Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise 2002



Palais du Luxembourg, 31 janvier 2002

Comment changer l'État ?

Débat animé par Gilles Leclerc,
Journaliste « Public Sénat » et « France 3 »

Introduction des débats :
Jean-François Chantaraud

Conclusion par Christian Poncelet, Président du Sénat

Avec la participation de

Michèle Alliot-Marie
Ancien Ministre, Présidente du R.P.R.

Nicole Notat
Secrétaire Générale de la C.F.D.T.

Denis Kessler
Président de la F.F.S.A.

Jean Peyrelevade
Président du CREDIT LYONNAIS

Thierry Bert
Inspecteur général des finances

Gérard Braun
Sénateur des Vosges

Alain Lambert
Président de la commission des Finances du Sénat

Didier Migaud
Rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale

M. CHANTARAUD, directeur de l'Observatoire du dialogue social -

L'enjeu de cette table ronde, c'est la méthode...

M. LECLERC -

... et des pistes de solution.

M. CHANTARAUD -

L'entreprise performante a compris que ses interlocuteurs veulent être entendus. Elle veut faire partager un projet, faire dialoguer ses salariés, ses actionnaires et ses clients. Eh bien, ce que l'entreprise fait, l'État doit être capable de le faire avec les citoyens, en leur donnant la parole. Si les citoyens sont nombreux à descendre dans la rue, ils peuvent faire pression. S'ils ont des réseaux, ils peuvent faire du lobbying. Il y a une troisième forme d'expression : l'agora qui consiste à organiser le dialogue et à construire des solutions collectives avec les fonctionnaires, les élus et les citoyens car c'est à ceux-ci que l'État rend service.

L'enjeu n'est pas l'intelligence des gouvernants qui définiraient seuls un programme, ni celle des gouvernés qui se comporteraient en consommateurs mais l'intelligence collective qui doit être capable d'organiser un débat public avec les citoyens.

Dans une démocratie adulte, la raison du plus fort n'est pas toujours la meilleure mais la raison la meilleure est toujours la plus forte. Sans la participation des citoyens, il n'y aura pas de réforme de l'État.

J.-F. Chantaraud

« Sans la participation des citoyens, il n'y aura pas de réforme de l'État »

M. LECLERC -

La réforme de l'État est à l'évidence un thème qui se dégage des programmes électoraux. Constituera-t-elle une vraie priorité dans cette campagne ?

Mme ALLIOT-MARIE, ancien ministre, présidente du R.P.R. -

Oui, parce que nous avons écouté les citoyens, nous avons dialogué avec eux pour élaborer notre projet et nous nous sommes rendus compte qu'il y a un vaste problème de confiance des citoyens envers l'État. On a l'impression aujourd'hui que l'État ne dit pas la vérité. Quand il présente un budget fondé sur une hypothèse de croissance de 2,5 % dont on sait qu'elle n'est pas tenable, l'État n'est pas crédible aux yeux des citoyens. De même, quand l'État change tous les deux ans de politique, il n'est pas non plus crédible. Aussi les citoyens ont-ils l'impression d'un décalage profond entre l'évolution de la société dans son ensemble et un État qui fonctionne encore de façon archaïque. Les citoyens qui sont utilisateurs du service public et les fonctionnaires eux-mêmes ont l'impression de ne pas disposer des moyens que l'on trouve, par exemple, dans l'entreprise.

M. LECLERC -

Quelles pistes de solution proposez-vous ?

Mme ALLIOT-MARIE -

La première, c'est de pratiquer le dialogue et l'écoute, car il y a souvent des solutions de bon sens. Il faut également moderniser l'État pour faire en sorte qu'il puisse tenir sa parole.

M. LECLERC -

Le parti socialiste propose aussi de réformer l'État. N'y a-t-il pas un consensus de tous les partis sur la nécessité d'une telle réforme ?

M. MIGAUD, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale -

Oui mais nous divergeons sur son application. Je ne crois pas que l'État ou les services publics soient archaïques. La réforme de l'État est nécessaire car l'État doit s'adapter en permanence. C'est évident. C'est pourquoi, avec le président Lambert, nous avons proposé une réforme de la loi organique relative aux lois de finances, qui est un outil pour réformer l'État, pour donner plus de souplesse et plus de responsabilités aux gestionnaires publics. La transparence, la lisibilité permanente de l'action publique sont les maîtres mots de cette réforme, qui a été voulue par M. Fabius, président de l'Assemblée nationale, puis ministre de l'économie et des finances, mais aussi par le Premier ministre, par le président de la République, par le président Lambert et par la commission des Finances de l'Assemblée nationale qui se sont beaucoup investis pour la réussite de cette réforme.

Didier Migaud

« L'État est capable de se réformer, non pas contre les fonctionnaires, mais avec eux. Je ne crois pas à un Grand Soir de la réforme de l'État car l'État doit s'adapter en permanence »

Ainsi, nous avons montré que les politiques peuvent faire des réformes, quand ils se mettent d'accord sur les objectifs. L'État est capable de se réformer, non pas contre les fonctionnaires, mais avec eux. Je ne crois pas à un Grand Soir de la réforme de l'État car l'État doit s'adapter en permanence.

