Mardi 1er juin 2021

- Présidence de Mme Vivette Lopez, secrétaire -

Étude sur le logement dans les outre-mer - Audition de M. Vaimu'a Muliava, ministre en charge du logement dans le 16e gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

Mme Vivette Lopez, présidente. - J'ai l'honneur de remplacer le président Stéphane Artano qui est actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon et qui participe à nos travaux en visioconférence.

C'est une réunion exceptionnelle car nous accueillons M. Vaimu'a Muliava, ministre en charge du logement dans le 16e gouvernement calédonien, puisque, comme vous le savez, le nouveau gouvernement n'a pas encore été constitué.

Nous aurons toujours beaucoup de plaisir à entendre des représentants de la Nouvelle-Calédonie dans notre délégation. L'actualité a conduit M. Vaimu'a Muliava à Paris à l'occasion des échanges organisés par le ministre des outre-mer, M. Sébastien Lecornu. Il doit également rencontrer le président Gérard Larcher tout à l'heure au Petit Luxembourg.

Nous avions envisagé de l'entendre dès mars dernier dans le cadre de notre étude sur la situation du logement dans les outre-mer. Cette audition n'a pu se faire, même si nous avons recueilli auprès des services territoriaux des éléments très intéressants concernant les spécificités de ce territoire.

Comme je l'ai indiqué lors de notre dernière réunion, nous approchons du terme de notre programme d'auditions sur la situation du logement dans les outre-mer. Les rapporteurs Guillaume Gontard, sénateur de l'Isère, Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy et Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ont accompli un travail considérable qui doit aboutir à la présentation de leur rapport le jeudi 1er juillet.

Dans le cadre de nos auditions, nous avons tenu à organiser de nombreuses tables rondes territoriales pour aller au plus près des réalités du terrain. Nous avons ainsi pu échanger avec des acteurs majeurs du logement à Mayotte, en Polynésie, à La Réunion, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Guadeloupe et en Guyane. Aujourd'hui nous allons être immergés dans les belles eaux du Pacifique et les problématiques de la Nouvelle-Calédonie qui, compte tenu de son statut, a pu innover, notamment en matière de référentiel de normes et de bonnes pratiques.

Monsieur le Ministre, je vous remercie encore chaleureusement pour votre disponibilité à vous exprimer sur les dossiers que vous connaissez bien et sur lesquels vous souhaitez nous apporter votre expérience.

Avant de vous donner la parole, Monsieur le ministre, le président Stéphane Artano va vous adresser quelques mots.

M. Stéphane Artano. - Je vous remercie, chère Vivette Lopez, de me suppléer pour cette séance. Merci Monsieur le ministre de nous donner l'occasion de vous auditionner dans le cadre de cette étude. Nous avions effectivement obtenu un certain nombre d'informations. Il nous paraissait indispensable de profiter de votre passage à Paris, qui est un événement important pour la Nouvelle-Calédonie et pour la France, afin de vous entendre. Je me réjouis de votre présence et j'en profite pour vous demander de m'excuser auprès du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. En effet, j'ai reçu une invitation pour la clôture des consultations organisées par le ministre des outre-mer. Étant à 5 000 kilomètres de Paris, il ne m'est pas possible d'être à vos côtés et je le regrette.

Je ne vais pas être plus long car vous avez des éléments très intéressants à nous faire découvrir sur la politique du logement en Nouvelle-Calédonie. Sans plus tarder, je rends la parole à Vivette Lopez. Soyez, Monsieur le ministre, le bienvenu dans la salle Médicis du Sénat.

M. Vaimu'a Muliava, ministre en charge du logement dans le 16e gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. - Monsieur le président, je vous adresse mes salutations et mes respects les plus appuyés, malgré votre éloignement. Par la magie du numérique et du digital dont j'ai aussi la charge en Nouvelle-Calédonie, vous êtes bien là et je vous remercie, comme nous le disons en Nouvelle-Calédonie, « d'être là et d'être en vie ». En effet, les anciens avaient postulé que si l'autre n'est pas, on ne peut pas exister.

