chaque département d'outre-mer, le manque de cohérence et l'absence de doctrine sur le plan de la sécurité civile nous paraît consternant.

L'habitat tropical favorise les relations avec l'extérieur parce qu'à l'inverse de la métropole où le froid pousse les habitants à se réfugier à l'intérieur, la chaleur incite les ultramarins à sortir du logement. La relation entre l'intérieur et l'extérieur joue alors un rôle fondamental. Par conséquent, les concepts métropolitains qui consistent à « bunkériser » les logements en les fermant et en renforçant leurs murs ne conviennent pas aux territoires ultramarins. Il est possible de consolider l'habitat tropical pour en faire un abri comme le faisaient les anciens qui clouaient les volets et diverses protections à l'annonce d'un cyclone. En revanche, ils ne jugeaient pas nécessaire de construire l'ensemble du logement en cherchant à la rendre résistant à un événement aléatoire et d'occurrence très faible. Par conséquent, la conception importée d'un logement capable de résister à tout est contradictoire avec l'habitat tropical, léger, ouvert et à faible inertie thermique pour éviter de créer de l'inconfort.

Par conséquent, il nous paraît stupéfiant de mettre en avant le risque cyclonique, qui relève de la sécurité civile, pour justifier d'une nouvelle norme relative au logement. Il n'y a qu'à Mayotte que ce risque a été traité par la création de refuges. Le renforcement de la norme entraîne une diminution drastique et constante de la construction de nouveaux logements. En outre, au rythme actuel de construction, le renforcement de la norme ne résoudra le problème du risque cyclonique que pour 30 % de la population à échéance 2050. L'approche de la question du logement outre-mer est donc totalement inadaptée et fondée sur des croyances erronées mais qui perdurent dans l'esprit des autorités de tutelle. En outre, elle n'apporte pas de réelle réponse au problème de sécurité civile, d'autant plus que le risque principal en matière cyclonique à La Réunion ne réside pas dans le vent mais dans la montée des eaux.

Le Conseil régional de l'ordre des architectes de La Réunion-Mayotte a réfuté de manière argumentée l'étude du CSTB. Il déplore que les autorités de tutelle persistent dans l'application de concepts totalement décalés. Les surcoûts qui en résultent sont d'autant plus problématiques que La Réunion n'a déjà plus la possibilité de financer ses besoins en logements sociaux.

C'est ce qui nous conduit à dire que l'économie du BTP à La Réunion est administrée mais non planifiée, chaque acteur ne faisant que répondre aux besoins les plus urgents, sans vision globale, sans doctrine et sans cohérence. Nous savons pertinemment qu'un cyclone causerait d'énormes dégâts à Mayotte. Il serait néanmoins complètement vain de renforcer la norme puisque seules 10 % des constructions la respectent.

Nos autorités de tutelle utilisent la norme comme l'unique outil de traitement du risque et en particulier du risque lié à la construction de logements. Or, toute personne qui connaît le sujet de la gestion du risque sait que c'est une erreur. La courbe de la sinistralité a augmenté depuis quinze ou vingt ans parallèlement au durcissement et à la multiplication des normes parce que ce durcissement entraîne une hausse des coûts, notamment de réparation. Le système assuranciel n'est pas régulé et le coût de certains sinistres connaît une évolution exponentielle.

Nous plaidons donc pour une autre approche de la gestion des risques, basée notamment sur la notion de refuge comme dans le monde anglo-saxon. En outre, la création de réseaux destinés à protéger les populations à la fois contre les ouragans et contre les dégâts des eaux apporterait de l'activité aux entreprises et dynamiserait le marché du travail. Ces refuges pourraient sans problème intégrer l'augmentation de la vitesse de vent de référence puisqu'ils seront conçus comme des bunkers. En revanche, il est absurde de vouloir « bunkériser » des logements en milieu tropical.

Le BNTEC local existe toujours et pourrait être réactivé. Il serait en effet très pertinent d'avoir une structure locale de normalisation. Un bureau de contrôle a besoin de s'appuyer sur des textes. Il paraît donc logique de donner à des experts locaux la possibilité de produire des avis ou des textes qui seraient reconnus par les assureurs, puisque ce sont eux qui ont souhaité rendre les normes obligatoires alors qu'elles étaient à l'origine d'application volontaire. A priori, rien n'interdit de créer dans les outre-mer une structure d'expertise regroupant assureurs, ingénieurs et bureaux d'études. Il n'y a aucune raison que les avis qu'elle émettrait soient moins pertinents que ceux du CSTB. Nous pouvons également nous appuyer sur le CIRBAT.

