Jeudi 8 juillet 2021

- Présidence de M. Stéphane Artano, président -

Échange de vues sur le programme de travail de la délégation

M. Stéphane Artano, président. - Mes chers collègues, nous nous retrouvons cet après-midi pour procéder à un échange de vues sur notre programme de travail, six mois après mon élection à la présidence de la délégation aux outre-mer qui m'a conféré l'honneur et la lourde responsabilité de succéder à Michel Magras.

J'ai souhaité que notre réunion de fin de session soit aussi l'occasion de donner un coup de projecteur sur le programme des commémorations autour de l'ancien président du Sénat, Gaston Monnerville. Notre délégation y sera étroitement associée, en particulier le jeudi 7 octobre après-midi et le lundi 15 novembre matin prochains, dates que j'aimerais que vous notiez dès à présent dans vos agendas.

Notre collègue Georges Patient, en tant que président de la société des Amis de Gaston Monnerville, nous présentera lorsqu'il nous aura rejoint les évènements mémoriels prévus au Sénat à l'occasion du 30ème anniversaire de la disparition de ce grand homme d'État d'origine ultramarine, petit-fils d'esclave et modèle de réussite républicaine.

Tout d'abord, concernant notre programme de travail, je rappelle que le 10 décembre dernier nous avons établi ensemble « une feuille de route » comportant trois types de travaux pour ce premier semestre 2021: une étude, un colloque et des auditions ponctuelles dans le cadre du suivi que vous avez sollicité afin que nos recommandations ne restent pas lettre morte mais qu'elles aient une traduction concrète.

Au cours de ce premier semestre 2021, l'activité de la délégation a été intense, je pense que vous en conviendrez. Au total, nous avons tenu 27 auditions en réunion plénière qui nous ont permis d'entendre 130 personnes au cours de 50 heures de travaux.

J'ai eu l'occasion de le dire la semaine dernière, l'étude sur le logement, à elle seule, a donné lieu précisément à 21 réunions plénières auxquelles il faut rajouter 3 auditions réalisées par les rapporteurs, 7 tables rondes et 43 heures d'auditions.

Au total, 114 personnes ont ainsi pu être auditionnées et ceci malgré le contexte sanitaire.

Nos excellents rapporteurs, Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel, ont présenté jeudi 1er juillet leurs recommandations dans le cadre du rapport qui est désormais en ligne et dont un exemplaire papier vous sera remis dans votre casier comme à l'accoutumée. Ce rapport a été adopté à l'unanimité et je tiens à leur redire ma satisfaction pour le travail accompli. La conférence de presse a donné lieu à une vingtaine de retombées médiatiques et a eu un écho amplifié par le déplacement de la ministre Emmanuelle Wargon à La Réunion. Pour de nombreuses raisons, je pense en effet que ces 77 propositions arrivent à point nommé.

Outre son actualité, il s'agit d'un rapport conforme aux principes de la délégation, à la fois approfondi et ancré dans les réalités territoriales. L'ampleur de cette étude n'a pas permis le lancement d'une seconde étude dont le principe avait été acté sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, et sur laquelle je reviendrai dans un moment. La question du logement sera au coeur du prochain débat budgétaire car un des enjeux consiste à rétablir le niveau de la LBU pour construire plus et mieux dans nos outre-mer. Par ailleurs, j'ai saisi le Président du Sénat pour que ce rapport fasse aussi l'objet d'un débat en séance publique avec le ministre des outre-mer, dès octobre prochain au cours de l'ordre du jour réservé.

J'ajoute que la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale, présidée par notre collègue Olivier Serva, a également décidé de travailler sur cette thématique. Je veux y voir le côté positif qui est celui d'une dynamique commune pour faire avancer et apporter véritablement des solutions à ce problème majeur.

S'agissant des manifestations, nous avons organisé un colloque webinaire - le premier au Sénat - sur les biodiversités de l'océan Indien, en partenariat avec l'Office français de la biodiversité (OFB), le 20 mai dernier.

Il a duré 4 heures et fait l'objet de plus de 300 inscriptions. Les actes publiés sont venus compléter les précédentes éditions sur le Pacifique et l'océan Atlantique, et constituent un panorama très varié et valorisant pour les collectivités ultramarines.