Je vous remercie, Madame la sénatrice, d'être présente physiquement et de représenter le Président.

Mes salutations et mes respects les plus profonds s'adressent aussi aux sénatrices et aux sénateurs qui sont présents au Sénat ou en visioconférence.

Je vous remercie d'accorder un moment à notre « petit bocal à poissons » situé à 18 000 kilomètres. Votre actualité est beaucoup plus chargée que la nôtre même si parfois tout est décuplé dans un bocal à poissons. Ce qui relève du détail prend alors des dimensions importantes.

J'ai décidé d'optimiser mon passage à Paris. À force de travailler sur les conséquences d'un « oui » ou d'un « non » au prochain referendum, j'avais besoin de parler de problématiques structurantes pour ce pays et de donner corps à un discours politique. Le sujet du logement est particulièrement important parce qu'il représente le prolongement de la terre, et que nous nous identifions à l'endroit où nous habitons. C'est souvent aussi le premier poste de dépenses d'une famille.

J'ai prévu de vous présenter deux courtes vidéos qui vous montreront pourquoi nous nous sommes saisis de ce sujet avec M. Djamil Abdelaziz de la Direction des achats du patrimoine et des moyens du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes partis du constat que les images étaient parfois plus efficaces que les discours. Le premier module porte sur des acheteurs de logements sociaux devenus insalubres. Ce sont souvent des familles modestes, qui avant de prendre leur retraite, décident de consacrer une part très importante de leur budget à l'acquisition d'un logement. Or, ce qui relevait d'un rêve est devenu pour certains un cauchemar.

Projection de la vidéo « Les habitants des Hauts de Marconi dénoncent toujours les malfaçons ».

M. Vaimu'a Muliava. - Les images parlent d'elles-mêmes. La Société immobilière calédonienne (SIC) est l'un des trois bailleurs sociaux de la Nouvelle-Calédonie avec la SEM Agglo et le Fonds social de l'habitat (FSH). Ce dernier est l'équivalent d'Action Logement dans l'Hexagone et collecte non pas le « 1 % logement » mais 2 % prélevés sur les feuilles de paie des salariés au titre du FSH.

Ce sont des habitants modestes, pour certains défavorisés, qui ont acquis ces biens. Je me suis emparé de ce problème en réfléchissant sur les moyens de sortir de ce cercle vicieux dans lequel la Nouvelle-Calédonie s'est engagée depuis plus de dix ans. Par ailleurs, nous n'avons pas de crédits d'impôt et nous bénéficions de la solidarité nationale via les dispositifs de défiscalisation qui nous permettent de produire du logement social. Vous venez de voir comment sont utilisés ces dispositifs.

Je me suis également interrogé sur la manière de respecter cette solidarité nationale en optimisant les sommes qui nous sont allouées. L'objectif fondamental, comme j'ai pu le dire dans nos discussions sur les conséquences du « oui » ou du « non », ce n'est plus le montant des investissements mais comment nous les utilisons pour remplir notre mission de service public. L'exemple des Hauts de Marconi illustre cette politique de logements compulsive. Ces logements ne correspondent pas aux besoins de leurs habitants qui sont en majorité des Océaniens.

Logerions-nous un lion dans un igloo ou donnerions-nous une banane à un requin ?

Plutôt que d'adopter une stratégie de production de logements, nous devons être orientés vers les usagers et vers l'environnement. Le logement n'est que l'aboutissement d'une réflexion sur la chaîne de valeur de l'habitat et de l'urbanisme. J'ai décidé d'appréhender la question du logement, comme l'un des maillons de cette chaîne de valeur, depuis la production, qui doit répondre à des normes de qualité, jusqu'à l'usager. Le produit doit correspondre à ses besoins primaires mais aussi culturels. Pour fonctionner, tout concept doit s'inscrire et se développer sur son terrain. Nous n'allons pas planter un cocotier en pleine neige, cela n'aurait pas de sens ! Or, c'est pourtant ce que nous avons fait pendant des années.