M. LECLERC -

Vous dites qu'il n'y a pas une réforme de l'État mais des réformes au sein de l'État.

M. MIGAUD -

Oui, je suis pour un État présent, fort, efficace. Nous devons passer d'une logique de moyens à une logique de résultats. Chaque année, l'exécution du budget sera analysée sous l'angle de la performance. Un rapport annuel permettra l'évaluation de l'action ministérielle.

M. LECLERC -

Le calendrier politique se prête-t-il à une réforme de l'État ?

Mme ALLIOT-MARIE -

Oui, je crois qu'il est indispensable de réformer en permanence et qu'il y a aujourd'hui un consensus sur la nécessité de la réforme de l'État. Au-delà de ce qui a été dit, nous devons nous interroger sur l'évaluation qui est indispensable, service par service, pour améliorer l'efficacité de chaque service. Il faut, en la matière, non seulement un programme mais une vraie volonté politique.

M. LECLERC -

Celle-ci existe-t-elle ?

Mme ALLIOT-MARIE -

On a pu en douter ces dernières années mais, pour notre part, elle ne fait pas de doute.

Michèle Alliot-Marie

« Au-delà de ce qui a été dit, nous devons nous interroger sur l'évaluation qui est indispensable, service par service, pour améliorer l'efficacité de chaque service »

M. LAMBERT, président de la commission des Finances -

Je suis sûr que l'on peut réformer l'État. Tant que l'on n'a pas essayé, on ne peut pas dire que cela ne marche pas. Avec M. Migaud, nous avons essayé. Nous n'étions pas du même bord politique mais nous y sommes parvenus, en dépit de tout ce que nous avons entendu : trente-six tentatives avaient échoué auparavant, nous n'y arriverions jamais, etc... Cela a marché parce que nous étions deux obscurs, que personne ne connaît.

M. LECLERC -

Ce ne sont tout de même pas les médias qui empêchent de faire la réforme ?

M. LAMBERT -

Certes non, mais je ferai une proposition iconoclaste : nous devrions nous engager à réduire d'un quart toutes les normes législatives et réglementaires dans les cinq prochaines années. Ainsi, toute l'intelligence d'ordinaire mobilisée dans ce pays pour monter des usines à gaz serait occupée à les démonter. On progresserait dans la science du démontage et, pendant ce temps, on ne monterait pas de nouvelles usines et celles que l'on monterait, on les ferait avec l'idée qu'un jour, il faudra les démonter. C'est ainsi que l'on peut faire progresser notre pays. C'est facile à condition d'en avoir la volonté.

M. LECLERC -

Il y a donc là une piste : moins de lois, moins de décrets, moins de règlements.

M. BRAUN, sénateur des Vosges -

Oui, le président Lambert a raison. Dans notre pays, il y a beaucoup trop de règlements ; il faut en supprimer. C'est ce qui a été fait aux États-Unis, au Japon, au Canada, en Nouvelle Zélande, en Australie, etc.. Dans tous ces pays que j'ai étudiés, il y a eu un accord politique sur la nécessité de réformer. Deux d'entre eux en particulier ont eu une volonté idéologique forte de réformer l'État : le Royaume-Uni et la Nouvelle Zélande.

Ce qui m'a frappé dans tous ces pays, c'est la continuité politique : que les Gouvernements soient de droite ou de gauche, au-delà des alternances, la volonté politique a prévalu. Elle s'est articulée autour de ce triptyque : premièrement, une véritable volonté politique de réforme ; deuxièmement, un véritable dialogue avec les fonctionnaires, leurs organisations représentatives mais aussi la base ; troisièmement, ne pas oublier les citoyens-et non pas les usagers, qui, dans une dictée de Pivot, pourraient s'écrire « usagés ». (Sourires) La réforme de l'État ne se fait pas d'un coup de baguette magique. Elle suppose une réflexion permanente.

Alain Lambert

« Nous devrions nous engager à réduire d'un quart toutes les normes législatives et réglementaires dans les cinq prochaines années. Ainsi, toute l'intelligence d'ordinaire mobilisée dans ce pays pour monter des usines à gaz serait occupée à les démonter »

M. LECLERC -

La réforme de l'État suppose une implication de tous les acteurs sociaux, économiques, et des citoyens, donc un partage du pouvoir.

Mme NOTAT, secrétaire générale de la C.F.D.T. -

On peut tout partager, mais pour réussir une réforme, il faut commencer par mettre les choses à l'endroit. Le politique a, ici, un vrai rôle à jouer pour montrer pourquoi il faut réformer. Il faut que les usagers tirent un bénéfice de la réforme. Il faut que les fonctionnaires y trouvent de nouvelles motivations. Donnez-nous envie de réformer ! Montrez-nous que nous y trouverons plus d'intérêts, plus d'efficacité, plus de garanties !

Une fois que cette réforme est identifiée et motivée, elle doit être incarnée. Il faut que des gens la portent et en assurent le service après-vente, avant même qu'elle soit mise en place. Il faut démontrer que la réforme est nécessaire, pour la rendre possible.