M. Jean-Michel Mocka-Celestine. - Il est vrai que les architectes ont été les grands oubliés de la loi Elan. Le logement, en tant que lieu de vie où la sécurité doit être garantie, nécessite le savoir-faire d'architectes et de professionnels, tant pour la conception que pour la réalisation des projets. Il est aujourd'hui indispensable de refondre les normes en tenant compte des spécificités locales. Depuis l'entrée en vigueur de la norme NF C 15-100 il y a une quinzaine d'années, le prix d'une douille par exemple est passé de 0,50 franc à 3,50 euros par point lumineux alors que les financements sont restés inchangés. Il serait donc intéressant de mener un travail sur les normes pour maîtriser les coûts de la construction. Par ailleurs, l'insularité entraîne un coût élevé de la main-d'oeuvre et des matériaux, qui sont soumis à des taxes et doivent posséder un label européen. Nous pourrions utiliser des matériaux provenant du Brésil ou de la Caraïbe pour réduire les coûts.

Le savoir de nos experts locaux nous permet aujourd'hui de maîtriser le risque cyclonique. Il est vrai néanmoins que le renforcement de l'habitat par le béton nous conduit à créer des bunkers inadaptés à nos modes de vie. Par conséquent, ne serait-il pas possible de construire des habitats légers mais comportant une pièce sécurisée, dotée d'une dalle anticyclone, comme dans les îles proches de la Guadeloupe et de la Martinique ?

De nombreux professionnels de la Guadeloupe travaillent depuis de nombreuses années sur des projets innovants, consistant par exemple à utiliser la bagasse, les sargasses ou la paille de coco. Le développement de l'innovation présente néanmoins un coût élevé. Il serait par ailleurs pertinent d'utiliser les déchets de démolition en sous-couche de voierie, sachant que la Guadeloupe démolit actuellement de nombreux logements datant des années 60 dans le cadre de la rénovation urbaine. Or, cette pratique n'étant pas normative, elle n'est pas couverte par les assureurs. Elle permettrait néanmoins de réduire le coût de la construction.

Il est indispensable d'organiser la concertation avec les acteurs qui connaissent les territoires tels que l'Association régionale des maîtres d'ouvrages sociaux de la Guadeloupe (ARMOS). Alors que nous avions obtenu des améliorations de l'habitat dans les années 2000, nous assistons actuellement à un retour à l'application de modèles stéréotypés inadaptés à nos modes d'habitat, comme dans les années 60. Nous tenons donc à vous alerter sur la nécessité d'associer les professionnels et les sachants aux choix en matière de logement. Le PLOM 2019-2022 apporte des bases intéressantes pour une meilleure connaissance de nos territoires et de leurs besoins. Il convient de poursuivre cette démarche pour nous permettre de relancer la construction de logements.

Il est par ailleurs nécessaire de revoir le financement du logement pour l'adapter à chaque territoire. Les architectes s'adaptent en acceptant la baisse de leurs honoraires. Ils sont en revanche soumis à des normes de plus en plus strictes au détriment de leur liberté de conception. Un cahier des charges type suffirait. Les logements construits dans les années 60 l'ont été dans l'urgence pour sortir de l'insalubrité. Or, bâtir dans l'urgence entraîne toujours des erreurs. Nous espérons donc que nos remarques seront prises en compte.

M. Jacques Sainsily. - Nous regrettons que le Sénat n'ait pas été consulté sur la suppression d'ici deux ans de la capacité des CAUE à former les élus locaux, décidée par une ordonnance du 21 janvier 2021. Nous déplorons de perdre notre capacité à contribuer à la formation des élus.

Nous ne pouvons que soutenir la constitution d'instances d'experts locaux. Néanmoins, il ne conviendrait pas de les solliciter uniquement pour la remise d'un avis circonstancié en fin de parcours. En effet, lorsque nous avons apporté notre contribution sur la reconstruction post-Irma à Saint-Martin, nous avons constaté que le CSTB et les organismes à qui cette mission était confiée se sont présentés avec un canevas totalement inadapté puisque reposant sur des formes architecturales et constructives sans rapport avec le territoire. Par conséquent, si les experts locaux ne sont pas impliqués en amont des études, nous perdons du temps et n'obtenons pas d'amélioration.

