Les enjeux du haut débit : « collectivités locales et territoires à l'heure des choix »



Palais du Luxembourg, 12 novembre 2002

SYNTHÈSE DE LA JOURNÉE LE RÔLE DES COLLECTIVITÉS LOCALES DANS LA RÉDUCTION DE LA FRACTURE NUMÉRIQUE

Mme Gabrielle GAUTHEY, Directeur de la stratégie et du développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, Caisse des Dépôts et Consignations.

Merci Daniel Kaplan pour cette introduction. Effectivement, proposer une synthèse n'est pas un exercice facile à la fin d'une journée qui fut riche et dense. Vous avez été très nombreux à répondre à cette journée et je remercie le Sénat de nous avoir associés à l'organisation de cette table ronde. Merci à tous les participants, en particulier à nos amis étrangers qui nous ont apporté un peu de fraîcheur dans nos problématiques franco-français. Mon rôle est à présent de remettre en perspective un certain nombre des débats que nous avons eus, de parfaire les modalités d'accompagnement des projets et de répondre aux interrogations des élus locaux présents dans cette salle.

Nous avons souhaité commencer cette journée en s'interrogeant une fois de plus sur les attentes des territoires et sur les usages du haut débit. En mettant cette journée sous le signe du « haut débit et des collectivités locales », la question de la définition du haut débit s'est posée. Est-ce au-dessus de deux mégabits ? Est-ce la vitesse qui compte ? Est-ce que c'est la qualité ? Faut-il toujours être « always on », comme disent les Anglo-saxons ?

Le haut débit, pour les territoires, recouvre des réalités souvent diverses, pour les acteurs locaux que sont les collectivités publiques, les écoles, les hôpitaux. Le Réseau de Télémedecine Régional de Midi-Pyrénées, présenté par le Professeur Lareng, est un bon exemple de la nécessité des hauts débits.

Le haut débit recouvre encore d'autres réalités également différentes pour les entreprises, nous avons eu des démonstrations assez éclairantes du caractère crucial du haut débit, à la fois pour des entreprises innovantes comme Activeprod, dans la Creuse, pour le maintien de l'activité de service rural, mais également de la part de grandes entreprises, pour la totalité de leurs activités et de leurs relations avec leurs collaborateurs, leurs sous-traitants et leurs réseaux de concessionnaires.

Le citoyen et, par prolongement, le marché de masse sont également des conditions essentielles dans le déploiement des hauts débits, en particulier pour la rentabilité finale des opérateurs sur notre territoire.

Souvent, et c'est un sujet essentiel pour les collectivités locales, nous avons vu que les usages publics, la Santé, l'Éducation étaient des éléments moteurs et structurants du développement des hauts débits sur les territoires et que, par conséquent, une forte responsabilité leur incombe.

La commande publique est souvent le premier moteur pour les collectivités locales et leur territoire. C'est souvent la première réponse à laquelle les entreprises sont bien évidemment sensibles. Le caractère structurant de la commande publique ne doit pas être uniquement utilisé de façon fermée. Mais les réseaux construits autour de la commande publique présentent le risque d'être utilisés uniquement de façon fermée (GFU). Il faut donc que les collectivités veillent à construire des réseaux ouverts à tous, de manière à ne pas isoler la commande publique du reste du territoire.

Les exemples étrangers nous ont montré qu'il faut garder espoir, que nous devons dépasser le sempiternel débat de l'offre et de la demande. Daniel Kaplan et nos amis étrangers nous ont montré que quand la facilité, la fluidité, la richesse des offres de haut débit existent, il faut faire confiance aux utilisateurs et aux communautés locales, souvent utilisateurs, pour créer les usages du haut débit.

Le deuxième axe de réflexion qui est ressorti des débats est celui de l'aménagement des hauts débits sur le territoire, dont les enjeux ne se jouent pas uniquement dans les zones rurales mais doivent davantage être perçus de façon globale. Nous sommes pratiquement tous tombés d'accord sur le fait que le seul jeu du marché ne suffit pas à conduire à un développement équilibré car les opérateurs, c'est leur rôle, appréhendent le territoire avant tout comme un bassin de clientèle. Ainsi le haut débit peut être une chance pour les territoires les plus fragiles, mais aussi un facteur discriminant favorisant la polarisation et la concentration des activités.