Le premier objectif est d'impliquer ceux qui sont concernés au premier chef par la réforme. Les services publics eux-mêmes doivent devenir porteurs de ces réformes. Comme l'a dit M. Schweitzer, les fonctionnaires ont envie que les services publics marchent mieux. Ils ont envie de retrouver toute la noblesse de leurs métiers, d'être plus performants et plus efficaces.

M. LECLERC -

Monsieur Bert, vous avez été à l'origine de la réforme de Bercy. Sur quels obstacles a-t-elle achoppé ?

M. BERT, inspecteur général des finances -

Au risque de vous surprendre, il y a eu peu d'obstacles et les choses avancent beaucoup. Je suis fonctionnaire. On m'a demandé de me lancer dans cette aventure, notamment parce que les contribuables étaient confrontés à une quantité d'interlocuteurs différents, à des procédures complexes, pour un coût nettement plus élevé que celui de nos principaux partenaires. Il est donc apparu utile de faire évoluer cette situation, vieille de deux siècles. Mais on m'a donné neuf mois pour la remettre en cause...

M. LECLERC -

Gaston Defferre avait bien fait la décentralisation en neuf mois.

M. BERT -

En neuf mois, on peut prendre des décisions stratégiques et des décisions d'organisation, qu'il faut se donner ensuite le temps d'appliquer afin que les agents puissent s'y adapter et prendre de nouvelles habitudes. En un an, on peut faire une photographie. Mais une photographie n'est jamais douce. Elle est toujours contrastée. Certains la trouvent immanquablement trop dure, voire méprisante.

Gilles Leclerc

« La réforme de l'État suppose une implication de tous les acteurs sociaux, économiques, et des citoyens, donc un partage du pouvoir »

Il faut aussi prendre des décisions stratégiques, comme, par exemple, fait-on oui ou non la retenue à la source. Il faut donner aux fonctionnaires et aux usagers un certain nombre de garanties et une lisibilité à long terme sur les réformes entreprises.

M. LECLERC -

Monsieur Peyrelevade, vous avez été serviteur de l'État, vous êtes chef d'entreprise. Quel est votre double regard sur la réforme de l'État.

M. PEYRELEVADE, président du Crédit lyonnais -

En premier lieu, il faut une volonté permanente de réforme et de changement, qui ne peut être incarnée que par les hommes et les femmes politiques...

Nicole Notat

« Le politique a, ici, un vrai rôle à jouer pour montrer pourquoi il faut réformer. Il faut que les usagers tirent un bénéfice de la réforme. Il faut que les fonctionnaires y trouvent de nouvelles motivations. Donnez-nous envie de réformer ! »

M. LECLERC -

Percevez-vous une telle volonté ?

M. PEYRELEVADE-

Pas encore. Il faut une volonté explicite, qui se traduise par un contrat de législature ou un contrat de Gouvernement.

Deuxièmement, on ne changera pas les structures de l'État sans demander aux citoyens, non pas de manière globale mais fonction par fonction, service par service, leur opinion, leur satisfaction et leur insatisfaction, comme nous le faisons dans l'entreprise avec nos clients. Cette consultation des citoyens doit être menée par un organisme placé sous la direction du législateur, lequel peut stimuler l'action réformatrice de l'exécutif.

En troisième lieu, je rappelle que les fonctionnaires représentent 25 % de la population active. On ne peut réformer une telle masse si l'État n'introduit pas en son sein, et non pas seulement dans ses relations avec les collectivités locales, des principes de contractualisation, de décentralisation, en commençant par ses propres hauts fonctionnaires.

M. KESSLER, président de la Fédération Française des Sociétés d'Assurance -

Pour l'analyse économique, l'État est un conglomérat en difficulté, sur la défensive, systématiquement en déficit, lourdement endetté, remplissant mal ses missions, aux performances généralement insatisfaisantes, en particulier pour ses clients ou usagers, et contesté par d'autres conglomérats. Il faut donc concevoir une nouvelle organisation collective pour le XXI ème siècle. C'est un projet formidable pour tous ceux qui croient sincèrement en l'État et qui désespèrent de voir se creuser le fossé entre ses performances et celles des entreprises de la société civile.

Je vais vous livrer les clés de cet énorme chantier de reengineering. Il faut commencer par le benchmarking : comment font les autres États ? C'est formidable, il n'y a pas de copyright, on peut y aller !

Deuxièmement, on passe au business core focusing : on le recentre sur ses missions essentielles et on abandonne celles qu'il n'assume pas bien et qui ne correspondent pas à ces missions. D'où l'étape suivante : le downsizing. Après on passe au capital allocating, on redéploie les ressources. Puis au streamlining...

M. LECLERC -

Que de mots anglais !

M.KESSLER-

C'est-à-dire qu'on clarifie les missions et les processus de décisions. Ensuite, on en vient au team spirit building, ce qui permet d'en finir avec les corporatismes qui n'ont plus lieu d'être et les deux cents et quelques corps de l'État qui croient avoir des fonctions sui generis. Tout cela conduit naturellement au customer relationship management : on s'intéresse aux clients, aux citoyens. Enfin, on en arrive au matrix implementing : l'État de demain sera matriciel et non pas pyramidal et stratifié, comme actuellement, en niveaux successifs.

