Les enjeux du haut débit : « collectivités locales et territoires à l'heure des choix »



Palais du Luxembourg, 12 novembre 2002

TABLE RONDE- NTIC ET ATTRACTIVITÉ DES TERRITOIRES : RÔLE DES COLLECTIVITÉS LOCALES ET DES OPÉRATEURS

Sous la présidence de M. Philippe ADNOT

M. Daniel KAPLAN. - Tous les participants de cette table ronde sont amenés à être les acteurs clés. Et le débat qui s'ouvre est une sorte de pré-débat législatif sur le « paquet Télécom », mais il concerne également le thème de la décentralisation. Par conséquent, l'introduction de la question précédente était importante.

La question de cette table ronde porte sur la procédure et l'organisation.

Comment doit-on organiser le développement du haut débit sur les territoires, quels objectifs voulons-nous atteindre ? Donner la priorité au développement du haut débit dans les territoires et lutter contre la fracture numérique sont deux thèmes différents. Quel rythme devons-nous adopter pour atteindre ces objectifs ? Devons-nous suivre le rythme du marché, le rythme du changement de génération ? De quelle manière et avec quels acteurs ?

Pour y répondre, je vais m'appuyer sur les intervenants de la table. Il s'agit de :

- M. Dominique Caillaud, Député de Vendée et qui représente l'Association des maires de France (AMF)

- M. Michel Gonnet, Directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations

- M. Jean-Luc Harrousseau, Président du Conseil Régional des Pays-de-Loire, représente l'Association des Régions de France (ARF)

- M. Philippe Bertran, qui représente M. Jean-Paul Cottet, Directeur de la Communication et des Relations Extérieures de France Télécom.

- M. Philippe Adnot, sénateur et Président du Conseil général de l'Aube.

- M. Bruno Sido, sénateur et Président du Conseil général de la

- Haute-Marne, représente l'Assemblée des Départements de France (ADF).

- M. Jean-Michel Hubert, Président de l'Autorité de Régulation des Télécommunications (ART)

- M. Romain Delavenne, Directeur du Marketing LAMBDANET, « un opérateur d'opérateur »

- M. Jean-Louis Constanza, Président-directeur général de TELE 2, un opérateur qui s'adresse au client final.

Je vais à présent laisser la parole à M. Bruno Sido et rentrer dans le coeur du débat. L'Assemblée des départements de France s'apprête à prendre des positions assez claires sur la question des priorités politiques, des objectifs, et des rôles respectifs des acteurs locaux nationaux privés et publics. Pouvez-vous introduire le débat, qui sera éventuellement contradictoire, en nous décrivant les missions de l'Association ?

M. Bruno SIDO, sénateur et Président du Conseil général de la Haute-Marne

Je vous remercie. Effectivement, je représente l'ADF. Les départements réclament depuis longtemps une compétence générale en matière de technologie d'information et de communication. Les départements fondent la légitimité de leur demande sur leurs objectifs fondamentaux d'aménagement du territoire.

Même si Paris doit donner les grandes orientations, elle ne peut avoir une vision cohérente du tissu économique local et des besoins de la population. Ce sont donc les échelons de proximité, comme les communautés de communes, et plus particulièrement les départements, qui semblent les plus compétents en la matière.

Dans le contexte des directives européennes de mars 2002, et au vu de l'autorisation générale qui permet à la quasi-totalité des entreprises privées d'exercer leur métier d'opérateur, il serait surprenant que les collectivités soient exclues de la réglementation.

Rappelons que dans la plupart des autres pays européens, les collectivités sont un moteur de la diffusion des technologies de l'information.

Les collectivités territoriales, notamment les départements, doivent avoir la possibilité d'être opérateurs de réseaux de communications électroniques.

Cette liberté ne doit pas être limitée au découpage géographique. Cette position serait incompatible avec la nécessité de rentabilité des collectivités dans leur action de service public, industriel et commercial.

Une collectivité n'a pas vocation à se substituer aux opérateurs privés. Le marché fonctionne et s'articule tout seul. Cependant, en cas de carence, la collectivité doit disposer de ressources suffisamment importantes. Le département n'est pas un financeur aux fonds inépuisables. Ce qui est trop souvent le cas, en particulier en matière budgétaire. Je veux parler de l'APA (allocation personnalisée d'autonomie).

Je souhaiterais faire un parallèle avec la téléphonie mobile. Vous avez aimablement rappelé le travail que je réalise conjointement avec certains de mes collègues, co-signataires de cette proposition de loi qui a été votée au Sénat. Si nous avions pris la peine, dès le début du débat il y a cinq ou six ans, en matière de téléphonie mobile, d'étudier le problème global, nous aurions constaté que certaines zones ne seraient jamais rentables et par conséquent jamais ouvertes, nous aurions pu nous organiser autrement. Il est important de souligner qu'en matière de haut débit, qu'il s'agisse des derniers mètres, ou des premiers mètres, pour les Scandinaves, ils ne seront jamais couverts dans une économie de marché et de concurrence pure. Il faut donc que les investisseurs potentiels, que sont les collectivités territoriales et locales, puissent véritablement, dans un cadre législatif bien identifié, s'impliquer dans cette affaire. Cela est nécessaire si l'on veut faire de l'aménagement.

Quel est l'intérêt, pour le département, d'être opérateur de réseau ?

La raison est simple et de plus en plus fréquente. Le département voudrait raccorder les entreprises à des services de communications électroniques à haut débit selon la méthode la moins onéreuse. Il est clair que c'est un enjeu d'aménagement du territoire qui devient de plus en plus un enjeu de sauvegarde du territoire. Les départements ne peuvent pas devenir des opérateurs si l'offre privée est déficiente. Dans ces conditions, les entreprises auront du mal à s'investir.

Par conséquent, le marché pour l'aménagement du territoire étant déficient, les départements sont prêts à relever le défi. Encore faut-il que les collectivités ne se sentent pas isolées dans ce projet, et que le haut débit soit intégré à un service universel de définition nationale sur une base fiscale. Les directives nationales ne permettent pas de procéder autrement.

Seule une telle extension, alliée à un libéralisme intelligent de l'exercice de l'opérateur, peut permettre à la France de ne pas se faire distancer par des pays européens, nettement plus pragmatiques quant au rôle des collectivités et grâce à l'impulsion de leur Gouvernement dans l'aménagement numérique du territoire.

Avant même la transposition des directives européennes prévue pour 2003, il serait utile de mettre fin à l'incertitude réglementaire. Le Conseil d'État n'a pas encore édité les décrets d'application. L'article L. 1511-6 du CGCT reste la source d'une interprétation contradictoire et fait l'objet d'une saisie du Conseil d'État pour avis, dont on ne connaît pas encore les conclusions.

L'incertitude réglementaire est un facteur ralentissant au projet du haut débit pour les départements. Cette situation peut rapidement ruiner de longs travaux préparatoires. Les collectivités ont besoin d'un signal rapide pour continuer et consolider leurs démarches déjà entreprises sur le terrain.

Certains départements sont déjà prêts à faire l'expérience de devenir un opérateur de réseau.

Il est également indispensable de clarifier la compétence entre les différents niveaux de collectivités, sans omettre que la desserte fine, le dernier kilomètre, ou le premier pour les Scandinaves, est la plus difficile et la plus coûteuse à réaliser.

Il ne doit pas non plus y avoir d'incertitudes sur la situation de l'opérateur historique France Télécom.

En effet, l'évolution de l'opérateur historique est significative pour les collectivités, puisqu'il s'agit, et de loin, du réseau le plus étendu. Ce réseau sera-t-il considéré comme le réseau d'un simple opérateur ou aura-t-il statut différent ?

Le Gouvernement ne sera-t-il pas tenté d'orienter la législation pour servir les intérêts de l'opérateur historique ? Ces questions concernent la situation actuelle. Pourtant, s'agissant d'aménagement du territoire, les départements apprécieraient que cette problématique demeure un souci constant. C'est également une question de cohésion nationale. C'est le point de vue de l'ADF sur le sujet.

M. Daniel KAPLAN. - Je vous remercie pour cette introduction. Nous allons au cours de cette table ronde alterner entre les différents acteurs du marché et les collectivités. Nous allons commencer par un opérateur, dont la maison mère est une société suédoise, et qui a une bonne tradition de l'animation de la concurrence. Quelle est votre position dans le domaine du haut débit ? Considérez-vous que les conditions du développement du haut débit sont aujourd'hui réunies en France ?

M. Jean-Louis CONSTANZA, Président-Directeur général de TELE2

Je vous remercie. Effectivement, Télé2 est une société d'origine suédoise, en ce qui me concerne, je suis d'origine corse. La Corse est d'ailleurs un département qui n'est pas très bien desservi en GSM comme en ADSL. Mon point de vue est celui d'un modeste opérateur qui ne dessert qu'entre 10 % et 15 % des clients français. Notons qu'en matière de téléphonie fixe, les parts de marché de Télé2 et Cégétel sont plus ou moins équivalentes.

Je vais vous présenter, en quatre ou cinq points, les éléments qui nous paraissent importants pour réussir dans le domaine du haut débit. Nous avons déjà une réputation dans ce domaine pour avoir un point de vue très marqué sur ce que nous nommons « le livre noir de l'Internet haut débit », et qui a largement contribué aux décisions récentes et successives concernant le dégroupage.

Premièrement. Il est fondamental de raccorder les PME mais il n'y a pas de marché possible, (et le haut débit est un marché de commodité), sans le volume que représente le grand public. Lorsque l'on avancera collectivement (opérateurs, État, collectivités locales), tâchons de ne pas oublier les PME et le grand public. C'est le grand public qui nous fournira le volume et les prix qui nous permettront d'asseoir une industrie.

Je vous rappelle qu'en France, actuellement, à part France Télécom, il n'y a que deux opérateurs rentables. Il s'agit de Cégétel et de Télé2, grâce à leur activité grand public. Ce qui n'est pas le cas des autres opérateurs qui ne parviennent pas à prouver leur pérennité avec une forte rentabilité.

En résumé, nous avons un projet fondamental qui est d'équiper les collèges. Mais consécutivement, il faudra très rapidement équiper les élèves.

