Assises de la subsidiarité



Palais du Luxembourg, 24 octobre 2008


DEUXIÈME SESSION :

LE CONTRÔLE POLITIQUE ET JURIDICTIONNEL DE LA SUBSIDIARITÉ : UN ENJEU DÉMOCRATIQUE POUR LES CITOYENS

Présidence de M. Denis BADRÉ, Sénateur des Hauts-de-Seine, Vice-président de la Commission des Affaires européennes du Sénat français

Chers amis, nous allons commencer sans plus tarder, si vous le voulez bien.

Ceux qui n'ont pas encore trouvé de sièges vont en trouver incessamment. Ceux qui sont debout, sont invités à s'asseoir et ceux qui sont assis sont invités à accepter que je préside avec autant de fermeté que Monsieur Delebarre tout à l'heure. J'essaierai de le faire aussi avec autant de courtoisie et de gentillesse. Alors, vous pardonnerez la fermeté et nous vivrons ensemble dans la convivialité et la courtoisie, si vous le voulez bien. Mais comme nous avons un après-midi très chargé, je ne veux pas attendre plus pour commencer.

Je voulais d'abord, au moment de commencer, vous adresser des salutations. Je suis heureux de retrouver dans la salle un certain nombre d'amis. Le Président Van Den Brande aurait été là, je l'aurais salué, bien sûr, à ce titre d'abord, non pas comme votre Président, mais comme un ami, puisque j'ai le plaisir de le retrouver régulièrement à la COSAC ou à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Nous avons pris l'habitude de travailler ensemble et nous avons une vieille complicité maintenant. Je salue parmi vous les parlementaires nationaux, qui sont ici et que je rencontre plus souvent que les autres. Ceux que je connais un peu moins bien, les membres de votre Comité, je les salue bien sûr encore plus cordialement si c'est possible. Pourquoi ? Parce que je vous remercie. Je vous remercie et je trouve que vous faites un geste très fort en demandant à quelqu'un qui n'est pas l'un des vôtres, qui n'est pas un membre du Comité des régions, de présider votre séance. C'est peut-être le signe d'une attente de votre part, en direction des parlementaires nationaux. Je pense que nous devons, nous, parlementaires nationaux, répondre à cette attente parce que nous sentons les mêmes besoins.

En réalité, ce que je retiens de cette matinée et que nous savions les uns et les autres avant même cette matinée, c'est que nous sommes engagés les uns et les autres dans la construction d'une Europe qui doit être l'Europe des européens. Et chacun - que nous soyons élus locaux, régionaux ou nationaux- devons y prendre notre place et notre responsabilité, si nous voulons que l'Europe fonctionne. Je crois que le sens des messages, envoyés par les referendums négatifs que nous avons vus dans notre Union, depuis maintenant quelques années, est que nous devons écouter les citoyens, qu'il faut leur donner la parole. Qui d'autre, mieux que vous ou que les parlementaires nationaux peut s'engager à porter cette responsabilité? Donc, c'est dans cet esprit que je vais essayer d'animer notre après-midi.

Après que ce matin nous ayons travaillé sur les enjeux de bonne gouvernance, nous allons cet après-midi, travailler sur les enjeux de bonne démocratie. Nous allons donc mettre enfin "l'européen" au coeur de notre débat. Après vous avoir remerciés de m'accueillir parmi vous au point de me confier la Présidence de vos travaux, je voulais vous dire que j'étais heureux d'assumer cette responsabilité au titre de la Présidence française de l'Union européenne. C'est très normalement, donc, que le Sénat vous accueille ici à ce titre, comme nous allons accueillir dans dix jours la COSAC, ici, dans ce même Sénat français et dans le même esprit, et que nous travaillerons largement sur les mêmes sujets. Nous sommes donc bien en phase sur toutes ces questions. Si je puis dire, "Comité des régions, COSAC, même combat!" Le combat de l'Europe pour les européens.

Venons-en à la subsidiarité, dans l'acception des européens. Je vais vous proposer une petite introduction. Ensuite, plusieurs personnalités viendront à cette table ronde donner leurs points de vue.

Nous essaierons de mener tout cela assez rondement d'abord parce qu'il faut que les choses soient menées ainsi, si l'on veut qu'elles soient reçues. Et aussi parce que, on le disait ce matin, le "train de Sénateur" peut être un TGV.

Je rappellerai simplement, en introduction, cela a été dit ce matin, que c'est le traité de Maastricht, qui pour la première fois, juridiquement, a parlé de subsidiarité et retenu ce terme. On l'oublie un peu, parce que le traité de Maastricht, c'est d'abord, pour beaucoup de gens, le traité de l'Euro, le traité de l'union monétaire.

Le traité de Maastricht, c'est aussi le traité de la politique extérieure et de sécurité commune. Seuls les très initiés savent que c'est à l'occasion du traité de Maastricht qu'a été introduit le terme de subsidiarité. C'est le troisième point fort du traité de Maastricht, il ne faut pas l'oublier.