Jean Peyrelevade

« On ne changera pas les structures de l'État sans demander aux citoyens, non pas de manière globale mais fonction par fonction, service par service, leur opinion, leur satisfaction et leur insatisfaction, comme nous le faisons dans l'entreprise avec nos clients »

M. LECLERC-

Pensez-vous qu'il est approprié de plaquer ainsi les modes de gestion des entreprises sur l'État ?

M.KESSLER-

Mais l'État n'est qu'une énorme entreprise qui, certes, a des missions régaliennes qu'il ne faut pas ignorer. Il peut néanmoins, pour la plupart de ses fonctions, s'inspirer de ce qui se fait dans les entreprises, lesquelles peuvent donner des leçons à l'État.

M. MIGAUD -

M. Kessler a le goût de la provocation. Mais je ne peux laisser ainsi réduire l'État à une entreprise. Certes, les notions d'efficacité, de contrôle et d'évaluation ne peuvent être étrangères à l'État. Je souhaite que les politiques s'y intéressent et nous y avons oeuvré, notamment avec M. Lambert, au Parlement, avec cette réforme que j'ai évoquée et que nous avons votée ensemble, madame Alliot-Marie. La volonté politique existe, le président Fabius, en son temps, et le président Poncelet ont invité les parlementaires à aller dans les entreprises. J'aimerais aussi que davantage de chefs d'entreprise viennent auprès des responsables politiques et des administrations. Il est vrai que notre pays a pris du retard mais beaucoup de progrès concrets se font, notamment au ministère de l'économie et des finances.

M. LECLERC -

Pouvez-vous citer des exemples ?

M. MIGAUD -

Il y a l'interlocuteur fiscal unique qui permet au citoyen contribuable de ne plus être renvoyé d'une administration à l'autre. Il y a aussi, grâce à la réforme de la loi organique, la diffusion de la notion d'efficacité et de l'esprit de responsabilité.

M. LECLERC -

Monsieur Hotte, vous remplacez Marc Blondel, excusé pour cause de mouvement social. Vous représentez un syndicat important dans la fonction publique.

M. HOTTE, représentant du secrétaire général de FO -

Oui, pendant que nous faisons de la théorie, M. Blondel fait des travaux pratiques. Il est confronté au problème d'effectif des enseignants, lesquels sont d'accord pour faire face à de nouvelles missions, à condition d'en avoir les moyens. La réforme de l'État est d'abord de la responsabilité des politiques, qui doivent trouver une méthode de dialogue avec la fonction publique et les organisations représentatives.

M. LECLERC -

Ce dialogue n'existe pas aujourd'hui ?

Nicole Notat

« Quand l'État s'enferme lui-même pour réformer sans associer les usagers, en discutant uniquement avec ses propres agents, il prend le risque de l'échec »

Mme NOTAT -

Il n'est pas adapté. Les décisions sont encore trop souvent prises de façon unilatérale. Ce n'est pas une bonne méthode. Il faut dire clairement aux fonctionnaires quelles missions leur sont confiées par l'État et quels moyens leur sont assignés. On ne peut demander aux fonctionnaires d'assumer certains objectifs sans aborder cette question des moyens.

M. LECLERC -

Bref, on peut attendre encore longtemps.

M. HOTTE -

Il faut se garder du dialogue de sourd et entrer dans une logique du donnant-donnant.

M. LECLERC -

Mais ne peut-on développer une vision collective de la réforme ?

Mme NOTAT -

Quand l'État s'enferme lui-même pour réformer sans associer les usagers, en discutant uniquement avec ses propres agents, il prend le risque de l'échec. Les premiers bénéficiaires de la réforme sont les usagers. Les fonctionnaires aussi peuvent en tirer partie, si les services publics sont plus performants. Mais ce débat est trop souvent escamoté. Ne rêvons pas ! Je ne crois pas au consensus mou. Il y aura des conflits mais des réformateurs se lèveront et des débats constructifs auront lieu, si les fonctionnaires ne se sentent pas seuls.

M. PEYRELEVADE -

Je suis complètement d'accord. Il y a là un problème de méthode. Il ne suffit pas de définir des objectifs à dix ou quinze ans mais il faut indiquer par quel chemin on y arrivera. Je ne vois pas comment on peut réformer l'État sans consulter les usagers et les agents qui sont directement concernés et je le dis au représentant de F.O : on ne peut réformer l'État de façon homogène, car il assume des fonctions différentes qui s'adressent à des populations différentes. Mais il y a un obstacle juridique.

Le dialogue social n'est pas constitutionnellement possible au sein de l'État, en raison du droit lui-même. La puissance publique enjoint aux entreprises de passer des accords mais ne peut elle-même engager une vraie politique contractuelle, faute de pouvoir compromettre. Il est impensable de mener une seule et unique négociation annuelle pour plus de cinq millions de fonctionnaires.

Il n'y a qu'en France qu'on puisse imaginer une chose pareille ! Il faudra bien que les syndicats de fonctionnaires acceptent une négociation décentralisée qui produira des résultats nécessairement variables d'une partie de l'État à l'autre.

M. HOTTE -

Nous touchons là le coeur du problème. Votre conception de l'État est à géométrie variable. Vous voulez faire éclater le statut de la fonction publique. Eh bien, dites-le !