Il existe une forme d'ingénierie capable de mener à bien non seulement les concepts mais également leur réalisation et leur suivi. Certaines études revèlent les faiblesses de l'ingénierie locale. Il convient néanmoins de bien sérier la question de l'ingénierie pour ne pas la limiter à la maîtrise d'ouvrage ou à la maîtrise d'oeuvre. Il existe en effet des bailleurs qui maîtrisent parfaitement les sujets du logement social et réalisent des prouesses avec les faibles moyens dont ils disposent. Quelques réglages sont certes nécessaires, comme pour la reconstruction de Saint-Martin.

Nous constatons en revanche l'apparition d'un nombre croissant de sociétés commerciales, inscrites à la Chambre de commerce, ne possédant aucune compétence dans le bâtiment sachant qu'il ne leur est plus nécessaire de s'inscrire à la Chambre des métiers pour exercer. Dans nos territoires soumis à des risques et à des contraintes sévères, cette liberté donnée à toute société de construire des logements sans qualification peut être considérée comme une mise en danger de la population. Nous constatons l'apparition de logements respectant parfaitement les normes européennes mais totalement inadaptés aux configurations des Antilles. Les règles de financement de l'ANAH par exemple sont exigeantes en matière d'hygiène et de salubrité mais ne tiennent pas compte des principes de construction parasismiques et paracycloniques.

Il me paraît important de signaler certains éléments concernant le logement social. L'INSEE considère que la population éligible au logement social représente près de 60 à 70 % des demandeurs de logement aux Antilles. Or, le patrimoine du logement social se résume essentiellement au parc des bailleurs sociaux. L'habitat vernaculaire, appartenant à des familles, souvent sur des terrains squattés, n'est pas pris en compte dans le parc social. Il faudrait concevoir des dispositifs innovants permettant d'intégrer ces logements au parc social et aux opérations de résorption de l'habitat insalubre.

M. Michel Corbin. - Le partage d'expériences et de bonnes pratiques pourrait être renforcé en créant localement un office qui serait chargé de récolter les expériences locales et qui travaillerait en réseau avec ses homologues des autres outre-mer, sous la tutelle des services de l'État.

M. Jean-Michel Mocka-Celestine. - Il convient également de mentionner le frein que constituent les lourdeurs administratives pour la construction de logements. Il y a 25 ans, s'écoulaient 24 à 28 mois entre la prise de décision et la livraison des logements. Ce délai est passé aujourd'hui à 40 ou 50 mois, alors que nous faisons face à un important besoin de logements en outre-mer. Les lourdeurs administratives et le manque de moyens ont entraîné le quasi abandon de la construction de logements en brique de terre compressée à Mayotte. Il est donc nécessaire de redynamiser cette chaîne de la construction. Je doute par ailleurs que la lourdeur des procédures de défiscalisation du logement social ait eu des effets bénéfiques. En outre, ces procédures ne tiennent pas compte des spécificités locales.

Il est donc nécessaire de créer des cellules d'expertise locale pour accompagner les acteurs dans chaque domaine.

M. Stéphane Artano, président. - Nous arrivons au terme de cette audition et je ne doute pas que vous auriez encore beaucoup à dire. Je vous remercie, au nom de la délégation, pour votre implication permanente dans vos territoires respectifs. Vous avez compris que le Sénat est avant tout un défenseur des territoires. Nous y défendons les réalités locales de chacun de nos territoires. Nous ne pouvons donc que vous rejoindre dans votre plaidoyer pour la prise en compte des réalités locales, qui diffèrent toutes d'un territoire à l'autre. Certains sujets sont par ailleurs transverses, notamment la transposition et la simplification des normes.

Nous vous invitons à nous adresser les contributions que vous jugerez utiles pour alimenter la réflexion des rapporteurs. La Délégation sénatoriale aux outre-mer a pour objectif de produire un rapport et d'en assurer le suivi afin que ses recommandations soient traduites d'un point de vue réglementaire ou législatif. Chaque pas compte et nous souhaitons que ce rapport d'information constitue une étape importante pour sensibiliser les autorités nationales. Les autorités locales le sont au travers de vos propos et le seront au travers des tables rondes que nous organiserons dans les semaines à venir.