Le traité de Maastricht a parlé de subsidiarité en en faisant la règle commune de la construction européenne. "Règle commune" signifie, règle applicable chaque fois qu'il y a un problème. Pour tout ce qui est de la compétence exclusive de l'Union européenne, il n'y a, normalement, pas de problème. Sauf, peut-être, aux limites. On peut être en situation de s'interroger sur le point de savoir si l'on est vraiment dans la compétence, ou un petit peu à côté. Il faut rester vigilant, de façon à ce que l'Union européenne ne déborde pas au-delà des frontières de sa compétence.

Pourquoi le principe de subsidiarité a-t-il été introduit dans le traité de Maastricht? Je parle à côté de mon voisin, Monsieur Volker Hoff, du Bundesrat allemand, et rappelle donc que c'est largement à la demande des Allemands. Je crois qu'au coeur de nos débats, il faut bien voir la diversité de nos situations. Nos amis allemands "font" du principe de subsidiarité comme ils respirent, comme ils "font" du fédéralisme comme ils respirent. C'est quelque chose de complètement naturel pour eux.

Pour un Français, ce n'est pas naturel du tout. Dans un pays complètement centralisé comme la France, on ne comprend pas. Le mot "fédéralisme" en France est même pratiquement un gros mot! Or, c'est ensemble que nous construisons l'Europe. Il faut donc savoir ce que chacun met derrière les mots pour travailler ensemble, en s'enrichissant des conditions dans lesquelles nous pouvons, les uns et les autres, dépasser nos difficultés.

J'ai souvenir d'une réunion de Sénateurs français accueillis au Bundesrat. Pour certains Français, c'est avec stupéfaction qu'ils regardaient leurs collègues allemands sur les problèmes de relations entre les länder et le niveau fédéral.

Revenus chez nous, nous nous sommes aperçus, en accueillant nos amis allemands, qu'ils nous disent "C'est curieux! Vous faites de la décentralisation. Et vous êtes obligés, partant d'un État centralisé, d'essayer de renvoyer des pouvoirs à partir du centre." Nous sommes engagés dans des opérations de décentralisation, qui par nature, relèvent d'un "principe" centralisé! C'est évidemment très difficile.

Il faut une bonne compréhension entre les deux approches, ou en tout cas, essayer de réduire les difficultés des uns et des autres, autour de l'ambition commune.

Si nos amis allemands étaient largement à l'origine de l'inscription dans le traité de Maastricht de la subsidiarité, c'était dans un contexte où, après l'Acte unique européen, ils avaient pu avoir le sentiment d'un certain débordement législatif. Beaucoup de dispositions avaient été prises, et trop aux yeux de certains qui considéraient qu'il fallait se réadresser aux États, aux länder , aux Provinces, aux régions, et que Bruxelles en faisait trop. Il y a eu alors une sorte de retour en arrière. Il fallait retrouver un équilibre. C'est dans ce contexte que le débat s'était ouvert au moment de Maastricht. Mais il faut être juste: le débat n'aurait pas été ouvert à ce moment-là, les choses n'auraient pas beaucoup changé dans les dix années qui ont suivi.

Mais, jusqu'à ce que le problème soit clairement posé avec notre réforme institutionnelle actuelle, les conséquences au titre de la subsidiarité de l'application du traité de Maastricht sont restées très restreintes. Ce n'est que dix ans après qu'on a vraiment remis ce sujet sur le tapis. C'est la Convention sur l'Avenir de l'Europe qui, en 2002, a repris le travail, de nouveau sur l'impulsion des allemands. Je crois qu'il faut rendre à nos amis et voisins allemands ce qui leur revient. Ce sont eux qui ont repris le dossier considérant que les problèmes intérieurs qu'ils connaissent seraient encore beaucoup plus importants au sein de l'Union.

Le groupe de travail qui a été mis en place à ce moment-là a admis que le principe de subsidiarité ne prendrait toute sa portée qu'à condition que l'on mette en place un mécanisme spécifique. Quelqu'un disait ce matin qu'il fallait être concret, ne pas en rester au discours. C'est vrai. Comment va-t-on faire? Qui va contrôler quoi? Qu'a-t-on à contrôler et qui va s'en charger? Quelles sanctions y aura-t-il?

C'est le grand mérite de la Convention, puis de ceux qui ont travaillé sur le traité institutionnel, puis sur le traité de Lisbonne, d'être arrivé à bâtir un mécanisme. Le point le plus délicat étant de savoir quels acteurs pourraient participer au mécanisme de contrôle de la subsidiarité. Là, nous sommes en plein dans notre débat entre Parlementaires nationaux et élus régionaux. Ce débat, nous l'avons eu très souvent à la COSAC. Très souvent, nous nous posons la question de savoir qui va répondre sur ce sujet: les Parlements régionaux à compétences législatives, les régions, ou les Parlements nationaux? Le débat a été largement avancé, jusqu'à ce qu'un compromis ait été dégagé, consistant en ce que les régions - et notamment celles à pouvoirs législatifs - participent indirectement au contrôle de subsidiarité, d'une part par le Comité des régions, et d'autre part par l'intermédiaire des Parlements nationaux. Pour autant, elles seront parties prenantes à ce débat.

