Mardi 10 mai 2022

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 20.

Bilan annuel de l'application des lois - Communication

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, il me revient de vous présenter le bilan annuel de l'application des lois relevant de notre commission.

Je salue ceux d'entre nous qui participent à cette réunion par visioconférence : voilà un moment que nous ne nous étions pas retrouvés dans cette configuration...

Très attaché à cette dimension de notre mission constitutionnelle de contrôle de l'action du Gouvernement, le Sénat a mis en place, dès les années 1970, des procédures de suivi de l'application des lois, régulièrement adaptées par la suite.

En 2019, il a modifié son règlement pour confier ce suivi aux rapporteurs des projets et propositions de loi. Plus récemment, il a préconisé, sur l'initiative du groupe de travail animé par notre collègue Pascale Gruny, de renforcer encore cette mission par un contrôle approfondi de l'application des lois emblématiques.

L'article 19 bis A de notre règlement confie aux commissions permanentes le suivi de l'application des lois. Il appartient à leur président de procéder chaque année à un bilan de l'application des textes relevant des compétences de sa commission au 31 mars, soit six mois après la fin de la session précédente.

Ces informations donnent lieu à un rapport de synthèse, présenté en conférence des présidents puis en séance publique.

Chaque commission assure donc un suivi permanent des textes réglementaires relevant de sa compétence. Principalement statistique, ce travail comprend aussi des éléments qualitatifs sur la conformité des mesures d'application à l'intention du législateur et les raisons des éventuels retards constatés.

Le bilan que je vous présente cet après-midi porte sur les lois promulguées entre le 1er octobre 2020 et le 30 septembre 2021 et prend en compte les mesures d'application publiées jusqu'au 31 mars dernier. Ce décalage de six mois correspond à l'objectif fixé par une circulaire du 29 février 2008 en matière de délai d'édiction des mesures réglementaires d'application : il s'agit donc d'une contrainte que le Gouvernement s'est lui-même donnée.

Cet exercice est parfois teinté d'une certaine étrangeté, dans la mesure où il consiste à demander des comptes au Gouvernement sur l'application de mesures que le Sénat n'a pas votées ou à déplorer des retards dans la transmission de rapports qu'il n'a pas demandés... Je vous invite donc à relativiser sa seule dimension statistique.

Par ailleurs, vous recevrez un bilan texte par texte, destiné au rapport d'ensemble qui sera publié en juin.

Pour l'heure, je me bornerai à vous livrer quelques chiffres et les principaux constats, en vous priant d'excuser la forme de catalogue que cet exercice peut parfois revêtir.

Durant l'année parlementaire 2020-2021, le Parlement a adopté définitivement sept lois relevant de notre commission, auxquelles s'ajoute un texte que nous avons examiné pour avis avec délégation au fond. Ce chiffre est identique à celui de l'année précédente.

Cinq de ces textes sont issus d'une proposition de loi de l'Assemblée nationale, un procède d'une initiative gouvernementale - la loi de finances pour 2021 - et un d'une proposition de loi du Sénat - la loi tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote.

Seule la loi visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs était d'application directe. Les six autres textes appelaient un total de 196 mesures règlementaires d'application, dont 112 pour la seule loi de financement de la sécurité sociale.

Au 31 mars, 134 mesures avaient été prises, soit un taux d'application de 68 % : meilleur que les 48 % constatés l'année dernière, ce taux renoue avec ceux constatés les années précédentes.

Le taux d'application de la loi de financement de la sécurité sociale reste insuffisant, même s'il s'est redressé de 46 à 79 %. De fait, pour une telle loi, un taux normal dépasse les 90 % : son champ très encadré et sa procédure spécifique impliquent une mise en oeuvre rapide. Au-delà de l'explication un peu facile de la crise sanitaire, nous aurons à demander des comptes au Gouvernement sur la mise en application de ce texte, où les réformes inabouties n'ont, en principe, pas leur place.

Comme l'an dernier, il apparaît que Gouvernement a du mal à gérer le temps, en particulier le temps parlementaire, ressource particulièrement précieuse en période de crise sanitaire.

Je pense en particulier à la loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, que nous avons examinée en première lecture en février 2017 dans des circonstances qu'il n'est pas nécessaire de rappeler, puis en deuxième lecture en juin 2020, soit trois ans après. Le Sénat a alors été sommé d'adopter ce texte conforme, pour permettre une application anticipée en 2021. Le décret d'application a bien été pris pour une application anticipée... en novembre 2021!

De même, la loi visant à améliorer l'accès à la prestation de compensation du handicap, issue des travaux de nos collègues Alain Milon et Philippe Mouiller, dont les textes d'application étaient attendus pour décembre 2020, a finalement été rendue applicable par un décret du 25 avril 2022, plus de deux ans après sa promulgation...

Deux ans, c'est aussi le temps qu'il aura fallu pour que soient prises les sept ordonnances résiduelles issues des habilitations, plusieurs fois reportées, de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, alors que leur degré de technicité ne justifiait pas toujours un tel délai. Sans compter que les mesures règlementaires nécessaires à l'application de ces ordonnances sont, pour la plupart, encore à prendre.

En ce qui concerne les études de santé, les textes ont pour l'essentiel été publiés, à l'exception notable du décret relatif au déroulement d'une partie de la dernière année de médecine en zone sous-dense. Sur ce point, le Gouvernement a successivement affirmé, par la voix du ministre de la santé, que ce décret n'était pas nécessaire, puis, par celle d'Adrien Taquet, qu'il serait publié au printemps 2022... Résultat : cette disposition, issue d'une initiative transpartisane au Sénat et sur laquelle la commission mixte paritaire s'est accordée, n'est toujours pas applicable.

De manière plus anecdotique, le Gouvernement, après nous avoir fait adopter dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale le principe d'une campagne d'information sur les compétences des sages-femmes, qu'il pouvait très bien organiser sans cette disposition, a mis de longs mois pour autoriser par décret ces professionnelles à vacciner les enfants.

En matière de données de santé, la plupart des textes ont été pris. Je souligne que la Commission européenne vient de prendre sur ce sujet une initiative qui pourrait changer la donne.

S'agissant de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, l'ensemble des mesures d'urgence qu'elle comporte, ainsi que ses mesures les plus emblématiques, sont entrées en vigueur avec leurs modalités d'application.

Mais tel n'est pas le cas de mesures à caractère plus technique ou présentant, certes, un degré d'urgence moindre, à l'exemple de certaines dispositions relatives à la lutte contre la fraude sociale. Cette situation est difficilement acceptable, compte tenu des engagements pris par le Gouvernement lors de l'examen des articles concernés et de la sensibilité du sujet. Je ne doute pas que notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, à l'origine de ces dispositions, restera attentif à leur application.