Je cherche à sortir de ce cercle vicieux et à appréhender la question du logement dans une chaîne de valeur globale, tournée vers la performance. Dans notre contexte budgétaire contraint, la performance n'est plus une option, c'est une nécessité.

Vous vous demandez quel est le rapport avec le référentiel de construction. Dans ce cercle vertueux, nous avons essayé de rassembler tous les acteurs du logement, depuis le maçon jusqu'au maître d'ouvrage, du maître d'oeuvre jusqu'au consommateur. Nous avons réuni tous ces acteurs pour les emmener vers la qualité et le respect des normes. Comme la Nouvelle-Calédonie est une petite île, il était hors de question de nous lancer dans de grands travaux sur les normes qui exigent des moyens, des laboratoires comme le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et des personnels formés. Par ailleurs, mes prédécesseurs ont toujours abordé la question des normes d'une manière « top/down », c'est-à-dire des normes vers les produits. Or, cette approche n'a jamais été efficace. En effet, importer des normes australiennes n'a aucun sens puisque nous sommes de culture technique française. Nous avons décidé d'adopter une démarche « bottom/up » et de travailler sur un référentiel de construction portant sur la qualité intrinsèque des produits et, à partir de ces éléments, sur une analogie avec les produits australiens ou néo-zélandais pour nous inscrire dans la région, tout en sachant que cette approche nous ramènerait vers le « grand arbre » des normes. Elle fonctionne plutôt bien et notre statut nous a permis de mettre en oeuvre nos propres lois. Nous avons ainsi une action systémique et non pas isolée et une montée en compétences des acteurs de la construction. Nous avons également travaillé avec les assurances pour qu'elles se saisissent de ce sujet, avec les importateurs de produits qui doivent aussi respecter ce référentiel de construction et enfin avec les consommateurs.

La deuxième vidéo que je vous propose présente l'appropriation de la démarche par les parties prenantes.

Projection de la vidéo « Agrément des matériaux et procédés de construction ».

M. Vaimu'a Muliava. - J'ai évoqué une démarche « bottom/up » avec les acteurs qui remontent leurs problématiques et nous aident à définir les politiques publiques. Tous les acteurs de cette filière de la construction se sont saisis de la question. Cela n'a pas été facile, mais quand ils ont vu des documents comme Les Hauts de Marconi, ils ont eu à coeur de changer l'image donnée par leur métier. Les bailleurs sociaux se sont aussi inscrits dans cette démarche qualitative, notamment le Fonds Social pour l'Habitat (FSH).

Nous avons un statut particulier et j'ai choisi d'exploiter cette liberté législative et réglementaire pour mettre en place trois axes : des exigences de qualification pour l'exercice des professionnels de la construction ; l'adoption de normes techniques adaptées à la Nouvelle-Calédonie et la mise en place d'un processus d'agrément des matériaux et procédés de construction innovant et unique sur le territoire national ; un système assurantiel de la construction à double détente. Ce système s'inspire de la loi Spinetta en métropole qui institue une présomption de responsabilité pesant sur tous les intervenants à l'acte de construire. Ce régime de responsabilité s'accompagne d'une obligation d'assurance décennale dont le périmètre est différent du système national et qui concerne les travaux de construction et de rénovation.

Toutes ces initiatives sont au service du client final, qui sait désormais vers qui se retourner. Il n'a plus à assister à un match entre des acteurs qui se renvoient la responsabilité des défaillances. Celles-ci sont clairement identifiées par cette obligation d'assurances au plus grand bénéfice de l'usager.