En ce qui concerne l'état des lieux sur les technologies, je pense que nous disposons de tous les éléments pour avancer. L'ADSL est une bonne technologie. L'utilisation du réseau cuivre permet d'assurer le haut débit pour les cinq à huit prochaines années, terme indispensable, pour nous permettre à nous opérateurs, de développer ces marchés. Prétendre évoluer plus rapidement reviendrait à faire de l'UMTS sans avoir fait du GSM auparavant. Il faut éviter de parler de ce qui a vainement été signé depuis dix ans, c'est-à-dire la multiplication de la fibre optique, avant que les clients aient appris ce qu'était le haut débit, l'Internet de haute qualité. Laissons le temps à une technologie qui existe de se développer. Nous, opérateurs, sommes encore un certain nombre prêts à le développer.

La boucle locale existe. Elle est dégroupée. Les opérateurs sont assez satisfaits des lois sur le dégroupage. Nous avons beaucoup insisté pour obtenir ces décisions et des régulateurs qui fonctionnent. Ce n'est pas très rentable, car les zones de dégroupage sont peu nombreuses, ce qui freine notre rentabilité, mais cela nous permet d'avancer. La France est en avance sur ce projet, il faut en tirer parti. Ceci concerne le dernier kilomètre.

À l'autre extrémité, nous avons le backbone. Le backbone est un grand réseau qui couvre des villes comme Paris, Lyon, Marseille, Rennes, Toulouse. Ces réseaux appartiennent à France Télécom, mais aussi à Cégétel ou Télé2.

Le débat va porter sur deux points. Premièrement l'équipement des ménages, et deuxièmement, les réseaux de jonctions, c'est-à-dire ceux qui relient les grands backbones à la boucle locale.

Je recommande d'être prudent sur certaines données chiffrées. La France serait prête à investir de 2 à 3 Md€ dans cette petite partie du réseau qu'est le réseau de jonctions. Pour le client final, l'ADSL coûtera bientôt 20 € HT par mois. Ce sera très bientôt le prix du marché. Ce prix sera à moyen terme de 15 €, et 30 % à 40 % des foyers français se connecteront à Internet via l'ADSL. Si l'on multiplie ce chiffre, 3 Md€, par le nombre de foyers français que l'on peut toucher sur une assez longue période, cela représente 300 € par client. Ce qui est absolument considérable. Nous devons nous montrer plus prudents. Il existe peut-être des solutions plus rentables. Avec une somme de 300 €, l'on peut payer à chaque foyer un modem et 6 à 10 mois d'abonnement. Il faut faire attention à ne pas trop s'appuyer sur les réseaux pour satisfaire une demande qui n'a pas encore émergé. Il peut-être plus intéressant de susciter la demande en facilitant l'équipement des foyers.

L'éducation des ménages, les initiatives évoquées en termes d'éducation locale, de formation, sont très importantes. Plusieurs éléments constituent une barrière essentielle. Il s'agit du modem, la complexité, le prix de l'abonnement et l'ordinateur.

Agir directement sur ces points est, au moins, aussi salutaire, que d'agir sur des réseaux qui représentent un aspect encore plus abstrait pour la demande.

De mon point de vue, en tant qu'opérateur, car je n'ai aucune compétence en matière de collectivité, il faut agir en fonction de la demande, agir également sur les réseaux de jonction, entre le Deslam et la boucle locale d'une part, et le backbone d'autre part, là où des zones blanches demeurent. Prévoyons-les dès maintenant. Les zones blanches sont inacceptables. Agissons dans les zones les moins rentables, elles représentent au moins 30 % du territoire. C'est là que l'attention de la puissance publique doit se concentrer. Aujourd'hui, nous sommes en mesure de couvrir des villes comme Paris ou Lyon, nous savons installer des réseaux de jonction avec ceux de France Télécom.

En revanche, nous n'avons pas la technicité suffisante pour agir sur les zones rurales, plus pauvres, où le taux de pénétration d'Internet est plus faible. C'est là qu'il faut agir.

Je rappellerai que dans toutes ces zones, c'est-à-dire sur 80 % du territoire, il existe un réseau : celui de France Télécom.

Le dégroupage concerne la boucle locale, il nous faut agir ensemble pour le faire remonter aux réseaux de jonctions. Les fibres existent, les fourreaux existent, nous les empruntons parfois, mais à des prix qui ne sont pas assez tirés vers les coûts et que l'on peut estimer de quatre à six fois plus chers. Pour faire la jonction entre la fibre optique, qui sera généralisée d'ici 15 à 20 ans, il est plus rapide d'améliorer le dégroupage et de dégrouper les réseaux intermédiaires.

L'autre idée qui est d'investir dans les Deslam communs entre les opérateurs et les collectivités locales est certainement une bonne idée. Cependant, elle pose des problèmes concurrentiels difficiles.

Ces dernières années, Télé2 a été un des seuls acteurs à pousser au dégroupage et au haut débit. Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Les années 2003 et 2004 nous permettront de lancer ce marché. Le marché et l'outil existent, certains pays nous ont déjà montré le chemin, l'on peut citer la Belgique, la Corée. Pour les dix prochaines années, il faut compter sur le dégroupage et l'ADSL pour couvrir 80 % du territoire au moins, et 100 % dans la mesure où l'on accélère son développement.

Il existe encore, à part France Télécom des concurrents tournés vers le grand public : Cégétel, Télé2, et des concurrents tournés vers les réseaux : LD COM et la partie réseau de Cégétel, ainsi que d'autres concurrents.

Le rôle des collectivités locales est de respecter cette concurrence. Elles devront nous aider à couvrir le territoire. Je ne suis pas vraiment compétent pour répondre à la question du débat, qui est celle du rôle des collectivités locales. Il semble peu probable que les collectivités soient des opérateurs. Des marques ont été construites et coûtent très cher. En France, Télé2 a investi 200 M€ ou 300 M€ pour construire sa marque. Et la marque est un élément qui va attirer le public vers une offre. On peut faire un parallèle avec Bouygues Télécom, Itinéris ou SFR qui ont attiré le public vers le mobile, la marque va y attirer le public vers le haut débit. Et Télé2 espère, dès l'année prochaine, développer une de ses marques propres pour le haut débit.

Il sera très difficile, pour les collectivités locales de développer ce marketing. En revanche, elles peuvent avoir un rôle très fort « d'opérateurs d'opérateurs » et aider à l'infrastructure.

M. Daniel KAPLAN. - Je vous remercie. Nous avons là une réponse claire, bien qu'un peu différente. La démarche est de s'appuyer sur les structures existantes, chercher les volumes, et se préoccuper principalement des zones blanches.

Monsieur Caillaud, vous vivez et travaillez dans un territoire rural. Quelle est votre perception des choses ? Ces éléments vous paraissent-ils pouvoir répondre à votre expérience du terrain ?

M. Dominique CAILLAUD, Député de Vendée

Je me fais l'écho des 30 500 communes que l'on met alternativement en zone blanche, quand il s'agit du téléphone, et en zone noire, lorsque l'on évoque le haut débit. Le résultat est le même. Les communes sont les éternelles oubliées de ce débat et du challenge à venir.

Je partage l'opinion de M. Jean-Louis Constanza. Les collectivités sont lucides, à la fois sur leurs moyens financiers et sur les exigences techniques. Je pense que l'ADSL, même si nos amis suédois nous ont démontré que c'était une étape intermédiaire, représente, dans un premier temps, un support suffisant pour développer le haut débit.

Je souhaite par contre mettre l'accent sur l'urgence. Mon collègue, M. Alain Joyandet, l'a déjà évoqué ce matin. Nous sommes dans la situation que nous avons connue il y a 50 ans avec l'eau ou l'électricité. Le haut débit est une exigence qui doit s'étendre à tout le territoire et pas se limiter aux agglomérations.

Par conséquent, il faut nécessairement un partenariat. Cette exigence de partenariat concerne, au même niveau, toutes collectivités territoriales : la région, le département, les EPCI, car l'on n'oubliera pas les structures de communauté de communes dans ce dossier du haut débit.

Il est à souhaiter que ce partenariat ne porte pas que sur un échantillon urbain surdimensionné, comme c'est souvent le cas - où nous sommes capables de pousser très loin les expérimentations -, mais que celui-ci concerne le territoire entier, conjointement avec des partenaires volontaires. Nous ne devons pas nous contenter d'équiper la ville ou les zones industrielles péri-urbaines. Nous devons aller jusqu'au bout de notre logique et équiper les zones les plus éloignées.

Il est indispensable également d'être en mesure d'appréhender les usages. L'on doit avoir une idée précise des usages sur un territoire donné parmi les usages scolaires, urbains, industriels ainsi que l'usage du particulier, du consommateur rural. À partir de là, il faut réfléchir sur ce qui aujourd'hui, ralentit le développement de l'ADSL. C'est le coût d'équipement, le coût des modems, la consommation à durée déterminée (donc abaisser les tarifs sur la consommation à durée indéterminée). Le haut débit permet une connexion continuelle de l'ordinateur avec l'extérieur. On le laisse en veille, on le réactive. Nous devons avancer, sur la totalité du territoire, en nous basant sur cette logique.

Les collectivités territoriales, y compris les plus petites, doivent s'appuyer sur la pédagogie pour démystifier Internet. Il faut équiper les maisons de retraite, les espaces numériques de proximité, tout- comme les écoles ont été équipées. Cet effort de pédagogie est indispensable pour éviter toute rupture de génération entre ceux qui utilisent intuitivement l'ordinateur et qui ont entre deux et douze ans, la génération qui achète l'ordinateur et qui ne sait pas très bien comment s'en servir, et la troisième génération qui attend les photos de famille par E-mail, sur l'ordinateur de la maison de retraite. Il faut former toutes les générations à Internet si l'on veut que les infrastructures qui seront onéreuses, mais que nous sommes prêts à financer, soient réellement utiles.

Je peux vous confirmer que ce sont bien là les attentes de nos plus modestes territoires.

M. Daniel KAPLAN. - Je vous remercie pour votre point de vue. Monsieur Bertran, vous êtes le centre d'attention lorsque l'on évoque le haut débit. À quel stade en est le déploiement du haut débit pour France Télécom ? Comment envisagez-vous de le développer, en particulier dans les zones rurales ?

M. Philippe BERTRAN, Directeur des Affaires publiques à la direction de la communication et des relations extérieures de FRANCE TELECOM

Nous l'avons constaté tout au long de la journée, le haut débit est une notion relative. Nous ne sommes pas capables d'en donner une définition convenable. Le haut débit évolue en fonction du type d'utilisateurs, en fonction du temps. La notion de haut débit que nous connaissons aujourd'hui sera peut-être différente demain.