En dépit de la longueur de la navette, les textes nécessaires à l'application de la loi tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote n'ont pas été publiés, faute de notification à la Commission européenne - aux dires du ministre, celle-ci est intervenue en février dernier.

Quant à la loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, elle est globalement mal appliquée - à 41 % -, alors que de nombreuses dispositions sont d'application directe et que certaines sont très attendues par l'hôpital. Je ne rappellerai que la suspension, en l'absence de toute intervention du législateur, des dispositions relatives à l'intérim médical : si l'on peut souscrire à cette décision sur le fond, la méthode est regrettable et aurait pu être régularisée entre temps.

Pour conclure ce bilan sur une note positive, soulignons que la loi relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée », dont notre collègue Frédérique Puissat a été rapporteure, présente un taux d'application de 95 %. Ce résultat s'explique probablement par la place de l'insertion par l'activité économique au coeur de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, ainsi que dans le plan France Relance.

J'ajoute que l'application de la loi pour renforcer la prévention en santé au travail est plutôt bien engagée : de 38 % à la fin de mars, le taux d'application a progressé à 51 % à la fin d'avril, suivant ainsi une dynamique tout à fait positive pour un texte récent.

Enfin, si l'examen de la loi relative à la bioéthique a été confié à une commission spéciale, son application nous intéresse fortement. À la demande de notre collègue Laurence Cohen, notre commission procédera d'ailleurs à plusieurs auditions sur les plans greffes, au début de juin.

Si les dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation sont applicables, un bilan de leur mise en oeuvre concrète serait intéressant, au regard tant de la crise sanitaire que du stock de gamètes.

Les dispositions relatives à l'accès aux origines, qui doivent entrer en vigueur en septembre prochain, n'ont pas encore fait l'objet de mesures d'application, ce qui fait peser une incertitude sur leur date effective d'entrée en vigueur.

De même, faute de décret, les dispositions relatives aux examens génétiques sur personnes décédées - une question qui intéresse particulièrement notre collègue Alain Milon - ne sont pas encore applicables.

Enfin, le Gouvernement a demandé au Sénat d'adopter en urgence un amendement destiné à répondre au scandale du traitement des corps à Paris-Descartes, mais il a publié le décret nécessaire voilà quelques jours seulement.

Au total, ce texte n'était applicable qu'à 42 % à la fin du mois de mars. D'autre part, aucun des six rapports demandés n'a été remis.

De manière générale, s'agissant des demandes de rapport pour les textes relevant de notre commission, la situation est tout à fait comparable aux années précédentes.

Un rapport sur les dix-sept demandés a été remis, relatif à l'attribution de l'aide versée aux départements par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) pour le financement de la prime exceptionnelle pour les personnels des services d'aide et d'accompagnement à domicile.

Je n'adresserai pas de reproche au Gouvernement s'agissant de demandes que, par principe, notre commission n'a pas approuvées. Ce constat me paraît conforter notre position à l'égard des rapports. Si notre commission souhaite un rapport, il faut qu'elle examine s'il répond à un besoin politique impérieux et si elle dispose de la volonté, du temps et des ressources pour le réaliser elle-même.

Au-delà de ce bilan, il convient de suivre la manière dont les réformes sont mises en oeuvre sur le terrain. Tel est le sens de nos missions d'évaluation et de contrôle.

En particulier, nous avons chargé nos collègues Frédérique Puissat, Corinne Féret et Martin Lévrier d'une mission d'information sur l'opérateur France Compétences. Conformément aux orientations fixées par le groupe de travail dont notre collègue Pascale Gruny était rapporteur, cette mission réalisera un bilan exhaustif de l'application de la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Mme Catherine Procaccia. - Est-il médisant de supposer que, si le taux d'application est meilleur cette année, c'est parce que cinq textes sur sept émanent de l'Assemblée nationale ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - Ce n'est pas nécessairement la raison. Nombre de ces propositions de loi ont fait l'objet d'un accord en commission mixte paritaire ou d'un vote conforme, même si nous avons parfois traîné les pieds.

Plus largement, nous devons réaliser le même travail de suivi en ce qui concerne les propositions que nous formulons dans nos missions d'information, afin de donner à nos travaux leur pleine mesure. Je rappelle à cet égard que plusieurs rapports importants seront publiés avant l'été, notamment sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), l'obésité et l'application de la loi de financement de la sécurité sociale.

Mme Laurence Cohen. - Sans oublier le rapport sur notre déplacement à Mayotte !

Mme Catherine Procaccia. - Les lenteurs d'application résultent-elles d'une mauvaise volonté de l'administration ou de la lourdeur des procédures ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - La mauvaise volonté n'est pas forcément en cause. Dans le cas du protoxyde d'azote, par exemple, le processus de consultation retarde beaucoup, jusqu'au ridicule.

Mme Florence Lassarade. - Dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), une étude a été lancée sur les effets secondaires des vaccins contre la covid-19. Un bilan d'étape est prévu prochainement, et notre rapport définitif sera publié en septembre.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Il s'agit d'un sujet complexe, dont notre commission a saisi l'OPECST pour donner suite à une pétition déposée sur le site du Sénat.

Mission d'information sur le contrôle des EHPAD - Audition de présidents de conseil départemental

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder, dans le cadre de notre mission d'information sur le contrôle des Ehpad, à l'audition commune de quatre présidents de conseil départemental : MM. Jean-Luc Gleyze, Michel Ménard, Georges Siffredi et Christophe Le Dorven, respectivement présidents des conseils départementaux de la Gironde, de la Loire-Atlantique, des Hauts-de-Seine et de l'Eure-et-Loir.

Je salue nos collègues qui participent par visioconférence à la présente audition. Celle-ci fera l'objet d'une captation vidéo.

Dotée des prérogatives des commissions d'enquête, cette mission d'information a été créée à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs, qui met en évidence l'inadéquation, dans leur forme actuelle, des contrôles opérés non sur les groupes, mais sur les établissements, ainsi que l'incapacité des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public. C'est pourquoi nous avons choisi de nous intéresser au contrôle.

Messieurs les présidents, le modèle issu de la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement, qui repose sur la souplesse et la confiance a priori, vous paraît-il devoir être adapté, voire remis en cause, à la suite de l'affaire Orpea ?