La démarche d'aménagement du territoire, qu'elle émane de l'État ou des collectivités locales, consiste à anticiper les besoins de l'ensemble des acteurs d'un territoire. Et je voudrais citer une parole très forte du sénateur Trégouët, « personne, aucune profession, n'échappera à l'impact du haut débit ».

Il faut donc insister sur le rôle d'anticipation des besoins des acteurs locaux, et ne pas seulement se contenter de répondre à des besoins constatés.

Parallèlement à la spécificité française, les expériences étrangères nous montrent que beaucoup de chemin reste à parcourir. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 10 % des foyers américains sont connectés au haut débit, 14 % en Suède, 25 % au Canada. En termes de coût et de rapidité d'accès : 10 mégabits coûtent 30 € par mois à Milan, 100 mégabits coûtent 21 € à Sollentuna.

La France est l'un des pays européens (parmi 5 concernés), où les collectivités, au nom de la protection de l'initiative privée, n'ont pas le droit d'être opératrices de télécommunications.

Les comparaisons étrangères ont fait ressortir plusieurs enseignements :

L'impulsion politique et publique, nationale ou locale est omniprésente ;

Le ou les degrés de décentralisation, une plus grande latitude est laissée aux collectivités, qui font souvent preuve d'un fort dynamisme local ;

Les projets se construisent souvent sur un partenariat public-privé, soit dans la construction, l'exploitation, la supervision ou l'organisation de l'offre ;

Il existe différents modes d'organisation de déploiement des hauts débits, sous l'influence de plusieurs types d'acteurs. Par exemple, certaines régies communales d'électricité se tournent vers le métier Télécom, les collectivités locales participent aux activités d'opérateurs locaux. Ces solutions créent des opérateurs locaux rentables, phase qui n'existe pas en France.

Les réflexions des pays étrangers ne se focalisent pas sur les architectures existantes. Au contraire, elles s'adaptent à de nouveaux systèmes d'architecture, comme l'éthernet IP, et favorisent davantage les péréquations régionales que nationales.

Certains pays et villes font office de référence dans différents domaines, à l'image de la Suède (Sollentuna), de l'Italie (modèle libre et fluide de partenariat public-privé) mais également les États-Unis avec une bonne utilisation des aides, des déductions fiscales, là aussi un rôle important des opérateurs locaux et des « utilities ».

Les premières expériences françaises se sont caractérisées par un mouvement de fond des territoires dont les interrogations ont souvent été sous-estimées par certains acteurs nationaux. Et le sentiment d'une urgence et, en même temps, d'une certaine prudence, vu la sécurité juridique en ce domaine.

Un mouvement de fond, même si l'essentiel des projets sont encore devant nous, mais ils émergent, ils prennent du temps, heureusement, même si quelques uns sont déjà opérationnels.

Globalement, les projets répondent toujours aux mêmes motivations : les collectivités se posent la question de leurs besoins propres, en termes de services publics (écoles, hôpitaux, administration), de développement économique et d'aménagement. Elles savent, par exemple, que pour assurer un accès équitable au haut débit sur tout le territoire, elles doivent veiller à stimuler la concurrence, à baisser les tarifs d'accès, à faire émerger des offres diversifiées, à faire jouer la complémentarité des techniques.

Les collectivités doivent également évaluer la nécessité de recourir à de l'argent public et aux manières de l'employer. Faut-il, par exemple, subventionner les réseaux d'un seul opérateur ? Où faut-il, au contraire, essayer de mutualiser les infrastructures pérennes ?

Il semble désormais que les débats portent moins sur la nécessité d'une action publique locale et moins sur les carences de l'initiative privée. Ce sont aujourd'hui les modalités juridiques et les cadres d'intervention qui posent problème. Quelles sont les structures permettant le véritable partenariat public-privé ? Quelles aides publiques ? Quelles péréquations financières et sur quel territoire ? Quel montage juridique (délégation de service public, SEM etc.) ?