Ma seconde remarque porte sur les coûts. Nous avons eu, au cours de l'après-midi, plusieurs exemples sur lesquels il est intéressant d'extrapoler afin de savoir quel serait le coût du haut débit généralisé. J'ai noté que pour Sollentuna Energi, il faut compter, 9 M€ pour 60 000 habitants. Si l'on multiplie cet investissement par la totalité de la population française, 60 millions d'habitants, l'opération est simple. Notez que Sollentuna est une zone urbaine, c'est la banlieue de Stockholm.

Pour un département comme le Rhône, le sénateur M. Tregouët, a communiqué les chiffres ce matin, il faut compter 1,5 MdF pour un million d'habitants, multiplication, conversion, soit 13 Md€, pour la France. Le Rhône est également un département fortement urbanisé. Si l'on généralisait ce type d'investissements à toute la France, qui est un pays comprenant beaucoup de zones rurales, le coût d'un tel réseau représenterait 20 Md€.

Pour les particuliers ou pour les PME, ce que l'on appelle aujourd'hui le haut débit, c'est la vitesse de transmission rendue possible par l'ADSL, et par le câble dans les villes câblées : 500 kilobits - 1 mégabit par seconde.

Où en est-on de la couverture de la France en haut débit ? France Télécom a déployé l'ADSL sur 70 % des lignes environ. Cela signifie qu'environ 70 % des abonnés peuvent accéder à l'ADSL. Environ 1 million d'abonnés sont effectivement connectés à Internet via l'ADSL.

À ces abonnés, il faut ajouter ceux qui reçoivent le haut débit par l'intermédiaire du câble. Cela représente quelques centaines de milliers d'abonnés.

Notre programme de déploiement de l'ADSL nous amène là où nous pouvons trouver une équation économique. D'ici à 2004, nous devrions avoir équipé jusqu'à 85 % des lignes.

Il reste 15 % des lignes. Ce pourcentage correspond aux communes de moins de 5 000 habitants qui ne sont pas directement rattachées à une commune plus importante. Nous n'avons pas, pour ces communes, trouvé de solution économique pour le grand public, quelle que soit la technologie : ADSL, boucle locale radio, qui nécessitent des conditions économiques du même ordre. Et a fortiori, pour le câble. Il n'y a pas de réseau câblé, cela reviendrait trop cher d'en construire un.

Quelles solutions peut-on apporter ?

J'écarte au passage l'idée de la séparation structurelle entre réseau et services. Il faut rappeler que cela n'existe dans aucun pays et les expériences que l'on en a, du type plan-câble, amènent à une certaine prudence. En général, les acteurs de bonne foi qui proposent cette solution n'ont pas suffisamment d'expérience sur la gestion d'un réseau de télécommunications.

Deux choses sont nécessaires pour résoudre la question du haut débit en zone rurale : de l'argent et du droit.

En ce qui concerne le financement, la situation actuelle montre qu'un certain nombre de collectivités locales sont prêtes à investir pour faciliter le développement du haut débit en zone rurale, mais elles ne peuvent le faire, faute de cadre réglementaire adapté. Il est par ailleurs impossible de laisser aux seules collectivités locales concernées toute la charge d'un tel financement. Il serait en effet paradoxal de demander aux collectivités les plus pauvres de financer ce qui est gratuit pour les plus riches.

Des crédits publics sont donc nécessaires. Cependant, ces crédits ne peuvent pas simplement provenir des collectivités locales. Nous avons évoqué, ce matin, les crédits européens que la France ne consomme pas entièrement. Des crédits d'État peuvent être aussi nécessaires.

À l'évidence, si nous ne cherchons pas une péréquation, nous ne ferons que renforcer cette fracture numérique au lieu de la réduire.

En ce qui concerne le cadre juridique à mettre en place, il devra respecter un certain nombre de règles. D'abord, veiller à la neutralité technologique. Ensuite, éviter qu'un opérateur soit avantagé ou désavantagé par rapport à un autre. Enfin, veiller, et je parle ici en tant qu'opérateur, à ce que cela ne freine pas le développement du marché.

Quelles sont les voies possibles ? Que peut-on envisager ?

Il existe plusieurs solutions. Nous pouvons agir sur la commande publique : Si aujourd'hui, une collectivité locale veut financer l'ADSL sur sa zone rurale, le Code des marchés publics l'empêche de passer commande pour autre chose que la satisfaction de ses propres besoins. Or, dans le cas du haut débit, il s'agit bien de mettre un service à la disposition de citoyens et pas à la disposition de la collectivité locale elle-même.

Une autre possibilité pour les collectivités locales serait de s'appuyer sur l'article L. 1511-6 du Code général des collectivités locales, dont on a parlé à plusieurs reprises. Mais cela nécessite de modifier la loi, ou à tout le moins de la compléter. Cette solution ne peut fonctionner en zone rurale que si les tarifs de location consentis par les collectivités locales comportent une partie de subventionnement. Si ce n'est pas le cas, les opérateurs ne s'engageront pas.

Troisième hypothèse. Les collectivités locales, opérateurs dans les zones rurales. C'est un principe évoqué par l'ART, le Président Hubert en parlera peut-être plus tard. Là encore, la difficulté est évidente. Comment certaines collectivités locales rurales pourraient devenir opérateurs ? Pour donner un exemple concret : il y aura toujours moins de ressources dans le Vercors que dans le Rhône. Cela apparaît clairement dans les exemples évoqués ce matin : qu'il s'agisse de Sollentuna, de Sienne, Milan, Stockholm, Cologne, ce sont toujours les grandes collectivités locales qui sont opérateurs.

Enfin, la quatrième solution possible, elle a été elle aussi évoquée par l'ART dans son document du mois de juillet : le subventionnement direct des opérateurs. Les problèmes juridiques se posent là encore. C'est celui des aides de l'État qu'évoquait Maître Dupuis-Toubol précédemment.

Toutes ces solutions possibles nécessitent des ressources et une évolution du droit. France Télécom est prête à s'investir quelle que soit la solution. Cependant, il faut être conscient des enjeux financiers considérables. Sans oublier l'action sur les usages et les services du haut débit. Beaucoup d'intervenants l'ont dit. Je reprends cela à mon compte.

M. Daniel KAPLAN. - Le très bon usage des infrastructures et des services bien sûr !

Monsieur GONNET, les quelque 130 projets soumis par les collectivités qui vous demandent de les co-financer vous offrent un point d'observation formidable. Vous disposez des projets, des options dont vous font part les collectivités, et vous avez complété ces éléments dans l'ouvrage publié, inclus dans le dossier des participants, par une observation de la situation à l'étranger que vous comparez à la situation française.

Que pensez-vous de notre dynamique ? Avez-vous le sentiment que la France est dans le rythme ? Pouvez-vous tirer quelques conclusions de ces comparaisons ?

M. Michel GONNET, Directeur-général adjoint de la Caisse des dépôts et consignations

Effectivement. Nous travaillons au côté des collectivités depuis deux ans, afin d'examiner avec elles les conditions dans lesquelles on peut réduire la fracture numérique.

Je suis tout à fait d'accord avec certains des points qui ont été évoqués et que je vais les reprendre.

Premièrement, il est toujours intéressant de se situer par rapport à ce qui se passe à l'extérieur de nos frontières. Le premier constat avéré que l'on peut faire est que la France n'est pas en avance par rapport à d'autres pays. Il y a un écart important entre les pratiques des collectivités locales françaises et les collectivités locales des pays européens, ou de pays supposés plus libéraux comme les États-Unis.

C'est un élément important.

Deuxièmement, nous devons nous pencher sur les expériences de ces pays car ils sont susceptibles de nous inspirer pour notre action quotidienne en France.

Le premier constat est que tous ces pays ont bénéficié de l'intervention publique. En Grande-Bretagne, il existe depuis plusieurs années un plan gouvernemental. L'objectif de ce pays est d'être le leader européen sur l'accès au haut débit, aussi bien pour les entreprises que pour les particuliers.

Aux États-Unis, puisque nous sommes dans une conjonction dépressive, l'industrie des télécommunications, au sens large du terme, est dans une situation un peu complexe. Les États-Unis ont décidé de soutenir leur industrie en facilitant l'accès au haut débit sur l'ensemble du territoire.

L'intervention publique n'est pas illégitime, je crois qu'elle est même nécessaire. Nous l'avons vu précédemment pour les Italiens et les Suédois.

Par ailleurs, sans insister, puisque cela a déjà été dit, dans la plupart des pays européens, mais aussi aux États-Unis, au Canada, les collectivités locales ont un rôle très important : elles sont opérateurs. C'est un constat sur lequel nous devons réfléchir.

Troisièmement, absolument fondamental : les infrastructures. La création des conditions du marché se fait dans la plupart de ces pays en se fondant sur la demande. Je crois que le Président Jean Faure l'a indiqué à la précédente table ronde : on part du premier kilomètre pour créer les conditions du marché. Si l'on veut attirer les opérateurs pour qu'ils investissent, il nous faut des clients. Il faut donc développer les services, les contenus, les usages. Les jeunes doivent être formés à Internet mais pas uniquement. Il faut tenir compte du vieillissement de la population qui constitue un marché potentiel important. Quand on regarde ce qui s'est fait en Italie, en Suède, en Espagne, en Allemagne, au Canada, en Corée, le développement se fonde effectivement sur les contenus et sur les usages. C'est fondamental. Il ne sert à rien d'entreprendre des travaux sans clientèle potentielle.

Quatrièmement, dans ce segment de clientèle, il est urgent d'agir en fonction des particuliers, mais aussi des entreprises et des PME. Ce sont ces dernières qui sollicitent le haut débit. Pour le particulier, le haut débit ne semble pas être pour l'instant une urgence absolue. En tout cas, la définition n'est pas la même.

Deuxième élément, en tant qu'observateur, il existe des initiatives de la part de certaines collectivités locales. Elles s'intéressent depuis de nombreuses années au haut débit. On cite toujours les mêmes collectivités, mais elles ont eu le mérite de se lancer. Nancy, Issy-les-Moulineaux, Castres-Mazamet, les initiatives des Conseils régionaux sur les backbones, le Méga 10 comme en Bretagne ou en Pays-de-Loire.

Depuis deux ans, on constate une multiplication des projets portés par les collectivités locales. À notre niveau nous traitons 130 projets, mais nous n'en avons pas l'exhaustivité. Parmi eux, on compte 56 départements, 45 agglomérations, et plus d'une dizaine de Conseils régionaux que l'on peut qualifier d'actifs.

