La décentralisation française vue d'Europe - La France et la charte européenne de l'autonomie locale



Palais du Luxembourg, 26 juin 2001
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OUVERTURE

M. Lucien NEUWIRTH, Sénateur, ancien Questeur de l'Assemblée nationale et du Sénat, membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

C'est un très grand honneur pour moi de vous accueillir aujourd'hui au nom du Président du Sénat, qui s'adressera à vous en fin d'après-midi. Je dois exprimer les regrets sincères de notre collègue Daniel Hoeffel, retenu pour des raisons administratives, et ceux de Bruno Haller, secrétaire général de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. C'est avec beaucoup de plaisir et d'intérêt que je représenterai aujourd'hui notre Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Un message personnel d'abord à Monsieur le Président Cuatrecasas, que je suis très heureux de saluer. Le fait de me trouver à côté de lui me rappelle les souvenirs qui ont marqué ma jeunesse, la guerre, et un certain refus de l'asservissement de mon pays, qui m'ont conduit à traverser l'Espagne dans des conditions rocambolesques, pour rejoindre les Forces de liberté en Angleterre. J'évoque ce souvenir pour montrer qu'aujourd'hui la construction européenne est avant tout une garantie pour la paix et pour éviter de nouvelles guerres fratricides ; les guerres entre Européens sont des guerres civiles. Beaucoup de Catalans se sont illustrés dans des combats pour la liberté.

Le deuxième symbole de cette réunion est le rassemblement de délégations de tous les pays d'Europe, qu'ils soient d'Europe occidentale ou d'Europe centrale et orientale. En quelque sorte, si je puis dire, c'est une réunion de la famille européenne, et c'est à l'honneur du Sénat que vous ayez choisi le Palais du Luxembourg pour la tenir. J'ajoute que le fait que vous représentiez les collectivités territoriales d'Europe donne une saveur particulière à cette rencontre, puisque le Sénat français, comme vous le savez, conformément à la Constitution, représente les collectivités territoriales de la République. Il attache donc une importance toute particulière aux questions de l'autonomie locale et régionale, et il est par nature un défenseur de la décentralisation.

Le Sénat de la République française constitue d'ailleurs un modèle unique en Europe. En effet, assemblée parlementaire à part entière, le Sénat français a vu sa mission de représentant des collectivités locales de la République réaffirmée de façon solennelle par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 juillet 2000. Émanation des collectivités locales, le Sénat est le défenseur naturel et privilégié des pouvoirs locaux, grâce au mode d'élection des Sénateurs.

C'est ainsi que le collège électoral des Sénateurs dont l'effectif total s'élève à environ 140 000 grands électeurs, est composé pour près de 96 % de délégués des communes, ces « cellules de base de la démocratie ». Grand conseil des communes de France, le Sénat a été renforcé par la décentralisation dans son rôle de défenseur des collectivités locales et territoriales. Le Sénat s'est ainsi érigé en protecteur de l'autonomie locale tant dans ses activités de législateur que dans sa mission de contrôleur. Il s'est progressivement doté, pour l'examen des textes relatifs aux collectivités locales, d'un corps de doctrine qui transcende très largement les clivages politiques.

Dans cette dernière mission de contrôleur, le Sénat tend à devenir le gardien vigilant de la décentralisation qu'il considère comme une réforme bénéfique et un facteur d'efficacité de l'action publique, dans la mesure où elle libère les initiatives et les énergies locales, et contribue à l'essor de la démocratie de proximité.

Sans doute faudrait-il aller encore plus loin, et créer au sein du Sénat, et nous y pensons, un observatoire permanent de la décentralisation qui pourrait établir chaque année un rapport sur l'état de la décentralisation et de l'aménagement du territoire.

Du reste, au cours des trois années qui viennent de s'écouler, son président, Christian Poncelet, a donné un lustre particulier à cette vocation à travers ses très nombreux contacts sur le terrain et les réflexions qu'il a su développer, et notamment dans le cadre des états généraux de la décentralisation.

Ces états généraux, comme le Président Poncelet lui-même devrait vous l'indiquer cet après-midi, ont en particulier mis l'accent sur la nécessité de renforcer la protection constitutionnelle des collectivités locales, notamment en matière d'autonomie fiscale, et de capacité réglementaire : deux conditions essentielles de l'autonomie, deux décisions qui figurent au coeur des dispositions de la Charte européenne de l'autonomie locale dont nous célébrons aujourd'hui l'efficacité, et pratiquement le quinzième anniversaire.

Le troisième symbole sur lequel je voudrais insister est que cette réunion est l'occasion d'une rencontre entre un membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et des membres du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de ce même conseil. Je me dois d'abord d'excuser l'absence de la Présidente de notre délégation, Madame Josette Durrieu, retenue par la session d'été du Conseil de l'Assemblée plénière, qui commence ce matin même à Strasbourg. Je vous transmets également les voeux de succès pour cette journée, au nom de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

J'attache pour ma part une très grande importance aux travaux de l'Assemblée du conseil, qui portent sur des thèmes pour lesquels j'ai le plus grand intérêt. Je me dis militant en faveur des droits de l'homme, mais je m'intéresse aussi très concrètement à la vie quotidienne de nos concitoyens, à leur souffrance devant la maladie, ou encore aux problèmes éthiques que pose, du point de vue de la personne humaine, le développement, à bien des égards si heureux, de la recherche scientifique. Cet humanisme est au coeur des travaux de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe Je suis, depuis de nombreuses années, élu local, et fus longtemps président de conseil général. Je suis donc, comme tous mes collègues Sénateurs, naturellement très attentif au problème des collectivités locales.

Le Sénat, d'une certaine manière, réunit au plan national les préoccupations éthiques de l'Assemblée parlementaire, et les préoccupations locales du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. C'est un des effets heureux de ce cumul des mandats, si décrié par ailleurs. Tout cela me permet de dire que l'initiative conjointe du Sénat et du Conseil de l'Europe arrive à un moment opportun. Elle vise à entendre l'opinion de nos voisins et amis sur l'état de notre propre décentralisation. Il y a de cela 20 ans, l'examen aurait pu être redoutable car, vous le savez, nous sommes un État qui a toujours accordé beaucoup d'importance à la recherche de l'excellence et qui l'a trouvé pendant longtemps, j'oserai même dire pendant des siècles, à travers la centralisation. Celle-ci n'était pas seulement animée par le souci de concentrer le pouvoir, mais aussi de diffuser autant que possible le sentiment d'égalité entre les Français. Elle était donc respectable. L'expérience historique a cependant montré qu'elle n'était pas suffisante.

Moi, qui suis l'un des premiers compagnons, modeste certes, mais parmi les premiers, du Général de Gaulle, je me plais à souligner que c'est lui qui a donné le signal d'une transformation nécessaire, à travers sa tentative de régionalisation du 27 avril 1969. Je n'ai donc eu pour ma part aucune réticence lorsqu'en 1981 nous a été proposée une stratégie dite « de rupture », consistant en un transfert spectaculaire du pouvoir exécutif des départements et des régions vers les présidents des conseils généraux et des conseils régionaux. Le bilan en est d'ailleurs éloquent, notamment en matière scolaire. Les départements ont fait beaucoup mieux, et beaucoup plus que l'État. Vous savez d'ailleurs très bien qu'en la matière, le plus important ne réside pas toujours dans les lois ou les proclamations, mais en réalité dans la pratique quotidienne.

C'est précisément l'objectif du Sénat, que de faire en sorte que la décentralisation devienne toujours de plus en plus concrète. Sa qualité d'assemblée parlementaire lui permet justement d'avoir la légitimité nécessaire pour faire face aux inévitables tentatives de reconquête par le pouvoir administratif. Pour finir, je ne répondrai pas, officiellement bien sûr, à la question : la France doit-elle ratifier la Charte européenne de l'autonomie locale ? Elle est en filigrane de nos travaux. Je laisse le soin à Monsieur le Ministre de l'Intérieur de le faire tout à l'heure.

Je voudrais seulement vous dire que la très grande majorité des Français n'imagine pas l'avenir de la France sans une construction européenne exigeante et respectueuse de l'intégrité de ses territoires. Je souhaite que cette journée soit riche, et que ce colloque permette un échange décisif entre les membres de la même famille, qui est notre famille commune.

M. Llihert CUA TRECASAS, Président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe (CPLRE)

Il m'est particulièrement agréable d'ouvrir ce colloque en compagnie du Sénateur Lucien Neuwirth, dans cette institution chargée d'histoire, et entourée de tant de prestige. C'est un lieu tout naturellement désigné pour accueillir un débat sur l'avenir de la décentralisation.

A cette occasion, permettez-moi de remercier chaleureusement le président du Sénat, Monsieur Christian Poncelet, d'avoir répondu favorablement à la proposition du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe d'organiser cette journée de réflexion sur la décentralisation française vue de l'Europe. Au Congrès, nous avons été sensibles à cette ouverture au dialogue. Je souhaiterais également saluer de nombreux élus et représentants locaux et régionaux, qui ont souhaité s'associer à la démarche commune du Sénat et du Conseil de l'Europe.

Tout d'abord, je voudrais vous présenter le Congrès, organe engagé depuis sa création en 1994 dans la réflexion sur la démocratie locale et régionale dans les États membres du Conseil de l'Europe, et que j'ai l'honneur de présider depuis juin 2000.

Le Congrès, que certains d'entre vous connaissent bien, est un organe du Conseil de l'Europe, qui représente les collectivités locales et régionales des pays membres de cette organisation, véritablement paneuropéenne. Créé en 1994 lors du premier sommet des chefs d'État et de Gouvernement du Conseil de l'Europe, le Congrès réunit aujourd'hui 600 élus de 43 pays, et traite en principe toutes les questions politiques qui se posent aux pouvoirs locaux et régionaux de la Grande Europe. 11 répartit ses travaux entre deux chambres, la Chambre des pouvoirs locaux et la Chambre des régions, dont les réflexions sont ensuite confrontées lors de la séance plénière du Congrès.

L'objectif principal de notre assemblée est de garantir la participation des pouvoirs locaux et régionaux aux travaux du Conseil de l'Europe, et, par là, à l'élaboration des politiques européennes. On peut affirmer que c'est une première au sein des organisations européennes, et que les élus locaux et régionaux sont particulièrement sensibles à l'existence de l'institution qui les associe à l'élaboration des politiques à l'échelle européenne.

Congrès joue un rôle politique de consolidation de la démocratie dans les États membres.

Son autre grande ambition est d'aider les démocraties de l'Europe centrale et orientale à établir des structures administratives et institutionnelles locales et régionales stables et efficaces.

Le Congrès a été récemment conforté dans cette démarche par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe qui a rehaussé le rôle politique de notre Organisation en lui confiant la préparation des rapports et des recommandations sur la démocratie locale et régionale dans les États membres et en la chargeant de veiller à l'application de la Charte européenne de l'autonomie locale. En mettant en oeuvre ces nouvelles responsabilités, le Congrès remplit une mission en quelque sorte inhabituelle, pour le droit international public, dans laquelle des représentants des autorités locales et régionales adressent régulièrement aux Gouvernements des recommandations dont l'objectif principal est le renforcement de la démocratie locale et régionale. Une trentaine de pays ont déjà fait l'objet de rapports sur l'état de l'autonomie locale et régionale.

Le maître mot de cette démarche est le dialogue. Le dialogue préside à toutes les actions du Congrès et nous nous réjouissons qu'un dialogue ouvert et constructif ait pu s'établir avec les institutions françaises au sujet de la décentralisation en France. Ce dialogue des élus avec les Gouvernements nous oblige à un contenu politique fort et commence à produire des effets : de nombreux Gouvernements en Europe sont de plus en plus persuadés du bien-fondé des réformes engagées en faveur de la décentralisation.

Le Congrès s'appuie dans sa démarche sur les principes de la Charte européenne de l'autonomie locale, traité unique en Europe, conçu pour assurer la protection des droits des collectivités locales sur le plan européen, et fournir aux États membres de la Grande Europe un cadre juridique de référence, une sorte de bagage politique et juridique commun, qui permet d'avoir une échelle au cours des réformes. Je laisserai à Monsieur Alain Delcamp, Président du groupe d'experts indépendants sur la Charte européenne de l'autonomie locale, le soin de présenter ce texte et ses principes d'application.

J'aimerais simplement souligner que la Charte proclame qu'une véritable autonomie locale est essentielle à la démocratie, et qu'elle reste pour l'heure le seul texte normatif de portée européenne à la disposition des collectivités locales. C'est en effet le seul texte qui définisse des éléments concrets de ce que peuvent être les critères de fonctionnement des collectivités locales, et surtout qui garantisse un certain degré d'autonomie locale.

A cette occasion, j'aimerais souligner que la Charte fut pendant presque une décennie l'instrument qui a permis à un nombre important de démocraties de l'Europe centrale et orientale d'opérer des réformes de fond pour créer des collectivités locales fortes. Nos amis de Pologne, de Hongrie, et de Roumanie, qui ont été au coeur des changements tout au long des années 90, viennent aujourd'hui partager leurs sentiments sur les réformes entreprises et le rôle de la Charte dans ces processus.

La Charte a aussi servi de source d'inspiration à bon nombre de pays de l'Europe occidentale pour mener à bien leurs réformes de décentralisation et de modernisation des collectivités locales, ainsi que leur adaptation au contexte économique et social d'aujourd'hui. Les exemples du Royaume-Uni, du Portugal, et même de l'Allemagne, témoignent de cette vocation de la Charte, et nos amis sont là pour partager avec nous les expériences de leurs pays respectifs.

Depuis quelques années, le Congrès a lancé un projet de Charte européenne de l'autonomie régionale qui, à l'instar de la Charte de l'autonomie locale, est appelée à garantir aux collectivités régionales une série de droits qui leur permettrait de gérer une partie des affaires publiques au profit de nos concitoyens. Au moment où la France s'apprête à renforcer les compétences de ses régions à la suite de ses décisions prises concernant la Corse, ce texte peut être une source d'inspiration. Nous écouterons avec un grand intérêt ce que Monsieur le Ministre Vaillant nous dira sur les réformes envisagées.

L'expérience dans un certain nombre de pays européens nous montre que l'octroi de quelques compétences législatives aux régions a permis d'améliorer l'équilibre territorial, et le développement économique dans les régions concernées, apportant ainsi un plus à la qualité de vie des citoyens.

Ce qui nous réunit ici aujourd'hui, au Palais du Luxembourg, c'est principalement la volonté de discuter avec nos collègues français de l'avenir de la décentralisation en France et des moyens par lesquels la démocratie locale et régionale peut être renforcée.

Vous serez tous d'accord pour dire que la démocratie locale est profondément ancrée dans la vie institutionnelle et les convictions républicaines de ce pays. Le mouvement amorcé au XIX e siècle visant à garantir aux communes et aux départements un fondement démocratique, ainsi que les lois de décentralisation de 1982 et 1983 témoignent de cette volonté du peuple et du Gouvernement français de créer les conditions pour rapprocher la décision publique du citoyen et confier aux élus locaux des responsabilités importantes, reconnaissant ainsi leurs rôles politique et social. 500 000 élus animent aujourd'hui les institutions locales en France. Ce chiffre par lui-même est un gage de la solidité de l'ancrage de la démocratie locale. La création de régions dotées de compétences propres corrobore mon propos sur la prise de conscience en faveur d'une large décentralisation.

Dans le cadre de l'examen régulier de la situation de la démocratie locale et régionale dans les États membres que j'ai évoqué tout à l'heure, le Congrès a examiné l'an dernier celle de la France. Les conclusions de ce travail sont consignées dans le rapport présenté par Monsieur Jean-Claude Van Cauwenberghe, qui vous les exposera aujourd'hui plus en détail.

Ce rapport a donné lieu à un dialogue avec les autorités françaises, sur les questions qui nous préoccupent aujourd'hui. Nous avons eu le plaisir d'accueillir dans notre enceinte strasbourgeoise pour un échange de vues, Monsieur Pierre Mauroy, Président de la commission sur l'avenir de la décentralisation, et plus récemment Monsieur Dominique Bur, Directeur général des collectivités locales. Nous serons évidemment très attentifs à l'intervention du Ministre de l'Intérieur, Monsieur Daniel Vaillant, qui nous fera aujourd'hui l'honneur de présenter la position gouvernementale par rapport aux recommandations du Congrès.

Nous espérons vivement que notre dialogue se poursuivra au-delà du colloque, et que nous pourrons régulièrement échanger nos impressions sur le développement de la démocratie locale et régionale en France.

Aujourd'hui, le Gouvernement français continue de réfléchir sur l'avenir de la décentralisation. Beaucoup de questions sont à l'ordre du jour : transfert de nouvelles compétences aux collectivités locales, ressources financières adaptées aux nouveaux défis socio-économiques, intercommunalité, statut des élus, cumul des mandats, participation des femmes et des jeunes à la vie publique au niveau local, futur des régions dans l'organisation territoriale. Autant de questions sur lesquelles se sont penchés les rapporteurs du Congrès en s'efforçant de d'apporter un point de vue neuf, indépendant, et non partisan, sur les discussions en cours. Je pense que tout le monde y gagnera dans la mesure où un point de vue extérieur peut apporter un éclairage européen sur ce débat.

Mesdames, Messieurs, ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, la Charte européenne de l'autonomie locale a été conçue comme un instrument qui doit offrir aux collectivités locales des États membres du Conseil de l'Europe des garanties fortes pour l'exercice de l'autonomie locale.

C'est dans cet esprit que ce traité a été préparé au sein du Conseil de l'Europe. La Charte garantit à tout citoyen la possibilité de participer à la prise des décisions qui concernent son environnement quotidien par le biais des assemblées élues disposant d'organes responsables devant elles. La Charte est en quelque sorte la démonstration au niveau européen de la volonté de notre organisation, animée par 43 États membres, de transcrire la démocratie locale et le rôle des collectivités locales dans le fond commun des valeurs démocratiques, dont la promotion et l'application à l'échelle paneuropéenne sont l'essence même de l'action du Conseil de l'Europe.

En souscrivant de manière solennelle et formelle aux principes de la Charte ou, autrement dit, en ratifiant cet instrument du Conseil de l'Europe, les États membres contribuent à créer un espace homogène de valeurs démocratiques dont l'objectif est de garantir la stabilité de notre continent.

Permettez-moi de dire que le rôle d'un pays comme la France est très important pour renforcer la promotion de la Charte sur le plan européen. En tant que pays fondateur du Conseil de l'Europe et l'un de ses membres les plus actifs depuis 1949, la France a grandement contribué à l'essor de cette Organisation et à la promotion de ses valeurs.

Les membres de la délégation française auprès du Congrès comptent parmi les plus actifs depuis toujours et, sous l'impulsion du Président Alain Chénard, que je salue aujourd'hui, le Congrès a connu l'an dernier une réforme importante qui a rehaussé son rôle politique au sein des institutions du Conseil de l'Europe. Les délégués français ont été et restent toujours des avocats passionnés et inlassables des principes de la Charte, et ont parcouru un nombre considérable de pays de l'Europe centrale et orientale pour expliquer la nécessité pour un État démocratique de disposer de collectivités locales fortes.

Bien qu'étant l'un des premiers signataires de la Charte en 1985, c'est-à-dire dès son ouverture à la signature, la France n'a pas encore ratifié cette convention. Nous estimons qu'un examen attentif en vue de la ratification de ce traité mérite discussion et nous sommes ouverts au dialogue sur ce sujet. Ce dialogue aura certainement lieu aujourd'hui, mais il peut être prolongé au-delà de notre colloque.

Pour ma part, je tiens à souligner qu'à l'issue de toute une série de rencontres avec des élus locaux et régionaux, des parlementaires, des associations d'élus et des représentants du Gouvernement et d'universités, le Congrès a constaté qu'aucun obstacle majeur ne s'opposait à la ratification par la France de cette convention. En effet, le droit français répond à la plupart des principes de la Charte, et certaines dispositions françaises s'harmonisent parfaitement avec la Charte depuis les lois de décentralisation de 1982/83, ou sont parfois plus avancées. Dès lors, on peut penser que la ratification ne supposerait aucun changement du régime actuel des collectivités locales, d'autant que la Charte peut, de son côté, apporter des réponses viables à quelques-uns des problèmes que pose aujourd'hui la décentralisation en France. Par contre, elle offrirait une garantie supplémentaire aux collectivités locales françaises.

J'espère que le dialogue présidera à notre réunion, et je vous invite à y participer avec toute la force de vos convictions. Merci.

Les membres de la délégation française auprès du Congrès comptent parmi les plus actifs depuis toujours et, sous l'impulsion du Président Alain Chénard, que je salue aujourd'hui, le Congrès a connu l'an dernier une réforme importante qui a rehaussé son rôle politique au sein des institutions du Conseil de l'Europe. Les délégués français ont été et restent toujours des avocats passionnés et inlassables des principes de la Charte, et ont parcouru un nombre considérable de pays de l'Europe centrale et orientale pour expliquer la nécessité pour un État démocratique de disposer de collectivités locales fortes.

Bien qu'étant l'un des premiers signataires de la Charte en 1985, c'est-à-dire dès son ouverture à la signature, la France n'a pas encore ratifié cette convention. Nous estimons qu'un examen attentif en vue de la ratification de ce traité mérite discussion et nous sommes ouverts au dialogue sur ce sujet. Ce dialogue aura certainement lieu aujourd'hui, mais il peut être prolongé au-delà de notre colloque.

Pour ma part, je tiens à souligner qu'à l'issue de toute une série de rencontres avec des élus locaux et régionaux, des parlementaires, des associations d'élus et des représentants du Gouvernement et d'universités, le Congrès a constaté qu'aucun obstacle majeur ne s'opposait à la ratification par la France de cette convention. En effet, le droit français répond à la plupart des principes de la Charte, et certaines dispositions françaises s'harmonisent parfaitement avec la Charte depuis les lois de décentralisation de 1982/83, ou sont parfois plus avancées. Dès lors, on peut penser que la ratification ne supposerait aucun changement du régime actuel des collectivités locales, d'autant que la Charte peut, de son côté, apporter des réponses viables à quelques-uns des problèmes que pose aujourd'hui la décentralisation en France. Par contre, elle offrirait une garantie supplémentaire aux collectivités locales françaises.

J'espère que le dialogue présidera à notre réunion, et je vous invite à y participer avec toute la force de vos convictions. Merci.

PREMIÈRE SÉANCE

LA CHARTE EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE - INSTRUMENT DU DÉVELOPPEMENT DE LA DÉMOCRATIE LOCALE DANS LA GRANDE EUROPE

M. Louis LE PENSEC, Sénateur, Président de l'Association française du Conseil des communes et régions d'Europe

Pour qui assigne comme finalité politique à son action la pleine accession à la démocratie pour les peuples, le choix du thème du colloque par le Sénat et par le Conseil de l'Europe, tourné vers l'autonomie locale, réjouit tous les démocrates, puisqu'ils sont par définition épris de liberté communale. D'éminents intervenants ont et vont tout au long de la journée rappeler à coup sûr la genèse de cette belle idée de l'autonomie locale. On me permettra de rappeler simplement le travail, pionnier en son temps, accompli par un mouvement qui m'est cher, le Conseil des communes et régions d'Europe. Il me plaît à dire que c'est sur la base d'un document, la Charte européenne des libertés communales, adoptée en 1953 aux États généraux de Versailles des communes et régions d'Europe, que les travaux de préparation de la Charte du Conseil de l'Europe furent engagés.

Comment établir la grande actualité des thèmes ?

Je ne peux m'empêcher de faire un parallèle entre, d'un côté, les efforts conduits par les associations européennes des autorités locales et des collectivités locales pour faire reconnaître par les institutions européennes le principe de l'autonomie communale, en l'occurrence l'adoption de la Charte par le Conseil de l'Europe, et d'autre part, l'action conduite par les associations mondiales de collectivités locales pour faire adopter au niveau mondial, l'Organisation des Nations Unies, la Charte mondiale de l'autonomie locale, qui s'inspire très largement de la Charte européenne. Je le dis d'autant plus que nous sommes un certain nombre dans cette salle qui étions, il y a moins d'un mois, à l'Assemblée générale de l'ONU, en présence du Secrétaire général, où d'une seule voix, les organisations mondiales ont présenté le projet de Charte mondiale de l'autonomie locale.

De quoi parlons-nous ? II n'y a pas de meilleur intervenant pour répondre à la question que Monsieur Alain Delcamp, Président du Groupe d'experts indépendants sur la Charte européenne de l'autonomie locale auprès de la Commission institutionnelle du CPLRE. Ce grand praticien de la chose va nous dire avec précision dans un rapport introductif ce qu'il convient d'entendre par autonomie locale.

M. Alain DELCAMP, Président du Groupe d'experts indépendants sur la Charte européenne de l'autonomie locale auprès de la Commission institutionnelle du CPLRE

Permettez-moi d'abord d'exprimer une certaine émotion à l'ouverture d'un colloque qui réunit deux institutions auxquelles je suis attaché pour des raisons différentes, mais qui ont en commun d'avoir parmi leurs objectifs le développement de l'autonomie locale. Pour moi, comme pour beaucoup de personnes présentes, celle-ci va au-delà d'un simple aménagement institutionnel, elle est aussi un choix philosophique sur l'organisation de la société. C'est d'ailleurs un des mérites insuffisamment soulignés du débat sur la subsidiarité que d'avoir mis l'accent sur cet aspect qui, à cet égard, constitue un dépassement de la décentralisation.

Émotion aussi car, au vu du programme, il me semble que la situation de la France vis-à-vis de la charte de l'autonomie locale ne pourra pas être la même avant et après cette manifestation.

La charte est, d'une certaine manière, née ici puisque c'est le 18 octobre 1953 que les États généraux des communes d'Europe réunis à Versailles sur l'initiative du Conseil des communes et régions d'Europe, dont je salue le président français, membre du Sénat comme son prédécesseur, ont adopté « une charte européenne des libertés communales ». C'est d'ailleurs ce terme d' « États généraux » qui est utilisé aussi par Monsieur le Président du Sénat pour organiser les rencontres en région entre le Sénat, les Sénateurs et les élus qu'ils représentent. Parler de décentralisation ou d'autonomie a ainsi toujours en France un petit parfum révolutionnaire... Je noterai aussi d'emblée que décentralisation et construction européenne ont été intimement liés dès l'origine et que cette construction par la base sonne comme un salubre rappel au moment où chacun se plaît à dénoncer un certain déficit démocratique dans la construction européenne.

Cette charte des libertés communales est devenue la Charte européenne de l'autonomie locale. Il aura fallu pour y parvenir pendant près de vingt ans les travaux patients de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux, créée en 1957 au sein du Conseil de l'Europe, et le soutien de l'Assemblée parlementaire.

Il est bon de rappeler quels furent les premiers signataires de ce document, ceux qui la portèrent sur les fonts baptismaux : le Benelux, l'Allemagne, la France et l'Italie, noyau dur de l'Europe, mais aussi l'Autriche, le Danemark et la Grèce, puis l'Espagne, le Portugal et le Liechtenstein. Ce n'est pas le moindre des paradoxes que parmi ces douze pays, deux la France et la Belgique comptent parmi ceux qui ont signé mais pas encore ratifié la charte (avec l'Irlande et l'Arménie) alors que 34 sur 43 pays membres l'ont d'ores et déjà ratifiée 1 ( * ) .

Cette anomalie ne peut nous laisser indifférents. Il ne peut s'agir d'un refus. Il existe sûrement des causes profondes que la journée d'aujourd'hui devrait permettre de mettre à jour et, je l'espère, d'atténuer.

Si nous savons que les causes sont plutôt institutionnelles pour la Belgique, -l'évolution de son État l'a conduite à accorder des compétences non négligeables à ses régions et communautés en matière internationale- elles étaient principalement juridiques pour la France, au moins officiellement. On peut se demander si elles ne sont pas non plus quelque peu, si j'ose dire, « psychologiques », à l'image des attitudes françaises vis-à-vis de l'Europe que l'on retrouve dans beaucoup d'autres domaines. Vis-à-vis de l'Europe, la France est à la fois audacieuse et timide, presque arrogante à force de penser que l'Europe peut être synonyme pour elle d'auto-dissolution, alors même qu'elle peut lui être indispensable par la vision qu'elle en a.

