« Femmes et pouvoirs » (XIXe - XXe siècle)


YVETTE ROUDY

Je suis heureuse de me trouver aujourd'hui parmi vous, particulièrement avec Monique Pelletier, Edith Cresson, Simone Veil, Hélène Gisserot, puisque nous avons eu l'occasion de participer à une sorte d'aventure pendant quelque temps : nous avions décidé, cinq femmes politiques de droite et cinq de gauche c'était en 1996 , de nous réunir pour exiger la parité politique. Cela veut dire que dans certaines circonstances, sans renier nos familles politiques respectives, on peut se retrouver sur des points ponctuels pour revendiquer des choses qui nous rassemblent.

Pour ma part, j'ai donc été appelée à une fonction ministérielle en 1981. J'ai eu à diriger un ministère de mission, avec François Mitterrand. Je prenais la succession de Monique Pelletier dans un ministère qui lui ressemblait  mais pas tout à fait semblable. J'avais pour moi un gros avantage : j'arrivais avec une lettre de mission, j'appelais cela ma feuille de route. Dans ma famille politique, nous avions travaillé autour de François Mitterrand pendant plusieurs années à ce que l'on a appelé « les 110 propositions ». Beaucoup de gens sourient maintenant à cette évocation. En même temps, c'était important politiquement, parce que cela voulait dire que des gens avaient longtemps réfléchi à un certain nombre de sujets, à un certain nombre de projets. Cela avait été le fruit d'une réflexion qui montait de la société.

Dans les 110 propositions, une bonne douzaine concernaient les droits des femmes. Donc je suis arrivée tranquillement, sans me douter de ce qui m'attendait, mais très sûre de ma légitimité. J'avais été parlementaire européenne, après j'ai été parlementaire nationale, j'ai été maire, j'ai eu des mandats, j'ai fait une quinzaine d'élections, la moitié élue, la moitié battue. Mais c'est normal parce qu'on ne vous envoie jamais dans des endroits faciles. C'était souvent parce que des hommes avaient refusé d'y aller. Il se trouve que les femmes ne sont pas mauvaises dans les campagnes, elles sont plutôt bonnes.

Quand je suis arrivée au ministère des Droits de la femme, je tenais beaucoup à cette appellation de « Droits », parce que pour moi c'est une référence républicaine. C'était la légitimité. Donc j'avais une feuille de route. Je me suis tout de suite mise à l'application de cette feuille de route, et j'ai tout de suite rencontré d'énormes difficultés. Parce qu'on se trouve dans un vieux pays, avec des institutions qui ne sont pas jeunes, avec un appareil d'État qui est remarquable de robustesse et de résistance, et qui n'aime pas ce qui est nouveau. Chaque fois que je proposais quelque chose, un directeur arrivait immédiatement, qui me disait : « Madame la ministre, ce que vous demandez n'est pas possible ». Et quand je lui demandais pourquoi, il répondait : « parce que cela ne s'est jamais fait ». Mais justement, ce que je proposais, c'était parce que ça ne s'était jamais fait ! Et à chaque fois j'ai dû faire appel à des arbitrages. J'ai eu de la chance, car j'avais un Premier ministre (Pierre Mauroy, deux fois) et François Mitterrand qui me soutenaient. L'appareil d'État n'était pas favorable à ce que je proposais, que ce soit l'égalité professionnelle, le remboursement de l'IVG, que ce soient même des campagnes d'information sur la contraception, l'égalité entre époux, que sais-je encore... J'accompagnais mes lois de campagnes d'information, parce que je fais partie de ceux qui pensent qu'une loi est nécessaire mais n'est pas suffisante, qu'ensuite il faut l'expliquer, il faut des campagnes d'information, il faut une volonté politique pour veiller à son application. Et nous sommes dans un vieux pays où ces traditions-là n'existent pas, contrairement à ce qui se fait dans les pays scandinaves.

Donc cela a duré cinq ans, ensuite, en 1986, le ministère n'a pas été renouvelé, il a littéralement explosé. C'était à la fin un ministère à part entière, mais on ne l'a jamais reconstitué à l'identique. Cela, c'est l'appareil d'État français. Il faut savoir que la France n'est pas féministe. Je souligne au passage que le féminisme n'est pas un mot inconvenant, c'est un mot plein de noblesse. Cela veut dire tout simplement que les femmes ont envie d'occuper leur place, pleine et entière.

Ayant évoqué tout cela rapidement, je dirai, pour conforter ce qu'a dit Edith Cresson, que les femmes ont un complexe d'infériorité par rapport à la politique. Il faut qu'elles s'en débarrassent. Nous avons une loi sur la parité. Elle est insuffisante mais nous avons un vivier. Ce sont les municipales et cela va être les régionales. Il faut que ces femmes-là sachent qu'elles ont deux missions : remplir leur mandat de conseillères régionales et municipales. Il faut aussi qu'elles sachent qu'elles ont à aller plus loin dans la loi sur la parité qui a été détournée pour ce qui est des législatives. Parce que tous les partis politiques ont préféré payer une taxe que de présenter 50 % de femmes. Donc ces femmes-là ont cette responsabilité.

On veut opposer en ce moment le féminisme moderne aux autres. Moi, je salue et je soutien les filles de « Ni putes, ni soumises », qui ont beaucoup de courage. Elles ont fait émerger un vrai problème qu'on n'avait pas vu, il faut les soutenir. Elles se mettent à la politique. Tout ce que nous avons fait, nous, avant, est aussi utile à ce qu'elles font aujourd'hui, et ce n'est pas terminé, parce qu'il y a encore beaucoup à faire. Il faut que les femmes soient plus audacieuses.

Je dirai, pour terminer, qu'une chose m'a frappée je choisis un fait parmi d'autres. Quand j'ai été élue maire (j'ai été maire douze ans), j'avais fait la parité avant la loi. Je suis allée chercher des femmes parce que je voulais la parité. Toutes celles que j'ai sollicitées pour être sur ma liste m'ont dit : « Est-ce qu'il y a un endroit où je peux me former ? ». Aucun homme ne m'a posé cette question. Ils sont naturellement formés ! Il y a ce complexe, et ce complexe il faut à tout prix que les femmes le surmontent parce qu'il y a encore beaucoup à faire. Il y a l'inégalité entre les salaires, les violences, la formation où il y a des déficits. Beaucoup de choses restent à faire. Et c'est aux nouvelles générations, maintenant, de reprendre le flambeau. C'est ce que je leur demande.

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