« Femmes et pouvoirs » (XIXe - XXe siècle)


Table des matières


FEMMES ET POUVOIR

(XIX e -XX e siècles)

Actes du colloque organisé

sous le haut patronage de Christian Poncelet, Président du Sénat,

en partenariat avec le Comité d'histoire parlementaire et politique

le 8 mars 2004

PARIS, PALAIS DU LUXEMBOURG

ALLOCUTION D'OUVERTURE DE M. CHRISTIAN PONCELET, PRÉSIDENT DU SÉNAT

Notre rencontre d'aujourd'hui, en cette date symbolique du 8 mars, journée internationale des femmes, devrait constituer une étape importante sur le long et difficile parcours de la reconnaissance du rôle des femmes dans la société et de la promotion de l'égalité professionnelle.

Elle se veut d'abord une journée rétrospective, placée doublement sous le signe de l'Histoire. Organisée à l'initiative d'une association d'historiens, le Comité d'Histoire Parlementaire et Politique que je salue , cette journée entend faire le lien entre l'« actualité du passé » et l'« historicité du présent ». Elle est placée aussi sous les auspices de George Sand, qui fréquenta le Palais du Luxembourg pendant la révolution de 1848, et dont nous célébrons cette année le bicentenaire. C'est en même temps et surtout une réunion d'actualité, puisqu'elle rassemble des acteurs de différentes institutions politiques et de l'Université, en présence de la ministre déléguée à la Parité et à l'Égalité professionnelle, qui va donc nous rejoindre ce soir.

Son originalité, cependant, tient à ce qu'elle n'est plus une réunion de conquête de la place des femmes dans la vie politique : le programme montre avec abondance que cette conquête est déjà bien entamée. Elle est un moment de réflexion sur la manière dont les femmes ont commencé à changer la politique. C'est aussi une occasion de réfléchir sur la meilleure façon de poursuivre dans la voie que nous avons choisie ensemble.

Force est de constater en effet que la révision constitutionnelle sur la parité votée, je le rappelle, dans le texte du Sénat a joué un rôle d'accélération considérable dans cette affirmation de la place de la femme. Le collège électoral du Sénat, par exemple, compte désormais plus d'un tiers de femmes. Ce mouvement devrait très sensiblement s'accentuer grâce aux élections régionales dont la règle, je le rappelle, a été modifiée l'année dernière dans un sens permettant une meilleure application de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Je sais que ce mouvement reste à confirmer au niveau de la composition des assemblées parlementaires. L'Assemblée nationale et le Sénat sont à cet égard dans la même situation. Elles ne laissent encore qu'une part trop faible aux députées et aux sénatrices. Je puis cependant sans grand risque vous annoncer que, en dépit des réserves qu'avait pu susciter la réforme du scrutin sénatorial en 2003 sur ce point réserves qu'avait très bien su combattre Mme Gisèle Gautier, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat , le renouvellement partiel de septembre prochain marquera un nouveau progrès. Il montrera que, sur ce terrain-là aussi, le Sénat sait prendre l'initiative.

Je suis donc particulièrement reconnaissant au Comité d'Histoire Parlementaire et Politique, avec lequel nous avons engagé un partenariat, d'avoir choisi le Sénat pour cette manifestation. Je suis à la fois heureux et honoré d'accueillir ici des personnalités aussi prestigieuses, qu'une vie politique et gouvernementale déjà longue m'a permis de rencontrer et d'apprécier. Parmi elles, certaines sont des symboles Mme Veil, Mme Cresson, et bien d'autres. Beaucoup oeuvrent au sein de notre Assemblée, qui s'honore par exemple d'accueillir un certain nombre d'anciennes ministres de gouvernements qui n'étaient pas toujours d'accord avec le Sénat. Je n'aurais garde d'oublier mon compagnon, Lucien Neuwirth qui, après avoir joué le rôle que l'on sait dans la Libération de la France, demeure pour les Françaises un symbole de la libération de la femme.

Croyez bien que, comme beaucoup de colloques que nous accueillons, les propos qui seront tenus ici serviront dans les débats à venir au sein du Sénat lui-même. Je suis sûr que Mme Gisèle Gautier et ses collègues s'en feront les porte-parole dynamiques et convaincants. Accueillir des manifestations telles que la vôtre est une manière délibérée du Sénat d'associer les représentants de la société à l'oeuvre législative. C'est une façon aussi de démontrer, s'il en était besoin, l'esprit d'ouverture et de débat qui est celui de notre Assemblée.

INTERVENTION DE MME GISÈLE GAUTIER,
PRÉSIDENTE DE LA DÉLÉGATION AU DROIT DES FEMMES DU SÉNAT

Permettez-moi d'abord, en préambule, de rendre hommage à la première secrétaire d'État chargée de la condition féminine. À mon sens, le testament de Françoise Giroud aux femmes politiques, c'est la notion de lucidité. Et le corollaire de cette lucidité, c'est la capacité à aller à l'essentiel.

Pour tenter de reprendre cette tradition, je ferai plusieurs remarques, pour aborder frontalement les aspects les plus sensibles du sujet qui nous réunit aujourd'hui à ce colloque « Femmes et pouvoir ».

En premier lieu, depuis plus de vingt ans la France s'est décentralisée, et les responsabilités locales ont fourni aux femmes une occasion de prouver concrètement leurs capacités. Il faut souligner que les électeurs, au niveau local, font bien la différence entre les clichés et les résultats tangibles. J'ai lu dernièrement une interview de Mme Edith Cresson sur ce thème, et je dirai moi aussi qu'à certains moments, le réconfort est la manifestation directe de la confiance du citoyen, sans l'intermédiation des partis ou de certains organes de presse. Je crois ainsi que la dimension locale introduit une nouvelle donne dans les relations entre les femmes et le pouvoir.

En dehors de cette évolution vers la décentralisation, qui s'est accentuée à partir des années 80, sommes-nous loin ou proches des débats des années 70 ? On affirme que les mentalités ont changé, ont évolué lentement. J'avoue pour ma part que je ne trouve pas cela toujours évident. L'idée, par exemple, de demander à son mari l'autorisation de travailler paraît incongrue à une jeune femme aujourd'hui. Et pourtant cette tutelle civique qui nous paraît d'un autre âge n'a été abolie qu'en 1965, c'est-à-dire il y a tout juste quarante ans. C'était hier. Il faut le rappeler, je crois. La libéralisation du droit de la famille et du statut civil de la femme a été prolongée par la montée des taux d'activité des femmes dans le monde du travail : entre 25 et 49 ans, 80 % des femmes travaillent aujourd'hui. Les économistes s'accordent à reconnaître que la motivation au travail des femmes a contribué à la mutation de ces dernières décennies.

Du point de vue du capital humain, on peut également observer que les femmes sont aujourd'hui plus diplômées que les hommes on l'entend sur tous les médias, sur toutes les radios , les filles poursuivent leurs études plus longtemps que les garçons, tout en redoublant plus rarement. Il y a aujourd'hui 120 filles pour 100 garçons dans l'enseignement supérieur.

Par rapport à ces évolutions extrêmement rapides de la société civile, on peut se demander si une certaine forme de retard, ou plutôt de tutelle, sur les femmes n'a pas perduré dans les familles politiques. Au préalable, il faut constater l'ampleur du chemin parcouru, même si on trouve ce chemin à parcourir lent. Je me contenterai de citer quelques exemples.

À la Libération, les femmes ont obtenu le droit de vote dans un contexte où un certain nombre de clichés étaient monnaie courante. Permettez-moi de mentionner les travaux d'une historienne qui a analysé le contenu de la presse lyonnaise de la Libération. Il s'agit de Mme Sophie Mannino. « Elles ne comprennent rien », écrivait-on, « aux procédures démocratiques. Elles votent soit contre le candidat, leur mari, soit contre leur mari ou le flirt du moment, pour le blond, pour le brun ou pour le barbu. » Aujourd'hui, cette forme de dérision du suffrage féminin n'est heureusement, je crois, guère de mise.

S'agissant des indicateurs de la place des femmes en politique, je ne vous abreuverai pas de chiffres sur la proportion des femmes au gouvernement dans les assemblées élues ou au sein des exécutifs locaux. Une grande première : nous avons une femme ministre de la Défense. Ainsi, les femmes ministres ou secrétaires d'État occupent généralement, si on veut bien regarder dans le rétroviseur, des postes qui « naturellement » concernent le ministère des Affaires sociales, le ministère de la Santé, le ministère de la Protection de l'enfance... Dans le monde économique, les femmes doivent faire leurs preuves plus intensément que les hommes pour occuper les postes à responsabilités. Les fonctions qu'elles exercent ont trait généralement à la gestion des ressources humaines. On retrouve ce schéma classique un peu partout, et aussi à la communication, alors que beaucoup de postes, que je qualifierai de stratégiques, sont évidemment occupés par des hommes.

À mon sens, une idée intéressante à prendre en compte est la notion de ce qu'on appelle la « masse critique » de femmes qui permet de donner un sens à la notion de parité. On évoque généralement le chiffre de 30 %. Je rappelle qu'en droit des entreprises, l'influence notable sur la gestion et la politique financière d'une société est présumée à partir d'un seuil d'environ 20 %. De ce point de vue, c'est au niveau local que les évolutions paraissent les plus encourageantes. Dans les conseils municipaux, vous le savez, les femmes sont passées de 3,1 % des élus en 1947 à un tiers aujourd'hui, et ce progrès a été continu même si, bien entendu, il s'est accéléré en 2001 avec la législation sur la parité qui a été une très bonne chose. Dans les conseils régionaux également, la place des femmes a rapidement augmenté : de 9 % en 1986, nous sommes passées aujourd'hui à 27 %, un bond tout de même très significatif. Dans les conseils généraux, en revanche, on peut dire sans exagérer que les femmes constituent une sorte d'exception. Leur part était de 0,07 % en 1958 et n'a dépassé le seuil de 5 % qu'en 1990. Aujourd'hui encore, les conseils généraux restent à plus de 90 % masculins je renverse la vapeur, parce que c'est très significatif. Et le tableau devient plus noir si on considère l'exécutif on vient là dans le coeur du sujet , c'est-à-dire là où se trouve le pouvoir. Dans les exécutifs locaux, nous avons 10,9 % seulement des maires qui sont des femmes, et encore, je dirai, dans les milieux ruraux, les petites communes. J'ai été maire pendant vingt ans d'une commune de 17 000 habitants, et je représentais 0,04 % des femmes maires d'une ville de plus de 10 000 ou de 15 000 habitants. Et moins de 6 % de présidentes des établissements publics de coopération, les fameux EPCI à fiscalité propre. J'ajouterai que, en ce qui concerne les présidences de conseils généraux, il n'y a guère de présidences féminines au sein de nos conseils généraux aujourd'hui...

Au niveau national, même schéma : le Parlement demeure masculin à près de 90 % ; l'Assemblée nationale quant à elle compte 12,2 % de femmes, ce qui l'a placée en février 2004, si j'en crois les statistiques qui portaient sur 180 pays, au 63 e rang mondial. C'est mieux certes que l'Inde ou la Grèce, mais beaucoup moins bien que presque tous les grands pays développés. Alors je dirai que ce n'est pas vers le bas qu'il faut regarder, mais plutôt vers le haut. Nous sommes donc mal placés, même si nous sommes 63 e . Quant au Sénat : nous sommes 11,21 % de l'effectif actuel. C'est peu, c'est trop peu parce que ce n'est pas satisfaisant, et la progression réalisée sur le long terme n'a été ni rapide, ni continue. Il y avait 7 % de femmes en juin 1947 au Conseil de la République, mais seulement 2 % en 1958 c'est vraiment la chute libre. En ce qui concerne le Sénat de la Cinquième République, cette aggravation se poursuit jusqu'à un pourcentage de 1,42 % de femmes ! Une remontée durable n'est constatée qu'à partir de 1989, et il faut attendre 1995 pour franchir le seuil des 5 % et plus aujourd'hui.

Avant de trancher dans le vif en introduisant le principe paritaire dans la Constitution, on s'est par exemple demandé si cette semi exclusion des femmes dans notre pays des lieux de pouvoir politique, et plus particulièrement des instances élues, tenait au scrutin majoritaire, traditionnellement dominant en France, alors que le scrutin proportionnel est de toute évidence plus favorable à la mixité. Eh bien, ce n'est pas une vérité générale absolue. Il suffit de regarder autour de soi, notamment en direction du Royaume-Uni, qui connaît un mode d'élection résolument majoritaire et qui envoie nettement plus de femmes à la Chambre des Communes que nous n'en comptons à l'Assemblée nationale. Un débat long et difficile a ainsi précédé la révision en 1999 de l'article 2 de la Constitution, selon lequel « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats publics et aux fonctions électives ». Cette réforme semblait heurter de front le principe de l'universalisme républicain si ancré dans notre tradition. Mais il a bien fallu se rendre à l'évidence. Les mécanismes de parité dans les élections où ils ont été mis en oeuvre ont été les seuls capables de produire, en termes d'amélioration de la mixité en politique, des résultats véritablement significatifs.

En complément, il a été décidé de moduler l'aide publique aux partis politiques en fonction de l'écart constaté entre le nombre d'hommes et le nombre de femmes présentés dans chaque parti ou groupement à l'occasion des élections législatives. Et là je vais avoir, pardonnez-moi, un propos un peu dur mais qui est réel. Je dirai de façon un peu plus tranchée que c'est quelque part autoriser les partis à payer pour ne pas respecter la parité. Je crois qu'une pénalité financière ne suffit pas, et qu'on autorise ainsi les partis à ne pas observer la parité. Je suis dure, mais je crois que je suis réaliste.

Un autre prolongement de cette réforme constitutionnelle est la création d'une délégation au droit des femmes et à l'égalité des chances des hommes et des femmes dans chacune de nos assemblées. J'ai donc l'honneur de présider la délégation sénatoriale depuis deux ans, et, pour résumer l'esprit de nos travaux, je dirai que notre mission de veille parlementaire se développe de plus en plus et sur tous les fronts : la parité politique, l'égalité professionnelle, le droit de la famille, la mixité (sujet que nous avons choisi cette année, sous l'angle scolaire ou social), la composante culturelle de l'égalité des chances, sans oublier bien sûr la dimension européenne et internationale des questions.

Quels sont aujourd'hui les derniers obstacles ? Je commencerai par une certaine vision que je qualifierai de vision paternaliste de la relation entre le pouvoir et les femmes, qui continue ici ou là de moins en moins, mais elle continue à se manifester. Tout d'abord dans nos partis politiques. Leurs états-majors, à quelques exceptions près, sont peu féminisés, leurs comités d'investiture peu enclins à favoriser la mixité des candidats, ce qui impliquerait, il est vrai, de pénaliser les sortants, alors que ceux-ci n'ont pas démérité. Ce langage, je l'ai entendu maintes fois : il n'a pas démérité, donc pourquoi l'évincer ? À mon avis, c'est un vocabulaire qu'on ne peut plus recevoir ni entendre. Un autre problème : les horaires de réunion des formations politiques  en soirée, en fin de semaine très souvent rendent singulièrement difficile la montée aux responsabilités des femmes en charge d'enfants, c'est-à-dire de la plupart des femmes entre 25-30 ans et 40-45 ans.

Ces observations nous ramènent à mon sens à un certain archaïsme de l'ensemble de la société française. L'investissement croissant des femmes dans la vie professionnelle (je ne parle pas, bien sûr, de la vie associative, où il y a longtemps qu'elles sont investies et très présentes) ne s'est guère accompagné d'une redistribution des rôles et d'un meilleur partage des tâches au sein de la famille. Ces données, dont on sait à quel point elles handicapent la carrière professionnelle des femmes, les empêchent dès la trentaine de valoriser leurs diplômes aussi bien que les hommes, handicapent de même leur entrée en politique. On parle beaucoup du partage des tâches domestiques pour regretter que les hommes n'en fassent pas assez. J'ai lu dans je ne sais plus quel communiqué que 70 % des tâches domestiques étaient « réservées » à la femme. Il reste 30 % pour les hommes, c'est peu ! Je crois qu'il va falloir augmenter tout doucement ce partage des tâches domestiques. On souligne moins souvent un certain partage des tâches politiques, qui ont pris chez nos voisins scandinaves, qui ont une longue tradition en matière d'égalité : les femmes s'occupent traditionnellement des affaires sociales ou culturelles. Tout se passe comme si les hommes politiques leur laissaient volontiers exercer leurs talents dans cette sphère qui est leur, qui leur est en quelque sorte réservée. Pour les femmes et pour les mères, le thème de la paix est également très mobilisateur. Ici, j'aurais plutôt tendance à m'en réjouir. C'est d'ailleurs un thème de consensus naturel dans les rencontres internationales. J'ai eu l'occasion d'aller, dans le cadre du forum euro-méditerranéen à Madrid, à Athènes, à Amman et dans d'autres pays, avec certaines de mes collègues ici présentes, et je dois dire que, lorsque nous parlons de pacification, de paix, c'est vrai que nous trouvons un consensus, que nous parlons de la même voix. N'oublions jamais que nos démocraties sont fragiles, que l'objectif essentiel de la politique est la résolution pacifique des conflits, des tragédies qui opposent deux vérités. Si la parité doit se résumer à un seul but ultime, ce serait celui-là.

Je conclurai par deux remarques. D'abord, et sans aucunement remettre en cause la raison d'être de notre colloque, j'espère qu'il sera de moins en moins nécessaire à l'avenir de mener des réflexions ou des campagnes pour l'égalité, où les femmes sont considérées en bloc et englobées dans un concept de féminité, comme s'il s'agissait d'une identité quelque peu mystérieuse et cohérente.

Enfin, j'ai récemment lu un témoignage sur le pouvoir des femmes en Scandinavie, qui disait que, malgré une longue tradition d'égalité formelle et de démocratie paritaire, le pouvoir a toujours échappé aux femmes. J'avoue que je ne partage pas complètement ce pessimisme. En réalité, nos démocraties ont quand même changé de nature, et l'exercice du pouvoir également, y compris d'ailleurs dans la cellule familiale. Il faut en tirer les conséquences, et, selon la méthode qui consiste à dire les choses les plus sérieuses en forme de boutade, je choisirai celle-ci parce que je la trouve très belle et très vraie : « la construction de la famille est une chose trop importante pour la laisser aux seules femmes ; la construction de la société est une chose trop grave pour la laisser aux seuls hommes ».

Je suis convaincue, au regard de votre longue et riche expérience, que vous ne pourrez que partager avec moi cette conclusion et ce constat : c'est grâce à une solidarité sans failles que nous arriverons à gravir les marches qui nous mèneront au terme de ce long combat, qui n'est pas inaccessible, qui est celui du partage du pouvoir.

PROPOS POUR UN BICENTENAIRE
MARTINE REID, UNIVERSITÉ DE VERSAILLES SAINT-QUENTIN-EN-YVELINES

Pour Michelle Perrot

Mon cher ami, c'est une excellente idée que de fêter les grands morts. Ce sont nos saints et nos prophètes, à nous autres, et nous devrions avoir notre calendrier.

Lettre du 10 avril 1864, à Paul Meurice 1 ( * )

[à propos de la création d'un comité pour la célébration de Shakespeare et de son oeuvre].

Évoquer la figure de George Sand dans le cadre d'un colloque qui porte sur la place des femmes en politique, sur les relations singulières que nouent, qu'ont nouées dans l'histoire « femmes et pouvoir » paraît particulièrement pertinent, et de considérer les raisons qui donnent leur sens à la célébration du bicentenaire de sa naissance. Trois d'entre elles viennent tout de suite à l'esprit : George Sand est un grand écrivain ; elle a pris une part active à la vie et à la pensée politique de son temps ; elle a pris fait et cause pour la condition des femmes.

Ces raisons valent la peine d'être détaillées parce qu'elles sont souvent ignorées, minimisées, voire trahies. Beaucoup pensent encore que George Sand est un écrivain secondaire (il ne resterait de son oeuvre que quelques romans champêtres tout juste bons à donner en lecture aux enfants) ; certains prétendent qu'elle n'a pas eu de rôle politique véritable, et lui reprochent d'avoir, bien que socialiste, désavoué la Commune en 1871 (ses convictions auraient faibli, ses analyses perdu de leur acuité) ; d'autres enfin que ses positions en matière de féminisme sont beaucoup moins neuves qu'on ne le croit, bien moins radicales aussi que celles d'autres femmes de son époque.

Il faut y insister d'entrée de jeu, les prises de position de Sand ne prennent sens et force qu'à partir de la position singulière qu'elle s'est forgée, c'est-à-dire à partir de sa position de « romancier », comme elle aime à le dire, et le dira toujours au masculin 2 ( * ) . C'est bien l'extrême visibilité qu'elle a acquise en littérature qui lui offre une tribune et un auditoire pour débattre non seulement de problèmes esthétiques mais aussi de questions politiques et féministes.

La carrière littéraire de George Sand s'étend de 1832 à sa mort en 1876, soit sur plus de quarante ans. Elle est à bien des égards comparable à celle de Victor Hugo : même rythme de production considérable, même visibilité sociale et politique exceptionnelle, même réseau ample et diversifié de connaissances, de familiers, d'amis en France et à l'étranger avec lesquels on correspond, même sens du « métier » d'écrivain, c'est-à-dire un vif souci des contrats, des bénéfices, de la publicité, du devenir du livre et de la littérature. George Sand est l'auteur de plus de quatre-vingt-dix romans, contes et nouvelles, d'une vingtaine de pièces de théâtre (essentiellement produites sous le Second Empire), de plusieurs textes autobiographiques, dont Histoire de ma vie (parue pour la première fois en 1855 en vingt volumes), de nombreux articles, préfaces et comptes rendus et d'une correspondance qui compte plus de vingt mille lettres.

La matière romanesque de Sand est extrêmement variée, son inventivité formelle tout à fait remarquable. Flaubert lui dira à quel point il admire ce « génie narratif 3 ( * ) » qu'elle possède au plus haut degré. Sand a illustré tous les sous-genres existants (romans historique, populaire, sentimental, d'apprentissage, etc.) et manifesté une capacité exceptionnelle d'adaptation des formes romanesques du XVIIIe siècle (le roman épistolaire en particulier). La réelle cohérence de l'oeuvre, de l'oeuvre comme tout, se lit dans l'idéalisme de fond qui habite l'ensemble; elle se retrouve aussi dans un mélange de convictions socialistes et féministes jamais démenties. On peut affirmer, sans trop simplifier les faits, que si Balzac est réaliste, Sand ne l'est pas. Elle l'est certes dans le détail (ainsi la peinture du Berry dans les célèbres romans champêtres, La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, Les Maîtres sonneurs - qu'il est naïf de ramener à quelque exercice littéraire puéril et vertueux) mais elle ne l'est pas dans l'objectif poursuivi.

En littérature, Sand expose un problème, et propose une solution. À peu de choses près, et pour faire vite, pour dessiner une sorte de « théorème » applicable au roman sandien dans son ensemble, ou peu s'en faut, le problème est d'ordre sentimental, la solution d'ordre à la fois politique et féministe. Ou encore dans les romans de Sand, les amoureux se reconnaissent au premier coup d'oeil (la matière est toujours sentimentale) mais le mariage n'aura lieu que pour autant qu'ils soient devenus égaux, socialement, financièrement et intellectuellement (ainsi dans Mauprat, Simon et bien d'autres). La matière romanesque milite à sa manière, au niveau des représentations, pour l'égalité des sexes et des conditions, des individus dans la communauté, la ville ou le village. Cette manière de raconter est assurément utopique : elle présente le monde comme il devrait être et non comme il est. Elle est aussi politique : les personnages y discutent de la vie en société, y pensent le bonheur de la collectivité, et non seulement le leur. Le statut de l'argent, du travail, de la propriété y sont volontiers débattus, en particulier dans quelques romans tels que Le Péché de M. Antoine, Le Meunier d'Angibault, Le Compagnon du Tour de France . Les personnages féminins sont très différents de ceux qui hantent la littérature romantique d'abord, la littérature réaliste ensuite. Chez Sand, les femmes sont instruites, fortes et déterminées. Elles présentent volontiers des caractéristiques masculines, notamment par le caractère et l'éducation, et féminines à la fois. Cette bisexualité (symbolique) est sans doute la seule réponse possible dans le domaine très contraint, très codé des représentations littéraire de l'époque. Il n'empêche : la rupture est là, consommée pour la première fois par la production d'un superbe tissu romanesque qui ne ressemble à aucun autre. Avec George Sand, c'est l'évidence, la littérature a changé de langue, de regard et de représentations.

George Sand politique ? La question ne peut être ramenée à son épisode le plus connu, l'activité de Sand au palais du Luxembourg, au printemps 1848. Dans Histoire de ma vie , Sand raconte comment, dès 1835, alors qu'elle songe à se séparer de son mari, elle a fait la connaissance d'un avocat républicain Michel de Bourges qui la « convertit » aux idées socialistes 4 ( * ) . La même année, elle rencontre Pierre Leroux, publiciste saint-simonien puis fondateur d'un groupe socialiste spécifique, et auteur d'un livre qui la marquera profondément, De l'égalité . Sand passe de longues heures avec ses amis à comprendre et à interroger cette théorie. Les discussions conduisent bientôt à l'action, une action que Sand, très attentive aux effets d'opinion, à la diffusion des idées, souhaite d'emblée médiatique. C'est dans la presse, mieux que dans les livres, pense-t-elle, que les idées s'expriment, que les arguments s'exposent et emportent l'adhésion. En 1841, avec ses amis Leroux et Viardot, elle fonde La Revue indépendante . Le premier numéro contient le premier chapitre de son roman Horace et un article sur les poètes populaires : « Cette fois enfin, écrit-elle à son fils, j'ai les coudées franches et je puis dire ce que j'ai sur le coeur avec l'espoir d'être entendue et de ne pas être une voix isolée au milieu du charivari social 5 ( * ) . » Les premiers numéros connaissent un succès considérable. La notoriété de Sand s'accroît, une notoriété de caractère politique. Dans sa revue, Sand appelle à une révolution morale qui passe par « le sentiment religieux et philosophique de l'égalité». Elle définit ses convictions comme une pensée sociale, chrétienne et utopique qui rêve la disparition des classes au profit d'une communauté humaine régie par la fraternité 6 ( * ) .

En 1844, elle participe cette fois à la création d'un journal d'opposition, L'Éclaireur , Journal des départements de l'Indre, du Cher et de la Creuse .L'objectif, explique-t-elle, est de travailler à « donner des idées et des sentiments à une province [le Berry] qui n'a jusqu'ici que des velléités et des instincts » et de contribuer à la diffusion de « doctrines dont le nom fait peur », les doctrines socialiste.C'est dans cette revue que Sand publie plusieurs articles parmi lesquels « La Politique et le socialisme » où elle risque les définitions suivantes : « Nous convenons d'appeler politique une action toute matérielle exercée sur la société pour modifier et améliorer ses institutions ; socialisme une action toute scientifique exercée sur les hommes pour les disposer à réformer les institutions sociales 7 ( * ) ».

C'est encore à la presse qu'elle pense lorsqu'elle arrive à Paris en février 1848 et rencontre Ledru-Rollin grâce auquel elle est en relation avec les membres du gouvernement provisoire. Elle fait paraître à ses frais une première brochure, intitulée Lettre au peuple et est invitée à prêter son concours au Bulletin de la République , le journal officiel du gouvernement. Elle publie également Parole de Blaise Bonnin , une autre brochure qui sera suivie de quatre autres et dans laquelle elle met en scène un paysan faisant avec lucidité l'analyse de la situation économique, politique et sociale du monde rural. Alexis de Tocqueville qui la rencontre alors note dans ses Souvenirs : « J'avais de grands préjugés contre Mme Sand, car je déteste les femmes qui écrivent (...) malgré cela elle me plut. (...) Mme Sand était alors une manière d'homme politique (...) elle me peignit très en détail et avec une vivacité particulière l'état des ouvriers de Paris, leurs organisations, leur nombre, leurs armes, leurs préparatifs, leurs pensées, leurs passions, leurs déterminations terribles. (le futur devait donner raison à ses analyses 8 ( * ) ».

La situation, on le sait, se gâte rapidement : le 15 mai 1848 une importante manifestation des républicains les plus radicaux est suivie d'une tentative de coup d'état qui échoue. Son ami Armand Barbès est arrêté - avec d'autres. Le 17 mai, jugeant que ce qu'elle appelle « la révolution sociale » est perdue, Sand quitte Paris pour Nohant. Elle écrit alors : « jusqu'à mon dernier souffle je serai pour le pauvre, et fussé-je déchirée de ses mains égarées, je crierais comme les chouans : Vive le peuple quand même ! 9 ( * ) » ; « J'avoue humblement, écrira-t-elle peu après dans la préface de La Petite Fadette qu'elle écrit durant l'été 1848, que la certitude d'un avenir providentiel ne saurait fermer l'accès, dans une âme d'artiste, à la douleur de traverser un présent obscurci et déchiré par la guerre civile. »

Le retour à Nohant est loin pourtant de constituer ce coup d'arrêt politique qu'on lui a parfait prêté. Sand ne se tait pas : elle continue à écrire des romans parce que, dit-elle, « on peut sous cette forme frapper fort pour réveiller les consciences et les coeurs 10 ( * ) », comme elle continue à écrire des articles dans lesquels elle ne mâche pas ses mots. Hostile à la candidature à la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte, Sand écrit dans La Réforme , le journal de Louis Blanc : « Sous la République, M. Louis Bonaparte, ennemi par système et par conviction de la forme républicaine , n'a point droit de se porter à la candidature de la présidence. Qu'il ait la franchise de s'avouer prétendant, et la France verra si elle veut rétablir la monarchie au profit de la famille Bonaparte 11 ( * ) . » La sûreté de l'analyse, l'autorité du ton ne fléchissent pas.Quand l'Empire est proclamé, elle déchante : « J'espérais que la proclamation de l'Empire serait celle de l'amnistie générale et complète. (...) C'eut été pour moi une consolation si grande de revoir mes amis ! J'espère encore (...) que l'Empire ne persistera pas à venger les querelles de l'ancienne monarchie, et d'une bourgeoisie dont il a renversé le pouvoir 12 ( * ) . »

La situation en Italie fournit bientôt à Sand des raisons de s'opposer et à la politique extérieure de l'Empire, et au pouvoir temporel de la Papauté. Amie de longue date de Giuseppe Mazzini et des républicains italiens, elle publie en 1859 deux brochures, La Guerre et Garibaldi qui prennent fait et cause pour l'unité italienne, et poursuit ses analyses politiques moins fréquemment dans les revues des autres qu'elle ne le fait, pour ses amis, dans sa correspondance 13 ( * ) . En politique, Sand est avant tout une conscience et une voix, une conscience claire qui ne s'éloigne pas du chemin qu'elle s'est tracé, celui d'un socialisme utopique doublé d'un christianisme hérité du vicaire savoyard de Rousseau, hostile aux institutions et aux dogmes ; une voix ferme et lucide qui avoue ne jamais désespérer mue qu'elle est par une conviction indestructible dans le progrès et la bonté de l'homme. « Je suis utopiste, « écrira-t-elle à Michelet, « vous êtes réformateur, ce qui n'est pas la même nature d'esprit 14 ( * ) ». La guerre de 1870 puis le printemps sanglant de 1871 la remplissent d'épouvante : « Ce parti d'exaltés, s'il est sincère, est insensé et se précipite de gaîté de coeur dans un abîme. (...) Paris est grand, héroïque, mais il est fou écrit-elle le 28 mars. Il compte sans la province qui le domine par le nombre et qui est réactionnaire en masse compacte. (...) M. Thiers l'a bien compris, lui qui veut une république bourgeoise et qui ne se trompe pas, hélas ! 15 ( * ) » Sans doute Sand comprend-elle mieux le monde rural que le peuple de Paris, mais sa lucidité, et ses craintes, ne sont pas sans fondement. Elle multiplie les articles à ce sujet et publie un Journal d'un voyageur pendant la guerre dans lequel elle tente de comprendre le fossé qui sépare les provinciaux des républicains de Paris, qu'elle accuse d'être composés de marchands et d'ouvriers « ignorants et sots », menés par une poignée d'ambitieux qui les trompent. La campagne ne procède pas de cette manière, elle ne suit pas facilement quelques penseurs, meneurs audacieux, elle demeure sur le fond réticente à l'idée même de progrès, elle est profondément matérialiste : « Une seule chose reste, écrit-elle alors qu'elle a commencé un grand roman de réflexion sur la révolution de 1789, Nanon , le champ qu'on a acheté et qu'on garde (...) c'est la France matérielle invincible. 16 ( * ) »

Les positions de Sand en politique, ou plus exactement, plus correctement la présence forte dans sa vie et son oeuvre du politique, fonctionnent de concert avec ses positions féministes. Je donne ici, à ce mot, sa définition « minimale »: le fait de débattre de la condition des femmes, d'émettre sur elle des jugements, de la penser non pour la reconduire mais pour la changer 17 ( * ) . Et je prends cette précaution parce que, c'est l'évidence, il y a, à l'époque de George Sand, des femmes dont les positions sont plus tranchées, dont les protestations se font plus radicales, Flora Tristan ou Jeanne Deroin, quelques femmes acquises à la cause saint-simonienne, telle Suzanne Voilquin, sans oublier Pauline Roland. Cette discordance, ce désaccord entre les positions de Sand et celles de certaines de ses contemporaines s'exprime sans doute de façon la plus manifeste lors du fameux épisode du printemps 1848, quand un journal républicain et féministe, La Voix des femmes , annonce que Sand est candidate à l'Assemblée nationale. Sand n'y a jamais songé et la chose lui paraît tout simplement inconcevable.

Le raisonnement tenu est assez simple : il ne peut y avoir de place pour les femmes en politique tant que les droits civils leur sont refusés. Autrement dit, les combats doivent, aux yeux de Sand, être dissociés, et menés dans l'ordre : les droits civils d'abord, la présence sur la scène publique ensuite, que ce soit la scène politique mais aussi diverses scènes qu'on peut appeler « institutionnelles » (ainsi Sand jugera-t-elle, plus tard, la présence des femmes à l'Académie française parfaitement inutile, et pour les mêmes raisons que celles que je viens d'évoquer). Dans une longue lettre qui ne sera finalement pas publiée, Sand détaille les raisons de son refus à jouer un quelconque rôle politique. Elle écrit : « Les femmes doivent-elles participer un jour à la vie politique ? Oui (...) mais ce jour est-il proche ? Non, et pour que la condition des femmes soit ainsi transformée, il faut que la société soit transformée radicalement. (...) Pour que la société soit transformée, ne faut-il pas que les femmes interviennent dès aujourd'hui dans les affaires publiques ? - J'ose répondre qu'il ne faut pas, parce que les conditions sociales sont telles que les femmes ne pourraient pas remplir honorablement et loyalement un mandat politique. (...) Il me paraît donc insensé (...) de commencer par où l'on doit finir 18 ( * ) » Pas de place en politique pour celles qui demeurent « mineures » aux yeux de la Loi, pas de rôle en politique avant « que la loi ne consacre l'égalité civile - , inutile de mettre la charrue avant les boeufs : il faut oeuvrer d'abord pour la liberté et l'égalité dans la vie privée. Ou encore : « La place des femmes n'est pas plus à l'Académie de nos jours qu'elle n'est au Sénat, au Corps législatif et dans les armées, et l'on m'accordera que ce ne sont point là des milieux bien appropriés pour le développement du genre de progrès qu'on les somme de faire. (...) Il faut qu'elles rêvent encore un paradis poétique en dehors du monde, ou qu'elles abordent résolument le problème de la philosophie pratique 19 ( * ) ». Le rêve ou la gestion sage de la vie pratique, l'utopie ou le réel de l'existence privée, tel est, pour Sand, le dilemme. Il est trop tôt pour autre chose. Derrière cette « raison », - que je résume ici très grossièrement - il y en a également une autre, que la correspondance fait entendre avec une insistance particulière : Sand plaide avant tout pour la solidarité 20 ( * ) ; peu lui importe d'obtenir pour elle des positions prestigieuses ; résolument égalitaire, elle entend porter le fer là où il est directement utile, et utile au plus grand nombre : dans l'éducation, dans l'institution du mariage.

Pour bien comprendre ce dernier point, il faut reprendre le raisonnement en amont. Dès 1832, dans son premier roman, Indiana , Sand fustige ce qu'elle appelle l'esclavage de la femme, créature dont le destin consiste, dans le meilleur des cas, à passer de la tutelle de son père à celle de son mari. La femme, dit encore Sand, ne s'appartient pas ; elle a des devoirs, elle n'a pour ainsi dire aucun droit. « Que l'esclavage féminin ait aussi son Spartacus, déclare-t-elle en 1836. Je le serai, ou je mourrai à la tâche. 21 ( * ) »

Ce Spartacus d'un nouveau genre n'est pas seulement l'ennemi acharné du mariage comme quelques-uns de ses premiers romans le laissent penser, et comme ses contemporains l'imaginent un peu hâtivement - l'idée d'ailleurs court encore. En réalité, si Sand peut écrire, en 1836 toujours : « je n'ambitionne pas la dignité de l'homme. Elle me paraît trop risible pour être préférée de beaucoup à la servilité de la femme.Mais je prétends posséder aujourd'hui et à jamais la superbe et entière indépendance 22 ( * ) », elle ne va pas moins plaider bientôt, sans ambiguïté, pour le mariage, et pour la famille : « J'ai beau chercher le remède aux injustices sanglantes, aux misères sans fin, aux passions souvent sans remède qui troublent l'union des sexes, écrit Sand à Félicité de Lamennais, alors qu'elle publie dans son journal, Le Monde , des réflexions sous forme de lettre intitulées Lettres à Marcie , je n'y vois d'autre issue que la liberté de rompre et de reformer l'union conjugale 23 ( * ) » Toutefois, dans la situation que Sand appelle de ses voeux, le mariage et la famille sont radicalement modifiés : le devoir n'y dicte plus les comportements, le maître n'y tyrannise plus celle qui, avec lui, s'est librement engagée dans des liens partagés, et qu'il faut souhaiter éternels à moins de raisons puissantes, et qu'il faut souhaiter « reformer » bien vite car le mariage assure à la femme nom, toit, pain et protection. Homme et femme sont devenus égaux, mais égaux dans une différence bien entendue : « l'égalité, affirme-t-elle, (...) n'est pas la similitude. 24 ( * ) »

C'est pour ouvrir sa pensée « au rêve d'une grande réforme sociale 25 ( * ) », que Sand milite pour deux causes qui sont dans ce domaine indissociablement liées : l'égalité, qui n'est pas seulement égalité entre l'homme et la femme, mais égalité des individus entre eux, mais suppose une formation intellectuelle de même niveau ; elle ne peut exister que par l'éducation, éducation égalitaire assurément mais où peuvent être maintenues des différences, attendu que Sand maintient le principe de différences de goût et de comportement.

Au total, on le voit, femmes et pouvoir ne font pas bon ménage, mieux : ces deux termes sont incompatibles. Pour Sand, la séparation des sphères est sacrée ; elle est inscrite dans la nature (qui fait de la femme une épouse, mais surtout une mère, modèle qui règle toutes ses affections) ; elle doit donc être maintenue, l'ordre social en dépend. Forte de cette conviction, Sand ne peut pas imaginer le rôle des femmes dans la sphère publique ; cette revendication-là fait l'effet d'un point obscur, impensé, pour elle impensable.

Quand Sand meurt en juin 1876, quelques amis accourent à Nohant, parmi lesquels Gustave Flaubert. À l'une de ses correspondantes, il écrit : « Il fallait la connaître comme je l'ai connue pour savoir tout ce qu'il y avait de féminin dans ce grand homme, l'immensité de tendresse qui se trouvait dans ce génie », et à Maurice Sand il déclare : « dans plusieurs siècles, des coeurs pareils aux nôtres palpiteront par le sien ! On lira ses livres, c'est-à-dire qu'on songera d'après ses idées 26 ( * ) ».

PRÉSENTATION DE LA JOURNÉE D'ÉTUDES
JEAN GARRIGUES, PRÉSIDENT DU CHPP ET PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ D'ORLÉANS

En tant que professeur à l'université d'Orléans, je voudrais d'abord dire que je suis très sensible à l'hommage qui vient d'être fait à la bonne dame de Nohant, puisque au fond elle fait en quelque sorte partie de notre district historique. J'ajoute que le Sénat, les 9 et 10 décembre 2004, va organiser un colloque qui s'appelle « George Sand, littérature et politique », et qui prolongera la réflexion initiée par Martine Reid.

Il y a une autre figure à laquelle je voudrais dédier cette journée d'études : Françoise Giroud, qui est devenue en 1974 la première secrétaire d'État à la Condition féminine. Et c'est pour commémorer le trentième anniversaire de ce secrétariat d'État, ainsi d'ailleurs que la nomination de Simone Veil au ministère de la Santé, que le CHPP, que j'anime, a décidé d'organiser cette journée.

Permettez-moi quelques mots pour vous rappeler que ce comité fort de cent cinquante chercheurs, spécialistes en science et en histoire politique, essaie depuis deux ans d'accomplir une mission à la fois scientifique et citoyenne. Notre mission scientifique consiste tout simplement à favoriser le travail des chercheurs sur la vie politique, et notamment sur l'activité parlementaire. Pour ce faire, nous organisons des colloques nationaux, internationaux ; nous organisons un séminaire mensuel de recherche ouvert à tous, chercheurs et non chercheurs, amateurs plus ou moins éclairés ; nous décernons à partir de cette année un prix de thèse en histoire politique, qui sera dédié au martyr républicain Jean Zay ; nous mettons à la disposition des chercheurs un site Internet qui recense notamment, et c'est unique, tous les travaux d'histoire politique soutenus en France depuis trente ans, de la maîtrise jusqu'à la thèse ; et bien sûr nous leur ouvrons les pages de notre revue Parlement(s) afin qu'ils y publient les fruits de leurs recherches.

Mais notre ambition n'est pas seulement scientifique, elle est aussi citoyenne. Nous ne voulons pas être des chercheurs cantonnés dans notre tour d'ivoire et contemplant avec le cynisme, ironique parfois, du prétendu savoir, les responsables politiques confrontés à l'exercice très difficile de leur mission. C'est pourquoi nous souhaitons favoriser systématiquement le dialogue et la collaboration entre les chercheurs et les acteurs du politique, que ce soit dans notrerevue ou lors de nos journées d'étude. Donc, tout au long de cette journée, nous allons croiser le regard des chercheurs historiens, juristes, politologues, sociologues , avec les témoignages des acteurs je devrais dire des actrices du combat des femmes pour le pouvoir.

Le tournant que nous avons choisi est celui de 1974, pour la raison évidente que j'ai évoquée en commençant cette présentation. On peut d'ailleurs le discuter, et j'imagine que nos intervenantes le mettront en question. Quoi qu'il en soit, il nous a semblé indispensable de le mettre en perspective, ce tournant de 1974, en rappelant les grandes lignes du combat des femmes pour la conquête d'un espace dans la vie politique depuis l'époque de George Sand. Des historiennes spécialistes de cette période (Laurence Klejman et Florence Rochefort pour la fin du XIXe siècle, Christine Bard pour l'entre-deux-guerres, puis la sociologue Évelyne Sullerot, et l'ancienne ministre Anne-Marie Idrac pour les années 1950, 1960 et 1970) vont nous rafraîchir la mémoire sur les difficultés rencontrées par le mouvement des femmes, et sur les combats qu'elles ont dû mener. Pour aborder les années décisives, celles des années 60 et 70, nous avons sollicité le témoignage d'actrices importantes de l'émancipation des femmes. Gisèle Halimi sera le grand témoin qui nous expliquera les doutes, les angoisses et les difficultés de ce combat, ce qui a véritablement changé à cette époque, et comment les femmes ont obtenu de haute lutte ces changements. En contrepoint de leur témoignage, il nous a paru très important de replacer ce combat des femme s dans un cadre plus large on retrouve la démarche des historiens , celui des transformations en profondeur de la société française à l'aube des années 70. Et Jean-François Sirinelli, Professeur à l'IEP de Paris, a bien voulu se livrer pour nous à cet exercice. Il nous permettra de comprendre le tournant à la fois mental et politique de cette époque dont nous parleront quatre grands témoins : Monique Pelletier, qui fut secrétaire d'État à la Justice de 1978 à 1981 ; Hélène Gisserot, devenue ministre déléguée aux Droits de la femme en 1986 ; le sénateur Lucien Neuwirth, le père de la loi votée en 1967 sur la contraception ; et bien sûr Simone Veil, ministre de la Santé de 1974 à 1979, et qui, me semble-t-il, incarne mieux que tout autre la reconnaissance des femmes au pouvoir. Elle a bien voulu accepter de présider cette matinée d'étude, et je l'en remercie chaleureusement.

Les trois tables rondes organisées cet après-midi vont réunir à nouveau des actrices, des acteurs et des observateurs de la vie politique.

La première de ces tables rondes sera consacrée aux expériences des femmes au gouvernement. Pourquoi ont-elles été choisies ? En fonction de quels critères ? Quelles ont été les réactions de leurs collègues masculins ? Quels types de relations se sont instaurées entre elles et eux, entre elles et les autres pouvoirs dominés par des hommes les assemblées, la haute administration, les corps intermédiaires ? En somme, y a-t-il une gouvernance féminine ? Ce sont quelques questions, parmi beaucoup d'autres, auxquelles répondront sans doute Edith Cresson, la seule femme Premier ministre de notre histoire, ainsi que plusieurs femmes ministres qui se sont succédées entre 1981 et 2001 (Michèle André, Corinne Lepage, Margie Sudre, Michelle Demessine), donc vingt années d'expériences ministérielles qui vont nous être résumées, sous l'éclairage de la politologue Mariette Sineau, directrice de recherche au Centre d'études sur la vie politique française, qui va animer cette première table ronde.

La deuxième table ronde sera elle aussi animée par une grande spécialiste de ces questions, qui présente la particularité d'être à la fois actrice et observatrice du combat des femmes. Il s'agit de Françoise Gaspard, sociologue, directrice de recherche, et qui fut une femme engagée en politique, députée et députée européenne. Elle nous parlera de la genèse difficile et si controversée de la loi de juin 2000 sur l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux, dite « loi sur la parité ». Témoigneront aussi Élisabeth Guigou, militante active pour les droits des femmes, et le sénateur Patrice Gélard qui a été rapporteur du projet.