Rien, en tout cas, du fait de sa conversion spectaculaire du 2 mars 1982, ne paraît la séparer de manière irrésistible désormais de l'adhésion complète aux principes de l'autonomie locale tels qu'ils sont définis dans les 11 premiers articles et le Préambule de la Charte européenne de l'autonomie locale.

La décentralisation en France fut apparemment une conversion à un nouveau système de valeurs. Elle fut en fait à bien des égards l'irruption officielle et la consécration du deuxième courant démocratique qui anime sa société depuis la Révolution et peut-être avant : celui de la démocratie de proximité, diverse et silencieuse, à côté de l'autre, la plus connue, celle du jacobinisme, de l'unité et des proclamations, pour elle-même et pour le monde.

Les valeurs de la charte européenne sont les nôtres.

CARACTERE DE LA CHARTE ET FONDEMENTS DE L'AUTONOMIE LOCALE

Elles ont un premier mérite : elles sont exprimées d'une manière suffisamment large pour qu'elles laissent la place à des solutions différentes. La charte est un élan plus qu'un carcan.

Ce faisant elle est d'abord une incitation à une réflexion sur la structure de l'État. En obligeant les législateurs à intégrer dans les institutions la notion d'autonomie locale, c'est à une réflexion sur l'État lui-même à laquelle elle conduit et ce, quelle que soit la forme de l'État, fédéral unitaire ou régional. Du reste, l'un des enseignements de la période est de montrer que la conciliation entre le phénomène de régionalisation et celui d'autonomie locale est rien moins qu'évident. La convention soeur sur l'autonomie régionale élaborée et adoptée par le Congrès et en cours d'instruction au niveau du Comité des Ministres insiste d'ailleurs pour que le principe de subsidiarité s'applique non seulement entre les États centraux et les autorités locales décentralisées mais aussi entre les niveaux régionaux et locaux.

Cette obligation de réflexion est renforcée par la prescription de l'article 2 qui dit que les principes de l'autonomie locale doivent être inscrits dans la loi - c'est-à-dire la loi délibérée et votée publiquement par la représentation nationale - et, « si possible », dans la Constitution. Pour la Charte, l'autonomie locale ou si l'on préfère, la décentralisation sont des données de niveau constitutionnel. La leçon des dix dernières années est d'ailleurs une application particulièrement stricte de ces principes par les démocraties qui ont rejoint le plus récemment le Conseil de l'Europe. La plupart de leurs nouvelles constitutions contiennent des chapitres entiers consacrés à cette question. Elles contrastent avec le relatif laconisme des constitutions des pays plus anciens, par exemple le nôtre. Ce n'est donc pas un hasard si, après que le Conseil Constitutionnel a développé quelque peu par sa jurisprudence les laconiques mentions du texte de 1958, les propositions les plus récentes en matière de décentralisation - notamment celles de monsieur le président du Sénat résumées dans son discours de Marseille du 15 juin et qui figurent dans vos dossiers - insistent sur cette nécessaire constitutionnalisation.

La définition que propose la Charte dans son article 3 est importante et, en même temps, de nature à rassurer tous ceux qui craindraient de voir dans le développement de l'autonomie un risque de dislocation de l'État : La Charte ne préconise pas l'indépendance des entités mais leur autonomie « dans le cadre de la loi », formule qui revient comme un leitmotiv à de multiples endroits. Il s'agit du « droit » et de la « capacité effective » pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, « une part importante » des affaires publiques.

Ce droit trouve son fondement dans l'élection des organes chargés de la gestion (Art. 3-2). Cette élection doit être directe. Elle s'impose pour l'assemblée locale, elle ne semble pas absolument impérative pour les exécutifs. L'exigence première à laquelle par contre ceux-ci doivent répondre est celle de la responsabilité devant l'assemblée élue. Ce point a fait à plusieurs reprises l'objet des réflexions du Congrès qui a souhaité en dissiper les ambiguïtés. En fait, même si l'on observe un peu partout en Europe, et de plus en plus, une tendance en faveur d'un exécutif unique, élu au suffrage universel direct, de nombreux modèles peuvent être considérés comme compatibles avec ces dispositions, qu'il s'agisse du système des comités à l'Anglaise ou de l'exécutif collectif de certains Länder allemands ou encore le système dans lequel l'exécutif est en même temps président de l'assemblée. L'important est que le désir d'efficacité du pouvoir ne puisse aboutir au remplacement de l'exécutif élu par une sorte de manager. De même, les autorités du Congrès ont-elles mis en garde les pays membres contre la tentation de démembrer les conseils locaux au profit d'organes spécialisés à la légitimité mal définie.

La légitimité de la gestion locale trouvant son fondement dans la souveraineté que confère l'élection dans le cadre d'un territoire et des lois de l'État, il en résulte que la compétence de l'autonomie locale à agir en faveur et en réponse des demandes de ses concitoyens se présume. C'est ce que l'on appelle le principe de compétence générale qui veut que la collectivité locale puisse prendre des initiatives aussi longtemps qu'elle ne rencontre pas une compétence attribuée à une autre autorité. Après avoir suscité quelques réticences de la part des traditions juridiques anglo-saxonnes et plus particulièrement anglaises, ce principe est aujourd'hui proclamé par la plupart des législations.

Ce principe est à l'image de l'autonomie : jamais achevée. Qu'elle soit locale ou régionale, l'autonomie est autonomie-conquête et implique de la part de ses serviteurs une conscience claire de cette exigence. Elle constitue ainsi une attitude d'esprit qui a pu justifier que l'on qualifie les collectivités locales « d'écoles de la démocratie ». Quelle que soit la précision des lois, elle ne pourra se substituer à la dynamique et à la culture du conflit organisé qui est à la base de la démocratie.

C'est sans doute le principal message, au-delà des textes, que les pays de l'Ouest de l'Europe ont pu apporter aux autres membres de la famille européenne : la décentralisation ne fait jamais relâche, sinon elle meurt.

LES CONDITIONS D'EXERCICE DE L'AUTONOMIE LOCALE

D'où l'importance accordée par la Charte à préciser les conditions dans lesquelles l'action des collectivités locales peuvent être contrôlées : dans le cadre de l'exercice de leurs compétences propres, ce contrôle ne peut être assis que sur la légalité, à l'exclusion de toute appréciation sur l'opportunité.

La Charte confère ainsi d'abord UNE LIBERTÉ DE FAIRE.

Sous ce terme générique, peuvent être regroupés plusieurs principes qui ressortent de ce que l'on pourrait appeler la « liberté de faire » des collectivités locales. De fait, la philosophie du texte, on l'a déjà vu, est davantage orientée (et à juste titre nous semble-t-il) vers la mise en place de garanties procédurales de l'exercice de l'autonomie que vers la définition de son contenu. Il est ainsi possible de distinguer entre la sécurité juridique, qui vise à garantir le libre exercice de leur mandat par les élus, et la liberté juridique, qui s'efforce de regrouper les principales garanties susceptibles de soutenir leur action.

Au premier rang de la sécurité juridique figure le libre exercice du mandat (art. 7-1). Il ne paraît guère menacé en pratique dans les pays les plus anciennement convertis aux vertus de la démocratie locale en dépit parfois de la subsistance de procédures de suspension ou de dissolution. C'est un des points, en revanche, qui a appelé des précisions lors de l'examen des situations créées dans les nouvelles démocraties. L'article 7-2 est consacré à la dimension matérielle du statut de l'élu 2 ( * ) .

A cette sécurité juridique peut être rattachée l'exigence de définir dans la loi un certain nombre de compétences « de base » (4-1), si possible « pleines et entières » (art. 4-4) ainsi que le droit de recours devant une instance juridictionnelle (article 11) afin d'assurer le respect des règles destinées à protéger la sphère d'autonomie des autorités locales.

Ces possibilités de recours se sont beaucoup développées ces dernières années mais elles ne sont véritablement complètes que dans les pays où existe une cour constitutionnelle et où les collectivités sont habilitées à la saisir (Allemagne, Autriche - en dépit de la réserve émise sur ce point pour préserver les compétences des Länder -, Italie, Portugal 3 ( * ) . Un élément essentiel du dispositif est donc non seulement que la Charte soit ratifiée mais intégrée dans l'ordre juridique interne 4 ( * ) . Il est tout aussi important de faire connaître ses dispositions au plus large public possible 5 ( * ) .

La liberté juridique prend appui principalement sur trois dispositions : celles de l'article 8 qui porte sur le contrôle administratif dont on a déjà parlé et sur lequel on reviendra, l'article 6-1 qui confère aux collectivités locales une liberté d'auto organisation et le droit d'association ou d'adhérer à l'organisation de son choix (art. 10).

En ce qui concerne le contrôle administratif, le développement de procédures tendant à limiter les atteintes à la liberté de décision locale a connu un essor considérable 6 ( * ) . Il existe à cet égard toute une gamme, de la subsistance partielle d'un contrôle d'opportunité au contrôle limité à la saisine directe par le citoyen des juridictions ordinaires. Dans la généralité des cas, les représentants du pouvoir central ont perdu tout pouvoir d'annulation et même de suspension. Le contrôle est désormais assez largement judiciarisé, ce qui peut du reste poser problème dans les pays où les traditions démocratiques ne sont pas encore pleinement ancrées.

La capacité « d'auto organisation » est un des domaines où l'affirmation ne suffit pas. Les moyens de la limiter sont multiples (nomenclature, échelle des emplois) et ils peuvent exister de manière directe ou indirecte, en droit ou en fait. La plupart du temps, il s'agit d'influences indirectes qui appellent une connaissance très précise du fonctionnement concret des collectivités locales et régionales dans chaque pays ; au premier rang de ces influences figurent naturellement les contraintes financières et la politique salariale qui échappe souvent aux collectivités elles-mêmes.

Le droit d'adhérer à une association paraît aller de soi. Et, de fait, il n'appelle pas d'observations particulières à l'intérieur des pays, où il sert souvent de support, notamment dans les pays nordiques, à la constitution d'organisations particulièrement puissantes et qui exercent un fort pouvoir d'influence auprès des autorités centrales de décision.

Il en va différemment en ce qui concerne le plan international. Les dispositions de la Charte européenne sont ici heureusement renforcées par celles de la convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales du 21 mai 1980.

La coopération institutionnelle entre collectivités pour la réalisation d'intérêts communs est visée par le deuxième alinéa de l'article 10 et constitue à n'en pas douter, l'expérience française contemporaine le démontre, une alternative adaptée à la fusion.

Tout autant que des principes juridiques, la Charte se préoccupe des moyens concrets de les appliquer : c'est ce que l'on appelle « l'effectivité » Trois moyens y concourent : les compétences, les personnels et les finances. Jean-Claude Frécon devant principalement traiter de l'article 9 relatif aux finances, je m'attarderai davantage sur la question des compétences.

LES MOYENS DE FAIRE :

La question des compétences (Art. 4) :

C'est à la fois la plus importante et la plus délicate. Beaucoup de pays répugnent en effet à définir dans la loi de manière exhaustive les compétences locales.

De fait, beaucoup de lois générales sont avant tout des textes de procédure plus que des textes définissant le contenu de la compétence. Outre leurs traditions juridiques, les pays concernés - principalement du Nord de l'Europe - évoquent le risque de figer inutilement la répartition des pouvoirs et d'introduire des rigidités qui seront vite démenties par la réalité.

A ces arguments, il est possible d'en opposer d'autres, qui ont du reste été retenus et par le Congrès et par le Comité des Ministres 7 ( * ) :

- définir les compétences dans un nombre limité de lois dont ce serait l'objet principal est de nature à introduire une certaine sécurité de gestion ;

- elle est susceptible aussi d'apporter une clarification dans les rapports - qui pourra s'avérer si utile au moment de l'exercice du contrôle - entre l'État - fédéral, central ou régional, peu importe - et les collectivités locales.

- elle oblige l'autorité compétente - en l'occurrence le Parlement - à procéder à un inventaire complet des différents secteurs d'activité et à juger non en terme d'approche sectorielle mais au regard des principes d'organisation de l'État décentralisé.

Cette exigence apparaît d'autant plus nécessaire que les niveaux d'exercice du pouvoir sont plus nombreux. Un bon exemple de cette nouvelle approche peut être fourni par la Pologne qui a en même temps osé redéfinir la carte de ses autorités décentralisées et répartir entre elles les pouvoirs abandonnés par l'État.

Parmi ces principes figure au premier plan naturellement le principe de subsidiarité dont il faut souligner que la Charte a fourni le premier exemple de définition dans un texte international : « L'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches du citoyen. L'attribution d'une responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l'ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d'efficacité et d'économie » (art. 4-3).

Les pays sont ainsi invités à construire leurs structures en privilégiant le niveau le plus proche du citoyen et à s'interroger sur l'opportunité de faire remonter vers le centre l'exercice d'une compétence donnée. La double signification du mot (il désigne certes ce qui est « subsidiaire « c'est-à-dire qui vient après, mais il signifie aussi « aide » « secours » « subside ») doit conduire également l'autorité chargée de la répartition à préférer l'exercice de la compétence par la collectivité de niveau inférieur, quitte à ce que celle-ci reçoive une aide pour cela, plutôt que de la confier à l'autorité de niveau supérieur. Il est nécessaire dans chaque cas de s'interroger sur l'opportunité de la solution à retenir.

La Charte donne ensuite une indication quantitative : les collectivités locales doivent se voir confier « une part importante des affaires publiques. »

Elle ne contient pas de règle précise pour autant et l'on ne peut se faire une idée à cet égard qu'à travers l'examen de la réalité. Cette quantité de compétences est en raison directe avec la part des budgets locaux dans l'ensemble des budgets publics. Les chiffres les plus récents donnent à penser que cette part peut s'étager autour d'une moyenne d'environ 22 % de près de 40 % (Suède) à des chiffres particulièrement bas (Chypre 4 %). La France occupe désormais pour sa part une place particulièrement honorable, à peu près au niveau des communes allemandes (de l'ordre de 27 %).

Cet étagement traduit non seulement un niveau différent de développement mais aussi les caractéristiques géographiques ou historiques propres à chaque pays.

Il exprime également un choix quant au « profil » de la collectivité locale : compétences axées principalement sur la gestion du territoire et des principaux réseaux, ou compétences faisant très largement participer le niveau local à la distribution des prestations de l'État-providence (éducation mais aussi santé et, pourquoi pas, sécurité sociale). Les principaux écarts dépendent très directement du sort réservé aux personnels de l'Éducation ou du système de santé.

Deux situations doivent être particulièrement notées :

Les anciens pays de démocratie populaire ne sont pas, contrairement à ce que l'on pourrait penser, les plus mal placés dans ce classement. Il faut y voir, pour les moins décentralisés d'entre eux, l'héritage d'un système qui faisait des « autorités » locales le « terminal » de l'ensemble des services publics. Décentraliser a paru, au moment des indépendances, un moyen commode de laisser à la charge des autorités locales un maximum de compétences (sans bien sûr les moyens de les exercer). La moindre des surprises dès lors n'est pas de constater qu'en dix années l'amélioration qualitative de la décentralisation s'est traduite, la privatisation des services jouant également son rôle, dans une diminution apparente de la part du secteur local dans l'État (Hongrie par exemple).

A l'autre bout de la chaîne, dans certains des pays les plus anciennement « décentralisés » (Norvège ou Suède par exemple), se font entendre des protestations des autorités locales qui estiment que le très grand nombre des tâches qui leurs sont confiées, la réglementation dont elles sont victimes (plus les compétences sont nombreuses plus la part des prestations susceptibles de faire l'objet d'une réglementation nationale augmente), le poids financier de leur exercice aboutissent à en faire de simples agents d'exécution de politiques nationales.

Ces deux exemples montrent la nécessité d'avoir également une approche qualitative de la répartition des compétences. C'est ce à quoi incite la Charte à travers notamment la notion de compétences pleines et entières et la distinction entre compétence propre et compétence déléguées.

La notion de « compétences pleines et entières » doit être comprise non comme la nécessité pour chaque niveau de posséder la totalité d'une compétence, ce qui, sauf exception, paraît quasiment impossible, le territoire étant commun à plusieurs niveaux de collectivités, mais comme le souci de dégager un bloc cohérent d'exercice, suffisamment vaste pour permettre d'infléchir le mode d'application et préserver ce qui paraît la conséquence logique de la différenciation des pouvoirs : la diversité dans la distribution des services publics au regard des choix faits localement en commun.

Il va de soi que cette notion de compétence pleine et entière ne peut être dissociée d'une marge de manoeuvre réelle en matière financière.

Ce nécessaire partage à l'intérieur d'un domaine même de compétence est une incitation supplémentaire à définir de manière aussi précise que possible la sphère de décision de chaque niveau. L'autonomie locale n'est pas ainsi une sphère isolée mais bien un élément essentiel d'un système bâti sur la notion de coopération entre niveaux d'administration.

La distinction compétences propres compétences déléguées est inspirée du mode d'organisation des états fédéraux mais, on l'a vu notamment à l'occasion de la transition, s'est avéré utile dans nombre d'États unitaires.

Cette distinction est une construction théorique rendue nécessaire par le mode d'organisation des États fédéraux ou régionaux qui conduit l'État central (en l'occurrence fédéral mais la même attitude peut se retrouver dans les états fédérés) à ne pas développer sa propre organisation territoriale mais à confier l'exercice de ses propres compétences aux administrations décentralisées.

La situation de celle-ci devient dès lors ambiguë puisqu'elles agissent alors « pour le compte « du délégant et sont soumises en fait à son pouvoir hiérarchique donc susceptibles d'être l'objet d'un contrôle d'opportunité. Cette distinction s'avère dans la pratique beaucoup moins claire que dans la théorie dans la mesure où les compétences déléguées sont souvent aussi nombreuses que les compétences propres et que les rapports avec les autorités de contrôle dans la sphère même des compétences propres ne peuvent manquer de s'en trouver influencés.

Beaucoup d'états unitaires ont recouru également massivement à ce système, ce qui a conduit le Congrès à attirer l'attention sur les dangers d'un développement excessif des compétences déléguées par rapport aux compétences propres.

Les personnels et les finances :

On comprend, au regard de ce développement des compétences des collectivités locales, tout l'intérêt pour des élus locaux de pouvoir disposer de personnels compétents et qui ne dépendent d'aucune autre autorité que la leur (Art. 6-2). Même dans les pays très avancés de l'Europe de l'Ouest, il s'agit là d'un défi important car il est nécessaire de concilier la liberté locale avec les intérêts des personnels. La charte ne propose pas à cet égard un modèle unique et admet que ce défi puisse être relevé de façon très différente suivant les États qui ont déclaré adhérer aux dispositions de l'article 6-2 8 ( * ) .

Je terminerai ce tour d'horizon en insistant sur la question des finances, question sans doute cruciale mais en même temps la plus fragile. Cette fragilité est réapparue récemment mais de manière inquiétante dans notre contexte national. Enfin, en manière de transition avec l'exposé de Jean-Claude Frécon, il convient de souligner l'importance de ce que la Charte appelle la « suffisance » ou le caractère « proportionné » entre les compétences et les finances.

Il me revient cependant au préalable et en conclusion de traiter un point important qui justifie notre présence ici, à savoir les modalités de contrôle de la Charte.

LA MISE EN PLACE PROGRESSIVE D'UN SYSTÈME ORIGINAL ET EFFICACE DE CONTRÔLE

La Charte occupe une place particulière au sein du Conseil de l'Europe. Par son contenu d'abord, par son système de contrôle ensuite.

Par son contenu, elle constitue une spécificité forte du Conseil par rapport à l'Union européenne dont la compétence ne s'étend pas à l'organisation interne des États.

Comme la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle est susceptible cependant de porter atteinte à la souveraineté des États alors même qu'elle s'insère dans le fonctionnement d'une simple organisation intergouvernementale.

On aurait pu d'ailleurs imaginer, en ce qui la concerne, que les États renoncent à vérifier son application. Son texte pourrait donner à penser que telle était bien l'intention puisqu'il n'existe pour tout système institutionnel de contrôle qu'une simple obligation d'information du secrétaire général du Conseil sur les mesures prises pour se conformer aux termes de la Charte (Art. 14).

A l'inverse, s'agissant d'un domaine qui implique nécessairement une différence de point de vue entre les autorités centrales, naturellement peu enclines à abandonner leur pouvoir, et les autorités locales élues, qui doivent toujours défendre le leur, un contrôle par le seul Comité des Ministres aurait paru quelque peu inadapté et aurait manqué de crédibilité.

Il ne pouvait s'agir d'autre part d'un simple contrôle juridique comme il en existe un par exemple pour la Charte Sociale à partir d'un comité d'experts nommés par les Gouvernements.

La solution est venue de la pratique et d'une pratique diplomatique subtile comme il en existe au Conseil. Elle s'est appuyée sur l'existence du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux qui, bien que désigné par les Gouvernements 9 ( * ) , a pour fonction de représenter les pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe. Il constitue à cet égard une anticipation, mais au niveau de l'Europe toute entière, du comité des Régions de l'Union européenne avec lequel il collabore désormais.

Les autorités du Congrès ont pris l'initiative, avec la neutralité bienveillante du Comité des Ministres, de procéder à des enquêtes et de formuler un certain nombre de jugements, parfois courageux du reste, à l'encontre de tel ou tel pays-membre. Avec l'accord du Comité 10 ( * ) , elles ont mis en place successivement des structures et des méthodes qui sont aujourd'hui consacrées par la Charte même du Congrès.

Celui-ci est désormais officiellement chargé de veiller « à la mise en oeuvre effective des principes de la Charte européenne de l'autonomie locale » 11 ( * ) et est invité « à intensifier ses efforts en vue de (leur) respect effectif ».

Naguère assuré par un simple groupe de travail d'une de ses commissions, le contrôle de l'application (« monitoring » en anglais) est de la compétence de la commission institutionnelle de la Chambre des pouvoirs locaux. Celui-ci est effectué par des rapporteurs désignés en son sein assistés par un groupe d'experts indépendants dont le statut vient d'être récemment renforcé 12 ( * ) et la composition modifiée et approuvée.

Ce contrôle prend la forme de plusieurs types de rapports : généraux à partir d'un questionnaire qui s'efforce de cerner les conditions d'application de telle ou telle disposition de la Charte : le cinquième, qui portera sur l'organisation institutionnelle du pouvoir au plan local est en cours de préparation. Jean-Claude Frécon vous parlera sans doute tout à l'heure du troisième qui portait notamment sur les finances. L'initiative de ces rapports est prise par la commission seule.

Il en est de même pour les rapports pays par pays sur l'état de la démocratie locale dont la liste est distribuée. C'est le rapport sur la France qui nous réunit.

D'autres rapports sont la conséquence soit du travail effectué pour les rapports généraux, lorsqu'il a permis de déceler des anomalies qui appellent des compléments d'information, soit de plaintes transmises par les associations nationales de collectivités (contrôle « à la demande »).

L'élaboration de ces rapports est marquée par un dialogue constant entre les élus et les experts, entre le Congrès et les associations nationales mais aussi les Gouvernements.

Leur adoption et leurs conclusions sont l'occasion d'autres échanges, principalement avec le Comité des Ministres pour les rapports généraux, avec les autorités du pays concerné pour les rapports nationaux ou particuliers.

L'idéal est que les conclusions du rapport puissent faire l'objet d'une rencontre telle que celle d'aujourd'hui. Le Congrès ne cherche pas en effet à montrer du doigt mais à faire en sorte que les principes de la démocratie locale soient pris en compte et appliqués. De nombreux rapports débouchent en fait sur des modifications législatives (l'un des exemples les plus significatifs est celui de la Roumanie).

La procédure est formalisée sous la forme de recommandations et de résolutions. Les résolutions sont des documents internes au Congrès tandis que les recommandations s'adressent au Comité des Ministres et sont à l'origine des recommandations officielles de celui-ci à l'égard des Gouvernements des États-membres. Cette véritable « navette » entre le Congrès et le Comité des Ministres a été perfectionnée de manière à ce que le Comité puisse être saisi le plus en amont possible. L'une des conséquences les plus évidentes de la confiance qui s'est ainsi peu à peu instaurée est que le Comité des Ministres a décidé de surseoir, au moins provisoirement, à ses propres activités de monitoring.

A ces contrôles initiaux ont tendance à se substituer de plus en plus souvent des conférences dans les pays-membres destinées à éclairer tel ou tel point particulier, l'idéal étant de transférer progressivement la charge du contrôle aux autorités locales du pays concerné.

Le Congrès a donc la préoccupation de diffuser au maximum les dispositions de la Charte et de créer ainsi un certain nombre d'automatismes qui marqueraient l'ouverture d'une nouvelle phase : celle d'une comparaison des « meilleures pratiques » entre les différentes situations nationales.

Face à cette construction progressive, une conclusion provisoire s'impose. Elle est double :

Le Congrès en dépit de moyens extrêmement limités a réussi à s'imposer dans le mécanisme décisionnel du Conseil de l'Europe tout en respectant la logique institutionnelle d'une organisation intergouvernementale.

Il est en passe de faire admettre de façon définitive l'existence d'un mécanisme de contrôle sui generis et d'élaborer un corps de doctrine permettant les comparaisons entre systèmes qui pourrait s'avérer particulièrement utile dans d'autres enceintes. Il est d'ores et déjà fait appel à son expérience dans les contacts que les procédures d'élargissement de l'Union européenne entraînent et entraîneront de plus en plus entre collectivités locales des pays membres et des pays candidats.

Le Congrès a fait la démonstration aussi que le progrès de la démocratie locale ne passait pas nécessairement par une uniformisation aveugle et que son intervention attentive dans le contrôle de l'application de la Charte pouvait être parfaitement compatible avec le respect des choix institutionnels internes de États.

C'est sans doute une leçon pour l'Union européenne de demain...

M. Louis LE PENSEC

Je remercie Monsieur Delcamp qui, avec talent, a posé les données du problème. Nous ne saurions nous contenter d'une reconnaissance d'un droit formel, encore faut-il avoir les moyens de l'exercer, et c'est ce qui va être le thème de l'intervention de Monsieur Jean-Claude Frécon, qui est par ailleurs vice-président de l'Association des maires de France, et vice-président de la Commission institutionnelle du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe.

Je voudrais saluer l'arrivée à cette tribune de Monsieur Jozef Migas, Président du Conseil national de la République slovaque. Monsieur Delcamp évoquait tout à l'heure le rôle de certains pionniers dans la genèse du thème de l'autonomie locale. Il me plaît de souligner la présence dans cette salle d'un pionnier, Lucien Sergent, qui était présent le 18 octobre 1953 aux États généraux de Versailles, et je ne saurais le citer sans évoquer Lucien Harmégnies et Jacques Chaban-Delmas.

M. Jean-Claude FRECON, Vice-président de l'Association des maires de France, Vice-président de la Commission institutionnelle du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe

Vous m'avez demandé de faire en une vingtaine de minutes le résumé de cinq années de travail au sein du groupe de travail du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux sur les finances et compétences des collectivités locales dans les pays du Conseil de l'Europe.