Mme ALLIOT-MARIE -

Il est vrai que nous abordons là un problème essentiel.

Aujourd'hui, l'État manque totalement de souplesse dans ses missions, dans ses moyens et dans ses possibilités d'adaptation. Disons d'emblée qu'il est faux de prétendre que la fonction publique est monolithique mais l'État, figé, manque de souplesse, n'est pas assez réactif, il est complètement étouffé par un droit omniprésent. Au fondement de notre République, il y a cette règle que nul n'est censé ignorer la loi. Or, aujourd'hui, nul ne la connaît ! Pas même les avocats spécialisés, ni les magistrats qui doivent parfois eux-mêmes recourir à des experts juridiques... C'est une aberration !

Il faut donc redonner au dialogue social une place bien plus grande qu'aujourd'hui. Ce n'est pas à la loi de tout diriger. L'État doit certes jouer un rôle régulateur, mais il doit aussi s'adapter à la réalité du terrain. Nous en venons là au problème de la décentralisation. On ne peut plus tout traiter de la même façon depuis Paris ; il faut une nouvelle répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales.

Gérard Braun

« Il faut initier une gestion moderne des ressources humaines, qui passe sans doute par la rémunération au mérite, introduite en Allemagne, en Italie, en Nouvelle Zélande, aux États-Unis et dans les pays nordiques, quels que soient les régimes au pouvoir, de droite et de gauche »

M. CHANTARAUD-

Si l'on veut changer quoi que ce soit, il faut donner une raison de changer. Ne faut-il pas reconstruire une fierté du service public pour redonner aux fonctionnaires le sens de leurs missions et le goût d'y adhérer ?

M. BRAUN -

Chez beaucoup de nos voisins, les fonctionnaires démotivés ont été remobilisés autour de vrais projets, ce qui suppose une évolution du sacro-saint statut de la fonction publique. Il faut initier une gestion moderne des ressources humaines, qui passe sans doute par la rémunération au mérite, introduite en Allemagne, en Italie, en Nouvelle Zélande, aux États-Unis et dans les pays nordiques, quels que soient les régimes au pouvoir, de droite et de gauche.

Dans tous ces pays, on a créé des agences responsables, pour mener des politiques publiques, avec, à leur tête, des fonctionnaires, parfois mis en concurrence avec des responsables du secteur privé.

Michèle Alliot-Marie

« Au fondement de notre République, il y a cette règle que nul n'est censé ignorer la loi. Or, aujourd'hui, nul ne la connaît ! Pas même les avocats spécialisés, ni les magistrats qui doivent parfois eux-mêmes recourir à des experts juridiques... C'est une aberration ! »

Mme NOTAT -

Je hais ce concept de rémunération au mérite. Pourtant, je suis complètement favorable à la diversification de la rémunération des fonctionnaires. Si vous voulez faire évoluer le service public, surtout n'utilisez pas ce mot subjectif de rémunération au mérite...

M. LECLERC -

On peut parler de résultat ou d'efficacité ?

Mme NOTAT -

Oui, on peut distinguer en fonction du diplôme, de la qualification, etc.. À qui fera-t-on croire, d'ailleurs, que la grille de la fonction publique n'est pas contournée par les bonifications indiciaires liées à certaines fonctions et par les primes ? S'il faut réexaminer les rémunérations des fonctionnaires, il faut garder conscience de la nécessité de l'objectivité.

M. KESSLER -

Je m'inscris totalement en faux contre ce refus de la gestion des ressources humaines. Il y a belle lurette que, dans l'entreprise, on ne raisonne plus par rapport aux diplômes et à l'ancienneté. On prend en compte les compétences, les motivations, etc.. On ne peut pas ne pas réfléchir au recrutement du personnel de la fonction publique, à la mobilité entre les différents corps, à la rémunération et aux retraites, qu'il faudrait aligner sur le secteur privé.

Je suis d'ailleurs partisan d'une plus grande ouverture du secteur public au secteur privé. Il faut réformer le statut de la fonction publique. Comme toute grande réforme, ce sera difficile, complexe, sans doute conflictuel, mais il faut le faire. On ne peut plus continuer à gérer plus de cinq millions de personnes comme on le fait actuellement. C'est un chantier prioritaire.

M. PEYRELEVADE -

Je ne parlerai pas de salaire au mérite mais de reconnaissance de la performance, évaluée avec objectivité.

Je tiens à souligner que nous sommes en retard en France sur la réforme de l'État, qui intéresse tous les pays développés et, en particulier, tous nos partenaires européens.

L'introduction de la notion d'objectif dépendra de la définition précise des fonctions de l'État. À cet égard, il faut certainement se rapprocher de la conception des agences, partagée par la plupart de nos partenaires européens. Je rappelle qu'une agence n'est pas une entreprise nationale ni un établissement public mais un bras de l'administration centrale disposant de la liberté de gestion, en particulier de son propre budget. Cette liberté concerne aussi le mode collectif et individuel de rémunération.