À l'issue de vos propos liminaires, vous serez interrogés par nos deux rapporteurs, Bernard Bonne et Michelle Meunier. J'invite chacun à la concision, afin que nos échanges soient aussi riches que possible dans le temps qui nous est imparti.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vous demande de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

(MM. Jean-Luc Gleyze, Michel Ménard, Georges Siffredi et Christophe Le Dorven prêtent serment.)

M. Michel Ménard, président du conseil départemental de la Loire-Atlantique. - La Loire-Atlantique dispose de 15 600 places, réparties en 178 Ehpad. Peu nombreux, les dix-sept établissements privés n'accueillent que 9 % des résidents ; cinq d'entre eux sont gérés par Orpea, quatre par Korian.

Notre département se distingue par le nombre de ses Ehpad associatifs. Chaque association ne gère souvent qu'un établissement, en sorte que le nombre de gestionnaires est très élevé.

Nous consacrons 145 millions d'euros par an aux Ehpad, soit 10 % de leur budget, dont 63 millions d'euros au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Le financement de l'hébergement des personnes sans ressources représente 23,3 millions d'euros, eu bénéfice de 2 000 personnes environ ; le département a réévalué son taux directeur pour 2022, à la demande des établissements.

Les révélations de Victor Castanet nous ont vivement interpellés. Nous n'avons pas repéré sur notre territoire de faits aussi graves que ceux qu'il met en lumière. À la suite de la parution de son livre, nous avons lancé une inspection des cinq établissements Orpea présents dans le département. Nous avons constaté des dysfonctionnements, mais pas de faits particulièrement graves.

Toute la lumière doit être faite sur les graves accusations contenues dans ce livre, qui constitue une alerte préoccupante, mais sans jeter l'opprobre sur l'ensemble des Ehpad. Nombre d'établissements fonctionnent bien, avec des personnels bienveillants.

Notre dispositif de suivi et de contrôle des établissements repose notamment sur une réunion hebdomadaire commune de l'Agence régionale de santé (ARS) et du département. Les réclamations qui nous parviennent y sont examinées.

Les contrôles conjoints de l'ARS et du département sont lourds et prennent du temps. Les révélations de M. Castanet ayant montré la nécessité de contrôles plus nombreux, j'ai lancé des enquêtes flash, plus légères mais inopinées. Les gestionnaires doivent intégrer qu'un contrôle peut intervenir à tout moment.

Les départements doivent être confortés pour ce travail de contrôle, car ils ont l'avantage de la proximité. Nous connaissons bien les gestionnaires et entretenons avec eux des relations fluides.

Les établissements ont l'obligation de déclarer les événements susceptibles d'affecter la prise en charge des usagers ou les événements indésirables graves. Une messagerie électronique commune aux départements et à l'ARS assure le recueil des réclamations émanant des résidents ou de leur famille.

Les inspections inopinées menées ces dernières années, sans doute insuffisantes, n'ont pas, je le répète, mis au jour de faits très graves.

L'association Alma 44 est le relais du dispositif 3977 dans le département. Des commissions communes à Alma 44 et au département traitent des difficultés.

Le nombre de réclamations a augmenté de 35 à 111 entre 2018 et 2021, essentiellement, selon nous, du fait de la crise sanitaire.

Au cours de nos inspections, nous avons constaté une instabilité excessive du personnel et une propreté des locaux parfois peu satisfaisante. Par ailleurs, le protocole pour les situations de maltraitance est peu connu des personnels.

Les mesures correctives que nous préconisons tiennent notamment à la sécurisation des locaux de stockage, à l'élaboration d'une procédure d'enregistrement et de traitement des réclamations et à la préparation d'un plan d'action pour la stabilité des effectifs.

Au total, nous sommes plutôt rassurés sur le fonctionnement de nos établissements, même s'il y a des marges d'amélioration.

M. Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde. - Je vous remercie de nous offrir cette occasion de témoignages et d'échanges sur les politiques en direction de nos aînés vivant en Ehpad.

Dans la grande majorité des établissements, les missions sont assurées avec professionnalisme et humanisme, dans un contexte de tension sur les effectifs. L'implication des directeurs et salariés des établissements médico-sociaux a été maintes fois constatée, particulièrement pendant la crise sanitaire.

Il s'agit de restaurer la confiance au sein de ces établissements et de prévenir d'autres crises.

Les mécanismes de rentabilité à tout prix récemment mis au jour, s'ils sont confirmés, menacent la part la plus vulnérable de notre humanité. Cet enjeu appelle de notre part une mobilisation forte, bien au-delà du temps médiatique, et des réponses concrètes au plan départemental comme au plan national.

D'abord, le recueil des informations préoccupantes et le contrôle des établissements doivent être améliorés. Il faut aussi donner sens au contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) par un véritable dialogue de gestion.

Ensuite, départements et ARS doivent mieux coopérer pour promouvoir ce type d'accueil, en lien avec le choix du maintien à domicile, et faciliter la mise en réseau des acteurs de l'autonomie.

Par ailleurs, la recherche du profit ne doit pas nuire à une mission éminemment sociale. C'est une exigence morale : porter atteinte à la dignité de nos aînés, c'est porter atteinte à l'intégrité de la société.

Enfin, la citoyenneté doit être reconnue et encouragée au sein des établissements.

En 2018, au moment où, monsieur le rapporteur, vous publiiez votre rapport d'information « Ehpad : quels remèdes ? », j'adressais un courrier à Mme Buzyn pour l'alerter sur la situation et publiais une tribune, intitulée « De quoi l'Ehpad est-il malade ? ». J'ai mené de nombreuses consultations sur le sujet pendant deux ans.

À la suite du travail remarqué de Dominique Libault, nous avons appelé de nos voeux une loi autonomie, non comme un dû mais comme une nécessité face au vieillissement et à la multitude des acteurs. La crise sanitaire ne peut à elle seule expliquer une politique à la découpe, avec les conclusions que nous connaissons autour du Ségur de la santé. Ce sont les premiers de corvée, derniers de cordée, qui en sont les principales victimes.

Je rejoins à cet égard le constat de la Cour des comptes : les difficultés systémiques ne sont pas prises en compte.

M. Georges Siffredi, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine. - Les 108 Ehpad des Hauts-de-Seine totalisent 10 296 places, dont 40 % sont habilitées à l'aide sociale départementale. Les établissements privés lucratifs représentent 53 % des places, les établissements privés associatifs 25 % et le secteur public 22 %.