Sur cette réflexion, il apparaît que la chaîne formée par les collectivités locales, les intercommunalités, les départements, les régions peut permettre, en partie, de résoudre la difficulté. On peut également s'appuyer sur l'État ou sur les fonds européens. Mais en ce moment, l'État a peu d'argent à investir sur le haut débit, ou sur d'autres projets.

Les collectivités locales ont des projets et des moyens de financement qui leur faut tout de même gérer, mais elles doivent profiter de cette effervescence.

Je n'insiste pas sur l'insécurité juridique, cela a déjà été évoqué. Le cadre actuel n'est effectivement pas adapté. Lorsque nos projets subissent des contrôles de légalité, nous constatons des positions hétérogènes sur un même dossier, ce qui n'est pas étonnant, le cadre juridique étant pour le moins incertain. Quelles sont les solutions ? Opérateur d'opérateur ? Opérateur ? C'est au Gouvernement et à la représentation nationale de l'indiquer. Mais la situation actuelle doit évoluer.

Dernier élément. L'intervention publique, celle des collectivités locales n'est légitime qu'à partir du moment où il y a création des conditions de marché.

Il n'est plus d'actualité de croire qu'une économie administrée déconnectée des besoins du marché et déconnectée des interventions économiques des opérateurs puisse fonctionner.

Qu'est-ce que cela signifie ?

Quand le marché n'existe pas, on peut dire que l'intervention publique est légitime. Nous pensons, à la Caisse des Dépôts, que l'intervention publique est légitime pour accélérer le marché, dès lors que les besoins et les marchés existent (les collectivités locales en constatent bien le besoin sur le terrain). Le marché peut exister, et s'il intervient et fonctionne bien, dans les cinq prochaines années, des territoires seront, par rapport à d'autres, extrêmement défavorisés.

Un deuxième élément me paraît important : dans les conditions du marché, dans l'approche économique, dans le retour sur investissements, nous partons de la logique du territoire. Nous considérons que l'objectif n'est pas de limiter les subventions aux zones noires, mais d'avoir une approche du territoire économique, et d'attirer les opérateurs aussi bien sur les zones grises, blanches ou noires. Il nous paraît préférable d'activer la dépense publique en attirant les opérateurs sur ces territoires, plutôt que de systématiquement subventionner les communes où il n'y aura jamais aucune rentabilité possible. Ce qui signifierait que le contribuable serait « l'acteur-payeur ». C'est un autre modèle que nous ne préconisons pas.

Sur les investissements. La fibre noire ne peut pas être développée sur tout le territoire. Des expérimentations doivent être réalisées, également sur desnovations technologiques, je pense à la technique Wifi dont on a déjà parlé. Les collectivités sont prêtes à participer à ces expériences. Mais les besoins ne sont pas les mêmes selon les populations et les segments de clientèle.

Dernier point. Nous considérons, c'est ce que nous suggérons aux départements et aux régions, qu'il est impératif d'analyser l'offre, et les infrastructures existantes. L'argent public étant rare, il faut éviter les investissements redondants. Il faut essayer d'être très opérationnel. Si la mutualisation ne se développe que dans cinq à dix ans, peut-être faudra-t-il, c'est ce que l'on constate à l'étranger, accepter ponctuellement quelques équipements redondants pour couvrir des besoins immédiats.

M. Daniel KAPLAN. - Merci pour votre analyse sur ces options.

Nous allons nous pencher sur l'une d'entre elles. C'est un exemple qui nous vient d'Allemagne. M. Romain Delavenne, vous représentez une société dont la maison mère est allemande et qui se propose de déployer un modèle « opérateur d'opérateur » sur la base d'expériences positives réalisées dans plusieurs Länder allemands. Pourriez-vous nous décrire ce modèle et la manière dont il pourrait répondre aux questions qui ont été posées autour de cette table ronde ?

M. Romain DELAVENNE, Directeur du marketing LAMBDANET

Au vu de la présentation de la société Sollentuna Energi, il apparaît qu'en Suède, le modèle a été adopté.

Tout d'abord, je souhaiterais répondre à une question soulevée par France Télécom sur l'accès du service haut débit.

Un accès au haut débit suppose la mise à disposition des services de télécommunications à des débits adéquats quels que soient les utilisateurs. Or, aujourd'hui, les utilisateurs finaux sont nombreux. L'on peut citer les particuliers, les PME, les entreprises mais également des universités qui ont un département de recherche.

Pour votre information, certaines applications dans le domaine de la recherche nécessitent 10 Gigabits de capacité. Ces applications fonctionnent entre Prague, Budapest ou Amsterdam, je ne suis pas certain qu'elles puissent fonctionner entre Clermont-Ferrand, Nîmes. Lorsqu'on parle de haut débit, certaines vitesses sont requises par la recherche. Aujourd'hui, en France, nous ne sommes malheureusement pas tout à fait capables d'offrir aux villes et aux universités de telles performances.

La seule façon d'offrir un débit adéquat selon l'utilisateur, qu'il s'agisse de quelques Kilobits par seconde pour les résidentiels, ou des Gigabits pour les universités, c'est la concurrence.

En effet, on ne peut pas garantir le développement du haut débit sur le simple fait d'en assurer la disponibilité aux utilisateurs. L'utilisateur doit pouvoir choisir le fournisseur qui, lui-même, doit être en mesure d'afficher des prix abordables. Le maintien d'une concurrence au niveau des fournisseurs de services haut débit est donc nécessaire.

Or, on assiste aujourd'hui à un constat désenchantant : il est impossible, à l'heure actuelle de concurrencer France Télécom, seul opérateur global. La raison est simple : en France, en dehors d'une vingtaine de villes où des opérateurs sont implantés, le reste du territoire n'est couvert que par France Télécom.

Je pense qu'il est important de savoir ce qu'est aujourd'hui une zone défavorisée en France. C'est tout ce que l'on trouve en dehors de cette vingtaine de villes.

Le premier espace, que l'on considère comme une zone défavorisée, correspond à une région ; ce qui est gigantesque.

Une région, c'est la taille de l'Estonie, or l'Estonie est câblée à 100 %, du résidentiel jusqu'aux universités.

Que pouvons-nous faire ?

Je voudrais, pour répondre, m'appuyer sur l'exemple allemand qui est une référence européenne pour l'accès au haut débit et aux services Internet.

Cette situation s'explique du fait d'un très grand nombre d'opérateurs locaux et régionaux.

Une cinquantaine d'opérateurs régionaux a vu le jour entre 1997 et 1998. Ces opérateurs sont, dans certains cas, des émanations directes des collectivités locales. Ils mettent à la disposition des fournisseurs de services les réseaux haut débit.

Nous sommes biens dans le cas « d'opérateurs d'opérateurs ». La plupart d'entre eux n'offrent pas de services utilisateurs finaux. On peut tout à fait les qualifier d'opérateurs d'économie mixte, presque la totalité ayant l'autorité et la collectivité locale adéquate (que ce soit la ville ou autres zones en Allemagne) qui leur fournit des fonds pour investir et une certaine stabilité financière.

Il est clair que cette structure de marché a permis, à partir de 2000, un fort développement des services aux entreprises mais également aux particuliers.

En ce qui concerne la France, et à l'image de l'Allemagne, le facteur essentiel du déploiement du haut débit s'oriente autour de trois idées majeures : le développement des services réseaux haut débit offerts par les « opérateurs d'opérateurs ». Il ne faut pas se contenter de développer une infrastructure, de type fibre, non productive. Je souhaite, à ce sujet, faire une remarque. En Europe, nous comptons déjà bon nombre de projets de type «opérateurs d'opérateurs ». Les expériences n'ont pas toujours été positives. Cette activité est délicate, il faut en prendre conscience.

Troisième idée. Il faut impérativement que la structure de marché soit en mesure de créer un environnement favorable au développement de la concurrence. En termes concrets, une structure « d'opérateurs d'opérateurs », qui procure aux fournisseurs de service des réseaux de capacité, de façon non discriminatoire et neutre. Ces fournisseurs doivent pouvoir accéder à des réseaux à des prix compétitifs pour leur permettre, à la fois de développer leur service, leur connaissance du marché, ainsi que leur marque. Et, bien évidemment, les utilisateurs finaux qui auront recours à ces services, qu'il s'agisse du résidentiel ou de l'universitaire.

J'insiste sur l'environnement universitaire. Les réseaux de recherche sont un exemple typique de structures financées par des fonds publics. Il suffirait que ceux-ci soient orientés pour le développement de la concurrence : ce pourrait être une solution pour résoudre le problème du financement des réseaux au niveau régional.

Troisièmement. L'intervention publique. Il existe deux points sur lesquels l'intervention publique peut agir. Cette intervention peut s'exprimer au travers du déploiement des réseaux de services dans les zones défavorisées grâce aux investissements et aux subventions, mais également au travers d'une commande publique pour les réseaux haut débit dédiés aux réseaux de recherche. Elle peut aussi concerner la connexion sur les points de dégroupage pour permettre l'accès du haut débit aux résidentiels.

Il est important de contrôler les « opérateurs d'opérateurs ». Un contrôle est nécessaire pour garantir le développement de la concurrence et des offres de services dans des conditions économiques mondiales. Cette régulation implique le contrôle des prix et l'accès de l'offre aux « opérateurs d'opérateurs » dans des conditions non discriminatoires pour l'ensemble des services. Concrètement, il faut impérativement éviter la formation d'un duopole. Personnellement, je préfère encore le monopole de France Télécom, contre lequel on peut se battre !

Un tel modèle permettrait de promouvoir le développement du service haut débit pour l'ensemble des utilisateurs dans des conditions économiques viables. Cela, tout en garantissant le rôle de chacun ainsi que celui de la chaîne du marché des télécommunications qui a fait ses preuves.

En conclusion, tout comme cela a été évoqué par plusieurs intervenants : la détermination des conditions dans lesquelles une collectivité locale pourra jouer un rôle actif d'initiation et de régulation doit se faire au niveau politique. Une prise de décision est nécessaire pour lancer ces quelques idées qui peuvent, peut-être, faire avancer le débat.

M. Daniel KAPLAN. - Je vous remercie. Nous avons là une forme de mutualisation active. Cela nous permet d'aborder la région, dans la mesure où les rôles des infrastructures et la nécessité d'une cohérence ont été évoqués.