Cette réforme profonde est constituée par un ensemble de textes élaborés avec les parties prenantes. J'ai veillé à ce que tous les points de vue soient pris en compte avec bienveillance, sans dévier des objectifs que j'avais fixés en termes de protection des Calédoniens. Elle est entrée en vigueur le 1er juillet dernier et les réactions des parties prenantes montrent, malgré sa complexité technique, les changements profonds qu'elle engage dans notre société et dans cette chaîne de valeur. Nos parties prenantes ont su s'y adapter et même en être les ambassadeurs.

Dans la stratégie que j'ai mise en oeuvre, il y a aussi un volet pédagogique et de la communication, via des vidéos et le site internet du Référentiel de la construction de la Nouvelle-Calédonie (RCNC). Tout est ainsi transparent pour l'usager, les acteurs de la construction mais aussi pour les politiques.

Deux des trois axes sont en régime nominal : la qualification des professionnels et la mise en place des assurances dommages et de responsabilité. Le troisième, relatif à l'agrément des matériaux et procédés relève d'une démarche extrêmement complexe. Nous avons décidé d'une phase transitoire de trois ans.

Pour que ce changement profond dans notre manière de construire soit effectif et efficace, j'ai voulu que le procédé soit agile et permette à l'ensemble des acteurs de se l'approprier. Quand, dans un bocal à poissons, les poissons tournent toujours dans un même sens, ils ont besoin de temps pour s'arrêter et tourner dans un autre sens. Ce régime transitoire est nécessaire et les acteurs doivent être respectés dans leur savoir-faire.

Pendant cette phase transitoire, nous menons un travail de fond sur la rédaction du référentiel technique d'agrément qui contextualise les référentiels de certification au contexte insulaire. Bien évidemment, il ne neige pas en Nouvelle-Calédonie, mais nous avons des problèmes liés à la montée des eaux ou à l'air salin. L'objectif est de proposer des essais qui correspondent à notre environnement géographique, nos risques climatiques, mais aussi d'aller vers une simplification, en orientant les gammes de tests sur les éléments de preuve les plus importants.

La relecture et la validation de ces référentiels seront effectuées par des organismes extérieurs reconnus car nous n'avons les moyens de créer des établissements spécifiques. Le sujet est plus l'interdépendance que l'indépendance. C'est vrai pour les nations comme pour les secteurs économiques. Ces référentiels seront donc soumis à la validation d'organismes comme le CSTB, le Centre d'études et de recherches de l'industrie du béton (CERIB) ou le centre technique industriel Forêt cellulose bois-construction (FCBA).

Nous menons également un autre travail sur la mise en place et l'accompagnement d'une filière d'auditeurs. Pour que cette chaîne de valeur soit vertueuse, nous avons besoin de compétences locales. Nous travaillons donc avec l'Université de Nouvelle-Calédonie pour former ces futurs auditeurs. L'objectif est aussi d'offrir des débouchés aux jeunes calédoniens qui reviennent sur l'île après leurs études, ce qui a pour effet d'atténuer sensiblement l'incidence financière pour les industriels. Il nous faut attirer les talents qui sont partis se former ailleurs pour construire notre territoire.

Nous cherchons également à accréditer des laboratoires régionaux (Australie, Nouvelle-Zélande, Fidji, Papouasie-Nouvelle-Guinée), qui disposent d'un système de normes différent du nôtre et qui seraient prêts à réaliser les essais prévus dans nos référentiels. L'objectif est triple : proposer aux industriels des partenaires proches, avec des coûts moindres ; analyser pour chaque test si un essai équivalent existe dans le système normatif du pays et si son niveau de pertinence est équivalent, moindre, ou supérieur. Nous pourrons ainsi mesurer leurs systèmes normatifs. Pour les essais dont le niveau d'équivalence est démontré, nos référentiels pourront être déclinés dans les deux systèmes normatifs. La sous-traitance sera plus simple, et nous aurons franchi un grand pas dans l'interopérabilité de nos systèmes normatifs avec les pays voisins, ce qui est une condition indispensable au développement d'échanges commerciaux durables.