Les contrôles sont assurés par le département et l'ARS, au titre respectivement de la dépendance et du soin. Dans les Hauts-de-Seine, nous avons grand mal à mener ces contrôles conjoints, d'abord parce que l'ARS a une approche régionale, ensuite, nous dit-on, parce que son personnel n'est pas suffisamment nombreux.

Les contrôles doivent-ils toujours être conjoints ou un seul contrôle pourrait-il regrouper les deux dimensions ? Il faut se poser la question.

Par ailleurs, aucun contrôle ponctuel d'établissement ne permet d'accéder aux éventuelles marges arrières des sociétés ; cela relève d'instances aux compétences plus larges, comme l'Inspection générale des affaires sociales (Igas).

J'ajoute que, malgré un récent décret, nous manquons encore d'un référentiel de contrôle opposable, qui permettrait l'application de sanctions. Avant les mesures extrêmes que sont la mise sous administration provisoire et la fermeture administrative, des sanctions financières pourraient être appliquées. Mais, en l'absence de référentiel opposable, elles ne sont que rarement mises en oeuvre, voire jamais.

Reste que le problème de fond, dans mon département comme ailleurs, tient au manque de personnel dans l'ensemble du secteur médico-social. Si un référentiel fixe des taux minimaux d'encadrement mais que le personnel manque, comment fait-on ? Un enfant de la crèche, on peut le rendre à ses parents, même si ce n'est pas facile pour eux...

Pour certaines catégories de personnels, comme les aides-soignants, il faudrait une formation et un accompagnement renforcés. Peut-être certains métiers doivent-ils aussi être revalorisés.

Enfin, l'Ehpad de demain sera-t-il le même que celui d'aujourd'hui ? L'Ehpad doit-il être un lieu de vie ou de fin de vie ? Du fait du développement du maintien à domicile, les personnes sont dans des situations de plus en plus complexes à leur entrée en établissement. Nous avons lancé une réflexion avec les professionnels sur ces sujets.

Par exemple, des personnes en situation de handicap qui vieillissent pourraient être hébergées dans des Ehpad renouvelés, pour apporter plus de jeunesse. Des personnes pourraient aussi séjourner en Ehpad de façon temporaire ou séquentielle, pour permettre à l'aidant de souffler. Quant aux personnes qui ont le plus besoin de soins, peut-être faudrait-il les rattacher au milieu hospitalier ?

M. Christophe Le Dorven, président du conseil départemental d'Eure-et-Loir. - Je vous remercie pour votre invitation. Il est toujours appréciable que la représentation nationale s'intéresse aux territoires, et je sais que le Sénat y attache une importance particulière.

L'Eure-et-Loir est un département très peu peuplé - vous connaissez peut-être la Beauce et ses grandes plaines... Mais le problème du vieillissement y est caractérisé : sur 430 000 habitants, 114 800 ont plus de 60 ans et 41 200 plus de 75 ans. Nos 43 Ehpad hébergent 4 186 personnes, dont environ les deux tiers à l'aide sociale.

Notre maillage territorial des Ehpad, calqué sur la carte des anciens cantons, est le fruit de la vision humaniste d'un de mes prédécesseurs, votre ancien collègue Martial Taugourdeau.

Sur ces établissements, 32 sont habilités à l'aide sociale, un est associatif et 10 sont privés à but lucratif, dont un seul du groupe Orpea. Ce groupe a vendu un autre établissement, qui n'était pas en milieu urbain. De fait, les groupes privés s'intéressent d'abord aux villes et, sans les collectivités territoriales, il n'y aurait plus rien à la campagne.

Si je voulais faire sourire M. Siffredi, je dirais que le budget social de son département est supérieur au budget total du mien... Sur un peu plus de 500 millions d'euros, nous consacrons 50 millions d'euros aux personnes âgées, dont 10 millions d'euros pour l'aide sociale à l'hébergement et 16,5 millions d'euros pour l'APA.

Le prix de journée moyen est de 58 euros. Dans les Hauts-de-Seine, pas sûr qu'un Ehpad privé fasse son beurre à ce tarif...

Dans une société où l'individualisme est grandissant, les valeurs familiales se délitent. La société évolue, la solidarité aussi. Depuis neuf mois que je suis président, je considère la solidarité envers les aînés comme une nécessité absolue, un devoir moral et une priorité. Nous le devons aussi aux familles - quand elles existent.

Dans cet esprit, j'ai lancé un plan pour le bien-vieillir, destiné principalement au milieu rural.

Il s'agit notamment de favoriser de nouvelles formes d'habitat, intermédiaires entre l'habitation historique et l'Ehpad, où l'on entre de plus en plus vieux et de plus en plus dépendant. Nous devons traiter la période de transition pendant laquelle les personnes, sans subir une perte majeure d'autonomie, ne peuvent plus rester à leur domicile.

L'Ehpad doit devenir une plateforme de services de proximité. Il faut aussi des plateformes pour l'aide à domicile.

Seulement voilà : comme il a déjà été souligné, nous manquons cruellement de personnel dans les établissements médico-sociaux, mais aussi dans les associations et les sociétés d'aide à domicile.

Si nous ne faisons pas un effort en matière de formation, d'attractivité, de rémunération et de conditions de travail, nous n'y arriverons pas. Car le pire est à venir en matière de vieillissement et de dépendance.

J'en viens à la question des contrôles. Un Ehpad d'Eure-et-Loir, qui a été repris par Orpea, est cité dans le livre Les Fossoyeurs. Depuis 2018, le conseil départemental a lancé un contrôle systématique de tous les Ehpad. Il n'en est pas ressorti de problème majeur dans la gestion de la dépendance. J'ai demandé à ce qu'on poursuive cet effort, y compris pour ce qui concerne les établissements accueillant des personnes handicapées et les établissements accueillant des enfants de l'aide sociale.

En effet, ce que vous avez pu lire dans « Les Fossoyeurs », vous pourriez également le lire pour ce qui concerne des établissements de l'aide sociale à l'enfance (ASE). En tant que présidents de département, nous pourrions avoir honte de placer des enfants dans certains établissements.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Nous avons déjà rencontré le représentant de l'Assemblée des départements de France (ADF), pour évoquer l'autonomie des personnes âgées. Toutefois, nous le savons, chaque département a une politique particulière, vous venez d'ailleurs d'en témoigner.

Je le rappelle, ce livre a eu un intérêt considérable, en soulevant un problème que nous n'avions pas envisagé auparavant, celui des établissements privés à but lucratif, pour lesquels les contrôles sont souvent inopérants, dans la mesure où il faudrait contrôler la totalité du groupe.