Monsieur Harrousseau, dans ce contexte, quelle est votre vision du rôle de la région, en particulier, et comment percevez-vous l'articulation entre le rôle des acteurs nationaux, publiques et privés ?

M. Jean-Luc HARROUSSEAU, Président du Conseil Régional des Pays-de-Loire

Je vous remercie. Je voudrais effectivement vous faire part de notre expérience pour la région Pays-de-Loire, mais également pour la Bretagne, et j'en profite pour saluer mon collègue M. Berteleau, présent dans la salle, qui est le Vice-président du Conseil régional en charge de ce dossier.

Le Président Sido disait que les départements semblent disposés à relever le défi. Les deux régions Bretagne et Pays-de-Loire ont commencé à relever ce défi il y a une dizaine d'années. En 1991, elles ont mis en place, avec l'aide des autres collectivités, départements et villes, ce que l'on a appelé « Le réseau Ouest Recherche ». Ce réseau relie les établissements supérieurs de recherche entre eux mais aussi au réseau national.

C'est la fin du contrat, qui nous liait avec le seul opérateur de l'époque, France Télécom, qui nous a amenés à mettre en place une réflexion à l'échelle régionale pour préparer l'avenir. Nous avons commencé en 1996-1997. Elle a abouti au réseau Méga 10, qui a la caractéristique d'être régional (Méga 10 Bretagne, Méga 10 Pays-de-Loire), et d'être un réseau d'offres de services et non pas une infrastructure.

Pour quelles raisons nous sommes-nous lancés sur le marché du haut débit ?

La première raison concerne l'aménagement du territoire. Les régions sont disposées à développer les projets en maîtrisant leur coût. La deuxième raison est la stimulation du développement économique de la région, en permettant l'implantation d'entreprises susceptibles d'avoir recours au haut débit, mais aussi en stimulant de nouveaux usages, de nouvelles technologies, de nouveaux programmes, et donc de nouvelles entreprises. La troisième raison, sur laquelle je voudrai mettre l'accent, c'est notre rôle de formation. Le réseau haut débit s'associe à une activité de promotion des technologies d'information et de communication dont je dirai un mot ultérieurement.

Pourquoi notre choix s'est-il porté sur un réseau de services et non pas de fibres ?

En premier lieu, du fait de notre avance, la réglementation ne nous permettait pas une autre alternative. Je vous rappelle que c'était en 1997.

Seconde raison. Nous voulions agir rapidement. J'ai beaucoup apprécié l'intervention de mon ami Dominique Caillaud au nom des petites villes de France. Effectivement, nous sommes déjà en retard. Il est impératif de rattraper ce retard. Nous avons jugé qu'il serait plus judicieux de tirer profit des infrastructures existantes plutôt que d'en créer de nouvelles. J'ajoute que la maîtrise des budgets était également un aspect de notre décision.

La fibre est un métier différent. Cette activité aurait nécessité l'actualisation et l'entretien des équipements et des interfaces, ce qui, à l'époque, et peut-être même aujourd'hui, n'était pas envisageable pour une collectivité locale. Une collectivité locale ne doit pas être un opérateur de télécommunications, avec tout ce que cela implique.

En conséquence, nous avons choisi de mettre en place ce réseau de services selon la procédure d'appel d'offres habituelle. Et l'opérateur actuel pour les deux régions est France Télécom.

Notre réseau nous donne entière satisfaction, au moins en Pays-de-Loire. Dans notre région, nous avons 21 points d'accès métropolitains situés dans les structures d'enseignement supérieur de recherche ou dans les hôpitaux. L'une de nos motivations pour la mise en place du nouveau réseau était l'intérêt de la communauté médicale, pour des raisons de soins, pour la visio-conférence, pour les transmissions de dossiers ou d'images. Ces 21 villes sont reliées par backbone régional. Nous nous appuyons sur des réseaux métropolitains en place dans notre région. S'ils n'existent pas, nous louons les liaisons. De plus, il existe une interconnexion entre les deux réseaux : Méga 10 Bretagne et Pays-de-Loire et l'interconnexion avec le réseau Renater 2.

La région Bretagne a pris de l'avance sur nous. Elle a lancé son programme Méga 10 en 2000. Il a été lancé au début de l'année 2001, en ce qui nous concerne. Le bilan est extrêmement positif. Les deux régions, l'ouest de la France, regroupent 46 % des centres ATM haut débit de France. Cette configuration nous a permis d'être une région attractive pour le déploiement d'ADSL, ce qui nous procure une certaine avance.

Troisièmement. L'opérateur qui a été retenu a souhaité rentabiliser ces infrastructures. Cela a permis d'équiper les entreprises à moindre coût, même si nous ne sommes pas intervenus directement. Actuellement, les coûts diminuent et les débits augmentent. À titre d'exemple : en trois ans, un établissement de recherche a vu son débit multiplié par dix, et cela au même coût.

Ce dont nous sommes le plus satisfaits, c'est la réflexion que nous avons menée pour développer de nouveaux usages.

Nous avons mis en place une structure qui gère le réseau. C'est un syndicat mixte, financé à 70 % par la région Pays-de-Loire qui finance, également le réseau. Les cinq Conseils régionaux de la région, les grandes villes, ainsi que ce syndicat mixte se sont dotés d'une cellule opérationnelle de formation, et en particulier de formation du public. Tous les publics ne savent pas forcément comment utiliser le haut débit, c'était le cas dans les hôpitaux. Cette cellule opérationnelle a eu comme mission de préparer des appels à projets pour de nouveaux usages.

Grâce à cette mission nous avons reçu, au cours des années 2001 et 2002, 132 projets satisfaisants et innovants. Nous en avons financé une trentaine sur les deux années.

Ces projets ont permis de développer de nouveaux usages, notamment dans le domaine des collectivités, dans le domaine de la santé, et même de la culture.

Partant de ce constat favorable, quel est notre avenir ? Et comment organiserons-nous, dans le futur, les collaborations déjà existantes avec les autres collectivités?

L'étape supérieure concerne la demande des élus des zones plus modestes, et surtout des entrepreneurs qui souhaitent s'installer dans les petites villes. L'objectif est de développer notre maillage régional.

Nous avons lancé, pour les deux régions, un appel d'offres pour un deuxième périmètre. Nous avons fait cette démarche dans le respect du cadre juridique actuel, mais en espérant que le Conseil d'État tranche favorablement pour une révision de ce fameux article.

Nous souhaitons équiper les collectivités publiques d'intérêt général. Parallèlement aux structures d'enseignement supérieur de recherche et aux hôpitaux déjà servis par le premier périmètre, nous avons fait un second appel d'offres pour développer le haut débit en direction des collèges, des lycées, des bibliothèques, des centres de culture, des centres de tourisme et des collectivités elles-mêmes. Ce deuxième projet concerne le satellite.

Nous ne couvrirons certainement pas la totalité des communes, mais ce deuxième périmètre nous permettra de mailler davantage le territoire et d'assurer le haut débit à d'autres communautés d'intérêt. Tel est notre projet.

Nous avons évoqué les zones non desservies par le haut débit, les petites communes. Nous avons, en collaboration avec la Région Bretagne, lancé un appel d'offres pour tester une autre possibilité : le satellite. Le satellite peut être une alternative pour les zones que ne seront sans doute jamais desservies par l'ADSL.

Notre avons une forte volonté de développement. Un intervenant a mis l'accent sur la nécessité d'une volonté politique importante. Nous avons cette volonté. Nous le prouvons depuis plus de dix ans. Nous avons proposé de mener une expérience sur le haut débit en Pays-de-Loire. Nous souhaitons préparer la fin du contrat qui nous lie à France Télécom, c'est un contrat de six ans. Nous entendons préparer l'avenir en collaboration avec les autres collectivités. Le Président du Conseil général de Maine-et-Loire représente un des départements les plus motivés par le maillage et par l'utilisation des fibres, en s'appuyant, par exemple, sur les réseaux EDF, RTE. Nous souhaitons, là où il n'y a pas de concurrence, associer les moyens, et en particulier ceux des collectivités dans de nouvelles responsabilités que l'État pourrait transférer, bien que l'État n'ait pas encore pris de position en matière d'équipement, plutôt une responsabilité qui pourrait être confiée aux régions en association avec les départements et les villes.

M. Daniel KAPLAN. - Je vous remercie.

Monsieur Adnot, on a largement mis l'accent sur les priorités possibles. Qu'en est-il de la hiérarchie (volume, vitesse, ouverture, grand public, infrastructure, usages...). Quelles sont vos synthèses ? Quelle est la situation de votre territoire ?

M. Philippe ADNOT, sénateur et Président du Conseil général de l'Aube

Lorsque l'on préside une telle séance, il est essentiel de veiller au bon déroulement des interventions. Voilà une activité reposante. L'objectif n'est pas d'être le meilleur spécialiste, mais d'agir comme si nous étions de parfaits néophytes. Je voudrais remercier les organisateurs de cette réunion, le Sénat et la Caisse des dépôts. Ces rencontres sont un bon moyen pour l'approche d'un choix efficace.

Ce n'est pas pratique de commencer lorsque l'on a une vision approximative du sujet. Il est laborieux de se faire une idée en se fondant sur les cas évoqués : « en dessous de 5 000 habitants, pas d'ADSL possible, « là-bas, cela peut aller plus vite », « ici, nous réalisons une expérience plutôt axée sur les réseaux de service, mais on ne pourra pas aller jusqu'à 1 000 habitants ».

Je n'ai pas de chance. Mon département est composé de 430 communes, dont 425 ont moins de 1 000 habitants, ce ne sera donc pas facile !

Mes principales idées sont les suivantes. L'État ne peut pas se soustraire à ce dossier. Comme vous l'avez dit, on ne peut pas laisser aux collectivités les plus faibles la responsabilité de tout assumer. L'État peut apporter sa contribution de plusieurs manières. Il peut fournir les ressources financières. J'ai cru comprendre que les budgets étaient compressés. Mais, l'État peut également s'appuyer sur un cahier des charges : que requiert-on des opérateurs pour leur permettre de développer leurs projets ?

Je regrette que les licences UMTS aient été négligées dans cette problématique. Il est peut-être encore temps d'étudier ce dossier. Il est certain que l'État ne pourra pas être absent.

D'autre part, l'on ne peut pas se contenter de raisonner uniquement en fonction du réseau. Il convient également de penser aux usages ainsi qu'aux utilisateurs.

C'est le cas, par exemple, dans mon département, où nous travaillons massivement sur le développement des usages et la question des utilisateurs.