Lorsque nous avons commencé ce rapport, en 1996, nous nous sommes bien sûr appuyés sur les travaux du groupe d'experts indépendants présidé par Alain Delcamp, que vous venez d'entendre, et qui avec ses collègues nous ont apporté une immense diversité. Le Conseil de l'Europe a d'abord pris comme principe qu'il n'était pas là pour homogénéiser, mais au contraire pour respecter les différences, historiques et pratiques. Il devait, dans le respect de ces différences, essayer de trouver quels seraient les points communs pour édifier une indispensable cohérence et une comparaison entre les systèmes, non pas pour les opposer les uns aux autres, mais pour que chacun en tire ce qu'il pouvait trouver de meilleur dans les exemples des pays voisins, et essaye d'améliorer sa propre législation. Nous avons essayé, pendant quatre ans, avec l'aide de ces experts, de partir sur un certain nombre de principes, qui sont devenus les principes du Conseil de l'Europe, adoptés par le Comité des Ministres. Nous avons, avec Alain Chénard, qui était président du Congrès, et Monsieur Cuatrecasas, le président actuel, essayé de faire avancer cette idée en France. Nous étions à l'époque 37 pays au Conseil de l'Europe, et nous sommes aujourd'hui 43. Nous avons donc accompli cette avancée nécessaire pour aider les nouvelles démocraties, tout en sachant bien que rien n'est à sens unique, et que les anciennes démocraties d'Europe occidentale pouvaient également profiter des apports de ces nouvelles démocraties.

Nous avons mis en avant cinq de ces principes sur les finances et les compétences des collectivités territoriales : la subsidiarité, la suffisance, la connexité, la transparence, et la solidarité. Je voudrais sur ces cinq principes vous donner quelques éléments de réflexion pour notre journée d'aujourd'hui.

Premier principe, celui de subsidiarité. Je serai rapide sur ce premier point puisque Alain Delcamp en a précisé les contours, dans le cadre de son intervention précédente. Je rappellerai simplement que ce principe de l'Union européenne a depuis une dizaine d'années été retenu par le traité de Maastricht comme l'un des principes essentiels de la construction européenne. Le Conseil de l'Europe depuis 1977, au Comité des Ministres, puis dans le texte de la Charte européenne de l'autonomie locale de 1985, a affirmé ce principe.

La subsidiarité, c'est confier à la collectivité locale la plus proche du citoyen les moyens et la compétence de réaliser ce qu'elle est en droit d'être et ce qu'elle veut être. Si elle ne peut pas réaliser certaines de ses compétences, on les transmet à une autorité dite de type supérieur, disposant d'une capacité supérieure, qui elle pourra remplir ces compétences. Mais tout ce qui peut être rempli au niveau local le plus proche du citoyen doit être laissé par la loi à la compétence des collectivités territoriales. Ce principe de subsidiarité est contenu dans l'article 4, alinéa 3, de la Charte européenne de l'autonomie locale.

Le deuxième principe est celui de la suffisance, sur lequel je m'étendrai un peu plus, car il concerne naturellement l'essentiel des rapports que j'ai présentés au Congrès des pouvoirs locaux, le premier en 1998 sur les finances, et le deuxième en 2000 sur l'adéquation entre ces finances et les compétences. Ces deux rapports ont marqué pour nous l'aboutissement d'une étude, comme je vous le disais, importante. Avec le concours de plus d'une trentaine d'experts indépendants d'une trentaine de pays de Conseil de l'Europe.

La première chose indispensable est de voir si l'on peut, de la comparaison de ces expériences, sortir un certain nombre de principes communs.

Tout d'abord, la définition des ressources. Nous avons souhaité que pour les comparaisons indispensables entre les pays d'Europe, la notion de ressource propre ou de ressource transférée soient des notions très clairement établies, pour que l'on sache à quoi correspond le terme d'autonomie locale. Car la ressource propre, c'est la ressource de l'autonomie. C'est celle qui consiste pour une collectivité territoriale à avoir des ressources dont elle est entièrement maîtresse. Elle est maîtresse du produit qui va être nécessaire pour remplir certaines compétences. A la différence de la ressource transférée, qui est une ressource transférée la plupart du temps par l'État, ou par une autre collectivité d'Europe ou d'ailleurs, mais qui est une ressource dont la collectivité n'a pas la maîtrise du montant du produit affecté chaque année à son sujet. Cela ne veut pas dire que ces ressources transférées ne sont pas indispensables pour les collectivités locales, mais elles ne sont pas de la catégorie des ressources propres, qui seule permet une véritable autonomie.

Alors, nous avons eu quelques discussions et parfois quelque peine à faire admettre à un Gouvernement, à certains experts nationaux, que cette notion de ressource transférée, indispensable, n'était pas le meilleur critère d'autonomie locale, et que le meilleur critère était celui des ressources propres.

Les ressources propres sont bien sûr les impôts, dont le taux est voté par la collectivité, et non pas les impôts qui vont être transférés par l'État. Les ressources propres sont vraiment les ressources décidées au moins par le taux, quelquefois même par l'assiette et par le taux, par la collectivité territoriale. Les autres ressources propres sont des ressources de redevance de service, service défini par la collectivité et dont le tarif est fixé par cette collectivité.

Voilà quelles sont les deux grandes catégories de ressources propres, dans lesquelles on peut rajouter, pour les pays qui permettent cette ressource, le recours à l'emprunt.

Le recours à l'emprunt est une ressource propre, même si elle entraîne ensuite un certain nombre de dépenses et de relèvements d'impôts. Quant aux ressources transférées, elles consistent en la multitude de ressources des collectivités locales dont le conseil municipal de base n'a pas la maîtrise, mais qui lui sert naturellement beaucoup à équilibrer son budget. Dans certains pays, il y a très peu de ressources propres, et beaucoup de ressources transférées. Ce sont des impôts partagés par exemple, mais dont le taux n'est pas fixé par la collectivité mais par une loi nationale ou régionale, qui attribue à telle ou telle commune un pourcentage précis d'un impôt transféré. Cet impôt transféré peut être sur la TVA, sur l'impôt sur le revenu, c'est une part importante de nos budgets, mais la collectivité en tant que telle n'en a pas la maîtrise. On lui donne en début d'année une certaine somme, avec laquelle elle doit se débrouiller, et la commune, si elle a quelques difficultés, n'a pas la possibilité de faire varier le taux. Cela constitue une différence très importante entre la ressource propre et la ressource transférée.

Tels sont les propos que je souhaitais tenir sur ce point. Nous avons, avec certains collègues allemands, eu un très large débat sur les ressources financières des communes allemandes, qui ont fait appel au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux en 1997. Des élus allemands nous avaient à l'époque dit qu'un certain nombre de communes étaient en état de cessation de paiement. Les communes allemandes ne sont absolument pas brimées. La démocratie allemande est vivante et constitue un modèle pour de nombreux pays. Mais au niveau de la ressource, le Gouvernement allemand avait transféré à ces communes des compétences supplémentaires, en particulier suite à la réunification et aux problèmes survenus en Europe du Sud. Avec un afflux de réfugiés important, des compétences nouvelles avaient été données aux communes, mais avec des ressources financières pour la plupart encadrées, transférées par l'État et les Länder. Les communes n'avaient à ce moment-là plus la possibilité d'obtenir des ressources supplémentaires. Un certain nombre de communes allemandes, dont beaucoup de grandes villes, étaient obligées pour équilibrer leur budget 1996/97 de vendre une partie de leur patrimoine. Elles nous ont appelé au secours à ce moment-là. Elles n'étaient pas en situation difficile sur le plan juridique, mais elles ne pouvaient pas boucler leur budget. Elles ne disposaient pas de ressources propres suffisantes, elles recevaient l'essentiel en dotations. Cette notion de ressource propre indispensable à l'exercice de l'autonomie locale est un point essentiel que nous avons voulu mentionner dans nos études.

Le troisième principe est celui de connexité. Il rejoint un peu ce que je viens de dire sur l'Allemagne. C'est un principe mis en avant dans les constitutions et dans la législation d'un certain nombre de pays d'Europe. Ce principe peut s'appeler différemment selon les pays, mais affirme que lorsque l'État, ou une collectivité d'ordre supérieur, transfère une compétence à une collectivité de rang inférieur, il faut qu'en même temps soient transférées les ressources indispensables pour l'exercice de cette compétence. Selon cette règle de la connexité, est pris en compte le montant des dépenses affectées l'année précédant le transfert de la compétence, le montant des ressources affectées par l'État à cette compétence, et ce montant doit être intégralement reversé aux collectivités locales l'année suivante. Ensuite, cette dotation financière doit évoluer, comme l'évolution des finances de l'État et des collectivités territoriales. Ce principe de connexité est un principe indispensable si l'on ne veut pas asphyxier l'apparente autonomie que certains États pourraient donner à un certain moment aux collectivités territoriales, en leur donnant beaucoup de compétences, mais sans leur donner la capacité financière correspondante.

Le quatrième principe est celui de transparence, qui est essentielle pour nous. Nous devons travailler en transparence entre les 43 pays du Conseil de l'Europe. Nous ne sommes pas là pour porter un jugement péremptoire sur la façon dont tel ou tel pays arrive peu à peu à mettre en accord sa législation avec les principes, mais nous devons demander à ces pays de le faire dans la transparence. Certains pays de la vieille Europe peuvent aider les pays de nouvelle démocratie. La réciproque est également vraie. Dans les multiples missions que, membres du Congrès, nous faisons dans les pays du Conseil de l'Europe, nous avons toujours le souci de voir comment les principes peuvent s'adapter dans ces pays. Ce principe de transparence est inscrit dans notre Charte de l'autonomie locale, dans l'article 9, alinéa 10, et dans l'article 4, alinéa 6.

Nous pensons également que les ressources affectées aux différentes compétences doivent être diversifiées. Il ne s'agit pas de n'avoir qu'une sorte d'impôt ; il faut essayer de diversifier les types d'impôts. Nous devons le plus souvent chercher à ce que les dépenses soient évolutives. L'impôt foncier seul, nous le constatons dans tous les pays d'Europe, est un impôt qui globalement augmente moins vite que la richesse générale du pays. Cela veut dire que nous demandons, dans les impôts ou dans les dotations que l'État paie aux collectivités, qu'il y ait impérativement une indexation sur l'activité économique, activité qui a permis à l'Europe de se développer, et qui doit permettre à chaque pays, et à chaque collectivité locale, de profiter des fruits de la croissance.

Enfin, le dernier principe est celui de solidarité. Nous souhaitons que les pays le mettent en application en particulier avec ce que nous appelons, et que beaucoup de pays appellent, la péréquation. Cette péréquation financière est indispensable. Nous avons tous, à l'intérieur d'un même pays, à l'intérieur d'une même région, à l'intérieur d'un même département, besoin de mettre en place des systèmes de solidarité. Les différentes communes n'ont pas la même situation géographique, économique, ne sont pas desservies de la même façon par les grands axes de communication, les voies ferrées ou les autoroutes. Nous avons besoin que l'État ou les autres collectivités locales apportent un peu plus à celles qui sont défavorisées. Ce principe de la péréquation s'applique naturellement et plus facilement par l'intermédiaire des dotations de l'État, c'est-à-dire des transferts. Je vous rappelle que dans le cadre des transferts il est normal que la loi, voire la Constitution pour certains pays, mette en place ce principe de péréquation.

Je reprendrai l'exemple de l'Allemagne. Après la réunification il y a dix ans, l'Allemagne a continué d'appliquer les principes de péréquation en RFA. La différence entre les Länder ne pouvait excéder plus ou moins 10 % par rapport à la moyenne. Lorsque les cinq Länder de l'ancienne Allemagne de l'Est sont rentrés dans la République fédérale d'Allemagne, on a appliqué ce même principe. On a alors assisté à un dévoiement de la notion de péréquation, car les Lander les plus riches de l'Allemagne de l'Ouest se disaient qu'il était inutile de demander un effort fiscal à leur population, car cet effort, par le principe des vases communicants, bénéficierait à d'autres Lander : « Donc on impose nos citoyens, et ils n'en profitent pas du tout ». La réaction était la même sur les Lander qui recevaient cet argent. Ils considéraient que ce n'était pas la peine de demander plus d'impôts à leurs concitoyens : « Nous préférons leur en demander moins ; si nous disposons de moins de ressources, nous recevrons davantage ».

Le principe de péréquation est positif, mais il doit être fondé sur des critères qui risqueraient à l'extrême de noyer l'idée même de péréquation. Je rappelle toutefois que le principe de péréquation est un principe essentiel dans la solidarité. Cette solidarité existe pour l'instant à l'intérieur de chaque pays, et devrait s'exprimer entre les pays de notre Grande Europe.

TABLE RONDE N° 1

LE RÔLE DE LA CHARTE EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE EN TANT QU'INSTRUMENT JURIDIQUE EUROPÉEN DE RÉFÉRENCE POUR LA STABILITÉ DÉMOCRATIQUE ET LA CONSTRUCTION DE LA DÉMOCRATIE LOCALE DANS LES PAYS DE L'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE

M. Alain CHENARD, ancien Président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe

Nous venons d'entendre des orateurs nous présenter avec beaucoup de talent la Charte européenne de l'autonomie locale.

S'agit-il d'une contrainte, d'une ardente obligation, s'agit-il d'une espèce d'excuse ? L'adhésion au Conseil de l'Europe constitue un prétexte pour faire avancer une démocratie que l'on n'a pas forcément souhaitée. S'agit-il d'une sacro-sainte référence ? S'agit-il simplement d'un outil qui permet d'y voir clair après les observations que l'on peut faire dans les pays qui nous environnent ? Autant de questions auxquelles des réponses doivent être apportées, de la manière la plus pragmatique possible, au travers des études de cas et des expériences vécues qui vont maintenant nous être présentées.

La démocratie locale, vous l'avez compris, est quelque chose de délicat, derrière les différences de pratique et d'intention. En France, nous disons dans l'article 72 de la Constitution qu'il s'agit d'une libre administration des collectivités territoriales, mais nous refusons tout ce qui touche à l'autonomie locale, sans trop savoir pourquoi.

Il nous est nécessaire de disposer d'une bonne visibilité. Nous avons désormais, au Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux, dans le cadre des activités du Conseil de l'Europe, une pratique permanente qui consiste à aller dans des pays nouvellement adhérents ou des démocraties installées pour, sur quatre, cinq, ou six pays, mener des enquêtes précises et effectuer des analyses qui nous permettent, à un moment donné, de dire : « Telles sont nos constatations, telles sont nos suggestions, telles sont les actions qui permettraient un meilleur fonctionnement de la démocratie locale dans tel et tel pays ».

Le Directeur général des collectivités locales en France affirmait récemment que, par cette action, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux menait un combat pour la démocratie locale. Notre ambition se rapproche plus de la définition qu'a donnée Monsieur le Premier ministre Pierre Mauroy qui, après avoir été l'acteur d'une première vague de décentralisation a été chargé d'une mission importante sur ce thème, et a parlé de « refondation permanente de l'action publique locale ».

L'exemple de la Pologne et de la Hongrie va nous permettre de voir ce qu'il en est. Ces pays ont non seulement installé cette démocratie locale au niveau des communes, mais sont allés jusqu'à la régionalisation. Nous évoquerons également l'exemple de la Roumanie qui, disons-le en toute franchise, a connu un démarrage assez difficile. Quelle bataille, quelle épreuve de force pour essayer de faire comprendre à cet État, à son Gouvernement, que le fait d'avoir adhéré à la Charte européenne de l'autonomie locale au moment de l'adhésion au Conseil de l'Europe avait créé un certain nombre d'obligations !

Finalement, cette résistance de la Roumanie, qui a fini cependant par intégrer dans sa constitution et dans sa législation une protection suffisante des maires, nous a permis d'installer ce système de rapport sur l'état de la démocratie locale dans chaque pays membre. Même la France a fait l'objet d'un rapport, et je remercie et salue deux de ses auteurs, qui ont fourni un travail intéressant.

M. Jozef MIGAS, Président du Conseil national de la République Slovaque

Comme vous le savez, notre pays a mené un processus de transformation et de réforme de son système fiscal, économique et éducatif. Ces changements touchent aussi naturellement l'administration publique. Le dernier pas a été fait en décembre 1990, alors que nous étions encore une composante de la République tchécoslovaque.

En 1990, la loi sur les collectivités locales et la loi sur les pouvoirs transmis aux communes ont été adoptées. L'administration de l'État a accompagné les transformations de l'administration publique. Naturellement, une décentralisation des pouvoirs publics est intervenue. En 1996, une autre loi a été adoptée, concernant la décentralisation de l'aménagement territorial de l'administration publique dans différents domaines. Le domaine de la culture, le domaine social, le domaine de l'éducation publique ont ainsi leurs propres pouvoirs. L'aménagement du territoire a ensuite été revu. Huit régions et soixante dix-neuf communes ont été constituées dans le cadre du processus du changement de l'administration publique. Mais la volonté politique n'était pas encore assez forte pour octroyer tous ces pouvoirs au niveau local. C'est pourquoi, après les élections en 1998, l'objectif principal du Gouvernement a été de poursuivre ce processus de décentralisation de l'administration publique.

Nous avons ratifié la Charte européenne, qui représente pour nous un complément, une base pour les nouvelles stratégies et pour la conception de la décentralisation de l'administration publique.

La ratification n'est qu'une partie simple du problème. L'autre concerne la préparation du pays pour mettre la Charte en pratique. L'objectif principal de notre Parlement et de notre Gouvernement porte donc sur le côté pratique de la Charte. L'objectif du Parlement est toujours la décentralisation de l'administration publique et le renforcement des autonomies locales ; mais son objectif principal porte sur la constitution d'une autonomie régionale, dont nous ne disposons pas à ce jour. Il est nécessaire, pour atteindre cet objectif, de procéder à un transfert des compétences du Gouvernement aux communautés locales ou aux communautés régionales, ce qui, comme vous le savez, est très difficile. Le Gouvernement et le Ministère sont en effet peu disposés à abandonner une partie de leurs compétences.

Nous devons, en outre, réformer notre système fiscal. Il est important, comme nous en avons aujourd'hui discuté, de transférer des moyens financiers et de garantir des ressources financières aux collectivités locales. Il est très intéressant pour nous de participer à cette conférence, qui nous permet d'avoir connaissance de la situation en Pologne, en République tchèque, en Hongrie et en France.

La République tchèque et la Pologne ont choisi le système de la gestion de l'autonomie intégrée où, en dehors de l'exercice de l'autonomie locale, les mêmes organes locaux exercent aussi les fonctions de l'État. Nous suivons le modèle roumain, système dualiste, où l'on a fait une division évidente entre l'administration publique et les collectivités locales. Dans ce domaine, les expériences que vous avez menées en France sont d'une très haute importance. Concernant l'aménagement du territoire, nous avons une division comparable à celle du système français. Nous avons en effet des communes, des autonomies locales, et nous avons quelquefois des problèmes avec les petites communes, qui doivent être réunies dans le domaine d'une collectivité locale plus vaste.

Les expériences que vous avez menées en 1982 et 1983 sur le plan de la division, de l'aménagement du territoire et des départements sont très intéressantes pour nous. Il pourrait nous être utile de suivre ce modèle. Plus de 100 Français ont, sous la direction de Paul Girod, représentant français des départements français, des communes, et des maires, participé à un récent colloque qui s'est tenu en Slovaquie. Nos amis français nous ont demandé si nous étions parvenus à gérer le côté professionnel, la face pratique du processus complexe de décentralisation des pouvoirs. Nous avons eu connaissance d'exemples de pays dans lesquels ce thème est en discussion depuis des décennies, mais qui font preuve d'une grande prudence dans leur prise de décision.

La Slovaquie est un pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Nous sommes très ambitieux, et prévoyons d'intégrer l'Union en 2004. Nous avons conscience de la nécessité de procéder à tous ces changements législatifs.

Nous n'avons pas une histoire qui pourrait nous aider dans ces processus. Elle est peu riche sur le plan de la démocratie. C'est pourquoi il faut maintenant faire beaucoup d'efforts pour réussir à effectuer tous ces changements dans un délai aussi court. Nous devons pour cela apprendre beaucoup de vos expériences, être vos élèves pour pouvoir intégrer tous vos acquis dans notre législation, dans nos activités. Nous avons prévu pour la semaine prochaine une session du Parlement pour résoudre les autres sujets liés à la réforme de l'administration publique. Mais j'espère que nous obtiendrons des résultats positifs, grâce à votre expérience.

M. Alain CHENARD

Merci pour vos références et hommages à la France. Vous avez tous nos encouragements pour réussir dans votre oeuvre.

Je passe la parole à Monsieur Jerzy Regulski, ancien Ministre de l'autonomie locale en Pologne, Président de la Fondation pour le soutien de la démocratie locale, qui a été l'un des artisans de la réforme du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe.

M. Jerzy REGULSKI, ancien Ministre de l'Autonomie locale en Pologne, Président de la Fondation pour le soutien de la démocratie locale

Voilà dix ans que nous menons, en Pologne, des réformes concernant la décentralisation et le développement des pouvoirs locaux. Le succès a été rendu possible grâce à l'assistance et à l'aide des pays de l'Ouest. La France a joué un rôle particulier en créant une fondation spéciale France-Pologne, pour soutenir les changements dans notre pays. Je vous en remercie encore une fois. C'est un grand plaisir d'avoir la possibilité de transmettre notre expérience.

La Charte, qui a pour moi une valeur particulière, puisque j'ai eu l'honneur de la signer au nom de la Pologne, a joué un rôle très spécial. Elle a ainsi été un point de référence dans tous ces processus de décentralisation. Quand on parle de la décentralisation, les gens pensent à une opération purement administrative. La décentralisation a, en Pologne, complètement transformé l'organisation de la société et de l'État. Grâce à l'établissement des pouvoirs autonomes, aux organisations non-gouvernementales, à la presse, la radio et la télévision locales, toutes les relations entre la société et l'administration ont été modifiées, tout comme les échanges pour la gestion des propriétés. Dans une grande partie des propriétés, l'État a été communalisé, municipalisé. La décentralisation a complètement transformé des secteurs entiers de l'économie. Les pouvoirs locaux sont devenus les principales forces qui favorisent les processus de transformation de la démocratie et de l'économie de marché.

La Charte a joué un rôle très important dans trois grands domaines.

Le premier est celui des travaux législatifs. Il y a onze ans, quand nous avons travaillé sur les changements constitutionnels et l'établissement des pouvoirs locaux, nous nous sommes fondés sur la Charte, nous avons travaillé avec les experts du Conseil de l'Europe, et nous avons précisément regardé si notre système répondait aux normes et standards fixés par la Charte. Mais le système évolue. Il y a quelques années, nous sommes parvenus à la deuxième étape de la réforme, avec l'établissement de plusieurs niveaux de pouvoirs locaux, les districts et les régions. Nous allons certainement, après les débats parlementaires de cet automne, commencer les discussions sur l'organisation interne des municipalités, et surtout sur les relations entre le maire et les conseillers. Nous entendons limiter les pouvoirs des conseillers et accroître les pouvoirs des maires qui seront élus directement par la population. Cette mesure constitue un grand problème, puisqu'elle va à l'encontre de la Charte, qui prévoit que la municipalité est gérée par un conseil élu par la population. Ce sera une discussion nationale dans laquelle la Charte constituera un point de repère.

Le deuxième domaine est celui des problèmes juridiques. Notre constitution garantit une protection juridique de l'autonomie locale. Cela veut dire que quand les municipalités se sentent offensées par les activités de l'administration centrale, elles peuvent présenter leur cas au juge ou au tribunal administratif contre l'État. Et dans ce cas, la Charte joue un rôle important. Naturellement, la Charte étant un traité international, ses principes sont transposés par l'intermédiaire de la loi nationale. On ne se base donc pas directement sur la Charte, mais toujours sur la loi, renforcée par les articles de la Charte. La majorité des litiges concernent des problèmes de finances.

Avec la décentralisation, le champ de responsabilité des municipalités s'accroît, mais les ressources n'augmentent pas toujours. L'année dernière par exemple, les ministres, sous la pression des syndicats des enseignants, ont imposé des seuils minimaux aux salaires des professeurs de l'école primaire et secondaire. Les écoles dépendent des municipalités. Il n'y a pas d'écoles d'État. Avec ce règlement, les dépenses des budgets municipaux ont augmenté. Les subventions également augmentées par le Gouvernement n'étaient pas suffisantes. Les municipalités et associations de municipalités ont présenté ce cas devant le juge. Par ailleurs, le Gouvernement et le Parlement ont fixé des plafonds aux salaires des maires et des conseillers. Les municipalités pensent que cela porte atteinte à l'autonomie locale, parce qu'il appartient au Conseil de fixer le salaire des maires. Le problème est examiné par le Tribunal constitutionnel, et nous verrons quelle sera sa décision.

Le troisième domaine est celui de l'éducation. Les programmes des écoles et des universités comportent des cours sur la démocratie locale. Pour présenter aux étudiants les standards de la démocratie, on utilise les articles de la Charte comme un élément des programmes universitaires.

La Charte n'est donc pas uniquement un point de repère abstrait. Elle joue un rôle dans le développement de la démocratie dans notre pays, dans ces trois champs : législatif, juridique et éducatif.

M. Imre VEREBELYI, ancien Ministre de l'Autonomie locale de la Hongrie, Vice-président de l'Institut international des Sciences administratives de Bruxelles

Je souhaite faire sept remarques sur le passé, sept autres sur le présent et encore sept pour le futur.

- Sur le présent

Vous savez que la Hongrie a signé et ratifié la Charte européenne de l'autonomie locale qui, à nos yeux, propose sept valeurs fondamentales :

1°) la garantie de l'autonomie locale bien sûr,

2°) le respect de la légalité assuré par un État de droit,

3°) le droit fondamental des collectivités locales à la décentralisation,

4°) l'élargissement des compétences et des responsabilités des collectivités locales (qui va bien plus loin que le modèle anglo-saxon),

5°) la garantie d'une véritable autonomie reposant sur des moyens humains et financiers suffisants (pour l'instant en Hongrie, cela nous fait défaut et les collectivités locales ne jouissent donc que d'une demi-autonomie),

6°) l'efficacité de l'administration locale,

7°) l'européanisation qui passe par le respect des principes de base de la Charte : la Hongrie veut se rattacher au modèle européen grâce à la Charte sans abandonner pour autant son modèle national.

A ce propos, souvenez-vous qu'en 1985 l'Italie a déclaré qu'il était nécessaire de sauvegarder la diversité des États membres. La philosophie de la Hongrie est bien celle des pères fondateurs de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe sur ce point.

- Sur le passé

La Hongrie a signé la Charte en 1992 et elle l'a ratifiée en 1993. Pour la Hongrie, la Charte servait de préliminaire à la mise en place d'une démocratie proche du modèle occidental. Nous nous engagions sur des principes à mettre en oeuvre et c'est justement la pratique de ces principes qui allait poser des problèmes, car cette pratique est liée à un mode de vie démocratique qui n'était pas encore très ancré dans les mentalités. Il fallait manifester notre volonté de respecter ces principes. C'est pour cela que nous comprenons très bien que pour la France, la ratification ne soit pas apparue comme une nécessité puisqu'elle respectait les principes de la Charte et la mettait en pratique depuis longtemps déjà. La Charte est donc un excellent document et un excellent modèle et nous avons maintenant, pour la pratique, de nombreux défis à relever. Comme l'a dit un intervenant, il est bien d'avoir de bonnes lois, mais encore faut-il que ces bonnes lois soient suffisamment adaptées à la pratique que l'on est en mesure d'en faire.

Je rappellerai que dès 1971, la Hongrie avait introduit une nouvelle organisation territoriale et donc une certaine autonomie locale autant que cela pouvait se faire dans un pays de type soviétique. Mais déjà nous voulions un modèle venant de l'Occident et nous refusions de suivre le modèle yougoslave ou le modèle roumain. Pour nous, l'Allemagne et l'Angleterre avaient plus à nous apprendre en matière de gestion des services publics locaux, mais pour l'autonomie locale nous tournions tout naturellement nos yeux vers la France et nous avons suivi son modèle.

En effet, nous distinguions le « self-government », vraie autonomie locale, du « self-management », simple gestion administrative locale, et déjà nous exigions le « self-government ».

Ma deuxième remarque sur le passé concerne la fusion de communes. Certes, nous l'avons pratiquée mais pas tant que nos voisins d'Europe centrale ni autant que les pays du Nord de l'Europe. Pourquoi ? Parce que nous savions que pour protéger nos minorités et pour qu'elles soient majoritaires localement, il fallait de petites entités autonomes à l'échelon local. Nous avons tourné le dos au modèle roumain.