Enfin, la troisième table ronde nous permettra d'éclairer la situation actuelle de la parité, grâce aux analyses de la juriste Gwenaëlle Calvès et aux témoignages de trois sénatrices : Nicole Borvo, Danièle Pourtaud et Janine Rozier, toutes particulièrement impliquées dans la défense de la cause des femmes. Interviendra aussi Nicole Ameline, la ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle.

Grâce à ce dialogue entre le passé et le présent, je pense que cette journée sera une contribution importante à l'histoire des rapports entre les femmes et le pouvoir. Sous les auspices du Sénat, les actes de cette journée donneront lieu dans quelques mois à une publication.

J'en profite pour remercier ceux qui ont rendu possible cette journée. En premier lieu, bien sûr, le président Poncelet, Mme Gisèle Gautier, mais aussi M. Alain Delcamp, directeur de la communication du Sénat, Mme Sylvie Nat, directrice des études juridiques, et leurs collaborateurs, MM. Coppolani et Wicker. Je remercie aussi Valérie Hannin et Carole Rouaud, du magazine L'Histoire , qui nous apportent leur soutien. J'ajoute qu'elles m'ont permis de rédiger, dans le dernier numéro de L'Histoire , du mois de février, un petit article intitulé « Femmes au pouvoir », qui raconte notamment la genèse du secrétariat d'État à la condition féminine en 1974, les difficultés rencontrées par Françoise Giroud pour le mettre en place et le faire vivre.

Pour terminer, permettez-moi de remercier mes collègues du CHPP, notamment notre secrétaire général, mon ami Frédéric Attal, qui a été la cheville ouvrière de cette journée. Nous travaillons bénévolement, en plus de nos activités d'enseignement et de recherche, et notre tâche, sachez-le bien, n'est pas toujours facile, y compris auprès de nos propres collègues. Notre récompense, c'est de voir cette salle pleine, et notamment pleine d'étudiants et étudiantes, de chercheurs de demain qui partagent notre intérêt, voire notre passion, pour les enjeux dupolitique. Ce serait aussi pour nous une grande récompense de voir le plus grand nombre d'entre vous rejoindre le CHPP, adhérer à notre association, et devenir de fidèles lecteurs de notre revue Parlement(s) . C'est ainsi que nous pourrons continuer à organiser de telles manifestations, grâce au soutien du Sénat.

Merci donc à tous d'être là, et merci surtout à Mesdames les sénatrices et à Mesdames les ministres qui nous font l'honneur d'apporter leur témoignage.

LA CONQUÊTE DES DROITS

I. SIMONE VEIL, ANCIENNE MINISTRE, MEMBRE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Mesdames, Messieurs, Chères amies, avant de donner la parole à Mme Laurence Klejman, qui parlera de la conquête des droits, vous me permettrez de vous faire part de quelques réflexions personnelles car je ne vois pas comment je pourrais présenter, même succinctement, les différents thèmes de cette rencontre, alors que nous sommes toutes, à l'avance, très intéressées d'entendre les intervenantes elles-mêmes.

Du fait de mes activités professionnelles, je me suis en effet souvent trouvée par hasard ou volontairement, amenée à m'occuper de femmes confrontées à des problèmes spécifiques liés à la condition féminine.

Tout d'abord comme magistrat au ministère de la Justice où j'avais été nommée et affectée à l'administration pénitentiaire, tout de suite après le concours de la magistrature, l'École Nationale de la Magistrature n'existant pas encore. Une seule collègue m'y avait précédée, mais n'y était pas restée longtemps. En ce qui me concerne, j'ai appris ultérieurement que dans certains services, lors de ma nomination, il y avait eu une consigne de ne pas m'adresser la parole. Mais cela n'a pas duré et très vite mes relations avec mes collègues ont été très amicales. Après avoir subi des discriminations systématiques, j'ai bénéficié d'une totale confiance

Il fallait donc tenir un minimum de temps pour pouvoir faire la preuve que, même dans les relations avec les directeurs de prisons, une femme avait autant d'autorité qu'un homme. Acceptée dans cette administration, j'ai pu me rendre compte que la situation des femmes détenues ne préoccupait guère les services. Comme actuellement, les femmes détenues étaient très peu nombreuses par rapport aux hommes. Toutes celles qui étaient condamnées à de longues peines étaient, à l'époque, regroupées à la maison centrale d'Haguenau, établissement particulièrement vétuste.

Le directeur de l'établissement, car aucune femme parmi le personnel pénitentiaire n'avait le grade de directrice, ne s'occupait que des questions administratives, une sous-directrice étant chargée de tout ce qui concernait les conditions de détention. La criminalité des femmes est très différente de celle des hommes : il s'agit souvent de crimes de sang de caractère familial ou de voisinage, particulièrement odieux. Les condamnées étaient souvent considérées comme de grandes perverses plus ou moins irrécupérables. En prison elles devaient « payer » jusqu'à ce qu'elles acceptent leur condamnation et manifestent un réel repentir. La maison centrale d'Haguenau ayant été fermée, toutes les condamnées ont été transférées à la maison centrale de Rennes qui était beaucoup plus moderne, mais la discipline y était tout aussi rigoureuse.

L'établissement, un ancien couvent modernisé, dont les cellules étaient en fait des petites chambres, ce qui à l'époque choquait les « bonnes âmes » qui parlaient volontiers de prison « quatre étoiles ». La plupart de ces femmes avaient été condamnées à perpétuité, quelquefois même condamnées à mort avant que leur peine ait été commuée en travaux forcés à perpétuité. Elles n'avaient pas le droit, sauf autorisation, de parler entre elles, ni dans la cour ni pendant les repas qu'elles prenaient par petites tables. J'avais observé que, quand l'une n'utilisait pas le morceau de sucre distribué en même temps que du café, il lui était interdit de le donner à sa voisine de table, car immédiatement on soupçonnait des relations trop affectives entre elles. Telle était l'ambiance dans cette prison où les femmes étaient là pour très longtemps, en permanence sous la menace de sanctions pour la moindre infraction au règlement. On pouvait dans ces conditions être inquiet sur les possibilités de réinsertion à la sortie. Au ministère, l'administration centrale à l'époque était débordée, même s'il y avait beaucoup moins de détenus qu'aujourd'hui, du fait de la scandaleuse vétusté des prisons et des problèmes posés par les détenus du FLN.

Dans ce contexte les femmes étaient complètement oubliées, puisqu'elles ne posaient pas de problèmes disciplinaires.

À l'époque j'ai été aménée à m'occuper des femmes algériennes condamnées et détenues pour des crimes liés aux événements d'Algérie. Certaines avaient été blessées, d'autres torturées et leurs conditions de détention étaient particulièrement mauvaises. Après une inspection des prisons algériennes en 1959, mission dont j'avais été chargée par Edmond Michelet alors Garde des Sceaux, j'avais conseillé de les transférer en France en même temps que les Algériens du FLN, condamnés à de très lourdes peines. Elles y ont été regroupées dans une petite maison d'arrêt où elles ont pu bénéficier de certaines facilités, notamment pour faire des études avant d'être transférées à Rennes où elles ont eu droit au « régime spécial » instauré en faveur des détenus condamnés pour des faits liés aux événements d'Algérie.

Dans un tout autre domaine, alors que j'étais encore au ministère de la Justice, j'ai participé aux travaux du « Comité de liaison pour le travail féminin », mis en place pour réfléchir aux mesures qui pourraient être prises pour inciter les femmes à avoir une activité professionnelle. Il est intéressant de préciser que la mission de ce Comité ne portait pas du tout sur l'égalité des droits de la femme, mais avait uniquement pour objet, en cette période de forte croissance, de proposer des mesures susceptibles d'inciter les femmes à travailler ou retravailler. L'immigration étrangère pourtant importante, faute de formation spécialisée, ne répondait pas à certains besoins, notamment dans le secteur social et sanitaire.

Cet exemple est la démonstration parfaite de la façon dont est perçu le travail des femmes. Lorsque l'activité économique a besoin de main-d'oeuvre, les femmes sont incitées à travailler pour faire face à la pénurie (garderies, crèches, assouplissement d'horaires...) alors qu'en période de chômage on cherche à les décourager pour qu'elles retournent à la maison. Comme les travailleurs immigrés, elles sont un facteur d'ajustement de la main d'oeuvre nécessaire aux besoins du marché du travail. En temps de guerre, les femmes sont embauchées dans les usines pour remplacer les ouvriers qui sont mobilisés. Il est alors normal que les femmes contribuent à l'effort national, avec toute leur énergie et leurs capacités. Mais les guerres terminées, le plus souvent elles ne conservent pas les emplois et les responsabilités qu'elles ont assumées et on les renvoie à leurs tâches domestiques.

Je me permettrais d'ajouter encore quelques réflexions sur l'histoire des femmes, telle que j'ai perçu son évolution. J'appartiens à cette génération dont l'éventuel féminisme est lié à leur éducation, plus particulièrement à l'influence de leur mère. Entre les deux guerres celles-ci avaient souvent fait des études mais nombre d'entre elles n'avaient pas osé exercer un métier parce que c'était contraire à la tradition. Au surplus le régime matrimonial des époux et l'organisation de la vie familiale ne s'y prêtaient guère. Même dans ma génération, parmi les femmes avaient fait des études supérieures, peu d'entre elles ont fait carrière ne serait-ce que parce que nombre de professions ne leur ont été accessibles que progressivement, notamment dans la fonction publique. La publication du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir a été pour beaucoup une révélation. Nous avons découvert une conception très élaborée du féminisme : un féminisme qui non seulement prônait l'égalité totale des droits, mais un féminisme qui niait toute différence de nature entre les hommes et les femmes. Seules l'éducation donnée aux filles dès leur plus jeune âge, et l'image véhiculée par tous les « poncifs » sur la spécificité du rôle de la femme seraient à l'origine de ces différences entre les deux sexes.

C'est d'ailleurs très intéressant de voir qu'aujourd'hui évoquant la citation de Simone de Beauvoir, « on ne naît pas femme on le devient », cette formule est interprétée en lui donnant un sens tout à fait inverse.

Il me semble qu'actuellement, féministe ou non, nombre de femmes non seulement assument leurs différences mais revendiquent un droit à la différence. Elles souhaitent que l'humanité, comprenant moitié d'hommes et de femmes et même un peu plus de femmes, la société prenne en compte les aspirations et les besoins des uns et des autres sans privilégier le point de vue masculin ni porter atteinte à l'égalité des droits.

Du fait de l'absence de participation des femmes dans les instances de décision quels que soient les domaines concernés, les attentes légitimes des femmes ont été largement ignorées, même pour ce que les concernait plus particulièrement. Ainsi les femmes ayant été, jusqu'il y a peu, écartées tant de l'architecture que de l'équipement des maisons, les femmes ne pouvaient que déplorer de n'être pas consultées même pour les choses les plus courantes comme la hauteur des éviers ou les planches de placards qu'elles étaient pourtant seules à utiliser.

De même dans les transports en commun, notamment les avions, les sièges généralement dessinés par des hommes étaient beaucoup mieux adaptés à leur confort qu'à celui des femmes. Il s'agit là d'exemples concrets concernant la vie quotidienne, mais l'absence de prise en compte de la réalité féminine et de leurs besoins est infiniment plus préjudiciable et injuste lorsqu'il s'agit de questions qui touchent à l'éducation des enfants, à l'autorité parentale, à la gestion des biens de la femme, les hommes en tant que père et mari, avaient tous les droits jusqu'aux réformes du Code Civil dans les années 1970.

Ce que revendiquent les femmes, c'est de participer effectivement à toutes les prises de décision. J'ai toujours pensé que c'est bien ce qui, en 1974, a inspiré Valéry Giscard d'Estaing, quand il a pris l'engagement, au cours de la campagne présidentielle de prendre des femmes dans son gouvernement. Conscient du rôle que les femmes tenaient désormais dans la Société et de l'incongruité que cela représentait qu'elles soient encore pratiquement exclues de la vie politique, il a estimé qu'elles apporteraient à son gouvernement des capacités et des idées nouvelles.

Je crois que ce que ressentait, à l'époque, Valéry Giscard d'Estaing, est lié au fait qu'il était de ces hommes qui ayant porté beaucoup d'admiration et de respect à leur mère, sont plus disposés à prendre en compte ce que les femmes représentent. On peut enfin penser qu'une telle démarche allait pour lui dans le sens de la modernité.

Pour ma part, je suis convaincue que cette attitude traduisait quelque chose d'important pour lui et qu'il tenait à marquer ainsi le premier gouvernement de son septennat comme il a tenu à promouvoir certaines réformes de société comme l'abaissement de l'âge de la majorité, le divorce ou l'I.V.G.

Contrairement à ce qu'on a pu dire à l'époque, je reste convaincue qu'il ne s'agissait pas seulement d'un symbole, encore moins d'une simple démarche électoraliste.

À l'époque la nomination des femmes ne s'imposait pas comme une évidence, il y avait moins de femmes parlementaires qu'en 1946 et d'ailleurs les femmes qui ont été nommées venaient de la société civile. Ce n'était qu'un début que ses successeurs n'ont pas pu ne pas suivre. Si l'on regarde les fonctions qu'elles ont occupées par la suite, il y a eu de sérieux progrès, même si certains ministères paraissent leur être résolument fermés. En outre, les nominations apparaissent un peu comme le fait du prince qui, comme dans le cas des « jupettes » peut les renvoyer en bloc, sans explication, du jour au lendemain.

Cette évolution n'est pas propre à la France. Elle était même beaucoup plus avancée notamment dans les pays scandinaves et en Angleterre où Mme Thatcher a tenu fermement en mains les rênes du gouvernement pendant des années.

Dans le même temps, grâce à l'impulsion de la Communauté européenne, l'égalité des droits entre les hommes et les femmes a été juridiquement consacrée par des directives précises concernant tous les aspects de la vie professionnelle. Toute discrimination tombe sous de coup de la jurisprudence, très rigoureuse en la matière, de la Cour de Luxembourg.

Toutefois en dépit de la possibilité de recours individuels à l'occasion de cas d'espèce, il reste beaucoup à faire sur le terrain pour que l'égalité devienne une réalité.

À cet égard, je voudrais souligner ce qui a été évoqué ce matin par Mme Gautier : c'est le retard très important de la France en ce qui concerne le pourcentage du nombre de femmes dans la vie politique. Le rappel des chiffres lui seul, est significatif.

Mme Gautier a ainsi précisé qu'en ce qui concerne le pourcentage des femmes parlementaires, la France était au 63 e rang dans le monde. J'en étais restée au 65 e . Nous aurions donc récemment gagné deux places !

En ce qui concerne l'Europe, elle a été longtemps la lanterne rouge.

À ce propos, il me paraît intéressant de faire état de considérations que j'ai eues au Parlement européen avec des femmes d'autres pays. Elles m'ont fait observer que s'il y avait en France particulièrement peu de femmes dans la vie politique notamment par rapport aux pays scandinaves et aux Pays Bas où le nombre de femmes atteint la parité et où elles exercent de hautes responsabilités, en revanche elles sont encore très largement absentes dans la vie économique aussi bien dans les conseils d'administration qu'aux fonctions de direction dans les grandes entreprises.

J'avais eu personnellement l'occasion de le constater aux Pays Bas où j'avais été invitée par le président de Siemens à prononcer une conférence sur l'Europe devant un parterre de présidents et directeurs généraux des plus grandes sociétés privées. Dans la salle il n'y avait pratiquement que des hommes, les quelques femmes présentes étaient ministres ou parlementaires.

Ayant cherché une explication à cette différence de présence des femmes dans la vie politique et le monde de l'entreprise selon les pays, nous avons pris conscience du fait que la plus ou moins grande participation des femmes aux postes de responsabilités est directement liée à la perception que l'on a du pouvoir. Dans les pays du Nord, pays protestants, de tendance plus libérale, c'est le pouvoir économique qui est prédominant, contrairement aux pays latins où c'est le pouvoir politique qui incarne le véritable pouvoir, le plus prestigieux en raison du rôle prédominant de l'État.

Les conclusions sont évidentes : les hommes s'approprient le pouvoir là où il est vécu et reconnu. Ils n'en concèdent une part plus ou moins grande aux femmes que dans les domaines où selon les pays le pouvoir n'apparaît pas comme un enjeu majeur.

Forts des statistiques européennes soulignant l'importance des disparités de la représentation des femmes dans les parlements nationaux, la Commission de Bruxelles et le Parlement européen ont pris l'initiative d'un colloque dont les conclusions résumées dans la « Charte d'Athènes » ont préconisé l'adoption dans tous les pays de l'Union du système électoral imposant la parité. En France depuis la censure par le conseil constitutionnel de la loi votée en 1982 instaurant des quotas, de nombreux mouvements féministes choisis avec des personnalités politiques comme Gisèle Halimi, n'avaient pas renoncé à leur combat pour faire bouger les choses, même s'il fallait, pour y parvenir, modifier la constitution.

L'affaire des « jupettes » a re-mobilisé les femmes. Certaines d'entre elles qui s'étaient retrouvées peu après avoir été évincées du Gouvernement sur un plateau de télévision, ont alors décidé de réagir en constituant un « Comité pour la parité » constitué de dix femmes pour moitié de la majorité et de l'opposition, toutes ayant appartenu ou appartenant encore à un gouvernement.

Nous nous sommes réunies régulièrement pendant un an dans une ambiance très amicale pour réfléchir à de nombreuses questions concernant les droits de la femme, plus particulièrement en matière électorale. En juin 1996 nous avons adopté un « Manifeste pour la parité » qui a été publié par L'Express peu avant les élections législatives, afin d'obliger les partis à prendre position en faveur d'une réforme.

Après modification de la constitution, la loi sur la parité votée en mai 2000 a été validée par le Conseil constitutionnel. Même si la portée de cette réforme s'avère limitée pour les élections législatives, puisque compte tenu du mode de scrutin, elle ne peut s'appliquer pour l'élection des députés et seulement dans quelques circonscriptions pour les élections sénatoriales ; et encore faut-il que les sénateurs ne multiplient pas les candidatures afin d'éviter d'avoir à faire élire des femmes.

Il faut espérer que la reconnaissance de leurs capacités que les femmes auront acquise, leur permettra d'imposer leur candidature pour des mandats parlementaires.

Je ne m'étendrai pas davantage sur cette question. Je voulais seulement montrer que sans la mobilisation des femmes, elles ne peuvent espérer faire progresser leurs droits. En revanche, solidaires entre elles, prêtes à mener les mêmes combats, même si sur bien des questions leurs opinions politiques divergent, leur engagement, leur ténacité pendant des années, voire des décennies, finissent par aboutir.

Je tiens à les remercier toutes, les associations comme les personnalités et aussi les journalistes de la presse féminine. Si je ne peux les citer, il y aurait d'ailleurs beaucoup de pionnières, aujourd'hui disparues, auxquelles il faudrait rendre hommage.

Je tiens cependant à rendre hommage à Gisèle Halimi, pour ses différents combats menés avec obstination mais de façon pragmatique en même temps que symbolique qu'il s'agisse de l'avortement ou de la parité.

Ici au Sénat, je tiens également à rappeler que Lucien Neuwirth avait eu le courage, je dis bien le courage, de déposer et de défendre une proposition de loi sur la contraception, en dépit des tabous et des vives oppositions auxquelles il s'est heurté. C'était la première étape d'un parcours difficile.

Enfin, si Mme Hélène Missoffe avait été présente aujourd'hui, je l'aurais également remerciée pour l'aide que, dans cette maison, elle m'a apportée lors des débats sur la loi bioéthique, au cours desquels certains ont essayé à nouveau de remettre en cause ce que nous avions difficilement conquis. Sa parole et son courage ont été fort utiles, parce qu'elle a su faire preuve d'émotion et d'humanité, la personnalité de cette mère de huit enfants ne permettant à personne de remettre en cause sa respectabilité.

Toutes les femmes, qu'elles soient de droite ou de gauche, quelle que soit leur philosophie personnelle, sont capables de faire bouger les choses lorsqu'elles sont solidaires. Pour ma part, je me sens très libre pour parler, je n'attends plus rien, j'ai été comblée. J'ai des scrupules parfois à parler des discriminations et des difficultés auxquelles se heurtent les femmes puisque pour ma part je n'ai été ministre que parce que j'étais une femme et qu'à d'autres occasions le fait d'être une femme m'a sans doute aidée.

Je reste pourtant très attentive aux discriminations et difficultés particulières dont les femmes sont victimes. Aussi, sans pouvoir prendre la parole sur les suggestions que vous pourrez faire pour y porter remède, en raison du devoir de réserve auquel je suis tenue comme membre du Conseil Constitutionnel, croyez bien que c'est avec le plus grand intérêt que je vous écouterai.

Merci à toutes.

II. LE FÉMINISME, UNE UTOPIE RÉPUBLICAINE 1860-1914

Laurence Klejman et Florence Rochefort (Chargée de recherche au CNRS, GSRL, CNRS/EPHE)

« Nous irons en nombre rond sur votre territoire. Il faudra bien que vous fassiez place. Et l'on verra si l'on rira de notre folle audace », prévient Renée Marcil en 1889 dans sa « Chanson des bachelières ».

Effectivement, pour les femmes, il est encore très audacieux, en 1889, de prétendre sortir de la condition que leur fait à la fois le code civil de 1804 - qui aura 200 ans cette année - et une tradition millénaire d'exclusion de la sphère publique. Pourtant, à plusieurs reprises des femmes et des hommes ont posé la question de la place des femmes dans la Cité et, plus précisément dans une cité républicaine qui affiche un objectif égalitaire : sous la Révolution française, en 1830, en 1848 et à la fin du Second Empire au sein de l'opposition à Napoléon III. Maria Deraismes, Léon Richer, André Léo, Paule Minck avaient alors déjà donné le premier élan d'un mouvement pour les droits des femmes qui a perduré tout au long de la Troisième République 27 ( * ) .

L'égalité des sexes n'est-elle qu'une question théorique ? Pas seulement : dès les premières années de la Troisième République, les revendications sont clairement formulées et grâce à une obstination acharnée, deviennent des droits qui, petit à petit, construisent un nouveau statut juridique, économique, social et politique des femmes. Il ne s'agit pas de reprendre ici la longue liste des droits que les femmes ont arrachés à une République qui s'est vaillamment battue pour les leur refuser. Ce serait fastidieux tant le chemin a été long, tant aussi étaient nombreux les obstacles qui faisaient de l'égalité des sexes une utopie. Il faut cependant rappeler que notre présence ce 8 mars, au Sénat, en ce lieu qui a incarné si fortement la résistance aux droits des femmes, est le fruit d'un combat de longue haleine, encore en cours, et qu'aucun droit ou qu'aucune évolution du statut des femmes ne s'est obtenu sans mobilisation collective.

Les revendications féministes 1860-1914

L'ennemi principal, c'est déjà celui qui enferme définitivement les femmes dans une spécificité biologique et les tient à l'écart de la sphère publique : le Code civil, dit aussi Code Napoléon. Les féministes refusent que les femmes mariées soient assimilées aux mineurs, aux fous et aux délinquants, que le mari ait tout pouvoir sur l'argent de son épouse (dot et salaire dans le cadre de la communauté des biens, régime le plus répandu), qu'il faille l'autorisation du mari pour tout acte concernant l'état civil. Elles dénoncent un droit qui ne laissent pas la responsabilité des enfants aux les mères et qui autorise les violences maritales. Elles réclament donc une refonte complète du Code, même si, réalistes, et, pour certaines déjà familières avec le mode de fonctionnement républicain, elles scindent leurs revendications en propositions de loi spécifiques. Soutenues par des députés et des sénateurs, elles opèrent un véritable travail de lobbying pour obtenir gain de cause.

Elles obtiennent ainsi notamment le droit d'être témoin dans des actes civils ou notariés en 1897, en 1907, le droit pour les femmes mariées de disposer de leur salaire. Soulignons qu'en 1904, une cinquantaine de thèses de droit s'étaient saisies du statut juridique des femmes. À la même époque, se réunit un Comité de réforme du mariage, fondé par M. René de Chavagnes. Preuves que le Code civil ne semblait déjà plus tout à fait adapté aux évolutions de la société française, un siècle après sa promulgation. Pourtant prétendre le réformer passait pour une audace sans nom.

L'éducation, qui est un des grands chantiers de la République, était déjà sous le Second Empire, un des axes majeurs du projet féministe. Seule l'instruction publique permettrait aux filles de prendre la mesure de leur potentiel et les aiderait à s'affranchir. Dans l'esprit des féministes des années 1860-1890, républicaines convaincues, cela permettait aussi d'affranchir les filles de la tutelle de l'Église. Mais quand Camille Sée obtient la création de lycées de filles, les effets en sont limités : le latin et la philosophie ne sont pas au programme et, par conséquent, la préparation au baccalauréat ne fait partie du cursus. « La République instruit les jeunes filles qui seront les mères des hommes » proclame la devise des lycées de filles (1880). Le processus est néanmoins engagé ; les filles sont de plus en plus nombreuses à recevoir une instruction secondaire laïque et ne veulent vite plus en rester là. Elles forcent les portes des universités, soutenues par les groupes et journaux féministes qui font campagne pour leur droit à étudier puis à pratiquer leur profession (Jeanne Chauvin, 1890, première licenciée en droit pourra être avocate en 1900 après une campagne menée par le quotidien féministe de Marguerite Durand, La Fronde ). Les institutrices et les professeures sont de plus en plus nombreuses. Le mouvement féministe place en elles de grands espoirs.

Troisième front qui mobilise les énergies : le travail. Dès la fin du Second Empire, le droit au travail pour un salaire égal est une revendication majeure, bien qu'extrêmement contestée par le mouvement ouvrier qui redoute la concurrence féminine et la désorganisation des foyers. Tout au long de la Troisième République, le domaine économique est perçu comme essentiel par les féministes : sont réclamés le droit de toucher son salaire (le Sénat ratifiera en 1907 la loi votée à la Chambre en 1897), la protection des femmes en couches, le droit pour les employées des commerces à s'asseoir pendant leur travail (1900, loi des chaises, étendue aux hommes en 1987 ), les jours de congés pour les domestiques et surtout l'ouverture pour les femmes de toutes les professions réservées aux hommes (avocat, médecin sont les plus connues mais aussi typographe). La protection des travailleuses (travail de nuit notamment) fait débat. Doit-on protéger les femmes ? Certaines répondent que c'est nécessaire, d'autres qu'il faut protéger hommes et femmes de la même façon pour ne pas discriminer les femmes au travail.

Les féministes de la Troisième République, bien décidées à investir pratiquement et symboliquement l'espace public, se battent aussi pour une féminisation des noms de métiers -démarche qui a resurgi dans les années 1980. Quand bien même celles qui pratiquent ces professions se comptent-elles sur les doigts de la main, il est indispensable que leur victoire soit inscrite dans la langue française. Car le combat des féministes d'avant la première guerre mondiale concerne autant le social, le politique que le culturel.

Investir la sphère publique et transformer la sphère privée : le féminisme comme démarche globale pour l'égalité des sexes

Le projet féministe ne se réduit pas à un simple corpus revendicatif : aller sur le territoire des hommes, pour reprendre l'expression de Renée Marcil, c'est-à-dire investir la sphère publique, suppose aussi de réclamer une réforme en profondeur du statut des femmes dans la famille, de nouveaux rapports hommes/femmes et un changement des mentalités. Ce n'est pas un aménagement de la situation faite aux femmes, pas une simple « amélioration » qu'elles revendiquent mais bien la reconnaissance officielle de l'égalité des hommes et des femmes, qui devra à terme s'inscrire dans tous les domaines de la société, y compris culturel et symbolique.

Les textes de Maria Deraismes, cette grande féministe, livrent à la fin des années 1860, sa pensée théorique, longuement mûrie, sur la question des femmes. Sa remise en cause alors radicale de la situation faite aux femmes dans les moeurs, la famille, la religion, et même la science, met en relief le mouvement dialectique dont le féminisme est porteur comme utopie républicaine : un nouvel équilibre entre le privé et le public 28 ( * ) .

On met les femmes sur un piédestal parce qu'elles sont mères, remarque-t-elle dans La famille et les moeurs , mais : « Vous n'êtes quelque chose que parce que vous avez l'honneur quelquefois d'engendrer un homme, de porter un fils dans vos entrailles ». La mère « est parquée dans la maternité », une maternité dévalorisée, « physique, animale, dépouillée de ses attributs moraux et intellectuels ». Elle n'a aucun pouvoir, aucun droit sur ses enfants. L'amour, dont on prétend faire la grande affaire de la vie des femmes, n'est qu'une tromperie, un piège : « C'est la chaîne la plus serrée et la plus tyrannique qu'on ait pu nous imposer », d'autant plus qu'il n'est qu'un miroir aux alouettes puisque la fille, pour obéir à son père « devra se priver d'amour » pour conclure le mariage qu'il aura décidé pour elle.

Tout d'abord, il est nécessaire que les femmes soient reconnues comme des êtres humains à part entière, différentes certes des hommes notamment par leur aptitude à la maternité, mais pas inférieures. Maria Deraismes dénonce fortement, mais avec humour, les préjugés qui partent des différences physiologiques pour légitimer le statut des femmes dans la famille et dans la société. Elle ne fait pas davantage crédit aux scientifiques qui, à son avis, prennent le relais des religions, auprès des républicains, pour justifier l'enfermement des femmes. « Pour être savant, on n'en est pas moins homme », ironise-t-elle

Les femmes féministes sont confrontées cependant à une situation très difficile à la fin du XIX e siècle. Elles sont écartées des lieux où s'exercent le pouvoir : partis politiques, institutions (Chambre des députés, Sénat), presse, université, franc-maçonnerie, (malgré la Loge mixte du Droit Humain fondée par Maria Deraismes et Georges Martin). Rappelons que des hommes militaient dans des groupes féministes mais, au fil des années, ils deviennent proportionnellement très minoritaires. Toutefois, il est impossible de se passer de ce soutien : comme le constate Jane Misme, directrice du journal La Française , en 1911, « Quand un homme parle et parle bien pour l'émancipation des femmes, sa voix équivaut à celle de cinq cents femmes qui parleraient aussi bien » car sa parole « vaut pour la cause des femmes ce que vaut la propagande d'un Blanc en faveur de la race noire ». Difficile de mieux résumer comment les féministes percevaient le rapport de forces qu'elles avaient engagé avec la République.

Au plan théorique, les grandes lignes du combat sont tracées, il est même possible de parler de doctrine bien que jamais une doxa détermine ce qui est féministe ou ne l'est pas, ce qui est féminin ou ne l'est pas. Le féminisme n'est pas un dogme et l'espace de réflexion est largement ouvert ; les militantes s'affrontent souvent, discutent, produisent des textes qui serviront de base à un travail de diffusion, elles s'organisent en courants souvent rivaux et étroitement liés à la personnalité de la leader. À partir des années 1890, les débats débordent très largement le cadre du militantisme. La presse, l'université, le théâtre s'emparent du sujet, parfois à leur corps défendant. Le mouvement féministe devient alors pour les femmes le lieu privilégié du débat politique, en même temps qu'un espace pour exprimer son talent.

Au plan pratique, les stratégies peuvent diverger ; certaines adoptent une tactique des petits pas, tandis que d'autres se montrent intransigeantes sur leur objectif : l'égalité civile et politique des femmes. Mais comment changer les structures sans avoir le droit de vote ? Comment faire quand tous les leviers du pouvoir sont détenus uniquement par des hommes ? Quel rapport au politique entretiennent donc ces féminismes ?


Féminisme et Politique

Les féministes élaborent ces projets dans des contextes et des cadres politiques bien spécifiques. Dans la deuxième moitié du XIX e siècle, l'attachement à la République laïque comme principe et comme régime, prédomine, même si les influences socialistes, syndicalistes, religieuses, spiritualistes émergent aussi. La jeune peintre Marie Bashkirtseff, suffragiste convaincue, exprime dans son journal intime le 14 novembre 1880 : « La République, c'est avec l'égalité de l'homme et de la femme, la seule chose au monde à laquelle je sois sincèrement attachée ». Cette passion républicaine, Maria Deraismes s'y est, elle aussi, tout particulièrement consacrée lui accordant son énergie et son argent. Reconnue en son temps, elle a depuis été tout à fait négligée dans l'histoire de la République. Ne pourrait-elle pas, comme celles qui l'ont accompagnée dans ce combat, figurer dans un musée de la République comme une de ses « mères fondatrices », sans l'enfermer pour autant dans un rôle de génitrice qu'elle avait refusé pour elle même... ?.

Même si leur projet égalitaire commence à peine à se réaliser en notre début de XXI e siècle, ces féministes républicaines ont réellement agi pour la construction de la démocratie et pour l'établissement d'un pouvoir partagé entre hommes et femmes. La mixité est d'ailleurs une valeur clé de leur programme dans l'éducation, dans la société civile et politique, ou encore dans la franc maçonnerie au sein de laquelle Maria Deraismes tente de se faire une place avant de fonder elle même la franc maçonnerie mixte le Droit Humain 29 ( * ) .

Ce lien avec la République laïque, comme idéal et comme réalité politique, caractérise le féminisme français jusqu'en 1914. Il en constitue un ciment et valeur commune dans un mouvement de plus en plus disparate et hétérogène - y compris politiquement - au fur et mesure de son développement, et la monarchiste duchesse d'Uzès reste tout à fait une exception. Cette fidélité et cette connivence avec le régime explique-t-elle une certaine prudence ou une certaine modération du féminisme et du suffragisme français ? C'est en effet un élément à prendre en compte sans pour autant négliger l'inventivité et la combativité des militantes. La première suffragiste de la Troisième République, Hubertine Auclert, peut même facilement être désignée comme la première suffragette tant son art de la provocation politique est remarquable, trente ans avant les Anglaises.

Hubertine Auclert, dès 1876, se lance dans la lutte pour le droit de vote et n'a pas le même respect craintif envers un régime effectivement encore sous la menace monarchique. Elle puise toute sa formation politique dans le féminisme et, impatiente, elle se révolte contre ses aînés qui se contentent d'une revendication de principe ou carrément refusent la prise en compte du vote des femmes en raison du danger que représenterait cette réforme pour le régime. Elle choisit la provocation comme tactique. Astucieuse, imaginative, elle affirme d'emblée une identité politique par divers actes de désobéissance civile : l'inscription sur les listes électorales, la grève de l'impôt, le refus du recensement au prétexte que si les Françaises ne votent pas, elle ne doivent pas non plus payer ou être comptées. Le titre de son journal fondé en 1881 est lui aussi tout un programme : La Citoyenne 30 ( * ) .

Cette citoyenneté-là est déjà celle de l'esprit critique. L'actualité politique est sans cesse interprétée d'un point de vue féministe pour mettre en évidence l'urgente nécessité d'accorder l'égalité politique. Régulièrement le journal publie des dessins évocateurs : celui par exemple d'un homme autour d'une urne posant un bulletin avec l'inscription « guerre » et faisant face à une femme avec un bulletin « paix ». Hubertine excelle aussi à subvertir les symboles de la République, par l'affiche, le dessin, le timbre ou les banderoles de son groupe « le suffrage des femmes » à la grande cérémonie d'enterrement civil de Victor Hugo ou de la première célébration du 14 juillet. Ses actes de candidatures lors des diverses élections font grand bruit.

Maintes fois commentées dans la presse des années 1880, ses actions réussissent à attirer l'attention sur « les déshéritées de la République » (art. sept. 89), sur l'effacement des femmes de l'universel et les contradictions de la République. Hubertine Auclert ne provoque pas directement de projet de loi mais amorce le débat dans l'opinion et parmi les féministes françaises qui à partir de 1909 se rallient à la cause suffragiste, sans pour autant adopter ses méthodes de suffragette. Hubertine impose une parole féminine politique et donne un statut politique à la question des femmes, tout à fait occultée ou traitée d'un point de vue uniquement moral ou social.

Les féministes sont attachées au régime républicain mais elles expriment aussi souvent leur amertume à l'égard d'une République infidèle et marâtre. Leur sévérité est plus grande encore à l'égard des républicains, ces « faux démocrates », ces « tyrans domestiques » peu enclins à faire partager leurs engagements à leurs épouses. Dans ce cadre politique républicain, les choix d'alliance ou d'engagements annexes au féminisme sont variés. Il y a dans le mouvement féministe non seulement des tendances modérées et radicales mais aussi des accointances politiques diverses qui s'étendent de la gauche à la droite, sans toujours s'affirmer clairement, la neutralité religieuse et politique étant le plus souvent de mise.

Dans l'ensemble, les militantes sont à classer parmi les progressistes laïques et sont attachées à un idéal socialisant ou radical-socialiste avant que le socialisme ne s'organise de façon plus structurée ; mais plus le mouvement s'étend et plus les couleurs politiques se diversifient. La typologie politique ne recouvre pas forcément celle des nuances féministes. Quelques militantes tentées par le nationalisme dans les années 1905 ne sont pas les moins ardentes dans la lutte pour la cause des femmes. Mais le socialisme et le syndicalisme restent les principaux pôles d'attraction. À partir de 1900, les succès du mouvement féministe et l'intérêt croissant soulevé pour les thèmes qu'il a mis au jour incitent les groupes politiques à solliciter les femmes, y compris du côté catholique.

L'existence même du féminisme comme combat à part entière est contestée, sa forme est questionnée et on hésite sur sa désignation : doit-on parler d'un parti, d'un parti féministe ou d'un parti de femmes, d'une fédération, d'un mouvement ? Les diverses appellations coexistent. Ses hésitations rouvrent le débat difficile sur l'autonomie et les alliances du mouvement. L'autonomie est à la fois une nécessité, un moteur et un horizon utopique jamais atteint, en particulier dans un contexte de non-droits pour les femmes où les alliances, les relais sont indispensables. Les difficultés entre le mouvement féministe et les tentatives de groupe féministes socialistes ou syndicalistes existent et ne se dissipent pas avant 1914, au contraire. Elles iront en s'amplifiant, en particulier parce le mouvement féministe est taxé de bourgeois 31 ( * ) .

Les féministes sont ainsi, sous la Troisième République des actrices politiques en tant que militantes de la cause de femmes, et souvent en tant que femmes engagées, critiques avisées des réalités politiques de leur temps. Sont-elles porteuses d'une autre approche du politique ?

Une autre approche du politique ?

Le projet féministe d'égalité des sexes et de droits pour les femmes remet profondément en question l'ordre patriarcal et le partage du masculin et du féminin. Par là même, il induit une subversion du politique lui-même. L'ampleur et la nature des revendications impliquent une relation différente entre le privé et le public et une autre analyse des rapports entre les deux sphères qui vont à l'encontre des fondements de la philosophie politique et des représentations majoritaires du politique. C'est une autre idée de la Cité qui s'élabore.

À ce projet certaines espèrent donner une ampleur telle qu'on puisse changer même la devise républicaine : Renée Marcil propose : Vérité, Unité, Humanité . Selon ses explications : Vérité renvoie à la Libre Pensée et à la lutte contre l'obscurantisme, Unité fait allusion à la Paix des peuples et Humanité entend dépasser les impasse de la Fraternité. On mesure combien l'intégration des femmes au politique est liée à la laïcité, au pacifisme et à un idéal humaniste républicain.

Comme projet politique, le féminisme a aussi cette particularité d'articuler étroitement égalité, liberté et identité. L'émancipation des femmes est perçue comme une égalité de droits mais aussi un statut de personne autonome - autonomie matérielle autant qu'identitaire. L'objectif est bien la ré-appropriation par les femmes par elles-mêmes. Le mouvement féministe est un lieu d'identité collective qui est censé ouvrir sur une multitude de possibles individuels, bien que les tentations normatives et dogmatiques ne soient jamais absentes. Vouloir inscrire les femmes et le féminin dans la Cité n'induit pas qu'il n'y ait qu'une définition univoque du féminin lui-même. La diversité des féministes, déjà au XIX e siècle, souligne les possibles re-fondations, réinventions ou même dépassements du féminin...

On n'épuisera pas le sujet féminisme et politique en ces quelques remarques. Mais nous avons voulu rappeler que l'instauration de la démocratie n'a pas impliqué naturellement l'intégration de femmes et l'égalité des sexes. Chaque avancée a été le fruit d'un combat long et difficile des femmes pour arracher miette par miette un peu de leur liberté et de leur autonomie. Aussi maigres qu'aient été ses acquis, le féminisme avant 1914 est un projet politique d'une ampleur et d'une richesse dont nous n'avons pas fini de nous nourrir.

III. LE COMBAT POUR LES DROITS DES FEMMES EN FRANCE DE 1914 À 1945
- LEÇON D'HISTOIRE ET ENJEU DE MÉMOIRE

par

Christine Bard, professeure d'histoire à l'Université d'Angers/Institut universitaire de France

Mon intervention propose une synthèse sur le combat pour les droits des femmes en France entre 1914 et 1945 ; elle abordera dans un deuxième temps le développement des recherches historiques, puis le souci de préserver les sources et les archives, enfin, la demande mémorielle qui monte depuis quelques années.

En ce lieu, le Sénat, qui a symbolisé l'exclusion politique des femmes, on a d'abord envie de rendre hommage à celles qui y ont manifesté entre les deux guerres. On pense à Jane Valbot qui s'enchaîne sur un banc avec une chaîne gainée de soie assortie à sa toilette, et provoque une interruption de séance. On pense aux lanceuses de tracts, depuis les tribunes ou même, depuis un avion, comme le fait l'avocate Andrée Lehmann. Des actions médiatiques donc, avant que ne surgisse Louise Weiss, la plus connue des « suffragettes » qui a occulté, dans ses mémoires, celles qui l'avaient précédée, telle l'avocate Maria Vérone, présidente de la Ligue française pour les droits des femmes, qui fut surnommée « Madame quand même » pour avoir crié, lorsque le Sénat rejeta le droit de vote des femmes, en 1922 : « Vive la République quand même ! ». Plusieurs fois, elle fut arrêtée aux abords du palais du Luxembourg où elle manifestait.

Aujourd'hui, le Sénat a un site internet où l'on trouve les citations misogynes des sénateurs de la Troisième République : Raymond Duplantier, René Héry... On ne pourra pas dire que le Sénat n'assume pas son passé 32 ( * ) . L'internaute découvrira aussi, sans doute avec surprise, que le Sénat avait formé en son sein, en 1923, un groupe des droits de la femme qui réunissait 80 membres. Parler de « combat des femmes » comme on le fait depuis une trentaine d'années est assez anachronique : le combat pour le droit des femmes est un combat mixte qui se joue dans des associations féministes mais aussi dans les organisations politiques et syndicales.

Un combat long et difficile

C'est un combat long et difficile 33 ( * ) . La guerre de 1914 ralentit le mouvement de réforme de la Belle Époque. Entrer dans l'Union sacrée, comme le font les militantes féministes, suppose de tempérer et de différer de nombreuses revendications. L'effort de guerre absorbe les énergies : les féministes philanthropes ne sont pas désorientées par les activités d'entraide qui s'imposent. L'élan patriotique est aussi civique, et les militantes espèrent voir ce civisme récompensé.

Dans l'immédiat après-guerre, dans de nombreux pays, les femmes accèdent à la citoyenneté : en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux États-Unis... En France, après un vote favorable de la Chambre en 1919, le Sénat repousse la proposition suffragiste, trois ans plus tard. Commence la navette infernale entre les deux chambres qui se termine en 1936 par un vote unanime des députés (moins une voix). Socialistes et communistes élaborent et approuvent plusieurs propositions de loi pour le vote des femmes. Le PC apparaît même comme un parti féministe, qui présente des candidates aux élections et défend nombre de revendications féministes, y compris l'abolition des lois de 1920 et 1923 sur l'avortement et la contraception. Mais en 1936, lorsque la gauche emporte les élections législatives, elle rate une occasion historique en enterrant l'égalité politique, à laquelle Blum était pourtant favorable. Trois femmes sont nommées au gouvernement : la scientifique Irène Joliot-Curie, prix Nobel, Cécile Brunschvicg, présidente de l'Union française pour le suffrage des femmes, et Suzanne Lacore, institutrice à la retraite et militante socialiste. Deux d'entre elles sont mineures civilement, car mariées. Toutes les trois sont mineures politiquement. Malgré cette avancée, la situation reste bloquée. Le vote des femmes ne figure pas dans le programme du Front populaire, en raison de l'hostilité du parti radical. Les femmes sous-secrétaires d'État sont victimes de discriminations feutrées. Cécile Brunschvicg et Suzanne Lacore, malgré une tâche honorablement remplie, sont remerciées au bout d'un an. Le Sénat ne se presse pas pour discuter la proposition adoptée par les députés et le 10 juillet 1940, la République disparaît sans avoir réalisé l'égalité politique des sexes.

Le nouveau pouvoir n'y est pas du tout favorable ; il met au contraire en place un nouvel ordre législatif inspiré de valeurs patriarcales et familialistes, mais il procède cependant à la nomination dans les grandes villes de conseillères municipales. Pour la Résistance, l'égalité des sexes est une préoccupation marginale. De Gaulle évoque brièvement dans un message radiodiffusé le vote des femmes dans la France libérée. Le programme du Conseil national de la Résistance reste muet sur ce sujet. C'est à Alger que l'Assemblée consultative est saisie de la question, en mars 1944, à l'occasion du débat sur l'organisation des pouvoirs publics à la Libération. Seule l'éligibilité est envisagée. Le vote fait peur : inexpérience des électrices, influence cléricale, saut dans l'inconnu, déséquilibre du sex ratio (deux fois plus de femmes que d'hommes ! croit-on). In extremis et sans gloire, l'amendement concernant le droit de vote des femmes proposé par le communiste Fernand Grenier est adopté. Pour deux raisons principales : voter contre serait perçu comme un affront fait aux Résistantes dont le sacrifice est souvent mentionné dans cet ultime débat. Et puis si la France veut retrouver sa place dans le concert des grands pays démocratiques, elle ne peut plus différer cette réforme.

Il y a bien un retard français dont les causes profondes remontent loin dans notre histoire. On peut ici énumérer quelques caractéristiques de ce qui fait l'exception française.

Il y a la loi salique, mais elle n'a pas empêché les femmes d'exercer un certain pouvoir, un pouvoir jugé excessif que les Révolutionnaires de 1789 auront à coeur de limiter.

Il y a la précocité (1848) du suffrage universel masculin qui a, d'une certaine manière, eu un prix : celui de l'ajournement du suffrage féminin. En effet, la réalisation du suffrage vraiment universel donnerait la majorité aux femmes, un peu plus nombreuses que les hommes : une perspective qui réveille chez les démocrates toutes les craintes liées au « vote des masses » qui assura l'élection du futur Napoléon III, ou, leçon d'une histoire plus récente, qui permit l'avènement d'Hitler en 1933.