Ainsi, Orpea s'était organisé pour que tout remonte au niveau régional, voire au niveau national. Le rapport Igas-IGF a permis de dévoiler, au niveau des groupes, des dysfonctionnements, voire des malversations.

Le livre a également révélé le fait que l'État et les départements ne consacrent pas suffisamment d'argent aux personnes âgées. Nous attendons tous une loi sur l'autonomie, qui aurait dû arriver depuis de très nombreuses années. Elle devra donner aux établissements des moyens suffisants pour fonctionner correctement.

Qu'il s'agisse du livre de Victor Castanet ou du rapport de l'Igas et de l'IGF, on observe certaines constantes. Par ailleurs, le nouveau président directeur général d'Orpea, M. Charrier, a mis en place des audits indépendants, qui témoignent des mêmes dérives. L'enquête judiciaire est en cours, mais il me semble que l'on peut d'ores et déjà parler de malversations, auxquelles il convient de mettre fin.

Vous avez évoqué la difficulté à harmoniser les contrôles. Certains ont évoqué des contrôles communs, d'autres, des contrôles successifs. Il s'agit aujourd'hui de savoir qui contrôle, comment on contrôle et ce qu'on contrôle.

Il y a le contrôle de la qualité de l'accueil des personnes âgées, le contrôle du personnel, le contrôle exercé par le département, celui des ARS, et le contrôle de la réalité des états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD). Par ailleurs, certains agents relèvent à la fois du département et du budget soins.

Ma première question concernera donc l'organisation de la gouvernance, sujet sur lequel notre mission d'information devra trancher. Sans doute une gouvernance unique simplifierait-elle beaucoup les contrôles et la mise en place des budgets par les directeurs d'établissement.

Dans un précédent rapport, nous avions proposé de mener une expérimentation dans le cadre de laquelle cinq départements se chargeraient de toute la gouvernance, tandis que cinq ARS feraient la même chose sur d'autres territoires.

Régler ce problème de gouvernance permettra d'éviter un certain nombre des dérives constatées.

Les questions sont nombreuses et je souhaite que vous puissiez détailler vos réponses par écrit, car nous n'aurons pas le temps de tout évoquer ce soir. Je souhaiterais toutefois que vous puissiez nous dire ce que vous pensez des failles observées, en matière de contrôle, pour ce qui concerne les établissements privés à but lucratif, qu'il s'agisse des départements ou des ARS.

Pour ce qui concerne les personnels, il faut absolument trouver des ratios et des référentiels. Récemment, la HAS a publié un référentiel que nous devrons réussir à rendre opposable.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Les questions vous ont été envoyées par écrit, et nous comptons, comme vient de le dire mon collègue, sur vos réponses écrites.

Vous avez, messieurs les présidents, une bonne connaissance de la population de votre territoire, notamment de celles et ceux qui sont accueillis en Ehpad. Selon vous, en matière de connaissance de la population - je pense aux résidents, mais aussi aux professionnels -, qu'est-ce qui pourrait être amélioré ?

En matière de démocratie sanitaire, il existe dans chaque établissement un outil, à savoir le conseil de la vie sociale, dont la création remonte à 2002. Sans doute cet instrument n'est-il pas forcément opérant. Avez-vous des recommandations concrètes à formuler en matière de vie sociale et de remontées pour le bien-être des personnes accueillies et des professionnels ? C'est un peu en tant que lanceur d'alerte que je souhaite vous entendre. Ainsi Mme Bourguignon a-t-elle proposé, me semble-t-il, que des élus siègent aux conseils de vie sociale.

Par ailleurs, avez-vous eu à connaître de transferts d'exploitation d'établissement ? On le sait, ces transferts existent et contribuent à renforcer considérablement le nombre des établissements privés à but lucratif.

Messieurs Gleyze et Ménard, puisque vos départements appartiennent, au sein de l'ADF, à l'Association des départements solidaires, avez-vous des préconisations particulières à formuler ?

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Permettez-moi de compléter ma question relative à la gouvernance.

Le point GIR (groupe iso-ressources), qui correspond au niveau de perte d'autonomie, est très différent d'un département à l'autre. Seriez-vous prêts, demain, à harmoniser ce point GIR, afin que chacun puisse recevoir la même aide, qu'il s'agisse de la dépendance ou de la médicalisation ?

M. Christophe Le Dorven. - Le point GIR vient d'être augmenté de 9,4 %. C'est dire à quel point nous avons conscience de la nécessité d'une harmonisation. Nous aimerions pouvoir financer l'aide à l'autonomie comme le font nos voisins des Yvelines ou de l'Essonne. Toutefois, notre budget n'est pas extensible en la matière. Pour les territoires les plus ruraux ou, en tout cas, les moins peuplés, l'effort serait plus important que pour les départements plus métropolitains.

S'agissant de la gouvernance, vous avez tout à fait raison. Nous menons le plus grand nombre possible d'actions avec l'ARS, du moins avec le directeur territorial. Mais les relations se grippent au niveau du directeur général.

Si nous avions la possibilité d'exercer la gouvernance, les contrôles devraient être menés, avec l'ARS, par le territoire et non pas depuis la ville préfecture de région. En effet, les services déconcentrés n'ont pas les mêmes préoccupations que nous. Néanmoins, je le répète, nous travaillons vraiment ensemble.

S'agissant des conseils de la vie sociale (CVS), peut-être vais-je vous choquer, mais je dirai que, si un directeur d'établissement souhaite que le CVS ne serve pas à grand-chose, celui-ci ne sert pas à grand-chose. Les familles des pensionnaires sont généralement assez dociles. Le CVS ne constitue pas forcément la structure la plus opérante.

M. Georges Siffredi. - S'agissant des contrôles, la réponse à votre question dépend aussi d'une certaine vision : convient-il de centraliser ou de décentraliser ? Pour ma part, je prône plutôt la décentralisation.

Au-delà de cette question, il convient de nous mettre d'accord sur un référentiel. Par ailleurs, pour avoir une vision globale du groupe et, donc, d'éventuelles marges arrières, il faut une instance supérieure.

Vous proposez d'expérimenter plusieurs types de gouvernance. Le département des Hauts-de-Seine est prêt à mener une telle expérimentation. Nous avons d'ores et déjà élaboré un référentiel comportant trois séries de contrôle.

Concernant les CVS, il faudrait réussir à les développer. Pour autant, même s'il paraît séduisant d'y faire siéger un élu, cela me paraît difficile concrètement. Ainsi, dans mon département, nous avons 108 Ehpad. Comment le vice-président ou le conseiller délégué pourrait-il siéger au CVS de chacun de ces établissements ?