En 1985, nous nous sommes donc rapprochés de la Charte européenne. Nous nous sommes rendus au Conseil de l'Europe grâce à Madame Lalumière. Nous avons beaucoup apprécié sa remarquable bibliothèque.

En 1989, j'ai eu le privilège de passer un an au ministère de l'Intérieur que dirigeait alors Monsieur Joxe. Monsieur Philipovitch nous a beaucoup aidés alors à préparer notre réforme, ainsi que votre ambassadeur à Budapest, Monsieur Nicoullaud.

Je devrais maintenant aborder mes remarques sur le futur. Comment appliquer les principes de la Charte ? Comment s'inspirer des modèles existants et acquérir une bonne pratique ? Je dois cependant renoncer à ces remarques sur le futur, car je suis un homme respectueux des temps de parole.

M. Alain CHENARD

A vous entendre, il n'y a nul doute que l'avenir vous appartient. Merci d'avoir rendu hommage à Madame Catherine Lalumière, à qui l'on doit beaucoup, et qui a très bien compris le rôle que pourrait jouer la démocratie locale dans la stabilisation démocratique de ces pays, et à Thomas Philipovitch, que beaucoup d'entre nous ont connu, qui a été un pionnier et n'a cessé de croire en l'Europe. N'oublions jamais que les pouvoirs sont toujours sensibles aux contre-pouvoirs.

M. Adrian MORUZI, ancien maire de Brasov, Secrétaire général de la Fédération des municipalités de Roumanie

Je voudrais seulement faire quelques remarques générales. En 1989, nous avons assisté à la fin de la guerre froide. La confrontation idéologique internationale a commencé à se développer au niveau des nations, pour trouver une voie entre l'esprit réformiste et conservateur. D'une certaine manière, parce que la Roumanie était un pays mono-idéologique, soumis à un régime dictatorial, il nous manque des idées, des pratiques et des habitudes capables de soutenir la société. Assez vite la Constitution roumaine a permis le développement d'une vie démocratique. Nous avons connu en Roumanie une véritable « inflation politique ». En 1991, il existait presque 300 partis politiques. En février 1992, se sont tenues les élections locales et, en septembre 1992, les élections générales. Deux groupes politiques se sont formés sur la base démocratique dans le cadre de notre nation. Les élus locaux ont selon moi eu la chance de pouvoir bénéficier de documents tels que la Charte européenne de l'autonomie locale, qui a représenté pour nous un guide pratique des choses qu'il était nécessaire de mettre en place pour développer l'administration locale.

Au niveau national, les hommes politiques ont choisi la voie européenne, l'intégration politique, économique et militaire, avec l'OTAN, mais sans bénéficier d'un document pratique sur la mise en oeuvre de cette intégration. Au niveau local, nous avons bénéficié de la pratique de la Charte, et pas seulement de la brochure, des mots, mais aussi de la pratique du Conseil de l'Europe. En servant les principes de l'autonomie locale de la Charte, nous, les maires, ayant visité le Conseil de l'Europe, avons eu des idées, des images, et avons pu agir assez vite, plus vite même que les hommes politiques au niveau national.

D'une certaine manière, les élus locaux en Roumanie sont allés trop vite, et des conflits assez forts sont apparus. La Charte a en effet développé un esprit de militantisme chez certains maires poussant des projets idéalistes pour l'organisation de la société roumaine. Leur avance sur les politiciens du Gouvernement central a engendré un conflit assez fort. Nous avons assisté en Roumanie à la démission de plus de 102 maires, situation complètement folle. Nous avons appelé le Conseil de l'Europe, avec Monsieur Chénard, et avons agi pour essayer de rééquilibrer les choses.

Je pense que la situation qui s'est développée en Roumanie est assez symptomatique de celle de beaucoup de pays de l'Europe et du monde. Nous attendons la Charte universelle de l'autonomie locale.

Chez nous, la Charte a développé un sentiment de solidarité des maires et a donné naissance à quatre associations de communes, de villages, de villes, de régions. Ces quatre associations ont travaillé ensemble à de nombreuses reprises, pour presser le Gouvernement central de promouvoir les lois nécessaires. La Charte nous a donné la possibilité de comprendre ce que signifient les ressources de l'autonomie locale, dans trois lois fondamentales : la loi des finances publiques locales, la loi de propriété publique de la communauté, la loi de fonctionnaire publique.

Il n'a pas été facile de réaliser tout cela. Six années ont été nécessaires. Nous avons dû attendre 1999 pour bâtir le système de lois nécessaires pour l'autonomie locale. Nous sommes maintenant dans la pratique de l'autonomie locale. Nous découvrons que certains nouveaux droits sont nécessaires. Le système mis en place doit à présent être perfectionné.

Nous considérons aussi que nous avons assisté à une maturation de l'administration publique. En 2000, suite aux élections locales et générales, des ex-militants de la Charte européenne de l'autonomie locale ont pour la première fois accédé au Parlement. Nous avons à présent à l'intérieur du Parlement des partenaires fiables qui ont une expérience de l'autonomie locale. Beaucoup d'élus locaux vont devenir des parlementaires au niveau national. Il y a quelques jours, les quatre organisations des pouvoirs locaux ont décidé de réaliser une seule fédération des associations, pour se préparer ensemble à l'intégration européenne. Un grand nombre de charges qui vont être assumées par l'État, le Gouvernement central, sont en effet des charges de niveau local. Nous considérons dans ce cas que, en ayant une représentation commune des intérêts au niveau national, nous pouvons participer au processus.

D'un autre côte, le principe de la Charte nous a donné le sentiment d'appartenir déjà à une même communauté européenne. Nous partageons avec un certain nombre de pays, d'Europe de l'Est notamment mais pas uniquement, un langage, une idéologie, lorsque nous jugeons les situations de nos pays. Presque 60 % des personnes élues en 2000 sont de nouveaux élus. Il y a un éternel retour du principe de la Charte. Je pense qu'il est nécessaire d'accroître la qualité du travail du conseil local. Il dispose de l'instrument nécessaire pour décider. Nous découvrons que les conseillers locaux sont généralement des hommes politiques oubliés, et que l'on n'a pas fait beaucoup pour conférer au niveau local une capacité de décision efficace dans le contexte défini par la loi.

Il est nécessaire aussi, au niveau de l'administration locale et régionale, de trouver le concept de développement stratégique socio-économique. Il est difficile pour moi de juger la situation de la France. En quoi la ratification de la Charte va-t-elle promouvoir la démocratie dans votre pays ?

En 1994, j'étais invité à New-York à la première conférence mondiale des maires. Nous étions dix maires d'Europe. La plupart des participants venaient d'Asie du Sud-Est et d'Amérique latine. La Charte mondiale de l'autonomie locale a largement été évoquée. Presque tous les maires partageaient les mêmes problèmes et difficultés. Je suis content de voir que la Charte s'inscrira dans le mouvement général de mondialisation. Je pense qu'il est nécessaire de disposer de l'appui de la France. Ses Droits de l'Homme sont universellement reconnus. Ils assurent le droit individuel. Au niveau du village planétaire, des règles sont nécessaires pour améliorer la vie des individus, et la Charte peut permettre d'atteindre cet objectif. Je vous remercie.

M. Alain CHENARD

On peut saluer la ténacité et la force des convictions d'Adrian Moruzi. Je reçois avec plaisir son hommage à la pratique du Conseil de l'Europe, et à l'esprit de militantisme qui est né chez les maires. J'ai entendu que beaucoup d'élus allaient vers le Parlement ; j'espère que vous n'aurez pas de problème de cumul des mandats.

TABLE RONDE N° 2

LA MISE EN OEUVRE DE LA CHARTE EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE DANS LES DÉMOCRATIES D'EUROPE DE L'OUEST

M. Claude CASAGRANDE, Président de la délégation française du CPLRE

Nous venons d'entendre un certain nombre de témoignages fort intéressants, passionnants et passionnés, de représentants des pays d'Europe centrale et orientale, des « nouvelles démocraties », et l'on voit bien quelle ont été l'utilité et l'importance de la Charte de l'autonomie locale dans leur processus d'évolution. Lorsqu'elle a été signée, en 1985, la Charte s'adressait aux pays qui étaient déjà membres du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire à ceux que l'on appelle « les vieilles ou anciennes démocraties ». Cette seconde table ronde aura pour objet de regarder comment, dans des pays de tradition démocratique, s'est faite la transposition de la Charte, de cet instrument juridique qui est arrivé a posteriori, alors que notre système législatif était déjà construit.

La délégation française était particulièrement heureuse que le Congrès ait décidé de préparer un rapport sur la France. Nous avions le sentiment que la France respectait globalement les principes de la Charte sans l'avoir ratifiée, ce qui vaut tout de même mieux que d'avoir ratifié la Charte avant d'en avoir traité les principes. Nous avons effectué un grand nombre de visites dans les pays d'Europe centrale (Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Moldavie, Arménie, Géorgie) et, à chaque fois, nous avons été interpellés en ces termes : « Vous nous demandez de ratifier la Charte, mais vous ne l'avez pas fait. Pourquoi nous contraindre à quelque chose que vous-mêmes ne faites pas ? »

Cette parenthèse fermée, nous allons donc maintenant regarder comment ont été transposées les dispositions de la Charte dans l'ordre législatif national du Royaume-Uni, de l'Allemagne et du Portugal. Pour commencer, je donne la parole à Monsieur Christopher Newbury. Je rappelle que le Royaume-Uni a ratifié la Charte.

M. Christopher NEWBURY, membre de la Commission institutionnelle du CPLRE, conseiller du District de West Wiltshire

En signant la Charte, le Royaume-Uni a indiqué son intention de respecter ses principes. Il n'a pas eu besoin de modifier sa législation nationale, qui y répond déjà. Il est clair que la Charte n'a pas été incorporée dans la législation du Royaume-Uni. La Charte doit permettre aux collectivités locales de faire valoir leurs droits. Elle n'a pas d'effet direct ou immédiat sur la loi nationale. La signature et la ratification de la Charte n'ont présenté aucun problème constitutionnel au Royaume-Uni. Cette question était davantage politique.

Le Royaume-Uni a conscience de l'importance de la démocratie locale pour le respect des Droits de l'Homme et le maintien de la stabilité en Europe. La mise en oeuvre de la Charte renforcera les partenariats avec les collectivités locales de notre pays. Nous pensons que le Royaume-Uni est d'ores et déjà en conformité avec les dispositions de la Charte, et nous n'en avons exclu aucun article. Le Gouvernement a exclu simplement les paroisses et les communautés, qui représentent un pouvoir consultatif et ont peu de pouvoir d'action.

En Irlande du Nord, le Gouvernement a pensé que l'application de la Charte serait prématurée ; ce territoire est donc entièrement exclu de ses dispositions. Concernant l'article 16, le Gouvernement a également décidé d'exclure les domaines d'outre-mer, car les collectivités locales y ont un pouvoir très restreint.

Je souhaite donner lecture de la note explicative fournie à l'époque par le Gouvernement du Royaume-Uni : « Aucun amendement n'est nécessaire pour assurer la conformité avec la Charte. Le Gouvernement va faire en sorte que toute loi adoptée à l'avenir y soit conforme ». Les pouvoirs locaux ont été consultés. Le suivi effectué par le Congrès permet de disposer d'une évaluation de l'application des dispositions de la Charte. Nous avons publié des rapports sur les domaines pour lesquels des doutes subsistent.


· l'absence de mandat exclusif pour les pouvoirs locaux

Les pouvoirs octroyés par le Gouvernement peuvent être modifiés. Depuis 1998, le changement principal est que les autorités locales du Royaume-Uni ont reçu pour la première fois un mandat général et non spécifique, concernant la promotion de l'environnement socio-économique.


· la disposition relative aux appels d'offres excédant un certain montant

Cette disposition a été remplacée par une structure moins rigide.


· la multiplication des subventions ciblées

Selon l'article 9.7 de la Charte, « dans la mesure du possible, les subventions accordées aux collectivités locales ne doivent pas être destinées au financement de projets spécifiques ». Or on s'achemine de plus en plus vers des subventions ciblées.


· l'instauration d'un seuil pour l'imposition fiscale

La commission d'audit a apporté une modification pour l'Écosse.


· l'implication d'organes complémentaires pour programmer les best values

Les modifications apportées ont été limitées. Quelques progrès ont néanmoins été accomplis.


· l'extension du transfert de compétences du Gouvernement central au Gouvernement local

Les transferts sont de moins en moins nombreux. Certains pouvoirs sont transférés par les pouvoirs locaux à des corps non éligibles, tels que les associations chargées du logement. Nous ne savons pas si cela est conforme aux dispositions de la Charte. Certaines de ces organisations sont quasi-autonomes.

M. Heinrich HOFFSCHULTE, Oberskreisdirektor honoraire, premier vice-président
du Conseil des communes et régions d'Europe

Il existe en Allemagne une véritable tradition de l'autonomie locale, qui remonte au XII e siècle, au règne de l'Empereur Frédéric II. A cette époque, dans un souci d'indépendance, plusieurs villes se soumettaient directement à leur empereur. Cela leur conférait le droit de lever l'impôt. La ville de Dantzig a adopté le droit de Lübeck en 1224. Puis des systèmes d'autogestion ont été adoptés dans un grand nombre de villes, jusqu'à Petersbourg. Puis ces villes se sont fédérées comme dans la ligue hanséatique. La situation actuelle résulte pour partie de ces données. Hambourg et Brême sont des villes-État, et Berlin est un cas spécial.

La Charte de l'autonomie locale reproduit les meilleures tendances de ce fédéralisme urbain et de l'autonomie locale. L'Allemagne a été l'un des onze premiers pays à signer la Charte en 1985. La Charte a été ratifiée le 17 mai 1988, et est entrée en vigueur le 1 er septembre 1988, tout comme en Autriche, à Chypre, au Danemark, au Liechtenstein et au Luxembourg.

Nous n'avons pas de réserve quant aux dispositions de la Charte. Il n'y avait pas de nécessité puisque nous n'avions pas d'îles Falkland. Mais il y avait une nécessité de proclamer que la Charte concernait aussi la ville de Berlin qui, à l'époque, était encore sous la souveraineté des Alliés. Ensuite, la Charte est applicable au premier niveau des communes, mais aussi au deuxième niveau de l'autonomie locale, le deuxième niveau d'autogestion complémentaire, qui n'est pas le district, ni le département. Enfin, concernant l'article 9, paragraphe 3 de la Charte, selon lequel « une partie au moins des ressources des collectivités locales doit provenir de redevances, ou d'impôts locaux, dont elles ont le pouvoir de fixer le taux », il faut remarquer que cette disposition n'est pas applicable au deuxième niveau des communes, ni dans la Rhénanie-Palatinat.

Pour en revenir au titre de cette table ronde, en Allemagne, la Charte, contrairement à ce que l'on a pu observer au Royaume-Uni, a dû être respectée dès le jour de sa ratification. L'intégration de la Charte à la législation était donc peu problématique. Aucun amendement à la Constitution, aucune modification des lois n'a été nécessaire. L'article 28 de notre Constitution est fondé sur un chapitre concernant les Länder. En Suisse, le Gouvernement national n'a pas même le droit de signer une charte concernant les communes. Cela relève de la compétence des États membres de la Suisse, les cantons. En Allemagne, la deuxième chambre ne représente pas les communes. Notre deuxième chambre est celle des Länder, des États membres. Les Länder tiennent à ce que le Gouvernement fédéral respecte le fait que les décisions concernant les communes relèvent de leur responsabilité. Cela a eu des conséquences assez pittoresques lorsque l'on a créé le Comité des Régions. Dans le texte du Traité de Maastricht, ce Comité est le conseil consultatif des régions et des collectivités locales. Les Länder ont proposé le nom de Comité des Régions. Cela relève de ce que j'appelle « le néo-centralisme des régions ».

Il y a une garantie beaucoup plus vaste d'autonomie locale dans les constitutions des États membres des Länder. La législation sur les communes se fait par les Länder, et non par la République fédérale.

Il y a néanmoins des insuffisances en ce qui concerne l'autonomie locale, sur le plan institutionnel et dans la pratique, surtout en ce qui concerne les finances et le principe de la connexité. Concernant les insuffisances institutionnelles, l'article 20 de la Constitution dit que nous avons un système fédéral sans aucune administration nationale. L'exécution des lois est l'affaire des Länder, ce qui donne souvent une loi nationale générale, dont les Länder transmettent les dispositions particulières aux communes. Il est évidemment difficile de respecter le principe de connexité dans ce contexte.

Le principe de connexité dans la Charte est assez faible. J'ai d'ailleurs eu l'honneur de travailler sur ce point dans le texte proposé pour une Charte mondiale. Le principe est à présent beaucoup plus précis. Ce point fait l'objet de l'une des réticences du Gouvernement à une Charte mondiale. Il n'existe pas de mention claire dans la constitution allemande, ni de texte assez clair dans la constitution des Länder. Je ne connais qu'un pays membre du Conseil de l'Europe, l'Arménie, qui ait intégré à sa Constitution un texte clair sur le principe de connexité.

II y a une tendance des Länder à prévoir des subventions aux collectivités locales et pour le financement de projets spécifiques.

Il n'y a pas en Allemagne d'organe réservé aux communes en ce qui concerne la participation des collectivités locales à la préparation de la législation. Le Comité des régions de l'Union européenne n'a pas d'équivalent au niveau national allemand ni au niveau des Länder. Cela constitue l'une des faiblesses de la Charte.

Concernant le principe de péréquation mentionné par Monsieur Frécon, nous distinguons en Allemagne la péréquation horizontale, des riches vers les pauvres, et la péréquation verticale, l'assistance supplémentaire par l'État. D'ailleurs, nous avons changé de système la semaine dernière, au cours de la grande conférence de financement des Länder.

Concernant la pratique de l'application de la Charte européenne, il existe une tendance croissante au néo-centralisme des régions. Ce problème existe également en France. Vos régions sont assez fortes. C'est un grand problème en Russie. Vladimir Poutine a rappelé que seuls une douzaine des 89 États membres de la Fédération russe respectaient la loi nationale sur les communes. Le problème existe aussi en Espagne. Les raisons et les conséquences du problème sont différentes selon les pays, mais il faut rappeler qu'il existe une certaine tendance à décentraliser les tâches vers les communes.

Le foisonnement de la réglementation est un sujet de débat en Allemagne. Cette question concerne toujours l'autonomie locale. Les Länder critiquent beaucoup Bruxelles, mais agissent de la même manière. L'autonomie locale reste souvent théorique et elle est peu mise en oeuvre. Les maires choisissent en effet souvent la facilité et souhaitent recevoir des fonds de l'État-membre ou du Parlement des Lander. C'est ce que l'on appelle une « séduction centraliste dorée ».

M. Antonio REBORDAO MONTALVO, Président du Centre d'études pour le développement régional et local

Mon exposé portera sur les bases du cadre juridique de l'autonomie locale au Portugal, et sur la nouvelle tendance à la décentralisation. La Constitution portugaise approuvée en 1976 a intégré les pouvoirs locaux. On peut donc dire que les collectivités locales ne sont pas seulement un élément de l'organisation démocratique locale, mais aussi une structure du pouvoir politique. La Constitution stipule que l'État est unitaire et respecte dans son organisation les principes d'autonomie des pouvoirs locaux, et de la décentralisation démocratique de l'administration publique. Dans le cadre de ce principe, elle réglemente plusieurs domaines relatifs aux collectivités locales.

Premièrement, la Constitution définit les collectivités locales en tant que personnes collectives, dotées d'organes représentatifs dont l'objectif est de promouvoir les intérêts des habitants de leur circonscription. Elle établit les catégories des collectivités locales par municipalité et région administrative. Les régions administratives n'ont pas encore été créées. La Constitution reconnaît l'existence de divisions propres et définies par la loi, conformément au principe de décentralisation administrative. Elle consacre un principe d'autonomie financière et patrimoniale, et définit les structures des organes de la collectivité locale, en prévoyant l'existence d'une Assemblée délibérante, qui est un organe exécutif collégial. Elle attribue aux collectivités locales un pouvoir réglementaire propre, dans les limites fixées par la Constitution, les lois et les règlements des collectivités de niveau supérieur. Elle définit la tutelle administrative sur les collectivités locales en la réduisant à une simple tutelle de légalité, ne pouvant être exercée que dans les cas et les formes prévues dans la loi. Finalement elle établit que les collectivités locales disposent de personnel, et précise que le régime des fonctionnaires et des agents de l'État leur est applicable. Tout cela concerne la liberté et la capacité de faire, comme en a parlé Alain Delcamp.

On peut dire que la Constitution consacre expressément les trois éléments suivants du concept d'autonomie locale :


· droit des collectivités locales à l'existence autonome, avec des organes propres, capables de conduire une politique locale ;

ï capacité effective de régler, gérer les affaires locales, avec des moyens financiers suffisants à la mise en oeuvre des tâches des collectivités locales ;

ï large étendue de compétences des collectivités locales, c'est-à-dire gestion d'une part importante des affaires publiques.

La Constitution de 1976 consacre tous les éléments caractéristiques de la démocratie de l'autonomie locale Cependant, cela n'a pas empêché l'État portugais de signer et de ratifier la Charte européenne de l'autonomie locale en 1992.

Les compétences des collectivités locales portugaises sont consacrées dans la loi en tant que compétences propres, définissant les intérêts locaux qu'elles prennent en charge. La première loi de compétences des collectivités, approuvée en 1977, a consacré une méthode de répartition des compétences entre les collectivités locales et l'État fondée sur le système de bloc des compétences. La compétence des collectivités était absolument indépendante et distinguée de celles de l'État. L'ordonnancement juridique ne prévoyait pas la délégation des compétences de l'État aux collectivités locales. Après quarante-huit ans de dictature, le législateur national a consacré ce système de bloc des compétences pour mieux protéger l'autonomie locale, seul rempart des collectivités locales contre l'État. Cependant, le système de bloc des compétences ne favorise pas le développement d'une décentralisation dynamique. D'autre part, il empêche la diminution des tâches de l'État, dans la phase de transformation du rôle de l'ancien État providence.

Dans le cadre de ce nouveau contexte historique, le Parlement a approuvé à l'unanimité en 1999 une réforme profonde des lois de compétences des collectivités locales, inspirée par la Charte européenne d'autonomie locale. Il a consacré expressément pour la première fois dans l'ordonnancement portugais le principe de subsidiarité en tant que principe régulateur des relations entre les collectivités locales et l'État, et en tant que principe dirigeant l'activité de législateur dans le domaine de répartition des compétences entre l'État et les collectivités locales.

D'après cette nouvelle réglementation, directement applicable aux collectivités locales, ce système de bloc des compétences a été lancé par les nouveaux grands cycles de la communication et du partenariat des administrations centrales et locales.

Une autre innovation très importante du nouveau régime approuvé en 1999 concerne la mise en place d'un processus de transfert progressif de nouvelles compétences aux communes jusqu'à l'année 2004. Selon cette décentralisation graduelle, chaque année le budget de l'État doit prévoir des ressources financières accordées aux collectivités locales pour l'exercice de nouvelles compétences, fixées dans le contrat établi entre l'État et les communes selon le principe de connexité dont nous a parlé Monsieur Frécon.

Sur le principe de subsidiarité, l'exercice des responsabilités publiques doit incomber de préférence aux autorités les plus proches des citoyens. La réforme législative de 1999 a consacré non seulement le transfert des compétences de l'État vers les communes, mais aussi le transfert des pouvoirs des communes soit à la paroisse, l'échelon le plus local des collectivités locales, soit à des associations et coopératives privées. Ce système d'administration décentralisée, tantôt appelé la décentralisation impartiale, a été consacré dans le régime local portugais, par influence directe de la Charte européenne d'autonomie locale. Le principe de subsidiarité est ainsi consacré.

DEUXIÈME SÉANCE

LE PROCESSUS DE DÉCENTRALISATION EN FRANCE

Dr Herwig VAN STAA, Président de la Chambre des pouvoirs locaux du CPLRE, Maire d'Innsbruck

La France a une grande tradition en matière de démocratie locale. Au sein des communes et des régions, les citoyens français ont un rôle important à jouer. Monsieur Chénard a fait preuve d'un grand mérite en tant que Président du CPLRE au cours de la deuxième année. Monsieur Frécon est un expert depuis des années en matière de démocratie locale et régionale. Il est vice-président de la commission institutionnelle de la Chambre des pouvoirs locaux. Il est dommage que la France n'ait pas encore ratifié la Charte. Nous pensions qu'elle serait plus rapide que la Grande-Bretagne. Nous sommes heureux de savoir que nous sommes sur la bonne voie.

La France joue un rôle important au sein du Conseil de l'Europe. Nous voulons oeuvrer pour le développement des Droits de l'Homme et celui de la démocratie locale et régionale dans la Grande Europe.

M. Daniel VAILLANT, Ministre de l'Intérieur

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président du Congrès,

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les membres du Congrès,

Mesdames et Messieurs les parlementaires

Je souhaite tout d'abord vous remercier, M. le Président Poncelet, de votre invitation à ce colloque organisé conjointement par le Sénat et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe. C'est avec un grand plaisir que je rencontre M. Cuatrecasas, comme les membres du Congrès, au moment même où vous débattez de la décentralisation française et je sais toute l'attention que vous avez portée à la situation de la démocratie locale en France, notamment au travers du rapport de vos collègues MM. Bucci et Van Cauwenberghe que vous avez examiné l'an dernier.

Je veux saluer également M. Pierre Mauroy, qui a impulsé et conduit comme Premier ministre, comme vous le savez, la plus grande réforme de la décentralisation que la France ait connue depuis la III e République. C'est sous son inspiration et celle de la commission qu'il présidait à la demande du Premier ministre, qu'une nouvelle étape de la décentralisation a été conçue au début de cette année 2001.

Le thème de votre colloque : « La décentralisation française vue d'Europe » rejoint les réflexions et l'action actuelles du Gouvernement de Lionel Jospin. Ainsi, la semaine dernière, hier encore, je présentais aux députés le projet de loi sur la démocratie de proximité, dont l'examen constitue un moment fort pour l'approfondissement de notre démocratie locale. J'y reviendrai.

Mon propos portera, comme vous l'avez souhaité, sur le nouveau processus de la décentralisation en France. Mais, au préalable, je souhaite vous indiquer comment je perçois l'action de mon ministère dans le domaine de l'administration locale au sein de l'ensemble européen.

1. Mon premier message sera de vous assurer que la France partage et appuie les efforts déployés par le Conseil de l'Europe et son Congrès des pouvoirs locaux et régionaux pour promouvoir l'autonomie locale.

a) Mon département ministériel est déterminé à soutenir vos efforts pour promouvoir la démocratie locale.

En sa qualité de pays cofondateur et hôte de l'institution, la France est attachée aux activités du Conseil de l'Europe, pionnier des institutions européennes et champion de l'État de droit. Elle entend participer pleinement à ses travaux dans le cadre des orientations définies lors du deuxième sommet de Strasbourg d'octobre 1997. Pour ma part, ministre en charge de l'administration territoriale, je suis attentif aux initiatives prises par le Conseil pour la promotion de la démocratie locale. Je sais la place prise par le Congrès dans ce processus. Une telle contribution a été rendue possible grâce au mouvement mobilisateur qu'il a suscité autour de ses travaux et du caractère incisif de ses expertises sur la situation de la démocratie locale dans chaque pays membre. Je tiens à saluer, à cet égard, l'énergie et le dévouement d'Alain Chénard, pour développer le rôle de votre assemblée.

Le Congrès est, également, à l'avant-garde du soutien aux pays de l'Europe centrale et orientale. Nombre de vos délégués sont allés sur le terrain dans ces pays pour se porter à l'écoute de leurs responsables.

J'ai donc décidé que mon ministère s'investirait davantage encore dans vos travaux. Et cette disposition s'applique également aux travaux menés par le Comité directeur de la démocratie locale et régionale. Je confirme en cela les propos que le directeur général des collectivités locales vous a tenus il y a quinze jours à Strasbourg. Je le fais avec d'autant plus de conviction que la France dispose d'un modèle de démocratie locale à la fois ancré dans sa tradition républicaine et revigoré par les progrès majeurs accomplis, depuis 1982, en matière de décentralisation.