La laïcité est une autre caractéristique forte dans ce pays : et l'on sait bien à quel point le parti radical qui s'en est fait le champion craint l'orientation cléricale du vote féminin.

L'intégration des femmes dans la sphère publique remet en cause aussi la sphère privée telle qu'elle a été pensée par le droit et la morale dominante : la femme, reine du foyer, exclusivement vouée au mariage et à la maternité. La défense de la famille menacée par les conquêtes féministes dans la sphère publique touche à une question d'importance en France, où les premiers démographes s'alarment de la « dépopulation », où l'on déplore le recours à l'immigration pour pallier l'insuffisance de la main d'oeuvre.

On peut aussi parler pour la France d'une grande tolérance à l'égard des propos « sexistes ». Les parlementaires ont écrit un chapitre important du bêtisier antiféministe, affirmant que la femme aimerait moins son mari si elle votait, que le vote des femmes augmenterait la mortalité infantile, car les électrices abandonneraient sans soins leurs nourrissons pour se rendre aux urnes, que les discussions politiques conduiraient les couples au divorce. Et que de toutes façons pour une femme, le geste de voter est « laid », les mains d'une femme sont faites pour être baisées et non pour déposer des bulletins dans l'urne. Les antisuffragistes qu'ils soient de gauche ou de droite, estiment les femmes trop excessives, trop spontanées, trop irrationnelles pour jouer un rôle politique. Leurs voix iraient aux extrêmes : la droite cléricale pour les uns, le communisme pour les autres.

Le contexte des années 1930 joue contre les droits des femmes. Le risque de guerre monopolise l'attention. Les affrontements idéologiques sont plus virils que jamais. La crise économique et sociale fait régresser le droit des femmes au travail et réduit leurs possibilités d'émancipation. Les pressions natalistes aboutissent en 1939 à un Code de la famille renforçant la répression de l'avortement et incitant les femmes à rester au foyer.

Si 1944 est une date importante pour l'histoire des femmes, celle de l'accès à la citoyenneté, un siècle après les hommes, elle n'est pas vraiment vécue comme telle. De Gaulle a octroyé le droit de vote aux femmes, dit-on : l'antiféminisme commence là, dans ce déni des luttes passées, dans leur oubli rapide. Les Françaises en 1945 trouvent tout naturel d'aller voter, et ne font aucun lien, contrairement aux historiens d'aujourd'hui, entre ce nouveau droit et le climat viriliste de la Libération (parades militaires, femmes tondues dans tout le pays), destiné à laver la honte de la défaite et de l'occupation.

Le rôle des recherches historiques : rendre les femmes visibles

Les noms de féministes qui ont lutté pour les droits civiques sont oubliés depuis longtemps, à l'exception de Louise Weiss, qui prit soin de publier ses mémoires. D'une certaine manière, les recherches historiques, depuis trente ans, ont compensé une mémoire défaillante, une postérité inexistante. Grâce à des historiennes comme Michelle Perrot, les maîtrises et les thèses se sont multipliées. Des chercheurs étrangers (et particulièrement des Américains : Charles Sowerwine, Ann Kenney, Steven Hause, Claire Moses, Patrick Kay Bidelman, Marilyn Boxer, Richard Evans, Karen Offen, parmi les premiers) ont apporté leur pierre à l'édifice. Certes, cette historiographie n'est pas encore épuisée : elle sera revisitée, approfondie, peut-être contredite, découpée selon d'autres chronologies, revues à d'autres échelles spatiales, redécouverte pour certains thèmes 34 ( * ) .

Les recherches récentes ont réhabilité un mouvement féministe qui avait été gravement sous-estimé. De l'échec du suffragisme, on déduisait trop souvent que les féministes n'avaient pas été à la hauteur. Les suffragettes anglaises sont finalement les seules à avoir survécu dans la mémoire collective. Le recours à l'action directe et à la manifestation de rue avait peu d'émules en France. Pour les Français, le féminisme est éternellement étranger à la culture nationale : c'est un fléau d'origine étrangère, disent les antiféministes, d'origine anglaise hier, d'origine américaine aujourd'hui.

C'est la première caractéristique à souligner pour la France : le mouvement est réformateur. Il est pragmatique. Il considère le droit comme la clé du changement, d'où la place éminente que jouent les avocates dans la protestation féministe. L'argumentaire reflète ce pragmatisme. Il n'est pas obnubilé comme le seront plus tard les féministes beauvoiriennes par l'opposition entre universalisme et différencialisme. Les féministes de l'époque, qui ont à cet égard des sensibilités diverses, jouent sur les deux registres. Recherchant l'efficacité, elles tendent vers le discours le plus facilement compris : celui de la différence des sexes, assorti à un idéal de complémentarité du masculin et du féminin. Elles peuvent, sans contradiction, valoriser des qualités dites féminines qu'elles peuvent même aller jusqu'à fonder en nature, et en même temps revendiquer l'entrée des femmes dans les territoires réservés de la masculinité. Le modèle d'affranchissement proposé par Madeleine Pelletier, prônant le dépérissement du genre féminin par la masculinisation des femmes, soit un idéal de société sans genres, est violemment rejeté, ce qui n'empêche pas les antiféministes d'entretenir le mythe de la dangerosité immédiate de cette théorie.

Les féministes se donnent-elles les moyens de leurs ambitions ? Parmi leurs réussites, il faut souligner la vie associative. Elles ont pleinement profité des libertés offertes par la loi de 1901 (année de naissance du Conseil national des femmes françaises), bâti des réseaux nationaux et internationaux importants, et, parfois, concurrents. Elles créent aussi une presse spécialisée (journaux d'associations, ou indépendants) sans négliger d'être présentes dans la presse généraliste. Autre moyen pour faire avancer la cause, l'implication politique. La plupart des féministes sont présentes dans des partis qui vont de l'extrême gauche à la démocratie chrétienne. Des commissions féminines existent dans tous les partis entre les deux guerres. La loyauté républicaine des féministes est remarquable, malgré l'intensité de leur déception et malgré le discrédit gravissime qui frappe le régime dans les années 1930. À leur crédit aussi, il faut porter leur extraordinaire investissement dans les mouvements pacifistes puis antifascistes. Le féminisme est une force au niveau international, qui tente de peser à Genève auprès de la Société des Nations, l'ancêtre de l'ONU.

Certes tout n'est pas rose dans les cercles féministes. La réhabilitation menée par les travaux historiques se fait sans concession, mais heureusement sans polémiques. Ainsi, la guerre de cent ans sur le « féminisme bourgeois » s'est apaisée. L'histoire de cette accusation venue de l'Internationale socialiste a été faite. Les partis de gauche commencent à en tenir compte. D'autres révisions surgissent, pour éclaircir, selon l'expression de Liliane Kandel, les « zones grises », comme l'histoire de l'ultrapacifisme féminin des années 1930 35 ( * ) .

Les recherches sur les femmes dans la résistance se sont développées parallèlement, mues par une identique révolte contre leur faible visibilité. L'absence de reconnaissance officielle se met en place dès 1944-1945. Il n'y a que six femmes sur plus de mille Compagnons de la Libération. Et les femmes ne représentent que 10 % des médaillés de la Résistance. Là aussi, le féminisme des années 1970 a été le déclencheur d'une quête historique et d'une écoute des femmes qui avaient leurs propres témoignages à délivrer. Allant au-delà du témoignage occasionnel, toujours incroyablement modeste, certaines résistantes ont fait de la mémoire un enjeu militant, sans tomber pour autant dans les biais du résistantialisme. L'histoire des résistantes s'est faite avec les survivantes, avec leurs témoignages, leurs mémoires, leurs associations. Cette histoire a été écrite mais aussi filmée : citons deux documentaires récents, l'un, Lucie de tous les temps , nous montrant Lucie Aubrac en tournée de conférences dans les établissements scolaires, l'autre Résistantes, de l'ombre à la lumière, nous emmène avec l'historienne Rolande Trempé, elle-même ancienne résistante, sur les lieux de mémoire oublieux des femmes. Lorsqu'elle montre une liste de noms gravés dans la pierre, d'où les noms de femmes sont absents, il est difficile de ne pas penser à l'affiche rouge et à ces noms difficiles à prononcer et devenus politiquement gênants à la Libération.

Pas d'histoire sans archives

Cette histoire n'est pas close. Comme toute histoire, elle dépend des sources d'information disponibles. Pour que ces sources soient mieux repérées, plus accessibles, plus complètes et en meilleur état, des efforts peuvent être faits. Les archives datant du XXe siècle ont cette particularité d'être très abondantes. Elles relèvent essentiellement, pour le sujet qui nous occupe, du domaine des archives privées. Et elles doivent souvent leur préservation à des initiatives privées. Ainsi, Marguerite Durand a-t-elle eu la clairvoyance de donner, dans les années 1930, de son vivant à la Ville de Paris sa bibliothèque et ses archives, à condition que la ville continue à la faire vivre en assurant une mise à jour de la documentation et en développant les collections. Saturée depuis plusieurs années, cette précieuse bibliothèque a besoin d'une montée en puissance. En 2000, la bibliothèque universitaire d'Angers a accepté de développer un Centre des archives du féminisme qui reçoit de nombreux fonds : Cécile Brunschvicg, Conseil national des femmes françaises, Laure Beddouckh, Union féminine civique et sociale, pour la première vague ; Yvette Roudy, Florence Montreynaud, Françoise Gaspard, Association des femmes journalistes, Femmes Avenir, parmi d'autres, pour la deuxième vague... Il s'agit d'inciter les personnes et les associations ayant défendu les droits des femmes à conserver leurs archives, puis à les confier à une institution spécialisée. Il s'agit aussi d'encourager les recherches sur ces sujets. Pour faciliter les recherches dans ce maquis d'archives, l'association Archives du féminisme réalise, avec la Direction des Archives de France, un guide des sources, soutenu par le Service des droits des femmes. Il inclut les sources audiovisuelles, objet d'un colloque à la BNF le 20 novembre 2004.

Les traces du passé resurgissent parfois sans prévenir. Le retour de Moscou des archives de Cécile Brunschvicg a marqué, en 2000-2001, le début d'une mobilisation militante sur la question des archives. Les archives de cette figure-clé du féminisme français ont été pillées par les nazis en 1940, emportées à Berlin, puis récupérées par les Soviétiques et conservées à Moscou. La France, cinquante ans plus tard, a négocié le retour de ces archives, les rendant à leurs propriétaires. Les descendants de Cécile Brunschvicg, représentés par Marianne Baruch, ont déposé ces archives à Angers 36 ( * ) . Les circonstances très particulières de leur constitution expliquent leur richesse : le bureau de Cécile Brunschvicg a été vidé de fond en comble, sans qu'elle ait eu le temps de procéder à des tris et des éliminations. Plusieurs étudiantes ont travaillé sur ces archives, une thèse commence sur le féminisme de Cécile Brunschvicg. Espérons que ces travaux la feront mieux connaître.

La demande mémorielle

Le bicentenaire de la Révolution, puis le cinquantenaire du vote des femmes ont permis à des recherches spécialisées d'atteindre un large public. L'histoire des femmes correspond à une « demande sociale ». Les combats actuels s'enrichissent et sont légitimés lorsqu'ils s'appuient sur des discours historiques réputés scientifiques. Ainsi, la demande d'une loi instaurant la parité a largement fait appel à l'apport des travaux historiques : la longueur et les difficultés des combats pour les droits des femmes, en France, montraient bien l'ancienneté du déni de justice, la profondeur des blocages et justifiaient le recours à une mesure forte 37 ( * ) .

Cette mobilisation de l'histoire des femmes comme ressource militante est assez nouvelle pour le féminisme de la deuxième vague. Il a fallu du temps pour que les travaux s'accumulent et fassent découvrir l'ampleur de l'oubli. Il a fallu aussi, certainement, réviser le rapport avec les institutions en général, et en particulier aux institutions chargées d'entretenir une mémoire nationale et de commémorer. Les fêtes républicaines qui retrouvent un nouveau souffle depuis peu se chargent ainsi de nouveaux sens. Cette évolution reflète certainement une « républicanisation » des féministes de la génération 68, ou du moins d'un certain nombre d'entre elles.

Nous portons aujourd'hui un autre regard sur l'héroïsation, prenant conscience du besoin, pour les jeunes, de repères structurants, voire de modèles, qui manquent tragiquement pour les filles. Si l'émergence d'une mémoire féministe a soutenu la demande paritaire, en retour, on peut observer un effet « parité » dans les revendications mémorielles.

Depuis quinze ans, les initiatives féministes sont de plus en plus nombreuses à demander la reconnaissance du rôle des femmes dans le passé. L'écrivaine et journaliste Florence Montreynaud a facilité ces demandes, en fournissant, avec Le XX e siècle des femmes , un ouvrage encyclopédique susceptible d'inspirer nos édiles. Un peu partout en France, des féministes font le compte de noms de rue attribués à des femmes et envoient des propositions à leurs élus. Sans les résistantes (dont l'importance numérique est pourtant sous-estimée), la part des femmes tomberait vraiment très bas. Par exemple à Angers, les résistantes à elles seules représentent un tiers des noms de rues attribués à des femmes 38 ( * ) . Les pouvoirs publics distinguent leur patriotisme. Il leur est plus difficile de reconnaître les mérites de celles qui ont consacré leur vie à la défense des droits des femmes. Le nom de Berthie Albrecht circule dans les listes de femmes panthéonisables : ce serait un bel hommage rendu à une résistante qui fut aussi une féministe, l'une des rares à défendre le contrôle des naissances dans les années 1930. L'historienne Catherine Marand-Fouquet a lancé en 1989 la campagne en faveur des femmes au Panthéon dans une lettre au président de la République, demandant la panthéonisation d'Olympe de Gouges 39 ( * ) . Depuis, seule Marie Curie est entrée au Panthéon (en 1995), soit une Grande Femme pour 73 Grands Hommes 40 ( * ) .

Cette demande de reconnaissance est donc pour le moment loin d'être satisfaite. Les féministes toulousaines ont expérimenté les difficultés de l'entreprise, en 2000. Dans la ville rose, on compte 4 % de noms de rues attribués à des femmes. Une liste de propositions a été envoyée à la mairie qui n'a retenu que 6 noms : Nadia Boulanger, Marie-Louise Dissart, Berthy Albrecht, Alexandra David Néel, Marie-France Brive, une historienne décédée en 1993, qui travaillait sur les femmes dans la Résistance. En revanche, la demande d'une plaque qui commémorerait le 21 avril 1944 tourne au fiasco. Le texte de la mairie reprend malheureusement la petite phrase tant entendue :

TEXTE DE LA MAIRIE

Le 21 avril 1944, une ordonnance du général de Gaulle donne le droit de vote aux femmes françaises.

TEXTE DU COLLECTIF

Après des décennies de luttes pour leurs droits élémentaires de citoyennes - et leur rôle dans la Résistance, les Françaises obtiennent enfin le droit de vote le 21 avril 1944 par une ordonnance du gouvernement provisoire de la République ratifiée par le général de Gaulle.

Finalement, pour le jour anniversaire du 21 avril, la plaque est posée par terre, au pied de la statue du général de Gaulle, square de Gaulle 41 ( * ) . Elle est aujourd'hui recouverte de terre, perdue dans la végétation où elle gêne les jardiniers...

Malgré les travaux historiques qui les ont tirées de l'oubli, les femmes qui se sont engagées pour les droits des femmes restent très peu connues 42 ( * ) . Nous n'avons, par exemple, aucun lycée Cécile Brunschvicg en France. Pas une rue non plus, juste une allée, à Antony. « L'apport majeur de l'histoire du féminisme est tout simplement d'en montrer l'existence 43 ( * ) », écrit Michelle Perrot. La non-transmission des recherches pose un véritable problème. La récente étude intitulée « Quelle place pour les femmes dans l'histoire enseignée ? » rédigée par l'historienne Annette Wieviorka, pour la délégation aux droits des femmes du Conseil économique et social apporte des propositions intéressantes 44 ( * ) . Nous espérons aussi que le ministère de la Parité continuera à soutenir comme il l'a fait dans le passé les initiatives de qualité et innovantes concernant l'histoire des femmes. L'heure n'est plus tant aux préconisations qu'à la mise en oeuvre de la reconnaissance symbolique des femmes dans l'histoire. C'est un combat indissociablement politique et culturel dont l'issue, souhaitable, serait une modification des consciences par une sensibilité plus grande aux discriminations à l'encontre des femmes.

IV. L'ENGAGEMENT DES FEMMES DE LA LIBÉRATION AUX ANNÉES SOIXANTE

Évelyne Sullerot

Je ne suis pas historienne, et je vais donc parler en témoin observateur et en témoin actrice des événements que je vais évoquer.

On m'a demandé de couvrir la partie qui va de 1944 à 1968. En 1944, les femmes se voient reconnues électrices et éligibles, elles entrent dans la vie de la démocratie parlementaire ; en 1945, je vote pour la première fois, j'avais juste l'âge. En 1967, à la fin de la période que je vais évoquer, je fais à l'université de Nanterre le premier cours au monde sur les problèmes féminins, les fameuses women's issues donc avant les Américaines, avant les Scandinaves. Mon cours expose le statut, les rôles, la place, les droits, les pouvoirs des femmes en France dans le domaine de la sexualité, dans la famille, dans l'éducation, dans le savoir, dans le monde du travail, dans la cité, et dans le monde politique. Je crois donc pouvoir vous résumer les extraordinaires progrès accomplis entre ces deux dates, en dépit de freins sévères.

Deux exemples : 1967, c'est l'année où, pour la première fois, il y aura autant de bachelières que de bacheliers ! 1967, c'est l'année de la loi Neuwirth, qui légalise la contraception, -bataille que je connais bien puisque j'avais demandé, dès 1955, au docteur Marie-Andrée Weill-Hallé, de fonder une association pour promouvoir la maternité volontaire, et que cette association uniquement de femmes, lui avais-je demandé , qu'elle a accepté de présider brillamment, j'en étais en 1956 la secrétaire générale. Cette association, le Mouvement Français pour le Planning Familial (MFPF), nous l'avons appelée dans un premier temps « La maternité heureuse », car nous craignions d'être interdites de publication et d'action si nous tombions sous le couperet de la loi de 1920 qu'on vient de rappeler, et qui prévoyait un emprisonnement de un à six mois et une amende pour quiconque, « par des discours proférés dans des lieux ou réunions publics, par toute publication dans un but de propagande anticonceptionnelle, aura décrit ou divulgué ou offert de révéler des procédés propres à prévenir la grossesse, ou se sera livrée à une propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité » .

Ainsi donc, en 1967, après douze années de combat, nous étions, Marie-Andrée Weill-Hallé et moi, et nos collaboratrices, parvenues à faire abroger les articles L-648 et L-649 du Code de la santé publique et à favoriser des centres de planification et éducation familiale qui délivraient aux femmes informations et consultations.

Mais je voudrais ajouter que 1967, c'est aussi l'année qui voit décoller les taux d'activité professionnelle des femmes. Après la Libération, ces taux avaient baissé. Lors du recensement de 1962, le nombre et la proportion des femmes dites « actives », engagées dans le monde du travail, étaient les plus faibles qu'on ait connus en France, plus faibles encore que ceux des années 30. Mais après 1965-66, ces taux montent vite et fort. Certes, année après année, il y a de moins en moins d'agricultrices et de fermières, (qui formaient le gros bataillon des femmes « actives » auparavant) et il n'y a pas plus d'ouvrières. Mais de plus en plus de femmes, et même de femmes mariées, qui ont, ou approchent de ce fameux niveau bac dont je viens de parler, si précieux, entrent dans les métiers du tertiaire où elles vont gagner des positions que vous trouverez peut-être modestes mais qui sont inexpugnables, dans les bureaux, dans l'administration, dans l'enseignement, à la poste, dans les banques, dans les assurances, dans le commerce, dans la publicité, dans les services.

Il s'est opéré entre 1944 et 1968 un immense changement dans les mentalités des femmes, dans leur statut civil de femmes mariées et de mères, dans les niveaux d'éducation et dans l'insertion professionnelle. Une grande part de ces changements fut due, certes, à des initiatives politiques (j'y reviendrai), mais pas particulièrement à l'action de femmes politiques. Ce qui a fortement modifié la vie privée des femmes, et préparé leurs filles à vivre pleinement mai 68 et même à devenir peu ou prou MLF, ce sont les engagements très forts de femmes dans des mouvements qui prenaient l'opinion publique à témoin, c'est un changement de style de vie. On ose révéler les drames tenus secrets de milliers de femmes (comme l'avortement clandestin), on ose en parler aux hommes, à quelques hommes politiques ouverts. C'est aussi le rôle grandissant et presque exclusif pris par les femmes dans l'éducation des enfants. Ce sont elles, enfin, après des siècles de patriarcat de l'éducation, qui deviennent éducatrices à la maison, à l'école, au collège, au lycée. Ce sont elles qui vont voir les profs ou qui sont elles-mêmes profs, ce sont elles qui vont voir les psychologues ou qui sont elles-mêmes psychologues un métier totalement nouveau, une fonction totalement nouvelle qu'elles investissent.

Plus que les politiques, ce sont ces femmes civiles hors des partis, hors des chapelles, aidées de journalistes, relayées ensuite par quelques hommes politiques, qui ont arraché par exemple les progrès, je dirai plutôt la révolution, de la maîtrise de sa fécondité par la femme. Donc, de la liberté vis-à-vis de la maternité, qui devient un choix, et des libertés vis-à-vis de la vie sexuelle, qui est délivrée de la peur des grossesses intempestives et peut enfin s'épanouir. Ce sont elles aussi qui ont milité, je le rappelle, pour la mixité de l'enseignement, depuis la maternelle (c'était déjà le cas) jusqu'à Polytechnique. Je vois ici des personnes avec lesquelles j'ai milité pour que Normale sup, Polytechnique, etc. deviennent mixtes, et aussi les lycées. Ce sont ces femmes aussi qui ont milité pour le travail comme voie d'accès à l'autonomie c'est un mot nouveau qui surgit à ce moment-là.

Nous sommes aujourd'hui le 8 mars 2004, et nous fêtons le trentième anniversaire de la nomination de Françoise Giroud comme secrétaire d'État à la Condition féminine. J'ai beaucoup connu à l'époque Françoise Giroud. Je savais ses réticences à entrer en politique. Elle se demandait si elle n'était pas plus utile aux femmes comme journaliste. Elle interrogeait par exemple : « Savez-vous qui était le président du Conseil en 1899, pendant l'affaire Dreyfus ? Non ! Il s'appelait Dupuy, Charles ! Mais vous savez tous qui a écrit un article intitulé «J'accuse !». » C'était une manière de dire aux politiques, et même au Président Giscard d'Estaing qui avait manifesté l'intention de créer ce secrétariat d'État à la Condition féminine, que leur démarche était une reconnaissance. Ils reconnaissaient l'importance de questions levées par des civiles, par des femmes relayées par des journalistes, et parfois à contre-courant des partis et des parlementaires, et parfois s'opposant aux lois existantes. Vous me direz, à contre-courant des parlementaires hommes. « Ah ! s'il y avait eu des femmes politiques, nous aurions peut-être pu les entretenir de l'horreur des avortements clandestins ! » (et la sociologue démographe que je suis peut vous dire qu'à cette époque-là il y en avait 600 000 par an), « ces femmes parlementaires auraient compris, relayé notre action, nous n'aurions pas eu à lutter pendant douze ans, de 1955 à 1967, avant d'avoir une loi sur la contraception ». Mais des femmes parlementaires, il y en avait alors !.

C'est le 8 mars 1956 très exactement que je suis allée, avec mon quatrième enfant dans sa poussette, jusqu'à la préfecture de police pour déposer les statuts de l'association « La maternité heureuse » , qui préfigurait le Planning. J'ai juché mon gros bébé sur le comptoir pour remplir plus à l'aise l'imprimé, et la préposée m'a dit en regardant mon poupon : « Ah ! la maternité heureuse, je vois ! » Elle ne voyait rien du tout ! Mais ce même jour, 8 mars 1956, s'adressant à l'Assemblée nationale en l'honneur de la Journée des Femmes, la députée communiste Marie-Claude Vaillant-Couturier, qui, elle, avait compris ce que nous voulions faire avec « La maternité heureuse », nous injuriait publiquement, stigmatisant le « néo-malthusianisme réactionnaire » que nous incarnions, nous dénonçait comme suppôts des richissimes Américains, et affirmait que « le birth-control n'était qu'un leurre couvrant les crimes du capitalisme, et qu'il était dirigé contre les travailleurs qu'il voulait détourner de la lutte » ( sic ). Quelques jours plus tard, je suis allée voir Jeannette Vermeersch, autre députée communiste, compagne de Maurice Thorez, égérie du Parti, et je me suis fait vilipender aussi fortement. Elle m'a expliqué que nous voulions empêcher les femmes d'être mères, que nous voulions saper la famille et ruiner la France. Je savais que je ne pouvais pas aller chercher de l'appui chez les femmes députées MRP, car l'Église leur recommandait de ne pas prêter l'oreille à nos voix. Mais les communistes... J'ai vite compris que, femme ou pas, ma députée marxiste redoutait l'appel d'air à la liberté que nous lancions, qui eût été ressenti comme un soulagement, comme une décompression par des milliers de couples communistes mal logés, mal payés, -dont le parti attendaient qu'ils fissent la révolution !. Il fallait, pensait le Parti, pousser la chaudière, faire monter la pression on appelle cela la paupérisation absolue , et non pas octroyer le droit aux femmes de concevoir leurs enfants volontairement. Elles avaient mieux à faire qu'à laisser parler ce que les communistes appelaient « leur égoïsme individuel ». Les femmes devaient penser à la collectivité, militer au Parti. À cette date, 1956, le danger représenté par le birth-control et le malthusianisme réactionnaire fut mis à l'ordre du jour de toutes les cellules du parti communiste. On y discuta ferme, mais pendant qu'on mobilisait les consciences politiques contre ces histoires de bonnes femmes, on ne parlait pas dans les cellules du rapport du camarade Khrouchtchev au 20 e Congrès du parti soviétique qui n'était pas encore public et qui terrifiait les cadres du PCF, tous staliniens ou staliniennes...

Si je raconte cette anecdote, c'est pour souligner le divorce qui peut exister entre l'opinion, sur des problèmes touchant à la vie des femmes, et la représentation parlementaire. Rappelez-vous ce qui s'est passé ensuite pour l'interruption volontaire de grossesse (Mme Veil est là pour en parler), ou même pour le traitement pénal du viol, de 1978 à 1980. Cela ne veut nullement dire que l'accession des femmes à la représentation et au pouvoir politiques ne soit une nécessité utile, féconde, indispensable, pour relayer les problèmes qui se posent aux femmes et qui sont souvent exprimés hors du champ politique.

Ainsi, c'est le slogan de Fadela Amara : « Ni putes, ni soumises ! », qui résume aujourd'hui le mieux l'effrayante menace qui pèse sur les jeunes filles et les femmes du fait de la conjonction d'un machisme brutal et intolérant d'une part, et de la mercantilisation de la sexualité d'autre part. C'est une culture qui est menacée, c'est une culture démocratique, c'est la mixité qui sont remises en cause. Aux politiques d'entendre aujourd'hui ce slogan et ce qu'il veut dire, et de garantir aux filles et aux femmes dignité, sécurité et liberté. Cela va très au-delà du voile.

Mais je viens d'évoquer la mixité. C'est pendant la période 1944-1968 qu'elle a été généralisée, ou presque. Et je voudrais rendre hommage à tout ce que la IV e puis la V e République ont fait alors pour les femmes. Non seulement elles ont enfin été reconnues électrices et éligibles, mais elles ont enfin été pleinement reconnues, honorées et soutenues dans leur rôle de mère. Dès la Libération, du moment où la femme était enceinte, elle avait droit à une carte de priorité tricolore qui, dans ces très dures années où il fallait faire la queue toujours et partout, pour acheter du lait, pour monter dans l'autobus ou pour monter dans le train, cette marque de reconnaissance était infiniment agréable et appréciée par les femmes enceintes. On se préoccupait enfin de la santé de la future mère. Elle avait droit à trois visites prénatales et plusieurs postnatales avec son enfant. Non seulement les consultations étaient gratuites, mais encore la femme qui s'y rendait se voyait donner un billet de 100 anciens francs. Je ne pourrais vous dire assez combien furent appréciées comme un cadeau du ciel les fameuses alloc' (les allocations familiales) qui étaient versées à la femme , à la mère de famille, à son nom, versées en argent liquide à domicile, de la main à la main, apportées par des payeurs de la Caisse nationale d'allocations familiales qui montaient à pied les escaliers ou qui parcouraient à vélo les routes de campagne avec leur sacoche pleine de billets, - et qui n'étaient pas attaqués ! Nous, les jeunes mamans d'alors, nous ne pouvons oublier que la République reconnaissait notre rôle et notre dignité comme jamais auparavant. Que ceux et celles qui ont inspiré je pense à Alfred Sauvy et qui ont voté tout cet ensemble de la Sécurité sociale et des allocations familiales soient remerciés.

« Mais ils vous ont enfermées dans la maternité », me direz-vous. Comme fondatrice du Planning, sociologue et écrivain, je suis la preuve que ce n'était pas une prison. On pouvait faire éclater la seule image « mère de famille », et, surtout, nous avons trouvé, dans une patrie très abîmée, santé, courage, énergie, pour nous-mêmes et pour nos enfants, dans ce soutien remarquable et si nécessaire dans une époque de misère.

Il est vrai que nous avons eu un ministre de la Santé femme, Mme Germaine Poinssot-Chapuis, première femme française ministre nommée en 1947. Puis nous avons une deuxième femme secrétaire d'État, en la personne de Marie-Madeleine Dienesch, à qui nous devons en partie une autre avancée extraordinaire pour nous : la loi sur les régimes matrimoniaux de 1965 qui, enfin, établissait l'égalité entre les époux dans le mariage. Ce sera la première d'une longue série de lois qui vont donner aux femmes liberté et pouvoir dans leur vie privée. Rappelez vous : 1965, les régimes matrimoniaux ; 1966, l'adoption permise à une femme seule ; 1967, la contraception, la loi Neuwirth ; 1970, l'autorité parentale : il n'y a plus de « puissance paternelle » ; et 1975, naturellement, les lois sur le divorce et l'IVG. L'extraordinaire refonte des lois sur la famille a été préparée avec soin par un éminent juriste décédé l'an dernier, le doyen Jean Carbonnier, qui, pour ce faire, a tenu à recevoir, écouter, consulter des groupes de femmes très actives, comme les groupes « Jeunes Femmes », protestantes mais pas uniquement.

J'ai parlé beaucoup des associations et groupes de femmes non politiques mais, il faut bien le dire, dans les années que j'évoque, les femmes étaient aussi très politisées, beaucoup plus qu'aujourd'hui, même si cela ne leur conférait pas de pouvoir. Je veux dire qu'à l'époque personne ne pouvait échapper à la politisation. D'abord, c'étaient les prolongements, ou présentés comme tels, de la Résistance. Et ensuite cela a été la constitution de deux blocs d'opinion hostiles pendant toute la Guerre froide. En 1945, 33 femmes sont députées à l'Assemblée constituante, dont 17 communistes, 8 MRP, 6 socialistes dont 2 parce qu'elles avaient un nom célèbre (Mme Éboué et Mme Léo Lagrange), et 2 seulement qui siègent à droite. Ces femmes forcent le respect de la nation car toutes sont d'anciennes résistantes ou veuves de résistants. Elles ont été agents de liaison, elles ont caché des suspects, elles ont transporté des tracts et des armes, elles ont été internées ou déportées. En 1946, l'Assemblée nationale élue compte cette fois 42 femmes. (Il a fallu attendre 1997 pour en voir davantage et, entre-temps, la représentation féminine a beaucoup chuté). En 1946, cette honorable représentation se divise en deux camps : ou elles sont communistes, ou elles sont anti, et le plus souvent catholiques. Or ces femmes votent comme leur parti, comme leur groupe d'appartenance, comme s'il leur fallait, par une fidélité sans problèmes et sans ambition personnelle, faire oublier qu'elles sont femmes. Les années 45-65 ont été celles des grands embrigadements de masse. Tous les partis avaient alors leurs associations féminines. La plus puissante était l'UFF, l'Union des femmes françaises, communiste, avec ses journaux, Heure claire etc. Les catholiques n'étaient pas en reste avec l'ACGF, l'Association catholique générale féminine, dont le journal, L'Écho des Françaises , diffusé uniquement par abonnements, tirait en 1956 à 2 200 000 exemplaires, le plus fort tirage de la presse française de tous les temps.

Vers la fin des années 50, je faisais alors pour le CNRS une enquête auprès de centaines de femmes, échantillon représentatif, comme on dit, les unes travaillant, les autres au foyer. Je les interrogeais sur des problèmes brûlants comme la contraception, l'avortement, l'éducation sexuelle des jeunes, etc. Eh bien ! toutes les femmes que j'interrogeais se situaient politiquement sans difficulté. Mais, en fin de compte, leurs opinions à propos de sujets sur lesquels je les interrogeais étaient souvent différentes de ce que leur bloc politique préconisait. Finalement, j'avais découvert que ce qui les influençait le plus, c'était le journal féminin qu'elles lisaient. Qui n'a pas assisté aux assises de Elle en 1975, qui ont empli de milliers de femmes le Palais des Congrès de Versailles, ne peut avoir idée de cette influence. Françoise Giroud en fut la grande vedette, non parce qu'elle était secrétaire d'État à la Condition féminine, ce dont toutes les femmes déléguées là étaient très fières, mais parce qu'elle était connue de toutes les lectrices de Elle qui avaient lu tous ses articles depuis des années. Je me rappelle m'être dit alors que le pouvoir politique, s'agissant des problèmes féminins, il était là. C'était palpable, impressionnant. Toutefois, le grand numéro de bravoure défendu ce jour-là par Françoise Giroud devant des milliers de femmes électrisées, c'était une forte mise en cause de l'utilisation de l'image de la femme, de son corps, de son visage, dans la publicité, exemples à l'appui. La salle rugissait son approbation. Hélas, aujourd'hui c'est pire encore que ce que dénonçait Françoise Giroud ! Son libre pouvoir de journaliste, de femme modèle et de secrétaire d'État n'a pas pu faire reculer ce contre quoi s'élèvent aujourd'hui les voix de celles qui crient : « ni putes, ni soumises, ni femmes objets, mais citoyennes dans une société mixte » !

Simone Veil

J'ai été très heureuse que vous souligniez le rôle de M. Carbonnier, que j'ai très bien connu car j'étais alors à la Direction civile lorsque tout le Code civil a été remanié, et naturellement tout ce qui concerne la famille, les relations entre époux, l'autorité parentale... Je voudrais tout de même souligner la volonté de Jean Foyer, qui était pourtant sur le plan philosophique tout à fait différent, qui était marqué très conservateur, de confier tous les textes à Jean Carbonnier en lui laissant une complète liberté. Je dis cela parce que je travaillais sur tout ce qui était l'approche juridique avant que Jean Carbonnier ne le prenne. Il a fait absolument ce qu'il a voulu, et Jean Foyer a accepté toutes ses conclusions. Il n'y a qu'un texte que Jean Carbonnier n'a pas fait, c'est celui sur l'adoption. Il était hostile à l'adoption, et c'est moi qui de ce fait ai rédigé la loi de 1966, comme magistrat à la Direction civile. C'est intéressant de souligner que, là, le politique suit complètement Jean Carbonnier qui était d'ailleurs sociologue en même temps que juriste, ou qui en tout cas avait une approche très sociologique.

Évelyne Sullerot

Il a fait venir des groupes de femmes dont j'ai fait partie.

Simone Veil

Sur la lecture des magazines, je dirai qu'il y avait tout de même deux pouvoirs. Ce n'est pas la politique qui a ciblé les gens, c'est tout de même, pour un certain nombre de choses, leur appartenance religieuse. Et vous avez parlé de Elle , qui était marqué comme tout à fait laïque, il y avait aussi une presse catholique extrêmement importante.

L'INSTITUTIONNALISATION DE 1974

I. L'IMPACT DES ASSOCIATIONS FÉMINISTES

Gisèle Halimi

Simone Veil disait tout à l'heure très justement que la solidarité entre les femmes était beaucoup plus grande qu'on ne le disait, et il est vrai que de plus en plus, on l'a constaté ces dernières années, le crêpage de chignon est devenu un fantasme masculin plus qu'une réalité. Cela n'empêche pas les discussions, les divergences et même les oppositions, mais n'est-ce pas une des caractéristiques de la démocratie ? Quand cela se passe dans des démocraties essentiellement masculines, personne ne songe à parler de péril...

Dans cette solidarité, je voudrais vous retracer ce qui est à la fois à l'origine d'une volonté de solidarité, et ce qui l'a beaucoup engendrée dans les luttes de femmes : c'est l'action des associations féministes. Et je vous parlerai en particulier de celle que j'ai connue pour avoir été à son origine et continuer à y travailler aujourd'hui : l'association « Choisir ». Parce que ce parcours, qui est un long parcours (la création de « Choisir » date de 1971), pose au fond une question qui est très importante dans la démocratie, à savoir l'importance du rôle des associations, de ce tissu de la société civile, et pose la question de savoir si les associations féministes, plus spécifiquement, ont bien rempli leur rôle dans une démocratie, qui est d'être des groupements de pression. La réponse, bien sûr, c'est vous qui l'apporterez.

Le mouvement «Choisir» est venu d'un manifeste qui a été fait un peu sur le modèle des manifestes d'intellectuels, après l'affaire Dreyfus. Un manifeste de protestation mais, au-delà, de provocation. C'était le manifeste de 343 femmes qu'on appelait, d'une manière humoristique, « les 343 salopes ». Le manifeste était très court, il disait ceci : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France, elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l'une d'entre elles, je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre. »

Ce manifeste des 343 femmes a été publié dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur il en a d'ailleurs fait la couverture en mai 1971. Il y a eu des réactions diverses. D'abord des réactions amusées, amusantes, de dérision. Mais il y a eu aussi des menaces de répression. Le manifeste des 343, à l'origine, était une idée de Simone de Beauvoir et d'un petit groupe de femmes, dont Anne Zélensky, qui travaillaient autour d'elle. Simone de Beauvoir m'a téléphoné en me disant : « Est-ce que vous pouvez me proposer des noms ? » Elle me dit très gentiment : « Vous, Gisèle, vous ne pouvez pas le signer puisque vous êtes avocate, mais nous voulons des noms ». J'en ai donné quelques-uns mais je l'ai signé, et c'est vrai que j'étais la seule avocate. Elle avait aussi raison en cela parce que cette signature a entraîné, pour moi, quelques désagréments avec le Conseil de l'ordre. Les menaces de répression sont venues de la manière suivante. Il y avait, parmi ces 343 femmes, des femmes tout à fait célèbres, non seulement dans le domaine des lettres (Françoise Sagan, Marguerite Duras), mais les idoles du cinéma (les stars comme Catherine Deneuve, Delphine Seyrig, Christiane Rochefort, Nadine Trintignant). Il y avait donc des femmes tellement célèbres que le pouvoir avait décidé qu'elles étaient intouchables. Mais, à la même époque, je faisais des meetings politiques. Et des femmes (des femmes de gauche) sont venues me trouver en me disant qu'elles aimeraient bien, elles aussi, signer ce manifeste. Mais c'était, comme on disait, des « anonymes ». Je leur ai dit : « Signez, plus on sera, mieux ce sera ». J'ai pris leurs noms et on a publié cette deuxième série de noms. Beaucoup d'entre elles ont été convoquées au commissariat de police, interpellées dans des termes d'une très grande vulgarité (puisqu'elles déclaraient avoir avorté, ce n'était pas la peine de leur dire « Madame », on les tutoyait), elles ont été menacées dans leur emploi quand leur emploi était précaire (quand elles étaient institutrices par intérim ou avaient un CDD de secrétariat). Et nous nous sommes réunies de toute urgence, nous étions quatre ou cinq chez moi (il y avait Christiane Rochefort, Simone de Beauvoir, Delphine Seyrig et moi), et nous nous sommes dit : « qu'allons-nous faire ? Nous sommes tout de même un peu responsables... » Simone de Beauvoir, Christiane Rochefort, les autres ne risquaient rien, mais elles, elles risquaient quelque chose. C'est comme cela que nous avons décidé de créer le mouvement «Choisir».

Nous avons beaucoup hésité, on avait demandé à Christiane Rochefort de nous trouver un titre, mais elle tournait autour de la maternité et on n'en voulait pas. Notre projet était autre. Nous avons créé le mouvement «Choisir», dont le slogan était : « La contraception, mon choix ; l'avortement, mon ultime recours ; donner la vie, ma liberté ». Et plus poétiquement, d'ailleurs, sur les cartes d'adhésion nous avions mis les vers de Paul Eluard : « Il ne faut promettre et donner la vie que pour la perpétuer, comme on perpétue une rose en l'entourant de mains heureuses ». C'était bien de la poésie, mais c'était aussi rappeler l'énorme responsabilité qui doit être celle d'une femme, et d'un couple quand il y a couple, quand on donne la vie. Le triptyque était clair. Je dirai pour aller vite : liberté, choix, responsabilité. Nous ne pouvions pas accepter que l'on donne la vie par erreur, par oubli de la contraception, ou par fatalité physiologique. Cette démarche était au contraire pour nous celle qui faisait échec à l'échec, échec à l'erreur.

Pendant quelques mois nous n'avons pas fait grand-chose, et puis arrive dans mon cabinet une jeune adolescente de seize ans, avec sa mère qui était poinçonneuse dans le métro. Elles me demandent d'assurer leur défense. L'histoire, je la raconte très vite pour les jeunes femmes et les jeunes hommes qui seraient là, et peut-être pour ceux, moins jeunes, qui l'auraient oubliée. Elle s'appelle Marie-Claire Chevalier. Marie-Claire avait été presque violée par un ami auquel elle ne voulait pas céder, elle était enceinte. Dans l'affolement, on a fait appel à une espèce de chaîne de solidarité dans le métro. L'une des collègues de Michèle Chevalier, la mère de Marie-Claire, connaissait une secrétaire qui, pour arrondir ses fins de mois, posait des sondes et pratiquait les horreurs de l'avortement clandestin que nous sommes nombreuses à avoir connues dans ma génération. Marie-Claire se fait avorter, mais cela se passe mal. Hémorragie, problèmes, sa vie est en danger. On va dans une clinique, où on demande à Michèle Chevalier de déposer un chèque avec une somme qu'elle n'avait évidemment pas. Elle fait le chèque, qui était sans provision, mais au moins Marie-Claire était sauvée (je me souviens de cela parce que c'est finalement le professeur Monod qui a fait un chèque valable quelques mois plus tard, pour éviter les poursuites). Et plusieurs mois après, la police fait irruption chez Michèle Chevalier et dit : « Votre fille a avorté ». Plainte, tribunal... Comment l'avait-on su ? C'est le jeune ami, d'ailleurs un peu voyou, qui, pris dans une tentative de vol de voiture, a dit : « Si vous me relâchez, je vous dis quelque chose. La petite Marie-Claire Chevalier était enceinte et elle a avorté ». à partir de ce moment-là, la question qui s'était posée était : qu'est-ce qu'on fait de ce procès ?

J'en ai parlé, évidemment, à Simone de Beauvoir et au petit groupe qui constituait «Choisir». Nous nous sommes réunies, j'ai dit à Michèle Chevalier (ses deux collègues étaient aussi poursuivies pour avoir donné l'adresse) : « Si on fait un grand procès de l'avortement, il y a des risques ». J'avais déjà plaidé beaucoup de procès d'avortements, cela se plaidait à huis clos, sur le mode « Pardon, je ne pouvais pas faire autrement, j'avais trop d'enfants, je n'avais pas d'argent... », mais personne n'avait donné à une défense, et pas moi à l'époque, la tonalité de ce manifeste dont je viens de vous lire la teneur.

Elles acceptent très courageusement. Parce qu'il est clair que, dans ces cas-là, s'il y avait des coups à prendre, ce n'était ni Simone de Beauvoir ni moi qui les prendrions, mais elles. Donc elles acceptent de faire ce que j'ai appelé le grand procès politique de l'avortement. Le procès « politique » entre guillemets, mais politique tout de même, parce que, en France, qu'est-ce qu'un procès politique ? C'est un procès, justement, où on ne demande plus pardon, un procès où on ne fait pas état de circonstances atténuantes, un procès où, par-dessus la tête des juges, on parle au pays tout entier, à l'opinion publique. C'est un procès où on met en accusation la loi qui vous accuse.

Et c'est ainsi que nous avons pu faire le procès de Bobigny. Il y en a eu deux : un premier pour Marie-Claire, devant le tribunal pour enfants, où on lui a tendu la perche. On lui a dit : « Vous ne pouviez pas... votre mère ne pouvait pas élever encore un enfant... », car Michèle Chevalier avait trois filles dont le père avait disparu dans la nature et elle les élevait seule avec son salaire d'employée de métro. Et Marie-Claire a été très claire, elle a répondu : « Non, si j'avais voulu, ma mère voulait bien l'élever, mais moi je ne me sens pas en état ». Elle avait fait preuve d'une extrême maturité (car elle avait seize ans) pour dire qu'elle n'avait pas la maturité nécessaire pour, psychologiquement, affectivement, accueillir un enfant.

À partir de là, la préparation de ce procès a été une préparation collective, avec 200 personnes, et, autant vous dire tout de suite, le modèle de ce qu'il ne faut pas faire. Parce qu'on s'est divisées, il y a eu le parti des radicales féministes qui ont dit : « nous ne voulons pas d'hommes à notre procès ». Or, j'avais été rendre visite au merveilleux professeur Milliez, à Jacques Monod, prix Nobel, à François Jacob, autre prix Nobel, à d'autres grands qui avaient accepté de venir témoigner, indépendamment des féministes comme Simone de Beauvoir, Françoise Fabian et Delphine Seyrig. On s'est alors divisées, et ce sont les accusées qui ont tranché assez vertement, en disant aux féministes radicales : « on voit bien que ce n'est pas vous qui allez comparaître. Nous, nous avons besoin qu'ils soient là ». Car, au fond, ce qu'elles voulaient, c'est s'entendre dire par des sommités reconnues par tout le pays que ce qu'elles avaient fait n'était pas un crime. Vous vous en souvenez peut-être, pour ceux et celles d'entre vous qui avez suivi les débats, il y avait une passion et une violence énorme. On nous traitait d'assassins, de meurtrières... Donc elles avaient besoin d'être sûres qu'elles ne l'étaient pas, criminelles.