Il reste bien sûr à faire prendre en compte l'ensemble de nos travaux dans la perspective du Congrès mondial de la nature de l'UICN prévu en septembre 2021 à Marseille. Le comité français de l'UICN vous a confirmé qu'un programme est prévu autour des outre-mer le samedi 4 septembre.

Je précise qu'à la suite de ce colloque, j'ai été contacté par 3 prestigieuses institutions de recherche (l'IRD, le MNHN et le CNRS) pour envisager des collaborations futures. Le président de l'OFB, Pierre Dubreuil, s'est aussi engagé à poursuivre nos initiatives communes et nous aurons l'occasion d'en reparler au cours des prochains mois.

Par ailleurs, nous continuerons à suivre cette thématique à travers le Conseil national de la mer et des littoraux (CNML) et son groupe de travail dédié aux outre-mer animé par notre collègue Teva Rohfritsch. Je ne doute pas que celui-ci aura l'occasion de rendre compte, le moment venu, des activités de ce groupe de travail devant notre délégation.

J'en viens enfin aux activités de suivi. Vous savez que le Sénat a mis en place un groupe de travail présidé par notre collègue Pascale Gruny afin de renforcer ce volet de nos activités sénatoriales. J'ai été auditionné à ce sujet le 29 juin dernier et j'ai mis en avant les spécificités de notre délégation comme l'utilisation incontournable de la visioconférence.

Notre délégation a en quelque sorte anticipé cette démarche de suivi en organisant notamment quatre opérations dans ce but.

Suite à l'étude sur l'urgence économique, nous avons entendu le président de la FEDOM, Jean-Pierre Philibert, qui nous a fait part des préoccupations des entreprises ultramarines dans le contexte de la pandémie. Son successeur Hervé Mariton m'a déjà contacté pour poursuivre nos échanges afin, en particulier, de renforcer l'impact législatif des propositions d'amendements portant sur les outre-mer, objectif que nous partageons bien entendu.

Sur les enjeux financiers et fiscaux européens, nous avons échangé avec le député européen Stéphane Bijoux lors de la préparation de son rapport sur la stratégie européenne à l'égard des régions ultrapériphériques. Le rapport qu'il a publié tient compte des conclusions de notre étude de juillet 2020. Je dois souligner également la forte mobilisation de nos rapporteurs lors des menaces de suppression du régime dérogatoire de l'octroi de mer qui finalement sera prolongé, et c'est une victoire, jusqu'au 31 décembre 2027. J'ajoute que nos travaux sur les enjeux ultramarins seront particulièrement utiles dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne à compter de janvier 2022.

Dans le même esprit et pour faire suite au rapport sur la représentation des outre-mer dans l'audiovisuel public après la suppression de France Ô, de nos collègues Jocelyne Guidez et Maurice Antiste, nous avons organisé une grande table ronde retransmise sur Public Sénat avec les représentants de France Télévisions et le Délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer et la visibilité des outre-mer. Outre les engagements précis pris par ces responsables - et nous avons en effet le sentiment que les choses bougent - cette thématique a été très présente lors de la désignation du nouveau président de la chaîne Public Sénat. Nous pourrons mesurer dans les prochains mois si des changements s'opèrent concrètement aussi du côté de ce média.

Enfin, concernant le suivi du rapport sur la différenciation territoriale outre-mer du président Michel Magras dont l'examen du projet de loi 4D vient à nouveau souligner toute l'actualité, nous avons organisé une réunion commune afin d'y associer nos collègues députés de la Délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale, comme l'avait proposé Nassimah Dindar, pour croiser nos regards et unir nos efforts pour faire avancer ce dossier. Il reste à concrétiser la promesse faite par la commission des lois concernant un groupe de travail commun dédié à cette thématique dans la perspective de la révision de la Constitution qui ne manquera pas de se produire après le prochain référendum sur la Nouvelle-Calédonie. Le président François-Noël Buffet a déjà fait part de son accord de principe mais, compte tenu de l'agenda parlementaire chargé, sa création a été renvoyée à la rentrée...