C'est dire qu'on chercherait en vain les raisons pour lesquelles la France apparaîtrait en retrait dans le mouvement d'affirmation de l'autonomie locale en Europe.

b) Le moment me paraît venu de voir la France confirmer solennellement son attachement
à la démocratie locale.

La notion d'autonomie locale peut être rapprochée du principe de libre administration des collectivités territoriales, tel qu'il est fixé par notre Constitution. Pour l'essentiel, notre système local est en harmonie avec les principes de la charte de l'autonomie locale.

Les collectivités locales française reçoivent leurs compétences de l'État, dans le cadre de la loi. Elles peuvent ainsi, sans être soumises à des contraintes excessives et sans interférer avec les pouvoirs exécutif et législatif, comme avec l'autorité judiciaire, exercer leurs missions au profit de leurs populations.

Dans cet esprit, je vous confirme que je suis favorable à la réouverture de la procédure de ratification de cette charte, ainsi que je l'ai proposé au Premier ministre.

c) C'est pourquoi je suis désireux de favoriser la bonne insertion des collectivités dans le processus européen.

Cette insertion relève d'abord de l'efficacité des actions de coopération transfrontalière qui, depuis plus de vingt ans, bénéficient d'une place privilégiée dans notre action politique Elle se situe au confluent d'une législation nationale spécifique et de la convention cadre européenne sur la coopération transfrontalière élaborée à l'initiative du Conseil de l'Europe. Ces deux sources n'ont cessé d'emprunter un cours favorable à la coopération transfrontalière. En dix ans, de 1982 à 1992, on est ainsi passé de la seule faculté pour le conseil régional d'organiser avec l'autorisation du Gouvernement des contacts réguliers avec des collectivités territoriales étrangères ayant une frontière commune à la possibilité pour une commune, un département ou une région de conventionner avec une collectivité locale étrangère, quel que soit le pays à travers le monde, dans les seules limites de leurs compétences et du respect des engagements internationaux de la France. En quelques lignes, le fondement de la coopération décentralisée et transfrontalière est ainsi posé.

D'autres dispositions, dont certaines remontent à 1995, facilitent encore l'exercice de la coopération transfrontalière en offrant la possibilité pour des collectivités territoriales étrangères de participer à des groupements d'intérêt public et à des sociétés d'économies mixtes locales et, réciproquement en permettant aux collectivités locales françaises d'adhérer à des organismes publics de droit étranger.

L'évolution de la coopération transfrontalière témoigne qu'une législation concise, sans doute unique en Europe, respectueuse du principe de libre administration des collectivités locales et bénéficiant d'un engagement constant de l'État et des collectivités territoriales, permet d'aller vite et loin.

Plusieurs institutions européennes, à commencer par le Conseil de l'Europe, ont engagé des réflexions sur le perfectionnement des modes de Gouvernement. La Commission européenne prépare ainsi, un Livre blanc sur la bonne « gouvernance européenne ».

Nous ferons connaître, le moment venu, la position du Gouvernement français sur les préconisations qui s'en dégageront. Mais comme ces réflexions concernent, d'une manière ou d'une autre, l'organisation locale, je tiens à vous faire part, d'ores et déjà, des quelques principes qui nous guideront dans l'élaboration de la position des autorités françaises.

- Premier principe : si des valeurs démocratiques communes doivent inspirer l'organisation locale des pays européens, si les coopérations doivent se renforcer, il ne m'apparaît pas souhaitable de privilégier un cadre unique d'administration locale. Il n'est pas d'organisation territoriale idéale. Le principe de la liberté de choix des modèles d'administration locale, adaptés à la culture, à la tradition et aux spécificités de chaque pays, doit prévaloir. J'observe, aux demeurant, que sous des appellations diverses, il existe, dans la plupart des pays européens comme en France, trois niveaux de collectivités locales : un niveau local, un niveau régional et un niveau intermédiaire.

La France est attachée à la commune qui reste son modèle de référence. Nos 500 000 élus locaux constituent une richesse démocratique irremplaçable et unique, même si un effort puissant de rationalisation de l'action de ces collectivités a été engagé du fait du développement de l'intercommunalité. La commune reste et restera le symbole concret de la vie démocratique car c'est à son niveau que peut s'établir une réelle participation des citoyens et que se règlent les questions de notre vie quotidienne.

Deuxième principe : la prévalence de la responsabilité démocratique.

Devant le besoin croissant et légitime de participation à la décision publique de la population et donc des associations, des ONG ainsi que des partenaires sociaux, le Gouvernement a montré l'exemple dans ce domaine, en généralisant, au titre du projet de loi « démocratie de proximité », la formule des conseils de quartier qui associent, au niveau le plus fin d'un territoire, les représentants de la « société civile »aux élus municipaux. Il n'en demeure pas moins que le principe de la responsabilité démocratique, qui implique que la décision incombe à celui qui a été élu, ne doit pas être remis en cause.

- Dernier principe, la nouvelle architecture institutionnelle de l'Europe ne saurait se résumer à une marqueterie de pouvoirs régionaux. Le Gouvernement vient d'effectuer une avancée significative en proposant dans le projet de loi relatif à la démocratie de proximité de nouveaux transferts de compétences aux régions. Mais l'État doit maintenir sa capacité d'agir et de décider localement. Le même raisonnement s'applique d'ailleurs aux instances communautaires qui, garantes de la cohésion économique, sociale et territoriale de l'Union, doivent maintenir, à l'heure de l'élargissement, leur capacité de mener une politique régionale cohérente et équitable. Il n'est pas dans l'intérêt des autorités européennes d'aboutir à un processus d'émiettement territorial, conduisant à l'affaiblissement des politiques communautaires.

J'en viens maintenant au nouveau processus de décentralisation engagé en France.

2. Une nouvelle étape de la décentralisation est lancée

Ce sont les réformes de 1982/1983 qui ont fait franchir un pas décisif à la décentralisation. La philosophie des réformateurs de cette période avait consisté à redistribuer les pouvoirs, en conférant aux élus locaux des responsabilités directes très importantes. Aujourd'hui, la décentralisation est approuvée par l'ensemble des élus et parallèlement bien perçue par les Français.

Depuis 1997, ce Gouvernement a amplifié ce mouvement. Je citerai, notamment, la loi sur le renforcement de l'intercommunalité du 12 juillet 1999 et celle sur l'aménagement et le développement durable du territoire adoptée la même année qui permettront de bâtir une nouvelle coopération, fondée sur des projets de territoire. La loi sur la solidarité et le renouvellement urbains du 13 décembre 2000 confère elle-aussi, grâce aux schémas de cohérence territoriale, des outils nouveaux aux élus locaux.

Le rapport de la commission Mauroy avait conclu à une nécessaire « refondation de l'action publique locale ». Le Premier ministre s'est exprimé le 27 octobre dernier à Lille et le 17 janvier devant l'Assemblée nationale sur l'orientation du Gouvernement en matière de décentralisation. Elle repose sur les 6 priorités suivantes :

- la démocratisation des institutions locales,

- l'approfondissement de la démocratie locale,

- un meilleur partage des compétences.

- une réforme des finances locales,

- l'amélioration du recrutement et de la formation des agents territoriaux,

- la relance de la déconcentration.

Le premier mouvement de décentralisation, mis au point dans les années 1980, visait les collectivités locales, leurs structures, leurs compétences et leurs moyens. Celui que nous engageons aujourd'hui porte sur les acteurs de la vie locale : les élus, les agents et les citoyens, qui doivent être au coeur de notre action.

Aujourd'hui, et sans être exhaustif, je souhaite vous résumer la philosophie qui nous anime dans trois secteurs-clés de ce nouveau processus : la démocratie participative, les nouveaux transferts de compétences aux Régions et les finances locales.

a) La démocratie participative

Le texte qui vient d'être présenté aux députés prend en compte le besoin croissant de participation des citoyens à la décision publique.

Ce projet renforce la participation des habitants au débat public par la création de conseils de quartiers, obligatoires dans les grandes villes. Ces instances consultatives associeront aux élus locaux des représentants des habitants et des associations.

Le projet de loi, par toute une série de dispositions, confère des droits et des moyens nouveaux aux groupes minoritaires dans les conseils de façon à permettre là aussi une meilleure expression démocratique au sein des assemblées élues.

Enfin, le projet comporte un volet relatif à la participation du public à l'élaboration des grands projets d'aménagement ou d'équipement ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire. En réformant les modalités d'appréciation de l'utilité publique de ces projets, il s'agira de rendre plus transparent le processus de décision, en permettant au public de s'exprimer en amont des projets, d'accroître les responsabilités des collectivités locales dans l'appréciation de l'utilité publique de leurs projets et d'améliorer le déroulement des enquêtes publiques. Le rôle et les moyens de la Commission nationale du débat public, érigée en autorité administrative indépendante, seront significativement renforcés.

b) Deuxième point : le renforcement des compétences régionales

A la demande des députés de toutes les formations politiques, le Gouvernement a souhaité saisir l'occasion du projet de loi sur la démocratie de proximité pour proposer un renforcement immédiat des compétences régionales sur les thèmes qui lui paraissaient les plus simples et les plus consensuels, à savoir :

- les interventions économiques : Le projet de loi se propose d'accroître et de compléter les compétences des Régions en matière économique, en leur permettant d'une part, de définir elles-mêmes les régimes d'aides aux entreprises et d'autre part, de doter des fonds de capital investissement.

- La formation professionnelle : Dans le souci d'une maîtrise régionale renforcée de la formation professionnelle des jeunes comme des adultes, le projet de loi leur confie la responsabilité du versement des indemnités compensatrices aux entreprises qui accueillent des apprentis et leur confie la réalisation d'un plan de développement de l'ensemble des formations professionnelles.

- Les infrastructures : Dans le but de confier à terme aux régions une compétence de gestion des infrastructures portuaires et aéroportuaires, d'intérêt local, le projet de loi organise une phase d'expérimentation qui permettra pendant cinq ans à certaines Régions volontaires d'exercer ces compétences.

- L'environnement : Le projet propose de confier aux Régions des compétences tant pour la planification en matière d'environnement (protection de l'air, déchets) que pour la protection des espaces protégés (inventaire des espèces, réserves naturelles).

Ce renforcement des compétences régionales que propose le Gouvernement devrait contribuer à ce que les Régions, collectivités jeunes et dynamiques, puissent pleinement tenir leur place dans notre système institutionnel, à l'image du rôle essentiel qu'elles ont dans la plupart des pays européens.

Mais ces transferts, pour significatifs qu'ils soient, n'épuisent pas l'ambition du Gouvernement en la matière.

Tout d'abord et comme je l'ai indiqué à l'ouverture des débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à la démocratie de proximité, je suis prêt à examiner toute proposition, de députés ou de Sénateurs, de transfert de compétences à d'autres niveaux de collectivités territoriales, pour peu qu'ils s'inscrivent dans le cadre fixé pour les régions et qu'ils ne réclament des expertises ou des concertations que nous ne serions pas en mesure de mener à leur terme d'ici la fin de la législature.

Au début de la nouvelle législature, d'autres transferts de compétences encore, pourront, à l'issue des expertises et concertations nécessaires, être proposés et je l'espère adoptés par la représentation nationale.

Troisième pôle de réforme : les finances locales

Compte tenu de ses responsabilités essentielles en matière de régulation macroéconomique, l'État a été amené, pour maîtriser les prélèvements obligatoires ou pour favoriser l'emploi, à prendre des décisions qui concernent tout autant la fiscalité nationale que la fiscalité locale.

Dans ce dernier domaine, l'État doit prendre en compte les imperfections du système fiscal français qui concilie très imparfaitement les exigences de justice fiscale et de financement équitable de l'ensemble des collectivités locales.

Il convient de remédier à ces inconvénients, tout en évitant de bousculer de fragiles équilibres.

Le Premier ministre a souhaité que soit préparée une prochaine réforme des ressources locales, à partir d'un rapport qui sera présenté au Parlement avant la fin de l'année en cours.

Le premier axe de cette réforme devrait concerner la fiscalité locale trop injuste et reposant parfois sur des données trop anciennes, voire obsolètes.

L'autre axe de réforme des finances locales visera une répartition plus simple et plus juste des dotations de l'État.

Il s'agit d'assurer une évolution équilibrée de ces dotations. Les collectivités locales doivent bénéficier de ressources prévisibles et évolutives dans la durée.

Ce faisant, il conviendra de ne pas oublier l'objectif de péréquation des ressources. Il faut en effet tendre vers un renforcement de la péréquation fondée sur une meilleure prise en compte de la situation réelle des collectivités locales et donc susceptible d'assurer un meilleur soutien aux collectivités, donc aux populations, les plus fragiles.

*

* *

Pour conclure, j'indiquerai que la décentralisation doit être regardée comme un mouvement et non comme un acte de réforme appelé à rester immuable. Elle appelle des évolutions, conçues avec pragmatisme et résolution. Elle doit tenir compte du nécessaire équilibre entre la démocratie participative et la démocratie représentative. C'est d'ailleurs bien dans ce souci que le projet de loi relatif à la démocratie de proximité comprend également une série de mesures destinées à améliorer la situation et les conditions d'exercice des fonctions électives locales, en gardant à l'esprit le souci de démocratiser l'accès aux mandats locaux et d'accompagner l'instauration récente de la parité entre les femmes et les hommes au sein des assemblées locales.

Le Gouvernement auquel j'appartiens n'a pas ménagé ses efforts au service d'une décentralisation plus légitime, plus efficace et plus solidaire, en un mot plus citoyenne. Il a la volonté politique de maintenir et d'amplifier encore son action en ce sens. Il sera très attentif aux suggestions que vous pourriez nous faire.

Je vous remercie chaleureusement.

TABLE RONDE N° 3

RÉFLEXIONS RÉCENTES SUR LA DÉCENTRALISATION
EN FRANCE

M. Paul GIROD, Vice-président du Sénat

C'est une lourde tâche de prendre la Présidence de la séance après l'allocution du Ministre de l'Intérieur sur un sujet qui bien entendu nous concerne tous, depuis la loi de 1982. Je me souviens avoir présidé une table ronde à laquelle le Premier ministre Pierre Mauroy était présent. C'est lui qui a lancé les réformes de 1981, 82 et 83. Michel Mercier a de son côté l'expérience d'un pays dans lequel la vie locale et les interférences avec le niveau national déconcertent quelque peu. Avant de lancer la discussion, je voudrais, si vous le permettez, vous livrer une remarque personnelle.

Je crois que le débat sur la décentralisation en France est en partie vicié par une dérive, que nous avons tous, gouvernants et législateurs, laissé s'opérer, de la notion de législatif. Nous descendons de plus en plus dans le détail chaque fois que nous discutons un texte de loi. J'ai le souvenir d'avoir présidé une séance au cours de laquelle, alors que l'on parlait d'orientations sur la forêt, on avait une bataille d'amendements dont je ne suis pas certain qu'elle relevait du niveau législatif. Et je me demande dans quelle mesure nous n'avons pas assisté d'ailleurs à une anomalie constitutionnelle.

Nous avons en France deux catégories de lois, les lois organiques et les lois ordinaires, toutes d'application générale avec des procédures d'adoption. N'avons-nous pas à réfléchir autour d'une troisième catégorie de lois, les lois déclinables et affichées comme telle ? L'application locale d'une loi réglementaire serait diverse d'une région à l'autre, parce qu'elle serait sous contrôle des assemblées de chaque secteur de notre pays. Je crois que si nous avions cet instrument-là, bien des difficultés trouveraient peut-être une expression, et cela nous faciliterait l'adoption de la Charte.

Cette réflexion est totalement personnelle, que je me permets de livrer au moment où les intervenants vont nous entretenir des réflexions récentes sur la décentralisation en France.

PRÉSENTATION DU RAPPORT DE SUIVI SUR LA DÉMOCRATIE LOCALE ET RÉGIONALE EN FRANCE

M. Jean-Claude VAN CAUWENBERGHE, Président de la Commission institutionnelle du CPLRE, Ministre Président de la Région Wallonne

Comme cela était rappelé ce matin, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe élabore depuis 1996 de façon périodique des rapports détaillés sur la situation de la démocratie locale et régionale de tous les États membres du Conseil de l'Europe, ainsi que des États candidats à l'adhésion au Conseil.

La décision de préparer un tel rapport pour la France fut prise en 1999, et avec mon collègue Monsieur Moreno Bucci, Maire de Viareggio en Italie, nous avons été nommés rapporteurs pour établir ce rapport. Dans notre tâche, nous avons été assistés par le Professeur Philippe de Bruycker, de l'Université libre de Bruxelles. Nous avons effectué de nombreuses visites de travail sur le territoire français à la rencontre tant d'élus municipaux, départementaux et régionaux, que de parlementaires, de représentants du Gouvernement, ou encore d'experts et d'universitaires, et nous gardons un excellent souvenir des trois heures que nous avons passées en compagnie du Premier ministre Pierre Mauroy à l'Hôtel de ville de Lille, au cours desquelles nous avons eu une très large discussion sur toutes ces questions.

C'est sur cette base que nous avons pu élaborer un rapport qui fut adopté par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe lors de sa session plénière de l'an 2000.

Dans ce rapport, nous avons tenté de dresser un bilan de la décentralisation en France, et de formuler quelques recommandations qui peuvent, nous avons eu la modestie de penser, apporter une valeur ajoutée à la réflexion.

Je me permets d'ouvrir une parenthèse pour vous dire le grand intérêt que j'ai eu à réaliser ce rapport, en tant que voisin, en tant que juriste, en temps qu'ancien maire, et en temps que responsable aujourd'hui d'une entité régionale. J'ai, Mesdames, Messieurs, bien conscience du fait que je suis dans la position de celui qui va établir un diagnostic, quand le médecin est déjà venu nous parler des remèdes.

Vous le savez, la décentralisation en France trouve son fondement dans les années 80. C'est en effet au début de cette décennie que le processus a été lancé. Il s'agit d'une révolution, qui pour être tranquille représentait une rupture fondamentale avec la tradition centralisatrice de l'ancien régime. Avec le recul que nous offre aujourd'hui le temps écoulé, nous pouvons sans risque conclure à la réussite d'une tentative de réforme de l'État, basée sur six grands principes fondateurs auxquels nous sommes attachés.

(1) Les transferts de compétences

L'objectif à la base de la décentralisation était de transférer de l'État vers les collectivités territoriales des blocs de compétence les plus homogènes possibles. Le fait de procéder à une énumération précise des compétences des différents niveaux de collectivité territoriale et locale confère au système français une visibilité qui manque à la plupart des autres pays membres du Conseil de l'Europe.

(2) Le transfert des moyens financiers

D'un point de vue général, les observateurs s'accordent pour dire que cet équilibre entre compétences et moyens transférés fut réalisé correctement par l'État au moment des transferts. Même s'il faut toujours les manier avec précaution, les chiffres sont là pour le confirmer. Ils montrent que les budgets municipaux, qui représentent près de 30 % des dépenses publiques, placent la France dans le peloton de tête, la moyenne des États du Conseil de l'Europe étant de 22 % de dépenses communales au sein des budgets de l'État.

(3) L'octroi d'un pouvoir exécutif aux collectivités territoriales

Pour pleinement mesurer l'ampleur de cette réforme, il faut se souvenir que c'est justement par l'adoption de la loi de mars 1982 que le préfet de département a cessé d'être le seul organe exécutif décentralisé, et que le président du conseil général s'est vu octroyer l'exercice d'un tel pouvoir. Il en va de même pour les régions, dont les conseillers ne sont élus directement par la population que depuis 1986. Le niveau de pouvoir régional est donc un pouvoir jeune, qui semble avoir très vite gagné la confiance de l'opinion.

(4) Le remplacement de la tutelle par de nouvelles formes de contrôle

L'un des traits marquants de la décentralisation des années 80, qui singularise d'ailleurs la France par rapport à ses voisins européens, est la modernisation des procédures de contrôle sous l'action des collectivités territoriales. La tutelle administrative a ainsi cédé la place à un contrôle qui ne peut plus être exercé que par le juge, et par les chambres régionales pour les aspects financiers. Il en va de façon bien différente dans d'autres pays européens qui connaissent encore des modes de tutelle interventionnistes.

(5) La création d'une fonction publique territoriale

Avec la fonction publique de l'État, la création en 1984 d'une fonction publique territoriale a constitué un élément majeur de la dynamique nouvelle que l'on voulait créer.

(6) La déconcentration de l'administration centrale de l'État

La déconcentration de l'administration centrale de l'État a selon nous été très positive. La loi du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République a limité les tâches des administrations déconcentrées à un rôle de « conception, d'animation, d'orientation, d'évaluation et de contrôle ».

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, le rappel de ces principes fondateurs nous montre à quel point fut réelle la rupture avec la tradition centralisatrice séculaire et combien furent profondes les avancées en matière de démocratie locale et régionale. Dans le cadre de notre mission d'expertise, à la faveur de nos contacts, nous avons cependant pu constater que l'évolution actuelle n'était pas sans nourrir des appréhensions, auprès de nombreux élus des collectivités territoriales. Un sentiment d'inquiétude, parfois de mécontentement, s'est clairement fait sentir dans plusieurs de nos entretiens. Selon bon nombre de nos interlocuteurs, après le grand élan des lois de 1982-83, on assisterait depuis le début des années 1990 à un phénomène de recentralisation. Cette position repose sur trois éléments.

Tout d'abord, un grand nombre d'interlocuteurs nous ont parlé du péril qui guette l'autonomie financière des collectivités territoriales. D'après les chiffres des extraits du Conseil de l'Europe dont nous disposons, parmi les États membres, la France se situe largement au-dessus de la moyenne de la fiscalité propre des collectivités territoriales, ce qui est un point positif, et largement en dessous de la moyenne des transferts octroyés à ces collectivités, ce qui est également un point positif. La moyenne de la fiscalité propre en Europe est de 25,7 %, et la moyenne des transferts de l'État vers ses collectivités est de 49 %, la France est en 8 e position en ce qui concerne l'autonomie fiscale et en dixième position concernant l'autonomie financière.

La satisfaction que l'on peut tirer de ces chiffres ne doit pourtant pas occulter certaines inquiétudes qui ressortent de l'évolution de la fiscalité locale. Les différentes mesures intégrées au cours des deux dernières décennies, au travers de lois annuelles de finances, et le Ministre Vaillant y a fait allusion (réduction de l'assiette taxable, dégrèvement d'impôt, exonération de certains contribuables, plafonnement des taux) font craindre une érosion, voire une véritable « étatisation de la fiscalité locale ». Il en est de même pour la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation.

La deuxième crainte que nous avons recueillie est relative au caractère inachevé de l'architecture territoriale. La France compte aujourd'hui à elle seule la moitié des communes du reste de l'Europe des Quinze.

Cet émiettement, véritable spécificité française, constitue un héritage auquel les Français restent manifestement très attachés en continuant largement à s'identifier fortement à leur commune. On peut dès lors comprendre que, dans les années 80, les promoteurs de la décentralisation n'aient pas remis en cause la carte communale française, conscients que tout préalable en matière de fusion de communes aurait pu faire échouer toute la réforme.

On ne doit dès lors pas être surpris par le développement de la coopération intercommunale, notamment le nouvel élan donné par la loi récente du 12 juillet 1999, même si toutes ces procédures ne sont pas sans inconvénient au plan démocratique. Donc ces nouvelles perspectives permettent d'offrir une alternative souple à la quasi-impossibilité d'un nouveau découpage territorial. Dans une moindre mesure, les régions connaissent une situation semblable. En 1982, elles furent en effet érigées au rang de collectivités territoriales sur le découpage préexistant des plans régionaux de développement économique et social, qui date de 1956 et n'a jamais été discuté auparavant. Les partisans des plus grandes entités, et notamment de la mise en place de régions fortes, ont regretté auprès de nous qu'une révision de la carte territoriale n'ait pas précédé la mise en oeuvre de la décentralisation.

Nous avons par ailleurs retenu un certain nombre de remarques, quelque peu nuancées, relatives à l'enchevêtrement des compétences. Les opinions recueillies au sujet du système de répartition issu des lois de 1983 divergent largement. Certains le jugent insuffisamment clair et trop désordonné, d'autres le trouvent positivement complexe parce qu'inhérent à un système véritablement décentralisé. Par ailleurs, l'un des phénomènes majeurs relatifs à la répartition des compétences, et qui a le plus été contesté dans toutes nos rencontres, est la contractualisation, non seulement entre collectivités locales de même niveau, mais également entre différents niveaux de collectivité, ainsi qu'avec l'État. Les jugements portés par les acteurs régionaux sur cette technique de contractualisation avec l'État sont contrastés. Certains y voient un signe de recentralisation d'un système où l'État tente d'imposer sa volonté. On nous a indiqué que selon que vous serez puissant ou misérable, le contrat peut évoluer différemment. D'autres y trouvent positivement la preuve que l'État doit désormais compter avec les collectivités territoriales et ne peut donc pas échapper à ce type de contractualisation.

Mesdames, Messieurs, ces inquiétudes, ces craintes, ces critiques, en un mot cette diversité d'opinion montrent en tout état de cause la richesse du débat démocratique en France sur la décentralisation et témoignent aussi de la qualité de celle-ci, qui s'est incontestablement enrichie depuis une vingtaine d'années. Cela se traduit par une prolifération d'ouvrages, de périodiques, de colloques, de conférences, une multiplication des filières d'enseignement spécialisées dans les collectivités locales. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe a voulu apporter sa modeste pierre à l'édifice en formulant dans son rapport plusieurs recommandations, que je préfère nommer propositions, dont nous savons qu'elles sont plus faciles à valider dans un hémicycle strasbourgeois qu'à mettre en oeuvre sur un territoire donné. Je reste convaincu que ces propositions sont utiles. Je voudrais en livrer deux, la plus importante et la plus ambitieuse.

La plus importante insiste sur la nécessité de préserver l'autonomie fiscale des collectivités, et de renforcer parallèlement la péréquation financière entre les pays. Une refonte de la collectivité locale semble d'une grande nécessité. Les collectivités territoriales ont effectivement un grand besoin de ressources stables, mais surtout d'une fiscalité locale qui doit rester le fondement essentiel de l'Europe. Le rapport demandé par le Premier Ministre sur cette question est donc essentiel et ouvrira certainement un débat à la fois technique et politique. De façon concomitante, la consolidation de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales, mais aussi l'exigence d'une meilleure solidarité interterritoriale, nous paraît supposer un renforcement de la péréquation financière.

La proposition la plus originale figurant dans notre rapport concerne l'idée d'une organisation des territoires par la reconnaissance du principe d'auto-organisation dans une France non plus uniforme, mais diversifiée. Nous l'avons vu, vingt ans après la mise en oeuvre de la décentralisation, qui fut un dessein politique sans dessein territorial, la France n'est toujours pas prête à se lancer dans un nouveau découpage territorial.

Une solution ne serait-elle pas de reconnaître aux collectivités territoriales la faculté d'auto-organisation qui pourrait aller jusqu'à la fusion de différents niveaux, par exemple en donnant aux intéressés la possibilité de décider d'amalgamer lorsqu'ils le souhaitent des régions ensemble, ou une région et des départements la composant, si ceux-ci paraissent trop nombreux, trop exigus, ou si les intéressés souhaitent une plus grande efficacité et une plus grande cohérence territoriale ?

Une telle innovation, visant à rompre avec le principe de l'uniformité qui domine l'organisation politico-administrative de la France, peut paraître audacieuse et nécessiterait une révision constitutionnelle, mais il s'agirait au fond de franchir un pas supplémentaire, en donnant aux collectivités intéressées la possibilité d'agir sur leur nombre de niveaux, et sur l'espace qu'elles représentent.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je ne voudrais pas terminer mon intervention sans insister sur un dernier point qui, au Conseil de l'Europe, nous paraît fondamental : la ratification de la Charte européenne de l'autonomie locale. Dans la mesure où la Belgique fait avec la France partie des mauvais élèves du Conseil de l'Europe, qui n'ont toujours pas procédé à cette ratification, je suis mal placé pour faire la leçon. Je suis en revanche bien placé pour connaître les multiples obstacles institutionnels, juridiques ou politiques, qui peuvent freiner l'assentiment à un tel traité, nonobstant le fait que l'on respecte largement dans la pratique les principes de démocratie et d'autonomie locale.