Ce procès s'est déroulé dans une ambiance extraordinaire, unique, parce que je dois dire que plaider pour des femmes pendant que tout le tribunal de Bobigny était investi par des manifestations de femmes, avec les slogans et les mots d'ordre que vous connaissez, c'est être, littéralement, portée par l'événement. Marie-Pierre a été acquittée par le tribunal pour enfants. En revanche, sa mère et ses trois complices ont été condamnées à des amendes avec sursis tout à fait minimes, ce que nous n'avons pas accepté. Nous avons donc interjeté appel, appel qui n'a jamais été programmé pour être plaidé, et qui donc est mort, si je puis dire, de sa belle mort, c'est-à-dire de prescription, et que Michèle et ses amies du métro n'ont jamais été condamnées.

Il faut tout de même dire aussi que les partis politiques étaient absents à ce procès. Ils n'étaient pas absents parce qu'on ne les avait pas appelés Dieu sait qu'on avait tenté d'avoir des témoins ! , mais parce qu'ils avaient refusé d'être là, y compris les partis de gauche, aussi bien le parti communiste que le parti socialiste. Il eut, cependant, des outsiders. Par exemple un témoignage de Michel Rocard. Mais Michel Rocard, à l'époque, n'était que secrétaire général d'un tout petit parti qui était le PSU, et on peut dire qu'il ne risquait que de gagner à venir là (c'est un avis personnel). Mais il y eut également des soutiens isolés : David Rousset, de l'UDR, Aimé Césaire le grand poète, député de la Martinique... Et nous avons fait une « proposition » de loi (proposition entre guillemets, puisque nous n'étions pas à l'Assemblée), d'un texte d'abrogation de la loi de 1920, que nous sommes allés porter à tous les partis politiques de l'Assemblée.

Voilà ainsi un deuxième mode d'action de cette association : le procès démonstratif mais aussi la rédaction de textes législatifs, et troisièmement le lobbying politique, ce sur quoi tout le monde n'était pas d'accord. Pour tout vous dire, la délégation de «Choisir» à l'Assemblée nationale comportait Michèle Chevalier, Jacques Monod, prix Nobel, qui était un de nos meilleurs témoins, le père Roqueplo, Dominicain, et moi-même. Simone de Beauvoir, à l'époque, avait estimé que le pouvoir n'était pas à l'Assemblée et en tout cas que nous n'avions pas à aller solliciter les partis politiques.

Par la suite, nous avons salué, bien entendu, le projet du gouvernement Giscard pour l'abolition de la loi de 1920 et le projet qu'a soutenu, comme vous le savez, merveilleusement et courageusement Simone. Nous avons constamment travaillé avec elle, avec ses services, nous avons dialogué sur la contraception et sur l'avortement, et l'action de «Choisir» a continué tout le temps à ses côtés, je ne dirai pas pour la pousser, car elle n'avait pas besoin de cela, mais pour dire un peu ce que les mouvements de femmes souhaitaient. Car là aussi nous nous sommes séparées. Il y a eu des mouvements féministes qui sont venus nous dire : « Nous n'avons pas besoin de lois pour gouverner nos ventres », ce qui était véritablement hallucinant. C'est un peu ce que dit et répète Lacordaire, « Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime, mais c'est le droit qui affranchit »... Nous, nous estimions que nous avions besoin d'une loi, une loi qui prendrait en charge surtout les femmes des milieux socio-économiques défavorisés et c'est le sens de notre action d'appui et de solidarité auprès de Simone Veil.

Ce que nous avons fait aussi quatrième forme d'action , nous avons publié in extenso le procès de Bobigny. Ce qui était un délit. Publier un procès d'avortement tombait sous le coup de la loi sur la presse. Il était interdit de reproduire les débats d'un procès d'avortement. Nous l'avons fait en entier, et le livre a été préfacé par Simone de Beauvoir, parce que ce que nous voulions, justement, c'est que l'on sorte de ce secret, de ce huis clos, de l'absence de connaissance des vraies raisons des femmes, de ce qui faisait qu'elles en arrivaient devant un tribunal.

Nous avons continué notre action contre le viol. Nous avons amplifié nos objectifs, nous les avons un peu modifiés. Il y avait il y a toujours des viols nombreux, et sévissait alors, en matière de viol, la pratique détestable de la correctionnalisation. Il faut savoir que le viol, dans le Code pénal à l'origine, est un crime, et c'est le pire des crimes contre les femmes, c'est celui qui tue la femme dans la femme. On l'avait oublié ! Les magistrats, par facilité, pour aller vite, jugeaient les viols en correctionnelle, c'est-à-dire entre une altercation entre deux automobilistes irascibles et un vol à la tire...

Et nous avons voulu, là aussi, un peu « refaire » le procès de Bobigny en assumant le procès d'Aix-en-Provence, en 1978. Il s'agissait de deux jeunes campeuses belges qui avaient été sauvagement attaquées dans la nuit par trois voyous (l'une d'entre elles avait eu le crâne ouvert), et qui s'étaient présentées le matin au commissariat de police pour faire leur déclaration de viol. Nous avions aussi demandé à ce qu'il y ait des témoins, comme Pierre Emmanuel, le poète résistant, et nous avions demandé à des femmes députées de l'Assemblée (une femme de chaque grand parti), d'être présentes. Elles étaient présentes : mais le président était particulièrement... je dirais conservateur, et n'aimait pas du tout tout ce bruit fait autour du viol... Une anecdote peut vous faire comprendre l'atmosphère à la Cour d'assises d'Aix-en-Provence. Une garde s'adresse en ces mots à son collègue : « Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire, tu fais l'amour à une femme et tu vois ce qu'elle fait ? Elle te traîne devant le tribunal ! ». Donc les témoins ont été éjectés par le président de l'audience, et ils se sont rassemblés sur les marches du Palais et ont donné publiquement leur témoignage. Témoignages publiés dans « Le Procès d'Aix » (Gallimard, 1978).

Nous avons alors rencontré Monique Pelletier qui était chargée du droit des femmes et qui avait compris, dans un volontarisme intelligent, que c'était aller trop loin, qu'il fallait rappeler un certain nombre de choses fondamentales. D'où la loi du 23 décembre 1980, dont Monique Pelletier a pris l'initiative au Sénat. En quelques mots, cette loi rappelait ce qu'il était très urgent de faire que le viol était un crime et que comme tel il devait être jugé devant une Cour d'assises. Dans les affaires de viol, le huis clos était demandé huit fois sur dix par les violeurs, car ils entendaient bien que cela se fasse en catimini, qu'il n'y ait pas trop de gens autour d'eux qui sachent exactement ce qu'ils avaient fait. La loi Pelletier a édicté que le huis clos ne pouvait être décidé qu'à la demande des victimes, et, si les victimes le demandaient, la Cour d'assises ne pouvait qu'y souscrire.

Autre innovation très importante pour notre propos : donner de l'importance à l'action associative. En tant que présidente de «Choisir», j'avais tenté à plusieurs reprises de me porter partie civile dans des affaires de viol, c'est-à-dire de plaider aux côtés de la victime, dans une action séparée mais en même temps de soutien. Quand une femme est violée, c'est un peu toutes les femmes qui peuvent dire à quel point c'est insoutenable. Toutes mes tentatives avaient échoué. Enfin la loi de 1980 permettait aux associations que nous sommes et à d'autres toutes celles qui ont dans leurs objectifs la défense de la dignité des femmes, la défense contre les violences et contre le viol d'être présentes à la barre. C'est en cela que je peux dire que l'institutionnalisation de l'action à la fois associative et politique de ce que nous étions prend forme.

Je dirai quand même qu'il y a un point faible dans nos actions, dans celles de «Choisir» mais, je le crains, dans celles d'autres associations aussi. C'est la lutte pour l'égalité professionnelle. Toutes les lois qu'on a énoncées et à l'époque il y en avait une, celle de 1983, que je n'avais pas votée d'ailleurs, j'étais députée à l'Assemblée à l'époque n'ont pas mis en place un dispositif - pardon de le dire, je suis avocate et je parle rarement comme cela - assez répressif contre justement les employeurs et les entreprises qui tournent la loi ils ont tous les moyens de le faire pour barrer la route à l'égalité professionnelle à tous les niveaux (pas seulement les salaires, mais la promotion, la qualification) des femmes. C'est le point faible de «Choisir». J'ai dû plaider quatre ou cinq procès et je n'en ai gagné aucun parce qu'il y a toujours un dossier qui est fabriqué par l'entreprise quand elle veut, à égalité de compétences, choisir un homme plutôt qu'une femme. Il y a toujours un dossier tel que juridiquement on vous dit : « il n'y avait pas l'intention de discriminer ».

En 1978, «Choisir», si je puis dire, entre en politique. À la différence des associations auxquelles faisait allusion Évelyne Sullerot, «Choisir» a été et est toujours une association totalement indépendante des partis politiques. Quand je dis totalement indépendante, ce n'est pas seulement du point de vue des subventions (c'est le moins !), mais totalement indépendante de tout ce qui peut être un mot d'ordre, de droite ou de gauche. Les preuves, nous les avons apportées. En 1978, «Choisir» décide de présenter aux élections législatives, « 100 femmes pour les femmes » en dehors de tous les partis politiques. Bien entendu, les partis politiques de gauche et de droite nous ont honnies, nous ont vouées aux gémonies. La gauche disait qu'on roulait pour la droite, la droite, pour la gauche (j'ai des lettres de chefs de partis de l'époque). Et le citoyen français préférant, comme on dit, voter utile, nous n'avons eu aucune élue.

Mais en 1981, c'est la première fois où, après une discussion très large, très animée, nous décidons de prendre parti, et nous prenons parti pour Mitterrand. J'ai écrit un article dans Le Monde , et nous avons organisé une réunion publique quelques jours avant le deuxième tour. Vous vous en souvenez, Monique, puisque vous étiez à l'époque porte-parole et directrice de campagne de Giscard... Toutes les deux nous souhaitions que, dans la réunion publique que nous avions organisée avec comme thème : « Quel président pour les femmes ? », il y ait à la fois les deux finalistes, si je puis dire, Giscard et Mitterrand. Mais Giscard a fini par refuser, et donc la réunion s'est tenue uniquement avec Mitterrand, qui a fait un certain nombre de promesses.

En 1981, je suis élue députée de l'Isère à l'Assemblée nationale, mais je suis élue comme présidente de «Choisir». Je n'ai jamais appartenu à un parti politique, je n'en étais pas et j'avais refusé d'adhérer. J'ai donc été élue, et à ce moment-là j'ai fait douze propositions pour les femmes que je ne vais pas énumérer. J'en retiendrai deux. Une proposition, le remboursement de l'IVG, qui n'était pas remboursé. Et là, comme cela se passe souvent (cela se passe avec la droite, cela se passe avec la gauche), quand une proposition semble alléchante et qu'elle peut dans l'opinion publique être un plus pour le pouvoir en place, elle est aussitôt kidnappée par le gouvernement et le gouvernement en fait un projet. Mais n'en faisons pas une maladie, l'important c'est que les mesures arrivent ! Donc ce remboursement de l'IVG a eu lieu en 1982.

Ma deuxième proposition, c'était le quota des femmes aux candidatures électorales. C'est loi du 27 juillet 1982, votée à l'unanimité : 25 % de femmes dans toutes les listes électorales, votée aussi bien à l'Assemblée qu'au Sénat, et annulée en novembre 1982 par le Conseil constitutionnel à qui, d'ailleurs, on ne demandait rien.

Enfin, nous entrons dans la lutte pour la parité en politique. Je le dis parce qu'on le ressent un peu, à «Choisir» - devenu « Choisir la cause des femmes » -, comme une injustice. Dans les ouvrages des historiens, des historiennes, dans les articles, on ne le relève pas souvent, «Choisir» a demandé la parité depuis 1987. «Choisir» a publié sept livres sur le féminisme, sur des procès, et les revendications de la parité. L'Observatoire de la parité est créé en 1995 par le président Chirac. Roselyne Bachelot en est la secrétaire générale, et moi, comme présidente de «Choisir», je préside la commission de la parité en politique, et je suis la rapporteuse pour le gouvernement de cette parité en politique. Vous voyez comme l'oubli peut paraître curieux ! Parce que je suis la rapporteuse officielle, mon rapport est à la Documentation française, mais on rappelle très rarement le travail qui a été fait par «Choisir» pour la parité.

Aujourd'hui qu'est devenue la parité ? Je considère - vous l'avez dit, Madame Gautier - que la parité a été trahie du fait des sanctions -sanctions financières- qui ont été retenues par la loi. Sanctions d'abord profondément immorales, car les partis riches et pléthoriques paient pour avoir sur leurs listes des hommes et non pas des femmes (Plantu a fait des dessins immortels sur ce thème !), et de plus, cela a permis, en 2002, à l'UMP de ne présenter que 19,9 % de femmes et 35,5 % au Parti socialiste. Les partis qui se sont astreints à la parité, étaient les petits partis, d'abord parce qu'ils n'avaient pas les moyens de payer, et puis parce qu'ils l'avaient pratiquée jusque-là. En fait, la seule sanction nécessaire, c'est la sanction classique. Il y a un certain nombre de conditions d'éligibilité requises par le code électoral : si vous ne les remplissez pas, vous n'êtes pas candidat. Donc si vous n'avez pas rempli les exigences de la loi du 3 mai 2000 sur la parité, vous n'êtes pas candidat. C'est ce qui est retenu par exemple en Belgique, où il n'y a pas une loi sur la parité mais une loi sur le quota. Mais il est vrai qu'il s'agit de scrutins de listes. La solution est plus difficile dans les scrutins uninominaux.

Notre dernière action a été notre lutte contre le port des insignes religieux à l'époque, et en particulier contre le port du voile. Je dis en particulier (on ne va pas nous accuser d'islamophobie) parce que, d'une manière générale, pour des raisons doubles, nous pensons que la laïcité est en soi un bien pour les femmes car toutes les religions monothéistes ont favorisé l'oppression des femmes. Mais le voile, en particulier, est un symbole de la soumission des femmes, de l'infériorité des femmes, il crée un apartheid sexuel entre les hommes et les femmes, et ce que, comme féministes, nous ne pouvons pas accepter. Sur ces deux axes, nous nous sommes donc battues, et nous avons, avec nos moyens, écrit, témoigné, nous avons été auditionnées par la commission Stasi, nous avons conclu à la nécessité, à l'exigence d'une loi.

En conclusion, je dirai que l'action associative, en ce qui concerne les femmes, s'est pratiquée par une remise constante en question des lois discriminatoires, par des propositions de lois égalitaires, par des procès « politiques », par le dialogue constant avec les autorités politiques car nous sommes dans une démocratie et nous pensons que la loi a une importance fondamentale pour changer les mentalités , par des publications (une publication trimestrielle mais aussi des livres) et par de grands colloques. Et nous pensons que nous avons fait peut-être même plus qu'un mouvement de pression, en ce sens qu'à la fois nous avons manifesté, à la fois nous avons fait tout ce que je viens de vous indiquer, mais aussi nous avons travaillé pour que, comme il doit se faire en démocratie, les partis politiques, le pouvoir et le gouvernement prennent le relais.

II. LE CONTEXTE DES ANNÉES 70 : LA FRANCE DU CoeUR DES VINGT DÉCISIVES

Jean-François Sirinelli, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, directeur du Centre d'histoire de l'Europe du XX e siècle (CHEUS)

Je dois dire d'emblée que j'ai scrupule à intervenir après une matinée aussi dense, aussi passionnante pour l'historien que je suis. J'ai trouvé les interventions de mes collègues historiennes extrêmement précieuses pour notre réflexion d'aujourd'hui, et les témoignages qui se sont succédé au fil de cette matinée à la fois émouvants et importants pour nous, historiens et historiennes.

J'ai un autre scrupule, c'est que mon propos, qui sera bref, sera tout à fait prosaïque. Les organisateurs de cette journée m'ont demandé de replacer notre réflexion, nos débats, en contexte historique. En effet, le processus que nous évoquons a eu lieu dans un pays la France et à un moment donné les années 70. Certes, le rôle d'un certain nombre de grandes personnalités a été déterminant, l'action d'un certain nombre d'associations a été décisive, mais ce qui intéresse également l'historien, c'est de voir l'articulation entre ces actions et la configuration historique. Je voudrais donc réfléchir avec vous, et vous soumettre un certain nombre d'observations qui vous paraîtront peut-être autant de banalités car, bien évidemment, ces observations sont le produit de l'histoire qui nous est commune et qui nous paraît maintenant, de ce fait, évidente.

Ma remarque de départ, c'est que tout ce que nous évoquons ce matin a lieu dans une France des années 70 qui connaît à l'époque la métamorphose et j'emploie à dessein ce terme la plus rapide de son histoire. Pour évoquer une telle métamorphose, j'articulerai mon propos autour de trois points ou de trois mots : chronologie, démographie, idéologie.

D'abord, chronologie. Je viens de le dire, nous évoquons les années 70. En fait, pour l'historien, une mise en perspective s'impose immédiatement. Certes, les années 70 ont été le moment des grandes décisions. Mais, en même temps, ces années 70 sont elles-mêmes le produit d'une évolution qui s'est amorcée auparavant. Et je voudrais notamment insister sur les années 60. Je crois qu'on ne comprend rien à notre histoire nationale, à l'évolution de notre communauté, si l'on ne place pas ce que nous évoquons ce matin dans le cadre de cette période de trente années que Jean Fourastié avait appelées « les Trente Glorieuses », de la Libération jusqu'au milieu des années 70, mais plus précisément, au sein de ces Trente Glorieuses, si on ne se replace pas dans la décennie des années 60.

Un chiffre : à la Libération, la moitié de la France est encore rurale. Les statistiques nous le disent, il n'y a que 52 % de citadins en 1946, et encore on est citadin à partir de 2 000 habitants, et la plupart des citadins recensés sont en fait des habitants de gros bourgs. Donc on a encore une France largement rurale, profondément marquée par les valeurs, les normes de la ruralité. À peu près vingt ans plus tard, en 1968, on a deux tiers de citadins, et cette fois-ci de véritables citadins. Ce sont les pilotis sociologiques de notre communauté nationale qui ont ainsi changé en deux décennies.

Les normes, les valeurs de cette communauté étaient jusque-là celles d'une société où la vie était difficile, d'un monde dont les vertus cardinales étaient la prévoyance, la frugalité et, lorsque survenait le malheur, l'endurance face à ce malheur. D'un seul coup, à partir des années 60, dans une société française travaillée par une croissance conquérante, dans une société française dont les différents constituants sont en train de changer, dont la composition générale, la morphologie sont en train de connaître la métamorphose que j'évoquais, dans cette société française nous sommes bien à un moment pivot. Or chacun sait que, dans notre histoire nationale, les changements les plus notables surgissent soit dans les périodes de fractures liées aux révolutions ou aux guerres, soit dans ces périodes pivots extrêmement rares, car rares sont les métamorphoses de ce type, de cette ampleur, et de cette brutalité au sens chronologique du terme. Donc il me semble qu'on ne comprend pas les années 70 sans revenir aux années 60, et du coup le témoignage d'Évelyne Sullerot était, pour moi historien, extrêmement précieux.

Alors se pose une question : années 60, années 70... et mai 68, dans tout cela ? C'est une question que doit poser l'historien. Et je dirai que la réponse est nuancée. Incontestablement, les événements de mai 68 libèrent une énergie cinétique dont vont se nourrir tous les mouvements et toutes les actions que nous avons évoqués ce matin. Donc bien évidemment il faut prendre en considération cette énergie cinétique, et l'historien se priverait d'un facteur d'explication essentiel en court-circuitant ce moment.

En même temps, et je reviens à ce que je disais à l'instant, tout commence avant cette date. Le sociologue Henri Mendras parlait souvent, dans ses écrits, du « tournant » de 1965. Et je pense que, de fait, nous avons là un moment essentiel, où commence ce qu'Henri Mendras a appelé « la seconde révolution française ». C'est une période passionnante, car, je vous le rappelle, le problème du concept des « Trente glorieuses » de Fourastié, c'est que celles-ci se terminent au milieu des années 70 quand la France est confrontée, à partir de l'automne 73, aux effets induits par le premier choc pétrolier. Or cette métamorphose française continue, elle survit, si j'ose dire, à l'apparition de la crise. Et donc ce qu'il faut avoir en tête, c'est qu'on a une période de vingt années qui commence au coeur de ces années 60, qui se déploie sur deux décennies jusqu'au milieu des années 80, moment où les effets de la crise ont, en terme de déchirure sociale, d'effet induit, de crise du modèle républicain, des conséquences désormais sensibles. Mais, pendant cette vingtaine d'années, on a ce que j'appellerai « les vingt décisives ». Et il me plaît de constater que ce que nous évoquons aujourd'hui se situe exactement à la bissectrice chronologique de ces vingt décisives, et que ce qui touche la moitié de la population française de l'époque - les femmes - se situe bien au coeur de ces vingt décisives. Et donc mai 68, incontestablement, est un révélateur et un accélérateur, mais, à mes yeux, en ce qui concerne les questions d'aujourd'hui, ce n'est pas un moment fondateur. C'était le premier point : chronologie donc.

Deuxième mot : démographie. Nous parlons d'une France qui, à l'époque, connaît un coup de jeune. Vingt ans plus tôt a eu lieu ce qu'on appelle dans le langage courant le baby-boom , entre 1944 et le milieu des années 50 même si le baby-boom se poursuit au-delà, mais concerne ensuite des gens plus jeunes par rapport à la période que nous étudions , il y a alors dix millions de jeunes Français et Françaises supplémentaires. 1944-1955, tout est dit par ces deux chiffres. Ce sont les jeunes femmes qui auront vingt ans entre 1965 le tournant de 65 que j'évoquais tout à l'heure - et le milieu des années 70. Ces baby-boomeuses , si vous me permettez l'expression, seront d'une certaine façon les jeunes femmes qui vont incarner un certain nombre des luttes, et qui vont bénéficier des avancées obtenues à la suite de ces luttes et du desserrement des carcans de l'époque.

Cela étant, il faut toujours se méfier des premières analyses, qui sont quelquefois des erreurs d'optique ou de perspective. Ces baby-boomeuses sont essentielles, mais elles nous cachent probablement, par une sorte de ressac de mémoire, un certain nombre de générations plus âgées sur lesquelles je me dois aussi d'insister. Et d'abord la génération des soeurs aînées, c'est-à-dire les jeunes femmes nées à la fin des années 30 et au début des années 40. On évoquait plus haut mai 68... Ce qui est intéressant dans mai 68, c'est que certes les baby-boomers qui ont vingt ans en mai 68 fourniront la grande masse de manoeuvre, presque au sens militaire du terme, des événements et notamment des événements parisiens : ce sont les piétons de mai. Mais les leaders idéologiques seront les frères aînés, les gens qui ont vingt-cinq ans ou un peu plus, qui ont connu la fin de la guerre d'Algérie, les problèmes de rapports avec le parti communiste français. De même et d'ailleurs les historiennes spécialistes d'histoire des mouvements féministes l'ont montré , par-delà ces soeurs aînées qui seront sur le devant de la scène dans la militance de l'époque, incontestablement il faut penser aux mères des baby-boomeuses .

C'est une génération bien singulière que cette génération des mères, qui sont donc nées à la fin des années 20 et dans les années 30. Génération singulière parce qu'elle a été adolescente pendant la Seconde Guerre mondiale, qu'elle a été mère, et souvent de famille nombreuse, dans ces temps difficiles de l'après-guerre où, certes, il y avait une sorte d'hymne à la joie familiale, d'hymne au bonheur conjugal, mais où la vie était dure. Évelyne Sullerot évoquait tout à l'heure la difficulté qu'il y avait à élever quatre enfants dans ce contexte des années 50 et de la fin des années 40. Mais c'est aussi une génération qui, par-delà les difficultés du temps, a été, sans mauvais jeu de mots, une génération de mères porteuses. C'est-à-dire qu'elle a déjà porté en elle un certain nombre d'aspirations, probablement aussi de frustrations, et que, d'une certaine façon, elle les a transmises par des capillarités diverses qui peuvent varier selon les lieux et les milieux, selon les situations familiales aux cadettes, à la génération des baby-boomeuses et à celle de leurs soeurs aînées.

Il serait intéressant de réfléchir plus longuement à l'articulation entre ces générations de femmes. Ce matin, à travers les différents témoignages, on a vu que cette articulation était parfois difficile. L'historien ne doit pas être angélique : il y a derrière, probablement, des enjeux de mémoires militantes, et ces mémoires militantes peuvent être conflictuelles. Mais, par-delà ces enjeux de mémoire, il y a bien une réalité dictée par la démographie : l'existence de plusieurs générations de femmes.

Enfin, troisième mot : idéologie. Ce qui est intéressant, quand on réfléchit sur cette période de la fin des années 60 et du premier versant des années 70, c'est que cette France en mouvement, en effervescence, apparaît à l'historien comme une sorte de Janus idéologique, à deux visages. Il y a, d'une part, un certain nombre de grandes théories issues du marxisme-léninisme - pour faire vite - qui vont marquer le vocabulaire de l'époque, que l'on va, du reste, quelquefois retrouver dans un certain nombre de slogans ou de thèmes, y compris de certaines associations féministes, et dont le maître mot est révolution.

Mais il y a aussi, pendant les événements de mai 68 et surtout dans les années qui suivent, un mouvement que je qualifierai, faute de mieux, de mouvement libertaire, un mouvement qui a coloré d'ailleurs sur le moment même un certain nombre des slogans de mai 68, tout en restant un peu en retrait par rapport à l'aspect doctrinaire et globalisant des variantes marxistes-léninistes. À bien y regarder, pourtant, ce courant est, au bout du compte, bien davantage en phase avec la métamorphose que j'évoquais en commençant. C'est une effervescence multiforme, bien évidemment, mais qui était plus à même de capter, là encore par des réseaux de capillarité très divers qu'il faudrait étudier, les frémissements, les impatiences de ce qu'on appellerait de nos jours la société civile. Le maître mot de ces courants multiformes n'est plus révolution, mais contestation. Contestation d'un ordre ancien qui, dans la métamorphose en cours, est en train de se craqueler, et contestation qui nourrit le phénomène associatif et ses actions, elles aussi multiformes.

Ce constat me conduit, d'une certaine façon, à ma conclusion. Force est de constater, pour l'historien, que les grandes idéologies globalisantes et flamboyantes, qui flamboient encore dans une certaine mesure à la fin des années 60, n'ont pas changé la condition féminine, mais que c'est, au contraire, au coeur d'une démocratie française profondément travaillée, et par là même bousculée, par d'autres courants qui sont les courants contestataires que les processus ont opéré. D'autant que ces courants sont vite repris en charge par les partis politiques... Songeons à la « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas, songeons, à partir de 1974, à Valéry Giscard d'Estaing, songeons, à gauche à partir de 1972, à l'Union de la gauche... On a donc ici des courants, multiformes répétons-le, qui, de mon point de vue d'historien, ont eu un rôle plus important que les grandes idéologies.

En d'autres termes, ma première conclusion est que, entre l'incantation souvent déconnectée de la réalité de ces grandes idéologies lourdes du XX e siècle, et la contestation plus labile, plus souple, qui a nourri ces mouvements qu'on évoquait au cours de la matinée, force est de constater que c'est évidemment le second processus qui a indirectement porté sur les fonts baptismaux un certain nombre de grandes lois, de grands acquis.

La deuxième conclusion est plus complexe, plus inquiétante parce qu'elle débouche sur le présent. C'est que cette contestation multiforme s'est arc-boutée notamment sur le thème du droit à la différence. Sur le moment même, ce thème du droit à la différence a nourri un certain nombre de revendications et, donc, a ouvert des brèches mais, en même temps, force est de constater, à l'échelle des décennies, que l'universalisme républicain, qui, lui, était porteur des thèmes de l'intégration par la ressemblance, s'en est trouvé lui aussi ébréché. Et du coup, par une sorte de retour de balancier de l'histoire, nous nous trouvons - sans porter de jugement de valeur - dans un contexte très particulier et, à maints égards, inquiétants. Certes, mes collègues historiennes l'ont montré ce matin, l'écosystème républicain pendant très longtemps n'a pas été très réceptif à un certain nombre de revendications, n'a pas été très accueillant pour une partie (la moitié, et un peu plus) de la communauté nationale. Mais le problème est bien qu'au moment où, au contraire, à la suite d'un certain nombre de grandes réformes, cet écosystème républicain intègre désormais ces acquis, en même temps il se retrouve, par le mouvement de balancier que j'évoquais tout à l'heure, confronté à un certain nombre de logiques communautaires fondées sur la revendication du droit à la différence qui, parfois, remettent en cause implicitement ou même explicitement ces acquis. Il y a là, incontestablement, un problème non résolu, sur lequel l'historien se permet d'attirer l'attention de toutes et de tous.

III. INTERVENTION DE MME NICOLE AMELINE,
MINISTRE DÉLÉGUÉE À LA PARITÉ ET À L'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

Mesdames les ministres,

Madame la présidente de la délégation des femmes du Sénat, Mesdames,

Messieurs,

Laissez-moi vous dire tout d'abord le plaisir qui est le mien, de passer, en cette journée exceptionnelle consacrée aux femmes dans le monde, un moment avec vous. Je voudrais remercier le Sénat et l'organisateur de ce colloque de m'avoir invitée à m'exprimer sur un sujet qui est naturellement au coeur de mes préoccupations en tant que ministre de l'Égalité professionnelle et de la parité. Nous allons fêter dans quelques semaines le 60 e anniversaire de l'ordonnance qui a institué le suffrage féminin, et la question du rôle et de la place des femmes dans la vie politique et de leur participation à l'exercice du pouvoir revêt toujours une acuité particulière. Je dirais d'ailleurs : plus que jamais. Car entre l'affirmation théorique du droit de chacun de participer à la formation de la loi, consacré à maintes reprises depuis 1789, et la réalité quotidienne, nous pouvons considérer que le fossé n'a jamais été réellement comblé.

Pourtant, la participation des femmes à la formation de la loi, à l'exercice du pouvoir et de la décision publique, est plus que jamais l'une des composantes du principe d'égalité. Il n'y a pas d'égalité possible entre les hommes et les femmes sans une représentation équilibrée des deux sexes, non seulement dans les assemblées parlementaires mais aussi naturellement au sein du gouvernement qui conduit et détermine la politique de la Nation. Cette représentation équilibrée, qui n'est pas arithmétique bien sûr mais qui est un principe d'équité, est indispensable non seulement pour garantir le respect du principe d'égalité, mais aussi pour assurer une bonne gouvernance, tant, aujourd'hui, l'égalité apparaît comme un véritable vecteur de modernité et d'efficacité dans la gestion publique. Tant que subsistera une division sexuée des rôles sociaux, et nous savons bien que cette division persiste encore au moins dans certains domaines comme les affaires familiales , il y aura de nombreuses questions sur lesquelles les femmes disposeront d'une information et d'une expertise particulière. Une législation élaborée exclusivement par les hommes risquerait, nous l'avons vu au XX e siècle, d'être particulièrement mal adaptée aux besoins de la société. Nous sommes dans un nouveau siècle, nous sommes dans un nouvel espace européen et international, nous sommes dans une société qui exige une vision renouvelée de l'égalité, la mise en place d'outils résolument modernes et une culture différente.

Avec le Premier ministre, ce matin, nous évoquions le passage nécessaire d'une politique de l'égalité à une véritable culture de l'égalité. Nous considérons de plus en plus que la mixité des instances de décision n'est pas seulement une exigence démocratique, mais aussi un enjeu économique, car la place faite aux femmes est l'un des indicateurs qui permettent de mesurer le degré d'évolution d'une société, et surtout sa capacité d'adaptation à la modernité. Ainsi l'ONU a-t-elle établi des indicateurs de sexo-développement, qui permettent de mesurer en fonction de plusieurs paramètres les inégalités persistant entre les hommes et les femmes. Et l'on constate d'ailleurs une forte corrélation entre le rang de classement tel qu'il résulte de ces indicateurs et la proportion de femmes dans la vie politique. Il est donc absolument nécessaire que la France rattrape le retard qu'elle a accumulé dans ce domaine.

Je voudrais d'ailleurs ici exprimer mon admiration et ma considération pour toutes celles et tous ceux qui ont contribué formidablement à faire évoluer cette idée de l'égalité dans notre pays. Je voudrais saluer Mme Simone Veil, bien sûr, Mme Monique Pelletier, ainsi que Gisèle Gautier qui travaille avec énormément d'intelligence et d'imagination ici même au coeur du Parlement, et toutes les associations qui font un travail sur ce point exemplaire. L'égalité doit devenir un principe actif de la société française, une sorte de gène organisateur qui s'affirme comme une valeur positive, dynamique, une réponse aux enjeux qui sont les nôtres, et qui sont aussi les enjeux du siècle.

De ce point de vue, si la volonté est là, nous savons aussi que les résistances et les freins le sont aussi. Et force est de constater que, en France, peut-être davantage qu'ailleurs, malgré cette volonté de modernité, les femmes ont eu encore plus de mal à s'imposer dans le monde politique que dans la société civile.

À la fin du XX e siècle, alors que le mari s'était vu retirer le monopole que lui attribuait autrefois le Code civil dans la direction de la famille, alors que la mixité scolaire s'était généralisée jusque dans les grandes écoles les plus prestigieuses, alors que les femmes avaient enfin accès à de nombreuses professions qui leur étaient autrefois fermées, le système politique, qui était censé incarner les valeurs de modernité, de progrès, était paradoxalement à l'écart de cette évolution. Les assemblées représentatives, tant au niveau local que national, restaient des bastions presque exclusivement masculins.

Une exception notable à cette règle fut l'élection des représentants de la France au Parlement européen en 1999, un an avant l'adoption de la loi sur la parité : la proportion des femmes parmi les élus était alors de 40 %, ce qui était un résultat très honorable, qui nous fait penser que les cénacles modernes sont ceux en effet dans lesquels la parité s'affirme avec force.

S'agissant du scrutin qui a l'enjeu politique le plus fort, c'est-à-dire les élections législatives, la France était au contraire mal placée, à la fois sur l'échelle européenne et sur l'échelle mondiale, et c'est malheureusement encore le cas aujourd'hui.

Je ne m'étendrai pas sur les moyens mis en oeuvre par les pays qui nous ont devancés ni sur les causes de notre retard. Mais, dès 1996, l'anachronisme de la situation française a suscité de ma part une réaction : j'ai déposé avec Gilles de Robien une proposition de loi qui permettait d'instaurer comme étape intermédiaire une proportion minimale de 30 % de femmes sur les listes aux élections municipales et régionales. Mais c'est la loi du 6 juin 2000 qui a finalement engagé cette évolution nécessaire.

Il est intéressant de noter que cette loi, qui a suscité beaucoup de controverses en son temps et qui n'a pu être adoptée que grâce à une révision constitutionnelle et aussi à un très grand effort de conviction, n'est plus guère contestée - et c'est fort heureux - dans son principe même. Si sa légitimité est aujourd'hui admise pratiquement partout, l'on s'interroge en revanche sur l'efficacité du dispositif, et je crois que c'est maintenant l'un des thèmes principaux de nos travaux. Je pense que ses effets indirects, c'est-à-dire aujourd'hui son influence sur la société française, ont été aussi importants, peut-être plus encore à certains égards, que ses effets directs, c'est-à-dire son impact sur les scrutins auxquels elle s'applique.

Je voudrais d'abord dire qu'il y a eu un effet d'image. Le regard que les médias et leurs lecteurs portent désormais sur les instances politiques, et au-delà le regard du citoyen, n'est plus tout à fait le même qu'auparavant. La prépondérance masculine ostensible, autant que la pensée unique à laquelle nous avions été tellement habituées, passe aujourd'hui de plus en plus pour un archaïsme, et les partis politiques ont enfin compris qu'ils avaient intérêt à accorder aux candidatures féminines plus d'attention qu'ils ne le faisaient auparavant..

Mais il y a plus encore : l'effet symbolique. La concentration du pouvoir entre les mains des hommes situait les femmes dans une position de mineures, aux sens juridique et politique du terme. Augmenter leur présence dans les instances de décision aboutit à changer l'opinion de la société. Je voudrais insister sur ce point, car on ne peut pas faire progresser le rôle et la place des femmes dans la vie politique si le système global social, culturel, et j'ajouterai éducatif, de la société française n'évolue pas. C'est l'ensemble des facteurs qui doit être effectivement au coeur de cette évolution nécessaire, et c'est la transformation sociale et culturelle de la société qui permettra aussi cette évolution politique.

Néanmoins, il faut dire que l'effet symbolique s'est d'abord exercé sur les femmes, qui ont pris réellement conscience de leurs potentialités en tant que citoyennes, et de leurs devoirs également d'expression et de participation à la vie publique. À cet égard, il est intéressant de noter que la génération des femmes élues sur le terrain, en application directe de la loi du 6 juin 2000, a favorisé d'ores et déjà cette prise de conscience très collective, cet engagement collectif qui, dans le cadre d'ailleurs de la décentralisation et de l'importance du développement local, prend tout son sens.

Cet effet symbolique est d'ailleurs renforcé par ce que les politologues appellent l'effet de chantage, ou ce qu'on peut désigner plutôt par l'effet de négociation, qui découle du fait que les partis aujourd'hui ont besoin des femmes pour répondre à certaines obligations imposées par la loi en ce qui concerne la composition des listes. Rien n'empêche alors les femmes sollicitées pour être candidates, de subordonner aussi leur acceptation à un certain nombre de conditions. Ce n'était pas facile, cela le devient davantage, même si tout n'est pas parfait, j'en conviens. Néanmoins les femmes, aujourd'hui, savent que la loi leur a permis de disposer de cette base juridique essentielle pour accéder aux postes de responsabilité. Il est très important que cet exercice du pouvoir, déjà même en terme de candidatures, s'exprime aussi dans la réalité des responsabilités. Je donne un exemple très direct. Qu'il s'agisse par exemple des élections régionales que nous vivons aujourd'hui, ou bien de l'intercommunalité, il est très important que les espaces modernes de pouvoir soient composés également de manière paritaire, équilibrée, et j'attendrai beaucoup des partis politiques, après les élections régionales, sur la composition des exécutifs régionaux, c'est-à-dire des véritables espaces de décision.

S'agissant des effets directs de la loi, c'est-à-dire de son impact sur les scrutins auxquels elle s'applique, ces effets ont été à certains égards décevants je pense en particulier à l'Assemblée nationale mais globalement ils sont loin d'être négligeables. D'abord, je le répète, dans les communes de 3500 habitants et plus, les élections municipales de mars 2001 ont provoqué l'émergence d'une génération paritaire de proximité dont le poids politique sera certainement renforcé, naturellement, par les prochaines étapes de la décentralisation. Or, depuis les débuts de la III e République, les conseils municipaux ont toujours été le principal vivier où se recrutait également l'ensemble des élites politiques. Il existe donc une véritable synergie entre les institutions représentatives locales et nationales, et cette synergie devrait être un puissant levier pour faire progresser la parité.

Mais pour que ce levier fonctionne à plein, il faudrait que la décentralisation s'accompagne d'une plus grande prise de conscience de l'apport démocratique et politique de la parité non seulement au niveau des assemblées délibérantes mais aussi, j'y insiste, au niveau des exécutifs, car ce sont les espaces réels de pouvoir. Force est malheureusement de constater que ce n'est pas toujours le cas : les intercommunalités par exemple, qui constituent un nouvel espace assez moderne de décision, ne témoignent pas d'une telle prise de conscience car, pour l'essentiel, leur composition reproduit le système antérieur.

Face à cela, comment pouvons-nous agir ? Naturellement, j'ai une double responsabilité que vous imaginez aisément. D'abord préserver les acquis de la loi du 6 juin 2000, et ensuite étudier les moyens d'accroître son efficacité.

La préservation des acquis m'oblige à suivre de très près, évidemment, toute réforme d'un mode de scrutin, et à intervenir si possible dès le stade de la conception du projet.

C'est ce que j'ai fait l'année dernière lors de la refonte du scrutin régional : la création des sections départementales est en soi une bonne chose car elle tend à rapprocher les élus de leurs électeurs. Mais si l'on n'avait prévu aucun aménagement, cette réforme aurait pu rendre inopérantes les garanties de la parité car tout se passe comme si les sièges étaient répartis entre un plus grand nombre de listes. Pour parer à ce risque, j'ai demandé et obtenu que l'on modifie le mode de composition des listes en imposant l'alternance stricte entre les candidats de chaque sexe, alors qu'auparavant il était seulement prévu qu'il devait y avoir un nombre égal de candidats de chaque sexe au sein de chaque groupe de six dans l'ordre de composition de la liste. Mais cette évolution vers une parité stricte ne peut pas concerner l'ensemble des scrutins.

S'agissant de l'Assemblée nationale, qui est élue au scrutin uninominal, nous déplorons tous le résultat des dernières législatives. Mais il est essentiel de se dire que, même en rendant la loi plus contraignante, nous n'atteindrions peut-être pas le résultat espéré. Il faut, me semble-t-il, conjuguer les mesures contraignantes avec un certain nombre d'autres paramètres, qui reposent davantage sur la conviction et l'adhésion.

Je m'explique en quelques mots. Il me paraît essentiel que la parité apparaisse comme un concept global, dont tous les aspects sont solidaires. Ainsi, en travaillant, sur la parité professionnelle, l'égalité professionnelle, nous agissons aussi pour la parité politique. Rendre le pouvoir aux femmes, organiser le partage réel des responsabilités qui vont de la famille à l'entreprise et à la sphère publique, telle doit être effectivement la vision de la société que nous devons porter tous ensemble. Car il est tout à fait important que les outils nécessaires pour faire progresser l'égalité dans notre pays concernent l'intégralité des secteurs. Aujourd'hui, à la discrimination qui exclut, il faut substituer la différence qui enrichit. Il faut faire en sorte que la diversité devienne une véritable valeur positive, que l'égalité soit perçue comme une dynamique fondée sur les hommes et les femmes, et qui fasse progresser l'ensemble de la société.

Ainsi, dans le domaine de l'égalité professionnelle, plusieurs avancées significatives sont en cours de réalisation : le 1 er mars dernier, les partenaires sociaux ont présigné un important accord interprofessionnel relatif à la mixité et à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; un label « égalité » va être créé, qui permettra de distinguer les entreprises prenant le mieux en compte l'égalité dans l'organisation du travail et la gestion des ressources humaines ; enfin, le dispositif « Chrysalide », lancé le 28 janvier dernier, est destiné à aider les jeunes femmes des quartiers sensibles à mobiliser les ressources nécessaires pour mener à bien un projet de création d'entreprise.

.Je voudrais également insister sur l'importance de l'éducation. Rien ne sera possible si nous ne faisons pas en sorte que, dès l'école, là où tout se forge, là où tout s'apprend, la mixité soit non seulement la coexistence pacifique (du moins nous l'espérons) des garçons et des filles, mais aussi un véritable véhicule de valeurs, permettant de concilier le respect de l'autre avec l'affirmation de soi qui, trop souvent, fait défaut aux jeunes femmes. Rien ne serait possible si nous ne faisions pas en sorte que l'orientation scolaire n'aboutisse pas, comme c'est encore trop souvent le cas aujourd'hui, à reléguer les jeunes femmes dans seulement six des trente et une filières professionnelles qui existent. Et, enfin, rien ne sera possible si nous ne faisons pas en sorte de réconcilier la vie familiale, les responsabilités familiales et la vie professionnelle.

Le fait que les femmes, au XXI e siècle, doivent je dis bien doivent, car c'est un impératif national véritablement avoir accès aux responsabilités, suppose que la culture, l'éducation, les stéréotypes évoluent. Et on ne pourra pas progresser sur ce terrain si nous ne faisons pas, encore une fois, évoluer les images, les clichés, et malheureusement trop souvent les archaïsmes qui frappent encore notre société.

Il me semble que nous avons donc une responsabilité partagée. D'abord les partis politiques, qui ne peuvent plus ignorer que leur image, que leur crédibilité, que la modernité qu'ils sont censés porter, inspirer, passent par les femmes, résolument. Nous ne pouvons plus nous passer de cette idée que la société doit faire un effort global.

Ce matin, je remettais au Premier ministre la Charte de l'égalité, qui s'inspire de l'idée que la démarche transversale intégrée de l'égalité doit irriguer la société toute entière, et que c'est l'affaire de tous. On ne pourra pas progresser, donner un contenu réel à l'égalité, tenir la promesse de l'égalité au XXI e siècle, si ce n'est pas la société, tous ses acteurs, tous ses responsables, l'ensemble des citoyens, qui portent cette démarche, tant au plan local qu'au plan national.

Nous publierons dans quelques mois un rapport d'évaluation de la loi du 6 juin 2000, afin de tirer les enseignements de tous les scrutins intervenus depuis son adoption.. Il ne faut rien exclure sur ce terrain, je l'ai dit tout à l'heure, les mesures contraignantes peuvent se conjuguer avec l'effort éducatif qui est mené sur l'ensemble de la société, et il est très important que nous puissions, là aussi, accélérer l'histoire. En ce qui concerne la représentation des femmes au Parlement, la France ne peut pas se résigner au classement médiocre qui est actuellement le sien. Là où la loi se fait, se forge, là où se décide l'essentiel, la démocratie ne peut fonctionner sans cet équilibre fondamental des hommes et des femmes. Nous ne pouvons pas nous résoudre à voir ce que nous avons pu voir au XX e siècle, c'est-à-dire des lois qui étaient pensées le plus souvent, malgré des avancées considérables dans la dernière partie du siècle, par et souvent pour les hommes.

Je voudrais citer un exemple sur lequel nous travaillons aujourd'hui : le statut des conjoints collaborateurs. Ces femmes qui sont dans l'entreprise souvent familiale, et qui n'ont jamais eu de reconnaissance, ou si peu, et qui aujourd'hui prétendent non plus à des droits dérivés mais à des droits autonomes. Le maître mot, pour les femmes au XX e siècle, a été cette émancipation, cette libération, cette acquisition de nouveaux droits ; le maître mot pour elles au XXI e siècle sera l'autonomie. L'autonomie dans leurs choix, dans leur projet de vie, dans leurs décisions, et surtout le sentiment fondé qu'elles ont non seulement une place dans la société, mais qu'elles peuvent contribuer très largement à en relever tous les défis.