Nicole Notat

« Je hais ce concept de rémunération au mérite »

M. LAMBERT -

Ne faisons pas de la France le musée mondial des tabous ! Nous ne devons pas nous interdire de parler de tous les sujets. Il importe de redonner de l'enthousiasme aux Français ! Ce pays est réformable, les citoyens ont administré une magnifique leçon, en adoptant l'euro comme ils l'ont fait, à tous ceux qui ont prétendu que la réforme n'était pas possible ! N'ayons pas peur de fixer des objectifs ambitieux ! De même que sous l'Ancien Régime, la réunion des États généraux donnait lieu à la rédaction de cahiers de doléances, ouvrons des cahiers de la réforme aux plaintes, aux suggestions, aux propositions de nos concitoyens.

Alain Lambert

« Ce pays est réformable, les citoyens ont administré une magnifique leçon, en adoptant l'euro comme ils l'ont fait, à tous ceux qui ont prétendu que la réforme n'était pas possible! N'ayons pas peur de fixer des objectifs ambitieux ! »

Je suis un enthousiaste, je crois en l'État. C'est parce qu'il est irremplaçable qu'il ne faut pas le laisser périr. Et ne nous laissons pas détourner de nos objectifs par le droit existant qui ne doit pas constituer un obstacle !

M. LECLERC -

La campagne électorale qui s'annonce, et qui tarde un peu, permettra-t-elle de traiter de tous les sujets, même tabous ?

Mme ALLIOT-MARIE -

Pour ma part, je me rends chaque semaine dans deux ou trois départements différents, à la rencontre des citoyens, et je ressens une profonde envie de changement. Il y a une formidable opportunité dont nous n'avons pas encore parlé : dans les dix ans qui viennent, 800.000 fonctionnaires vont quitter leurs postes et il y a là un profond levier de changement.

M. LECLERC -

Pour faire ces réformes, il faut de la confiance. Les citoyens ne sont-il pas devenus méfiants ?

Mme ALLIOT-MARIE -

Sans doute faut-il se garder d'annoncer les réformes de l'État que l'on ne peut mener à bien. Il nous revient aussi de savoir convaincre avec des projets concrets et précis. Ce qui me frappe, c'est que les fonctionnaires ont souvent envie de changer. Il m'est arrivé, face à un fonctionnaire inventif, lorsque j'étais secrétaire d'État à l'enseignement, de devoir lui conseiller la discrétion pour éviter une certaine obstruction...

Beaucoup de gens, dans la fonction publique, ont envie de faire plus, de s'affranchir de la pesanteur de certaines règles pour mieux remplir leurs objectifs. Car c'est finalement de la gestion par objectifs qu'il s'agit. Elle suppose de remotiver les fonctionnaires en mettant aussi à leur disposition tous les moyens matériels nécessaires et en les rémunérant convenablement.

M. LECLERC -

La remotivation : n'est-ce pas un bel objectif pour une campagne électorale ?

M. MIGAUD -

Pour moi, l'exemple que vient de citer Mme Alliot-Marie illustre la démission du politique face à la réalité. C'est cela qu'il nous faut combattre, pour réformer, avec l'adhésion des fonctionnaires. Trop souvent, les politiques ne jouent pas leur rôle. C'est aussi l'une des causes de l'inflation législative et réglementaire. La réforme de la loi organique relative aux lois de finances constitue, je l'ai dit, un outil pour plus d'efficacité et de responsabilité. Il nous faut maintenant, avec le président Lambert, veiller à son service après-vente...

M. LECLERC -

Tenez-vous le même discours sur le terrain ?

MM. MIGAUD -

Oui, les gens exigent plus d'efficacité, plus de transparence, pour un État présent, qui assume ses missions. Je ne pense pas pour autant qu'il faille aborder la réforme de l'État par la modification du statut de la fonction publique. La réforme à laquelle j'ai fait allusion, et qui me tient à coeur, donne plus de souplesse aux gestionnaires publics. Il est vrai que nous avons fixé une limite en matière de dépenses de personnel, qui sont plafonnées. La contrepartie de la souplesse de gestion, c'est la responsabilité.

M. LECLERC -

Mais votre parti est aux affaires depuis cinq ans et la réforme de Bercy n'a pas très bien marché...

M. MIGAUD -

Je regrette que les organisations syndicales et les élus locaux et nationaux n'y aient pas été suffisamment associés. Dans leur circonscription, les élus apprenaient des projets dont ils ne savaient rien...

M. LECLERC -

C'est un peu un mea culpa ?

M. MIGAUD-

Oui, en quelque sorte. Cela tient aussi au fait que, pendant longtemps, la culture du contrôle, plus présente au Sénat, a fait défaut à l'Assemblée nationale. Mais nous y venons. Nous prenons ce problème à bras le corps. Je le dis notamment aux représentants des syndicats : aidez-nous !

M. HOTTE -

Oui, mais à quoi ? (Rires)

La réforme doit s'appuyer sur un programme, y compris financier. Or, le programme pluriannuel des finances publiques engage la France à limiter la croissance de son budget à 1 % par an dans les trois ans qui viennent, alors même que la croissance économique sera vraisemblablement supérieure. Comment, dans ces conditions, réaliser la réforme, en prévoyant par exemple un intéressement ? À moins que vous ne vouliez faire des économies sur les 800.000 fonctionnaires qui partiront à la retraite ? Mais il faudra en discuter et examiner en particulier les missions qu'ils remplissent. Il faut savoir ce que vous voulez !