En Belgique, la situation évolue. Je ne sais si cela pourra susciter une émulation chez nos amis français, mais le Parlement wallon vient de ratifier la Charte européenne de l'autonomie locale. Il nous reste encore un certain nombre de mois pour terminer le processus. Je ne sais pas si cela va inciter notre grand voisin à accélérer l'élaboration de la procédure de ratification,

Nous avons en tout cas la faiblesse de penser que nombre de dispositions de la Charte, avec la force particulière qui s'attache à des dispositions de droit international, pourraient servir de guide au législateur et au juge en offrant une garantie renforcée pour la défense de l'autonomie locale. Je pense particulièrement à toutes les dispositions de la Charte, au niveau des finances locales, à la péréquation financière, ou encore au statut des élus, mais nous sommes tous rassurés après avoir entendu les propos du Ministre de l'Intérieur.

Pour clore cette intervention, je confirmerai qu'il est toujours particulièrement délicat d'avoir à faire un rapport sur le mode de fonctionnement interne d'une démocratie confirmée, a fortiori lorsqu'il s'agit de la patrie des Lumières et du berceau de la Révolution. Au sein de la famille européenne réunifiée, où nous tendons tous vers un idéal humaniste commun, il est de notre devoir de nous enrichir de nos expériences en nous enrichissant de regards extérieurs.

C'est pourquoi avec mes collègues experts et la Commission institutionnelle du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, nous avons instruit ce dossier avec une objectivité maximale, en instruisant à charge et à décharge, et en analysant dans sa dynamique la situation de la démocratie locale et régionale en France. Sans prétendre à la réfection du système actuel, nous avons ainsi pu mettre en évidence l'énorme chemin parcouru par la décentralisation depuis les années 80, dans un pays que l'on présente trop souvent peut-être comme l'archétype de l'État centralisateur, de l'État jacobin, pour user du terme que son histoire a forgé.

Nous avons ainsi voulu apporter notre pierre à la réflexion en analysant le cas particulier de la France, dans une perspective générale. Je ne doute pas que par la confrontation des principes et de toutes nos expériences, nous puissions progresser ensemble sur la voie qui apportera à chacun l'architecture institutionnelle répondant le mieux aux besoins de nos concitoyens et à leurs aspirations.

J'espère en tout cas qu'une journée comme celle-ci peut largement y contribuer.

M. Pierre MAUROY, Sénateur, ancien Premier ministre, Président de la Commission pour l'avenir de la décentralisation (rapport intitulé : « Refonder l'action publique locale »)

Je voudrais dire le plaisir que j'ai à participer à ce colloque. Permettez-moi de remercier Monsieur Van Cauwenberghe pour son rapport sur l'évolution des pouvoirs locaux. C'est un rapport objectif. J'avoue que, pour disposer d'un historique de la décentralisation, il suffit de prendre ce rapport et d'en lire toutes les étapes. Je me souviens avoir, à Strasbourg, dénoncé ce qu'était la centralisation en France.

La France est un État centralisé, c'est un vieux pays, qui s'appuie sur ses communes, ses anciennes paroisses, mais dont le centralisme n'est pas tout à fait celui que nous avons connu dans notre pays et dans l'histoire. Il y a le centralisme des monarques, le centralisme bien entendu des empereurs, et le centralisme de la République. C'est à cela que les Français restent puissamment attachés. Le centralisme de la République a marqué la France, dans un pays qui était dans ses provinces, ses états, conservateur, retardé, etc. La Révolution, qui représentait les idées nouvelles, la Révolution qui représentait un renouveau, la Révolution qui a répandu ses idées les plus généreuses, en ce qui concerne les Droits de l'Homme et du Citoyen, était parisienne. Par conséquent, elle a marqué toute l'histoire française.

La France est une république centralisée. Elle dispose d'un Gouvernement, celui de Paris, qui, dans chaque département, est représenté par un préfet, fonction qui d'ailleurs a été créée pendant la Révolution de 1789. Le préfet représente l'ensemble du Gouvernement, et chacun des ministres, et par conséquent un segment de tutelle générale sur les collectivités territoriales. Telle était la situation, et par un phénomène assez fréquent dans tous les pays, une espèce de renversement, la gauche centralisatrice est devenue décentralisatrice.

Cela a finalement abouti aux lois de 1982-83. J'étais devenu Premier ministre, et nous lancions les grandes lois de décentralisation avec Gaston Defferre, qui les a présentées en tant que Ministre de l'Intérieur. Ces grandes lois bousculaient un ordre établi. La gauche était pour la décentralisation et, par conséquent, la droite était contre. Puis, pendant un certain temps, les discussions se sont apaisées. Ces lois ne portaient pas seulement sur une décentralisation, mais également sur une déconcentration. Des blocs de compétences de l'État ont été transférés de Paris vers la province, sur les communes et départements, sur les régions, et ces transferts se sont accompagnés de transferts de crédits.

Aujourd'hui, tout le monde est d'accord sur la décentralisation. En apparence, règne une grande harmonie, un accord général. C'est même à présent à qui sera le plus décentralisateur. Je rappellerai toutefois aux juristes et à ceux qui écrivent des articles sur la décentralisation en France que nous sommes encore en plein match. Il semble que nous soyons parvenus à un consensus. Le Premier ministre a d'ailleurs pu mettre en place une Commission de face-à-face que j'ai présidée et qui comptait autant de personnalités de gauche que de personnalités de droite. Ses travaux se sont déroulés dans une ambiance de consensus. Sur les 154 propositions du rapport, 120 peut-être ont reçu un accord de presque tous les membres de la commission. Toutefois, le débat continue. La décentralisation constituera, selon moi, l'un des sujets des élections législatives et vraisemblablement l'un des sujets des présidentielles. Ce n'est qu'au lendemain des présidentielles que nous aurons une idée précise de la situation de la décentralisation et de ses évolutions possibles.

Nous devons évacuer un certain nombre de faux problèmes. A Strasbourg, il restait un certain scepticisme concernant la décentralisation française. Je sais que de nombreux pays sont des États fédéraux, et je sais qu'il existe en Europe une tendance en faveur des circonscriptions fédérales. L'État fédéral ne me semble toutefois pas être la solution idéale pour la participation des habitants. Elle ne correspond pas forcément à ce que nous souhaitons pour la démocratie participative. Chaque peuple choisit son type de Gouvernement. Ce problème doit être évacué.

Un autre faux problème concerne le nombre de niveaux. On entend souvent que les niveaux sont trop nombreux en France. Cela est faux. Il existe trois niveaux dans notre pays, tout comme en Espagne, en Italie, en Allemagne ou en Belgique. Le pays est une notion originale, mais ne constitue pas une structure administrative. Il n'existe pas de structure pour ceux qui, de part et d'autre d'une frontière, veulent porter un projet ensemble.

La démocratie représentative a besoin de symboles tels que l'État, la République, la commune ou l'Hôtel de ville. Ces symboles s'amenuisent progressivement. La démocratie représentative n'est pas fondamentalement remise en cause, mais de nouvelles générations, emportées par un certain élan, la remettent en cause. Or cette démocratie représentative est fondamentale. On n'a pas encore trouvé d'autre moyen pour permettre au peuple de s'exprimer. Il est vrai que la démocratie participative doit également occuper une place importante. Faut-il, comme je l'ai entendu en commission, mettre en place des conseils dans les quartiers grâce auxquels des habitants tirés au sort décideront du devenir de leur secteur ? Je crois très simplement qu'à côté de la démocratie représentative, il faut une démocratie participative. Le Gouvernement a, hier, créé dans tous les quartiers des villes de plus de 50 000 habitants, j'avais proposé 20 000 habitants, des conseils de quartiers. J'ai été maire de Lille pendant de longues années. La population a beaucoup apprécié la création d'une mairie annexe dans chaque quartier de la ville et l'instauration de conseils de quartiers. Cela constitue selon moi une progression extraordinaire.

J'observe, dans tous les pays, que si l'on peut souvent se féliciter d'avoir obtenu des résultats au niveau des États, il reste beaucoup à faire au niveau des quartiers, sur le plan de la sécurité, de l'expression et de la prise en charge de la population. C'est peut-être à ce niveau-là qu'il faut le plus invoquer la démocratie et inventer des formes nouvelles de participation du citoyen, tout en respectant bien entendu la légitimité de la commune et le pouvoir de l'Hôtel de ville. C'est ce que nous allons faire.

En ce qui concerne les finances, vous avez, Monsieur Van Cauwenberghe, parfaitement su décrire la position de la France par rapport aux pays Scandinaves. Sur ce plan-là, nous sommes tous d'accord. Contrairement à un certain nombre de pays, nous refusons que le financement des communes et des régions soit uniquement constitué de dotations de l'État. Je pense qu'il faut accepter ces dotations, car l'État a pour tâche de réparer les injustices. Les départements, les communes et les régions ne peuvent surmonter les injustices qui existent entre eux. Cette tâche de régulation incombe à l'État. Je suis défavorable à la généralisation, dans un souci de simplification des calculs, des dotations pour l'ensemble des collectivités territoriales. Je suis un élu territorial, communal, régional et départemental ; je crois que le fait de fixer l'impôt, et notamment par rapport aux concitoyens, a véritablement été une expression de la liberté des élus.

Ma région a été très affectée par la crise économique, mais nous avions la force de vaincre, et Lille a connu une extraordinaire métamorphose. Cela n'a été possible que grâce à des impôts élevés, mais j'ai toujours été réélu. Les Lillois n'ont certainement pas apprécié le fait de payer des impôts, mais ils ont apprécié que leur maire ait décidé de transformer leur ville. J'estime qu'il est de la liberté des élus de faire ce que veulent leurs administrés.

Pour le reste, j'aurais préféré une grande loi de décentralisation. Mais nous l'avons faite par étapes. En tout cas, je souhaite mettre l'accent sur une donnée d'une haute importance. J'ai très souvent affirmé au Président de la République, François Mitterrand, qu'un plus grand nombre de communautés urbaines était nécessaire. Or les Français et les maires sont tellement attachés à leurs communes qu'ils étaient défavorables à cette évolution.

Par la suite, en raison certainement de l'intensification de la mondialisation, une loi présentée par Jean-Pierre Chevènement alors qu'il était Ministre de l'Intérieur a été très facilement acceptée. Cette loi correspond à une évolution formidable. Une intercommunalité s'est développée en quelques mois, et ce développement se poursuit, avec l'adhésion de chacun. Nous devons prendre conscience du fait que la France n'est plus le vieux pays de 36 000 communes qu'elle a pu être par le passé. Précisons toutefois que nous n'allons pas supprimer les communes ; aucun homme politique ne le proposera. En vertu de cette loi, au cours des sept années à venir, toutes les communes devront rejoindre une intercommunalité.

Il nous faut imaginer un mode de scrutin. La ville de Lille dispose d'un budget d'1,5 milliard de francs. Je suis maintenant Président de la communauté urbaine de Lille, dont le budget est de 10 milliards. Il faut un mode de scrutin qui permette de faire un couple entre la commune et l'intercommunalité, un couple de confiance, avec un système interne, et qui permette par conséquent de disposer de deux niveaux à l'intérieur de l'intercommunalité. Cela me semble essentiel. Si on ne le fait pas, les maires penseront que nous souhaitons supprimer les communes et le mouvement actuel d'intercommunalité sera retardé. Il est surprenant de constater que les maires souhaitent à présent devenir plus forts ensemble, et qu'ils souhaitent que davantage de compétences soient données à l'intercommunalité.

J'aurais aimé qu'un grand mouvement soit initié au niveau régional, afin de rendre les régions plus grandes et plus fortes. Les Français ont pris possession de leurs régions en vingt ans. Ils les aiment, même les régions les plus désavantagées. Tous les sondages le montrent. Si la décentralisation est en liaison directe avec le peuple, il faut développer l'interrégionalité et faire en sorte que les régions puissent travailler ensemble. Aujourd'hui, le préfet de région est également préfet du département chef-lieu. Nous proposons que le préfet de région soit seulement préfet de région.

Le Gouvernement a proposé hier que les conseils généraux s'appellent conseils départementaux. Un mouvement général d'une haute importance est en train de secouer la décentralisation française. Je pense que la République va devenir originale, décentralisée, respecter les territoires, et qu'elle sera par conséquent plus soucieuse des choix et des pouvoirs des citoyens et des citoyennes.

M. Michel MERCIER, Sénateur, Rapporteur de la Mission Sénatoriale commune d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation (rapport intitulé : « Pour une République territoriale »)

Il n'est évidemment pas très facile de prendre la parole après présentation historique et lyrique à laquelle nous venons d'assister. Je voudrais rendre hommage à Monsieur Mauroy, qui est l'un des seuls à être parvenu, à plusieurs reprises, à fusionner des communes. Je voudrais, avant que le débat ne débute, rappeler que nous sommes en effet, depuis 1982, parvenus à un consensus sur un grand nombre de points relatifs à la décentralisation. Personne ne souhaite, en France, revenir sur l'idée de décentralisation. Ce concept apparaît au contraire comme la chance, et peut-être la dernière chance, de disposer en France d'une République unitaire mais pas uniforme. La décentralisation suscite aujourd'hui de très nombreux débats. Cette idée semble parfois trop abstraite et trop juridique. Elle constituera certainement l'un des enjeux des élections à venir,

Je voudrais insister sur les points qui ne suscitent pas un consensus, et qui posent problème. La mission que le Sénat avait formée, qui a travaillé à peu près en même temps que la Commission que présidait Monsieur Mauroy et dont les propositions étaient d'ailleurs assez semblables à celles de cette commission, avait constaté que la décentralisation connaissait un certain essoufflement et qu'elle avait besoin d'être rénovée. En effet, le manque d'organisation décentralisée de l'État nous apparaît comme un gage de l'efficacité de l'action publique il nous faut aller plus loin que ce qui a été fait, et il faut surtout que l'État accepte véritablement l'idée de la décentralisation.

Les questions juridiques et les questions de compétence sont bien sûr d'une haute importance, qu'il faut toutefois veiller à ne pas surestimer. Il faut, je crois, trouver un second souffle, et ce souffle ne peut être qu'un acte en profondeur, entre le Gouvernement et les élus locaux. Nous devons être conscients du fait qu'il n'y aura en France une très profonde décentralisation qu'avec une vraie confiance entre l'État et les élus locaux.

Beaucoup a été fait. On a, pratiquement partout, transféré des pouvoirs exécutifs dans la collectivité, mais on a transféré très peu de pouvoirs normatifs. On n'a pas toujours permis à la collectivité locale d'aller au fond de ce qui est sa compétence reconnue.

Je citerai comme exemples le texte sur la démocratie de proximité, qui est actuellement discuté et se rattache aux lois de décentralisation, et un autre texte qui comporte un chapitre sur les services de proximité essentiels que sont les services d'incendie et de secours, dans lequel on voit bien ce qui manque pour donner ce second souffle à la décentralisation. A l'Assemblée, Monsieur Dosière et le Ministre de l'Intérieur ont eu un débat très intéressant sur le mode d'exercice d'une compétence. Nous devrons accomplir des progrès très clairs sur ce point, pour développer la confiance entre l'État et les élus. Dans le domaine social, un effort énorme a été fourni.

Les Français souhaitent être traités de la même façon sur l'ensemble du territoire national, quel que soit l'endroit où ils se trouvent. Ils souhaitent la décentralisation, mais veulent aussi disposer d'un régime social unique et général. Il y a là selon moi un certain nombre de contradictions. La décentralisation doit bien sûr permettre plus de démocratie. Nous devons veiller à ce que l'électeur puisse déterminer très directement quelles seront les grandes orientations de la collectivité. Nous devons également être plus clairs sur les questions relatives aux compétences, et pour cela ne pas généraliser les procédures contractuelles de l'État. Nous devons enfin veiller à ce que les collectivités locales disposent d'une vraie capacité fiscale. Je crois que nous sommes tous d'accord sur ces points.

Je pense que le plus important est de faire comprendre que la décentralisation implique une relation de confiance entre l'État et les collectivités territoriales. L'État doit rester un État unitaire et, pour la gestion, faire confiance à ses territoires. Sans cette confiance, la décentralisation restera un thème de discours, sur lequel nous pourrons d'ailleurs être tous d'accord, mais qu'elle ne sera pas le grand mouvement concernant l'organisation de la République dont nous avons aujourd'hui besoin. Alors, nous ne saisirons pas la chance que la décentralisation peut représenter pour l'État unitaire. Comme vous le savez, nous avons, en France, tendance à abandonner complètement les projets que nous n'avons pas su organiser à temps. On peut aujourd'hui observer qu'un texte va quasiment reconnaître un pouvoir réglementaire à certaines régions, alors que, par ailleurs, des textes prévoient une réduction des capacités de gestion des services sociaux pour nombre de collectivités. Nous devons tous faire l'effort d'accepter que la décentralisation soit aussi une certaine diversité, ce qui permettra à la décentralisation de devenir le mode normal de fonctionnement.

QUESTIONS ET DÉBATS

LA FRANCE PEUT-ELLE RATIFIER LA CHARTE EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE ?

La séance est présidée par M. Pierre Fanchon, Sénateur, Vice-président de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne

De la salle

Dans de nombreux pays européens (France, Espagne, Italie...), le Nord et le Sud sont très différents. Il existe deux Europes : celle du Sud, fortement catholique, et celle du Nord, fortement protestante. La structure catholique est centralisatrice, avec une prédominance du chef, alors que, dans les pays d'Europe du Nord, la loi prédomine. Donc je pense qu'on ne peut pas appliquer un système global à l'ensemble de l'Europe. L'Île-de-France est la région la plus riche d'Europe, et les statistiques montrent que la répartition des richesses dans ses départements est la plus équilibrée d'Europe. Imaginez que l'Île-de-France prenne, comme la Catalogne ou le Pays Basque, l'idée de vouloir partager ses richesses...

M. Llibert CUATRECASAS

Je voudrais préciser que je suis catholique, catalan, et partisan de la décentralisation...

M. Pierre MAUROY

Le fond de votre remarque est certainement vrai, mais on ne peut en tirer des observations définitives. Ce n'est pas parce que l'on appartient à l'Europe catholique que l'on est papiste sur l'organisation des pouvoirs. Je ne pense pas qu'en France, la gauche soit particulièrement papiste. La décentralisation s'appuie davantage sur la volonté d'émergence des citoyens. La démocratie au niveau des grandes entités administratives doit descendre jusque dans les quartiers, que l'on soit catholique ou protestant.

De la salle

Les catholiques sont très centralisateurs dans leurs régions, même si la philosophie catholique est la décentralisation. Le 5 mai 1931, le Pape avait déclaré les principes de subsidiarité émanant des idées catholiques. Les catholiques, quand il s'agit de l'État, sont très décentralisateurs.

M. Llibert CUATRECASAS

Nous ne traitons pas aujourd'hui les questions religieuses. Faisons la distinction entre le spirituel et le temporel. Nous nous intéressons aujourd'hui au temporel.

De la salle

Je suis canadienne. La situation du Canada le rend de plus en plus fragile et vulnérable vis-à-vis des États-Unis. Une grande partie du pouvoir a maintenant été décentralisée, mais nous sommes de plus en plus dépendants des États-Unis. J'aimerais savoir quelle est la perspective française quant à la perte de pouvoir du bas vers le haut.

M. Michel MERCIER

Aujourd'hui, le pouvoir n'appartient plus seulement aux structures qui sont organisées juridiquement. Les marges de manoeuvre des États ont été délimitées dans le cadre des phénomènes de mondialisation, mais il est vrai que l'Amérique du Nord commence à connaître ce que nous avons connu avec la construction européenne. Les problèmes de dépassement des États rendent nécessaire l'organisation de pouvoirs de proximité, alors même que les pouvoirs des États sont utilisés au niveau de grands ensembles continentaux. Nos concitoyens demandent un pouvoir local fort et une plus grande participation.

M. Llibert CUATRECASAS

Je vous propose de passer au débat sur la question suivante : « La France peut-elle ratifier la Charte de l'autonomie locale ? ».

M. Pierre FAUCHON, Sénateur, Vice-président de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne

La Charte de l'autonomie locale existe. Elle a selon moi été rédigée de manière très habile et très intelligente. Elle contient essentiellement des principes et laisse beaucoup de souplesse dans leur application.

Elle comporte d'ailleurs des notions relativement nouvelles en matière de législation, en particulier le principe de proportionnalité, qui indique une volonté de plus se soucier des objectifs et des principes généraux que des mécanismes formels qui permettent ou non de réaliser les objectifs ainsi fixés. Il se trouve que la France, qui a été l'un des premiers signataires et l'un des premiers initiateurs de la Charte, ne l'a pas ratifiée.

Pourquoi la France n'a-t-elle pas ratifié la Charte, alors que la Grande-Bretagne, pays jaloux - dans le bon sens du terme - de son autonomie, qui généralement apprécie peu d'intégrer les mécanismes européens, l'a pour signée et ratifiée en 1998 ? La France est toujours en état d'attente. Il me semble que je n'ai pas vu le début d'un réel processus de ratification de cette Charte.

M. Alain MENEMENIS, Maître des requêtes au Conseil d'État

Lorsque Alain Delcamp m'a fait l'honneur de me proposer de participer à vos travaux, je lui ai bien entendu demandé ce qu'il attendait de moi. Si je devais résumer sa réponse, je dirais qu'il m'a proposé d'incarner « le méchant » : il m'a demandé d'exposer les éléments qui posent problème, puisque problème il y a, pour la ratification de cette Charte.

J'ai accepté immédiatement et sans trop y réfléchir de jouer ce rôle. Cependant, je voudrais que vous acceptiez de croire que la méchanceté n'est pas mon seul défaut : j'ai aussi une grande curiosité pour ce qui se passe dans les territoires de notre pays, pour la créativité qui s'y exprime, et j'espère montrer que cette curiosité n'est pas nécessairement contradictoire avec la méchanceté qui m'a été prêtée pour l'occasion.

La deuxième bienveillance que je souhaiterais solliciter de votre part est la suivante : si méchanceté il y a dans mes propos, je souhaite qu'elle soit imputée à moi seul, et non pas à l'institution à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir. Je m'exprimerai strictement en mon nom personnel, et aucunement au nom du Conseil d'État.

J'évoquerai trois séries de questions. La première question sera la suivante : existe-t-il des stipulations, dans la Charte, qui posent problème ? Deuxième question : y a-t-il, au-delà des stipulations mêmes de la Charte, un esprit, une conception générale de l'autonomie locale qui pourraient poser problème au regard de notre système politique et administratif. ? Troisième question : est-ce l'existence même d'un texte comme celui-là, sur un sujet comme celui-là, qui au fond pose problème ?

Tout d'abord, existe-t-il des stipulations dans la Charte qui soient de nature à nous poser problème ? (Il est entendu que je laisse de côté le fait que la ratification n'impose pas celle de l'ensemble des textes, puisqu'il y a des modalités de ratification originales, paragraphe par paragraphe). Lorsqu'on lit ce document, on est frappé par une certaine prudence, dont on comprend facilement l'origine : la Charte devait être un texte qui permette à tout le monde de se reconnaître. Or la diversité des organisations locales dans les différents pays européens est extrêmement grande. Du coup, peu de stipulations paraissent à première vue contraires à notre droit.

On peut certes repérer ici ou là quelques points qui méritent interrogation. Je pense notamment aux stipulations de l'article 3, prévoyant la nécessaire élection au suffrage universel direct, ce qui exclut par conséquent toute forme de suffrage indirect. Je pense aussi, dans le même article, à la stipulation selon laquelle les exécutifs des collectivités locales doivent être responsables devant les assemblées délibérantes, ce qui, à une ou deux exceptions près, très limitées, n'est pas le cas en France si l'on attache au terme de responsabilité son plein sens.

Au-delà, je dirais que tout dépend de la lecture que nous faisons de certaines stipulations. A cet égard, il n'y a pas, s'agissant de cette Charte, de dispositif comparable à ce qui existe pour la CEDH, qui permettrait de disposer d'une jurisprudence interprétative précise, même si la mise en place progressive d'un système de contrôle institutionnel a permis de dégager des éléments d'interprétation déjà intéressants.

Plusieurs dispositions sont rédigées en des termes qui réservent une marge d'interprétation et de mise en oeuvre importante. S'il y a difficultés, elles tiennent donc plus à l'imprécision de certaines stipulations et au débat auquel peuvent donner lieu leurs interprétations qu'à leur contenu propre.

Je mentionnerai par exemple le fait que la Charte parle d'autonomie là où nous parlons de libre administration des collectivités locales. Je pense aussi à certaines formulations du type « une partie importante des affaires publiques » : que faut-il entendre par « une partie importante » ? Je pense encore à des notions qui ne correspondent pas tout à fait à celles auxquelles nous sommes habitués, mais dans lesquelles nous nous reconnaissons assez facilement, relatives aux « compétences octroyées par la loi », aux « compétences de base », aux « compétences à des fins spécifiques ».

On note également une certaine imprécision, qui peut poser des problèmes d'interprétation, dans les dispositions relatives à l'autonomie financière, notamment lorsque la Charte affirme, après avoir reconnu l'importance de la péréquation, que la mise en oeuvre de dispositifs de péréquation ne doit pas limiter la liberté de choix des politiques locales. Cela peut poser problème lorsque les ressources fiscales sont importantes et que les dispositifs de péréquation le sont également : la mise en oeuvre de ceux-ci conduit nécessairement à limiter les choix des collectivités locales.

Au total, on peut dire, je crois, qu'il existe quelques points délicats et quelques imprécisions dans la Charte - qui sont cependant d'importance limitée. Faut-il donc s'interroger sur l'esprit général de la Charte, sur la conception générale de l'autonomie locale qu'elle exprime explicitement ou implicitement ? Je dirais à cet égard que l'on peut légitimement se poser un certain nombre de questions, dont il appartiendra au législateur de décider si elles lui paraissent de nature à créer des difficultés pour la ratification de ce texte.

Je me contenterai aujourd'hui de les citer. On est tout d'abord frappé par le fait que l'autonomie dont il est question est conçue exclusivement par rapport à l'État lui-même. Or il me semble que dans un certain nombre de pays, le problème mérite d'être posé également lorsque l'on raisonne entre collectivités territoriales.

On est également frappé par le fait que - c'est l'objet même de la Charte- les collectivités locales sont pleinement reconnues comme des sujets de droit, mais qu'il n'est guère question des citoyens et de leur participation à la démocratie locale. La Charte ne comporte aucune stipulation concernant les limites qui doivent être fixées à l'autonomie locale, pour qu'elle remplisse pleinement les objectifs qui lui sont assignés, c'est-à-dire les objectifs d'approfondissement de la démocratie locale, d'efficacité économique et d'équité.

Par ailleurs, l'une des originalités importantes du texte, à l'article 4, paragraphe 3, est la reconnaissance du principe de subsidiarité. Je ne pense pas que cette reconnaissance pose problème ; encore faut-il s'entendre cependant sur l'interprétation qu'on donne de ce principe. Peut-être aurons-nous l'occasion d'en parler. J'ajoute simplement à ce stade qu'il me semble que, pour déterminer le niveau auquel doivent être exercées les compétences, on ne peut uniquement s'en remettre à un critère d'efficacité. Un certain nombre d'autres considérations peuvent, même là où serait constatée une plus grande efficacité de la décision de proximité, justifier que la compétence soit exercée à un niveau plus élevé.