Comme dans tout pays insulaire où les endémismes atteignent un niveau élevé, de nombreuses personnes sont prêtes à innover si nous leur en donnons les moyens. Cette démarche permet d'inscrire la Nouvelle-Calédonie dans la région. Elle est aussi le pont avancé d'une culture technique normative française dans une région représentant un tiers de la surface de la planète et largement anglo-saxonne.

Notre démarche est agile, inclusive et bienveillante, sans rien céder à la qualité ni refuser sa francité et son européanité, pour atteindre l'excellence.

Nous sommes conscients que nous n'atteignons pas la masse critique pour un équilibre financier à court terme. La vie dans une île est un challenge permanent et ne correspond en rien au mythe des vahinés et du soleil. Nous avons le devoir de réussir et d'offrir à nos industriels qui investissent et qui innovent un soutien local et des outils pour que la qualité de leurs productions soit reconnue, sans ambiguïté, à des coûts soutenables. S'il est vrai que nous avons un marché captif, nous devons également être offensifs. C'est tout l'intérêt de travailler sur l'interopérabilité de nos systèmes normatifs avec nos voisins. Nous serons ainsi offensifs dans notre approche de l'économie de la construction pour attaquer des marchés voisins anglo-saxons et le « petit poisson » calédonien pourra peut-être se frayer un chemin.

C'est un investissement dans des filières créatrices d'emplois et pour la montée en compétences générale du secteur qui offre, par un repyramidage des métiers, des perspectives d'emplois très qualifiés à nos jeunes qui achèvent des parcours de formation de haut niveau et que nous laissons trop souvent échoir trop loin de nos côtes.

La Nouvelle-Calédonie souhaite donc un accompagnement dans la mise en place de ce process, lequel doit être vu comme une évolution transposable à l'ensemble des collectivités ultramarines, quel que soit leur statut. Je remercie la Délégation sénatoriale aux outre-mer pour ce travail et j'espère qu'elle sera aussi le porte-voix de nos initiatives calédoniennes. Cette démarche « bottom/up » sur les qualités intrinsèques des produits peut aussi s'appliquer aux qualités et aux défauts de nos statuts si différents, qui parfois peuvent se compléter, à une période où la convergence doit l'emporter sur les divergences.

Cette aide pourra accompagner la mise en place d'un organe de gouvernance, qui à l'instar de certaines des missions de l'Agence Qualité Construction en métropole, serait en charge d'assurer, de façon indépendante et impartiale, en toute transparence, la régulation, l'évaluation et le pilotage des dispositifs élaborés et des nouveaux concepts et processus à venir.

Les premières estimations sont modestes et seraient de l'ordre de 500 000 euros par an durant les cinq premières années, puis le système s'équilibrerait et serait supporté par l'ensemble des acteurs.

Mon propos liminaire a été un peu long mais j'espère qu'il a touché vos esprits et votre coeur. La technique n'a de sens que si elle est teintée d'humanité, de bienveillance et de convergence.

Mme Vivette Lopez, présidente. - Merci, Monsieur le ministre, pour vos propos passionnés et passionnants.

Avant de donner la parole à notre rapporteure Mme Micheline Jacques, je salue la présence parmi nous de M. Milakulo Tukumuli, président du parti de l'Éveil océanien.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour votre exposé et je vous prie de bien vouloir excuser mon absence à vos côtés, étant retenue par des impératifs locaux.

Cette problématique du logement me tient vraiment à coeur et j'adhère pleinement à votre analyse.

Je tiens à souligner que le statut particulier de la Nouvelle-Calédonie vous permet d'adapter les règles aux spécificités de votre territoire. Cette situation démontre que chaque territoire ultramarin doit disposer des outils permettant des adaptations locales pour s'approprier leur destin.