Je souhaiterais que cette journée du 8 mars 2004 soit un nouveau point de départ. Nous sommes dotées d'outils nouveaux cette charte de l'égalité, un label égalité qui va donc encourager les entreprises à mettre en oeuvre l'accord qui vient d'être présigné par les partenaires sociaux. Il faut que nous allions plus loin encore, que nous fassions cette révolution culturelle à laquelle les femmes prétendent très légitimement. Et un des points qui me paraît essentiel, c'est la prise en compte dans notre société de la maternité. Je le dis parce que, au XXI e siècle, les femmes veulent travailler, avoir des carrières, exercer des responsabilités, sans que cela les empêche d'avoir des enfants. C'est un modèle français qui peut inspirer l'Europe et une partie du monde. Et il est tout à fait important que nous fassions en sorte qu'elles n'aient pas à «Choisir», ou pire à renoncer, et qu'elles puissent, partout où elles sont, affirmer ce double engagement. Pour cela, une des idées que nous défendrons dans les semaines et les mois à venir, ce sera de faire en sorte que pour le retour à l'emploi l'expérience familiale puisse être comptabilisée dans la validation des acquis de l'expérience.

Vous me permettrez, pour conclure, de rappeler que ce 8 mars intéresse le monde entier. Les femmes dans le monde sont souvent les premières victimes de toutes les formes d'oppression, de violence, de conflit, mais elles sont aussi à la pointe de la lutte pour le développement, car elles contribuent à répandre les innovations et à faire évoluer les mentalités. Il est donc tout à fait important que, par la force de l'exemple, notre pays incite les femmes du monde entier à conquérir de nouveaux droits et à devenir des citoyennes à part entière. C'est un enjeu historique, et je pense, qu'ici, au Sénat, on peut l'envisager avec détermination. Je vous remercie d'y réfléchir cet après-midi et de contribuer à cette nouvelle espérance.

LES FEMMES AU GOUVERNEMENT
TABLE RONDE

sous la présidence de Mme Monique Pelletier

Monique Pelletier

Nous allons entamer cette table ronde avec des personnalités qui ont joué un rôle important, et institutionnel pour la plupart d'entre elles, en faveur des femmes lorsqu'elles étaient au gouvernement, chargées principalement de faire progresser l'égalité des droits des femmes.

Pour ma part, j'ai succédé à Hélène Gisserot, qui était déléguée à la Condition féminine et avait succédé à Françoise Giroud. Si je voulais résumer en quelques mots le souvenir et l'impression que je tire de ces trois années au ministère de la Condition féminine puis de la Condition féminine et de la famille, ce serait le sentiment que ce sont des structures importantes parce qu'elles sont transversales et qu'elles permettent d'agir sur l'ensemble des ministres en charge des secteurs divers du gouvernement. Importantes et assez difficiles, parce que ce qui fait la force d'un ministre, c'est d'abord son budget et son administration. Or j'avais un budget discuté âprement chaque année, et je n'avais pas de pouvoir sur les administrations. Pourquoi ai-je pu mener à bien un certain nombre de projets ? C'est parce que j'ai eu la chance d'exercer cette mission sous la présidence d'un homme qui avait compris que c'était un problème essentiel à l'époque à laquelle nous vivions, qu'il fallait anticiper, et qu'il fallait être volontariste. Cela veut dire que tous les arbitrages ont été rendus en faveur du projet que je défendais, et l'incitation faite aux autres ministres de participer à cette action était permanente. J'ai donc eu de la chance sur le plan de l'organisation pour des raisons qui tiennent aux personnalités de ceux qui étaient en charge de cette action. En revanche j'ai exercé cette action à une époque où le salaire maternel était encore une antienne revenant à chaque réunion, où il y avait des pesanteurs réactionnaires très fortes. C'était aussi une époque aussi où le symbole a joué un rôle important. Symbole que de passer de la 14 e place du gouvernement à la 5 e , la dernière année. Cela paraît dérisoire, c'est important. Symbole que de permettre à une femme de naviguer sur la Jeanne à un moment où c'était jusqu'alors hermétiquement fermé pour elles. Symbole aussi que de me demander cela paraît naturel, aujourd'hui, aux plus jeunes femmes de présider les fêtes du Débarquement, en 1980, ce qui a suscité l'ire des préfets localement concernés.

C'est dire que j'ai bénéficié à la fois de chances, de pesanteurs, de difficultés, mais que, ajoutée à la chaîne de celles d'avant et de celles d'après, chacune a mis son petit paquet sur l'échiquier du progrès, et je crois très fermement que ces structures sont importantes. Voilà ce que je voulais dire au départ.

LES FEMMES MINISTRES SOUS LA VE RÉPUBLIQUE

par Mariette Sineau, directrice de recherches au CEVIPOF

Alors que dans la plupart des démocraties européennes, les femmes entrent en politique par la voie parlementaire, en France elles sont souvent ministres avant d'être élues députées. Comme la voie du suffrage universel leur est barrée dans les faits (compte tenu d'un système électoral « discriminant », le scrutin uninominal), elles se sont imposées par la nomination.

Ce mode d'accès des Françaises à la politique, par la nomination et la compétence technocratique, n'a pris une telle ampleur qu'en raison d'une double particularité de la Ve République : un système où il n'est pas nécessaire d'être parlementaire pour devenir ministre (la Constitution pose même en son article 23 l'incompatibilité entre les deux fonctions) et qui, en outre, accorde au chef de l'État de larges pouvoirs de nomination aux fonctions exécutives.

« En France, que l'on soit homme ou femme, on est nommé ministre par la seule volonté du président de la République » écrit Élisabeth Guigou 45 ( * ) . Sauf périodes de cohabitation, c'est le président, véritable homme-orchestre de la Ve République, qui donne l'impulsion décisive pour faire - ou ne pas faire - place aux femmes à la table du Conseil des ministres. C'est pourquoi, nous allons le voir, la proximité des femmes au pouvoir gouvernemental a beaucoup fluctué en raison des différents chefs d'État.

1. Les pionnières de Giscard ou des « profanes » à la barre

Les débuts de la V e République sont marqués de culture virile. Durant les quinze premières années, seules trois femmes accèdent à des fonctions gouvernementales. Modestes secrétaires d'État, Nafissa Sid Cara, Marie-Madeleine Dienesch et Suzanne Ploux sont reléguées dans le social et l'éducatif. Charles de Gaulle, archétype de l'homme d'État « viril », souhaitait gouverner entre hommes, percevant les femmes comme agents déstabilisateurs du corps politique 46 ( * ) . Son successeur, Georges Pompidou, ne reconsidère pas davantage l'inégal partage du pouvoir entre les sexes : ainsi le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas (juin 1969-juillet 1972), pourtant porteur d'un projet de « nouvelle société », ne comprend qu'une seule femme.

C'est Valéry Giscard d'Estaing qui rompt le premier avec cette culture masculine. Président jeune et « moderne », il saisit toute l'importance des mouvements de femmes des années 70. Il y répond de deux façons : en élargissant les droits de la citoyenneté des Françaises, et en faisant place à celles-ci au sein de l'exécutif. Sous sa présidence, la part des femmes dans le personnel gouvernemental passe à 9,5 %, contre 2,4 % sous de Gaulle et 3 % sous Pompidou, neuf personnalités féminines accédant à des responsabilités ministérielles (tableaux 1 et 2).

Le gouvernement Chirac, constitué le 27 mai 1974, comprend trois femmes, dont une ministre à part entière, établissant ainsi un double record. Tandis que Simone Veil est ministre de la Santé, Annie Lesur et Hélène Dorlhac de Borne sont secrétaires d'État, la première à l'Enseignement pré-scolaire, la seconde à la Condition pénitentiaire. Un mois et demi plus tard, la nomination de Françoise Giroud à la tête du secrétariat d'État à la Condition féminine, porte à quatre le nombre de femmes dans l'équipe (10,8 %). Le mouvement de féminisation va s'amplifier ultérieurement. Le deuxième gouvernement Barre (mars 1977-mars 1978) comporte six femmes après le remaniement de janvier 1978, soit 15% des effectifs, un record du monde prétendait-on à l'Élysée !

L'audace du nombre est tempérée par la modestie des fonctions attribuées aux femmes. Seules deux sur neuf seront ministres à part entière, une ministre déléguée, les autres étant secrétaires d'État. À ce confinement au bas de la hiérarchie s'ajoute leur relégation dans les secteurs socio-éducatifs : santé, famille, condition féminine, condition pénitentiaire, université, enseignement préscolaire.... Moderne sur la forme, Valéry Giscard d'Estaing reste traditionnel sur le fond, gardant intacte la vieille division du travail entre les sexes.

Celles qui entrent au gouvernement sont représentatives de la nouvelle génération de femmes qui veulent cumuler les rôles. Elles sont assez jeunes, (49 ans en moyenne lorsqu'elles accèdent au pouvoir), diplômées du supérieur, mariées, mères de famille et professionnellement actives. En revanche, elles manquent de ressources politiques, donc de poids. La plupart font leur entrée dans l'arène sans être élues, et parfois sans appartenir à un parti politique (c'est le cas de Simone Veil). Une seule est députée au moment de sa désignation, Hélène Missoffe. Les femmes ministres de Giscard sont des « techniciennes » avant d'être des politiques. Et cela a été très critiqué. On les accuse peu ou prou de devoir leur promotion à leur seule qualité de femme, sinon à leurs charmes physiques.

Deux personnalités sauront en particulier inscrire leur action dans la durée : Alice Saunier-Séité qui, plus de cinq ans durant, sera en charge des Universités et Simone Veil, qui sera, pendant la même durée, la très populaire ministre de la Santé. L' aura politique que lui confère le règlement d'un problème qui divisait la majorité - la légalisation de l'avortement - lui vaut d'être de tous les gouvernements du septennat. La popularité de Simone Veil (comme celle de Françoise Giroud) a contribué à bousculer les représentations. C'est dans la seconde moitié de la décennie 70 que les Français changent d'attitude quant au partage du pouvoir entre les sexes, acceptant de plus en plus volontiers que les femmes occupent des postes importants.

2. Des militantes aux technocrates : la génération Mitterrand

La féminisation de l'exécutif va prendre un tour décisif sous la présidence de François Mitterrand. Celui-ci choisit avec talent des femmes, le plus souvent jeunes et titrées, pour occuper des fonctions importantes tant au gouvernement que dans son cabinet et dans la haute fonction publique.

Les gouvernements Mauroy comptent 14 % de femmes. En 1981, François Mitterrand choisit les femmes ministres parmi les fidèles. Ainsi, quatre d'entre elles ont participé à la Convention des Institutions Républicaines (Edith Cresson, Nicole Questiaux, Yvette Roudy et Georgina Dufoix). Elles sont des « politiques » plus que des techniciennes : un trait qui les différencie des « femmes de Giscard ». Militantes de longue date, elles siègent dans les instances dirigeantes du PS, et la majorité sont dotées de mandats politiques. Sur les sept femmes qui ont été ministres de 1981 à 1986, quatre sont parlementaires.

Toutefois, durant le deuxième septennat, l'influence des « technocrates » issues des grandes écoles grandit au détriment des militantes et des élues. François Mitterrand va désormais recruter ses femmes ministres dans le vivier des cabinets ministériels, à commencer par le sien propre (où les énarques sont influents et les femmes de plus en plus nombreuses). Ainsi, Frédérique Bredin, Ségolène Royal, Élisabeth Guigou ont fait leur classe comme conseillères du président, avant d'occuper le devant de la scène politique. Dans le gouvernement d'Edith Cresson (mai 1991- avril 1992), quatre des six femmes ministres sont passées par l'ENA. Dans celui de Bérégovoy (avril 1992-avril 1993), cinq sur sept ont fait leur classe dans cette « école du pouvoir » : Martine Aubry, Frédérique Bredin, Élisabeth Guigou, Ségolène Royal, Catherine Tasca. Sur ces cinq énarques, trois ne sont pas députées. Élisabeth Guigou et Catherine Tasca attendront les législatives de 1997 avant d'entrer au Palais Bourbon. Quant à Martine Aubry, elle sera nommée trois fois ministre sans être ni maire ni députée. Les femmes imitent donc le modèle masculin d'accès au pouvoir : comme les hommes, elles suivent le cursus inversé, qui va de l'ENA aux cabinets ministériels puis à l'entrée au gouvernement et à la députation.

Durant le premier septennat, la répartition du pouvoir entre ministres des deux sexes est assez décevante par rapport à ce qui était attendu : sur les six femmes qui font leur entrée au gouvernement en 1981, seules deux détiennent des ministères « pleins ». Edith Cresson est nommée à l'Agriculture - secteur masculin s'il en est - et Nicole Questiaux, première femme ministre d'État en France, a en charge la Solidarité nationale, un portefeuille clé dans un gouvernement qui veut mener une politique de redistribution.

La création, en 1981, d'un grand ministère des Droits de la femme fait cependant date. S'il n'est d'abord que « délégué » (jusqu'en juillet 1984), il a une bonne place dans la hiérarchie, étant directement rattaché au Premier ministre. Yvette Roudy peut donc se prévaloir de l'autorité de celui-ci pour réunir un comité interministériel. Durant le deuxième septennat, ce « grand » ministère disparaît sous le premier gouvernement Rocard, avant de renaître sous la forme d'un secrétariat d'État 47 ( * ) . D'abord dirigé par Michèle André, il l'est ensuite par Véronique Neiertz.

C'est au cours du deuxième septennat mitterrandien que les femmes ministres acquièrent un poids politique croissant. Ainsi, le gouvernement d'Edith Cresson comprend six femmes dont trois sont ministres, deux ministres déléguées, et une seule secrétaire d'État. Le gouvernement de Pierre Bérégovoy, qui lui succède, comporte sept femmes, dont trois ministres à part entière, deux ministres déléguées, deux secrétaires d'État. Si tous les portefeuilles « régaliens » leur échappent encore, elles ont en charge des secteurs importants. Edwige Avice est ainsi par deux fois nommée ministre déléguée aux Affaires étrangères, et Catherine Tasca deux fois ministre déléguée à la Communication. Quant à Martine Aubry, elle dirige durant deux ans le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle. En outre, les femmes joueront un rôle déterminant dans l'une des priorités politiques du second septennat, l'Europe. En 1988, Edith Cresson est nommée ministre des Affaires européennes et le restera jusqu'à sa démission du gouvernement Rocard en 1990. À cette date, Élisabeth Guigou lui succède avec le titre de ministre déléguée, et le demeurera jusqu'en 1993. Les femmes se forgent une autre spécialité dans un secteur nouveau, promu à un bel avenir politique, l'Environnement : Huguette Bouchardeau détient ce portefeuille de 1983 à 1986, puis Ségolène Royal de 1992 à 1993, avant que d'autres prennent la relève sous les présidences de Jacques Chirac.

Les femmes ministres du pouvoir socialiste sont plus jeunes (45 ans, en 1981) que sous l'ère giscardienne. Durant le second septennat, la moyenne d'âge s'abaisse encore : 43,5 ans sous le gouvernement de Bérégovoy. Ce rajeunissement traduit l'arrivée de nouvelles figures : Martine Aubry (41 ans, lorsqu'elle est nommée pour la première fois), Frédérique Bredin (35 ans), Marie-Noëlle Lienemann (41 ans), Ségolène Royal (39 ans). C'est l'ère des « quadras ». Pour la plupart « inventées » politiquement par François Mitterrand, elles feront leur chemin, puisque on les retrouvera en bonne place dans le gouvernement Jospin.

La longévité ministérielle des femmes socialistes est assez grande. Lors du premier mandat de François Mitterrand, Edwige Avice, Edith Cresson, Yvette Roudy, Catherine Lalumière et Georgina Dufoix sont de tous les gouvernements. Toutes sont restées cinq ans en fonction, même si certaines voient leur affectation changer. Certaines vont perdurer aux affaires d'un septennat à l'autre, dont Edith Cresson et Edwige Avice. Cette dernière détient le record de longévité, soit neuf ans. Treize personnalités féminines ont eu accès à des responsabilités ministérielles lors du second mandat mitterrandien, contre sept lors du premier mandat. Le vivier des femmes ministrables s'étend donc, tandis que leur pouvoir et leur popularité vont croissants. Plusieurs accèdent à la notoriété « sondagière », symbolisée par l'entrée dans les baromètres de BVA et de la SOFRES.

Les deux gouvernements de cohabitation montrent que la droite promeut moins de femmes (10 % environ dans les gouvernements Chirac en 1986 et Balladur en 1993), les nommant en outre à des postes plus traditionnels et hiérarchiquement inférieurs. Le gouvernement Chirac compte trois secrétaires d'État pour une seule ministre déléguée. Celui de Balladur, qui ne comprend aucun secrétaire d'État, donne par ce fait l'illusion de faire monter les femmes dans la hiérarchie. Il les confine pourtant, comme le gouvernement Chirac avant lui, dans des secteurs assez convenus : Affaires sociales, Jeunesse et Sports, Action humanitaire.

3. De l'instrumentalisation à la professionnalisation : le premier mandat de Jacques Chirac

L'arrivée de Jacques Chirac à l'Élysée se traduit par une apparente féminisation de la scène, puisqu'il fait entrer douze femmes dans le gouvernement d'Alain Juppé. C'est un nouveau record historique. Pourtant, le rang protocolaire qui leur est imparti ne leur donne guère les moyens d'agir. La mieux placée dans la hiérarchie arrive bonne quatorzième, tandis que la majorité d'entre elles sont secrétaires d'État.

Dans cette équipe pléthorique de 42 membres, elles constituent 28,5 % des effectifs, mais 57 % des secrétaires d'État (8 sur 14) et ... 15 % seulement des ministres à part entière (4 sur 26). Les portefeuilles distribués aux quatre femmes ministres de plein exercice ne marquent aucune rupture symbolique forte. L'Environnement est attribué à Corinne Lepage, le Tourisme à Françoise de Panafieu. Quant aux Affaires sociales, elles sont confiées conjointement à Élisabeth Hubert (Santé publique et Assurance maladie) et Colette Codaccioni (Solidarité entre les générations). Les secteurs « régaliens » sont tous tenus par des hommes.

La seule nouveauté de ce gouvernement de droite est le choix de femmes jeunes (46 ans en moyenne, contre 48,6 ans pour l'ensemble du gouvernement), et, pour certaines, célibataires (on en compte quatre). Il est vrai que presque toutes les autres « compensent » dans le symbolisme opposé, puisqu'on dénombre six mères de famille nombreuse. Si le gouvernement Juppé a fait appel à de vraies professionnelles, il comprend aussi des « bleues », entrées quasi fortuitement en politique. Appartiennent à la catégorie des « pro », les sept femmes qui sont parlementaires. Toutes les autres promues de mai 1995 sont, en revanche, des néophytes ne possédant pour certaines ni assise locale ni ressource politique.

Le gouvernement le plus féminisé de l'histoire de la République va faire long feu. Six mois après, le 7 novembre 1995, Alain Juppé forme son deuxième gouvernement, en congédiant douze ministres, dont huit femmes, celles-ci constituant les deux-tiers des licenciés. La nouvelle équipe, réduite à 32 membres, ne comprend plus que quatre femmes (dont une seule ministre de plein exercice), ce qui fait chuter le taux de féminisation de 28,5 % à ... 12,5 %, soit un score inférieur à la moyenne européenne.

La victoire des socialistes, en juin 1997, marque un tournant dans l'histoire de la République. Dans le gouvernement de Lionel Jospin, constitué le 4 juin 1997, les femmes sont à la fois nombreuses (8 sur 26, soit 30 %) et dotées de responsabilités importantes. Cela correspond aux attentes des Français, 88 % d'entre eux souhaitant alors, selon un sondage CSA, qu'au moins un tiers des postes ministériels soit confié à des femmes. Leur part est presque trois fois importante au gouvernement qu'à l'Assemblée nationale (10, 9 %).

Au sein de la hiérarchie gouvernementale, elles sont haut placées. Cinq femmes sont ministres de plein exercice, les deux premiers postes leur étant attribués. Tandis que Martine Aubry, numéro deux, dirige un grand ministère de l'Emploi et de la Solidarité, Élisabeth Guigou, numéro trois, est la première femme Garde des Sceaux de la République, poste régalien par excellence. En juin 1997, aucune structure ministérielle propre n'a en charge les droits des femmes : ceux-ci sont de la compétence de Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité. Par la suite, et sous la pression des féministes, le Premier ministre va combler ce manque. Instituant d'abord, en novembre 1997, une délégation interministérielle aux Droits des femmes (confiée à Geneviève Fraisse), il attribue ensuite le dossier, en novembre 1998, à la secrétaire d'État à la Formation professionnelle, Nicole Péry (qui dépend de Martine Aubry).

Cinq socialistes, deux communistes, une Verte, les femmes illustrent la composition plurielle du gouvernement. C'est la première fois que des représentantes du Parti communiste accèdent à des responsabilités ministérielles. Sur les trois postes dévolus aux communistes, deux sont réservés à des femmes. C'est aussi la première fois qu'une représentante des Verts entre au gouvernement. Symbole de la pluralité politique, les femmes le sont aussi de la jeunesse ministérielle. À elles huit, elles n'ont en moyenne que 46,7 ans (contre 51 ans et demi pour l'ensemble des ministres), la benjamine étant Dominique Voynet, qui n'a que 38 ans. Toutes sont mères de famille, Dominique Voynet et Ségolène Royal ayant des enfants en bas âge.

Jeunes, les femmes ministres de la gauche plurielle n'en sont pas moins expérimentées. Quatre d'entre elles ont des responsabilités nationales au sein de leur parti (Marie-George Buffet étant numéro deux, et Dominique Voynet numéro un de leur parti respectif). Quatre ont déjà exercé des responsabilités ministérielles : Martine Aubry, Élisabeth Guigou, Ségolène Royal et Catherine Trautmann, actrices phares de la génération Mitterrand, vont devenir des figures centrales de la génération Jospin. Sept des huit femmes présentes au gouvernement ont été élues (ou réélues) députées en mai-juin 1997, la huitième, Michelle Demessine, étant sénatrice depuis 1992. Toutes possèdent en outre un ou plusieurs mandats locaux. Le Premier ministre a donc puisé ses femmes ministres dans le vivier des élus, et non dans la société civile. Enfin, trois d'entre elles (Martine Aubry, Élisabeth Guigou et Ségolène Royal) sont anciennes élèves de l'ENA, soit 37,5 %. C'est plus que la moyenne du gouvernement (30,7 %) qui, pourtant, bat des records en matière de recrutement énarchique. Ainsi, les femmes consacrent plus qu'elles ne contrarient l'élitisme de l'exécutif.

En quatre ans, le taux de féminité des gouvernements de la gauche plurielle n'est jamais redescendu sous le seuil initial de 30 %. Lionel Jospin a été d'autant plus incité à « jouer les femmes » que celles-ci bénéficient d'une forte popularité. Ainsi, en septembre 1998, après plus d'un an d'existence du gouvernement, l'avantage moyen pour les six femmes ministres testées dans le baromètre BVA/ Match est de huit points. Leur popularité est d'ailleurs aussi forte parmi les hommes (50 % en moyenne pour les six) que parmi les femmes (49 %), alors que les hommes ministres sont moins populaires chez les premières (38 %) que chez les seconds (45 %).

Conclusion

La féminisation de l'exécutif est désormais inscrite dans la durée, ayant survécu au départ des socialistes. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, qui, comptait initialement dix femmes, en comporte onze (en mars 2004), dont trois ministres, quatre ministres déléguées et quatre secrétaires d'État. L'attribution de la Défense à Michèle Alliot-Marie est un symbole fort. Si la droite a pris la mesure du rôle nécessaire des Françaises en politique, la plupart de celles qui siègent au gouvernement n'ont toutefois pas le même degré de professionnalisme que sous la gauche regnante 48 ( * ) , et se sont vu attribuer des portefeuilles moins importants.

Paradoxe de la vie politique française depuis 30 ans, les femmes sont, proportionnellement, plus nombreuses à gouverner qu'à légiférer. La loi du 6 juin 2000, dite loi sur la parité, n'a pas mis fin à cette contradiction. Or, tant qu'il n'y aura pas une « masse critique » de femmes au Parlement, la poignée de celles qui sont promues au sein de l'exécutif restent dans une situation précaire : elles apparaissent pour ce qu'elles sont, des « élues » du Prince, souffrant d'un déficit de légitimité.

Être femme politique en France relève encore trop souvent d'un destin d'exception, fait ou défait par la volonté présidentielle, et pas assez de la légitimité populaire, celle qu'octroie le suffrage universel. On peut d'ailleurs penser que l'égalité hommes/femmes dans la société ne progressera réellement que le jour où les Françaises siègeront à égalité (ou presque) au Palais Bourbon, et qu'elle pourront, elles aussi, concourir à la formation de la loi, expression de la volonté générale.

ANNEXE

TABLEAU 1. LES FEMMES AU GOUVERNEMENT, SOUS LES DIFFÉRENTS SEPTENNATS (1958-2001)

PÉRIODES

Effectif

total

Nombre

de

femmes

%

femmes

1959-1969

Charles de Gaulle

83

2

2,4

1969-1974

Georges Pompidou

68

2

3,0

1974-1981

Valéry Giscard d'Estaing

94

9

9,5

1981-1986

François Mitterrand 1

Gouvernements de gauche

70

7

10,0

1986-1988

François Mitterrand 1

Gouvernement de droite

42

4

9,5

1988-1993

François Mitterrand 2

Gouvernements de gauche

84

13

15,4

1993-1995

François Mitterrand 2

Gouvernement de droite

30

3

10,0

1995-1997

Jacques Chirac

Gouvernements de droite

46

12

26,0

1997-2001 (27/04)

Jacques Chirac

Gouvernements de gauche

44

14

31,8

Total V e République

561

66

11,8

Source : Cabannes, 1990 ; secrétariat général de l'Assemblée nationale, 1996.

Professionpolitique.comm

Tableau 2. Les femmes ministres et secrétaires d'État sous la Cinquième République(1959-2004)

Charles de Gaulle 1959-1969 = 2

Nafissa SID CARA

Marie-Madeleine DIENESCH

Georges Pompidou 1969-1974

= 2

Marie-Madeleine DIENESCH

Suzanne PLOUX

Valéry Giscard d'Estaing 1974-1981

= 9

Hélène DORLHAC

Françoise GIROUD

Annie LESUR

Hélène MISSOFFE

Nicole PASQUIER

Monique PELLETIER

Alice SAUNIER-SÉITÉ

Christiane SCRIVENER

Simone VEIL

François Mitterrand 1981-1988

= 11

Gouvernements socialistes = 7

Edwige AVICE

Huguette BOUCHARDEAU

Edith CRESSON

Georgina DUFOIX

Catherine LALUMIÈRE

Yvette ROUDY

Nicole QUESTIAUX

Gouvernements de droite = 4

Michèle ALLIOT-MARIE

Michèle BARZACH

Nicole CATALA

Lucette MICHAUX-CHEVRY

François Mitterrand 1988-1995

= 16

Gouvernements socialistes = 13

Michèle ANDRÉ

Martine AUBRY

Edwige AVICE

Frédérique BREDIN

Edith CRESSON

Hélène DORLHAC

Georgina DUFOIX

Élisabeth GUIGOU

Marie-Noëlle LIENEMANN

Véronique NEIERTZ

Ségolène ROYAL

Catherine TASCA

Catherine TRAUTMANN

Gouvernement de droite = 3

Michèle ALLIOT-MARIE

Lucette MICHAUX-CHEVRY

Simone VEIL

Jacques Chirac 1995-2002

= 26

Gouvernements de droite = 12

Nicole AMELINE

Christine CHAUVET

Colette CODACCIONI

Anne-Marie COUDERC

Élisabeth DUFOURCQ

Françoise HOSTALIER

Élisabeth HUBERT

Anne-Marie IDRAC

Corinne LEPAGE

Françoise de PANAFIEU

Margie SURDRE

Françoise de VEYRINAS

Gouvernements socialistes = 14

Martine AUBRY

Marie-George BUFFET

Michelle DEMESSINE

Dominique GILLOT

Élisabeth GUIGOU

Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

Marylise LEBRANCHU

Marie-Noëlle LIENEMANN

Ségolène ROYAL

Florence PARLY

Nicole PÉRY

Catherine TASCA

Catherine TRAUTMANN

Dominique VOYNET

Jacques Chirac 2002- 2004 (mars)

= 11

Michèle ALLIOT-MARIE

Nicole AMELINE

Roselyne BACHELOT-NARQUIN

Marie-Thérèse BOISSEAU

Nicole FONTAINE

Brigitte GIRARDIN

Nicole GUEDJ

Claudie HAIGNERÉ

Noëlle LENOIR

Tokia SAÏFI

Dominique VERSINI

Nombre total de femmes ministres et secrétaires d'État depuis les débuts de la Cinquième = 63

EDITH CRESSON

Puisque le sujet est « les femmes au gouvernement », je vais évoquer rapidement les différents postes ministériels que j'ai occupés, puis celui de Premier ministre.

J'ai commencé comme ministre de l'Agriculture. J'avais des compétences en agriculture, limitées, mais tout de même j'en avais un peu puisque j'avais siégé au parti socialiste dans une commission qui s'occupait des problèmes agricoles. Comme cela n'intéressait personne au parti socialiste, j'y suis allée... de même que la circonscription à laquelle on m'a envoyée et qui était imprenable, j'y suis allée... On envoie les femmes dans ces choses-là ! Donc j'ai pris la circonscription et ensuite, quand François Mitterrand a composé le premier gouvernement en 1981, il m'a invitée à venir le voir et m'a dit : « Il y a plusieurs ministères que vous pouvez avoir. Il y a les Affaires sociales, il y a quelque chose avec l'énergie, et puis l'Agriculture ». J'ai tout de suite compris qu'il voulait que je prenne l'Agriculture, parce qu'il m'a dit que c'était une provocation de mettre une femme à l'Agriculture. On ne résiste pas à une provocation ! Il m'a dit que c'était très dur parce qu'il fallait discuter des prix agricoles à Bruxelles toute la nuit.

Mais ce n'était pas du tout cela qui était dur, c'était l'agriculteur français qui était dur... La première fois que je suis arrivée devant les agriculteurs, il y avait une grande banderole où il était écrit : « Edith, on t'espère meilleure au lit qu'au ministère ! » J'ai dit : « Cela tombe bien que je sois à l'Agriculture parce que vous êtes des porcs et je vais pouvoir m'occuper de vous ». Incroyable ! Cela a été assez chaotique, ils ont voulu me jeter dans des fosses à purin, etc., et puis finalement je leur ai obtenu à Bruxelles les meilleurs prix de leur histoire (jamais merci, ni rien), et quand je suis partie ils ont dit qu'ils regrettaient, sauf le président de la FNSEA dont je ne citerai pas le nom par charité, qui a dit : « ah, enfin, je vais pouvoir discuter les yeux dans les yeux avec un homme ».

Ensuite, je me suis occupée du Commerce extérieur. Là, c'est tout à fait différent, ce sont les patrons de PME (les grosses sociétés aussi, mais eux n'ont pas trop besoin du ministre). J'ai emmené les PME à l'étranger, et là j'ai eu des gens tout à fait courtois et plutôt reconnaissants de ce qu'on faisait pour eux, parce qu'en plus on a fait des choses qu'ils n'avaient jamais vues. Dans l'industrie, on a eu à gérer principalement le déclin de la sidérurgie française, qui était quelque chose de terrible. En gros, avec les syndicats, cela s'est plutôt bien passé. Il y a eu beaucoup d'autres épisodes, mais je passe.

J'ai été ensuite aux Affaires européennes, où c'est très difficile parce qu'on est coincé entre l'Élysée et le Quai d'Orsay et on ne peut pas faire grand-chose. Et je suis partie dans le privé. Lorsque j'ai été rappelée par le président de la République un jour, et qu'il m'a dit qu'il souhaitait que je sois Premier ministre, j'ai commencé par refuser deux fois, parce qu'en plus, dans la deuxième partie du deuxième mandat, vous imaginez comment cela se passe ! Les gens sont de plus en plus exaspérés que ce soit toujours le même à la même place. J'ai donc refusé, il a insisté, j'ai fini par accepter, et là un véritable climat d'hystérie s'est développé.

Je pense que la société française est prête à ce qu'il y ait des femmes ministres parce que, comme on dit, « il en faut ». C'est une espèce de fatalité... « Il faut en mettre », alors on les met ! Pas trop, naturellement, mais il en faut... C'est comme dans les municipalités. Dans les municipalités on en met, sauf que dans les municipalités, on a toujours du mal à trouver des femmes parce qu'elles disent : « Demandez plutôt à mon mari, parce que je ne sais pas si je serai à la hauteur ». Je n'ai jamais vu un seul homme, dans toute ma carrière, me dire qu'il redoutait de ne pas être à la hauteur. J'en ai vu refuser des fonctions parce qu'ils envisageaient autre chose de mieux pour eux, mais jamais aucun n'a dit : « Je ne sais pas si je serai à la hauteur ».

Donc, Premier ministre était quelque chose qui était pour eux impensable, et ils ne l'avaient pas du tout prévu. Je dois dire que moi non plus ! Donc, comme beaucoup d'entre eux veulent être Premier ministre, parce que quand même le Premier ministre, primus inter pares , est mieux que les autres, dans leur esprit c'est comme cela, vous êtes Premier ministre parce que vous êtes mieux que les autres pour cette fonction-là à ce moment-là. Et cela les rend fous ! À gauche comme à droite, ils sont nombreux à vouloir ce poste et ils s'y préparent longtemps à l'avance. Généralement, quand ils s'y préparent longtemps à l'avance, c'est un échec. Mais ils s'y préparent avec une fougue incroyable, et pendant ce temps on ne peut pas travailler. Tous les Premiers ministres qui sont interviewés le disent : c'est un enfer. Non pas parce qu'il y a une surcharge de travail (elle existe, bien sûr), mais parce qu'on est attaqué sans arrêt, et généralement de la part de ceux dont on ne s'y attend pas, et sur des sujets grotesques. Et lorsque vous êtes une femme c'est pire, parce qu'on ne vous attaque pas sur votre politique, mais on dit : « Pourquoi elle est coiffée comme ça, pourquoi elle est habillée comme ça, pourquoi elle a dit ça, pourquoi elle a fait ça ? » Et, pendant qu'on réfléchit à la façon dont on va répondre et parer les coups, on ne travaille pas, ce qui est contraire à l'intérêt du pays. Cela favorise la montée des extrêmes, et c'est très préjudiciable aux femmes en général. Donc j'ai dit à toutes les personnes qui m'interrogeaient que si c'était à refaire je ne le referais pas. En plus, pour ma famille cela a été extrêmement pénible.

Voilà ce que je peux vous dire de mon parcours au gouvernement...

YVETTE ROUDY

Je suis heureuse de me trouver aujourd'hui parmi vous, particulièrement avec Monique Pelletier, Edith Cresson, Simone Veil, Hélène Gisserot, puisque nous avons eu l'occasion de participer à une sorte d'aventure pendant quelque temps : nous avions décidé, cinq femmes politiques de droite et cinq de gauche c'était en 1996 , de nous réunir pour exiger la parité politique. Cela veut dire que dans certaines circonstances, sans renier nos familles politiques respectives, on peut se retrouver sur des points ponctuels pour revendiquer des choses qui nous rassemblent.

Pour ma part, j'ai donc été appelée à une fonction ministérielle en 1981. J'ai eu à diriger un ministère de mission, avec François Mitterrand. Je prenais la succession de Monique Pelletier dans un ministère qui lui ressemblait  mais pas tout à fait semblable. J'avais pour moi un gros avantage : j'arrivais avec une lettre de mission, j'appelais cela ma feuille de route. Dans ma famille politique, nous avions travaillé autour de François Mitterrand pendant plusieurs années à ce que l'on a appelé « les 110 propositions ». Beaucoup de gens sourient maintenant à cette évocation. En même temps, c'était important politiquement, parce que cela voulait dire que des gens avaient longtemps réfléchi à un certain nombre de sujets, à un certain nombre de projets. Cela avait été le fruit d'une réflexion qui montait de la société.

Dans les 110 propositions, une bonne douzaine concernaient les droits des femmes. Donc je suis arrivée tranquillement, sans me douter de ce qui m'attendait, mais très sûre de ma légitimité. J'avais été parlementaire européenne, après j'ai été parlementaire nationale, j'ai été maire, j'ai eu des mandats, j'ai fait une quinzaine d'élections, la moitié élue, la moitié battue. Mais c'est normal parce qu'on ne vous envoie jamais dans des endroits faciles. C'était souvent parce que des hommes avaient refusé d'y aller. Il se trouve que les femmes ne sont pas mauvaises dans les campagnes, elles sont plutôt bonnes.

Quand je suis arrivée au ministère des Droits de la femme, je tenais beaucoup à cette appellation de « Droits », parce que pour moi c'est une référence républicaine. C'était la légitimité. Donc j'avais une feuille de route. Je me suis tout de suite mise à l'application de cette feuille de route, et j'ai tout de suite rencontré d'énormes difficultés. Parce qu'on se trouve dans un vieux pays, avec des institutions qui ne sont pas jeunes, avec un appareil d'État qui est remarquable de robustesse et de résistance, et qui n'aime pas ce qui est nouveau. Chaque fois que je proposais quelque chose, un directeur arrivait immédiatement, qui me disait : « Madame la ministre, ce que vous demandez n'est pas possible ». Et quand je lui demandais pourquoi, il répondait : « parce que cela ne s'est jamais fait ». Mais justement, ce que je proposais, c'était parce que ça ne s'était jamais fait ! Et à chaque fois j'ai dû faire appel à des arbitrages. J'ai eu de la chance, car j'avais un Premier ministre (Pierre Mauroy, deux fois) et François Mitterrand qui me soutenaient. L'appareil d'État n'était pas favorable à ce que je proposais, que ce soit l'égalité professionnelle, le remboursement de l'IVG, que ce soient même des campagnes d'information sur la contraception, l'égalité entre époux, que sais-je encore... J'accompagnais mes lois de campagnes d'information, parce que je fais partie de ceux qui pensent qu'une loi est nécessaire mais n'est pas suffisante, qu'ensuite il faut l'expliquer, il faut des campagnes d'information, il faut une volonté politique pour veiller à son application. Et nous sommes dans un vieux pays où ces traditions-là n'existent pas, contrairement à ce qui se fait dans les pays scandinaves.

Donc cela a duré cinq ans, ensuite, en 1986, le ministère n'a pas été renouvelé, il a littéralement explosé. C'était à la fin un ministère à part entière, mais on ne l'a jamais reconstitué à l'identique. Cela, c'est l'appareil d'État français. Il faut savoir que la France n'est pas féministe. Je souligne au passage que le féminisme n'est pas un mot inconvenant, c'est un mot plein de noblesse. Cela veut dire tout simplement que les femmes ont envie d'occuper leur place, pleine et entière.

Ayant évoqué tout cela rapidement, je dirai, pour conforter ce qu'a dit Edith Cresson, que les femmes ont un complexe d'infériorité par rapport à la politique. Il faut qu'elles s'en débarrassent. Nous avons une loi sur la parité. Elle est insuffisante mais nous avons un vivier. Ce sont les municipales et cela va être les régionales. Il faut que ces femmes-là sachent qu'elles ont deux missions : remplir leur mandat de conseillères régionales et municipales. Il faut aussi qu'elles sachent qu'elles ont à aller plus loin dans la loi sur la parité qui a été détournée pour ce qui est des législatives. Parce que tous les partis politiques ont préféré payer une taxe que de présenter 50 % de femmes. Donc ces femmes-là ont cette responsabilité.

On veut opposer en ce moment le féminisme moderne aux autres. Moi, je salue et je soutien les filles de « Ni putes, ni soumises », qui ont beaucoup de courage. Elles ont fait émerger un vrai problème qu'on n'avait pas vu, il faut les soutenir. Elles se mettent à la politique. Tout ce que nous avons fait, nous, avant, est aussi utile à ce qu'elles font aujourd'hui, et ce n'est pas terminé, parce qu'il y a encore beaucoup à faire. Il faut que les femmes soient plus audacieuses.

Je dirai, pour terminer, qu'une chose m'a frappée je choisis un fait parmi d'autres. Quand j'ai été élue maire (j'ai été maire douze ans), j'avais fait la parité avant la loi. Je suis allée chercher des femmes parce que je voulais la parité. Toutes celles que j'ai sollicitées pour être sur ma liste m'ont dit : « Est-ce qu'il y a un endroit où je peux me former ? ». Aucun homme ne m'a posé cette question. Ils sont naturellement formés ! Il y a ce complexe, et ce complexe il faut à tout prix que les femmes le surmontent parce qu'il y a encore beaucoup à faire. Il y a l'inégalité entre les salaires, les violences, la formation où il y a des déficits. Beaucoup de choses restent à faire. Et c'est aux nouvelles générations, maintenant, de reprendre le flambeau. C'est ce que je leur demande.

CORINNE LEPAGE

Je serai rapide dans mon propos, pour centrer ce que je souhaitais dire sur quatre points.

Premièrement, je rentre complètement dans le schéma de Mme Sineau. Je suis une femme ministre par la grâce du prince. J'avais une légitimité technique, je n'avais pas de légitimité politique, si ce n'est un mandat local que j'avais conquis dans une petite commune, donc sans appartenance politique particulière, mais je n'avais jamais été et je ne le suis toujours pas, je reviendrai sur ce point députée.

Deuxièmement, je rentre dans la particularité d'avoir été la seule ministre de plein exercice du gouvernement Juppé deux. Margie Sudre était à l'époque secrétaire d'État, nous n'étions plus que quatre. Et je dirai que j'ai beaucoup souffert, et je pense que Margie a souffert de la même manière, de ce qui s'est passé en novembre 1995. Peut-être que, si nous avions pu réagir... Mais les choses se sont déroulées de telle manière qu'on ne les a apprises que par la radio, comme tout le monde, en tout cas dans mon cas : j'ai été prévenue à trois heures de l'après-midi que je restais au gouvernement, et à quatre heures la radio annonçait le remaniement. Par conséquent nous n'avons pas pu organiser la moindre résistance pour soutenir nos collègues, parce que c'était déjà terminé. Moi qui suis féministe comme Yvette Roudy, je ne trouve pas que « féministe » soit un gros mot , j'en ai beaucoup souffert.

Troisièmement, si je n'ai souffert en tant que ministre d'aucune difficulté particulière du fait d'être une femme dans mes rapports avec les autres ministres, le Premier ministre et le président de la République, cela n'a pas été la même chose à l'Assemblée nationale. En particulier, j'ai vécu, au moment où j'ai voulu faire voter le code de l'environnement, une série d'injures venant de ma propre majorité, qui n'auraient jamais été proférées à l'égard d'un homme, j'en suis absolument convaincue. Aucun député n'aurait osé dire à un homme que son texte qui n'était du reste pas le mien, parce qu'un code, vous imaginez bien que ce n'est pas le ministre qui l'a gratté ! était une m..., un torchon juridique, et tutti quanti . J'ai été à ce moment-là très heureuse de trouver de la solidarité chez d'autres femmes anciennement ministres, et je pense en particulier à Ségolène Royale qui est montée au créneau pour dire que c'était scandaleux, que c'était un acte de misogynie pur et simple, et c'en était effectivement un.

Je dirai en quatrième point que pour des femmes indépendantes et nous le sommes toutes à cette tribune , il y a une difficulté. Quand vous êtes un homme, vous avez du caractère. Quand vous êtes une femme, vous avez mauvais caractère. Et, par voie de conséquence, compte tenu de notre système et du mode de fonctionnement des partis politiques, il est vrai qu'il ne fait pas bon être une femme de caractère voulant faire de la politique et voulant défendre ses idées. C'est tellement plus simple, y compris quand on applique la loi sur la parité, de faire monter des amies, des femmes, des soeurs, des maîtresses (je dis peut-être des choses qui fâchent, mais je dis les choses comme elles sont)... C'est plus simple et cela permet de garder une certaine maîtrise des choses. Par conséquent, je crois qu'il y a là effectivement un besoin de faire évoluer la loi qui m'apparaît tout à fait nécessaire.

Enfin, je crois beaucoup au combat commun. Je faisais partie de ces dix de la parité, avec Edith Cresson, Yvettes Roudy, Monique Pelletier, Hélène Gisserot, Simone Veil, et nous avons fait du bon travail ensemble, parce que nous avons su dépasser nos clivages politiques. J'étais dans la manifestation de « Ni putes, ni soumises » avec Fadela Amara à côté d'Arlette Laguillier, et j'étais contente que des femmes aussi différentes se retrouvent pour soutenir ce combat qui est absolument majeur, le combat contre les intégrismes que nous avons, nous les femmes, à mener en première ligne.

Je pense qu'il faudra faire évoluer la loi. Mais je voudrais, en guise de conclusion, avoir un propos assez pragmatique. Les femmes qui seront élues dans les prochaines régionales vont être à parité avec les hommes. Eh bien je souhaite, et j'ai pris une initiative en ce sens, que sur un certain nombre de sujets à commencer par celui de l'égalité des femmes, mais il y en a quelques autres, et je pense en particulier à la santé et au problème des enfants , elles soient capables de se retrouver dans des intergroupes pour essayer de pousser un certain nombre de sujets, y compris si ça ne plaît pas nécessairement à tous les messieurs de leurs groupes politiques habituels. Et je pense que ce serait une manière de montrer que nous sommes capables de nous organiser, que nous sommes capables de changer les choses de l'intérieur, et que le combat que nous avons mené, à un certain nombre, pour la parité, toutes tendances politiques confondues depuis des années, ne répond pas seulement à un problème d'égalité, qui serait suffisant, mais à la nécessité de changer les règles du jeu dans ce pays. Car, si nous ne changeons pas ces règles du jeu, nous n'arriverons jamais au bout de ces immenses problèmes de société que nous avons à résoudre. L'humanité est faite à part égale d'hommes et de femmes. Les solutions qui sont apportées ne doivent pas être seulement des solutions d'hommes, elles doivent être des solutions mixtes, ce qui implique que nous ayons notre part entière dans la définition des règles du jeu et des priorités. Je dirai que tout l'enjeu autour de la parité est beaucoup plus celui-là, c'est-à-dire celui d'être capable d'influer sur les solutions, que celui de revendiquer uniquement une égalité arithmétique. C'est beaucoup plus important que cela car de ce combat-là, je suis convaincue que dépendra notre faculté à nous Français de venir à bout des problèmes immenses de confiance, de solidarité et de crise que nous avons sur la table, et que les hommes seuls ne pourrons pas résoudre sans nous.

HÉLÈNE GISSEROT

J'ai deux petites précisions à apporter liminairement. La première c'est qu'à cette table, je suis la seule qui n'ait jamais été ministre. Et deuxièmement, précision chronologique : j'ai été nommée à la condition féminine lorsque Mme Roudy a quitté le poste de ministre des droits des femmes, donc, entre 1986 et 1988 ; j'ai pris place exactement entre Yvette Roudy et Michèle André.