Enfin, la question de la gestion du temps. Tout ceci prend du temps. Les compétences qui sur notre territoire sont cruciales. Et ceci fait souvent défaut.

L'avenir. Quelles sont les questions qui se posent aujourd'hui sur le rôle que doivent jouer les collectivités locales ?

Globalement, le Député Joyandet le disait ce matin, « nous avons le sentiment que le temps de l'action est venu ». Nous sommes conscients de l'urgence dans laquelle il faut agir. L'implication des collectivités locales qui veulent voir reconnu leur rôle d'aménageur numérique est indispensable. Les messages du Président Poncelet, de M. Jacquet de la DATAR, de M. Joyandet vont dans ce sens. Pourquoi ? Parce que les collectivités locales sont les mieux placées pour appréhender les besoins locaux au moment où l'on parle d'un mouvement de décentralisation. Il ne s'agit pas de décentraliser une compétence que l'État n'a pas, mais de mieux appréhender les besoins locaux. Il faut une impulsion publique, non pas pour se substituer à l'initiative privée, mais pour aider à l'émergence d'offres de services diversifiées.

Il est nécessaire de promouvoir les usages publics, qui sur un territoire tirent souvent les usages globaux. Il convient de faire évoluer le cadre juridique de l'Internet public, qui reste encore trop flou et non sécurisé.

En ce qui concerne le statut et le rôle concret des collectivités locales, trois schémas sont possibles : gestionnaires d'infrastructures, opérateurs d'opérateurs, via une mutualisation active sur une plate-forme ouverte aux opérateurs, ou opérateurs de services de télécommunications.

Si les opinions restent certes variées, un consensus s'est quand même dégagé vers le schéma de la mutualisation de l'investissement par une collectivité pour faciliter l'arrivée des opérateurs et des offres de services sur le territoire. Ce qui revient à dire que la collectivité se place comme opérateur d'opérateurs. Conscientes toutefois que c'est un véritable métier, elles ne peuvent pas le faire seules, mais avec des entreprises privées dont c'est le métier.

C'est donc dans un partenariat public renouvelé que se situent les perspectives les plus intéressantes, tant dans le financement, le partage des risques, que dans l'exploitation durable. Par ailleurs, les télécommunications étant un métier où l'investissement est permanent, il paraît illusoire de vouloir bâtir quelque chose de pérenne sur des subventions publiques pérennes.

La conclusion, M. le Ministre est que :

1. Il est urgent d'agir. La France n'est pas en avance. Elle n'est pas non plus en retard, mais souffre d'un certain nombre de blocages, et notamment d'un trop grand centralisme, qui empêche notre pays de tirer le meilleur parti du bénéfice de la concurrence. La géographie de la France y est pour quelque chose. Des pays comme l'Allemagne n'ont pas ces mêmes problèmes. Il semble à présent que le temps de l'action est venu. La France a un rôle indispensable à jouer, d'abord en accompagnant et en sécurisant le mouvement de fond des collectivités, et, ensuite, en inventant de nouvelles modalités d'intervention.

L'organisation du marché et le rôle essentiel de la concurrence ne sont pas à remettre en cause, mais devraient être davantage orientés pour contribuer à baisser les tarifs et développer une pluralité d'offres de services.

2. Il est nécessaire de garantir la cohérence de l'ensemble des réseaux.

Il faut libérer des énergies locales en passant par un schéma d'orientation nationale, plutôt que par un schéma national haut débit. L'État doit être un appui conséquent pour permettre de faire évoluer le cadre juridique, pour améliorer l'utilisation de la sécurisation des fonds publics, notamment des fonds européens qui restent sous-utilisés. M. Jacquet disait d'ailleurs, ce matin, que sur les 2,4 milliards que représente le montant global des réseaux que la Caisse des Dépôts a recensés, un tiers pourrait être financé par des fonds FEDER.

3. L'État a également un rôle à jouer dans la promotion de la fluidité accordée au partenariat public -privé.

Je vous passe la parole pour vous entendre sur ces grandes orientations nationales que nous avons évoquées au cours de cette journée. Merci.

(Applaudissements).

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