Pour conclure sur cette première partie, je rappelle que nous avions acté le principe d'une seconde étude consacrée à la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, et nommé 3 rapporteurs : Philippe Folliot (Tarn - UC), Annick Pétrus (Saint-Martin - LR) et Marie-Laure Phinera-Horth (Guyane - RDPI).

Je vais leur céder la parole s'ils le souhaitent afin qu'ils puissent nous donner leur point de vue sur les orientations possibles de ce rapport en précisant 2 points. Le calendrier étant très contraint par les élections présidentielles, l'étude qui démarrera en octobre 2021 devra aboutir au plus tard en février 2022. Cela limite naturellement le nombre d'auditions envisageables. L'étude devra se concentrer sur quelques aspects saillants de cette thématique trop vaste pour pouvoir être traitée dans ces délais et avec les moyens qui sont les nôtres. On peut imaginer commencer par un volet et reprendre d'autres angles ultérieurement...

Je laisse la parole aux rapporteurs pour un échange de vue avec les collègues sénateurs.

M. Philippe Folliot. - Nous avons eu avec vous, Monsieur le président, un premier échange sur les différents éléments que nous souhaiterions développer dans notre étude. Selon nous, il faudrait tout d'abord rappeler l'atout que représentent nos outre-mer. C'est grâce à nos territoires ultramarins que la France possède le deuxième domaine maritime mondial : 97,5 % de notre zone économique exclusive (ZEE) est située en outre-mer. Sans ces territoires, la France ne serait pas une puissance maritime digne de ce nom à l'échelle planétaire.

Le deuxième point qui me paraît essentiel est que la France est le seul pays au monde à avoir un domaine maritime qui s'étende sur les trois grands océans (Atlantique, Indien et Pacifique), tant sur des mers chaudes, froides ou des mers « tempérées ». Cette diversité est un élément important.

Une attention devra également être accordée aux enjeux de souveraineté et à la façon dont l'État assume, ou n'assume pas, la gestion de notre domaine maritime. Il nous faudra aussi revenir, même succinctement, sur l'inique traité de cogestion de Tromelin avec l'Île Maurice.

Une fois ce tableau dressé, il serait ensuite intéressant de réfléchir à la notion de routes maritimes et sur la stratégie portuaire à développer pour favoriser les dessertes régionales, en plus des grands flux maritimes intercontinentaux. Le développement de nos ports ultramarins en « hubs » est un enjeu majeur. Les infrastructures doivent être modernisées pour mieux répondre aux flux de marchandises et aux flux de passagers (croisières, etc.).

La valorisation des ressources marines est aussi à mettre en avant. Je pense aux ressources halieutiques, à l'aquaculture mais aussi à la valorisation des algues, qui peuvent servir à la consommation humaine ou animale. Toutes ces richesses de la mer confèrent à la France et à l'Europe une chance et un atout exceptionnel puisque l'humanité aura sans doute besoin de chercher dans l'avenir les protéines nécessaires à sa consommation dans les océans.

Les ressources de la mer incluent également les nodules polymétalliques présents dans les eaux de Clipperton et de Wallis-et-Futuna, ainsi que les hydrocarbures. Ce dernier sujet pose le problème des autorisations d'exploration et d'exploitation, notamment à Juan de Nova dans les Îles Éparses. Il faut également rappeler, s'agissant du plateau continental guyanais, que des exploitations d'hydrocarbures vont être réalisées au Guyana et au Suriname et pas en Guyane française.

Nous devons aussi réfléchir plus globalement à tous les freins existants en matière d'économie bleue. Face à l'atout énorme que représente le domaine maritime des outre-mer, les moyens publics déployés restent insuffisants. J'en veux pour preuve que l'Ifremer compte 95 % de ses effectifs basés dans l'Hexagone alors que 97,5 % de la zone économique exclusive (ZEE) est en outre-mer ! Cela fait partie des points sur lesquels il nous faudra réfléchir, notamment en termes de développement de formations liées à l'économie bleue.

Voilà quelques pistes de réflexion possibles et je laisse mes collègues compléter mon propos. Je ne sais pas si toutes ces thématiques pourront être traitées, mais nous essaierons d'aborder cette étude de la manière la plus large possible.