J'ai exercé mes fonctions avec un statut qui était un statut administratif. Il n'est pas inutile de rappeler très rapidement le contexte dans lequel cela s'est produit. Au lendemain, en effet, des élections de mars 1986, la composition du gouvernement ne faisait apparaître aucun ministre ou secrétaire d'État ayant spécifiquement en charge le portefeuille des femmes. Bien sûr, le décret du 4 avril 1986 indiquait que Philippe Séguin, ministre des Affaires sociales et de l'Emploi, recevait « les attributions précédemment dévolues au ministre des droits des femmes », mais c'était tout. Et les services centraux du ministère, qui étaient avenue d'Iéna où Mme Roudy les avait installés, se sont trouvés du jour au lendemain d'une part sans responsable à leur tête puisque c'était le cabinet de Mme Roudy qui en assumait la direction, d'autre part menacés dans leur implantation même, car un ministre venait de prendre place dans le bureau qu'occupait Mme Roudy. Cette situation n'a pas manqué de susciter des réactions vigoureuses de l'opposition par la voix de Mme Roudy, députée, et également par la voix des associations féminines qui ont manifesté leur protestation.

C'est dans ce contexte qu'un mardi, fin mars ou début avril, à 13 heures, j'ai reçu un coup de téléphone de Philippe Séguin me demandant si j'acceptais de prendre la responsabilité de déléguée à la Condition féminine. J'ai eu un instant d'hésitation. J'allais demander, par prudence, quelques heures de réflexion, quand mon mari, qui était là, m'a dit : « Accepte ». Je n'ai même pas demandé le temps de réflexion nécessaire ! Peut-être était-ce de l'imprudence de ma part, mais aujourd'hui je me félicite de l'avoir fait.

J'ai donc pris cette responsabilité dans un contexte un peu particulier, et, en réalité, la délégation à la Condition féminine a toujours été, pendant les deux ans durant lesquels j'ai été à sa tête, un organisme de nature hybride. Bien sûr, c'était une structure administrative, et elle était bien présentée comme telle dans le décret de constitution. Le passage, d'ailleurs d'une structure politique à une structure administrative était justifié par le fait que, la conquête des droits ayant été achevée pour l'essentiel, il convenait désormais d'inscrire les droits en question dans les faits, et qu'une structure administrative paraissait mieux adaptée pour cette tâche.

Je rappelle ici, pour l'histoire, que telle avait été déjà la motivation de la création, en 1976, après Mme Giroud, d'une délégation à la condition féminine qui avait été confiée à Nicole Pasquier puis à Jacqueline Nonon, et il n'est pas inintéressant de rappeler aussi que Jacqueline Nonon a donné sa démission faute de disposer des moyens de mener efficacement son travail. Ce n'était pas très encourageant pour moi, mais cela faisait partie du contexte.

Ceci dit, j'ai donc été rattachée à Philippe Séguin, qui avait un ministère des Affaires sociales et de l'Emploi extrêmement large. Le rattachement pouvait se justifier dès lors qu'il avait dans sa compétence à peu près tous les secteurs concernant les femmes, à savoir l'emploi, la famille, la santé, la protection sociale, la formation professionnelle, l'égalité professionnelle. De fait, ce rattachement, depuis, a été renouvelé à plusieurs reprises.

Comme Philippe Séguin avait énormément de choses à faire, il m'a laissé la bride sur le cou. Il me l'avait dit d'ailleurs lui-même : « Je n'ai pas le temps de m'en occuper, je vous fais confiance, je vous laisse la bride sur le cou jusqu'à la gaffe ». À moi d'éviter la gaffe. Si je l'avais commise, c'était à moi d'en assumer la responsabilité.

Il y avait donc une ambiguïté dans mon statut. La preuve, c'est que cette ambiguïté demeure encore, quinze ans après. Et cette ambiguïté, Philippe Séguin m'avait demandé de la cultiver au plan international parce qu'il ne souhaitait pas (il n'en avait pas le temps, et peut-être pas le goût) participer au Conseil des ministres européens qui rassemblait les ministres en charge des affaires de femmes les women's affairs il souhaitait donc que j'y aille. Mais, pour ne pas dévaloriser la France, il souhaitait que j'y aille avec un statut quasi ministériel. Donc il m'avait invitée à cultiver l'ambiguïté, ce que j'ai fait pendant deux ans.

Encore un mot sur la dénomination. Le terme « droits des femmes » avait été écarté, probablement pour des raisons politiques, par réaction par rapport à la période précédente. Pour ma part, j'avais proposé « délégation à la promotion des femmes », qui me paraissait avoir un caractère plus dynamique et porteur d'avenir. Cette suggestion a été refusée parce que le terme de promotion faisait commercial, et on est revenu à la dénomination initiale de « condition féminine ».

Quels sont les atouts dont je disposais ? Il est clair d'abord que cette ambiguïté de statut, m'a facilité les choses. Le deuxième atout, c'est que j'héritais des moyens que Mme Roudy avait conquis pour le ministère des droits des femmes, et notamment d'un budget qui, même s'il était modeste (130 millions de francs en 1986, dont 72 millions de crédits d'intervention), permettait le cas échéant d'avoir un effet de levier, à condition de résister à la tentation du saupoudrage qui est toujours présente dans ce genre d'exercice. Troisième atout, qui remonte à 1974, c'est l'existence d'un réseau de déléguées régionales et de chargées de réseau départementales à la condition féminine qui assurent une présence sur le terrain extrêmement utile dans deux directions : d'abord pour faire remonter l'information concrète sur la situation des femmes, pour mettre en oeuvre les décisions prises. Je dois, ici, rendre hommage non seulement au travail qu'elles ont accompli et qu'elles continuent d'accomplir, mais également aux préfets auprès desquels elles étaient rattachées et qui ont été le plus souvent d'excellents relais pour la politique en direction des femmes.

Donc, un bon nombre d'atouts, mais aussi quelques handicaps. Je reviendrai sur ceux que vient de citer Yvette Roudy : c'est une administration de mission, qui doit convaincre les interlocuteurs en charge des dossiers d'adopter, dans leurs champs de compétence respectifs, les dispositions nécessaires. Or, si j'ai essayé de constituer un réseau de correspondants ministériels, j'ai eu beaucoup de mal à le faire fonctionner, faute d'institutionnalisation. Le comité interministériel aux droits des femmes ne s'était pas réuni depuis 1983, et je n'ai pas réussi à le réunir entre 1986 et 1988. Et c'est peut-être là que j'ai le plus ressenti l'inconvénient de mon statut administratif. Le fait que je ne participais pas au Conseil des ministres m'enlevait une possibilité d'essayer de convaincre les ministres de la pertinence des propositions formulées.

J'ajouterai un second handicap : l'absence de lien d'expression des besoins, de recherche et de réflexion suffisamment organisé tout en étant indépendant des pouvoirs publics pour exercer sur eux une pression constructive. De ce point de vue, le conseil supérieur de l'égalité professionnelle n'avait pas dans son fonctionnement de l'époque, le même impact que le comité du travail féminin qu'il avait remplacé. Le relais n'avait pas été pris par les associations féminines, actives certes, mais trop nombreuses et dispersées pour avoir une influence réelle. Aussi bien la délégation à la condition féminine était-elle conduite à assumer le rôle symbolique de représentation des femmes au sein de l'État, sans avoir pour autant la légitimité à le faire.

Néanmoins j'ai quand même réussi à faire avancer un certain nombre de dossiers, et cela finalement à travers deux éléments.

Le premier (pardonnez-moi de ne pas être modeste), c'est le facteur personnel. Je crois avoir réussi à nouer des relations de confiance, qui ont permis de faire aboutir un certain nombre de propositions. Tel a été notamment le cas avec les organisations syndicales, et tout particulièrement avec Nicole Notat, qui était « Mme Femmes » de la CFDT, avec laquelle je me suis très bien entendue. Nous avons pu, en matière d'égalité professionnelle, poursuivre le travail qui avait été entrepris depuis 1983 et créer un « contrat mixité emploi » pour les petites et moyennes entreprises. J'ai su aussi gagner la confiance des associations féminines.

Deuxième élément : l'approche des échéances électorales est un moment favorable pour débloquer les dossiers et les faire avancer. J'avais proposé à Jacques Chirac, Premier ministre, de tenir fin janvier 1988 un grand colloque intitulé « Femmes An 2000 » (à l'époque, 2000 était loin !). Cette idée l'a séduit et que, du coup, cela a permis de mobiliser, à deux mois des élections présidentielles, les autorités politiques autour de propositions qui peut-être sans cela ne seraient jamais passées.

Voilà en quelques mots mon témoignage. J'ai gardé de ces deux années un souvenir tout à fait passionnant, parce qu'il est rare, dans l'administration, d'avoir à traiter des dossiers qui ont autant de contenu humain.

MARGIE SUDRE

Un peu comme Corinne Lepage, j'étais assez nouvelle en politique lorsque j'ai été appelée au gouvernement d'Alain Juppé. Cela a été mon deuxième poste, cela tenait du miracle, mais la première élection à laquelle j'ai été confrontée, les élections régionales, m'avait permis de devenir présidente de la région Réunion, de façon assez inattendue je vous l'avoue. Les choses m'étaient un peu tombées dessus sans que je m'y attende, et ont pesé considérablement au début sur mes épaules. Mais, ensuite, il suffit de travailler. Je crois que toutes, ici, nous convenons que rien n'est insurmontable et qu'il suffit de travail pour se mettre à la hauteur de la tâche que l'on vous confie. Et j'avais réussi à obtenir un certain consensus autour de la gestion de cette région, ce qui m'avait permis d'être distinguée par le président Jacques Chirac lorsqu'il était venu à La Réunion en décembre 1994. Et, comme j'avais à peu près dix ans de moins, il est bien évident que, lorsque je suis devenue ministre, cela ne pouvait être que le fait d'une promotion canapé !

Je vais vous donner un exemple, d'ailleurs, de la façon dont j'ai été traitée à La Réunion. Mais ce que je regrette aussi, c'est que, de temps en temps, la nomination des femmes en politique soit gadgétisée, y compris par nous. Mme Sineau, quelle importance de donner la moyenne d'âge des femmes du gouvernement de M. Rocard, franchement ? Est-ce que cela a un intérêt de dire qu'elles étaient très jeunes ? Je ne crois pas que la valeur des femmes tienne à leur jeunesse ou à leur beauté, je crois que l'expérience est aussi importante. Alors ne nous engageons pas, nous non plus, vers cette voie que je trouve un peu dérisoire, parce qu'on ramène toujours les femmes à leur âge, à l'image qu'elles peuvent offrir de l'extérieur. Oublions un peu cela.

Évidemment, je n'ai pas appris par la radio que le gouvernement Juppé avait subi une forte mutation. Je venais d'assister, au Sénat d'ailleurs, à une réunion avec la commission des affaires étrangères, j'y parlais de francophonie, et étaient invités un grand nombre de ministres des Affaires étrangères des pays francophones d'Afrique. Il y avait donc dans la salle beaucoup de représentants des pays africains. Je sors de là, et l'huissier me dit : « Madame, le gouvernement a sauté ! ». Je venais de n'entendre parler que d'États africains qui changeaient de gouvernement sans arrêt. Je dis : « Quel gouvernement ? » « Le vôtre, Madame ! » Voilà comment j'ai appris ce jour-là qu'Alain Juppé avait donné sa démission avec celle de tout son gouvernement. Quelques heures plus tard, j'apprenais que je restais au gouvernement, mais nous n'étions que quatre à rester. J'avais dit à l'époque à Alain Juppé, que je ne connaissais pas bien et qui nous impressionnait tous beaucoup (mais j'ai eu l'occasion de le connaître mieux plus tard), à quel point cette mesure-là allait faire de dégâts. Je lui ai dit : « Êtes-vous sûr d'avoir pris la bonne décision ? Réellement je crains que cela ne soit très mal perçu par tout le monde ». Il me dit : « Je n'ai pas le choix, notre gouvernement est trop pléthorique et j'ai supprimé des postes ». C'est vrai qu'il avait supprimé aussi des postes masculins, mais on en a beaucoup moins parlé que des huit femmes qui ont été éjectées de ce gouvernement ce jour-là. Il y avait aussi quatre hommes, et eux sont partis sans que cela fasse vraiment de bruit.

Ensuite, un peu comme vous, chère Edith, on m'a envoyée dans une circonscription imprenable, qui était le fief du parti communiste réunionnais, où le président du parti communiste réunionnais était député depuis longtemps, il était devenu sénateur, et on m'envoie me battre là. C'était une circonscription dans laquelle je vivais depuis une vingtaine d'années, j'avais donc tout de même une certaine légitimité à m'y présenter. Voilà comment ma candidature a été présentée, dans un quotidien du parti communiste à l'époque (j'avais évidemment un communiste face à moi) :« La bonne Margie, devenue groupie du RPR, a suivi la voie de son nouveau maître Chirac. Ce n'est pas pour rien qu'elle a été mise à sa place. Sois belle, souris, et accroupis-toi. » Voilà comment on a présenté les choses ! C'était dans Témoignages et c'était écrit par un médecin, un de mes confrères, qui évidemment complète en disant : « Une pépée française, bonne héritière des moeurs tropicales, pas trop moche à la cervelle bien vide, mais protégée par le Président et qui garantissait l'audimat. » Aucun homme n'aurait subi ce genre d'attaque s'il s'était présenté dans cette circonscription ! Et voilà à quoi nous, les femmes, nous sommes confrontées. Corinne a pu vous dire un peu de quelle façon elle avait été traitée à l'Assemblée nationale lorsqu'elle présentait sa loi sur l'environnement. Je soumets à vos questions et à vos discussions la façon dont les femmes sont encore traitées de nos jours.

Pour ma part, je souhaite qu'il y ait un jour où nous n'aurons pas à dire : « citoyens, citoyennes, travailleurs, travailleuses », mais où dans le même terme nous regrouperons les hommes et les femmes. Lorsque nous parlerons des droits de l'Homme avec un grand H générique, nous n'aurons pas besoin de rajouter les droits de la femme, parce que je considère que nous avons à être traitées de la même façon. En tant que scientifique, l'Homme avec un grand H regroupe les hommes et les femmes, il n'y a que le sexe qui reste différent.

MICHÈLE ANDRÉ

La première fois où je fus envoyée sur une campagne électorale nationale, c'était en 1984, lorsque le président Valéry Giscard d'Estaing a voulu retrouver son siège de député. Le parti socialiste, en peine sans doute de candidats, avait déniché cette jeune candidate que j'étais à l'époque, un peu plus jeune qu'aujourd'hui, et je suis partie pour une campagne perdue d'avance, pour l'honneur, mais je dois reconnaître que ça m'a permis de faire un tour de piste des problématiques du secteur. À l'époque, Edith, cela te rappellera peut-être quelque chose, nous étions en plein débat sur les quotas laitier, qui étaient destinés à protéger les agriculteurs de mon secteur de montagne, eux ne le comprenant pas bien, n'avaient pas de mots assez durs à notre égard pour nous fustiger dès que j'arrivais. Ce qui, pendant quelques années, a provoqué chez moi un intense rejet des bovins que je pouvais voir dans les prés...

J'avoue que c'était une expérience qui m'a servi parce qu'on m'a mise tout de suite dans le grand bain. J'étais certes adjointe aux sports de ma ville. Adjointe aux sports à Clermont Ferrand. Adjointe aux sports d'une grande ville, c'était, en 1983, très difficile, parce que, à part Edwige Avice qui avait un peu ouvert la voie pour le sport, ce monde était totalement masculin. Et mes interlocuteurs permanents étaient les présidents de club, de fédérations, tous des hommes. J'ai vécu quelques moments avec les cyclistes, les lutteurs, les rugbymen, dont je pourrais parler, si on avait le temps, pour nous détendre, et qui montrent trop souvent machisme et parfois bêtise. Ma question, était comment se comporter dans ces cas ? J'avoue que, au risque de passer pour quelqu'un de faible, je pense que l'humour est la seule défense, et il m'est arrivé de m'amuser beaucoup et de les mettre en difficultés, vous savez, comme on le fait au tennis quand on doit fatiguer un adversaire et qu'il faut bien l'occuper, le faire monter, pour essayer de le battre !

Forte de ce poste d'adjointe aux sports, où j'avais appris qu'il fallait être assez rapide, présente et s'adapter, je me suis retrouvée secrétaire d'État chargée des droits des Femmes dans le gouvernement de Michel Rocard, choisie donc par le Président Mitterrand en 1988. Je corrige un peu ce qu'a dit Hélène Gisserot tout à l'heure : j'ai été rattachée à Matignon, ce qui a été une chance. J'avais en la matière le souvenir de l'expérience d'Yvette Roudy, dont j'avais été la déléguée régionale pour l'Auvergne dans les années 81-83, après avoir travaillé avec elle au parti socialiste à la convention de 1977, moment de définition d'un certain nombre de valeurs pour les femmes encore d'actualité, hélas, en ce qui concerne les grands enjeux d'autonomie. J'avais compris qu'il fallait avoir directement accès au Premier ministre chez lequel on va quand les dossiers patinent. Parce qu'évidemment mes moyens n'étaient pas très conséquents et les difficultés avec les collègues existaient.

J'ai le souvenir de deux conflits dont il a fallu demander l'arbitrage à Matignon. L'un portait sur de graves problèmes de moyens budgétaires pour faire des formations très importantes pour les femmes, avec le ministère du Travail qui trouvait aussi cela important mais sans doute moins que moi. Le conflit le plus difficile que j'aie eu à vivre, fut avec le ministre de l'Intérieur, lorsqu'il a voulu changer la taille des filles (de quatre centimètres) pour être recrutées dans la police. Quatre centimètres, cela ne paraît rien, mais les syndicats, avaient fait leur compte et je m'étais rendu compte que cela éliminait 80% des filles. Donc je suis partie en bagarre de façon assez forte, cela ne s'est pas très bien passé, cela a duré quelque temps, et j'ai eu beaucoup de soucis avec mon collègue de l'Intérieur qui a très mal pris ma position, qui consistait au fond à l'empêcher de faire cette mauvaise action. Je précise que, personnellement, je n'avais jamais eu envie d'être policier, mais je me suis toujours battue pour que celles qui veulent l'être le puissent. Nous étions en pleine campagne sur les violences conjugales, où nous avions mis en évidence que 75 % des interventions de Police Secours la nuit à Paris relevaient de violences familiales, j'avais fait remarquer à mon collègue ceci : était-ce utile d'avoir de grands policiers, ou plutôt des femmes adaptées et capables de rentrer dans ces problématiques de société qui sont les nôtres aujourd'hui et qui se sont même vraiment aggravées depuis ?

Voilà donc la difficulté d'avoir un espace, de le tenir, de le conquérir. Il y a eu aussi de très grands moments très enthousiasmants, avec des collègues intéressés, avec qui j'ai véritablement travaillé. Je pense à Louis Besson, en particulier, sur les problèmes de logement. Et d'une façon générale, après trois années passées dans le gouvernement de Michel Rocard, je suis repartie avec le sentiment d'avoir exercé une charge importante. J'ai passé ces trois années au service du pays, pour les relations internationales qui nous obligent à nous battre encore et toujours pour la cause des femmes même si nous pensons avoir avancé en France.

Je suis repartie reprendre mon poste d'adjointe aux sports dans ma ville, et je me suis occupée d'autres choses. Je siège au Sénat depuis 2001. Je représente donc un département, le Puy de Dôme, avec un collègue turbulent, pas vraiment féministe, qui s'appelle Michel Charasse. Nous faisons équipe, je fais partie des 10-11 % de femmes parlementaires, je siège à la commission des lois sans difficultés particulières avec les collègues sénateurs, nous travaillons parfois à contenir certains amendements de députés. Je pense à l'amendement Garraud sur l'interruption involontaire de grossesse, nous avons convaincu certains collègues de l'UMP de voter contre, préservant ainsi de possibles dérives. Je fais partie des élues au scrutin majoritaire, je suis vice-présidente du conseil général du Puy de Dôme, en charge de dossiers importants. Je sais donc ce que c'est d'être peu nombreuses dans une assemblée, d'y travailler. J'ai eu la chance de vivre une expérience ministérielle, j'ai déjoué les pièges, perdu beaucoup de temps à me battre pour des budgets (c'est logique) ou des locaux quand je suis arrivée au ministère en 1988. J'ai du travailler dans des locaux provisoires inadaptés pendant un an et demi. Lorsqu'on devient ministre, on vous demande des programmes d'action pour les six mois à venir, et quand vous en partez, vous l'apprenez parfois par hasard. Cela donne une espèce de sagesse. On s'aperçoit que les mandats de cinq ou six ans, dont on connaît le rythme, pour lesquels on a le temps de mettre en oeuvre des actions, de travailler, sont des choses précieuses.

Je crois qu'il faut soutenir toutes les femmes qui arrivent, plus jeunes et inexpérimentées, et qui parfois se battent encore contre des stéréotypes pour conquérir des espaces et les occuper beaucoup plus nombreuses, avec une conscience aiguë de ce que sont les problématiques des femmes, parce que cela, nous ne pouvons pas et nous ne devons pas l'oublier.

DÉBAT AVEC LA SALLE

Monique Pelletier

La parole maintenant est à la salle. Je remercie beaucoup toutes les intervenantes parce qu'elles ont été concises, ce qui est parfois très difficile. Maintenant, quelques questions.

Denise Brival, association Atalante Video s

Je voudrais vous poser une question à toutes, Mesdames. Que retirez-vous de l'expérience du pouvoir patriarcal dans ce pays qu'est la France ? Quelles ont été vos blessures personnelles ? Et quels conseils donner aux jeunes générations ? Par rapport à ce que vous avez vécu, et surtout aux blessures que vous avez eues de cette expérience.

Deuxième chose, qui est une réflexion sur l'ensemble du débat. Il y a un paradoxe, en France. Comment se fait-il que, lorsqu'il y a des ministres ou des secrétaires d'État dites de droite, cela s'appelle la Condition féminine et elles sont toutes plus ou moins juristes, et que, lorsqu'il y a des ministres des Droits de la femme, elles ne sont pas forcément juristes ?

Troisième paradoxe dans ce pays : comment se fait-il qu'il y ait des enjeux électoraux, qu'il y ait des débats concernant le pouvoir, surtout lorsqu'il y a des enjeux qui mettent en cause l'équilibre de certains enjeux politiques ? En ce moment, en ce qui concerne les femmes, tout va mal. Nous sommes d'accord ? Remise en cause de l'IVG, le droit fondamental des femmes acquis dans les années 70, par peut-être Mme Veil mais contre son parti et avec toute la gauche et surtout toutes les féministes... Il faut tout de même rendre hommage au passage aux femmes des années 70. Deuxième chose : en ce moment, et c'est gravissime à mon avis, il y a un climat délétère dans ce pays sur les droits des femmes. Entre la laïcité et le voile, qui est traité d'une façon diverse et variée, et souvent on n'ose pas prendre parti. Quand va-t-on dire que le voile est une infamie, quand va-t-on dire que le voile est l'étoile jaune des femmes, quand va-t-on dire que symboliquement nous n'en voulons pas ?

Monique Pelletier

Les blessures, moi je n'en ai eu que peu, sinon celle d'avoir été précipitée en mai 1981 comme candidate à une élection législative dans une circonscription où mes petits collègues du parti qui était le mien savaient très bien que c'était impossible. J'y ai été franco. J'ai eu ce que je pensais, et c'est peut-être la seule petite blessure que j'ai eue. Par contre, je dirais aux jeunes femmes qui s'engagent en politique : restez vous-mêmes, gardez vos convictions, menez vos projets et, j'allais dire, foutez-vous comme de l'an 40 de ce qu'on vous dira à droite et à gauche.

Edith Cresson

Il est évident qu'une femme qui s'engage en politique subit des coups et donc en sort avec des blessures. Je crois que les blessures qu'on peut ressentir sont les attaques qui sont dirigées contre la personne et non contre la politique. C'est-à-dire qu'on est en dehors du combat politique normal. Dans un combat politique, les gens qui ne sont pas d'accord avec vous vous le disent d'une façon plus ou moins désagréable, mais ce n'est pas très choquant. Mais quand j'ai été nommée Premier ministre et que j'ai entendu un député de la droite (M. d'Aubert, pour ne pas le citer), dire : « Voilà la Pompadour », alors que j'avais été cinq fois ministre, élue députée, élue maire, élue conseiller général, c'est-à-dire totalement légitimée par le suffrage universel, effectivement on ne peut pas répondre. Je pense donc qu'il faut être blindée, il faut avoir une famille, des gens avec soi, proches, en qui on peut avoir confiance.

Et puis il faut avoir une circonscription. J'ai eu beaucoup de satisfactions à retourner à ma base, à retrouver des gens qui me connaissaient bien, qui m'avaient élue, et qui étaient tout à fait fidèles et gentils, y compris d'ailleurs des gens qui n'étaient pas à mon parti. Les gens qui sont de chez vous vous connaissent, donc ils savent que tout cela n'est que du baratin, du machisme, largement soutenu d'ailleurs par les médias. Dès que quelque chose est un accident, dès que quelque chose est choquant, les médias le reprennent mille fois au lieu de le dire une seule fois. Donc le fait d'avoir une circonscription est important. Tout à l'heure, on a parlé de la légitimité qui vient de l'élection. On a dit que François Mitterrand avait pris des députées, en tout cas au début, qui étaient presque toujours des élues. Je me souviens que, quand j'ai donné ma démission du Parlement européen en 1981, il m'a dit : « vous êtes très imprudente, parce que, si vous n'êtes pas élue aux législatives, je ne pourrai pas vous garder au gouvernement ». Sur le moment, cela m'a un peu surprise, mais après je me suis dit qu'au fond il avait raison. Et pour cela, il faut que les femmes obtiennent des circonscriptions qui soient quand même gagnables, pas forcément faciles mais gagnables. C'est vrai qu'il faudrait que les femmes refusent, qu'il se passe un mouvement quelconque qui soit transversal par rapport à la gauche et à la droite, disant : « on ne peut pas toujours nous donner des circonscriptions impossibles ». Monique Pelletier le disait tout à l'heure. Elle, elle s'est présentée une fois. Moi, je me suis présentée plusieurs fois avant d'être élue. Cette circonscription était très difficile, elle n'avait jamais été à gauche même sous le Front populaire. Donc il fallait vraiment s'accrocher. Les circonstances, le mouvement de 81, ont fait que j'ai été élue, et puis je me suis accrochée...

Je pense qu'on est passées un peu vite sur le problème de l'élection, car il est très important. Il faudrait qu'on mette fin à cette hypocrisie qui dit qu'on donne autant de candidatures aux femmes qu'aux hommes dans les partis politiques. On en donne peut-être autant, mais ce ne sont pas les mêmes endroits ! Il faudrait que ce ne soit pas seulement la quantité, mais aussi la qualité. Je ne sais pas comment on peut s'y prendre, mais il faudrait probablement réfléchir à cela.

Yvette Roudy

J'ai une petite idée sur la façon dont on pourrait s'y prendre. J'ai beaucoup réfléchi à cette question, comme Edith d'ailleurs et comme toutes celles qui ont fait des campagnes. J'ai fait une quinzaine de campagnes, j'ai été battue six ou sept fois, élue le reste du temps. On ne sait jamais, quand on part, si on sera élue ou pas. Je n'ai jamais eu de circonscriptions faciles, moi non plus. Je crois que ce qu'on peut dire aux jeunes, c'est qu'il faut y aller. Il faut que les jeunes y aillent, car elles peuvent changer la politique, et elle en a besoin. Parce que cette loi que nous avons sur la parité, c'est une demi-loi. Elle concerne seulement les scrutins à la proportionnelle. Il reste encore tout ce qui est très important, c'est-à-dire l'Assemblée nationale et le Sénat, et là tous les partis confondus ont préféré payer plutôt que de présenter 50 % de femmes. Donc il faut se battre là-dessus. Il faut demander et exiger que le principe des 50 % s'applique à tous les degrés des circonscriptions.

Je vous signale qu'il y a quatre types de circonscriptions : il y a les quatre étoiles, les trois étoiles, les deux étoiles et les une étoile. Je les connais, pour mon parti ! On peut s'y retrouver très bien. Alors qu'on fasse la parité, qu'on n'envoie pas les femmes uniquement dans les circonscriptions perdues, qu'on en envoie dans celles qui sont peut-être gagnables, celles qui le sont à peu près, celles qui le sont sûrement...

Il y a pour chaque parti un découpage... Cela, c'est M. Pasqua qui me l'avait expliqué, il m'avait dit : « Ne vous inquiétez pas, j'ai veillé dans le découpage à ce que vous ayez au moins quatre-vingts députés socialistes, quelles que soient les circonscriptions. » Le découpage est là. Donc vous avez des circonscriptions béton, il y en a d'autres qui sont moins bonnes. Tout dépend du courant, après. Il faut que les femmes se mettent à l'arithmétique, qu'elles se collent à la technique, et qu'elles regardent ce que c'est, qu'elles ne prennent pas n'importe quoi. On peut aller dans une circonscription de témoignage, on en a fait plein, mais vient un moment où il faut dire : « assez de campagnes de témoignage ! ». Moi, j'en ai fait deux. On m'en avait proposé une troisième, et là j'ai dit que j'en avais fait deux déjà, que cela suffisait comme ça. On m'a dit : « Tu as tort, tu te feras connaître, tu vas aller contre Marchais ». C'était très bien, bien évidemment, il passait au premier tour ! J'ai dit : « Merci, pour ma part je ferai autre chose ».

Donc il faut aussi faire très attention, parce que la politique a besoin des femmes. La politique ne va pas bien dans ce pays, la politique n'a pas bonne réputation dans ce pays. L'opinion publique aime les femmes en politique, c'est pour cela que les hommes politiques ont peur, c'est pour cela qu'ils ne veulent pas leur faire de la place, parce qu'ils savent qu'elles ont au moins un ou deux points de plus qu'eux, a priori. Pour l'instant, c'est un principe nouveau, l'opinion publique aime les femmes, donc elles doivent savoir qu'elles ont un plus au départ. C'est ce qui fait peur à leurs partis. Il faut qu'elles se concertent, qu'elles s'organisent en réseaux, qu'elles n'aient pas peur de trouver des soutiens à l'extérieur, il faut y aller, il faut résister, il faut s'organiser. Il faut faire comme eux ! Regardez comment ils font : ils sont organisés, surtout dans leurs clubs, que ce soient des clubs de cigares (il y en a un très connu à l'Assemblée nationale)... Il faut qu'elles se mettent au courant, qu'elles apprennent le métier aussi. Elles ont un plus, elles doivent l'utiliser.

Anne Le Gall

Je voudrais simplement dire quelques mots à Mariette Sineau. Mariette, tant qu'on conclura un exposé constructif, éclairant et de qualité par ces mots : « la parité ou presque »... Ce presque est une béance. Toute l'affaire tombe là-dessus. La parité, ce n'est pas un « presque », c'est une adéquation qui doit être réalisée par un système de résultats, et pas de moyens. Toutes les assemblées délibératives doivent être constitutionnellement à la parité. Et c'est une novation institutionnelle, comme la séparation des pouvoirs, comme le suffrage universel. Et je dirai une chose, parce qu'il s'agit véritablement d'un nouveau paradigme politique, d'un changement d'air : c'est quelque chose qui est de l'universel de l'avenir, ce n'est pas contraire à l'universalité, c'est l'universel même, étant donné que la domination des femmes par les hommes est aussi quelque chose que nous constatons, qui est généralisé sans exception dans le temps comme dans l'espace. Cette rupture-là, elle est universelle. Elle doit être réalisée par une parité institutionnelle assumée comme telle.

Mariette Sineau

Je ne pense pas être en désaccord sur le fond avec Anne Le Gall, même si je lui donne acte que j'ai pu employer une expression malheureuse (« à égalité ou presque »). J'ai plaidé pour que les femmes acquièrent une légitimité qui vienne du suffrage universel, la seule qui vaille en démocratie. Mon exposé portait sur les femmes ministres et j'ai essayé de montrer qu'il y avait un grand décalage en France entre la proportion de femmes ministres et celle de femmes députées. La loi du 6 juin 2000, dite sur la parité, n'y a pas mis fin car elle est lacunaire. En effet, elle n'impose la parité des candidats que pour les scrutins de liste, alors que pour les scrutins uninominaux (soit, la moitié des sièges du Sénat, la totalité de ceux des conseils généraux et de l'Assemblée nationale), ou bien elle ne dit rien ou bien ne dit pas assez. Ainsi, pour les députés, la parité des candidats n'est qu'incitative par voie de pénalités financières. Une disposition qui a été torpillée par les grands partis lors des législatives de juin 2002, et qui a abouti à ce que seules 12,3 % de femmes siègent à l'Assemblée nationale. Un score qui classe alors la France se retrouve au 65 e rang mondial et au 12 e rang de l'Europe des quinze.

Marie-Victoire Louis

On a abordé à plusieurs reprises le rôle très positif qu'ont joué les relations entre les femmes de droite et les femmes de gauche, ministres, députées, pour obtenir ou faire avancer la loi sur la parité. Mme Pelletier s'est elle-même personnellement engagée en disant qu'elle souhaitait une loi antisexiste. Est-ce que nous, nous ne pouvons pas demander à toutes les femmes politiques de droite et de gauche de faire le même travail, soutenu par les féministes, pour faire en sorte que la loi antisexiste soit élaborée dans les plus brefs délais ? Je rappelle que M. Raffarin a promis à trois reprises les articles du Monde sont dans nos archives une loi anti-homophobe. Si cette loi anti-homophobe que nous, les féministes, soutenons depuis toujours, passe en l'état, ce sera en l'état, pour les femmes de ce pays, pour les femmes politiques, pour les féministes, la plus grande gifle politique, et cela voudra dire qu'institutionnellement le sexisme est partie constitutive des valeurs de la République française.

Monique Pelletier

Je réponds oui, et tout à fait oui, à votre proposition. Il faudrait aussi qu'il y ait des jeunes élues qui participent à ce groupe. Mais je suis tout à fait d'accord avec vous, et je vais même essayer de voir ce qu'il est possible de faire, étant donné que la loi anti-homophobe en est à sa préparation tout à fait première... Je pense qu'il serait très intéressant d'agir ensemble.

Yvette Roudy

Je veux bien qu'on prenne l'engagement, de la même façon dont nous nous sommes engagées sur ce manifeste pour la parité que nous avions fait ensemble, que nous puissions nous engager sur la loi antisexiste. Parce que, comme vous, je suis très préoccupée. Je vois bien que le lobby des homosexuels est en train de gagner sur le lobby féministe. Il y aura une loi contre l'homophobie, et on attendra toujours depuis vingt-cinq ans la loi antisexiste. Je suis d'accord pour faire quelque chose avec Nicole, Hélène, Simone Veil, comme on avait déjà fait pour la parité... Élisabeth sera d'accord aussi. Qu'on puisse faire un petit groupe là-dessus et qu'on puisse monter quelque chose qui soit équivalent, pour dire : « Nous, nous attendons depuis vingt-cinq ans ». Je veux bien m'engager là-dessus.

Jean Garrigues

Je crois que nous pouvons remercier Mesdames les ministres, Madame le Procureur, pour ce débat qui a été si animé. Je m'aperçois que les femmes politiques ont un sixième sens, car elles n'étaient pas là ce matin et elles savaient pourtant les questions que je leur avais posées ce matin, et je suis surpris que vous ayez si bien répondu à toutes ces interrogations qui étaient les nôtres.

Nous allons réunir les deux tables rondes qui étaient prévues à la suite de la première : celle qui concerne la loi sur la parité, et celle qui concerne l'application elle-même de la parité. Nous les réunissons parce que certaines de nos intervenantes doivent partir assez vite, et d'autre part il y a eu une ou deux défections parce que nous sommes en période de campagne électorale. Nous allons donc réunir les deux tables rondes, qui vont être présidées par Mme Edith Cresson, et qui vont donner la parole à des historiennes, à des sociologues, et bien sûr à des acteurs de la vie politique.

GENÈSE ET APPLICATION DE LA LOI SUR LA PARITÉ
TABLE RONDE

Edith Cresson

Participeront à cette double table ronde, sur la genèse d'une part, et d'autre part l'application de la loi sur la parité, Mme Payet, sénatrice de La Réunion, Mme Calvès, professeur à l'université de Cergy-Pontoise, Élisabeth Guigou et Mme Rozier, sénatrice du Loiret. Françoise Gaspard va présenter tout de suite la genèse de la loi sur la parité à laquelle elle a fortement contribué

I. FRANÇOISE GASPARD, MAÎTRESSE DE CONFÉRENCES À L'EHESS, EXPERTE À L'ONU

Il n'est pas très facile de faire rapidement l'archéologie des lois françaises sur la parité. Il existe sur le sujet, vous le savez, une abondante littérature, un dossier de presse considérable à partir du début des années 90. De nombreux articles dans des revues spécialisées, en droit, en sciences politiques, en sciences humaines, en sciences sociales, des essais, et des ouvrages de chercheurs et d'acteurs du mouvement. L'histoire de la parité en France est en outre aujourd'hui l'objet de thèses dans de nombreuses universités. On me pardonnera donc d'être schématique.

Je voudrais souligner un point. La revendication de parité n'est pas née dans les partis politiques, en tout cas pas dans les partis de gouvernement. Elle leur a été imposée. Elle est venue à la fois du haut, des institutions supranationales, et du bas, de la société, des mouvements sociaux, des mouvements féministes. Les démocraties, vous le savez, à leur naissance ont toutes exclu les femmes de la citoyenneté, et la France est un des pays qui a le plus tardé à corriger ce vice originel, tant en matière civile qu'en matière civique. Les luttes en faveur du droit de suffrage et d'éligibilité ont été l'objet d'une histoire tumultueuse et longue, et les suffragistes une exception, Hubertine Auclair ont pensé, et non pas posé, la question de la représentation des femmes. Elles ont demandé à voter, elles ont demandé à être éligibles, mais elles ont sans doute pensé que, à partir du moment où les femmes seraient éligibles, elles seraient présentes dans les assemblées, tellement cela allait de soi. Or tel n'a pas été le cas. La France a, là encore, témoigné d'une particulière résistance à l'admission des femmes dans la représentation politique. Et, curieusement, il a fallu attendre la dernière décennie du XX e siècle pour que l'on commence à s'étonner de la persistance de la prééminence des hommes dans les lieux de pouvoir, et surtout à la regarder comme le résultat d'une discrimination à l'égard des femmes. Combien de fois avons-nous entendu, n'est-ce pas Edith : « Si les femmes ne font pas de politique, c'est parce qu'elles ne veulent pas ».

Il a donc fallu attendre la fin du XX e siècle, mais il faut signaler que les institutions supranationales avaient déjà commencé à poser la question. La première conférence mondiale sur les droits des femmes, organisée par l'ONU à Mexico en 1975, avait, dans la déclaration finale des États, dit qu'il fallait des femmes partout où se prennent les décisions, notamment en matière de paix et de développement. Les mouvements féministes à l'époque (1975) des seuls pays nordiques avaient retenu la leçon, et avaient monté des opérations dans leurs pays, dans leurs partis politiques, pour obtenir des quotas progressifs pour aller vers un équilibre du pouvoir des femmes et des hommes.

En 1989, le Conseil de l'Europe ouvre à son tour le chantier en créant un séminaire qui a pour thème « la démocratie paritaire ». En réalité, celui-ci s'inscrit dans une interrogation plus vaste sur la crise de nos démocraties. Or le très faible pourcentage des femmes dans les décisions politiques figure comme une des causes de la défiance des citoyens à l'égard du système. Au même moment (début des années 90), la Commission européenne prépare le troisième programme communautaire d'égalité des chances. Et une question se pose à celles et à ceux qui préparent ce programme : pourquoi, alors que les directives européennes existent depuis le milieu des années 70 en matière d'égalité des salaires, d'accès à l'emploi, etc. pourquoi y a-t-il encore de telles discriminations dans le travail ? Et c'est un syndicaliste, un homme néerlandais, qui dit très fortement à une réunion de travail que nous avions sur le sujet (je faisais parti du comité de préparation du programme) : « C'est parce que les femmes ne sont pas là où se négocient les conventions collectives ; c'est parce que les femmes ne sont pas là où le vrai pouvoir est présent ».

Et c'est pour cela que la Commission européenne crée, dans le cadre du troisième programme, un comité d'experts (un expert par pays) pour mesurer la situation respective des femmes dans les lieux de pouvoir dans l'ensemble des pays européens. Ce réseau d'experts organise avec la Commission, en novembre 1992 à Athènes, une conférence européenne sur « Femmes, politique et pouvoir ». À cette conférence, les statistiques sont révélées. On ne les avait jamais données dans la presse en France à l'époque. La France des droits de l'Homme est alors 11 e sur les douze pays de l'Union européenne pour la participation des femmes dans le Parlement.

Par ailleurs, à cette réunion d'Athènes, a lieu une rencontre des femmes occupant en Europe des postes éminents. La France était représentée par Edith Cresson et Simone Veil. Et ces femmes politiques des douze pays de l'Union européenne et des pays qui sont en train d'adhérer signent un texte dans lequel il y a cette phrase : « Parce que les femmes représentent plus de la moitié de la population, la démocratie impose la parité dans la représentation et l'administration des nations ». Ce texte, la presse en France n'en parlera pas, mais les associations françaises vont s'en emparer, le diffuser à des milliers et des milliers d'exemplaires. Une réunion a lieu à l'Assemblée nationale, à l'initiative des associations, pour rendre compte de la conférence d'Athènes, et elle est à l'origine d'une explosion de mouvements en faveur de la parité.

Nous étions à la veille des législatives de 1993. Colette Kreder, qui était directrice de l'École polytechnique féminine, membre du CNFF, monte une opération remarquablement menée qui allait permettre de sensibiliser la presse, et par conséquent l'opinion, à la place respective des femmes et des hommes dans le processus électoral. Une équipe de jeunes chercheurs armés d'ordinateurs, en liaison avec le ministère de l'Intérieur qui accepte de jouer le jeu, va tenir la presse au courant jour après jour de la place des femmes dans le processus électoral. Et la presse va s'en faire écho, d'autant que, lorsque la première statistique est publiée, il apparaît que plus un parti a de chances d'avoir d'élus, moins il présente de femmes. Moins un parti a de chances d'avoir d'élus, plus il présente de femmes. Assemblée sortante : 5,7 % de femmes. À l'issue du scrutin de 1993 : 6,1 % de femmes élues. On calcule qu'il faudra attendre le troisième ou la quatrième millénaire, s'il y a des élections tous les cinq ans, pour obtenir la parité.

Le mouvement pour la parité allait donc s'amplifier. La pétition publiée dans Le Monde à l'automne de cette année-là en est le témoignage. 577 personnes de tous milieux, scientifiques, professionnels, etc. signent une pétition. 577, autant de femmes que d'hommes, autant que de députés puisqu'il y a 577 députés, demandent une loi pour changer la donne.

S'il y a eu des actions menées par des associations isolées ou des personnalités, la naissance en 1994 d'un réseau d'associations a joué un rôle décisif. Ce réseau, « Demain la parité », regroupe des associations nationales qui représentent environ deux millions d'adhérentes, qui disposent de sections locales et départementales. Les présidentes de ces associations, qui se réunissent, adoptent un texte commun et une méthode originale pour mobiliser les membres du réseau. L'objectif était de sensibiliser les responsables politiques à l'idée de parité. La méthode reposait sur la décentralisation de l'action. Une palette d'actions était suggérée à chacune, dans son département, dans sa commune : organiser des réunions sur le sujet, porter le texte commun des associations, éventuellement assorti de statistiques locales sur la place des femmes dans les assemblées, aux maires, au conseiller général, aux députés, tenir une conférence de presse. Travail presque invisible au niveau national, mais des centaines et des centaines de réunions.

À partir de 1994, nous avons un dossier énorme de comptes rendus de presse, de la presse régionale et locale, sur le sujet. La conséquence c'est que, déjà en 1994, quelques listes aux élections européennes vont être paritaires.

1995, élection présidentielle. Colette Kreder, elle encore, avec le CNFF, décide d'auditionner les candidats à la présidence de la République. Jacques Chirac, Lionel Jospin, Édouard Balladur, seront entendus et, au cours d'une réunion importante et médiatisée, la même question leur sera posée concernant la place des femmes et la politique : qu'allez-vous faire pour la parité ? On se souvient que Jacques Chirac a répondu qu'il allait créer un observatoire de la parité, observatoire d'ailleurs qui a été créé dès le lendemain de l'élection présidentielle. On a vu aussi tout à l'heure, et ce matin aussi, que le fait que le premier gouvernement Juppé, en juin 1995, ait compté un nombre record de femmes, est le résultat de cette mobilisation sur le terrain. Et on se souvient aussi que ce ne fut qu'un bref épisode, que l'élection des femmes a fait du bruit et qu'elle a conduit au manifeste publié par L'Express , signé par d'anciennes ministres, de droite et de gauche.

L'adoption par un parti de gouvernement de l'engagement en faveur de la parité le PS a été le fruit, au fond, de circonstances politiques particulières. Dans l'introduction de l'essai que nous avions publié en 1992, Claude Servan-Schreiber, Anne Legal et moi, Au pouvoir citoyennes, liberté, égalité, parité , nous avions écrit que la proposition d'inscription de la parité dans la loi, que nous faisions, risquait de se heurter à la conspiration du silence. Nous avions en fait sous-estimé le rôle des institutions supranationales (la conférence de Pékin a joué un rôle important dans la popularisation de l'idée d'égalité des femmes et des hommes dans les pouvoir), nous avions sous-estimé aussi la capacité de mobilisation des organisations de la société civile, mais nous n'avions pas prévu que les événements politiques favoriseraient encore plus une évolution législative aussi rapide.

Car les résistances étaient nombreuses. L'idée d'une loi suscitait, on s'en souvient, une intense polémique mobilisant juristes, philosophes, sociologues, éditorialistes, et les femmes se réclamant du féminisme elles-mêmes étaient très divisées. Les résistances étaient particulièrement vigoureuses dans les partis. Les écologistes avaient certes, dès la fin des années 80, mis en place ce qu'ils appelaient des « pratiques paritaires ». Mais les verts étaient à l'époque marginaux. Au sein des grands partis, les femmes de la base d'abord ont été progressivement conquises par la parité, regardée comme plus séduisante que les quotas, et par l'idée de légiférer pour déverrouiller une situation bloquée. Mais les femmes de l'appareil, des appareils, et les élues, en revanche, étaient beaucoup plus réservées. Nombreuses étaient celles qui craignaient qu'une telle mesure ne se retourne contre elles, qu'elles ne soient sélectionnées non plus en raison de leur mérite mais en raison de leur sexe. Quant aux hommes politiques, ils étaient majoritairement hostiles, bien sûr, à une telle loi. Ils reconnaissaient que la situation n'était pas brillante, mais ils disaient que le temps ferait son oeuvre.