L'important, selon moi, c'est que le CVS devienne un vrai lieu d'échanges et de vie, avec de vrais comptes rendus et de vraies remontées. Or, aujourd'hui, on a le sentiment que les familles y sont sous-représentées et s'y expriment peu.

Il s'agit d'un point important, qui est lié non seulement au contrôle de l'établissement, mais aussi à l'aspect qualitatif de la vie de l'établissement. Dans mon département, le nombre d'appels au 3977 était très faible. Depuis la sortie du livre, ils ont considérablement augmenté.

Sur la question du transfert d'établissements, ce sont les groupes privés associatifs qui ont tendance, depuis une dizaine d'années, à reprendre l'exploitation de petits établissements.

Faut-il harmoniser le point GIR ? Il faudrait déjà réussir, au sein d'un département, à opérer une harmonisation entre les différents établissements. Depuis 2015, nous oeuvrons en ce sens, malgré les difficultés que nous rencontrons. Pour autant, nous revalorisons chaque année le point GIR de 0,5 %.

M. Jean-Luc Gleyze. - Je répondrai à vos questions en m'efforçant de les mettre en perspective.

Les constats sont les suivants : les outils de contrôle sont insuffisants et nous n'avons pas de vision sur la section hébergement des établissements privés à but lucratif.

Les réponses actionnables sont trop binaires. En effet, il n'est pas possible de fermer les Ehpad ni de placer sous administration provisoire les établissements privés à but lucratif.

Je souhaite également insister sur la déconnexion entre les outils conventionnels, notamment les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens, les CPOM, que l'on pourrait appeler les CPO, car il s'agit plutôt de contrats pluriannuels d'objectifs et non pas de moyens, et les financements, ce qui prive les autorités de tutelle d'une capacité de négociation, mais aussi de coercition, en cas de non-respect des termes de la convention.

Si les CPOM ont la vertu de créer un lieu d'échange tripartite, ils n'ont pas permis de mettre en place des outils de pilotage de la qualité au regard des financements.

Les dotations financières sont uniquement assises, vous l'avez dit, sur le niveau moyen de dépendance, qui est un élément évidemment important, mais empêche de tenir compte du statut du gestionnaire, du contexte territorial urbain ou rural et de la politique qui peut être menée dans l'établissement, notamment en matière d'innovation. Aujourd'hui, les innovations intéressantes sont uniquement appréhendées sous l'angle des appels à manifestation d'intérêt.

Depuis la loi ASV, la loi d'adaptation de la société au vieillissement, la disparition de la notion de ratios d'encadrement constitue un fait majeur. Pourtant, ce devrait être une condition essentielle de la prise en charge qualitative, qui est liée à la question des moyens.

Il manque aussi une politique d'évaluation de la qualité. Celle-ci repose aujourd'hui sur des outils perfectibles. Des évaluations externes relèvent d'un nouveau référentiel de la Haute Autorité de santé (HAS), mais l'obligation faite aux établissements de mener les enquêtes de satisfaction en interne les laisse tout de même relativement libres des modalités de mise en oeuvre, ce qui peut créer un doute sur la neutralité du recueil de la parole des usagers.

Les outils de détection des maltraitances sont trop éclatés, avec trois canaux : l'ARS, le département et le 3977. Ainsi les saisines sont-elles assez rares, même si elles sont aujourd'hui en augmentation. Nous observons une grande difficulté à recouper les informations pour analyser correctement les signaux faibles.

Pour ce qui concerne la gouvernance et les contrôles, les vécus sont différents selon les départements. Or ces derniers devraient enrichir l'animation de la politique publique, notamment en s'appuyant sur leur connaissance des territoires et des parcours des personnes.

En se fondant sur ces constats, pourquoi ne pas imaginer un traitement différencié des Ehpad, selon le type de gestionnaire et le contexte dans lequel ils s'inscrivent ? Dans une telle perspective, il faudrait rendre possible une modulation des financements fondamentaux, au-delà de la seule question du niveau de dépendance moyen, pour créer des incitations à l'innovation, au partenariat avec les acteurs locaux, à l'Ehpad hors les murs, à la porosité entre l'Ehpad et le monde extérieur et à la mise en place de politiques de prévention, par exemple un système de bonus-malus. Surtout, il faudrait que les CPOM deviennent de véritables cadres de négociation, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

J'en viens au GIR. Certes, on peut toujours définir un certain nombre d'indicateurs constituant un cadre d'évaluation. Je pense notamment au rapport soignants-résidents, à la présence d'infirmiers de nuit et d'un médecin coordinateur. En revanche, ces indicateurs ne font pas référence à la place donnée aux aînés, au projet d'établissement, aux relations avec la famille et l'environnement immédiat, ni aux ressources en santé du territoire, autrement dit aux leviers susceptibles de garantir une prise en charge plus qualitative.

Pilotage des ressources ne signifie pas qualité et respect du projet d'accompagnement. Il faut un pilotage de l'humain par l'humain. Permettez-moi de vous donner un exemple extrêmement concret. La grille GIR, c'est le constat de l'accompagnement à la perte d'autonomie, donc de la dépendance. On pourrait inverser cette grille et l'énoncer en termes de garantie, le plus longtemps possible, du maintien de l'autonomie.

La méthode dite SMAF, ou système de mesure de l'autonomie fonctionnelle, a été mise en oeuvre au Canada et en Dordogne. C'est un instrument d'évaluation de l'autonomie, qui prévoit 29 fonctions recouvrant les activités quotidiennes. Il permet d'estimer le temps de soins requis par un groupe d'individus hébergés.

J'ai eu l'occasion d'aller en Dordogne pour m'instruire sur le sujet. La grille est utilisable par l'ensemble des personnes présentes dans l'Ehpad, y compris par l'agent d'entretien, qui peut en faire un outil d'approche, d'évaluation et de compréhension de l'évolution de l'état de la personne âgée. C'est un outil précieux pour un gestionnaire parce qu'il permet d'adapter les besoins en personnels, en fonction des besoins réels et évolutifs des résidents. Il permet de créer 14 profils iso-SMAF, pour harmoniser les pratiques sur des groupes identifiés. L'un des avantages se situe au niveau du financement des structures, la méthode permettant de concilier efficacement les besoins des acteurs du système et d'allouer judicieusement les ressources humaines. Elle redonne du sens, en permettant de travailler sur l'autonomie et non plus sur la dépendance.