L'adhésion de la population est essentielle. Je suis intimement convaincue qu'un projet ne peut pas se développer sans elle. Vous pouvez compter sur mon indéfectible soutien car la Nouvelle-Calédonie est un territoire d'innovations et nous avons beaucoup à apprendre de votre expérience.

Mes premières questions portent sur la création de votre organisme local de certification qui pourrait servir de référence au secteur de la construction ultramarine. Comment envisagez-vous de soutenir financièrement sa création ? Quel soutien l'Agence Qualité Construction pourrait-elle vous apporter ? Quel serait son champ de compétences ? Pourrait-il prendre le nom d'Agence calédonienne ou de Bureau calédonien pour la qualité de la construction ? Dans quelle mesure l'agrément des matériaux et procédés constructifs développés en Nouvelle-Calédonie avec le référentiel et le RCNC peut-il servir de modèle pour les autres territoires ultramarins, sachant que tous ont des spécificités ? Vous avez parlé de l'air salin, qui est commun à toutes les îles mais je pense aussi aux ouragans. En voyant votre reportage sur les bâtiments et pour avoir vécu l'ouragan Irma, je comprends le désespoir de ces familles et la volonté de pouvoir associer les assurances à la construction et à la solidité de ces bâtiments. Comment envisagez-vous de développer les initiatives de coopération avec les pays de l'environnement régional en matière d'essais techniques et de certification ? Enfin, quel est le premier bilan de la mise en place du système assurantiel de la construction en Nouvelle-Calédonie ?

M. Vaimu'a Muliava. - Les services du gouvernement travaillent sur une convention avec l'Agence Qualité Construction (AQC). L'objectif est d'obtenir une extension de cette agence en Nouvelle-Calédonie pour bénéficier de ses compétences et de son expertise. Elle apporterait aussi des financements sur tous les champs de compétence qu'elle exerce.

L'extension de la démarche sur le référentiel de construction de la Nouvelle-Calédonie est évidemment applicable partout. Elle part de la technique sur les produits et il suffit qu'il y ait une Université à proximité, des échanges entre nos sachants et les sachants des écosystèmes existants dans chaque territoire ultramarin pour que ce travail soit effectué. Il permet de tisser des liens entre nos territoires ultramarins, les territoires voisins de chaque océan et de créer une plateforme. Nous avons des produits locaux, comme les bétons de terre qui existent également en Australie. Nous envoyons des fragments de bétons de terre à des laboratoires en Nouvelle-Zélande qui effectuent une batterie de tests selon les normes du CSTB. C'est de cette manière que nous espérons élaborer une plateforme de discussion avec les techniciens et les ingénieurs de la région, pour pouvoir ensuite bâtir toute une filière.

Nous travaillons aussi sur l'interopérabilité de nos systèmes normatifs à partir des qualités intrinsèques des produits. Si nous parvenons à le faire avec la Nouvelle-Zélande, nous devrions y parvenir entre nous, quels que soient nos statuts.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - La création de ces plateformes est très intéressante. Peut-être pouvons-nous mettre en place un colloque ou des Assises de la construction ultramarine ? Nous pourrions avoir un rendez-vous régulier, une ou deux fois par an, pour mettre en avant les compétences, les progrès et travailler en étroite collaboration.

Vous avez répondu en grande partie à mes questions sur les initiatives de coopération régionale. En revanche, quel est le bilan de la mise en place du système assurantiel de la construction ? L'obligation pour les entreprises d'avoir des garanties décennales a-t-elle un impact financier sur le coût de la construction ? En effet, je crains que ces entreprises répercutent le coût de ces assurances.

M. Vaimu'a Muliava. - C'est le corps de métier qui a été le plus réfractaire à contribuer à notre système vertueux. Il y a effectivement un impact et c'est pour cette raison que j'ai évoqué une période transitoire de trois ans. Tout changement est difficile. Pendant les six premiers mois, les entreprises de construction se sont affolées car les assureurs affichaient un doublement de leurs tarifs. Le gouvernement a créé le Comité technique d'expertise (CTE) dont les différentes commissions, assurances ou laboratoires d'essai, se saisissent d'un sujet et qui permettent une autorégulation. Les assureurs ont ainsi ramené l'augmentation à un niveau raisonnable de 2 %, après un travail minutieux sur chaque ligne du référentiel et un dialogue animé avec les constructeurs.