Il faut sans doute voir dans le sévère échec du parti socialiste aux élections législatives de 1993, une des raisons de l'engagement de ce parti en faveur de la parité. Dans l'opposition, un parti est obligé de se ressourcer. Et en plus, cette proposition de parité était une des propositions qui était au fond les moins difficiles à prendre : elle ne coûtait pas un sou au budget de l'État. Le PS, donc, fait cette proposition, et de cette proposition un argument électoral. La gauche remporte les élections. Dans son discours d'investiture, le Premier ministre, Lionel Jospin, annonce la révision de la Constitution, le Parlement vote la loi constitutionnelle, le Congrès, à Versailles, approuve cette révision de la Constitution, et les lois sont adoptées dans la foulée par le Parlement.

Je laisserai à Élisabeth Guigou, puisqu'elle était la Garde des Sceaux à l'époque, le soin d'évoquer la démarche du gouvernement. Pour conclure, je voudrais lui poser, poser aux responsables politiques qui étaient en charge de ce dossier à l'époque, une question : pourquoi le gouvernement et le Parlement ont-ils fait de la parité un principe et non pas une stratégie ?

Olivier Duhamel, dans un article défendant la parité, avait proposé que les lois l'instaurant soient provisoires. L'idée avait de quoi irriter les féministes, qui se souvenaient du caractère provisoire de la loi de 1975 sur l'IVG, ce qui risque toujours ensuite une remise en cause. En ce qui concerne la parité, l'idée pourtant méritait d'être creusée. Dire qu'une telle loi serait susceptible d'évoluer aurait permis d'échapper au débat entre essentialistes et égalitaires auquel on a assisté. On comprend que des féministes attachées à l'universalisme républicain aient pu redouter que l'inscription de la parité comme principe constitutionnel se fonde sur une différence ontologique des femmes et des hommes, et non sur une reconnaissance des femmes comme citoyennes à part entière, en raison de leur participation au genre humain.

Ceci débouche sur une question complémentaire. Pourquoi ni le gouvernement ni le Parlement ne se sont-ils à aucun moment référés à la convention sur l'élimination de toutes les discriminations à l'égard des femmes de l'ONU, convention de 1979 ratifiée par la France en 1983, et qui en quelque sorte rendait caduque la décision du Conseil constitutionnel de 1982 annulant les quotas aux municipales ? Aux termes de la Constitution, les conventions internationales sont en effet d'application directe en droit français. En ratifiant cette convention, la France s'autorisait à prendre ce qu'on appelle dans la convention, aux termes de son article 4, des mesures spéciales temporaires pour supprimer les discriminations. Alors on aurait par exemple pu dire que tous les cinq ans un nouveau débat devrait avoir lieu pour renforcer, corriger, modifier la législation en faveur de la parité. Cela aurait obligé, par exemple, à ce que les lois datent de 2000 en 2005 on constate à la fois le bilan positif du côté du nombre d'élues dans les conseils municipaux, le bilan en revanche inquiétant du côté du nombre d'élues dans les exécutifs municipaux, que la loi ne prend pas en considération, et la situation des femmes dans les conseils généraux, dans la part du Sénat élue au scrutin uninominal, et à l'Assemblée nationale.

Conclusion rapide : la parité hommes-femmes est désormais un thème majeur au plan international. On le voit en ce moment même à l'ONU, où je repars demain matin pour la Commission de la condition de la femme, qui débat de la nécessaire présence des femmes dans les situations post-conflit. Car la parité est un indice de démocratie, de modernité et de civilisation. Le vote des lois françaises sur la parité a suscité un grand intérêt dans le monde entier. Intérêt des mouvements de femmes, bien sûr, mais aussi de nombreux gouvernements.

La question qui se pose aujourd'hui c'est qu'un pays comme le Rwanda, qui a pris la France en exemple dans la rédaction de sa Constitution et de ses lois électorales, mais qui est allé plus loin, tirant des leçons de la France, est aujourd'hui devant la Suède au premier rang mondial pour la participation des femmes dans son Parlement : 48,5 % de femmes au Sénat et à l'Assemblée nationale rwandaise, alors que la France ne se situe toujours qu'au 63 e rang mondial, ayant même perdu des places depuis plusieurs années, pour la participation des femmes comme législateurs. Et aussi, aujourd'hui encore, en dessous de la moyenne mondiale qui est de 15,5 %.

Edith Cresson

Merci, Françoise, pour cet exposé très intéressant. C'est vrai que beaucoup d'observateurs se posent la question : pourquoi la France est-elle si en retard ? On ne peut pas dire que la religion catholique est à l'origine d'une telle distorsion, puisque l'Italie, l'Espagne et le Portugal sont devant nous. Donc il y a quelque chose que personne jusqu'ici n'a jamais expliqué. On ne voit pas pourquoi la France, qui donne des leçons à la terre entière, serait derrière tout le monde en ce qui concerne la participation des femmes à la vie politique. Donc il y a une espèce d'incompréhension. Ce serait bien aussi que les philosophes, les sociologues, tous ceux qui ont pour profession de faire de la recherche, s'intéressent à cette situation dans laquelle nous sommes.

Nous sommes là pour parler de la loi. Il est évident qu'il fallait une loi. Que cette loi soit suffisante, ce n'est peut-être pas le cas. On a parlé des législatives, où on envoie systématiquement les femmes dans de mauvaises circonscriptions. La situation aujourd'hui n'est pas satisfaisante, mais enfin il y a eu une loi sur la parité, et je voudrais demander à Élisabeth Guigou de présenter la genèse de cette loi, et ensuite on parlera de son application.

II. ÉLISABETH GUIGOU

Merci Edith. D'abord, je voudrais dire que je suis tout à fait favorable, comme cela a été suggéré tout à l'heure, à ce que nous ayons une loi contre le sexisme. Si nous avons une loi sur l'homophobie, il est aussi indispensable que nous ayons une loi sur le sexisme !

Edith a parlé de sa propre expérience. Moi, je me souviens aussi que, la première fois que j'ai fait une campagne électorale, en 1992 (c'était au moment des élections régionales, Edith était Premier ministre), c'était la première fois que j'étais candidate, j'ai naturellement été attaquée de façon sexiste. Cela n'a pas pris le retentissement que cela a eu pour Edith parce qu'elle était beaucoup plus en vue, mais enfin, la première fois que cela vous arrive... Et ensuite cela a recommencé quand j'ai été candidate en 1997. Passant sur une route dans ce beau pays du Vaucluse, j'ai quand même vu sur une pierre de 2,50 m de haut, écrit en grosses lettres noires : « Guigou = putain » ! Donc nous étions toutes extrêmement sensibilisées à ce sexisme que toutes les femmes ont à affronter et qui n'a rien à voir avec le débat politique en tant que tel.

En tout cas, nous avons, en 1997 et Françoise Gaspard a raconté toute l'évolution qui a amené à changer la législation , nous avons fait campagne pour une loi sur la parité. Et c'est vrai que nous avions vécu assez intensément les étapes précédentes.

Le manifeste des 577... Quand j'étais députée européenne entre 1994 et 1997, nous avions au Parlement européen qui était un haut lieu du féminisme, je veux le souligner beaucoup travaillé sur ces questions et, évidemment, en circulant en Europe, quand on arrivait dans des Parlements scandinaves en particulier, on avait honte. Que ce soit en Suède, au Danemark, en Finlande, on voyait nos collègues, la moitié des Parlements étaient composés de femmes... Alors on s'interrogeait : pourquoi était-ce comme cela en France ? On avait approfondi le sujet. Pour répondre à la question d'Edith, on s'apercevait tout de même qu'il ne faut pas se dire que tout est bien dans les pays scandinaves... Mais on s'est rendu compte par exemple qu'en France, on a longtemps idéalisé le pouvoir politique, le coeur du pouvoir est le pouvoir politique, et c'est pour cela qu'on l'a refusé aux femmes. En revanche, dans les pays scandinaves, où le coeur du pouvoir est le pouvoir économique, vous trouvez beaucoup de femmes à parité dans les assemblées politiques, mais vous en trouvez très peu qui sont chefs d'entreprise. Alors l'explication n'est-elle pas que c'est le lieu investi comme étant le coeur du pouvoir, même imaginairement ou symboliquement, qui est refusé aux femmes ? En France, au fond, parce qu'on a toujours donné une telle importance au pouvoir politique au cours de notre histoire, on considérait que les femmes n'avaient pas à pénétrer sur ce territoire. Je me souviens en particulier des travaux de femmes sociologues, anthropologues, philosophes, et de Françoise Héritier en particulier qui ont très bien montré cela.

Donc nous étions particulièrement sensibilisées. Lionel Jospin avait pris cet engagement d'une loi sur la parité s'il était élu. Il l'avait dit dans son discours de politique générale. On avait toutes en mémoire l'annulation par le Conseil constitutionnel d'une des premières propositions de loi sur la parité introduite par Gisèle Halimi, vous vous en souvenez, au début des années 80, annulation par le Conseil constitutionnel le 18 novembre 1982, au motif que notre Constitution, fondée sur l'universalisme républicain, ne permettait pas l'introduction de quotas (à l'époque il s'agissait d'introduire des quotas, ce n'était pas la parité).

Donc on avait décidé de commencer par réviser la Constitution, et non pas de revenir sur la démarche qui avait échoué au début des années 80, c'est-à-dire de présenter d'emblée une loi sur la parité. Si bien que (je vais le rappeler mais sans doute cela a-t-il été dit avant) il y a eu deux lois sur la parité en politique.

Il y a d'abord eu une loi constitutionnelle modifiant la Constitution, sans quoi rien n'aurait été possible. C'était la loi du 8 juillet 1999, la loi constitutionnelle, que j'ai défendue en tant que Garde des Sceaux à l'Assemblée et au Sénat. Et puis il y a eu ensuite la loi du 6 juin 2000, un an après, qui, elle, a introduit l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, et c'est cette loi-là qui a introduit la parité telle qu'on la vit aujourd'hui dans les partis politiques. Et puis nous avons eu d'autres lois sur lesquelles je passe l'égalité professionnelle, le nom de famille, l'autorité parentale.

En tout cas, je veux revenir devant vous sur ce qu'a été ma responsabilité principale, même si je suis à part cela tout à fait solidaire de tout ce qui a été fait dans ce gouvernement : la loi constitutionnelle qui a rendu la parité possible.

Quand nous avons réfléchi, au sein du gouvernement, à cette loi, nous étions d'emblée d'accord avec le Premier ministre, Lionel Jospin, pour dire qu'il fallait lui donner tout son fondement philosophique, pas simplement un fondement juridique, et rappeler toutes les difficultés qu'avaient eues les femmes en France (pas seulement les féministes, mais les femmes) à faire admettre, même à partir de la Révolution, qu'elles avaient le droit de s'exprimer dans la sphère publique. On se souvient, et je l'ai rappelé à la tribune de l'Assemblée nationale et du Sénat, d'Olympe de Gouges, on connaît tous sa fameuse déclaration des droits des femmes et cette magnifique phrase : « La femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune ». On se souvient que Condorcet lui-même s'est demandé si le législateur (je le cite) « n'avait pas violé le principe de l'égalité des droits en privant tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois, en excluant les femmes du droit de cité ». J'ai cité cela à la tribune de l'Assemblée, en introduction à mon discours sur le projet de loi constitutionnelle. On se souvient évidemment de toutes ces femmes qui ont fait petit à petit évoluer les choses, qui ont combattu, on se souvient aussi que le droit de vote n'a été accordé aux femmes en France, au lendemain de la Libération, que parce qu'en réalité elles se sont emparé du sujet et que c'était au fond une reconnaissance du rôle qu'elles avaient joué dans les deux guerres mondiales, en tenant notre pays alors que les hommes étaient au combat. Quand on sait que la Turquie a accordé le droit de vote aux femmes au début des années 30, et qu'aujourd'hui on se permet de faire la leçon, il n'y a pas de quoi être fiers... En tout cas, le raisonnement des principaux révolutionnaires était que la nation était une entité abstraite, et que l'universalisme républicain interdisait absolument que l'on reconnaisse les femmes en tant que telles au motif que l'universalisme républicain ne pouvait admettre la notion de « catégorie » de la population féminine. Évidemment, elles ne sont pas une catégorie puisqu'elles sont présentes dans toutes les catégories.

Donc, ce que nous avons décidé avec Lionel Jospin, c'est de reprendre les fondements philosophiques et de dire que l'universalisme n'était pas la neutralité. L'universalisme devait être conçu à partir de la mixité de l'humanité, tout simplement. On pouvait s'appuyer sur beaucoup de travaux qui avaient été faits auparavant, pour l'idée que nous avions, qu'une démocratie vivante devait être le reflet de la société, et qu'une démocratie ne pouvait être vivante que si elle était le reflet de la société.

Je tourne les pages de ce discours, que j'ai relu à cette occasion et auquel j'avais beaucoup travaillé. J'y avais mis beaucoup de toutes ces réflexions que nous avions eues, de celles que j'avais développées dans un livre que j'avais écrit en 1994 ou 1995, Être femme en politique , où j'avais eu l'occasion de beaucoup travailler avec des philosophes. Et donc, dans ce débat, on a clairement posé le problème philosophique et symbolique. Et, à la tribune de l'Assemblée et du Sénat, j'ai exprimé en particulier au nom du gouvernement les deux thèses en présence.

La première, c'est que par exemple pour quelqu'un comme Élisabeth Badinter, pour qui j'ai infiniment d'amitié et de respect, mais le courant de pensée qu'elle représentait... l'idée de parité remettait en cause l'idée traditionnelle d'égalité entre citoyens, idée qui d'ailleurs était conçue par eux abstraitement, et qui devait être conçue abstraitement, sans considération de race, de religion, d'opinion ou de catégorie. Et donc, si on introduisait la parité dans notre Constitution, on introduirait aussi l'idée de discrimination positive pour certains groupes. Donc, pour ce courant de pensée-là, introduire la parité serait reconnaître l'existence de minorités qui pourrait conduire, dans notre pays, à une dérive communautariste. Après les femmes, ce seraient les minorités ethniques, géographiques, linguistiques, qui pourraient être tentées de s'engouffrer dans la brèche. Introduire la parité, pour ce courant de pensée, ce serait donc remettre en cause l'unité de la nation et l'indivisibilité de la République. Et même au-delà, introduire la parité signifierait que le biologique faisait la loi en politique, et que les solidarités sexuelles l'emportaient sur les solidarités d'opinion. Voilà ce qui avait été exprimé pendant deux siècles, depuis la Révolution française.

Après avoir exprimé cette thèse, dans les termes que je viens de vous rappeler, j'ai défendu l'autre thèse. À force de défendre un universalisme abstrait, on gomme l'histoire et la réalité, et on fait abstraction du fait que, si les femmes ont été exclues de la citoyenneté, c'est parce qu'elles étaient des femmes précisément. Cela a été dit sous la Révolution française de la façon la plus nette. Que le neutre a en réalité servi la domination masculine, et là, je veux rappeler l'importance du langage. Car ce n'était pas neutre que d'entendre « le » ministre, « le » député. Malheureusement, on revient en arrière, là. Et c'est parce que nous voulions, en accompagnement de la loi constitutionnelle, signifier que le langage avait ce rôle structurant sur l'état d'esprit et les mentalités, que nous avons insisté, non seulement pour les femmes politiques mais bien au-delà, sur la féminisation des titres. Vous vous souvenez de tout ce débat, qui n'était pas anodin. Comme par hasard, c'étaient évidemment les fonctions les moins nobles qui avaient été féminisées, et celles qu'on considérait comme étant supérieures, ou valorisantes dans la société, qui étaient restées masculines. Je le dis parce qu'actuellement plus personne ne semble accorder trop d'importance à cela. Moi, je veux qu'on dise « la ministre » et « la députée », pour moi en tout cas.

En tout cas, ce que nous avons dit, c'est d'abord qu'il n'était pas question de dérive communautariste, parce que les femmes ne sont pas un groupe ou une communauté, une catégorie ou une minorité, elles sont la moitié de l'humanité. Il y a des femmes dans toutes les catégories, sinon l'humanité elle-même n'existerait pas, bien entendu. De nombreuses philosophes (j'avais cité Sylviane Agacinsky parce qu'on en avait beaucoup parlé ensemble) avaient remarqué, à ce moment crucial du débat, qu'au fond, ce dont il était question c'était de reconnaître la mixité du genre humain, et que « toutes les fois » (je la cite) « qu'on efface la différence sexuelle, on identifie en réalité le genre humain à un seul sexe, celui de l'homme, l'humanité est universellement sexuée, elle est donc universellement mixte ».

Voilà les fondements sur lesquels nous avons constitué notre réforme. C'est la raison pour laquelle nous avons dit qu'une simple loi ne suffisait pas, et nous avons souhaité, dans la loi constitutionnelle, nous référer à l'article 3 de la Constitution, c'est-à-dire l'article, justement, qui définit le caractère universel de la Constitution. Ceci a eu son importance, parce que, au Sénat, des sénateurs ont refusé dans un premier temps que l'on se fonde sur l'article 3, tout en ne voulant pas s'opposer à l'idée d'une loi constitutionnelle sur la parité. Ils ont dit : « Il faudrait fonder cette révision constitutionnelle sur l'article 4 qui parle des partis politiques, et renvoyer aux partis politiques le soin de mettre en oeuvre la parité ». Je m'y suis opposée au nom du gouvernement, avec le soutien des sénatrices et sénateurs de gauche, pour dire : « Non ! À partir du moment où le Conseil constitutionnel a fondé sa décision du 18 novembre 1982 sur la question de l'universalité, il faut que dans la Constitution nous prenions parti sur l'universalité, et donc il faut modifier l'article 3, et pas seulement l'article 4, même s'il est évident que les partis politiques (on va y revenir dans l'application) ont un rôle fondamental à jouer ».

Nous avons donc modifié la Constitution de cette façon-là. L'Assemblée nationale voulait encore durcir le projet de loi du gouvernement, je l'avais accepté dans un premier temps... Finalement, cela s'est bien passé entre les deux assemblées, puisque vous savez que pour modifier la loi constitutionnelle il faut arriver à une rédaction identique dans les deux assemblées, que cette rédaction identique soit votée avec une majorité dans chacune des deux assemblées. C'est ensuite seulement que le Congrès peut être réuni. Il était donc très important d'aboutir à une même rédaction à l'Assemblée et au Sénat.

Quoi qu'il en soit, dans les navettes et à la commission paritaire, qu'est-ce que nous avons fait ? Nous avons gardé la modification de l'article 3 sur le texte initialement proposé par le gouvernement, et non pas tel qu'il avait été précisé ce n'était pas mal, pourtant par l'Assemblée, pour faire un pas vers le Sénat. Et nous avons également accepté dans l'article 2 que l'on fasse référence à l'article 4 de la Constitution, c'est-à-dire au rôle des partis politiques. Voilà comment ce texte s'est fait.

Ensuite, modifier la Constitution était la condition nécessaire mais évidemment pas suffisante pour introduire la parité dans nos lois. Et cela, cela a été le rôle de la loi de juin 2000, qui a été présentée par Jean-Pierre Chevènement à l'Assemblée nationale et au Sénat. J'ai participé en ce qui me concerne aux débats préparatoires à cette loi, et là encore nous avons eu des débats au sein du gouvernement. Fallait-il imposer les 50 % ou pas ? Fallait-il ne s'intéresser qu'aux scrutins de liste, ou également prévoir des dispositions pour les scrutins uninominaux, question évidemment extrêmement importante pour le débat qui va nous occuper maintenant. Moi, j'ai défendu d'abord l'idée que, si on voulait être cohérent avec la façon dont nous avions présenté la modification de la Constitution, c'est-à-dire en partant de notre définition de l'universalisme, alors cela ne pouvait être que 50 %. On ne pouvait pas revenir à l'idée de quota. À partir du moment où on dit que l'universalité est sexuée et que l'universalisme c'est la mixité du genre humain, c'est forcément 50 %, car les femmes sont la moitié de l'humanité. Cela a été retenu par le Premier ministre.

Deuxièmement, sur les scrutins de liste, c'était une position qui avait été prise par le Premier ministre, y compris dans ses discussions avec les autres partis de gauche : il s'était engagé à ce que les lois sur la parité ne remettent pas en cause les modes de scrutin. À partir de ce moment-là, il ne pouvait pas être question, à l'occasion des lois sur la parité, de généraliser les scrutins de liste, ce qui évidemment aurait résolu le problème de l'application, puisque dans le scrutin de liste, naturellement (on le voit dans l'application) il y a une alternance six par six, une alternance stricte entre les hommes et les femmes, ce qui ne se fait pas dans les scrutins uninominaux.

Alors, débat... Faut-il modifier les modes de scrutin ? Moi, j'étais naturellement solidaire avec la décision du gouvernement. Je crois que c'est une question qui va évidemment au-delà. Mais, en même temps, refuser la généralisation des scrutins de liste a des répercussions très importantes sur l'application de la parité. Je n'ai pas la réponse, mais peut-être pourrions-nous en débattre. Peut-on, par d'autres dispositions que celles qui ont été adoptées dans la loi de juin 2000, c'est-à-dire des pénalisations financières qui à l'évidence ne sont pas suffisantes, puisque les partis politiques préfèrent payer... Donc peut-on trouver d'autres moyens que la généralisation des scrutins de liste pour faire effectivement appliquer la parité politique dans tous les scrutins ? C'est une question à laquelle je n'ai pas la réponse, mais à laquelle nous avons, les unes et les autres, les uns et les autres, réfléchi. Je crois qu'il y aurait moyen de faire mieux que ce que nous avons fait.

Alors, maintenant, la question posée par Françoise Gaspard : est-ce qu'il n'aurait pas fallu prévoir, faire un bilan, et avoir des lois évolutives ? Je répondrai à cela que pour la loi constitutionnelle, non. Il fallait modifier la Constitution. Elle est modifiée, et ce n'est pas la façon dont nous avons modifié la loi constitutionnelle qui est un obstacle à la parité, cela a ouvert le champ.

En revanche, sur la loi de juin 2000, oui, je pense que nous aurions dû prévoir, et qu'il faudrait essayer de l'obtenir maintenant en effet, un bilan, une révision tous les cinq ans. Parce que je crois que nous sommes obligés de constater que la parité n'existe pas. On a quoi ? Six femmes de plus à l'Assemblée nationale !... Et je crains, surtout, que l'on revienne en arrière, parce que, de la même façon qu'on est en train de revenir en arrière sur le langage et sur la féminisation des titres, je crains qu'il y ait des tentations. Alors ce ne sera pas possible sur les scrutins de liste, mais je crains qu'on ne se rattrape en quelque sorte sur les autres scrutins pour revenir en arrière.

Voilà ce que je voulais vous dire. Sur les conventions internationales, je ne pense pas qu'il eût été suffisant, au regard de notre droit, de se fonder sur les conventions internationales. Nous nous sommes posé cette question, et nous avons abouti à la conclusion qu'il y avait une incertitude sur la position qu'adopterait le Conseil constitutionnel. Nous n'avons pas voulu courir ce risque, c'est pourquoi nous avons choisi de modifier la Constitution.

En revanche, effectivement, les conventions internationales et les conventions européennes... Je me souviens de l'article 141 du traité d'Amsterdam, que nous avons été tout un groupe à rédiger parce qu'il se trouve que, quand j'étais députée européenne, je représentais le Parlement européen dans la conférence intergouvernementale qui a fait le traité d'Amsterdam. Et nous avons, au Parlement européen, rédigé ce fameux article 141 qui a posé le principe, non seulement de l'interdiction de la discrimination qui existait avant , mais qui a admis que les États pouvaient avoir des mesures de discrimination positive (enfin, ce n'était pas dit comme cela, d'ailleurs c'est un mot qu'il ne faut pas employer), des mesures positives incitatives pour pouvoir permettre la parité.

Maintenant, je crois qu'il faut essayer d'aller au-delà. On a cette révision constitutionnelle, il faut s'interroger sur la meilleure façon d'améliorer la loi, et surtout aussi d'améliorer les mentalités. Parce que jusqu'où peut aller la loi ? Qu'est-ce qu'elle peut permettre ? Je crois que c'est sur cela qu'il faut s'interroger.

Edith Cresson

Merci pour cet exposé qui a permis de mieux comprendre la genèse de cette loi. D'abord le combat qu'il a fallu mener sur le plan des idées, sur le plan philosophique (les femmes sont-elles une catégorie, etc. ?). Ensuite le débat par rapport à la Constitution, et puis, aujourd'hui, malgré les mérites de la loi, on voit des limites qui sont liées beaucoup aux modes de scrutins. Plus exactement, si le mode de scrutin de liste était général, il n'y aurait pas ce problème. Mais du fait que pour diverses raisons on est attaché au scrutin d'arrondissement, on peut effectivement se demander comment faire pour aboutir à ce que nous ne soyions pas absolument ridicules par rapport à des pays comparables au niveau de la représentation des femmes à l'Assemblée nationale.

Maintenant que nous avons entendu la genèse de la loi sur la parité, on va voir un peu plus en avant l'application de la loi sur la parité, et je vais donner la parole d'abord à Gwenaëlle Calvès, qui est professeur à l'université de Cergy-Pontoise et qui va nous donner ce à quoi elle a réfléchi sur ce sujet.

III. GWÉNAËLE CALVÈS, PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ DE CERGY-PONTOISE

Sur ce sujet en particulier, je vais peut-être vous décevoir mais je crains de ne pas avoir grand-chose à dire. L'application de la loi du 6 juin 2000 sur l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives a produit, lors des élections municipales et sénatoriales de 2001 et législatives de 2002, les résultats que l'on connaît. Le bilan que l'on peut en dresser est, pour certains, celui d'un succès relatif ; il s'analyse, pour d'autres, comme un échec presque complet. La bouteille est-elle à moitié pleine ou aux trois quarts vide ? On a vu, tout au long de cette journée, que les avis, sur cette question, restent très partagés. Comment expliquer cette demi-réussite (ou ce quasi-échec) ? Les députées et sénatrices qui s'exprimeront après moi sauront, bien mieux que je ne pourrais le faire, apporter des réponses à cette question complexe.

Intervenant ici en qualité de professeur de droit, j'ai pensé décaler la question d'un cran, pour m'interroger, non pas sur l'application de la loi du 6 juin 2000, mais sur la loi qui en a rendu l'adoption possible, c'est-à-dire la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999.

Je voudrais centrer mon propos sur la manière dont le Conseil constitutionnel a interprété les dispositions introduites dans notre Constitution par cette loi du 8 juillet 1999, qui prévoit d'une part - je le rappelle - que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » (article 3, alinéa 5 de la Constitution) et, d'autre part, que « les partis et groupements politiques [...] contribuent à la mise en oeuvre [de ce principe] dans les conditions déterminées par la loi » (article 4, alinéa 2 de la Constitution).

Le Conseil a eu l'occasion, à plusieurs reprises, d'interpréter le nouvel alinéa 5 de l'article 3 de la Constitution, et certaines de ces décisions me semblent poser un problème sur lequel je voudrais attirer l'attention ici.

Ce problème comporte deux versants, un versant pratique et un versant plus théorique.

Au plan pratique, il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que la sphère d'application des techniques paritaires est étroitement bornée. Toute tentative d'extension de la parité hors du domaine des élections politiques semble vouée à l'échec, en raison de l'opposition d'un Conseil résolu à faire barrage au point même de contrôler des lois autres que celles qui lui sont déférées.

Sur un plan plus théorique, ce barrage dressé par le Conseil renvoie à un problème classique au libellé peu engageant : le problème du « gouvernement des juges ». Sans aller jusqu'à a agiter ce spectre, je crois qu'il est possible de soutenir que la question de la parité a mis au jour un problème de fond dans le fonctionnement de la justice constitutionnelle en France. Il faut en effet garder à l'esprit que les dispositions constitutionnelles qui nous occupent ont été introduites dans la Constitution pour surmonter la décision d'inconstitutionnalité prononcée par le Conseil le 18 novembre 1982 49 ( * ) . Le constituant dérivé a décidé, dix-sept ans plus tard, de répondre au juge constitutionnel, ou, plus exactement, il a décidé - usant du pouvoir de dernier mot qui est le sien - de clore la discussion .

Or le Conseil a repris la parole, et il semble bien qu'il ne s'incline pas.

Je voudrais montrer que son interprétation des dispositions constitutionnelles issues de la loi du 8 juillet 1999 en atténue et même en altère la portée. Leur champ d'application s'est trouvé drastiquement limité, puisqu'il ressort de la jurisprudence du Conseil que le nouveau texte, non seulement ne s'applique qu'à un nombre très limité d'hypothèses (I) mais qu'en outre, là où il s'applique, se borne à énoncer un simple « objectif » (II).

I- Le législateur (ordinaire ou organique) ne peut étendre à d'autres domaines qu'à celui des élections politiques la démarche paritaire qui inspire la loi du 6 juin 2000

Au cours de l'année 2001, trois séries de mesures ont été adoptées par le Parlement - sans discussion ou presque - pour étendre au monde professionnel la logique de quota introduite l'année précédente dans la sphère électorale.

La première mesure a été inscrite dans la loi du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dite loi Génisson , qui entendait rendre plus effectif le dispositif de la loi Roudy de 1983. Dans ce cadre général, certaines dispositions concernaient plus spécifiquement l'égalité entre hommes et femmes dans la fonction publique. Le taux de féminisation des jurys de concours n'étant pas dénuée d'incidence sur le pourcentage de femmes admises ou promues, la loi prévoyait que les commissions administratives paritaires ainsi que les jurys et comités de sélection des fonctionnaires devraient être composés de façon à «concourir à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes ».

La seconde mesure concernait le mode de désignation du Conseil supérieur de la Magistrature. Le cas du Conseil supérieur de la magistrature est fort intéressant puisque la magistrature judiciaire est le seul « lieu de pouvoir » où la parité a été spontanément atteinte : elle compte 50,2% d'hommes et 49,8 % de femmes. Le phénomène du « plafond de verre » n'en est pas moins réel, le CSM notamment, au moment où le législateur s'est saisi du problème, ne comprenant qu'une femme sur les six représentants des « magistrats de base ». L'objet de la loi adoptée le 30 mai 2001 était d'imposer une règle de parité aux deux degrés de l'élection des six membres du CSM. : au premier degré, les listes soumises aux magistrats du siège pour l'élection d'un collège de cent soixante membres ainsi qu'aux magistrats du parquet pour un collège de cinquante membres, devaient être composées selon un principe de stricte alternance entre les sexes, de sorte que les collèges de « grands électeurs » auraient été composés d'autant de femmes que d'hommes. Au second degré, ce collège aurait désigné, au scrutin de liste, les six membres du CSM - les listes, là aussi, devant être paritaires - c'est-à-dire, puisque ces listes comprennent chacune trois noms, comporter au moins un nom de femme et un nom d'homme.

Troisième mesure, enfin : en décembre 2001, la loi de modernisation sociale instituait un dispositif de « validation des acquis de l'expérience » destiné à favoriser la mobilité sociale. Cette mesure devait permettre aux travailleurs qui ont forgé « sur le tas » leur qualification professionnelle de voir celle-ci sanctionnée par un titre universitaire ou professionnel. Selon le type de diplôme recherché par le postulant, la loi prévoit que le jury devra soit être composé de 50 % au moins d'enseignants chercheurs, soit garantir une « présence significative de représentants qualifiés des professions concernées ». L' « expérience » des hommes et des femmes au travail se déroulant dans des conditions fort loin d'être identiques, le législateur avait en outre prévu qu'elle serait appréciée par des jurys dont la composition devait concourir, à l'instar des jurys de la loi Génisson, « à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes ».

Aucune de ces dispositions, il faut le souligner, n'étaient contestées devant le Conseil. Il a décidé de les examiner d'office. Au terme de cet examen, il a déclaré contraire à la Constitution la disposition relative à l'élection des membres du CSM 50 ( * ) . Les dispositions relatives aux jurys de validation des acquis de l'expérience ont quant à elles fait l'objet d'une réserve d'interprétation - réserve dont le Conseil, pour la première fois dans son histoire, a déclaré qu'elle valait aussi pour les dispositions homologues d'une loi déjà promulguée, la loi Génisson 51 ( * ) .

Ces deux décisions - d'inconstitutionnalité d'une part, de conformité sous réserve d'autre part - ne sont pas aisées à réconcilier entre elles.

Dans les deux cas, c'est par rapport à l'article 6 de la Déclaration de 1789 qu'a été analysée la disposition paritaire. La qualité de membre du CSM, aussi bien que la participation aux divers jurys et commissions administratives, doit s'analyser, a décidé le Conseil, comme l'acceptation d'une de ces « dignités, places et emplois publics » auxquels l'article 6 de la Déclaration de 1789 garantit que « tous les Citoyens sont également admissibles » « selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Sur ce premier point, il est sans doute possible de se demander, comme l'avait fait en son temps Danièle Lochak à propos de la décision de novembre 1982, si la référence à l'article 6 n'est pas quelque peu « hors sujet » 52 ( * ) . Est-ce en considération de ses « vertus » et ses « talents » qu'un magistrat est désigné par ses pairs pour siéger au CSM ? Ne serait-ce pas plutôt en fonction de son appartenance syndicale et, plus largement, des intérêts ou positions qu'il s'affirme résolu à défendre ? Si la représentation proportionnelle a été introduite, sans encourir la censure du juge, par la loi organique de mai 2001, n'est-ce pas, justement, pour permettre une représentation des différentes « sensibilités » présentes dans le corps judiciaire ? S'agissant par ailleurs de la désignation des membres des jurys de concours, ne sont-ils pas tous membres du même corps de la fonction publique et donc, par hypothèse, également « compétents » ?

Pierre angulaire du droit public français, l'article 6 de la Déclaration de 1789 est donc mobilisé ici dans un contexte où il ne s'imposait pas avec la force de l'évidence. Mais c'est surtout la question de sa portée exacte qui demeure obscure. Dans le cas de la décision Conseil supérieur de la magistrature , cet article de la Déclaration semble imposer une position que les Américains qualifieraient de genderblind , c'est-à-dire une interdiction totale de prise en compte du genre : comme en novembre 1982, ce n'est pas une éventuelle discrimination qui s'est trouvée censurée, mais la simple existence d'une « distinction entre candidats en raison de leur sexe » - au sens où l'article premier de la Constitution interdit toute distinction « d'origine, de race ou de religion » 53 ( * ) . Dans la décision Loi de modernisation sociale en revanche, la prise en compte du genre n'est pas exclue par principe. Il est simplement précisé qu'elle ne saurait prévaloir sur celle des « capacités », des « vertus » et des « talents », c'est-à-dire, dans le langage plus moderne adopté par le Conseil, « sur celle des compétences, des aptitudes et des qualifications » (cons. 115). Comme l'explique un commentateur autorisé, cette réserve « ne paralyse nullement l'exécution [de la loi] », mais « ouvre la voie à un `paritarisme' raisonnable, à la `parité du possible' » 54 ( * ) - à une parité, comme on dit en jargon administrativiste « vidée de son venin ».

L'article 6 de la Déclaration, d'une décision à l'autre, ne semble donc pas avoir exactement la même portée. Il impose une approche qui est tantôt genderblind , et qui tantôt ne l'est pas - sans qu'on puisse très bien expliquer cette différence de régime.

C'est en tout cas sur lui que tout repose - cet article 6 qui, en novembre 1982, avait été combiné à l'article 3 de la Constitution (relatif à la souveraineté) pour déclarer inconstitutionnels les « quotas par sexe » aux élections municipales. L'article 3 de la Constitution a été révisé en juillet 1999 pour permettre l'instauration de ces fameux quotas, mais le Conseil décide que l'article 6 de la Déclaration, s'il ne peut évidemment plus jouer en combinaison avec l'article 3 de la Constitution, n'en demeure pas moins opposable à la démarche paritaire - dans la même interprétation qu'en 1982 . En d'autres termes, le sens et la portée de l'article 6 de la Déclaration, appliquée à la question de l'égalité entre les femmes et les hommes, n'ont en rien été affectés par la révision de juillet 1999. Pourquoi ? Parce que les modalités d'accès aux « dignités, places et emplois publics autres que ceux ayant un caractère politique » ne peuvent comporter une distinction entre candidats en raison de leur sexe (Décision C.S.M. , cons. 58). Les nouvelles dispositions constitutionnelles, selon le Conseil, « ne s'appliquent qu'aux élections à des mandats et fonctions politiques « .

Pour justifier cette interprétation minimaliste, le Conseil souligne que le Constituant a choisi d'insérer la réforme « paritaire » au sein des articles 3 et 4 de la Constitution, ce qui impliquerait qu'il a expressément entendu limiter le champ d'application de la révision au domaine des élections politiques.

À ce stade je crois qu'il faut dire que le Conseil s'engage - et nous engage - dans un véritable jeu de dupes.

Nous sommes en plein jeu de dupe parce que le Conseil a raison (le champ de la révision a bien été expressément circonscrit au domaine politique) mais il n'a raison qu'à moitié : si le champ de la révision a été limité au domaine politique, c'est parce qu'en toute autre matière, l'instauration de mécanismes tendant à la parité était déjà possible . Sur ce point, l'argumentation développée devant l'Assemblée Nationale par Mesdames Guigou et Péry ne laisse place à aucune ambiguïté 55 ( * ) : après avoir rappelé l'accueil généralement favorable que le Conseil réserve aux divers mécanismes de discrimination positive, elles ont souligné que la censure de 1982 avait été provoquée par la considération du terrain sur lequel intervenait le quota (celui des élections politiques), et que c'est donc sur ce terrain qu'il convenait de se placer pour surmonter sa décision. Le Constituant de l'époque était d'autant plus persuadé de l'inutilité d'une révision largement formulée qu'il avait été conforté dans cette analyse par le Conseil d'État. Celui-ci, dans son avis du 11 juin 1998 56 ( * ) , avait déconseillé au Gouvernement de déposer un projet de loi constitutionnelle prévoyant que « la loi ou la loi organique peut fixer les règles favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques, professionnelles et sociales ». Si le législateur entend favoriser l'égal accès des femmes et des hommes à ces responsabilités, avait expliqué le Conseil d'État, il peut se fonder (entre autres) sur le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme». Il est superflu d'offrir une habilitation constitutionnelle au législateur désireux de faire progresser la parité économique et sociale : il l'a déjà.

II- Le législateur (ordinaire ou organique) peut restreindre la portée de la loi du 6 juin 2000 (et d'ailleurs il l'a fait)

Si le législateur ne peut que très difficilement étendre à d'autres domaines la démarche paritaire qui anime la loi du 6 juin 2000, il peut en revanche réviser cette dernière « à la baisse » sans le Conseil constitutionnel y trouve rien à redire.

La loi du 6 juin 2000 a été modifiée, en 2003, par deux nouveaux textes dont on peut dire, en empruntant un euphémisme au dernier rapport de l'Observatoire de la Parité, qu'elles « semblent de nature à remettre en cause la dynamique paritaire ». C'est en tout cas ce qui était argué par les parlementaires qui ont déféré au Conseil la loi du 11 avril 2003 relative à l'élection des conseilleurs régionaux et des représentants au parlement européen, puis la loi du 30 juillet 2003 portant réforme de l'élection des sénateurs.

La loi du 11 avril 2003 a, il est vrai, étendu aux élections régionales le système « chabada » de la candidature alternée. Mais, à côté de cette très légère avancée de la parité, cette loi a surtout entrepris de multiplier le nombre de listes proposées au suffrage des électeurs. Or la création de « sections départementales » aux élections régionales, tout comme le découpage de « circonscriptions inter-régionales » se substituant, pour l'élection des représentants au Parlement européen, au ressort électoral unique, risquaient fort, en multipliant le nombre de têtes de listes, d'exposer les partis à la tentation de désigner surtout des hommes.

Quant à la loi du 30 juillet 2003 relative aux élections sénatoriales, elle portait de trois à quatre le nombre de sénateurs à partir duquel l'élection se déroule à la représentation proportionnelle. Elle avait donc pour effet d'augmenter le nombre de départements où l'élection, organisée au scrutin uninominal, n'est pas soumise au respect des règles de parité.

Or l'ensemble de ces dispositions, a décidé le Conseil, est constitutionnellement irréprochable 57 ( * ) . Le juge a prononcé une déclaration de conformité en invoquant, pour l'essentiel, deux raisons.

La première est que « les dispositions critiquées » n'ont « ni pour objet, ni, par elles-mêmes, pour effet de réduire la proportion de femmes élues» (2003-468, cons. 46). Les dispositions critiquées, en d'autres termes « ne portent pas, par elles-mêmes, atteinte à l'objectif d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » (2003-475, cons. 17). Une éventuelle réduction du nombre de femmes élues serait imputable, nous dit en substance le Conseil, au comportement des formations politiques, et non pas à la loi elle-même. qui ne les empêche certainement pas de désigner, à la tête des différentes listes, des femmes exclusivement. Cet argument est difficilement criticable au plan juridique : le contrôle de constitutionnalité pratiqué en France est un contrôle abstrait , qui ne tient pas compte des conditions ultérieures d'application de la loi.

La seconde raison est que « l'objectif de parité » inscrit dans la Constitution « n'[a] pas pour objet et ne saurai[t] avoir pour effet de priver le législateur de la faculté qu'il tient de l'article 34 de la Constitution de fixer le régime électoral des assemblées » (2003-475, cons. 18). L'argument est ici encore imparable : la révision de juillet 1999 ne visait, en aucun cas, à constitutionnaliser les modes de scrutin.

Il reste que la parité, appelée en cas de conflit à s'effacer devant d'autres règles ou principes constitutionnels, est devenue un simple « objectif d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions politiques ». Il semble bien - le Doyen Vedel avait d'ailleurs immédiatement porté ce diagnostic - que « le Constituant a parlé pour ne rien dire, sinon pour laisser au législateur ordinaire le soin de décider à sa place » 58 ( * ) .

George Vedel avait vu dans ce jeu entre le législateur et le Constituant une sorte de « marivaudage constitutionnel ». Il n'envisageait pas que ce tête-à-tête pourrait être troublé par un troisième acteur, en la personne d'un juge déterminé à promouvoir, contre l'interprétation du législateur et contre la volonté du constituant, une conception abusivement étroite du principe de parité entre les femmes et les hommes.

Edith Cresson

Merci. On voit que le texte qui a été voté soulève une montagne d'interrogations. Je vais donner la parole brièvement à Élisabeth Guigou pour faire quelques observations sur ce qui vient d'être dit.

Élisabeth Guigou

Je crois que c'était très important de rappeler cela. C'est vrai que l'objet de la discussion de cet après-midi était la parité en politique, en tout cas c'est ce que j'avais compris, mais c'est vrai que, lorsque nous avons décidé de modifier la Constitution, nous avons fait l'analyse que l'obstacle constitutionnel se situait sur la parité en politique, et pas sur les autres éléments. Vous avez très bien montré comment le Conseil constitutionnel, en réalité, a pris prétexte du fait qu'on n'avait pas modifié d'autres articles de la Constitution, pour contourner le raisonnement juridique qui prévalait jusqu'ici, et que le Conseil d'État, dans sa décision de 1998, avait validé. Au fond, dans notre esprit, l'obstacle était sur la parité politique et il n'était pas ailleurs, du fait des textes internationaux.

C'est d'ailleurs dans cet esprit-là que j'ai présenté la loi sur le CSM. Nous avions de la suite dans les idées. On se disait que puisqu'on avait fait voter la loi constitutionnelle sur la parité, on allait maintenant faire en sorte que cela puisse être appliqué, dans les lois qui allaient venir, et dans la loi de modernisation sociale aussi puisque, initialement, c'était une loi qui n'avait pas été introduite. Et on voit donc bien comment on peut tordre... La question se pose maintenant, et je vous remercie d'avoir rappelé cela, car c'est un aspect très important du sujet.

IV. ANNE-MARIE PAYET

Je voudrais d'abord excuser ma collègue Annick Bocandé qui n'a pu se joindre à nous aujourd'hui. Elle est en pleine campagne électorale et en quelque sorte elle est en train de se battre, elle aussi, pour la parité.

L'annonce de la loi sur la parité a provoqué chez certains hommes politiques et dans la population en général une certaine résistance qui s'est, globalement, manifestée sous deux formes.

D'un côté ceux qui pensaient, sans oser le dire ouvertement, que la place de la femme est au foyer, qu'elle doit s'occuper en priorité des tâches domestiques, de l'éducation des enfants. Pour eux, « femme » et « politique » étaient deux mots absolument incompatibles. Ils considèrent la femme comme un être fragile, qui n'aura pas suffisamment de force physique ou psychologique pour surmonter et affronter toutes les tensions, les agressions, les conflits qui sont monnaie courante dans ce monde cruel et presque exclusivement masculin.

Puis, de l'autre côté, ceux qui disent qu'une femme peut jouer, qu'une femme doit même jouer un rôle politique, mais que cela devrait se faire naturellement et qu'on n'avait pas besoin d'une loi pour cela. Ceux-ci craignaient en fait un détournement de la loi, une manipulation des femmes considérées comme de simples pions que l'on déplace à volonté. Il faut reconnaître que leurs craintes étaient hélas fondées, car certains, en métropole comme outremer, n'ont pas hésité à faire élire des femmes avec démission programmée en faveur de candidats masculins en cas de victoire. Certains auraient réussi je préfère parler au conditionnel. D'autres ont seulement tenté de le faire, mais ne sont pas allés jusqu'au bout, ramenés à la raison par des collègues plus respectueux des lois.

Et puis d'autres encore, déçus d'être relégués à la troisième place au profit d'une femme, n'ont pas pu résister à la tentation de présenter des listes dissidentes.

En plus de cette réticence, d'autres obstacles s'opposaient à la réforme. Un obstacle philosophique d'abord, car beaucoup considéraient cette loi comme une mesure de discrimination positive Mme Guigou a évoqué ce problème tout à l'heure. Et puis un obstacle constitutionnel, puisqu'en 1982 le Parlement français avait décidé que, pour les élections municipales, les listes de candidats ne pourraient comporter plus de 75 % du même sexe. Le Conseil constitutionnel a rectifié cette disposition.