Mme Annick Petrus. - Tout a été dit par mon collègue rapporteur. Il nous faudra bien sûr réaffirmer l'atout des outre-mer dans la politique maritime nationale. Il ne faudra pas non plus négliger les éléments relatifs à la souveraineté et à l'insertion des outre-mer dans les routes maritimes. Enfin, la valorisation des ressources marines (comme le développement de l'aquaculture à Mayotte) et le développement de l'économie bleue durable seront aussi à étudier.

M. Stéphane Artano, président. - La troisième rapporteur, Marie-Laure Phinera-Horth, a eu un empêchement aujourd'hui, et s'en remet évidemment à la discussion que vous avez déjà eue ensemble. Si vous en êtes d'accord, j'ouvre la discussion aux autres parlementaires qui souhaitent apporter leurs commentaires aux propos introductifs évoqués.

Mme Victoire Jasmin. - Je salue les propos de mes collègues. Je souhaiterais quant à moi attirer l'attention sur la nécessité de valoriser davantage les travaux de notre délégation au sein du Sénat. De nombreux rapports ont été réalisés. Cependant, en séance, quand nous faisons référence à l'un de ces rapports, nous sommes souvent peu soutenus par nos collègues. Or, ces travaux doivent être valorisés et doivent être des outils au service du développement de nos territoires.

M. Teva Rohfritsch. - Je me réjouis de vous retrouver physiquement et non pas en visioconférence avec 12 heures de décalage horaire. Le Président Artano a aimablement rappelé que je participe aux travaux du Conseil national maritime de la mer et des littoraux (CNML), dont je suis membre depuis mars 2021.

Je tiens à remercier les sénateurs, dont le Président, qui ont accepté de partager avec moi leurs réflexions sur la politique maritime en m'adressant leurs contributions écrites ainsi que sur la biodiversité, puisque la stratégie nationale pour la biodiversité est également en cours de refondation.

Je voulais aussi évoquer le rapport qui sera présenté en septembre au CNML. Je proposerai au Président Artano de le joindre aux informations qui pourraient être utiles à l'étude sur la stratégie maritime. Je serai particulièrement fier de pouvoir le présenter à notre délégation.

Mme Vivette Lopez. - Le secrétariat de la commission des affaires économiques m'a signalé qu'aucun ultramarin ne s'était inscrit pour participer aux travaux d'un groupe d'étude sur la pêche et les produits de la mer. Cette information ne vous est peut-être pas parvenue et je tenais à vous la signaler.

J'aimerais participer aux travaux de la délégation sur la place des outre-mer dans la stratégie nationale maritime car je termine une formation d'une année à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) sur la thématique des enjeux et de la stratégie maritime pour la souveraineté de la France. Il y est beaucoup question des outre-mer, de l'Indo-Pacifique et des routes maritimes. Stéphane Claireaux, le député de Saint-Pierre-et-Miquelon, suit également cette formation. Un rapport a été rendu récemment et je devrais être en mesure de le transmettre prochainement à la délégation. Outre les flux de marchandises et de personnes, il y a également les flux de big data et la question des réseaux. Je ne sais pas si ce rapport donnera lieu à plusieurs déclinaisons mais je suis à votre disposition pour y participer.

Je rejoins ma collègue Victoire Jasmin pour insister sur la nécessité d'une meilleure concrétisation des travaux de la délégation.

Mme Nassimah Dindar. - Compte tenu du positionnement de nos outre-mer, les lignes directrices exposées par nos collègues, relatives aux enjeux de développement économique et à la vision stratégique, sont très intéressantes.

Nous sommes en train de discuter du projet de loi dit « 4D » alors même que notre délégation avait porté un vrai projet sur la différenciation qui n'a pas été pris en compte. Nous sommes des territoires singuliers et, dans le cadre de la délégation, nous faisons des travaux extrêmement intéressants. Malheureusement, ils restent au stade de rapports. Cette même remarque pourrait être faite sur les rapports budgétaires que notre collègue Georges Patient avait rédigés au cours des sessions précédentes. Chacun sait que ses rapports contenaient des pistes intéressantes. Pourtant, à l'occasion de chaque loi de finances, nous revenons en vain sur les mêmes explications. Il risque d'en être de même, aujourd'hui, pour notre excellent rapport sur le logement et, demain, pour notre rapport sur les enjeux maritimes. Ces enjeux ne concernent pas seulement les outre-mer, mais notre pays et les pays limitrophes.