Plus profondément, je crois qu'il faut que nous conciliions le principe de subsidiarité avec ce qui est une caractéristique très forte de notre administration locale, c'est-à-dire la présence de la déconcentration à côté de la décentralisation. Au fond, le niveau le plus proche des citoyens peut être un niveau étatique, et non un niveau d'autonomie locale ou de collectivité locale. Il me semble que, jusqu'à présent, nous tirons plus le principe de répartition des compétences de l'intérêt à prendre en compte (soit un intérêt public local, soit un intérêt public plus général) que du niveau géographique auquel la décision est prise.

J'en viens au troisième et dernier point : le vrai problème réside-t-il dans le recours même à une convention internationale pour un sujet comme celui de l'autonomie locale ? Je crois que ne vient à l'esprit de personne l'idée de contester qu'un certain nombre de principes puissent être posés dans un cadre européen, même s'il s'agit du cadre élargi du Conseil de l'Europe, puisque, comme cela a été souligné plusieurs fois, tous les pays européens sont animés par une même volonté de promouvoir et de mettre en oeuvre des valeurs communes.

Si question il y a, elle vient me semble-t-il du choix qui a été fait de conclure une convention. Autrement dit, fallait-il se borner à une déclaration générale de principes ? Je me contenterai de poser la question en indiquant que l'article 55 de notre Constitution a une conséquence très claire : la primauté de la convention, dès lors qu'elle est ratifiée, sur les normes législatives ou réglementaires. Ce qu'implique la ratification d'une telle convention, compte tenu de l'article 55, c'est notamment le fait que le législateur, auquel s'impose aujourd'hui le respect du principe constitutionnel de libre administration, tel qu'il est interprété par le Conseil constitutionnel, ne devrait pas méconnaître les stipulations de la Charte.

La convention prévoit en son article 11 que les collectivités locales doivent disposer des moyens, et notamment des voies de recours juridictionnelles, pour faire respecter cette primauté. Si elles ne peuvent pas, en l'état actuel de notre droit, consister en une saisine directe du Conseil constitutionnel, de telles voies de recours existent (même si je ne suis pas sûr qu'elles puissent avoir une grande portée pratique).

Un nouvel équilibre renforçant non seulement le rôle des textes internationaux, mais également le rôle du juge, résulterait donc de la ratification.

Bien entendu, si, comme semblait l'indiquer tout à l'heure le Ministre de l'Intérieur, le législateur était prochainement saisi, ce serait à lui de mesurer s'il y a là un vrai problème ou, au contraire, s'il y a lieu d'engager, dans le domaine de l'autonomie locale, une évolution comparable à celle qu'ont déjà connu d'autres domaines (par exemple celui de la garantie des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales).

M. Pierre FAUCHON

Vous avez touché en particulier la question de la subsidiarité, et avez rappelé que cette idée était assez simple. Les critères sont reliés à l'action locale, ce qui est un gage d'efficacité. Un certain nombre d'éléments inhérents à la société française échappent totalement aux critères et au principe de subsidiarité. On voit ainsi qu'une idée qui paraît simple pose en réalité des problèmes assez complexes. Nous allons maintenant entendre « l'avocat de la défense », Jean-Bernard Auby.

M. Jean-Bernard AUBY, Professeur à l'Université de Paris II, Président de l'Association de droit des collectivités locales

Monsieur le Président, vous avez dit tout à l'heure : « nous allons dégager un processus qui pourrait conduire à la ratification de la Charte ». La ratification est donc possible, et même probable. Nous pourrions en rester là. Mais peut-être sera-t-il opportun d'ajouter quelques considérations qui constitueront éventuellement des encouragements, permettront de contourner les obstacles possibles, et montreront ce qu'apporterait la ratification de la Charte. J'ajouterais à titre subsidiaire la question suivante. Si, comme certains le souhaitent, un acte II de la décentralisation doit être réalisé, quelle place la Charte peut-elle y occuper ? La Charte y est-elle nécessaire ?

C'est autour de ces questions que je voudrais articuler ma réflexion. Je le ferais d'une façon que vous jugerez peut-être paradoxale, en vous livrant tout d'abord les raisons pour lesquelles je pense que la France doit ratifier la Charte européenne, puis les raisons pour lesquelles je pense qu'elle peut le faire.

La Charte européenne contient des dispositions, relativement développées et précises, relatives à la décentralisation et à l'autonomie locale. Elle explique de manière assez intelligente ce qu'est la décentralisation, ce qu'est l'autonomie locale dans un système administratif et économique. Alors que de ce point de vue-là, notre droit national est d'une incroyable pauvreté. La Constitution n'en dit rien, ou quasiment rien. Elle comporte un principe très vague de libre administration, que nos juges ont assorti d'une jurisprudence, elle aussi pour l'essentiel très vague. Quant à la législation, elle comporte, c'est vrai, un certain nombre de principes, un peu généraux sur la décentralisation : je fais remarquer qu'ils sont, pour la plupart, moins des principes décrivant ce qu'est la décentralisation dans notre système que des principes régissant la façon dont on devait procéder dans les années 80 aux réformes de décentralisation. Incorporer la Charte de l'autonomie locale à notre droit l'enrichirait puissamment d'éléments de description fondamentale de ce qu'est la décentralisation. Telle est la première raison pour laquelle la France devrait ratifier la Charte.

La deuxième raison est que les éléments de la Charte concernant la notion de subsidiarité relative, le statut de l'autonomie locale, les compétences locales, et ce que peuvent être les finances locales dans un système décentralisé, me semblent clairs et intéressants. La Charte est par ailleurs, sur ces points, remarquablement équilibrée. Sur ces questions, les Français souhaitent toujours se rassurer. Rassurons-nous. La Charte européenne de l'autonomie locale ne comporte pas le moindre germe de fédéralisme, ni d'État autonomiste du genre italien ou espagnol. Ce texte ne comporte pas d'éléments « différentialistes », ni aucun principe selon lequel les particularismes locaux devraient être consacrés d'une manière ou d'une autre, comme en comportent d'autres textes émanant du Conseil de l'Europe, relatifs notamment aux langues. J'ajoute, pour me référer à notre « fièvre « corse, que la Charte ne stipule aucunement que les collectivités territoriales doivent être dotées d'un pouvoir normatif particulièrement important. Le texte est parfaitement équilibré et n'a rien de révolutionnaire.

La troisième raison pour laquelle je pense que la France doit ratifier la Charte est qu'il me semble quelque peu ridicule de se trouver dans le petit groupe des derniers, des « mauvais élèves », comme certains l'ont dit ce matin, en compagnie de la Belgique, de la Suisse, de l'Irlande, qui ont leurs propres problèmes, d'Andorre et de l'Azerbaïdjan, les 37 autres pays membres du Conseil de l'Europe ayant tous ratifié et signé la Charte. Il faut rappeler que tous les nouveaux États qui entrent dans le Conseil de l'Europe se voient imposer l'adhésion à la Charte. Je ferais aussi remarquer que le fait de ne pas avoir ratifié cette Charte ne dispense pas les Français d'être audités par les experts.

La quatrième raison est que la ratification de la Charte nous stimulerait, nous aiderait à aller de l'avant. Notre démocratie, nos règles démocratiques sont de plus en plus sous le regard de l'Europe. Par exemple, la Convention européenne des Droits de l'Homme a constamment, de façon légitime, normale et quotidienne, des conséquences sur notre droit, qui nous contraignent à renforcer notre fonctionnement démocratique dans nos rapports avec l'État ou avec l'administration.

Je crois donc que la ratification de la Charte est nécessaire pour de nombreuses raisons. Ma seule hésitation sur ce point serait la suivante. Si l'on veut afficher les principes que comporte la Charte, ne serait-il pas préférable de les inscrire dans la Constitution plutôt que de ratifier la Charte. Certains émettent actuellement le voeu d'une révision constitutionnelle portant sur la décentralisation. C'est notamment le cas d'un rapport qui vient d'être rendu public par l'Institut de la décentralisation. Mais le texte de la Charte est peut-être un peu lourd pour être intégré à la Constitution. Par ailleurs, je ne suis pas certain qu'une révision constitutionnelle soit effectivement opérée.

Je me suis permis de vous livrer les raisons qui me font penser que la France doit ratifier la Charte. Je dois ajouter celles pour lesquelles la France peut la ratifier. Je voudrais d'abord faire remarquer que la ratification de la Charte ne rencontrerait pas le moindre obstacle constitutionnel. Les Français savent que le droit constitutionnel français oppose à la décentralisation un certain nombre de contrepoids, de principes qui la compensent, qui [`équilibrent, tels que l'unité et l'indivisibilité de la République, et le principe d'égalité. La Charte ne comporte aucun élément contraire à l'un de ces principes.

Notre législation serait-elle, sur certains points, contraire à la Charte ? La Charte contient des principes assez généraux, et la réalité française, comme toute réalité, est complexe. On peut discuter de la compatibilité entre la Charte et tel ou tel élément. Les experts du Conseil de l'Europe n'ont pas décelé de contradiction absolue : ce n'est probablement pas ce qu'ils cherchent quand ils étudient un pays, il est vrai. Le Conseil d'État a émis en 1991 un avis sur le sujet. Cet avis ne fait état d'aucune contradiction flagrante.

Peut-être partagerais-je une hésitation en ce qui concerne l'exigence que comporte la Charte d'une élection au suffrage direct des élus locaux, ce qui soulève sans doute une difficulté pour nos assemblées intercommunales. Mais nous allons peut-être bientôt faire disparaître cette difficulté. D'autre part, la Charte semble, de manière générale, exiger une responsabilité des exécutifs locaux. Si nous avions un problème sur ce point, nous pourrions facilement le régler par la législation.

Bref, il ne me semble pas qu'il y ait de contradiction de niveau significatif. Encore une fois, ni le Conseil d'État, ni le Conseil de l'Europe n'en ont véritablement décelé. De toute façon, une ou deux contradictions ne constitueraient pas un problème insurmontable. Je fais remarquer que c'est le propre des conventions internationales que de forcer à la modification de la législation nationale. A vrai dire, si elles n'ont pas cet effet, elles ne servent pas à grand-chose. Si la ratification de la Charte nous poussait à faire avancer notre législation, ce ne serait pas très grave, et cela ne conduirait pas à des bouleversements majeurs.

Si vous le permettez, je souhaite, pour terminer, nuancer quelque peu mon propos précédent. Un point me semble préoccupant. Il concerne l'autonomie financière de nos collectivités locales, et la façon dont on pourrait à terme assurer qu'elle respecte la Charte. Il me semble que cela constitue la difficulté majeure. Le respect de la Charte implique pour nos collectivités locales le droit de vivre essentiellement de leurs ressources propres. Notre système satisfait à cette exigence aujourd'hui. Mais notre fiscalité locale est dans un état de dégénérescence de plus en plus importante, qui conduit d'ailleurs à progressivement en faire disparaître des éléments. Si cela continue, on risque, dans dix ans, de nourrir les budgets locaux avec des dotations de l'État. La Charte aurait ici un effet vraiment révolutionnaire : elle nous forcerait à enfin procéder à la réforme de notre fiscalité locale.

M. Pierre FAUCHON

Merci pour cette conclusion qui fait effectivement le point sur un problème important.

M. Llibert CUATRECASAS

Merci pour ces réflexions sur la décentralisation en France. Nous allons à présent nous intéresser à l'avenir de cette décentralisation.

M. Jean-Paul DELEVOYE, Sénateur, Président de l'Association des maires de France, Président de la Mission Sénatoriale commune d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation (rapport intitulé : « Pour une République territoriale »)

Je crois que la question de l'avenir de la décentralisation est celle de la spécificité française. Le système des relations entre l'État et les collectivités locales est un système de contrat. Contrairement à d'autres systèmes européens, où il existe des blocs de compétence et des financements autonomes, nous sommes en France dans un système de contractualisation. Il y a une remise en cause de ce système au profit d'une harmonisation institutionnelle qui suivrait les harmonisations monétaire, fiscale, et sociale. Je crois que nous pouvons garder ce système de contractualisation à la française.

Deuxièmement, il faut que nous tenions compte de l'un des paradoxes que vous soulignez dans votre Charte du Congrès des pouvoirs locaux. Les collectivités locales disposent d'une autonomie décisionnelle, alors que nous avons signé le traité de Maastricht et qui impose la maîtrise des dépenses publiques, leur taux d'endettement et leur taux de prélèvements obligatoires, sur les acteurs nationaux, sociaux et locaux. Cela veut dire qu'aujourd'hui, la notion d'autonomie est relative car chaque acteur est lié aux décisions de l'autre.

Le troisième élément, vers lequel nous sommes aujourd'hui en train d'orienter notre réflexion, concerne les défis lancés, non pas aux structures des communes, des départements ou des régions, mais aux territoires. Nous voyons bien aujourd'hui la mécanique des territoires se mettre en marche. Les défis qui leur sont lancés sont tout d'abord un défi d'ordre économique. L'attractivité pour les capitaux sera directement liée à la qualité des infrastructures publiques, et l'avenir de la décentralisation passera donc par la capacité de deux acteurs, l'État et le local, à préserver ces capacités de décision publique. Par ailleurs, la montée en puissance de nouveaux problèmes à caractère social ou sociétal, tels que le vieillissement de la population et l'accroissement des inégalités, rendues plus douloureuses par la croissance économique, vont poser des problèmes de financement des politiques de solidarité.

L'une des premières clés de la décentralisation est la modification de l'assiette fiscale des collectivités locales Nous sommes assis sur des propriétés patrimoniales, des biens, des immeubles d'entreprise. Je crois qu'aujourd'hui, le défi économique n'est plus celui de l'extraction des ressources naturelles du sous-sol. Le défi est celui de l'intelligence, de la recherche. Je ne peux pas concevoir que le financement des collectivités locales ne puisse pas, notamment au niveau des régions qui ont vocation à développer des projets de cohérence territoriale et de compétitivité internationale, être financé, en partie ou en totalité, par la richesse dégagée par l'activité économique.

Par ailleurs, je ne peux pas non plus concevoir que les politiques sociales de proximité dues au vieillissement de la population et à l'intégration sociale des personnes dites « exclues », soient financées par les patrimoines puisque, paradoxalement, les territoires qui disposent des patrimoines les plus faibles devraient financer les dépenses sociales les plus élevées. Nous devrons donc à l'évidence mener une réflexion sur l'avenir de la décentralisation, où le financement de ces collectivités ne pourra se concevoir que par un partage de solidarité nationale. Ceci est d'autant plus vrai que nous sommes arrivés au bout d'un système de financement des collectivités locales.

J'ai beaucoup apprécié votre résolution du mois de mai 2000. La formule par laquelle vous vous étonniez qu'en France, « plus la décentralisation augmente, plus la fiscalité locale diminue », me séduisait beaucoup. Nous sommes effectivement dans une situation paradoxale. Les collectivités ont maintenu depuis vingt ans leur taux d'endettement à 8 ou 9 % et ont, en euros par habitant, la moyenne d'investissement la plus élevée d'Europe. 75 % de l'investissement public est à la charge des collectivités locales, sur lesquelles, aujourd'hui, la dynamique de l'activité du territoire repose donc exclusivement. L'État est en train de transférer un certain nombre de charges aux collectivités locales, qui iront beaucoup plus vite que les recettes. Nous risquons, si nous ne procédons pas à une redistribution des cartes, de parvenir à terme à une véritable asphyxie des collectivités locales. Je pourrais notamment évoquer ici le combat sur le transfert des transports ferroviaires.

Il y a donc deux clés importantes sur lesquelles nous devons réfléchir. Il n'y a pas de bonne collectivité locale sans une bonne administration locale. Nous devrons, au cours des prochaines années, faire face à un départ de 500 000 fonctionnaires territoriaux. Au moment où, en France, l'ingénierie de l'État est en train de s'affaiblir, le défi de l'ingénierie à la disposition des collectivités locales est un défi majeur pour le développement. Nous aurons à mettre en oeuvre la « déterritorialisation » des fonctionnaires territoriaux, pour constituer des pôles de compétence qui seront « pluriterritoriaux » Cela demande des structures d'intercommunalité. C'est un défi tout à fait intéressant qui doit nous aider à réfléchir avec les syndicats à la rationalisation des dépenses de fonctionnaires, et à l'amélioration des capacités d'investissement.

Dernières réflexions que nous sommes aujourd'hui en train de mener : comme pour les entreprises, la spécificité des territoires sera « monothématique ». Les services périphériques seront-ils aussi monothématiques ? La dépendance extraordinairement rapide d'un cycle économique par rapport à la vitalité d'un pays constitue un défi nouveau pour le territoire européen. Ce problème se posera dans le cadre des négociations relatives à la politique européenne. On voit donc qu'une formidable capacité de péréquation, de solidarité et de reconversion sera nécessaire à un niveau de l'État français. Sachant que, paradoxalement, la politique européenne, qui se territorialise de plus en plus, mène à une réduction des écarts de richesse entre les pays, et qu'à l'intérieur de chaque pays, des écarts de richesse entre chaque région se développent. La décentralisation implique donc un défi. La mise en réseau, la complémentarité des territoires, qui deviendront de plus en plus touristiques, écologiques, industriels ou résidentiels, ne peuvent se concevoir avec une localisation des fiscalités qui serait monothématique. Il me semble que les lois votées par le Parlement, la loi Voynet, la loi Gayssot, redonnent aux élus locaux l'obligation de concevoir des projets qui tiennent compte de la potentialité des territoires. L'avenir de la décentralisation me paraît aujourd'hui plus équilibré en faveur des collectivités locales. Il est clair que l'une des clés de la décentralisation sera à l'avenir la capacité de réorganisation de l'État, qui doit être un partenaire des projets territoriaux dont la contractualisation doit être adaptée à la réalité locale.

On ne peut plus apporter une réponse unitaire à des situations hétérogènes. Nous avons une politique contractuelle sur les territoires d'outre-mer, aujourd'hui frappés par le rajeunissement de la population, alors que la métropole est frappée par son vieillissement. Il est difficile de concevoir qu'en matière de logement nous puissions avoir deux approches identiques, contractuelles. Je crois donc que l'État devra savoir adapter son organisation administrative autour des projets de territoire avec les collectivités locales.

M. Jean-Pierre RAFFARIN, Sénateur, Président de l'Association des régions de France

Afin de prolonger la réflexion de Jean-Paul Delevoye, j'apporterai quelques idées sur la décentralisation française vue d'Europe. On entend très souvent que la taille des régions françaises est trop limitée. Or le problème des régions françaises n'est pas leur taille, mais leur richesse et leur puissance. Ceux qui parlent de la dimension, y compris dans les hautes sphères administratives et technocratiques, le font parce qu'ils ne veulent pas parler de la richesse ni de la puissance. Il suffit de comparer l'Aragon ou les Asturies à certaines de nos régions pour observer que la taille ne fait ni la richesse ni la puissance. Le problème français sera bientôt la concentration de 80 % des richesses sur 20 % du territoire national. Il nous faudra examiner ce problème et mener un débat sur les moyens consacrés au développement.

La deuxième affirmation que je souhaite commenter est la suivante : « les régions françaises n'ont pas de véritable capacité d'action par rapport aux régions européennes ». Je rejoins tout à fait ce que disait Jean-Paul Delevoye tout à l'heure. Par les contrats, les régions françaises disposent de possibilités d'action majeures. Aujourd'hui, le contrat de plan est une politique que les régions animent, et qui mobilise au moins 50 % de leur énergie. Les frais de fonctionnement interne ne représentent que 6 % des frais de fonctionnement d'une région. Les régions disposent en France de capacités de mobilisation financière, et notamment d'une capacité de contractualisation. En 2006, lorsque la politique européenne distribuera les crédits européens sur critères, il y aura des problèmes importants.

Le troisième élément que je souhaite développer concerne le problème de l'exécutif. Ce point génère un certain nombre de confusions, que nous devrons, un jour, traiter. L'une des singularités des régions françaises est que le président de l'Assemblée régionale est également le chef du Gouvernement régional. L'exécutif est en même temps le délibératif Je suis favorable à un Gouvernement régional, sans pour cela octroyer des pouvoirs législatifs aux régions. A ce jour, cette revendication demeure toutefois assez limitée.

Concernant l'avenir de la décentralisation, je pense que nous allons accomplir un grand bond en avant. La décentralisation est, en France, devenue un projet global et politique, parce que la République est « congestionnée par le haut ». Ainsi, et je prendrai un seul exemple, mais pourrais en citer des dizaines, il me semble aberrant que la France ait pu admirer un préfet remettant les clés d'une quinzaine de mobil-homes à quelques-uns des sinistrés de la Somme, un mois et demi après les inondations. Ce type d'images montre bien que nos « mammouths administratifs » sont aujourd'hui incapables de gérer les difficultés, surtout quand elles sont brûlantes et exigent de la rapidité et de la mobilité. Chacun en a conscience. Nous savons que nous devons revitaliser par le bas la République à laquelle nous sommes tous attachés et, par le bas, donner un sens aux mots liberté, égalité et fraternité. Parallèlement au projet d'État républicain et à la logique de l'étatisation française, doit se développer le projet d'une République de proximité, d'une démocratie locale, d'une démocratie sociale, grâce auquel les décisions se prendront au plus près du terrain.

Jusqu'à présent, nous voyons cette République des proximités comme un métissage entre décentralisation et déconcentration. Je crois qu'il nous faut aujourd'hui sortir de cette thématique, qui fait que face à toutes les missions que l'on confie à des collectivités, un représentant de l'État fait à peu près la même chose. Finalement, on double, quand on ne triple pas, l'ensemble du système. Je crois qu'un concept nouveau s'est glissé dans le discours du chef de l'État : le concept de délégation républicaine. Le maire, représentant de l'État, officier d'État civil de police judiciaire, a des missions de l'État. Le Président de département ou de région n'a pas de mission de l'État. Je crois que nous devrions avoir, sur un certain nombre de fonctions, des délégations qui nous seraient accordées en fonction d'une norme. Tel est, je crois, l'avenir de la décentralisation. Je crois qu'il y a là un concept nouveau qui dépasse la dialectique habituelle décentralisation/déconcentration et qui, par la délégation républicaine, peut donner à la décentralisation sa mission de projet politique.

M. Jean FRANÇOIS-PONCET, Sénateur, Président du conseil général du Lot-et-Garonne

Nous venons d'assister à quatre exposés qui étaient d'une nature très différente. Les deux premiers émanaient de juristes distingués, qui sont arrivés, par des thèses contraires, à la même conclusion : la ratification de la Charte ne poserait aucun problème. Nous avons ensuite assisté à deux exposés de très grands praticiens. Je crois surtout qu'il faut tirer la conclusion qu'en France, le problème de la décentralisation n'a pas été réglé, en 1980 et 1982 par les grandes lois de décentralisation. Un bond en avant très important a été effectué, mais l'équilibre n'est pas satisfaisant. La décentralisation constitue en France un débat politique très actuel, qui sera probablement d'une très haute importance dans le cadre des prochaines échéances présidentielles et législatives. Il existe, un appétit nouveau de décentralisation. La France a été longtemps un pays centralisé et satisfait. Aujourd'hui, la France est un pays en partie décentralisé, et la situation actuelle n'est pas, pour plusieurs raisons, jugée satisfaisante.

Tout d'abord, les transferts de compétences réalisés en 1981 et 1982 sont jugés incomplets, insuffisants, et souvent confus. Il est nécessaire de les clarifier et de les compléter. Par ailleurs, il existe aujourd'hui une tendance à la recentralisation. La France est un pays profondément jacobin. Il existe, à la base, une véritable volonté de décentralisation, mais les Gouvernements, une fois au pouvoir, ont tendance à reprendre ce qui a été donné par la décentralisation. Je pourrais ici citer l'exemple des finances locales. Un intervenant a souligné à juste titre la difficulté concernant l'autonomie financière des collectivités territoriales. En 1981 et 1982, cette autonomie était bien assurée. Elle ne l'est plus du tout, pour deux raisons. Tout d'abord, l'État n'a pas cessé de transférer des charges, sans transférer les ressources correspondantes. En outre, il a progressivement substitué des dotations budgétaires aux impôts locaux que, pour une raison ou une autre, il supprimait. La dépendance des collectivités locales à l'égard de l'État n'a pas diminué, mais elle s'est accrue. Ce premier point est tout à fait central. Il y a le problème des compétences, et celui de l'autonomie financière.

Au-delà de cela, il existe un sentiment selon lequel la décentralisation est un principe qui a relativement peu de poids lorsque l'État a des décisions à prendre. L'État prend ses décisions en fonction de considérations qui lui paraissent importantes, et sans forcément se soucier de la décentralisation. Ainsi, le projet de Madame Voynet sur l'eau est un projet profondément centralisateur, non pas par rapport aux lois de 1981 et 1982, mais par rapport à la loi de 1964, qui a créé les agences de bassin. A l'époque, la loi donnait aux six agences la possibilité de fixer librement les redevances qu'acquittent les usagers de l'eau dans les différents bassins, pour couvrir les actions de lutte contre la pollution. Aujourd'hui, la loi Voynet prévoit un encadrement national de ces redevances.

Nous l'avons dit très clairement, je n'ai pas l'impression que l'on ait été entendu lorsque la politique régionale européenne a été mise en oeuvre. A l'époque, les conseils régionaux avaient la maîtrise et débattaient directement avec Bruxelles. Aujourd'hui, l'aide régionale européenne a été entièrement reprise par l'État et semble être un élément de son budget.

On assiste donc à toute une série de reprises en main et de reculs par rapport à la situation que l'on a connue. L'appétit de décentralisation, qui s'est accru, et la volonté de réagir contre les dérives que j'ai décrites, ont engendré une situation mouvante, une situation de déséquilibre, un problème politique, qu'il va falloir résoudre et qui sera au coeur des prochaines élections.

Je terminerai par une observation sur une question posée tout à l'heure par un intervenant canadien, et à laquelle nous n'avons répondu qu'imparfaitement. Il n'y a évidemment pas de région au monde où ce que vous disiez est plus vrai qu'en Europe Nous sommes engagés dans un processus de construction de l'Europe, qui se traduit par des transferts de souveraineté et de compétence, souvent sur des sujets de détail, du niveau national au niveau européen. Nous avons parallèlement un mouvement consistant à aller plus loin dans la décentralisation, en direction du « généralisme ». On en voit actuellement les prémices dans les débats sur la Corse. Il est probable que nous aurons dans les pays avancés, et notamment dans les pays européens, une situation qui comportera trois niveaux : le niveau supranational, le niveau national, et le niveau infranational.

Cela peut avoir des inconvénients. Vous disiez tout à l'heure que cela a pour conséquence de soumettre les régions canadiennes à l'influence des États-Unis, et que l'État canadien était une meilleure protection, ce qui est tout à fait probable. On pourrait certainement en dire autant pour la France. N'oublions pas néanmoins que, dans l'avenir, l'État restera, en tout cas en Europe, le centre de gravité, quels que soient les transferts du haut vers le bas. L'État conservera un rôle essentiel même dans un pays décentralisé et pour les combats que nous conduisons en faveur de la décentralisation, nous restons modérés dans nos propositions. Vous avez bien entendu Monsieur Raffarin dire qu'il ne demandait pas de compétences législatives pour les régions.

L'orateur laisse la parole au Président Christian Poncelet.

CONCLUSIONS ET DISCOURS DE CLÔTURE

M. Christian PONCELET, Président du Sénat

C'est avec plaisir que je viens conclure les travaux du colloque « La décentralisation française vue d'Europe » , organisé par le Sénat et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe.

Orchestré autour de deux thèmes « La charte européenne de l'autonomie locale » et le « Processus de la décentralisation en France » , ce colloque a tout d'abord permis à des responsables venus de Pologne, de Hongrie, de Roumanie, du Royaume-Uni, d'Allemagne, d'Espagne, du Portugal et de Belgique de nous faire part de leurs expériences et de leurs regards croisés sur la Charte européenne de l'autonomie locale. Ce colloque a ensuite été l'occasion de réfléchir au modèle français de décentralisation et à son avenir, ainsi qu'au positionnement de notre pays par rapport à cette charte, que la France a signée mais pas ratifiée.