Pour faire un rapide bilan de l'application de cette loi, il faut reconnaître que l'application de l'alternance hommes-femmes sur les listes a produit des résultats très encourageants aux municipales de 2001, même si le nombre de femmes maires ne s'est amélioré que dans des proportions modestes, et aux sénatoriales de la même année, même si les résultats ne portent évidemment que sur un tiers de l'effectif de la haute assemblée. Ainsi, les municipales de 2001 ont vu passer de 25,7 % à 47,4 % la proportion de femmes parmi les conseillers municipaux dans les communes de plus de 3 500 habitants. Les élections sénatoriales ne concernaient que la série B, le nombre de femmes élues dans cette série est passé de 5 à 22, soit de près de 5 % environ à 21,3 %.

En ce qui concerne maintenant les mesures d'incitation financière, elles ont permis, il est vrai, d'avoir 38,5 % de femmes candidates aux législatives de 2002, soit deux fois plus qu'en 1997, mais le nombre de femmes élues est faible, seulement 6 de plus qu'en 1997. Ce sont les petits partis qui ont joué le jeu de la parité, les grandes formations ont méconnu leurs obligations malgré les sanctions financières qui pénalisent davantage les petits partis mais beaucoup d'intervenants l'ont déjà souligné. Le bilan est donc décevant en ce qui concerne les mesures d'incitation financière, mais très positif pour ce qui est des mesures plus contraignantes, même si la ministre, Mme Ameline, a précisé tout à l'heure qu'il faudrait les conjuguer avec d'autres mesures, sans toutefois préciser lesquelles.

À La Réunion, les chiffres sont meilleurs que ceux de la moyenne nationale, mais dans certains cas seulement. Nous avons par exemple 6 femmes parmi les 49 conseillers généraux, soit 12 % contre 7 % en métropole ; 7 femmes parmi les 47 conseillers régionaux, soit 14 %, et là nous sommes en retard puisque la moyenne nationale est de 27 % (mais nous avons cette année un grand espoir de rectifier le tir) ; 1 femme parmi les 5 députés, soit 20 % contre 12 % en métropole ; 1 femme aussi parmi les 2 députés européens, soit 50 % contre 40 % en métropole ; et 1 femme parmi les 3 sénateurs, ce qui représente 33 % contre 11 % en métropole. En revanche, nous n'avons aucune femme maire, aucune femme à la présidence du conseil général, du conseil régional, ou à la tête des EPCI. En ce qui concerne les sénatoriales, La Réunion fait partie des départements de la série B, qui comporte trois sièges de sénateurs, mais nous ne serons pas pénalisés en terme de parité puisque le nombre de sièges de sénateurs passe de 3 à 4 avec la réforme de 2003.

J'aimerais maintenant évoquer mon engagement en politique. Je dis souvent que je ne suis pas entrée en politique, mais c'est la politique qui est entrée en moi et qui s'est imposée comme un devoir. J'ai commencé à militer après un changement de municipalité en 1995. Ma commune, qui avait toujours été de droite depuis sa création (c'est la plus jeune commune de l'île), s'est retrouvée à gauche par le biais d'une alliance contre nature, et j'ai senti, avec un groupe d'amis, le besoin de réagir. Nous avons donc structuré notre position, et nos efforts ont été récompensés parce que le candidat que nous avons présenté aux cantonales a été élu et, quelques années plus tard, nous avons aussi remporté les municipales.

Quand j'ai été contactée pour être sur une liste aux sénatoriales, j'ai été un peu étonnée, mais c'est vrai que la liste ne pensait pas obtenir 2 sièges. Mais à ma grande surprise et à ma grande satisfaction, nous avons obtenu 2 sièges et j'ai été élue. Ainsi, dans la même année, j'ai eu mon premier mandat celui de maire adjointe, en mars 2001 et en septembre le mandat de sénatrice. Ce qui fait que j'ai encore beaucoup à apprendre.

Le scrutin majoritaire reste de règle dans de nombreuses élections, les législatives, les sénatoriales dans les départements élisant de 1 à 3 sénateurs, ce qui représente quand même la moitié des sièges du Sénat, et les élections cantonales. Les femmes ont du mal à se faire une place avec ce mode d'élection, parce qu'elles n'ont pas l'investiture de leur parti. Le prétexte qui est le plus souvent invoqué, c'est qu'il est difficile, même au nom de la parité, d'écarter des hommes qui se sont investis dans les circonscriptions. Mais les chiffres le prouvent : 12 % de femmes députées, moins de 10 % de femmes conseillers généraux, et cette sous-représentation se fait sentir au niveau des exécutifs locaux. Il y a 11 % seulement de femmes maires, 1 seule femme parmi les présidentes des Conseils généraux, et 5 % de femmes seulement parmi les présidents des EPCI.

La parité en politique est bien sûr une affaire de lois, mais aussi une affaire de mentalités, et beaucoup considèrent que, tant que les tâches du foyer et l'éducation des enfants resteront en majorité de la responsabilité des femmes, et tant que la vie politique sera organisée de telle manière qu'une femme doit, pour s'y investir, renoncer en grande partie à une vie familiale normale, les femmes hésiteront à s'y engager. Et ce n'est pas un hasard si bien des femmes ne décident de s'engager dans des activités politiques qu'après l'âge de quarante ans, lorsque les enfants sont élevés.

Beaucoup reste à faire, donc, en terme de parité. Et si la loi est nécessaire, les effets de la loi ne seront pas suffisants si les partis politiques ne s'engagent pas à en faire une priorité. Certains partis ont émis quelques propositions. Par exemple, pour les municipales, abaisser à 2 500 habitants le seuil à partir duquel le scrutin proportionnel s'impose ; imposer le principe de la parité lors des désignations des adjoints au maire et des délégués dans les structures intercommunales ; étendre le scrutin proportionnel aux élections cantonales, ou maintenir le scrutin uninominal, mais en instaurant une suppléance paritaire, ce qui aurait l'avantage d'éviter un certain nombre d'élections partielles (il y en a eu, au cours des dix dernières années, 541 je crois.)

Il y a une proposition plus radicale, aussi, qui consisterait à généraliser le scrutin de liste proportionnel avec obligation d'alternance, et une proposition très importante qui envisage d'assurer la formation des militantes et des militants en amont, car les motifs de refus invoqués par les femmes quand elles sont sollicitées sont en priorité la peur de prise de parole et le manque de maîtrise de l'argumentaire politique.

En conclusion, je dirai que la France est le seul pays à avoir inscrit la parité dans sa Constitution, ce qui nous a permis de voter une loi pour que la moitié des candidats aux élections européennes, régionales et municipales, soient des femmes. C'est un acquis très important qu'il ne faut pas négliger, mais nous devons rester vigilantes et essayer d'améliorer la situation en permanence. Mme la présidente, Gisèle Gautier, a parlé ce matin de « mission de veille parlementaire », et je suis tout à fait d'accord avec elle. Parce que le cours naturel des choses et l'attente d'un éventuel changement de mentalité ne suffiront pas à rééquilibrer la représentation des femmes dans le monde politique.

V. DANIÈLE POURTAUD

Cela va être difficile d'être brève et surtout de ne pas redire ce qui a été dit... Je vais rebondir sur ce que disait tout à l'heure Élisabeth Guigou. J'ai été élue sénateur en 1995, et je suis devenue sénatrice en 1997 lorsque Lionel Jospin a imposé, par une circulaire, la féminisation des noms de fonctions et de titres. La première fois qu'une ministre m'a interpellée dans l'hémicycle en me disant « madame la sénatrice », il y a eu plus qu'un brouhaha, et la première fois qu'une ministre est venue dans ma commission, elle s'est faite interpeller par un certain nombre de mes collègues masculins sur le thème : « Madame la ministre, puisqu'il faut parler québécois » ! Heureusement, toutes ces plaisanteries (et je ne parle pas des plus scabreuses) se sont calmées. Quoi qu'il en soit, je dirai comme Élisabeth que malheureusement, les bonnes pratiques qui sont, je le répète, inscrites dans les lois de la République connaissent actuellement un recul puisque j'entends beaucoup de ministres qui disent, en parlant de leurs collègues, « madame le ministre », et qui s'adressent à nous en disant « madame le sénateur ». Généralement, ils ne recommencent pas deux fois avec moi, mais tout de même...

Qu'est-ce que je pourrais dire encore pour rendre hommage au Sénat ? Il faut bien constater que, dans le débat sur la loi constitutionnelle sur la parité dont parlait tout à l'heure Élisabeth Guigou, le Sénat a rendu service à la parité et, d'une manière générale, à la progression de l'égalité dans ce pays parce qu'en bloquant la révision constitutionnelle dans un premier temps, il a contribué à ce que le débat envahisse la sphère publique, à ce que les médias se saisissent du problème, ce qui a abouti à des manifestations devant le Sénat. Finalement, la majorité sénatoriale s'est rangée à la cause de la révision constitutionnelle lorsque les sondages ont montré qu'il y avait plus de 80 % des Français qui étaient pour. Donc, malgré lui, il a fait progresser la cause ! Je le dis avec un peu d'humour mais avant tout, je continue à penser que le débat public est essentiel, parce que la bataille est culturelle.

Revenons un peu au thème du bilan de la loi sur la parité. Évidemment, verre à moitié vide ou à moitié plein... Je ne vais pas vous redire ce qui vient de vous être excellemment dit par ma collègue sur les chiffres. Pour faire court, là où elle s'applique, la loi a atteint son but (47,5 % de femmes dans les conseils municipaux, une progression importante dans le renouvellement du Sénat sur les départements à la proportionnelle, ce qui a permis de doubler le nombre de femmes qui sont passées de 6 à 11 % au Sénat). Mais là où la loi ne s'applique pas, nous avions fait le pari, dans les débats que nous avions eus avec le gouvernement, nous les parlementaires socialistes qui avons beaucoup contribué à écrire la déclinaison électorale de la révision constitutionnelle, nous avions fait le pari, puisque le Premier ministre s'était engagé, comme l'a dit Élisabeth, à ne pas changer les modes de scrutin, qu'il y aurait une contamination sur les autres modes de scrutin principalement les modes de scrutin uninominaux, les cantonales, les municipales pour les communes en dessous de 3 500 habitants. Nous avions fait le pari de la contamination, et cela n'a pas marché... car, aujourd'hui, il y a toujours un peu moins de 10 % de femmes dans les conseils généraux...

Pour ce qui est des modes de scrutin, je pense qu'effectivement il faut encore réfléchir à des modifications législatives, parce que, clairement, on voit bien que la résistance est très forte, qu'on peut même avoir des retours en arrière. Je vais revenir un instant sur ce qu'a démontré Mme Calvès. Bien sûr, il y a eu deux modes de scrutin qui ont été récemment modifiés, avec une avancée cosmétique de la parité (ce sont les scrutins régionaux et européens), même si je crains, comme Mme Calvès, que le nouveau scrutin européen ne débouche pas sur une avancée pour les femmes, avec les 8 circonscriptions. Mais il y a aussi eu un recul majeur de la nouvelle loi modifiant le mode de scrutin aux élections sénatoriales. Le gouvernement nous a proposé de diminuer le nombre de départements où les sénateurs sont élus à la proportionnelle. On était arrivé à peu près à un équilibre, et aujourd'hui on revient à un scrutin uninominal pour les départements qui élisent jusqu'à 3 sénateurs. Donc, recul de la proportionnelle. Or, tout le monde sait que la parité s'appuie plus facilement sur la proportionnelle que sur le scrutin uninominal, surtout aux sénatoriales puisque, au scrutin uninominal, quel est le vivier pour les candidats ? Celui des conseils généraux, dans lesquels il y a moins de 10 % de femmes ! Le groupe socialiste a d'ailleurs déposé un recours devant le Conseil constitutionnel et je ne comprends toujours pas comment le Conseil constitutionnel a fait pour ne pas l'invalider. Après avoir écouté Mme Calvès, j'y vois un peu plus clair. Et j'ai du coup une autre réforme à proposer, c'est qu'on impose la parité au Conseil constitutionnel, cela fera sans doute avancer les choses.

Je pense que la principale résistance, qui a été évoquée par ma collègue à l'instant, c'est aussi le pouvoir. On a fait des modifications législatives pour faire entrer les femmes, mais on n'a pas encore touché réellement aux lieux de pouvoir. On a des conseils municipaux avec 47,5 % de femmes ; mais on n'a rien précisé dans la loi pour les exécutifs, or ceux-ci sont loin d'être paritaires. Rare exception pour Paris dont l'exécutif est paritaire, par la seule volonté du maire. Il a même d'ailleurs été plus loin puisqu'on est 18 adjointes pour 15 adjoints. Je pense qu'il est nécessaire d'inscrire dans la loi la parité pour les exécutifs municipaux.

Ensuite, chacun sait que, depuis qu'on a créé les intercommunalités, le lieu du pouvoir s'est beaucoup déplacé du conseil municipal vers les conseils de l'intercommunalité. Tant qu'on n'aura pas réformé le mode de scrutin pour les intercommunalités, et qu'on n'aura pas élu leurs membres au scrutin direct et donc à la proportionnelle, on ne pourra pas y appliquer des règles paritaires. Or aujourd'hui, il n'y a que 5,4 % d'intercommunalités qui sont présidées par une femme, et seulement une seule femme présidente d'une intercommunalité de plus de 200 000 habitants. Donc là encore, la loi sera nécessaire pour modifier le mode de scrutin pour que la parité puisse s'appliquer.

Les cantonales... On n'a pas pu y toucher étant donné le mode de scrutin. La contamination vertueuse n'existe pas. Que faire ? Moi, je pense qu'il faudrait changer le mode de scrutin. Une des propositions qui, dans mon parti politique, commence à circuler, c'est l'idée de faire des tickets. Moi, je ne suis pas tellement d'accord avec l'idée des suppléances, parce qu'on se demande qui va être le titulaire et qui sera la suppléante... Je suis plutôt pour une réforme qui consisterait à multiplier par deux le nombre de conseillers généraux en France. Après tout, dans le cadre des lois de décentralisation, on va confier beaucoup plus de pouvoir aux Conseils généraux. Et donc les tickets seraient obligatoirement paritaires.

Pour les législatives... cette proposition a également été faite. En tout cas, c'est clair, l'incitation financière n'a pas marché. On avait beaucoup travaillé au Parlement, parce que, là, le gouvernement nous a vraiment beaucoup associées, je le redis à Élisabeth, j'en garde un très bon souvenir. On a beaucoup réfléchi pour inventer la parité aux municipales, on a beaucoup cherché sur les législatives. On se demandait s'il fallait une prime pour les partis qui présenteraient suffisamment de femmes (je crois que c'était Yvette Roudy qui disait que cela ressemblait un peu à la « prime à la vache »). Finalement, on a choisi l'autre solution, la pénalité pour les partis qui ne présenteraient pas un nombre égal d'hommes et de femmes. Le résultat, vous le connaissez. 12 % de femmes à l'Assemblée. Donc ça ne marche pas. Je ne suis pas fière du tout de mon parti ! C'est nous qui avions porté la parité et on n'a pas su la faire respecter : 38 % de candidates, et après les accords divers et désistements, 36 %. Il y avait 20 % de candidates au RPR, ce qui n'était pas mieux. En fait, le RPR a préféré payer quatre millions d'euros d'amende et le PS deux millions d'euros !

Évidemment, on peut envisager des changements radicaux de mode de scrutin : la proportionnelle certains le défendent. Autre solution, la semaine dernière, j'étais dans un colloque en Italie, et on nous a dit qu'il y aurait une proposition de loi présentée par Massimo D'Alema et une sénatrice socialiste, qui viserait à proposer de ne pas rembourser les dépenses électorales des partis qui ne présenteraient pas un nombre égal d'hommes et de femmes. Moi je trouve cela assez radical... Cela supposerait évidemment de modifier la loi sur le financement des partis politiques en France, donc c'est compliqué, mais... je vous garantis que si on ne rembourse pas les frais de campagne, cela va commencer à faire réfléchir ! En attendant, je propose qu'on se mobilise de manière très intense, chacune dans nos partis. Le parti dans lequel je milite a quand même fait entrer la parité dans ses instances, donc cela nous permettra, j'espère, d'être plus fortes. Et je suggère une méthode que nous avions essayé d'imposer à Paris aux dernières législatives. Nous avons 21 circonscriptions à Paris, mais nous les avions divisées en 3, donc il y en avait 7 dans chaque catégorie : les très bonnes, celles où il y avait déjà un député socialiste ; les gagnables, celles où on voyait à travers les dernières élections une forte progression ; et les terres de mission. Évidemment, je vous donne le résultat : nous avons réussi à imposer dans les très bonnes 1 candidate, nous avons réussi à imposer dans les gagnables 1 candidate, et pour les terres de mission, nous en avons eu 6 sur 7... Le résultat, évidemment, vous l'avez deviné, comme c'était un bon cru pour la gauche à Paris, on a eu 2 élues, 1 dans les gagnables et 1 dans les très bonnes circonscriptions. Je pense qu'avec cette méthode qui consiste à ce que les femmes d'un parti se mobilisent et fassent un classement des circonscriptions (même si ce sont toujours les électeurs qui auront le dernier mot et même si c'est très aléatoire), on peut faire des grandes catégories. Si on arrive à imposer que les femmes ne soient pas que dans les terres de mission, on aura sans doute de meilleurs résultats à l'Assemblée la prochaine fois. Et, Edith, je ne peux pas m'empêcher de conclure en disant simplement que toutes, on doit se souvenir de ce que disait François Mitterrand : « L'égalité n'est jamais acquise, c'est toujours un combat ».

VI. NICOLE BORVO

Je vais être très brève. Effectivement l'égalité et la parité sont un combat. Je suis sénatrice communiste et présidente du groupe Communiste, Républicain et Citoyen. Je voudrais dire ici que j'ai une bonne expérience de ma formation politique, puisque je suis la seule femme à présider un groupe politique dans toutes les formations, à l'Assemblée nationale, au Sénat et au Parlement européen concernant la France. Évidemment, nous sommes montrés du doigt (la France). Je partage ce qu'a dit Élisabeth Guigou, c'est-à-dire que la politique étant si importante en France, et les attributs du pouvoir politique étant tellement importants, il est bien évident que, alors que les femmes travaillent très majoritairement, travaillent plus en France que dans d'autres pays, font des études plus que dans d'autres pays, en politique on les garde un peu en lisière. On voit bien le pourquoi.

J'ai cette expérience qui est positive. Dans ma formation politique, il y a assez longtemps que la parité existe dans les instances, en tout cas comme objectif, et qu'on s'efforce de le remplir. Je rappelle qu'en 1924 le Parti communiste présentait des femmes alors qu'elles n'étaient pas éligibles aux élections nationales. Je veux dire aussi que, avant moi, une autre femme était présidente de ce groupe au Sénat, et je dois dire que ce groupe est quasi paritaire, puisque sur 23 membres il y a 10 femmes. Vu le nombre de femmes sénatrices, nous en avons une bonne partie au groupe Communiste Républicain et Citoyen.

En même temps que j'ai cette expérience positive dans ma formation politique, je dois dire que là aussi rien n'est jamais acquis. Il faut bien constater que les reculs sociaux dont sont victimes particulièrement les femmes ont des effets sur la possibilité des femmes à accéder à des responsabilités politiques, à s'investir dans le champ politique, etc. De ce point de vue, la période actuelle nous montre que cela n'est pas facilité par les difficultés sociales et économiques des femmes, et tout cela est très lié.

Concernant mon expérience des lois sur la parité, ici au Sénat, on a entendu des choses extraordinaires dans le débat sur la parité, à savoir que tout a été dit pour considérer que la loi sur la parité était une ineptie, et qu'il ne fallait surtout pas avoir une loi constitutionnelle sur la parité ni une loi sur la parité dans les élections. Je le rapprocherai de ce que nous avions connu avant, je crois en 1995 ou 1996, quand les responsables des partis politiques avaient été auditionnés par les délégations aux femmes, et où un secrétaire général du RPR nous avait expliqué à l'époque qu'ils feraient beaucoup d'effort pour que les femmes accèdent à la politique, et qu'aux prochaines législatives il y aurait des femmes suppléantes dans une grande partie des circonscriptions parce que les femmes ne peuvent quand même pas accéder tout de suite à un mandat de députée, il faut d'abord qu'elles fassent leur apprentissage, qu'elles soient d'abord suppléantes. C'est tout dire ! Et je crois que ceci est profondément réactionnaire mais que cela existe profondément.

Heureusement, l'opinion publique, nos concitoyens, sont beaucoup plus féministes. Comme le disait ma collègue tout à l'heure, il a été positif effectivement que le débat, compte tenu de la position du Sénat, vienne sur la place publique, parce que cela a donné la possibilité à l'opinion publique de s'exprimer et de manifester qu'au fond elle était plutôt favorable, majoritairement favorable à la parité. D'où un certain effet sur les parlementaires de droite au Sénat. Évidemment, on a entendu des tas de choses : allait-on présenter des femmes simplement parce que ce sont des femmes ? Mettez cela au masculin, et ce serait extraordinaire. Qu'il s'agisse de listes « chabada » ou de paquets moitié-moitié, on est en train de tout encadrer. À force de contraindre, on va arriver à l'inverse de ce que l'on souhaite. Je vous en passe et des meilleures. D'ailleurs, on comprend pourquoi la loi a suscité beaucoup d'émotion chez les sénateurs. Ils se sont empressés d'ailleurs, à droite, de se diviser pour pouvoir quand même garder leurs sièges aux élections sénatoriales qui ont suivi, et vite, en 2003, avec la modification du mode de scrutin sénatorial, comme cela a été dit, ils se sont empressés de revenir à la proportionnelle au niveau de 4 (c'était 3 et c'est revenu à 4) pour éviter de se trouver dans l'obligation de présenter des femmes aux sénatoriales.

Sur le constat, je fais le même que tout le monde, mais je voudrais insister sur le fait que la loi sur la parité a permis d'augmenter le nombre de femmes élues. Évidemment il y a peu d'élections, mais c'est un fait aux municipales, c'est un fait aux sénatoriales, ce sera un fait aux régionales, et évidemment cela pose un problème important, qui est celui du mode de scrutin. D'ailleurs, je dois dire que la droite craignait beaucoup que cette poussée vers la parité n'ait comme conséquence une poussée vers des modifications des modes de scrutin. Et moi, personnellement, et ma formation politique de même, je suis favorable à la proportionnelle dans tous les scrutins, parce que je trouve que c'est plus juste politiquement et, en ce qui concerne la parité, cela oblige à la parité. On n'a pas encore trouvé la méthode pour imposer la parité dans les scrutins uninominaux. En tout cas, je suis aussi favorable à ce que, aux scrutins uninominaux, on trouve le moyen d'avoir de véritables pénalisations, et non pas des fausses pénalisations qui font que les partis les plus riches puissent se dégager de leurs obligations en payant plutôt que de présenter des femmes.

Je suis aussi favorable à un statut des élus. Il faut bien dire que l'absence de statut pénalise encore davantage les femmes que les hommes, et certains partis politiques plus que d'autres. Donc je crois que le statut de l'élu sur lequel on discute depuis très longtemps devrait être réfléchi. Un statut qui permettrait à la fois d'être élu et donc quitter une activité professionnelle et la reprendre ensuite, d'avoir une formation pour reprendre ensuite une activité professionnelle, avoir de quoi vivre quand on est élu... Tout cela, à mon avis, est absolument nécessaire si on veut avancer.

Je crois donc qu'il faut continuer de considérer que c'est un combat, un combat qui participe aussi du combat pour l'égalité dans tous les domaines, mais avec l'idée qu'il y a besoin d'obligation en politique, parce que sans obligation je crois que la parité, non seulement ne se fait pas facilement, mais aura tendance à reculer parce que le poids des difficultés pèse toujours plus sur les femmes.

VII. JANINE ROZIER

Sans la parité, je ne serai pas là à m'exprimer devant vous. On m'a demandé de rendre témoignage de mon engagement politique. Je vais essayer de le résumer.

J'étais donc une mère de famille de quatre enfants qui s'occupait de ses enfants, qui habitait dans une commune rurale gérée par de vieux messieurs qui ne faisaient rien du tout, notamment pour les enfants et les familles. Alors je me suis dit que je parlais plusieurs langues, que j'étais clerc de notaire, que peut-être je pouvais faire quelque chose. En 1971, l'ancien maire n'ayant pas été réélu, il y a eu une crise municipale difficile. Tous les hommes élus se sont battus. Personne ne voulait être maire. On nous a mis sous délégation de la préfecture, bref... J'ai été sollicitée par une liste et tout le monde a été élu. C'était une liste composée de 10 hommes et moi, et je n'avais jamais assisté à une réunion de Conseil... J'ai accepté d'être maire. J'ai fait face et fait mon apprentissage sur le tas et pendant 5 mandats.

J'ai donc été trente ans maire. D'une commune qui comptait 900 habitants en 1971 (elle en a maintenant 3 500). À chaque mandat, j'ai fait entrer des femmes dans mon équipe et je trouve que les femmes sont très efficaces, qu'elles sont sérieuses et compétentes. Quand on leur donne un dossier, elles le mènent jusqu'au bout et cela a toujours été un plaisir de travailler avec des femmes.

En 1975, le Premier ministre de l'époque, Jacques Chirac, avait invité les femmes maires à fêter le 30 e anniversaire du vote des femmes. Nous n'étions que 2% de femmes maires en France. Et c'est peut-être là que je me suis dit qu'il fallait faire en sorte qu'il y ait davantage de femmes en politique.

Vous savez qu'à la suite du changement de gouvernement de 1981, de nouveaux cantons ont été créés. Dans le département où j'habite, il a été créé 5 nouveaux cantons dont un dans lequel était ma commune, qui était un canton dont on disait qu'il était « rouge » et il y avait beaucoup de candidats de gauche. Je n'avais aucun engagement politique à l'époque, je gérais seulement ma commune. Je me suis présentée et j'ai été élue.

Je pense avoir été élue parce que j'ai insisté dans ma profession de foi sur le fait qu'il fallait aussi élire des femmes.

Je dois dire que c'est extrêmement difficile, une élection cantonale, parce qu'on est tout seul. Quand ce sont les municipales, les législatives ou les régionales, on est dans une liste, mais aux cantonales, on se présente seul. Il faut afficher sa figure partout, il faut tenir des meetings, il faut dire « je suis la meilleure ». C'est très difficile de faire une campagne cantonale quand on est une femme, qu'on se trouve face à des militants extrêmement motivés, voire violents.

J'ai été 19 ans conseillère générale, seule femme avec quarante hommes. J'ai fait entendre la voix des femmes. Nous avons des choses à dire. Nous sommes de plain-pied dans la vie de tous les jours. Nous avons une autre façon de voir les choses et tendance à les juger avec le coeur.

Et en 2001, aux sénatoriales, grâce à la proportionnelle et à la parité, j'ai fait partie d'une liste « chabada ». J'étais la deuxième et j'ai été élue. Il s'avère que les deux autres sénateurs sont des hommes très connus, qui travaillent beaucoup, qui font beaucoup de choses, qui sont brillants. Il faut donc que j'existe.

Depuis mon arrivée au Sénat, à la commission des Affaires sociales, je me suis investie dans tous les problèmes qui touchent à la famille. Au titre de la Délégation aux droits des femmes, j'ai travaillé sur la loi relative à l'autorité parentale puis celle relative au divorce. Parce que je trouve que c'est un moyen de défendre la cause des femmes qui sont souvent victimes dans ces conflits familiaux surtout au travers de leurs enfants.

Je vais rapidement arriver à mes conclusions qui vont sans doute vous paraître terre à terre parce que les autres intervenantes ont toutes parlé de la loi, du Conseil constitutionnel, etc... et que moi, je vais parler des problèmes de tous les jours et dire que c'est très difficile pour une femme de s'engager en politique. Il y a des handicaps partout. Tout à l'heure, Madame Ameline, notre ministre, a dit que les jeunes femmes diplômées voulaient d'abord et surtout faire des enfants, et que c'était l'exception française.

Mais quand une jeune femme fait des enfants, il faut qu'elle porte le quotidien : son emploi, les maladies infantiles, les jours de grève à l'école, tout ce qu'il y a autour du quotidien et, à l'heure de son déjeuner, elle fait les courses pour assurer l'intendance de la famille. Comment veut-on qu'elle trouve encore le temps de s'engager dans la vie associative ou dans un conseil municipal, Donc, il y a là un handicap très sérieux, si on veut être à la fois une femme et une femme élue.

L'engagement politique, que qu'il soit est forcément (à partir du moment où on forme un couple) un engagement du couple. Il y a beaucoup de sacrifices à faire, beaucoup de couleuvres à avaler, et c'est quand même mieux quand on les avale à deux.

Vous vouliez connaître mon parcours d'élue. Je vous l'ai donné même si c'est d'une façon un peu lapidaire.

Pour ce qui est de mon avis sur une parité obligatoire, et instaurée, ce serait trop long à expliquer... Je dirai seulement qu'hommes et femmes sont complémentaires et que cette complémentarité est une richesse.

Le jour où les hommes auront compris que c'est une richesse, peut-être ne nous laisseront-ils pas seulement « les terres de mission » comme l'a dit Mme Pourtaud.

Il reste aux femmes à réussir à être à la fois l'âme de la maison, l'éducatrice des enfants et l'élue de terrain. Elles savent le faire quand les hommes leur laissent une petite place... .

DÉBAT AVEC LA SALLE

Monique Dental

Je suis Monique Dental, l'animatrice d'un collectif qui a été très actif autour de toutes les luttes sur la parité depuis 1986, et qui continue à l'être d'ailleurs par rapport à tout ce que vous avez souligné comme limites que nous devons arriver à dépasser. Dans la question que je voulais poser, il y a deux points.

Premièrement, est-ce que vous ne pensez pas que les limites qui ont été observées par rapport à la loi elle-même, sont déjà introduites dans l'énoncé même de la loi, puisque la loi dit « favorise l'égal accès etc. », alors que lorsque nous les associations avons été auditionnées à la commission des lois, à l'Assemblée nationale, nous avions demandé à ce que la loi « établisse » ou « garantisse ». Cela, c'est un point.

Le deuxième point que je voulais préciser c'est que, lorsqu'on parle de la place des femmes en politique, c'est bien entendu la question de la place des femmes par rapport à la démocratie. Et que la démocratie, elle se pose aussi pour faire en sorte de changer le rapport au politique, c'est-à-dire de faire en sorte de faire la politique autrement, comme le mot a été assez à la mode. En tout cas, dans les associations qui se sont battues pour la parité, toutes ces questions-là étaient complètement débattues. Donc nous avions rattaché à la revendication de parité, et on continue de le faire encore, ce qu'on a appelé les mesures d'accompagnement de la parité, c'est-à-dire faire en sorte (pour justement ne pas avoir cette dénégation du politique, où ce qui est remis en cause aussi c'est une véritable conception de l'élu comme professionnel de la politique)... Nous avions envisagé aussi de toucher à tout ce qui était le statut de l'élue (Mme Pourtaud l'a dit), mais aussi la question du non-cumul de mandats, ou la limitation à l'exercice de deux mandats, mais aussi à la question de la limitation de l'exercice des mandats dans le temps (on l'avait limité à l'exercice de deux mandats de même nature), et puis on avait envisagé aussi la question de la proportionnelle dans tous les modes de scrutin. Donc, sur cette question-là, est-ce que véritablement vous êtes prêtes à envisager tous ces points-là comme faisant partie de la question de la parité pour envisager véritablement de vivifier la démocratie, ou est-ce que cela vous semble impossible ?

Anne-Marie Durand

Je suis maire d'une commune de 3 000 habitants. Je râle depuis un moment, parce que dans aucun discours politique, nulle part je n'ai entendu la limitation du nombre de mandats pour les maires, les conseillers généraux, les députés, les sénateurs et autres. Et je pense que c'est un problème de pouvoir. Tant qu'on ne libèrera pas les places des personnes qui détiennent le pouvoir, il est illusoire de continuer à parler de parité et de progression des femmes dans la vie politique. Je crois que c'est le premier des passages obligés. Certes, cela dérange tous ceux qui détiennent le pouvoir.

Edith Cresson

Sur ce point-là, je vais vous répondre. Élisabeth va répondre à la première question.

Le cumul de mandats est un débat qui existe depuis longtemps. Il y a eu déjà des dispositions qui ont été prises. Qu'elles soient totalement respectées, ce n'est peut-être pas toujours le cas, mais en tout cas il y a déjà au moins une discussion là-dessus et quelques orientations. On a affirmé ici et là qu'il ne fallait pas de cumul des mandats, ce qui est une spécificité française, puisque dans les autres pays européens il n'y a pas ce cumul des mandats (quand on est maire, on n'est que maire, on n'est pas en même temps député). Je pense qu'effectivement il faut faire avancer la réflexion et l'effort dans ce sens.

Ceux qui sont pour le cumul des mandats vous expliqueront qu'il est bon d'être dans sa mairie pour savoir ce qui se passe quand on est en même temps député, que c'est très difficile de voter les lois, de discuter sur les problèmes nationaux si on n'a pas une très bonne connaissance du terrain, et donc des problèmes au niveau municipal. Cela, c'est l'argument. Est-ce qu'il est vrai, est-ce qu'il est faux ? Il est vrai en partie. Je le sais parce que j'ai été en même temps maire et députée, maire et ministre, etc. C'est vrai que le contact avec le terrain est très important. On dit qu'on peut l'assurer même si on n'a pas le mandat de maire, mais on l'assure mieux si on a ce mandat.

C'est un débat qui est loin d'être tranché. Ce n'est pas le débat d'aujourd'hui, même si c'est vrai que cela libérerait des places et que cela permettrait de faire entrer des femmes. Je ne crois pas que ce serait suffisant, en tout cas, pour déterminer un nombre important de femmes, disons à l'Assemblée nationale. Je crois que les résistances ne sont pas seulement dans le manque de places, elles sont dans une volonté absolue qu'à l'Assemblée nationale il y ait des hommes en très très grande majorité, et que les femmes soient juste des accidents de parcours.

Élisabeth Guigou

Juste un point sur le cumul des mandats. Moi, je récuse absolument l'argument qui consiste à dire qu'il faut un mandat local en plus d'un mandat national pour être près du terrain. Moi, je n'ai qu'un mandat depuis deux ans, je suis députée de Seine-Saint-Denis, et cela ne m'empêche pas d'être sur le terrain. Je dirai même que j'ai plus de temps pour faire les deux choses. Je trouve que c'est un faux argument.

Maintenant, sur la question que vous avez posée sur la rédaction de l'article 3. C'est vrai que le gouvernement a proposé : « la loi favorise l'égal accès ». À l'Assemblée nationale, j'ai dit au nom du gouvernement, puisqu'il y avait eu les auditions des associations (dont vous étiez, nous-mêmes nous avions eu des contacts), j'ai accepté « la loi détermine les conditions... », c'est-à-dire une rédaction plus allante. Mais quand je suis arrivée au Sénat, je me suis rendue compte que cela ne passerait jamais. Puisque non seulement le Sénat n'acceptait pas cette rédaction-là, que j'avais à accepter en première lecture à l'Assemblée nationale, mais que le Sénat voulait qu'on ne modifie pas du tout l'article 3. Il voulait se limiter à la modification de l'article 4.

Même chose pour la proportionnelle. C'est vrai que, de la part de Lionel Jospin et de son gouvernement, nous étions d'accord (cela faisait d'ailleurs partie des accords que nous avions passés avec les autres partis de la gauche plurielle, qui eux étaient favorables à la proportionnelle le parti communiste, les verts), donc, dans l'accord que nous avions passé, c'était : on ne remet pas en cause les scrutins uninominaux. Cela faisait partie d'un accord de législature. Et je me suis rendue compte aussi que, même si nous avions voulu modifier et étendre la proportionnelle pour la parité, jamais la loi constitutionnelle ne serait passée au Sénat. J'ai dû apporter des gages, et répéter plusieurs fois l'engagement pris par le Premier ministre de ne pas modifier, à l'occasion de la parité, la loi électorale. Et c'est comme cela qu'on a pu obtenir que la loi constitutionnelle soit votée par une majorité au Sénat comme elle l'avait été à l'Assemblée nationale, et donc réunir la première condition pour qu'il puisse y avoir une modification par le Congrès, la loi votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, à la majorité, et ensuite aux deux tiers (encore fallait-il les deux tiers) par le Congrès. Donc, si nous avions fait autre chose, jamais nous n'aurions abouti, j'en ai la conviction et d'ailleurs des sénateurs de la majorité sénatoriale me l'ont dit, ce n'était pas possible.

Finalement, je crois aussi que la rédaction actuelle du cinquième alinéa de l'article 3 n'est pas ce qui empêche la parité dans les élections politiques. Je crois que ce qui empêche, c'est tout ce que nous avons dit sur le défaut d'application de la loi de juin 2000. Et puis effectivement, ce qu'a souligné Mme Calvès, c'est-à-dire que pour l'extension de la parité à d'autres champs, on a le barrage fait par le Conseil constitutionnel.

Edith Cresson

Merci. Je voudrais remercier toutes celles qui ont pris la parole à la tribune, et tous ceux qui ont assisté et participé à cette réunion ; dire qu'au terme de ces débats on s'aperçoit que le problème est loin d'être tranché ; qu'en ce qui concerne la représentation des femmes dans la vie politique, on est très loin du but ; la contamination vertueuse n'a pas eu lieu, même si on pouvait penser qu'elle aurait lieu, elle n'a eu lieu ni dans la sphère politique ni dans d'autres champs de compétence, et il est probable que c'est par un changement de la loi, ou par une modification qui obligerait les partis à présenter des candidates (je parle pour les législatives) dans des circonscriptions qui soient des circonscriptions gagnables. Ce qui a été discuté en Italie paraît effectivement une suggestion intéressante. Autre chose est de réformer le mode de scrutin, c'est-à-dire de passer à la proportionnelle. La proportionnelle a des avantages, elle a aussi de grands inconvénients, il faut le savoir ; elle nécessite absolument un seuil minimum, parce que sinon on va vers un éparpillement qui serait dommageable. Que la proportionnelle soit souhaitée par - notamment - ce qu'on appelle les petits partis, c'est vrai et on voit bien pourquoi. On voit que dans les pays qui ont complètement adopté la proportionnelle on va vers des situations très difficiles. En Allemagne, il y a un panachage de scrutin local et proportionnel, et d'ailleurs c'est dans la partie proportionnelle qu'il y a un nombre de femmes très important qui peut intégrer le Parlement en Allemagne. Peut-être qu'une formule de ce genre est à trouver. En tout cas, on voit que la situation actuelle, même si elle a évolué (et ce n'est pas contestable, en tout cas là où il y a un scrutin de liste), il reste maintenant beaucoup d'efforts à faire, et probablement des efforts de réflexion au niveau législatif.

Merci de votre contribution à cette réunion et à cette réflexion.


* 1 Correspondance [ Corr .], XVIII, éd. Georges Lubin, Garnier, 1984, p. 353.

* 2 L'expression « écrivain-femme » apparaît une seule fois sous sa plume, à l'occasion de la préface au recueil de Nouvelles de 1861, parues chez Lévy.

* 3 Gustave Flaubert-George Sand, Correspondance , éd. Alphonse Jacobs, Flammarion, 1981, p. 521.

* 4 Voir notamment le chapitre XII de la Ve partie, in Histoire de ma vie , éd. Martine Reid, Gallimard, « Quarto, 2004.

* 5 Corr . V, p. 568.

* 6 Sur ce point, Sand est l'héritière directe de Pierre Leroux et de Félicité de Lamennais, comme elle l'avoue elle-même.

* 7 Repris dans Politique et polémiques (1843-1850), textes réunis et présentés par Michelle Perrot, Belin, 2004, p. 166.

* 8 Alexis de Tocqueville, Souvenirs , Gallimard, « Folio », 1978, p. 210.

* 9 Corr . VIII, p. 492.

* 10 Ibid ., p. 685.

* 11 Ibid ., p. 718.

* 12 Corr . XI, p. 506.

* 13 Sand et Mazzini furent longtemps en correspondance : c'est à cette grande figure de l'unité italienne que Sand fera de la situation politique en France, de l'échec de la révolution de 1848, des difficultés de l'opposition pendant le Second Empire le portrait le plus détaillé et le plus incisif.

* 14 Corr . VI, p. 836.

* 15 Corr . XXII, p. 349.

* 16 Corr. XXII, p. 564.

* 17 Voir sur ce point l'excellent article de Naomi Schor, « Le féminisme de George Sand : Lettres à Marcie », Revue des Sciences humaines , n° 226, 1992-2, pp. 21-35, où le mot est défini en ces termes.

* 18 Corr ., VIII, pp. 400-404, au Comité central.

* 19 Pourquoi les femmes à l'Académie ? [1861] repris dans Questions d'art et de littérature , Calmann-Lévy, 1878, p. 327.

* 20 On sait que le mot figure dès le premier chapitre d' Histoire de ma vie comme une sorte de leit-motiv à la raison de faire le récit de sa vie.

* 21 Corr . IV, pp. 18-19.

* 22 Corr . II, p. 879.

* 23 Corr . III, p. 713.

* 24 « Lettres à Marcie » in Souvenirs et impressions littéraires , Hetzel et Lacroix, 1866, p. 314. Voir aussi « L'homme et la femme », in Impressions et souvenirs , Calmann-Lévy, 1878, pp. 258-271.

* 25 Histoire de ma vie , p. 1265.

* 26 Gustave Flaubert-George Sand, Correspondance , p. 535.

* 27 Laurence Klejman et Florence Rochefort , L'Egalité en marche Le féminisme sous la Troisième République , Paris, PFNSP/des femmes, 1989.

* 28 Maria Deraismes, Eve dans l'humanité, (1868) , Préface de Laurence Klejman, Paris, Côté-femmes, 1990.

* 29 Florence Rochefort, « Démocratie féministe contre démocratie exclusive ou les enjeux de la mixité », in Michèle Riot-Sarcey (dir.), Démocratie et représentation , Paris, Kimé, 1995, p.181-202.

* 30 Hubertine Auclert, La Citoyenne 1848-1914 , préface, notes et commentaires Edith Taïeb, Paris, Syros, 1982 ; Steven C. Hause, Hubertine Auclert The french Suffragette , New Haven and London, Yale University Press, 1987.

* 31 Florence Rochefort, « Les féministes », in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar (dir.), Histoire des gauches en France , Paris, La Découverte, 2004, p.

* 32 www.senat.fr/evenement/archives/D25/manif.html

* 33 Retracé dans ma thèse, Les Filles de Marianne , Paris, Fayard, 1995.

* 34 L'histoire de cette histoire a été faite par Françoise Thébaud, Ecrire l'histoire des femmes , Fontenay-aux-Roses, ENS Saint-Cloud, 1998.

* 35 Liliane Kandel dir., Féminismes et Nazisme , Paris, Odile Jacob, 2003.

* 36 Cf. bu.univ-angers.fr/EXTRANET/CAF (inventaires en ligne ; articles numérisés de Cécile Brunschvicg dans La Française , documents iconographiques, etc.)

* 37 Cf. Christine Bard, « Les usages politiques de l'histoire des femmes (France, de 1981 à nos jours) », à paraître dans les actes du colloque Les usages politiques du passé dans la France contemporaine des années 1970 à nos jours , Université de Paris I, 25-26 septembre 2003.

* 38 Merci à Corinne Bouchoux qui a réalisé cette enquête pour la ville d'Angers.

* 39 Cf. Catherine Marand-Fouquet, « Olympe de Gouges au Panthéon », Eliane Viennot dir., La Démocratie à la française ou les femmes indésirables , Paris, Publications de l'université de Paris 7 - Denis Diderot, 1996, pp. 269-278.

* 40 Sophie Berthelot n'y est pas pour ses mérites personnels : décédée quelques heures avant son mari, le chimiste Marcellin Berthelot, elle a été inhumée, selon le voeu de son époux, avec lui. La panthéonisation a eu lieu en 1907.

* 41 « Les femmes restent sans voix », La Dépêche , 22 avril 2000.

* 42 Elle soulignait l'inconscience des parlementaires qui avaient accepté de répondre au quizz que le magazine proposait sur l'histoire des femmes. Roselyne Bachelot exceptée, les élus souffraient d'une grande ignorance.

* 43 « Genre et histoire du féminisme en France », Christine Bard, Christian Baudelot, Janine Mossuz-Lavau dir., Quand les femmes s'en mêlent. Genre et pouvoir , La Martinière, 2004, p. 224.

* 44 Les éditions des Journaux officiels, 2004, 47 p.

* 45 Ê tre femme en politique , Paris, Plon, 1997.

* 46 Cf. Mariette Sineau, Profession : femme politique , Paris, Presses de Sciences Po, 2001.

* 47 Secrétariat d'abord autonome, dans le deuxième gouvernement Rocard, puis rattaché au ministre du travail et de l'emploi dans le gouvernement Cresson, au ministère des finances dans le gouvernement Bérégovoy.

* 48 Elles ont été moins souvent choisies parmi les élues que parmi la société civile. Seules trois d'entre elles sont députées.

* 49 Décision n°82-146 DC du 18 nov. 1982, réaff. par la décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999.

* 50 Décision 2001-445 DC du 19 juin 2001.

* 51 Décision 2001-455 DC du 12 janvier 2002.

* 52 Danièle Lochak, "Les hommes politiques, les "sages" (?)... et les femmes (à propos de la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982), Droit social , février 1983, pp. 131-137.

* 53 Pourquoi étendre, par voie prétorienne, cette prohibition au « genre » ? La réponse, dans l'affaire tranchée en novembre 1982, était extrêmement claire : la « distinction » se trouvait interdite en raison de la matière dans laquelle elle intervenait, à savoir l'exercice de la souveraineté nationale. Or l'exercice de la souveraineté nationale, ici, n'est absolument pas en cause - selon en tout cas l'analyse qu'en donne le Conseil lui-même, qui voit dans l'élection des membres du CSM une élection à caractère administratif (ou professionnel).

* 54 Jean-Eric Schoettl, Petites Affiches du 21 janv. 2002, n°15, p. 16.

* 55 J.O. Débats 15 déc. 1998 pp. 10499-.10502.

* 56 Reproduit in Rapport public pour 1999, EDCE n°50, La Documentation française, 1999, pp. 70-71.

* 57 Décisions 2003-468 DC du 3 avril 2003 et 2003-475 DC du 24 juillet 2003.

* 58 G. Vedel, « La parité mérite mieux qu'un marivaudage législatif », Le Monde du 21 janv. 1999.

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