Thierry Bert

« Il faut éviter cette expression de rémunération au mérite sinon, je vous le dis en tant que fonctionnaire, on va vers des promotions politiciennes et cela ne marchera pas... »

M. BERT -

Puisque le président Lambert a évoqué la nécessité de lever les tabous, je vais en évoquer quelques-uns. Tout d'abord, l'amélioration du rapport qualité/prix. Il faut pouvoir étudier ce problème. Il n'est pas vrai qu'il n'y a pas, en la matière, d'économies à faire. Ensuite, se pose la question des redéploiements. Une des raisons pour lesquelles la réforme de Bercy a achoppé est qu'elle impliquait la disparition de 450 emplois dans une direction. Autre sujet quasi-tabou : la motivation. Il faut éviter cette expression de rémunération au mérite sinon, je vous le dis en tant que fonctionnaire, on va vers des promotions politiciennes et cela ne marchera pas...

M. KESSLER -

Mais ça marche très bien dans l'entreprise !

M. BERT -

Chez nous, on appelle ça la « promotion canapé » (Exclamations et rires)

M. KESSLER -

Je n'ai pas cette expérience... (Sourires)

M. BERT -

Il faut que l'évaluation soit objective.

M. KESSLER -

Évitons de caricaturer la façon dont sont gérées les entreprises privées. Il faut faire preuve d'imagination pour inventer une nouvelle fonction publique. Je ne dis pas qu'il faut appliquer nécessairement tout ce qui se fait dans les entreprises mais puis-je conter une anecdote ?

M. LECLERC -

Si elle est brève !

M. KESSLER -

Oui. Je faisais remarquer à M. Strauss-Kahn, alors Ministre de l'économie et des finances, que la liste des nominations et des promotions dans l'ordre de la Légion d'honneur comportait beaucoup plus de fonctionnaires que d'entrepreneurs et je lui suggérais d'accroître la proportion de ces derniers. « Pas du tout », me répliqua-t-il, « la Légion d'honneur, ce sont les stocks-options des fonctionnaires ! » (Rires) Soit, mais c'est un peu absurde ! On doit pouvoir moderniser la gestion du personnel, à son bénéfice et à celui de l'État.

Denis Kessler

Je faisais remarquer à M. Strauss-Kahn, alors Ministre de l'économie et des finances, que la liste des nominations et des promotions dans l'ordre de la Légion d'honneur comportait beaucoup plus de fonctionnaires que d'entrepreneurs et je lui suggérais d'accroître la proportion de ces derniers. « Pas du tout », me répliqua-t-il, « la Légion d'honneur, ce sont les stocks-options des fonctionnaires ! »

J'observe en premier lieu que si tous les participants à cette table ronde se mettaient au travail ensemble, la définition d'une procédure objective d'évaluation ne devrait pas prendre trop de temps. Je note ensuite l'importance de l'écoute et du dialogue qui supposent que l'on ne se trompe pas d'interlocuteur, ni de thème, ni de lieu, ni de calendrier, ni de méthode. Je retiens enfin la suggestion du président Lambert, qui me paraît féconde, d'ouvrir des cahiers de la réforme ou des cahiers de propositions.

M. LECLERC -

Merci pour cette première synthèse. La parole est à la salle.

Intervention d'un chef d'entreprise de Bordeaux, négociant en vins -

On n'a guère parlé de l'Europe qui, pourtant, ne peut être absente du débat sur la réforme de l'État. Des fonds européens non utilisés au profit des entreprises sont retournés à Bruxelles. L'État ne joue pas son rôle de facilitateur. Sans doute faut-il revoir les fonctions régaliennes de l'État au sein de l'Europe.

M. BRAUN -

Certes, il y aurait beaucoup à dire sur les réglementations européennes, mais l'objet de cette discussion est la réforme de l'État en France. Quand nous aurons réformé nos propres administrations, nous serons plus à l'aise pour discuter avec l'Europe.

Christian Poncelet

« J'observe tout d'abord qu'il est difficile de réformer l'État en France, car nous manquons, nous les élus et les autres, de l'essentiel, c'est-à-dire de courage »

Intervention du représentant d'Aventis-Pharma -

Nous avons accueilli M. le sénateur Gournac.

Nous sommes confrontés au problème de la continuité de la haute fonction publique : nos interlocuteurs au sein des cabinets ministériels, quels que soient leurs compétences et les Gouvernements, changent en moyenne tous les deux ou trois ans. Il serait utile d'avoir des interlocuteurs qui connaissent à fond les dossiers et qui soient plus permanents. Par ailleurs, l'évolution des sciences, dans les matières que nous traitons, comme la génomique, est tellement complexe qu'il est rare de trouver, dans l'administration, des experts qui connaissent tous les aspects de nos dossiers.

M. PEYRELEVADE-

La continuité de l'action administrative repose sur les directeurs d'administration et non sur les cabinets ministériels qui sont, par nature, instables et constituent d'ailleurs une invention française. Je propose une réforme radicale, pour responsabiliser les directeurs d'administration centrale : la suppression des cabinets ministériels sauf pour le Premier ministre, en raison de ses fonctions d'arbitrage...