Je n'ai pas de formule à préconiser mais, alors que des élections nationales approchent, nous pourrions auditionner des personnalités dans le secteur économique et faire des propositions ou des projets visionnaires, directement avec les élus locaux pour accompagner au mieux l'ensemble des collectivités et ceux qui ont à mettre en place des politiques publiques.

M. Teva Rohfritsch. - Je fais miens les propos de Nassimah Dindar. Sur l'aspect « routes maritimes et stratégie portuaire », nous pourrions aussi aborder la problématique de l'impact de la crise sanitaire sur le coût de la vie dans nos outre-mer que l'on sait déjà élevé. Dans le Pacifique, nous constatons un doublement du coût du transport pour l'acheminement des marchandises. Ce phénomène est assez général. Certaines routes sont en train d'être coupées, notamment avec l'Asie. La résilience face au changement climatique est souvent évoquée mais il ne faut pas oublier la résilience de nos petites économies insulaires. Un rapport de la Délégation sénatoriale aux outre-mer en février 2022 aura nécessairement un écho auprès des candidats à l'élection présidentielle.

M. Georges Patient. - Je rejoins les propos de Nassimah Dindar sur le problème du suivi de nos rapports et de leurs propositions. Pourtant, en séance publique, il y est souvent fait référence. La délégation a été constituée à parité entre les sénateurs hexagonaux et les sénateurs ultramarins : nos propositions, fruit d'un travail en commun, n'émanent pas uniquement des sénateurs ultramarins. Il faudrait que nous fassions plus de lobbying auprès de nos collègues au sein de nos commissions respectives.

Mme Victoire Jasmin. - Les rapports de la délégation sont, en effet, présentés à la fois par des sénateurs ultramarins et des sénateurs hexagonaux, mais également par des sénateurs de toutes tendances politiques. Ils ne sont pas clivants. Il nous faut en effet valoriser les rapports de la délégation. Dans les réunions initiées par le président Gérard Larcher, il faudrait qu'une synthèse de nos travaux soit également présentée.

M. Stéphane Artano, président. - Dans le cadre de l'étude qu'elle est en train de mener à la demande du président Gérard Larcher, j'ai été reçu par Pascale Gruny. Je lui ai fait part du même message sur la valorisation et la visibilité de nos travaux. J'ai également échangé ce matin sur ce thème avec le président de la délégation aux entreprises, Serge Babary.

Avec Françoise Gatel, comme avec Serge Babary, nous avons évoqué la possibilité de mener des travaux ou des tables rondes en commun pour croiser les regards sur des thématiques transverses pour lesquelles les outre-mer pourraient apporter un autre regard. Par exemple, j'ai noté que, sur la stratégie nationale portuaire, le rapport présenté par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable n'évoque pas les outre-mer. J'ai fait remonter la nécessité d'une réflexion sur la valorisation des travaux faits au sein de cette maison par les différentes structures. Le même message a été porté par toutes les délégations. Nous devons faire oeuvre utile.

M. Philippe Folliot. - Je partage toutes les réflexions de mes collègues. Venant de l'Assemblée nationale, je peux vous assurer que le même constat y est fait. Les quelques rapports qui peuvent parfois avoir des effets sont ceux qui ne sont pas à l'eau tiède. Il faudra peut-être que, dans nos analyses et nos propositions, nous soyons un peu disruptifs et pas toujours politiquement corrects. Je suis convaincu que les deux corapporteurs, Marie-Laure Phinéra-Horth et Annick Pétrus, partagent mon avis. Il appartiendra à la délégation d'approuver - ou pas - les éléments que nous lui présenterons. Il y a aura quelques épices !