Deux sujets n'ont pas été évoqués dans ce colloque : les récents progrès en matière de technologies. Nous parlons toujours de la boucle, de la fibre, de l'ADSL etc.... Mais il existe actuellement des innovations technologiques qui vont faire baisser les coûts considérablement. Un laboratoire de recherche a démontré ce qui pouvait être fait en matière de nanotechnologie, pour réduire les coûts d'un certain nombre de connexions. Les évolutions peuvent être rapides.

La formation des hommes a également été peu évoquée. Il n'y a pas que la formation des usagers. De nos jours, en France, l'on note un manque de formations à l'utilisation de l'Internet et des réseaux. Ces formations sont nécessaires pour utiliser ces technologies d'une manière optimale, ainsi que pour tirer le meilleur parti des réseaux.

Ce matin, je présidais le conseil d'administration d'une université qui forme des ingénieurs. Il a été décidé de confier à un département l'aspect formation. Ainsi, demain l'on pourra adapter à tous les moyens techniques que l'on va mettre à disposition des futurs utilisateurs, en fonction de leurs besoins.

Cela suppose la nécessité de disposer de collaborateurs en mesure de nous aider à tirer le meilleur parti des structures existantes. La France a un retard considérable en ce domaine. Peu de personnes ont une formation spécialisée.

Ces expériences nécessiteront d'être validées. Une expérience non validée par un tiers n'est d'aucune utilité pour les futurs utilisateurs.

Il est utile de parler de ces expérimentations. Mais il ne faut pas négliger que, d'une manière générale, elles sont présentées par ceux qui en sont à l'origine. La présentation est donc susceptible de manquer d'objectivité. L'on pourrait éventuellement omettre d'évoquer les coûts réels.

En conséquence, il conviendrait, ce pourrait être un dossier pour ta Commission, Bruno, que les parlementaires fassent une analyse de ces expériences, en s'appuyant, si nécessaire, sur l'aide d'un cabinet spécialisé.

Je suis, par ailleurs, Président de la commission des finances des départements de France, et à ce titre, je peux vous dire que nous n'avons pas davantage de ressources que l'État. Cependant, nous avons la volonté d'aménager notre territoire. Mais le contribuable ne fait pas toujours la séparation entre ce que nous lui prélevons, au titre de l'État, et ce que nous lui prélevons, au titre des collectivités locales. Notre devoir à tous est d'optimiser nos dépenses, de façon à obtenir le meilleur rapport qualité/prix. Cela suppose de bien chiffrer les expérimentations, d'en suivre le déroulement et commencer par développer le marché.

La semaine dernière, Porte de Versailles, s'est tenu un colloque, en présence de tous les grands acteurs mondiaux de l'informatique. Au cours de l'une des conférences, ce même sujet a été évoqué. À l'issue de la conférence, à laquelle je participais, un chef d'entreprise m'a demandé quelle pourrait être l'action de l'État dans la région Rhône-Alpes. Il possède une société qui désire développer l'utilisation d'Internet dans les PME, mais les PME n'en ont pas besoin. Ne parvenant pas à créer un marché, il travaille avec les collectivités locales. Cet exemple témoigne qu'il ne faut pas développer l'infrastructure indépendamment de l'usage et des usagers. C'est le volume des utilisateurs qui nous permettra d'optimiser les coûts.

Il est important d'en avoir conscience.

Nous sommes tous convaincus par la nécessité du haut débit. Cependant, l'on peut aussi commencer par utiliser Internet chez soi, à partir de son téléphone.

À titre personnel, et à titre d'exemple, lorsque je téléphone à mon fils qui est à Séoul, avec une webcam et une ligne de téléphone ordinaire, cela fonctionne très bien. Par conséquent, il faut commencer par développer les usages pour ensuite optimiser l'ensemble.

J'espère avoir répondu à votre question.

Pour résumer. Il est nécessaire d'étudier le contenu, les usages. Il faut optimiser l'utilisation des réseaux grâce à un apport de « matière grise » dédiée à cette nouvelle compétence. Je rappelle qu'à l'heure actuelle, il existe très peu de formation. Il faut valider les expériences, de manière à optimiser l'argent public. Enfin, il faudra bien que l'État soutienne les collectivités les moins bien pourvues, soit par cahier des charges, soit par investissement direct. Si l'État n'investit pas, il n'y aura pas d'aménagement du territoire possible.

M. Daniel KAPLAN. - Je vous remercie. Effectivement vous avez répondu aux questions prioritaires. Vous avez parlé à titre personnel, et c'est l'une des richesses de ce débat. Il est en effet intéressant de voir, comment sans forcément converger, chaque acteur tire, à partir de son expérience, des conclusions très personnelles. Conclusions assez indépendantes d'ailleurs d'une position institutionnelle.

Monsieur Hubert, depuis que la réflexion sur le cadre s'est engagée, en avril, vous avez développé un certain nombre d'hypothèses nouvelles, et particulièrement sur le cadre d'intervention des collectivités territoriales. Constate-t-on des évolutions ? Que faut-il changer ?

M. Jean-Michel HUBERT, Président de l'Autorité de Régulation des Télécommunications (ART)

Je vous remercie d'évoquer l'action que nous menons au sein de l'ART. D'ailleurs, nous nous exprimons sur les collectivités territoriales, sur les bases des idées évoquées autour de cette table ronde, depuis le mois d'avril.

Si vous le permettez, avant de parler plus précisément des collectivités territoriales, de la puissance publique et de leur rôle, je souhaiterais évoquer un aspect plus large. Le mot a été prononcé plusieurs fois : c'est la notion de marché.

Je ne reviens pas sur la définition du haut débit, ni sur les différentes catégories de débits qui rentrent dans cette définition. Ce qui me paraît important, et le sénateur Philippe Adnot l'a mentionné, c'est que notre objectif final doit être la satisfaction réelle d'un utilisateur. Satisfaction au bon moment, au bon endroit et, le cas échéant, avec le bon débit.

La question de l'amélioration de la couverture du territoire en services de télécommunications innovants et à des prix compétitifs est une question générale.

Un des points est clairement acquis. Il s'agit de l'attente exprimée par les utilisateurs, aussi bien publics, que privés ainsi que l'orientation exprimée par les autorités en charge du développement économique et social. Que faire au vu de ces conditions ?

Voici la réponse que je souhaite apporter, et c'est le fil directeur de mon propos. La réponse doit résulter de la complémentarité entre l'activité dynamique d'une industrie forte et innovante et l'intervention publique, que celle-ci soit nationale, territoriale et même européenne, dès le moment où elle se fait ressentir.

Le régulateur, qui a pour mission de mettre en oeuvre la politique publique pour le développement du marché, contribue à ces deux aspects par le biais de décisions et de recommandations. Ces deux approches, sont, à mon sens, indissociables.

À cet égard, permettez-moi de dire quelques mots sur la situation du marché, et sur des éléments positifs, tout n'est pas négatif dans ce qu'il peut apporter.

Ceci ne relève pas d'une attitude dogmatique mais d'une conviction forgée, et à l'épreuve des faits. Si l'on se penche sur les orientations qui ont pu être retenues sur le dégroupage (l'apparition de formules de consommation innovantes, forfaitisation, connexion illimitée, les baisses de prix intervenues), ce sont là autant d'éléments favorables au développement des usages, et en particulier à l'expression toujours croissante. Sur ces bases, je ne voudrais pas laisser croire que le marché français n'a pas de dynamisme et que la concurrence innovante n'y est pas présente.

Je voudrais également souligner que l'émulation et la complémentarité entre les différentes technologies d'accès au haut débit me paraissent être une des clefs du développement sur l'ensemble du territoire.

Aujourd'hui en France, l'accès à l'Internet via les réseaux câblés concerne plus de 200 000 personnes ; l'ADSL compte 500 000 abonnés. Ces deux modes d'accès sont complémentaires et on peut observer dans les pays européens qui ont choisi de développer simultanément ces deux modes d'accès que cette confrontation est dynamique. De même, quelles que soient les difficultés constatées, je garde confiance dans les potentialités de la boucle locale radio, y compris en milieux rural et semi-rural.

Je considère qu'il est nécessaire de lever un certain nombre d'obstacles au développement de l'accès Internet par satellite, par exemple, en réduisant le montant de certaines taxes et si nous ne croyions pas, au sein de l'ART, à la diversité des technologies, nous n'aurions pas pris les décisions sur les lignes directrices en faveur du développement de la technologie Wifi sur les réseaux locaux dits RLAN.

Les baisses de prix animent également le marché. Si, à l'heure actuelle, vous avez pu noter que, depuis début septembre, le marché s'est singulièrement animé, c'est parce qu'à l'issue des longues négociations avec France Télécom et les opérateurs, l'offre globale de l'opérateur historique, à destination des opérateurs alternatifs et des fournisseurs d'accès, a baissé de 25 % à 40 %.

Ce sont là des effets tangibles du marché. Mais le marché est encore jeune et instable. Il n'est pas en mesure de répondre, par sa seule dynamique et à la vitesse requise, à une demande considérable.

Gardons-nous, pour autant, de toute tentation d'oublier ce qu'il a apporté.

Mais n'oublions pas non plus une des missions de l'ART qui est de veiller à l'intérêt des territoires. Cet aspect est présent dans toutes nos décisions. Sur ce plan, j'estime qu'il ne faut pas faire de distinction entre les territoires les plus urbains, les plus ruraux, les grandes agglomérations et les petites communes. Nous sommes ici pour éviter que la fracture numérique ne se crée. Et au regard de certains propos que j'ai entendus (15 % de communes inférieures à 5 000 habitants qualifiées de petits territoires), il faut savoir que le régulateur a une égale préoccupation pour tout le territoire.

Nous l'avons prouvé à travers un autre dossier, que je n'évoquerai pas longuement, même si avec le sénateur Bruno Sido, nous pourrions faire converger nos réflexions et nos approches respectives : celles du Sénat et celles que l'ART a recommandées pour finaliser la couverture du territoire en téléphone immobile.

Dans ce qui a été retenu, il y a une bonne articulation entre la concurrence et l'intervention publique par une approche pragmatique qui acte l'engagement simultané des trois opérateurs : la confirmation de l'itinérance locale et un investissement soutenu par l'intervention financière de l'État et des collectivités territoriales. C'est là une approche utile, qui peut être un bon exemple pour consolider un dispositif qui doit engendrer la croissance.