Mme Viviane Artigalas. - Merci, Monsieur le ministre, pour votre présence. Quels sont les besoins en logements en Nouvelle-Calédonie ? Combien de personnes sont-elles mal logées ? Combien de logements nécessiteraient une rénovation ? Enfin, sur quels critères attribuez-vous les logements sociaux ?

Mme Vivette Lopez, présidente. - La Nouvelle-Calédonie a récemment fait face à une alerte tsunami/séisme. Avez-vous mis en place une politique de logement préventive des risques naturels spécifiques concernant les constructions sur le littoral, les constructions antisismiques ou les matériaux spécifiques ?

M. Guillaume Chevrollier. - Merci, Monsieur le ministre, pour vos propos. Nous sommes toujours heureux d'entendre des ultramarins, en particulier de Nouvelle-Calédonie. Vous êtes en charge du logement mais également de l'urbanisme. Nous sommes sensibilisés dans l'Hexagone à la question de la sobriété foncière, à la tendance à zéro artificialisation nette des sols. Quelle est l'approche de la Nouvelle-Calédonie sur ce point ?

M. Vaimu'a Muliava. - Concernant les besoins, il y a 6 000 logements vacants chez les bailleurs sociaux. La question se pose non pas en termes de besoin de logements mais en termes de besoin des usagers. Nous devons leur demander dans quel type de logements ils veulent habiter. Pendant 20 ans, nous avons massivement construit des logements, sans vraiment nous préoccuper des personnes qui allaient les occuper. Nous souhaitons adopter une approche tournée vers les usagers. Avant de construire un immeuble, il est pertinent de recueillir les besoins de ses futurs usagers, de s'interroger sur leur pouvoir d'achat et sur leur région d'origine. Viennent-ils du nord de l'île, des îles Loyauté, de Wallis-et-Futuna, du Vanuatu ou de l'Hexagone ? C'est le manque d'anticipation sur ces éléments qui explique le nombre élevé de logements vacants. C'est peut-être une déformation liée à mes études à HEC, mais nous devons être « orientés clients » !

Il est nécessaire d'aborder cette problématique dans une chaîne de valeur globale, de l'usager au logement, de l'environnement à l'urbanisme. Une approche systémique est indispensable à la bonne efficacité de nos politiques publiques. Nous devons également nous intéresser à la culture de ces usagers. Quel est le nombre d'enfants des couples ? Quels sont leurs âges ? Un jeune couple occupera plus facilement un F2 ou un F3 au sixième étage qu'un couple avec huit enfants. En Océanie, les familles ont en moyenne plus de cinq enfants, souvent entre huit et dix.

Au-delà des besoins en logements, nous devons connaître les populations qui les occuperont. C'est à partir de cette connaissance que nous concevrons les logements. Si nous ne le faisons pas, nous ferons appel à la solidarité nationale. Or, quand je vois les sommes consacrées à la défiscalisation qui sortent des poches des contribuables métropolitains, je m'interroge.

La qualité n'est plus une option, c'est une nécessité. Le monde est en mutation, la France fait face à de nombreuses difficultés, comme la Nouvelle-Calédonie, et nous avons besoin de performance, avec une politique orientée usagers et résultats.