En conclusion de vos travaux, je souhaite donc, d'une part, insister sur l'adéquation qui existe entre le modèle français de décentralisation, facteur de démocratie, et les grands principes posés par la Charte européenne de l'autonomie locale, avant d'aborder, d'autre part, le nécessaire approfondissement de la décentralisation en France et son corollaire : la ratification de la Charte européenne de l'autonomie locale.

*

* *

A l'évidence, la décentralisation « à la française » apparaît, dans ses principes fondamentaux, très largement conforme aux exigences de la Charte européenne, même si, la pureté originelle de notre « modèle » a subi certaines altérations, notamment en ce qui concerne l'autonomie fiscale des collectivités locales.

Historiquement, force est de constater que la décentralisation en France revient de loin.

La décentralisation, sous sa forme moderne, a en effet été voulue et dessinée, en 1968 et 1969, du discours de Lyon à celui de Quimper, par le visionnaire que fut le Général de Gaulle ; elle a été ensuite été préfigurée à la fin des années soixante-dix par les Gouvernements de M. Barre ; mais c'est sans conteste à Pierre Mauroy et à Gaston Defferre que revient le mérite de l'avoir réalisée.

De de Gaulle à Defferre, la décentralisation a donc été le fruit d'un patient labeur qui a débouché, en 1982, sur une rupture radicale avec « l'effort multiséculaire de centralisation ».

La suppression des tutelles a priori, le transfert de l'exécutif des mains du préfet à celles du président du conseil général ou du conseil régional, la consécration de la région comme collectivité territoriale de plein exercice et l'octroi aux collectivités locales de nouvelles compétences ont été les fondements de cette réforme désormais irréversible.

Aujourd'hui, la décentralisation fait véritablement partie intégrante de notre patrimoine républicain.

Ce consensus, qui transcende les clivages politiques, trouve sa source dans le caractère bénéfique de la décentralisation. En effet, cette réforme a libéré les initiatives et les énergies locales, constitué un facteur d'efficience de l'action publique et donné corps et âme à la démocratie de proximité à un moment où les incertitudes de la mondialisation amplifient le besoin d'enracinement. A l'évidence, la décentralisation française répond aux principaux critères énoncés par la Charte européenne.

Aujourd'hui cependant, la décentralisation, en dépit de ses aspects bénéfiques, semble inachevée, « au milieu du gué » , et même fragilisée comme en témoigne notamment la disparition de pans entiers de la fiscalité locale et leur remplacement par des dotations à la « merci de Bercy » .

Ce phénomène, qui a vu au cours des quatre dernières années 80 milliards de recettes fiscales transformées en dotation, a été, à juste titre, critiqué par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, dont la recommandation de mai 2000 sur la démocratie locale et régionale en France relève, je cite, « sa préoccupation » en ce qui concerne « une évolution paradoxale où la fiscalité propre des collectivités régresse en même temps que la décentralisation semble progresser ».

Le Conseil de l'Europe exprime ensuite la crainte que ces suppressions « entraînent une étatisation de la fiscalité propre des collectivités territoriales [...] qui constitue, pour celles-ci, une perte d'autonomie ».

A cet égard, je ne peux que souscrire entièrement, au-delà de ce constat, au rappel que « la fiscalité propre constitue le principal moyen pour les collectivités territoriales de se procurer des ressources », qu'elle est « ainsi un fondement essentiel d'une autonomie véritable ».

Il en va de même lorsque le Conseil de l'Europe affirme « que le temps est venu de sortir d'une logique d'ajustement annuel par le biais de lois de finances ne donnant pas une vision d'ensemble et qui font peu de cas de l'autonomie financière des collectivités territoriales » et « qu'une refonte de la fiscalité locale s'impose à travers la consolidation de l'autonomie fiscale ».

Si j'ai pris la peine de citer de larges extraits de cette recommandation, c'est parce que j'ai placé ma présidence sous le signe non seulement d'une consolidation de la décentralisation, mais, plus encore, d'une relance de cette grande réforme pour aller vers ce que j'ai appelé la « République territoriale » .

Dans ce combat pour l'autonomie locale, le Sénat possède déjà un bilan remarquable auquel les États généraux des élus locaux que j'ai eu l'honneur d'organiser dans sept régions françaises ont très largement contribué.

Loin d'être des « grands messes » sans lendemain, les États généraux sont des ateliers de réflexion républicains qui ont vocation à déboucher sur des propositions de réforme pour faire vivre et prospérer la décentralisation.

*

* *

Fondamentalement, j'entends poursuivre mon action pour que le concept restreint de libre administration des collectivités locales par des conseils élus énoncé à l'article 72 de notre Constitution évolue vers celui d'autonomie locale retenu et développé par la Charte européenne.

Vous ne serez donc pas surpris que ma volonté de promouvoir et de construire une République territoriale s'accompagne d'un engagement à conduire notre pays sur la voie d'une ratification de la Charte européenne de l'autonomie locale dans les meilleurs délais.

C'est dans cette perspective que j'ai formulé un certain nombre de propositions qui sont appelées à déboucher, d'une part, sur une révision constitutionnelle, et, d'autre part, sur une véritable « loi-cadre »de dévolution de compétences aux collectivités locales.

Très brièvement, cette réforme constitutionnelle devrait permettre :

- la reconnaissance aux collectivités locales d'une faculté d'exercer un pouvoir réglementaire leur permettant d'adapter, dans le cadre de leurs compétences, les règlements nationaux aux réalités locales,

- la consécration du principe de l'autonomie fiscale, afin de garantir aux collectivités la maîtrise de ressources fiscales propres dont elles fixent le taux.

A cet égard, le Sénat a choisi de donner un coup d'arrêt au processus de démantèlement progressif de la fiscalité locale en adoptant une proposition de loi constitutionnelle dont j'ai pris l'initiative. Ce texte, en instance d'examen par l'Assemblée nationale, tend à conférer une valeur constitutionnelle au principe de prépondérance des recettes fiscales au sein des ressources de fonctionnement de chacune des trois catégories de collectivités locales.

La « loi-cadre », qui serait organique car prescrite par la révision constitutionnelle, aurait, quant à elle, pour vocation d'instituer « une décentralisation à la carte, mais pour tous ». Je m'explique, il s'agit au-delà d'un droit à l'expérimentation ou d'une simple régionalisation d'ouvrir, sur la base du volontariat, à toutes les collectivités de France, une possibilité d'accéder, d'exercer, puis de se voir transférer un ensemble de nouvelles compétences.

Au-delà des domaines du développement économique, de la formation professionnelle, de l'environnement et des transports sur lesquels existe un certain consensus, je préconise aussi de permettre à celles des collectivités locales qui en feraient le choix d'intervenir plus fortement dans les domaines de la sécurité et de l'enseignement.

Enfin, l'ensemble de ces transferts de compétences doit être soumis au contrôle d'une autorité administrative indépendante, un véritable Conseil des Finances locales, possédant des pouvoirs d'analyse, d'injonction et de sanction, chargé de veiller en particulier à l'intégralité de la compensation des transferts de compétences et, plus largement, de veiller au respect d'un « code de bonne conduite » entre l'État et les collectivités locales dans le domaine financier.

Vous comprendrez aisément que le Sénat, défenseur et promoteur de l'autonomie locale à l'intérieur de nos frontières, soit aussi à la pointe du combat en faveur de l'autonomie locale au plan européen.

Il est donc grand temps que notre pays mette un terme à l'anomalie qui consiste à ne pas avoir encore ratifié la Charte européenne de l'autonomie locale, signée par 38 des 43 pays membres du Conseil de l'Europe et ratifié par 34 d'entre eux.

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* *

Le Sénat, assemblée parlementaire à part entière, qui exerce en plus la mission constitutionnelle spécifique de représentation des collectivités territoriales, prendra donc la tête d'une « croisade » en faveur du développement de l'autonomie locale tant en France qu'en Europe.

C'est la raison pour laquelle j'attache un grand prix aux actions de coopération décentralisée qui peuvent s'organiser entre nos pays et dont la prochaine concrétisation se déroulera au mois d'octobre à Budapest, à l'occasion des Assises de la coopération franco-hongroise.

Je vous remercie.

ANNEXES

CHARTE EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE

(Strasbourg, le 15 octobre 1985)

Préambule

Les États membres du Conseil de l'Europe, signataires de la présente Charte,

Considérant que le but du Conseil de l'Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun ;

Considérant qu'un des moyens par lesquels ce but sera réalisé est la conclusion d'accords dans le domaine administratif ;

Considérant que les collectivités locales sont l'un des principaux fondements de tout régime démocratique ;

Considérant que le droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques fait partie des principes démocratiques communs à tous les États membres du Conseil de l'Europe ;

Convaincus que c'est au niveau local que ce droit peut être exercé le plus directement ;

Convaincus que l'existence de collectivités locales investies de responsabilités effectives permet une administration à la fois efficace et proche du citoyen ;

Conscients du fait que la défense et le renforcement de l'autonomie locale dans les différents pays d'Europe représentent une contribution importante à la construction d'une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la décentralisation du pouvoir ;

Affirmant que cela suppose l'existence de collectivités locales dotées d'organes de décision démocratiquement constitués et bénéficiant d'une large autonomie quant aux compétences, aux modalités d'exercice de ces dernières et aux moyens nécessaires à l'accomplissement de leur mission,

Article 1

Les Parties s'engagent à se considérer comme liées par les articles suivants de la manière et dans la mesure prescrites par l'article 12 de cette Charte.

Partie I

Article 2 - Fondement constitutionnel et légal de l'autonomie locale

Le principe de l'autonomie locale doit être reconnu dans la législation interne et, autant que possible, dans la Constitution.

Article 3 - Concept de l'autonomie locale

1. Par autonomie locale, on entend le droit et la capacité effective pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques.

2. Ce droit est exercé par des conseils ou assemblées composés de membres élus au suffrage libre, secret, égalitaire, direct et universel et pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux. Cette disposition ne porte pas préjudice au recours aux assemblées de citoyens, au référendum ou à toute autre forme de participation directe des citoyens là ou elle est permise par la loi.

Article 4 - Portée de l'autonomie locale

1. Les compétences de base des collectivités locales sont fixées par la Constitution ou par la loi. Toutefois, cette disposition n'empêche pas l'attribution aux collectivités locales de compétences à des fins spécifiques, conformément à la loi,

2. Les collectivités locales ont, dans le cadre de la loi, toute latitude pour exercer leur initiative pour toute question qui n'est pas exclue de leur compétence ou attribuée à une autre autorité.

3. L'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens. L'attribution d'une responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l'ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d'efficacité et d'économie.

4. Les compétences confiées aux collectivités locales doivent être normalement pleines et entières. Elles ne peuvent être mises en cause ou limitées par une autre autorité, centrale ou régionale, que dans le cadre de la loi.

5. En cas de délégation des pouvoirs par une autorité centrale ou régionale, les collectivités locales doivent jouir, autant qu'il est possible, de la liberté d'adapter leur exercice aux conditions locales.

6. Les collectivités locales doivent être consultées, autant qu'il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décision pour toutes les questions qui les concernent directement.

Article 5 - Protection des limites territoriales des collectivités locales

Pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet.

Article 6 - Adéquation des structures et des moyens administratifs aux missions des collectivités locales

1. Sans préjudice de dispositions plus générales créées par la loi, les collectivités locales doivent pouvoir définir elles-mêmes les structures administratives internes dont elles entendent se doter, en vue de les adapter à leurs besoins spécifiques et afin de permettre une gestion efficace.

2. Le statut du personnel des collectivités locales doit permettre un recrutement de qualité, fondé sur les principes du mérite et de la compétence ; à cette fin, il doit réunir des conditions adéquates de formation, de rémunération et de perspectives de carrière.

Article 7 - Conditions de l'exercice des responsabilités au niveau local

1. Le statut des élus locaux doit assurer le libre exercice de leur mandat.

2. Il doit permettre la compensation financière adéquate des frais entraînés par l'exercice du mandat ainsi que, le cas échéant, la compensation financière des gains perdus ou une rémunération du travail accompli et une couverture sociale correspondante.

3. Les fonctions et activités incompatibles avec le mandat d'élu local ne peuvent être fixées que par la loi ou par des principes juridiques fondamentaux.

Article 8 - Contrôle administratif des actes des collectivités locales

1. Tout contrôle administratif sur les collectivités locales ne peut être exercé que selon les formes et dans les cas prévus par la Constitution ou par la loi.

2. Tout contrôle administratif des actes des collectivités locales ne doit normalement viser qu'à assurer le respect de la légalité et des principes constitutionnels. Le contrôle administratif peut, toutefois, comprendre un contrôle de l'opportunité exercé par des autorités de niveau supérieur en ce qui concerne les tâches dont l'exécution est déléguée aux collectivités locales.

3. Le contrôle administratif des collectivités locales doit être exercé dans le respect d'une proportionnalité entre l'ampleur de l'intervention de l'autorité de contrôle et l'importance des intérêts qu'elle entend préserver.

Article 9 - Les ressources financières des collectivités locales

1. Les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l'exercice de leurs compétences.

2. Les ressources financières des collectivités locales doivent être proportionnées aux compétences prévues par la Constitution ou la loi.

3. Une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi.

4. Les systèmes financiers sur lesquels reposent les ressources dont disposent les collectivités locales doivent être de nature suffisamment diversifiée et évolutive pour leur permettre de suivre, autant que possible dans la pratique, l'évolution réelle des coûts de l'exercice de leurs compétences.

5. La protection des collectivités locales financièrement plus faibles appelle la mise en place de procédures de péréquation financière ou des mesures équivalentes destinées à corriger les effets de la répartition inégale des sources potentielles de financement ainsi que des charges qui leur incombent. De telles procédures ou mesures ne doivent pas réduire la liberté d'option des collectivités locales dans leur propre domaine de responsabilité.

6. Les collectivités locales doivent être consultées, d'une manière appropriée, sur les modalités de l'attribution à celles-ci des ressources redistribuées.

7. Dans la mesure du possible, les subventions accordées aux collectivités locales ne doivent pas être destinées au financement de projets spécifiques. L'octroi de subventions ne doit pas porter atteinte à la liberté fondamentale de la politique des collectivités locales dans leur propre domaine de compétence.

8. Afin de financer leurs dépenses d'investissement, les collectivités locales doivent avoir accès, conformément à la loi, au marché national des capitaux.

Article 10 - Le droit d'association des collectivités locales

1. Les collectivités locales ont le droit, dans l'exercice de leurs compétences, de coopérer et, dans le cadre de la loi, de s'associer avec d'autres collectivités locales pour la réalisation de tâches d'intérêt commun.

2. Le droit des collectivités locales d'adhérer à une association pour la protection et la promotion de leurs intérêts communs et celui d'adhérer à une association internationale de collectivités locales doivent être reconnus dans chaque État.

3. Les collectivités locales peuvent, dans des conditions éventuellement prévues par la loi, coopérer avec les collectivités d'autres États.

Article 11 - Protection légale de l'autonomie locale

Les collectivités locales doivent disposer d'un droit de recours juridictionnel afin d'assurer le libre exercice de leurs compétences et le respect des principes d'autonomie locale qui sont consacrés dans la Constitution ou la législation interne.

Partie II - Dispositions diverses

Article 12 - Engagements

1. Toute Partie s'engage à se considérer comme liée par vingt au moins des paragraphes de la partie I de la Charte dont au moins dix sont choisis parmi les paragraphes suivants :

- article 2,

- article 3, paragraphes 1 et 2,

- article 4, paragraphes 1, 2 et 4,

- article 5,

- article 7, paragraphe 1,

- article 8, paragraphe 2.

- article 9, paragraphes 1, 2 et 3,

- article 10, paragraphe 1,

- article 1.

2. Chaque État contractant, au moment du dépôt de son instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation, notifie au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe les paragraphes choisis conformément à la disposition du paragraphe 1 du présent article.

3. Toute Partie peut, à tout moment ultérieur, notifier au Secrétaire Général qu'elle se considère comme liée par tout autre paragraphe de la présente Charte, qu'elle n'avait pas encore accepté conformément aux dispositions du paragraphe 1 du présent article. Ces engagements ultérieurs seront réputés partie intégrante de la ratification, de l'acceptation ou de l'approbation de la Partie faisant la notification et porteront les mêmes effets dès le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date de réception de la notification par le Secrétaire Général.

Article 13 - Collectivités auxquelles s'applique la Charte

Les principes d'autonomie locale contenus dans la présente Charte s'appliquent à toutes les catégories de collectivités locales existant sur le territoire de la Partie. Toutefois, chaque Partie peut, au moment du dépôt de son instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation, désigner les catégories de collectivités locales ou régionales auxquelles elle entend limiter le champ d'application ou qu'elle entend exclure du champ d'application de la présente Charte. Elle peut également inclure d'autres catégories de collectivités locales ou régionales dans le champ d'application de la Charte par voie de notification ultérieure au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe.

Article 14 - Communication d'informations

Chaque Partie transmet au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe toute information appropriée relative aux dispositions législatives et autres mesures qu'elle a prises dans le but de se conformer aux termes de la présente Charte.

Partie III

Article 15 - Signature, ratification, entrée en vigueur

1. La présente Charte est ouverte à la signature des États membres du Conseil de l'Europe. Elle sera soumise à ratification, acceptation ou approbation. Les instruments de ratification, d'acceptation ou d'approbation seront déposés près le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe.

2. La présente Charte entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date à laquelle quatre États membres du Conseil de l'Europe auront exprimé leur consentement à être liés par la Charte, conformément aux dispositions du paragraphe précédent.

3. Pour tout État membre qui exprimera ultérieurement son consentement à être lié par la Charte, celle-ci entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date du dépôt de l'instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation.

Article 16 - Clause territoriale

1. Tout État peut, au moment de la signature ou au moment du dépôt de son instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion, désigner le ou les territoires auxquels s'appliquera la présente Charte.

2. Tout État peut, à tout autre moment par la suite, par une déclaration adressée au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, étendre l'application de la présente Charte à tout autre territoire désigné dans la déclaration. La Charte entrera en vigueur à l'égard de ce territoire le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date de réception de la déclaration par le Secrétaire Général.

3. Toute déclaration faite en vertu des deux paragraphes précédents pourra être retirée, en ce qui concerne tout territoire désigné dans cette déclaration, par notification adressée au Secrétaire Général. Le retrait prendra effet le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de six mois après la date de réception de la notification par le Secrétaire Général.

Article 17 - Dénonciation

1. Aucune Partie ne peut dénoncer la présente Charte avant l'expiration d'une période de cinq ans après la date à laquelle la Charte est entrée en vigueur en ce qui la concerne. Un préavis de six mois sera notifié au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe. Cette dénonciation n'affecte pas la validité de la Charte à l'égard des autres Parties sous réserve que le nombre de celles-ci ne soit jamais inférieur à quatre.

2. Toute Partie peut, conformément aux dispositions énoncées dans le paragraphe précédent, dénoncer tout paragraphe de la partie 1 de la Charte qu'elle a accepté, sous réserve que le nombre et la catégorie des paragraphes auxquels cette Partie est tenue restent conformes aux dispositions de l'article 12, paragraphe 1. Toute Partie qui. à la suite de la dénonciation d'un paragraphe, ne se conforme plus aux dispositions de l'article 12, paragraphe 1, sera considérée comme ayant dénoncé également la Charte elle-même.

Article 18 - Notifications

Le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe notifie aux États membres du Conseil :

a) toute signature ;

b) le dépôt de tout instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation ;

c) toute date d'entrée en vigueur de la présente Charte, conformément à son article 15 ;

d) toute notification reçue en application des dispositions de l'article 12, paragraphes 2 et 3 ;

e) toute notification reçue en application des dispositions de l'article 13 ;

f) tout autre acte, notification ou communication ayant trait à la présente Charte.

En foi de quoi, les soussignés, dûment autorisés à cet effet, ont signé la présente Charte.

Fait à Strasbourg, le 15 octobre 1985, en français et en anglais, les deux textes faisant également foi, en un seul exemplaire qui sera déposé dans les archives du Conseil de l'Europe. Le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe en communiquera copie certifiée conforme à chacun des États membres du Conseil de l'Europe.

État des signatures et ratifications

Situation au 27/09/01

Ouverture à la Signature

Lieu : Strasbourg

Date : 15/10/85

Entré en vigueur

Conditions : 4 Ratifications

Date : 01/09/88

États membres du Conseil de l'Europe

Date signature

Date ratification

Date entrée en vigueur

Renv.

R.

D.

A.s

T.

C.

O.

Albanie

27/05/98

04/04/00

01/08/00

Andorre

Arménie

11/05/01

Autriche

15/10/85

23/09/87

01/09/88

X

Azerbaïdjan

Belgique

15/10/85

Bulgarie

03/10/97

10/05/95

01/09/95

X

Croatie

11/10/97

11/10/97

01/02/98

X

Chypre

08/10/86

16/05/88

01/09/88

X

République tchèque

28/05/98

07/05/99

01/09/99

X

Danemark

15/10/85

03/02/88

01/09/88

X

X

Estonie

04/11/93

16/12/94

01/04/95

X

Finlande

14/06/90

03/06/91

01/10/91

France

15/10/85

Géorgie

Allemagne

15/10/85

17/05/88

01/09/88

X

X

Grèce

15/10/85

06/09/89

01/01/90

X

Hongrie

06/04/92

21/03/94

01/07/94

X

Islande

20/11/85

25/03/91

01/07/91

Irlande

07/10/97

Italie

15/10/85

11/05/90

01/09/90

X

Lettonie

05/12/96

05/12/96

01/04/97

X

Liechtenstein

15/10/85

11/05/88

01/0988

X

Lituanie

27/11/96

22/06/99

01/10/99

Luxembourg

15/10/85

15/05/87

01/09/88

Malte

13/07/93

06/09/93

01/01/94

X

Moldova

02/05/96

02/10/97

01/02/98

Pays-Bas

02/05/96

02/10/97

01/02/98

Norvège

26/05/89

26/05/89

01/09/89

Pologne

19/02/93

22/11/93

01/03/94

Portugal

15/10/85

18/12/90

01/04/91

Roumanie

04/10/94

28/10/98

01/05/98

X

Russie

28/02/96

05/05/98

01/09/98

Saint-Martin

Slovaquie

23/02/99

01/02/00

01/06/00

X

Slovénie

11/10/94

15/11/96

01/03/97

X

Espagne

15/10/85

08/11/88

01/03/89

X

X

Suède

04/10/88

29/08/89

01/12/89

X

Suisse

L'ex-République yougoslave de Macédoine

14/06/96

06/06/97

01/10/97

Turquie

21/11/88

09/12/92

01/04/93

X

Ukraine

06/11/96

11/09/97

01/01/98

Royaume-Uni

03/06/97

24/04/98

01/08/98

X

Nombre total de signatures non suivies de ratifications :

4

Nombre total de ratifications/adhésions :

34

Renvois :

a : Adhésion - Signature sans réserve de ratification - su : Succession - r :Signature « ad referendum ».

R. Réserves - D. : Déclarations - A. : Autorités - T. : Application territoriale - C. : Communication - O. : Objection.

Source : Conseil de l'Europe

Comment la France, longtemps présentée comme le modèle de l'État centralisé, est-elle perçue aujourd'hui par ses voisins européens après vingt ans de décentralisation ? Telle est la question que le Sénat et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe ont décidé de poser aux pays membres de l'Union européenne comme aux pays candidats d'Europe centrale et orientale. L'Allemagne, l'Autriche, l'Angleterre, la Belgique, le Portugal, la Hongrie, la Slovaquie et la Roumanie répondent à cette question en analysant la décentralisation française avec pour grille de lecture la Charte européenne de l'autonomie locale que la France a été l'une des premières à soutenir et signer mais qu'elle tarde à ratifier.

Le colloque a permis aussi de s'interroger sur cette anomalie à un moment où le modèle français de décentralisation sert souvent de référence aux démocraties en construction. Soulignée par le président du Sénat, cette nécessité de mettre nos engagements juridiques internationaux à la hauteur de notre réalité, a été reconnue par M. Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur, qui a amorcé la réouverture du dossier.

La manifestation s'est conclue sur une confrontation des regards sur la décentralisation française à la lumière des différents rapports dont elle a été l'objet. La table ronde finale présidée par M. Christian Poncelet a confirmé le consensus des grandes associations nationales d'élus en faveur d'une nouvelle étape.

Ce volume s'inscrit dans la série de publications destinées à rendre compte des manifestations et colloques institutionnels organisés par le Sénat ainsi que, le cas échéant, par ses commissions ou délégations.

Cette collection est l'expression de la volonté d'ouverture du Sénat. Elle a pour vocation de mieux faire connaître son activité de réflexion et sa force de proposition.


* 1 Leur liste figure en annexe

* 2 C'est une des dispositions qui fait l'objet du plus de réserves.

* 3 Les juridictions administratives offrent également des possibilités plus aisées mais elles n'existent pas partout (Allemagne, Autriche, Espagne, Finlande, Grèce, Italie, Liechtenstein, Luxembourg, Portugal. Ailleurs, principalement en Scandinavie, les tribunaux civils peuvent interpréter les actes et statuer par voie d'exception sur la conformité des actes ou des décisions concernant les collectivités locales dont ils peuvent écarter l'application. S'agissant des références à la Charte dans les décisions des juridictions on a longtemps manqué d'exemples significatif mais il semble que la situation soit en train de changer (la Cour constitutionnelle russe vient par exemple d'annuler une loi de l'un des sujets de la Fédération ( oblast de Koursk) qui portait atteinte à l'autonomie locale.

* 4 Cet aspect a d'ailleurs fait l'objet du premier et du quatrième rapport général au Congrès dans le cadre de la procédure de contrôle de l'application de la Charte à compter de 1992.

* 5 On pourra se reporter à son texte qui figure en annexe.

* 6 On pourra se reporter sur ce point au deuxième rapport général de contrôle du Congrès.

* 7 Notamment dans sa recommandation n°R (95)19 aux États membres sur la mise en oeuvre du principe de subsidiarité.

* 8 On peut ainsi observer un spectre allant des pays à statut (Grèce, Luxembourg, Portugal) aux pays qui privilégient la liberté contractuelle (Scandinavie). Au sein de chaque groupe principal existent de fortes nuances. Ainsi, au sein des pays Scandinaves, observe-t-on des degrés croissants de liberté contractuelle, de la Norvège à la Finlande et au Danemark jusqu' 'à la Suède en passant par l'Islande. Entre les deux pôles principaux, subsistent des systèmes mixtes (Allemagne). Tous les personnels-locaux présentent cependant des caractères proches qui les distinguent des personnels nationaux (plus grand nombre d'emplois d'exécution, plus grand nombre d'emplois à temps partiel). Quel que soit le modèle retenu, il existe aussi un point commun : le domaine du personnel est sans doute celui où la liberté des autorités locales est la moins grande, qu'elle soit limitée par la loi ou par les conventions collectives. La part des dépenses qui y est consacrée -et qui est toujours importante pour les budgets- fait l'objet de contrôles spécifiques dans certains pays (Espagne et surtout Portugal). Les Pays-Bas ont fait une réserve d'interprétation afin de s'assurer que l'article 6-2 ne saurait servir de base à revendications financières de la part des collectivités locales. Enfin, dans certains pays (Espagne, Italie, Pays-Bas), existent parmi les personnels locaux, et souvent à des postes importants, des personnels d'État. Il semble toutefois qu'il n 'y ait qu'en Italie que cette réalité, certainement choquante en elle-même, se traduise par une sorte de contrôle interne (secrétaire de mairie) susceptible de dépasser la simple légalité.

* 9 Le plus souvent naturellement sur la proposition des organisations représentatives des pouvoirs locaux.

* 10 Mais a souhaité toutefois réserver à cet égard sa compétence.

* 11 Résolution statutaire n° 1 du Comité des Ministres adoptée le 15 mars 2000.

* 12 CG/INST(7)33 rév.2 approuvé par la commission institutionnelle le 27 avril 2001.

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