Plus personne ne revient là-dessus. La difficulté actuelle est de faire fonctionner ce réseau des régions et des Parlements nationaux. C'est dans ce contexte que nous allons faire fonctionner ce que Madame Wallström rappelait ce matin: l'alerte précoce, l'alerte orange.

Notre ami Han Ten Broeke y reviendra sans doute tout à l'heure. Je dirai donc simplement que je trouve sympathique que cette alerte soit appelée "orange" alors qu'elle émane largement de nos amis des Pays-Bas. C'est une couleur que vous aimez! Quant à l'alerte rouge, elle ne peut être mise en oeuvre que par un certain nombre de Parlements nationaux. Nous sommes donc condamnés, ou invités, comme chacun le sentira, à travailler ensemble, ce qui est une très bonne chose. Nous allons obligatoirement devoir, à partir du moment où l'un de nos Parlements évoquera un problème, en faire état auprès des autres de manière à en trouver un nombre suffisant, propre à déclencher l'alerte complète.

Nous réfléchissons actuellement à une manière de mettre en place l'alerte. Nous sommes donc en train de mettre en place un réseau - et c'est facile à faire avec les technologies modernes - qui fait que nous serons en alerte permanente sur tous les sujets.

En bref: nous cherchons d'abord comment nous ferons, nous mettons en place la procédure, et si besoin est nous ouvrons la procédure, de manière à aller très vite. Car la difficulté et la rançon de la subsidiarité sont de ne pas faire perdre de temps. Le plus souvent, il n'y aura pas de problème. Nous serions alors gravement coupables de bloquer des initiatives utiles. Mais en cas de problème, celui-ci doit être résolu rapidement. Donc organisons-nous, vraiment, de manière rapide, pour que nous puissions traiter de cette subsidiarité, chacun sachant ce qu'il a à faire, ou comme le disait l'un des intervenants ce matin chacun ayant à faire "tout ce qu'il a à faire, rien que ce qu'il a à faire!". À nouveau, un des avantages de la difficulté est que cette nécessité de mettre en oeuvre des procédures, qui pourraient être très lourdes, va nous amener à développer un dialogue direct entre parlementaires nationaux et responsables des régions.

Et c'est une bonne chose. Je dis souvent que l'Union européenne se fait bien sûr à Bruxelles ou à Strasbourg, mais largement aussi dans toutes nos capitales et dans toutes nos régions. Partout où des européens se rencontrent, c'est l'Europe qui se construit. Donc, le réseau que nous devons mettre en place, parlementaires nationaux et élus des régions, est capital pour l'avenir de l'Europe. C'est là que se construira l'Europe des européens.

J'en reste là pour cette introduction et je reprends ma casquette de modérateur. Vous accepterez, maintenant que vous êtes à peu près tous arrivés dans la salle, que je sois gentiment ferme, mais un petit peu ferme. Je demande aux intervenants de la tribune de limiter leurs propos à trois ou quatre minutes, puisqu'ils sont une quinzaine. Si nous voulons terminer à dix-sept heures, et que la salle puisse s'exprimer, il va falloir être très concis. Je vous en remercie d'avance.

Nous devons traiter deux thèmes dans l'après-midi.

Le premier sujet - concernant cette gouvernance, cet intérêt démocratique de la subsidiarité, cet impact pour le développement de la démocratie en Europe, et la mise en oeuvre de la subsidiarité - sera traité en deux parties successives. D'abord, nous évoquerons les conditions dans lesquelles on peut développer une coopération entre les gouvernements nationaux et les régions. Dans une deuxième partie, nous traiterons le contrôle juridictionnel de la subsidiarité et la mise en sanction éventuelle des difficultés que l'on pourrait rencontrer.

Dans la première partie, nous allons donner successivement la parole à deux vagues d'intervenants. Cinq d'entre eux sont déjà à la tribune. Deux de ceux qui étaient prévus ne seront pas parmi nous.

Il s'agit de mon collègue et ami Jacques Blanc - qui a été Président du Comité des régions et très tôt à l'origine de ce Comité. Il est retenu par une réunion de l'Association nationale des élus de la montagne, dans le Massif Central français, et il m'a chargé de vous dire combien il regrettait de ne pas être là - et de notre collègue luxembourgeois, Monsieur Mosar.

Vous avez à la table actuellement, à ma droite, Madame Bilbao, qui nous vient du Parlement basque, Monsieur Volker Hoff, du Bundesrat , Monsieur Sefzig, Président de la Commission des Affaires européennes du Parlement tchèque, Monsieur Jan Ten Broeke, Député néerlandais, et Madame Papademetriou, que j'ai eu aussi le plaisir de rencontrer dans d'autres enceintes, et qui nous vient de Grèce.

Madame Bilbao, vous pouvez commencer.

Page mise à jour le

Partager cette page