Dans quel cadre les collectivités sont-elles susceptibles d'intervenir, alors même que la légitimité de leur intervention n'est pas un élément récent ?

Dans la loi de 1999, il était déjà reconnu un droit à la création d'infrastructures de télécommunications. À l'époque, deux objectifs avaient été particulièrement soulignés : favoriser la présence d'offres alternatives à celles de l'opérateur historique et conforter le développement économique du pays. Il faut rester attaché à ces deux objectifs.

Le texte de 1999 a été opportunément assoupli en 2001, notamment par la suppression de la reconnaissance du constat de carence.

À présent, un nouveau programme doit être mis en oeuvre dans la double perspective de l'aménagement du territoire et en tenant compte de l'exigence de neutralité concurrentielle.

Avant d'évoquer la manière dont les collectivités peuvent intervenir, je voudrais dire que j'ai pleinement conscience des propos qui ont reconnu la grande diversité des besoins et des approches exprimés à travers les collectivités territoriales. M. Michel Gonnet a notamment mis l'accent sur ce point.

Diversité dans les compétences, diversité des caractéristiques socio-économiques de ces territoires et diversité des initiatives qui ont pu être prises jusqu'à présent. En effet, les collectivités manifestent des perspectives différentes. Certaines se situent, avec des structures ad hoc, à la limite de l'exploitation d'un réseau, d'autres s'engageant davantage vers la voie de l'intervention financière.

Deux conclusions sont à retenir de cette constatation concernant le cadre juridique, l'avenir et sa précision. Il s'agit, d'une part, de la souplesse dont il doit faire preuve pour tenir compte de cette diversité. D'autre part, il est nécessaire que le cadre juridique permette d'encadrer des initiatives de manière à ce que soit respectée la cohérence technique des réseaux ouverts au public : c'est une caractéristique spécifique et fondamentale d'un réseau de télécommunications. Ce que l'on ne retrouve pas forcément dans d'autres domaines, comme par exemple le chemin de fer.

Concernant l'article L. 1511-6 du Code des collectivités territoriales, il serait opportun de clarifier la distinction entre le rôle que peuvent jouer les collectivités d'une part, pour favoriser financièrement l'installation des opérateurs et, d'autre part, le rôle des opérateurs dans l'exercice de leur activité.

Aujourd'hui, les collectivités ne peuvent pas subventionner les opérateurs en toute sécurité juridique.

En ce qui concerne les réseaux de télécommunications, l'ART a suggéré au mois de juillet que l'on puisse revenir sur l'interdiction faite aux collectivités d'exercer l'activité d'opérateur : telle est aujourd'hui la position de la loi.

Je maintiens cette suggestion. Je précise qu'à mon sens, c'est l'activité d'établissement de réseau qui est plus particulièrement concernée, car il me semble que l'activité d'exploitation et, a fortiori, l'activité de services (mais peut-être que nous n'avons pas la même définition des autres services que M. Harrousseau), sont d'une autre nature. Il me semble qu'il appartient au Gouvernement et au Parlement d'en apprécier le principe et la portée.

Voici, en termes simples, ce qui me semble être une ligne directrice souhaitable. Il faut reconnaître que les collectivités territoriales ne sont pas uniquement des banquiers et, a contrario, il est dangereux (mais ce n'est peut-être pas le point de vue du Gouvernement) de les engager sur un dispositif assumant trop de risques liés à une exploitation dans un marché qui, au cours des dernières années, nous a montré l'ampleur de sa réalité.

En tout état de cause, l'intervention des collectivités doit être assortie d'un certain nombre de critères. Il faut rester en accord avec les règles de la concurrence qui est utile et efficace. Pour conclure, je voudrais vous dire l'importance que j'attache, dans cette évolution, à l'adaptation de la régulation face à ce nouvel environnement qu'est l'action territoriale et publique en matière de télécommunications.

Il me paraît, en effet, indispensable de coordonner et de formaliser, d'une manière cohérente, les bases de ce développement, en instaurant les contacts, les échanges d'information, l'appui technique, d'autant plus si les collectivités territoriales sont amenées à exercer le rôle d'opérateur de télécommunications. C'est une dimension sur laquelle nous devons réfléchir, afin, entre autres, de maintenir les cohérences des caractéristiques et de l'évolution technique de tous les maillons du réseau pour en garantir la sécurité et l'inter-opérabilité, et, par ailleurs, maintenir la sauvegarde de l'égalité de traitement entre opérateurs dans l'accès aux ressources publiques, financières, ou domaniales.

Sur ces différents sujets, un certain nombre de passerelles, d'échanges, de réflexions ont été déjà engagés. Je me réjouis de pouvoir participer à cette table ronde. Je remercie tout particulièrement le Sénat et la Caisse des Dépôts d'avoir contribué à apporter quelques passerelles supplémentaires dans cette discussion.

(Applaudissements).

M. Philippe ADNOT. - Nous allons remercier M. Hubert. Je crois, Madame, que vous ne prendrez la parole qu'en présence de M. le Ministre. C'est parfait, puisque nous avons longuement expliqué qu'il fallait nous baser sur les besoins du marché pour agir, nous allons nous appuyer sur les besoins de la salle, pour savoir si ce qui a été dit correspond à ce que vous attendiez. Vous avez donc la parole.

Mme Josette DURRIEU. - Merci M. le Président. Josette Durrieu, sénateur des Hautes-Pyrénées. Pour compléter votre propos, nous sommes le département qui compte le plus grand nombre de petites communes de moins de 100 habitants, autant dire que nos problèmes sont à la hauteur des difficultés que vous avez précédemment évoquées.

Je suis pleine d'admiration pour l'Estonie. Si ce territoire est câblé à 100 %, certaines réserves exprimées par rapport à l'élargissement pourront être levées...

Il faut retenir les mots importants prononcés ici : « carence » et « aménagement ». C'est bien de cela dont il est question. Nous sommes tous responsables. J'ai entendu, ce matin, le sénateur Trégouët parler « d'anticipation » et également de « contractualisation », notamment avec France Télécom.

Voici un petit problème qui illustre les difficultés que l'on peut rencontrer en matière d'aménagement du territoire avec les technologies dont nous avons beaucoup parlé. Comme vous l'avez dit, je ne serai pas objective, puisque je veux parler de quelque chose qui me concerne, avec toutes les difficultés que cela implique, en remerciant ceux qui m'accompagnent, les responsables de la Caisse des dépôts, la DATAR et la région. Et je salue Alain Beneteau et tous ceux qui connaissent parfaitement le problème.

Vous l'avez mentionné précédemment, réaliser « les derniers mètres » : la difficulté est probablement là. Lorsque l'on a l'ambition d'anticiper, et de porter un projet qui est devenu majeur, un projet pilote dans nos régions, mais aussi en France, un projet d'incubateur d'entreprises, le CETIR (Centre européen des technologies de l'information en milieu rural), monté avec l'entreprise Matra, aujourd'hui EADS, ce n'est pas rien dans le milieu rural. Dans une petite communauté de communes que je préside, je peux vous assurer que nous sommes au coeur de la demande rurale et donc au coeur de toutes les difficultés. Mais nous avons l'ambition d'affirmer que l'on peut probablement réindustrialiser l'espace rural à partir de ce projet et des NTIC, et que l'on peut probablement relancer l'économie d'un département qui était éminemment industriel.

Le résultat est que nous avons créé 454 emplois en un an et demi, dont une centaine sur le site. Le reste sur le département des Hautes-Pyrénées, de façon directe et indirecte. Et bien, malgré cela, nous n'avons toujours ni l'ADSL, ni le haut débit !

Cela fait huit mois que je mène cette bataille. Les principaux décideurs sont réunis autour de la table, mais nous n'obtenons toujours pas de résultats.

C'est l'exemple même du blocage et de l'absurdité, et je regrette que cela tombe sur nous malgré tout ce que nous faisons. J'ai sous les yeux la carte Télécom des Hautes-Pyrénées avec les réseaux de haut débit, M. Bertran. Vous connaissez bien le problème. Je n'aurais pas la cruauté de dire qu'il y a trois ou quatre ans, nous avions déjà un déploiement de 3 200 kilomètres de gaine. J'en vois le double sur cette carte. Je ne sais pas à combien de kilomètres nous en sommes aujourd'hui. Quel en est le coût et à quoi cela sert-il ? J'ai presque envie de dire : à rien.

Voilà la situation : il fallait tirer une bretelle de 10 kilomètres depuis le réseau France Télécom ou 300 mètres à partir du réseau A.S.F. Depuis huit mois, le problème technique n'est pas résolu. Pas plus que le problème juridique. Et l'on n'a pas non plus abordé le problème financier.

À mon avis, c'est d'ailleurs secondaire. Le projet, s'il est bon, sera financé, c'est évident. Que font les élus tous les jours, sinon chercher et trouver de l'argent ? Quand le projet est viable, il est financé.

Je suis heureuse que ce débat se tienne, aujourd'hui ici, au Sénat. J'espère que ce débat nous permettra de progresser. Mais au coeur du problème, il y a la rentabilité, c'est évident. La rentabilité est essentielle pour l'opérateur. Mais il y a aussi cette absence de volonté qui bloque toute avancée.

Monsieur le Président de l'ART, vous avez dit : pour le haut débit, il faut savoir si c'est « le bon endroit », « le bon moment », « le bon débit ». Vous avez posé les trois vrais problèmes. Moi, je suis sûre d'une chose : je ne suis pas au bon endroit !

(Applaudissements) (Rires dans l'assistance).

M. Philippe ADNOT. Vous avez eu le plaisir de nous écouter. Il en est de même pour nous.

M. Bertran ne peut pas faire autrement que de prendre la parole.

M. Philippe BERTRAN. - Je la prendrai volontiers, mais brièvement. Madame Durrieu et moi avons souvent eu cette discussion. Elle a donné elle-même la réponse : c'est un problème de rentabilité. Cela rejoint ce que j'ai dit. Mais nous avons également des problèmes financiers et juridiques.

Le problème financier peut être résolu si la collectivité locale est prête à investir de l'argent ; le problème juridique demeure.

Le constat est simple : Si France Télécom, ou un autre opérateur, ne dessert pas telle ou telle région du territoire, c'est parce que l'on ne trouve pas d'équilibre économique pour le haut débit.