Pour ce qui concerne les outils de contrôle, il faut rendre possible, dans la mesure où la fermeture d'établissement constitue une vraie difficulté, l'équivalent de l'administration provisoire dans le secteur lucratif, en installant une autorité de contrôle nationale, qui soit capable de contrôler les sièges des établissements et de consolider les informations financières. Il convient ainsi de faciliter le recours au contrôle des établissements par les chambres régionales des comptes. Nous devons rester fidèles au principe de confiance aux partenaires, consubstantiel à la loi ASV, tout en musclant les leviers financiers et coercitifs.

Je propose aussi de mettre en place des modalités d'évaluation de la qualité reposant sur le recueil de la parole des usagers, en favorisant la liberté de parole, éventuellement par le biais d'un organe national indépendant. La parole doit être recueillie après la prise en charge de la personne. En effet, les familles ont parfois des difficultés à exprimer la réalité de ce qu'elles constatent, parce qu'elles ne veulent pas se trouver en difficulté et devoir placer ailleurs leur aîné.

Nous devons également mettre en place un outil de recueil intégré des informations de maltraitance et de négligence. Nous avons, en Gironde, un outil qui s'appelle la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP), pour la protection de l'enfance.

S'agissant de nos relations avec les ARS, nous pouvons sans doute imaginer certaines évolutions. Ainsi, il convient de créer un comité de coordination des acteurs oeuvrant au recueil des signalements. Nous devons consolider une porte d'entrée unique en la matière, en nous appuyant sur une plateforme numérique de signalement gérée par l'ensemble des acteurs. À cet égard, nous faisons appel à l'aide de l'État, pour expérimenter une telle plateforme.

Nous imaginons aussi une commission conjointe des plaintes et des signalements. Nous sommes d'accord avec l'ARS pour faire évoluer le champ stratégique, en privilégiant les situations les plus graves et sensibles, pour construire un plan de contrôle.

Peut-être cette commission répond-elle à la question de la gouvernance. Plus qu'une gouvernance unique, c'est la manière dont nous pratiquons la collaboration et le partenariat entre l'ARS et le département qui nous permet de garantir, de façon intégrée, la gouvernance la plus efficiente possible, notamment pour ce qui concerne les contrôles. L'appui de l'État central serait le bienvenu dans ce cadre.

Nous avons amorcé avec l'ARS un plan de contrôle partagé, afin de recueillir les signaux faibles et plus forts et d'intervenir plus rapidement, notamment en mettant en place une administration provisoire, ce qui, à l'heure actuelle, n'est pas possible.

M. Michel Ménard. - Madame la rapporteure, l'association des départements solidaires a été créée pour expérimenter, innover et partager des expériences, particulièrement dans le champ de l'innovation sociale. Nous travaillons notamment sur les questions de l'habitat inclusif, des villages seniors, des résidences autonomie et des résidences sociales.

S'agissant de l'autonomie, faut-il renforcer les départements dans leurs compétences ? Ma réponse est oui. À mes yeux, il n'est désormais plus nécessaire de confirmer l'intérêt de la décentralisation, et j'appelle d'ailleurs à franchir une nouvelle étape en ce sens, et pas simplement pour ce qui concerne les personnes âgées. Il y a une tentation permanente de l'État de recentraliser face à certaines difficultés. Voilà peu, une proposition de loi visant à recentraliser la protection de l'enfance a été déposée.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Par M. Iacovelli, qui est membre de notre commission.

M. Michel Ménard. - Je pense que ce n'est pas une bonne idée. La responsabilité de l'État est totale pour ce qui concerne l'hôpital. Que les services centralisés améliorent les conditions d'accueil à l'hôpital avant de s'interroger sur la recentralisation de la prise en charge des personnes âgées !

Il ne s'agit pas de critiquer l'ARS, avec qui nous avons des relations de confiance. Nous constatons simplement que, si nous faisons quatre contrôles conjoints dans l'année, c'est parce que l'ARS nous dit ne pas avoir les moyens d'en faire plus. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai souhaité que nous menions unilatéralement des contrôles flash allégés et inopinés, afin d'envoyer aux gestionnaires d'établissement le message suivant : vous pouvez être contrôlés à tout moment.

Après la sortie du livre de M. Castanet, nous avons reçu les directeurs des cinq établissements Orpea de notre département. Ils étaient d'accompagnés de la directrice régionale, et nous avons eu le sentiment que la parole était assez encadrée.

L'État a un vrai rôle à jouer concernant le contrôle financier de ces groupes, et les services fiscaux pourraient se saisir de cette question, qui ne relève pas de nos compétences.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Il faut effectivement une connaissance précise du groupe, à tous les niveaux. Il ne s'agit pas uniquement des remises de fin d'année (RFA) !

M. Michel Ménard. - Sur les transferts d'établissement, je sais qu'un établissement de Nantes a été transféré au groupe Korian.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Il s'agit surtout de savoir s'il s'agit d'une stratégie de la part de ces groupes...

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Nous avons reçu la liste de tous les établissements transférés depuis dix ans ou quinze ans. Il y en a énormément !

M. Michel Ménard. - Nous n'en sommes pas informés, puisqu'aucune autorisation n'est nécessaire dans ce cadre. Sans doute y a-t-il là matière à agir au niveau législatif.

Comme mes collègues, je suis pour une vraie loi « grand âge » visant à octroyer les moyens financiers, et donc humains. En effet, même s'il existe des difficultés de recrutement, des moyens financiers élargis amélioreraient grandement les choses, en rendant les métiers plus attractifs. Il s'agit là d'une responsabilité nationale.

Quant aux départements, ils doivent pouvoir assurer entièrement leurs responsabilités, qu'il s'agisse des personnes âgées, des personnes en situation de handicap ou de la protection de l'enfance.

Mme Élisabeth Doineau. - La question de la gouvernance a été soulevée au Sénat dans le cadre du rapport de la Cour des comptes, qui avait été commandé par la commission des affaires sociales. L'augmentation du GIR moyen pondéré (GMP) nous montre que les personnes âgées accueillies en Ehpad ont désormais des pathologies très lourdes, le domaine sanitaire semblant prendre le pas sur le domaine médico-social, ce qui conduirait à confier la prise en charge aux ARS.

Néanmoins, j'entends bien votre désir de conserver dans le giron des départements cette compétence. En tant que conseillère départementale depuis vingt ans, c'est une politique qui me tient également à coeur.

Une expérimentation paraît donc nécessaire. Quoi qu'il en soit, relisez ce rapport de la Cour des comptes, car il me paraît important de tenir compte de son constat et de son analyse.