Jean Peyrelevade

« Je propose une réforme radicale, pour responsabiliser les directeurs d'administration centrale : la suppression des cabinets ministériels sauf pour le Premier ministre, en raison de ses fonctions d'arbitrage... »

M. LECLERC -

Vous avez été membre du cabinet du Premier ministre !

M. BRAUN -

Cela a été fait en Belgique.

M. KESSLER -

Pour les matières scientifiques et complexes que traitent quotidiennement les entreprises, il n'est pas nécessaire que les interlocuteurs soient des fonctionnaires qui ne peuvent être si spécialisés. C'est ici aux agences de jouer leur rôle. Elles doivent d'ailleurs pouvoir faire appel non pas seulement à des fonctionnaires mais à des spécialistes issus du privé.

Intervention du représentant de la Société Nationale des Poudres et Explosifs -

Nous avons accompagné M. le sénateur Amoudry au cours du stage qu'il a effectué au sein de notre société.

M. Migaud a justement souligné qu'il y a des choses qui se font. Je pense en particulier à la réforme de la D.G.A., que j'ai suivie lors de mes précédentes fonctions. On a demandé à cette grande direction de se comporter comme une agence. Et cela a marché. L'entreprise à laquelle j'appartiens est aussi un exemple de réforme de l'État puisque de 1936 à 1970, elle était un service du ministère de la défense. Aujourd'hui, cette entreprise vous accompagne tous les jours sans que vous le sachiez puisque les trois-quarts des airbags des voitures européennes fonctionnent avec nos produits.

Par ailleurs, beaucoup de bonnes volontés sont disponibles au sein des administrations pour réfléchir sur leurs missions et faire progresser les réformes. Il ne faut pas les démobiliser en exagérant les obstacles. J'ajoute enfin que tous les citoyens n'attendent pas les mêmes choses de l'État, en tant que contribuables ou interlocuteurs de telle ou telle administration.

M. BERT -

Oui, la motivation est essentielle. La vraie motivation des fonctionnaires, c'est le service. Il faut aussi, bien sûr, prendre en compte les motivations financières à condition qu'elles reposent sur des évaluations objectives. Les fonctionnaires du fisc, notamment, exercent parfois des missions très difficiles. Il ne faudrait pas qu'ils soient sanctionnés par des responsables qui se comporteraient contre la loi.

M. LECLERC -

Je me tourne enfin vers les représentants des partis politiques : quelle serait la première réforme de l'État, très concrète, que vous souhaiteriez voir votre candidat appliquer dès son élection ?

Mme ALLIOT-MARIE -

Tout d'abord, ne pas annoncer une grande réforme que l'on ne mettrait pas en oeuvre, comme on l'a vu avec le ministère de l'économie et des finances ou le ministère de l'éducation nationale, précisément pour ne pas décourager la réforme. La première chose à faire serait, à mon sens, de réduire la place de la loi et la place du droit pour rendre de la souplesse à l'administration.

M. MIGAUD -

Je lui conseillerais de mettre en application le plus rapidement possible la loi que nous avons votée, outil indispensable mais non suffisant pour rendre possible la réforme de l'État.

M. LECLERC -

Monsieur le président du Sénat, vous avez choisi le thème de ce débat. Quelle est votre réaction ?

M. PONCELET, président du Sénat -

J'observe tout d'abord qu'il est difficile de réformer l'État en France, car nous manquons, nous les élus et les autres, de l'essentiel, c'est-à-dire du courage.

M. LECLERC -

Est-ce aussi le sens de l'initiative que vous avez prise d'envoyer des sénateurs en entreprise ?

M. PONCELET -

Oui, cette immersion des sénateurs en entreprise me paraît essentielle. Elle est née de la volonté de combler le fossé entre le monde économique et les politiques. De nombreux élus ne connaissaient peut-être pas suffisamment le monde de l'entreprise. J'ai tenu à ce que ces échanges soient réciproques. C'est pourquoi j'ai aussi invité des chefs d'entreprise à venir au Sénat, pour qu'ils se rendent compte des difficultés que rencontre le législateur dans l'exercice de ses missions. Nous sommes, en effet, confrontés à des contradictions, les nôtres, peut-être, mais aussi celles de nos compatriotes qui veulent souvent une chose le matin et son contraire le soir...

Il nous faut modifier l'esprit du législateur. Les sénateurs qui sont allés dans les entreprises se rendent mieux compte des contraintes et des exigences qui pèsent sur la vie économique. Celles-ci sont d'autant plus fortes aujourd'hui qu'elles s'exercent dans le contexte de la mondialisation. Les difficultés d'application de la loi sur les 35 heures sont à cet égard éloquentes. On avait raillé Michel Debré lorsqu'il inventa cette formule de la « guerre économique ». Nous y sommes aujourd'hui. Je souhaite que les sénateurs soient parfaitement informés des réalités du monde l'entreprise. Je suis en cela les leçons d'un lointain prédécesseur, Jules Ferry, qui voulait que le Sénat veille à ce que la loi soit bien faite. Elle le sera d'autant mieux que nous maîtriserons les matières sur lesquelles nous sommes amenés à légiférer. (Applaudissements)

Page mise à jour le

Partager cette page