Sur la politique préventive, nous n'en sommes qu'aux débuts. Les îles Fidji et le Vanuatu travaillent dessus, avec la Communauté du Pacifique Sud, puisqu'elles ont subi des cyclones dévastateurs. En Nouvelle-Calédonie, le trait de côte s'efface. Au moment du lever du soleil, celui-ci commence à caresser la mer plus que la terre. Nous essayons de parler d'habitat océanien, nous commençons à réfléchir avec pragmatisme sur cette question, en réalisant des tests sur la vitesse du vent et sur la qualité des constructions. M. Djamil Abdelaziz est l'architecte de ces travaux essentiels sur la question environnementale et j'espère que nous parviendrons à avancer sur ces sujets structurants pour notre avenir, même si le 16e gouvernement auquel j'appartiens est tombé.

Sur l'urbanisme, ce sont les provinces qui sont compétentes, comme sur le logement. Le gouvernement travaille sur la réglementation et ce sont les provinces qui définissent leur code d'urbanisme, en étroite collaboration avec les communes qui délivrent les permis de construire. L'urbanisme est galopant, un peu comme il l'était au Far West. Nous sommes Français mais nous disposons de notre propre statut et dès qu'une nouvelle loi est votée dans l'Hexagone, nous nous en méfions et nous en créons une autre. Cette attitude produit des effets positifs comme négatifs.

Comme je vous le disais, je suis heureux d'être avec vous. En effet, après quatre jours à discuter du « oui » et du « non », j'avais le sentiment de devenir schizophrène.

Notre pays souffre d'un manque de données dans tous les secteurs. Nous avons vécu ces transferts de compétence sans avoir l'expérience de l'exercice d'un pouvoir jacobin. Nous avons trois provinces girondines et un gouvernement qui n'a jamais eu l'expérience d'un pouvoir central. Par conséquent, de nombreuses compétences sont exercées par les provinces et le gouvernement aurait dû agir comme un service de contrôle et produire de la donnée intelligible et intelligente pour ajuster les politiques publiques ou les créer.

Je réponds à votre question indirectement. Nous manquons de données et nous essayons de rattraper ces années au cours desquelles nous n'avons pas capitaliser sur notre expérience. Le virage que nous sommes en train de prendre à l'aube de la fin de l'Accord de Nouméa montre bien que le soleil n'est pas encore prêt à se lever sous une autre couleur.

Mme Vivette Lopez, présidente. - Je donne la parole au président M. Stéphane Artano pour conclure cette audition.

M. Stéphane Artano. - Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour la clarté de vos propos, pour votre caractère très entreprenant et par l'esprit d'ouverture dont vous faites preuve, notamment en vous intéressant à ce qui se passe dans la région. L'ancrage régional de nos territoires est fondamental quand nous parlons de matériaux de construction. Je partage votre vision et je suis très attentif à la démarche que vous avez mise en place pour rendre service à la population et aux constructeurs.

Vous avez apporté une contribution importante à notre rapport et je suis persuadé que nos rapporteurs y intégreront des éléments concernant votre territoire.

Le Sénat est le porte-voix des collectivités, quel que soit leur statut, et bien évidemment des collectivités ultramarines, au travers de cette délégation.

Je salue également le sénateur Teva Rohfritsch que j'aperçois par écran interposé et qui nous suit depuis la Polynésie française.

Merci encore, Monsieur le ministre, pour la qualité de cette audition.

Mme Vivette Lopez, présidente. - Je vous redis, Monsieur le ministre, tout le plaisir que nous avons eu à vous accueillir. Je partage pleinement les propos du président Stéphane Artano. Vous pouvez compter sur nous, nous serons très attentifs à ce qui se fait en Nouvelle-Calédonie, que ce soit sur le logement ou sur tout autre sujet. Je pense que le président du Sénat vous le confirmera.

Je vous remercie aussi de la part de tous nos collègues retenus dans l'hémicycle et je suis certaine que nos rapporteurs ont noté tous les points que vous avez évoqués.

M. Vaimu'a Muliava. - Je vous remercie beaucoup Madame la sénatrice. Quand la journée se termine, les anciens disent « merci d'avoir travaillé », ils estiment que sans travail la vie n'est pas possible. Je remercie tous les participants pour leur engagement.