Forum des Sénats du monde


Palais du Luxembourg, 14 Mars 2000

II. - COMPTE RENDU INTÉGRAL DES DÉBATS DU FORUM DES SÉNATS DU MONDE (14 MARS 2000)

ALLOCUTION D'OUVERTURE DE M. LE PRÉSIDENT DU SÉNAT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

M. Christian Poncelet, président du Sénat de la République française. Mesdames et messieurs les présidents des Sénats, mesdames et messieurs les parlementaires, mesdames et messieurs les ambassadeurs, mesdames et messieurs les membres du Bureau du Sénat, mesdames et messieurs les délégués, chers amis, eh vous adressant ces quelques paroles de bienvenue au Sénat de la République française, ici même, dans la salle des séances, en ce 14 mars 2000, je ressens une émotion toute particulière.

Émotion toute particulière, puisque c'est la première fois, dans l'histoire des Parlements, que les présidents des Sénats se retrouvent pour débattre du bicamérisme. La signification de cet événement est d'autant plus forte qu'il se déroule en une année déjà hautement symbolique en soi, l'année 2000.

Émotion toute particulière également devant le nombre et la qualité des délégations qui ont décidé de répondre positivement à l'invitation lancée par leurs collègues du Sénat français, malgré l'éloignement et la durée du voyage pour beaucoup d'entre vous, et en dépit aussi - et nous avons péché par excès de modestie - de la trop grande brièveté de cette rencontre : une seule journée, c'est à l'évidence trop court pour débattre de nos problèmes communs, de la situation et des perspectives du bicamérisme à l'aube du troisième millénaire.

Qu'avons-nous en effet, chers amis, en commun ?

Nous avons tout d'abord en commun, et de ce point de vue le constat est clair, d'appartenir à des institutions, les Sénats et secondes chambres, dont le nombre et le rayonnement traduisent à l'évidence une extrême vitalité : nous étions quarante-cinq en 1970, nous sommes aujourd'hui près de soixante-dix, et nous serons très certainement plus de quatre-vingts dans quelques années, puisqu'une douzaine d'États ont d'ores et déjà pris la décision d'adopter, comme nous-mêmes, le système bicaméral, ou décidé d'engager le processus conduisant au bicamérisme.

Nous avons également en commun d'appartenir à des institutions que caractérise l'extrême diversité de leurs compositions et de leurs fonctions. La diversité est consubstantielle au bicamérisme parce que les Sénats sont les révélateurs des réalités sociales et politiques des différents pays. Si les premières chambres ont toujours et partout plus ou moins les mêmes modes d'élection et les mêmes fonctions, en revanche, les Sénats peuvent s'affranchir de ce modèle abstrait, diversifier la représentation, mieux prendre en compte la réalité sociologique, évidemment extrêmement diverse, des différents États. Vous me permettrez de souligner, sans y insister, que, dans le mouvement actuel de globalisation ou de mondialisation, ce respect de la diversité est en soi d'une richesse toute particulière.

Est-ce à dire que cette diversité défie l'analyse ? Je ne le pense pas. Je crois plutôt qu'elle oblige, au contraire, à un effort d'analyse, à un effort de synthèse.

Le bicamérisme, tout d'abord - c'est une évidence - a pour fonction d'éviter le face-à-face de l'exécutif et d'une assemblée unique ou - car c'est le cas dans les régimes parlementaires dominés par la logique du système majoritaire - la confusion du Parlement et du Gouvernement, sans le secours d'un contre-pouvoir. Il a aussi pour fonction de garantir le respect du principe du contradictoire en posant un regard différent et en provoquant la réflexion. Il vise encore à assurer le respect du principe de la publicité des débats en permettant à l'opinion publique d'être prise à témoin des enjeux réels d'une politique ; bref, le bicamérisme est le garant du fondement même de la réelle démocratie.

Bien d'autres fonctions, transitoires ou permanentes, peuvent être citées. Parmi les fonctions transitoires, je citerai par exemple la possibilité d'intégrer dans un processus de démocratisation des catégories sociales qui seraient portées à le contester. De plus, par la prise en compte des réalités nationales, le bicamérisme assume une fonction d'appropriation d'un modèle démocratique parfois perçu comme artificiellement importé ou imité.

Parmi les fonctions permanentes, je citerai - outre, bien entendu, la représentation des États fédérés dans la structure fédérale ou l'amélioration du processus législatif - la représentation des collectivités territoriales, ce qui est le cas chez nous, ainsi que, tout simplement, le respect du principe de la séparation des pouvoirs.

Je mentionnerai enfin deux caractères qui me paraissent de la plus haute importance, même si le temps me manque pour en développer tous les aspects.

Le premier, c'est que la question du bicamérisme se pose non pas dans un contexte de rivalité avec la première chambre mais dans une perspective de complémentarité. Il s'agit non pas d'affaiblir mais surtout d'enrichir ; il s'agit non pas d'amputer mais surtout de diversifier.

Le second, c'est que la question du bicamérisme s'inscrit non pas dans une perspective de conflit mais dans celle de la résolution d'un conflit : considérons, mes chers amis, l'exemple du Cambodge ou les projets bicaméraux en Géorgie et au Liban.

En conclusion, mes chers amis, je souhaite vous avoir transmis aujourd'hui mes propres convictions. La pertinence et la vitalité du bicamérisme n'ont rien de surprenant. Elles résultent de son utilité, d'une part, parce que le bicamérisme est facteur d'équilibre et que cet équilibre, les nations comme les hommes en ont soif, d'autre part, parce que le bicamérisme est le seul système adapté aux sociétés complexes, que cette complexité soit traditionnelle ou moderne. Par sa souplesse et son caractère évolutif, le bicamérisme est seul à même de prendre en compte l'une ou l'autre de ces complexités et d'assurer le passage de l'une à l'autre.

Alors, mes chers amis, constatons-le ensemble : oui, le bicamérisme est bien une idée d'avenir et nous devons tout faire, collectivement et séparément, pour l'affermir et le promouvoir. C'est le sens du message que je souhaitais délivrer aujourd'hui, avec vous toutes et vous tous, et soumettre à l'attention de Mme Najma Heptulla, notre collègue du Sénat de l'Inde, qui nous fait l'honneur et le plaisir d'être parmi nous, puisqu'elle est également la présidente de l'Union interparlementaire.

Nous sommes, j'en suis convaincu, au début d'un processus de réflexion qui ne peut qu'être bénéfique pour les populations et les territoires ou collectivités que nous représentons, ainsi que pour le développement des relations entre nos assemblées. Comment se déroulera ce processus ? Il appartient à chacune et à chacun de faire des suggestions, dans un cadre national, régional ou même plus vaste. Soyez assurés, en tout cas, que l'impulsion, grâce à votre importante participation, est donnée et que, au nom de tous mes collègues du Sénat de la République française et en mon nom personnel, je vous en suis reconnaissant et vous en remercie très sincèrement. (Applaudissements.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
Président du Sénat de la République française

Page mise à jour le

Partager cette page