M. Stéphane Artano, président. - La délégation essaie de travailler de manière extrêmement objective, sans esprit partisan. Comme nous venons de le faire sur le logement dans les outre-mer, nous pouvons dire les choses de manière à la fois objective et piquante et reconnaître quand les choses fonctionnent.

Je vous propose de donner la parole à Georges Patient pour la seconde partie de cette réunion, consacrée aux commémorations en l'honneur du président Gaston Monnerville. Il y aura deux temps forts. Le premier sera une table ronde le jeudi 7 octobre sur l'héritage de Gaston Monnerville, en salle Médicis. Elle réunira notamment des élus des Antilles et de Guyane ainsi que des spécialistes de Gaston Monnerville (historiens, société des Amis, Institut Monnerville, etc.). Elle sera animée par le média Outremers 360, en présentiel et en visioconférence, et retransmise sur le site du Sénat. Le second évènement sera un colloque en salle Clemenceau le lundi 15 novembre à l'occasion de la célébration des 10 ans de la délégation sénatoriale aux outre-mer et de la journée des outre-mer du Congrès des maires.

M. Georges Patient. - Merci monsieur le président de me permettre d'intervenir en ma qualité de président de la société des Amis du Président Gaston Monnerville. Nous avons décidé au sein de cette société de commémorer le trentenaire de sa disparition. Nous avons déjà beaucoup travaillé avec les différents services du Sénat et sommes en très bon chemin pour les différentes manifestations qui débuteront en septembre. Il fallait réaliser un évènement important, à la hauteur de la grandeur de ce personnage car Gaston Monnerville n'était pas honoré à sa juste mesure. Je ne peux pas penser que c'est en raison de sa situation de petit-fils d'esclave ; Félix Eboué ou Aimé Césaire, eux aussi petits-fils d'esclave, sont au Panthéon. Beaucoup ont oublié au sein de la République que Gaston Monnerville a été Président du Sénat pendant 22 ans. Son opposition au Général de Gaulle lors du référendum de 1962 est souvent invoquée pour expliquer cet oubli relatif.

Pour mieux connaître le personnage, je vous propose de passer la parole à André Bendjebbar, historien, pour nous présenter en quelques minutes ce que fut cet homme pour la République.

M. André Bendjebbar, historien. - Messieurs les Présidents, c'est une tâche difficile de résumer en seulement quelques minutes l'histoire de cet homme qui a vécu nonagénaire et qui a servi trois Républiques. À mon avis, Gaston Monnerville appartient à ces 4 ou 5 figures républicaines majeures du XXème siècle.

Gaston Monnerville est un boursier de la République, sortant d'un milieu modeste, d'une humble rue de Cayenne. Par la vertu du travail et de l'application, l'élève réussit à s'élever. Il réussit dans un monde difficile, lui le petit-fils d'esclave. Son père lui enjoint de ne pas jamais être fonctionnaire, pour être un homme qui se bâtit de sa propre volonté. Au lieu d'être juge comme la plupart de ses camarades de promotion à Toulouse, il devient avocat. Il intègre le barreau de Paris, lieu auparavant exclusivement composé d'hommes « nés avec une cuillère d'or dans la bouche ». Lui n'est rien, sinon un homme intelligent et travailleur. Avocat, docteur en droit, il fait honneur au monde de la justice. À Cayenne, en 1928, se tiennent des manifestations sanglantes, conduisant à des lynchages et à la mort de six personnes. Gaston Monnerville se révèle en défendant ces insurgés. Le procès a lieu à Nantes et en 1931, il obtient l'acquittement des 14 accusés (12 hommes et 2 femmes). 1931 est aussi l'année de l'Exposition universelle à Paris, une des manifestations les plus considérables du XXème siècle. Notre pays vivait alors une contradiction incroyable : elle brimait ces populations tout en glorifiant ces cultures lointaines. Tout le monde a ainsi oublié que c'est cette année qu'une mosquée, sur le modèle de celle de N'Djamena, a été construite à Paris.