M. Philippe ADNOT. - Je pense qu'il doit bien y avoir une solution. On nous en fera certainement part.

M. Jean-Michel HUBERT. - À l'observation de Mme le sénateur, je voudrais ajouter que je ne connais pas dans le détail le dossier qu'elle a mentionné. Je connais deux ou trois dossiers que l'on peut qualifier de « petites communes » inférieures en tout cas à 5 000 habitants, où il apparaît clairement que des solutions techniques fonctionnent. Cependant, Mme Durrieu pose, comme l'a mentionné M. Bertran, un objectif immédiat de rentabilité pour l'opérateur.

J'ai, à travers ces quelques cas, une idée sûre des solutions qu'il faudra mettre en oeuvre. Mais je dis simplement à Mme Durrieu, que si nous n'arrivons pas à apporter une réponse à la question que vous posez, cela signifie que nous activons la création de la fracture numérique. C'est la raison pour laquelle je ne m'incline pas devant ces difficultés. Nous devons nous appuyer sur les aspects financiers, juridiques, pour rechercher des solutions qu'il faudra adapter selon les cas, la diversité du territoire et des problèmes. Mais je considère qu'apporter une réponse à votre question est un enjeu incontournable, dans un délai relativement rapide.

Intervenant. - En France, on réfléchit au backbone régional, voire départemental, et après on se pose la question du dernier kilomètre. Alors que pour réussir, et nous avons des exemples, il faut se poser la question du premier kilomètre. Certains pays sont réellement dans une logique « local ». Aux États-Unis, les « utilities », comme l'électricité, sont des services gérés ville par ville avec des structures qui sont détenues par les communes. Celles-ci développent les réseaux, sans se poser la question de savoir s'il s'agit de télévision ou d'Internet. Elles ont un réseau et une offre de services uniques.

Les villes américaines, et je rejoins M. Jean-Louis Constanza, se préoccupent réellement de ce qui se passe au niveau de l'usager, de son service, de son équipement etc., et elles se posent la question du premier kilomètre. Aux États-Unis, l'on ne se préoccupe pas de ce qui va se passer au niveau de la région ou de la ville, etc. C'est une considération naturelle : l'on cherche toujours la meilleure solution et le réseau se construit. C'est un exemple qu'il faut prendre en compte.

L'approche du plan de financement est totalement différente. Il existe des modèles au Canada, aux États-Unis, en Suède. Le projet de Stockholm est plus particulier, mais en Suède sur 280 communes, 210 ont des projets locaux qui débouchent ensuite sur d'autres besoins. Le réseau existe et l'on s'appuie dessus pour raccorder les maisons directement en haut débit, par exemple. Il y un a projet initial, mais il évolue en fonction des besoins des gens.

C'est important. D'autant plus qu'avec les nouvelles directives, se prépare une petite révolution. Actuellement, nous avons un régime d'autorisation de licence individuelle, tout cela va disparaître, tout comme les régimes spéciaux pour les réseaux câblés.

À ce propos, j'aimerais avoir une réponse de M. Jean-Michel Hubert. L'on parle des droits des collectivités et d'une intervention très intéressante dès la transposition des directives. Comment situez-vous les perspectives que vous évoquez pour les collectivités face à la nouvelle réglementation ?

M. Jean-Michel HUBERT. - Il est certain que l'un des enjeux majeurs de l'année prochaine sera la transposition des directives. Elles sont à la fois assez claires, sans mauvais jeu de mots, mais elles peuvent, par ailleurs, laisser quelques éléments de flexibilité. Il est vrai que le positionnement des collectivités locales dans le futur dispositif, et notamment en ce qui concerne l'autorisation générale qui va se substituer aux autorisations spécifiques, que nous connaissons bien, nous opérateurs, de services téléphoniques, sera un des points politiquement importants du débat qui va s'ouvrir.

Je crois simplement que pour trouver la bonne insertion de cette question dans le cadre de la future transposition, sans doute faut-il qu'un certain nombre des thèmes sur lesquels nous débattons, trouvent un éclaircissement, afin d'être en cohérence avec le cadre même des directives.

M. Etienne ANDREUX. - SIPPEREC - Première remarque : il a été dit qu'il y avait une possibilité d'intervention des collectivités locales par le biais de la demande, et notamment pour faire du marché public. Le SIPPEREC a pris l'initiative d'un groupement de collectivités qui permet d'avoir un marché de taille plus importante, un allotissement plus complet, et donc d'avoir une diversité d'opérateurs qui puissent répondre. C'est là une expérience intéressante pour faire émerger sur un territoire des demandes d'opérateurs.

Ma deuxième remarque concerne les réseaux câblés. L'ART a lancé une étude sur ces questions de réseaux câblés. Comme vous l'avez dit, M. le Président, entre un tiers et un quart des abonnés Internet le sont aujourd'hui par le réseau câblé.

On nous a communiqué que, du fait de la transposition des directives européennes, la place des collectivités locales allait changer en matière de réseaux câblés. Il faudrait éviter le paradoxe suivant : au moment où l'on fera rentrer les collectivités locales dans le domaine des infrastructures de télécommunications, évitons de les faire sortir des réseaux câblés. Nous avons, aujourd'hui, le sentiment que les câblo-opérateurs viennent d'arrêter les investissements et demandent une sorte de moratoire pendant deux ans parce qu'un certain nombre d'entre eux voudrait récupérer la pleine propriété des réseaux sur les territoires les plus rentables, en laissant les collectivités locales se débrouiller là où ce n'est pas rentable.

Dans une transposition de directives, on l'a vu dans d'autres domaines où il y a ouverture à la concurrence, des périodes transitoires peuvent être organisées. Il faut poser le problème des réseaux câblés, avec force ; ils existent et, dans un certain nombre d'endroits, ils ont permis un développement important. Comment peut-on les consolider ? Comment faire en sorte que les câblo-opérateurs n'arrêtent pas les investissements durant cette période ? Quelles initiatives publiques peuvent être prises pour favoriser un regroupement par plaques territoriales des câblo-opérateurs ? Quelles initiatives prendre pour que les réseaux câblés ne fassent pas les frais de l'opération générale de transposition des directives et que les collectivités locales en soient un peu évacuées ?

M. Bruno SIDO - Nous menons une étude sur les réseaux câblés. Vous allez en être informés. Je pense que vous avez été contactés. Je crois qu'il ne doit pas y avoir d'ambiguïté dans la conviction de l'ART sur le fait que les réseaux câblés, nés il y a presque 20 ans, dans la perspective de l'offre d'un service audio-visuel, sont en train de devenir un élément d'infrastructure essentiel, sans connotation juridique, en ce qui concerne le développement de l'offre de services de télécommunications et, plus particulièrement, du haut débit.

Le sort de cette infrastructure, aujourd'hui marquée par une dispersion géographique que vous avez soulignée, par une complexité capitalistique évidente dont nous avons parlé il y a quatre ou cinq ans (entre le propriétaire du réseau et l'exploitant), est également marquée par une complexité historique entre le rôle du régulateur CSA et du régulateur ART sur les formes d'autorisation des nouveaux services. Il convient de simplifier ce dispositif. C'est, à mon sens, le premier objectif de la transposition des directives. Ceci pour assurer la pérennité du système câblé.

Vous avez raison de souligner la contradiction apparente, ou de première lecture, entre ce que les collectivités territoriales ont pu faire jusqu'à présent sur les réseaux câblés, et le fait que les câblo-opérateurs disent « pour avoir une action cohérente, et investir davantage, une autre organisation du dispositif est nécessaire ». Je conviens avec vous de cette contradiction. Je crois que ceci incitera prochainement à un véritable échange avec les collectivités, de façon à mesurer les meilleures conditions qui permettent le maintien de l'investissement dans les réseaux câblés.

Je ne me prononce pas sur ce point. J'acte la difficulté, j'acte la contradiction apparente. Il faudra que l'on choisisse la meilleure formule pour assurer l'avenir de ce dispositif.

Mme Josette DURRIEU - Il y a deux types de réseaux câblés en France, ceux du plan Câble qui appartiennent à France Télécom avec un câblo-opérateur autre que France Télécom, donc un exploitant. Ceux-ci ne sont pas concernés puisqu'ils ne sont pas concessifs. On s'intéresse aux réseaux qui ne couvrent pas les plus grandes villes que sont les réseaux dans le modèle concessif.

Me Frédérique Dupuis-Toubol - M. Sido a justement expliqué qu'il n'y a rien de pire que l'incertitude juridique. Cette nouvelle situation européenne crée une incertitude. Les concessions sont conclues pour une certaine durée. Ces concessions ont été passées pour la plupart après la loi de 86 pour des durées qui varient et qui vont arriver à échéance. Plus l'on se rapproche de l'échéance de la concession, plus les câblo-opérateurs ont tendance à ne pas vouloir investir, puisque le principe du contrat est que l'infrastructure est un bien de retour et revient à la collectivité.

On peut se dire que les directives communautaires nous obligent à anticiper un débat auquel on n'aurait pas échappé sur ces infrastructures et leur devenir. Ce débat de toute façon était posé au terme de la concession.

Derniers éléments de réflexion. Le principe même de la concession, c'est la propriété publique. Même si l'exploitant qui gère le réseau en est propriétaire durant l'exploitation, le principe est que cela reste une propriété qui revient à la collectivité.

Dans ce débat, il faut donc se dire qu'il faut lever les incertitudes juridiques actuelles sur le devenir de ces contrats : les collectivités vont-elles récupérer la propriété des réseaux par anticipation et finalement louer de la capacité pour les services de télévision aux câblo-opérateurs, et dans quelles conditions cette reprise anticipée de la propriété va-t-elle se faire, moyennant indemnité ou pas ? Faut-il permettre aux collectivités, le cas échéant, par d'autres biais, par d'autres accords, de continuer à investir sur le déploiement de ces infrastructures, les ouvrir à d'autres opérateurs publics ? Où vont-elles transférer la propriété de ces infrastructures ? Ce sont les éléments du débat. Au plus vite les directives communautaires seront transposées, au plus vite ces incertitudes seront levées, et au plus vite l'on pourra réinvestir sur ces infrastructures qui existent aujourd'hui.

(M. Jean-Paul DELEVOYE entre en séance)

M. Daniel KAPLAN. - Merci M. le Ministre d'être avec nous et bravo pour la précision, puisque vous êtes arrivé exactement à la fin de la table ronde.

Nous vous proposons de vous faire une petite synthèse de cette journée. Comme c'est un exercice impossible, compte tenu de sa richesse, nous l'avons confié à Mme Gabrielle Gauthey de la Caisse des Dépôts, car elle seule, probablement, saura le faire.

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