L'ADF a-t-elle fait une enquête sur le nombre de départements ayant lancé des CPOM ? Combien d'Ehpad sont-ils couverts par des CPOM dans vos départements respectifs ? Il s'agit en effet d'un cadre de négociation important.

J'avais suggéré au président de mon département de se lancer dans les démarches qualité. Nous le faisions depuis très longtemps pour le réseau Habitat Jeunes, avec les démarches RSO et le recueil des parties prenantes, donc des usagers, qui ont véritablement permis d'apporter une plus-value.

Le nombre de CPOM signés dans l'ensemble de nos départements serait intéressant à connaître. Ces contrats témoignent en effet d'un engagement et d'une culture de partage.

M. Christophe Le Dorven. - S'agissant des CPOM, seulement un tiers des établissements sont concernés en Eure-et-Loir.

J'évoquais tout à l'heure l'audit généralisé de l'ensemble des établissements d'Eure-et-Loir réalisé en 2018 et 2019. Or c'est sur la base de ce que nous avions constaté que ces CPOM ont été construits, et c'est essentiel à mes yeux.

Vous vous interrogez en effet, madame la sénatrice, sur un CPOM type. Certes, un document homogène, quel que soit le département et l'établissement, paraît nécessaire pour que l'ARS puisse s'y retrouver. Malgré tout, il faut vraiment tenir compte de la vie de chaque établissement. Je distinguais tout à l'heure les Ehpad ruraux des Ehpad urbains, et les contrats doivent tenir compte de la situation territoriale de chaque établissement.

M. Georges Siffredi. - Ne soyons pas trop sévères ! En 2022, nous arrivons à la fin des premiers contrats, qui ont débuté voilà cinq ans. En outre, la crise du covid est venue compliquer la situation pendant deux ans. Cherchons à améliorer la deuxième génération de contrats ! Dans mon département, l'ARS Île-de-France bâtit l'essentiel du CPOM.

Vous avez évoqué, madame la sénatrice, une médicalisation de plus en plus grande faisant davantage appel aux compétences de l'ARS. La partie « santé » doit-elle être rattachée à un hôpital ? Les Ehpad doivent-ils rester des lieux de fin de vie ou bien convient-il de réfléchir à l'Ehpad de demain, plus intégré, avec du qualitatif et de la vie, ouvert sur l'extérieur ?

Les Ehpad ne doivent-ils plus accueillir que des gens de quatre-vingt-quinze ans en fin de vie ? Je rappelle à cet égard que nous développons énormément le maintien à domicile. Pour ma part, je ne vois pas l'Ehpad de demain de cette manière. Il convient donc que les établissements continuent de relever de la compétence départementale.

M. Jean-Luc Gleyze. - Je tiens à rassurer mon collègue de Loire-Atlantique, je reste fondamentalement girondin. S'agissant des expérimentations proposées, vous aurez plus de candidats pour la place de pilote départemental que pour celle de pilote ARS !

Le CPOM est considéré davantage comme un outil de gestion financière et budgétaire que comme un outil stratégique de pilotage par la qualité.

Je pourrai vous communiquer le chiffre du nombre de CPOM signés en Gironde. Quoi qu'il en soit, nous avons un diagnostic partagé des fiches actions. Nous avons travaillé avec l'ARS Nouvelle-Aquitaine dans ce cadre. Il existe une forme de standardisation des CPOM, avec un cadre référencé et normalisé. Pour autant, les fiches actions sont personnalisables.

Pour faire du CPOM un outil utile, il faut un bon diagnostic, fondé sur l'offre existante du territoire et la réalité des besoins actuels et émergents. Un CPOM doit traduire concrètement les orientations politiques déclinées dans le schéma départemental et constituer, je l'ai dit précédemment, une forme de contrat de confiance fondé sur le dialogue entre la collectivité, l'ARS et les partenaires. Il peut donc être propice à l'innovation sociale. Un certain nombre d'établissements sont volontaires.

En Gironde, nous avons beaucoup évolué en matière d'habitat partagé et d'habitat inclusif. Par ailleurs, nous expérimentons des CPOM territorialisés, qui s'intéressent au parcours de vie des personnes âgées. L'idée est de mettre autour de la table, notamment, l'ARS, le centre hospitalier local, les centres locaux d'information et coordination (CLIC), les méthodes d'action pour l'intégration des services d'aide et de soin dans le champ de l'autonomie (MAIA), les services publics et privés d'aide à domicile, la MSA, la CAF. Cela permet à chacun d'apprendre à se connaître, tout en induisant un certain nombre de réflexes dans la prise en charge du parcours. Qui téléphone à qui ? Qui prend en charge ? Comment les choses se passent-elles durant le week-end ? Il s'agit de garantir une fluidité dans la continuité du parcours.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Dans le cadre des CPOM territorialisés, les directeurs des établissements sont-ils associés  ?

M. Jean-Luc Gleyze. - Jusqu'à présent, nous sommes restés sur le sujet de l'aide à domicile. Toutefois, on peut imaginer, dans le cadre des parcours amont et aval, des séjours en Ehpad.

M. Michel Ménard. - Madame la sénatrice de la Mayenne, en Loire-Atlantique, 72 % des Ehpad ont signé un CPOM. Par ailleurs, pour 12 % d'entre eux, le CPOM est en cours de rédaction.

La négociation des CPOM est précédée d'une réévaluation du GIR moyen pondéré.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Le contrôle des établissements doit s'accompagner d'un contrôle financier. C'est là que nous avons péché, en ne voyant pas les failles du système.

Il nous faut parvenir à contrôler au niveau local ces groupes privés associatifs ou à but lucratif, y compris pour ce qui concerne les prix d'hébergement. À l'heure actuelle, le secret des affaires nous empêche de le faire. Dites-nous comment vous envisagez des contrôles sur l'hébergement ou la réalité de la présence du personnel. En effet, Orpea n'est pas seul en cause. De nombreux autres groupes fonctionnent de la même manière.

Nous devrions rendre notre rapport en juin. Il traitera des différentes manières de renforcer le contrôle et incitera très certainement à l'application d'une loi « grand âge ».

M. Georges Siffredi. - Il faut un référentiel comptable !

Mme Catherine Deroche, présidente. - On parle souvent des familles, mais certains résidents sont souvent considérés - pour leur bien ! - comme des objets plus que comme des sujets à part entière.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Si vous le permettez, madame la présidente, j'ai envie de mettre en avant le mot de « confiance », qui a été utilisé plusieurs fois sur ce sujet. La confiance, toutefois, n'exclut pas le contrôle.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie, messieurs les présidents, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de votre participation à cette audition.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 15.