En 1932, Gaston Monnerville se présente aux élections, permettant pour la première fois en outre-mer de faire correspondre le pays légal et le pays réel. Les fraudes électorales étaient massives et la plupart des élus des outre-mer étaient des candidats officiels ou officieux de la République. Gaston Monnerville est le premier en Guyane à mettre en harmonie la volonté du peuple et le choix de l'élu. À l'Assemblée nationale, c'est un lutteur remarquable, sur trois points tout particulièrement : le règlement du problème des fraudes électorales ; le règlement du problème du bagne ; et le combat pour la départementalisation.

Quand arrive le malheur de la guerre en 1939, il a dépassé 40 ans et il est parlementaire. Il pourrait être exonéré de toute obligation militaire. Ils sont cependant cinq députés à l'Assemblée nationale, ayant dépassé 40 ans, qui décident, par une disposition spéciale, de rejoindre les combats. Comme il est noir et avocat, on lui propose d'être greffier. Gaston Monnerville refuse et rejoint une unité combattante. Il risque sa vie, comme l'avaient fait son frère et de nombreux Guyanais pendant la Grande guerre. C'est lui qui convainc par la suite Félix Éboué d'accepter d'être gouverneur au Tchad. Il comprend que cette région constitue une liaison entre la Libye d'une part, tenue par les fascistes, et le Cameroun et le Togo d'autre part, que voulaient s'approprier les nazis. Cette liaison entre deux Guyanais permettra par la suite que soit possible le serment de Koufra puis la reconquête.

Rentré dans la Résistance, il est le premier à prendre des dispositions en faveur des personnes de confession juive. Pétain ayant retiré aux soldats noirs leur dignité de soldat, il est également le seul à réclamer du Maréchal qu'il abandonne cette mesure. Il sait par ailleurs l'engagement de Jean Moulin, qui a préféré mourir plutôt que de reconnaître des crimes qu'on imputait aux soldats noirs de notre République.

Au sortir de la guerre, il rappelle à l'Assemblée nationale que sans le monde ultramarin, « la France serait un pays libéré mais non un pays vainqueur ». Si la division Leclerc avait 16 000 hommes, l'armée de Lattre de Tassigny en avait 500 000 et comportait de nombreux soldats venus des territoires d'outre-mer. Nous n'aurions pas été à Berlin lors de la signature de la capitulation du 8 mai 1945 si la France n'avait pas eu avec ses ultramarins cette masse de militaires qui lui a permis de jouer un rôle déterminant puis d'occuper l'Allemagne.

L'ingratitude arrive en 1946. De la même manière qu'on a remercié le Général de Gaulle et Winston Churchill, Gaston Monnerville est battu en Guyane. On le traite de « nègre blanc » car on lui reproche de ne pas avoir été présent sur son territoire, alors qu'il a été un parlementaire très actif. D'abord sénateur de Guyane, il est sénateur du Lot à partir de 1948. En 1947, il devient, par le plus grand des hasards, président du Conseil de la République. Il est ensuite élu Président du Sénat. Pendant 22 ans, ce descendant d'esclaves se retrouve à la tête de la Haute assemblée. Il répétait souvent que cela l'honorait mais que cela l'obligeait également. Jusqu'en 1968, il sera constamment réélu dès le premier tour.

Pour s'opposer au référendum de 1969, qui prévoyait la disparition du Sénat, il abandonne ce mandat prestigieux pour redevenir un militant de préaux et d'écoles. Grâce à lui, le bicamérisme - qu'il avait réussi à maintenir en 1958 par des négociations avec André Le Troquer - a été maintenu et le Sénat n'est pas devenu une chambre d'enregistrement. Mesdames et messieurs les Sénateurs, si nous sommes présents aujourd'hui, c'est grâce à Gaston Monnerville !

Le combat pour la mémoire doit continuer et les figures à célébrer sont nombreuses : Victor Schoelcher, l'abbé Grégoire, Toussaint Louverture, Félix Eboué. Le destin exceptionnel de Gaston Monnerville le place dans cette lignée et devrait justifier qu'il rentre au Panthéon.

M. Georges Patient. - Je remercie André Bendjebbar. Je laisse la parole à présent à Luc Laventure, président de Outremers 360 et journaliste, pour nous décrire le programme des manifestations.

M. Luc Laventure, président d'Outremers 360 et journaliste. - Je vais faire pâle figure comparé à André Bendjebbar qui a été à la fois précis et concis. Nous allons essayer, en l'espace de trois mois, de structurer ces manifestations en deux parties : une partie exposition et une partie communication audiovisuelle. Sur la partie audiovisuelle, j'en profite pour remercier les services du Sénat. Je suis en lien avec Public Sénat, pour mesurer comment la chaîne pourra participer aux commémorations. Outremers 360 travaille par ailleurs avec une société de production sur un documentaire de 52 minutes qui sera diffusé sur France Télévisions. Avec Public Sénat, nous avons retrouvé un documentaire de 2011, qui a gardé toute sa saveur, sur la vie et l'oeuvre de Gaston Monnerville, de ses premiers pas en Guyane, jusqu'à son action d'avocat à Paris. Nous allons également, sur le plan de la communication, travailler avec des jeunes, et notamment ceux de l'Institut Monnerville. Le but est de les mettre en contact avec les historiens de façon à ce qu'ils puissent se réapproprier l'histoire de Gaston Monnerville et à en être les porte-voix.

M. André Bendjebbar. - Il faut réaliser des visuels qui puissent être vus de loin et devant lesquels vont passer des milliers de gens. J'ai donc fait réaliser de très grandes bâches de 3 mètres de large sur 1,80 mètre de haut, avec un visuel le plus parlant et attirant possible sans beaucoup de mots, mais avec une charge émotionnelle d'images. 20 bâches ont été confectionnées, qui reconstruisent le parcours de Gaston Monnerville. J'ai aussi fait réaliser 16 kakemonos de 2 mètres de haut et 1 mètre de large, avec une dimension biographique. J'espère que cela n'aura pas un aspect professoral ou académique.

Je voudrais de tout mon coeur que ces évènements donnent de l'espérance, comme ma rencontre avec celui qui m'en avait apportée. J'ai rencontré Gaston Monnerville après mon agrégation, quand j'avais 23 ans, un homme dont personne, dans les écoles de la République que j'avais fréquentées, ne m'avait parlé. Je voudrais que ces manifestations rappellent qu'un enfant boursier peut devenir Président du Sénat. Je souhaiterais que les enfants sachent que la République leur ouvre le chemin. Plutôt que le communautarisme et le particularisme de la peau, il faut glorifier de nouveau l'unanimité nationale, la citoyenneté et l'espérance par le travail et l'application.

M. Luc Laventure. - Pour terminer, au niveau de la communication, nous allons mettre en place un site dédié à Gaston Monnerville, à partir du mois de septembre et pour quatre mois. Le site sera interactif et permettra de donner la parole à tout le monde. Le 7 octobre, il y aura un après-midi au Sénat sur l'héritage de Gaston Monnerville avec la participation des Présidents Stéphane Artano et Georges Patient, et celle d'invités de marque, d'historiens et de politiques.  

M. Georges Patient. - Je tenais à préciser que tout ce programme a été travaillé en concertation avec le Sénat dans sa globalité. Je l'ai fait sous la conduite du Président Gérard Larcher, avec les différentes directions du Sénat.

M. Stéphane Artano, président. - Je remercie le président Georges Patient et vous, Messieurs, pour cette riche présentation. Le programme définitif de cette table ronde, qui doit encore être précisé, vous sera bien entendu communiqué en temps et en heure.

Je voudrais conclure en vous signalant la création d'une chaire outre-mer à Sciences Po, dont l'installation a eu lieu ce matin. Nous nous réjouissons de voir ainsi se concrétiser une initiative de Michel Magras, qui avait été à l'origine d'un amendement dans la loi Égalité réelle de 2017 pour encourager la création d'une chaire de recherche dédiée à l'outre-mer dans une grande école. Des moyens ont été mis en oeuvre par le ministère des outre-mer et par le ministère de la recherche. Cette initiative est porteuse d'espoir. Je ne doute pas que le Sénat pourra contribuer à alimenter les travaux de cette chaire et réciproquement.

Je vous donne rendez-vous pour notre prochaine réunion plénière, le 7 octobre, et je vous souhaite une bonne fin de session parlementaire et un bel été