Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise 2004



Palais du Luxembourg, 27 janvier 2004
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Christian PONCELET

Thème de la cinquième édition des Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise, l'euro a été au coeur des discussions du 27 janvier 2004 au Sénat. Autour d'un plateau réunissant d'éminentes personnalités françaises, européennes et d'outre-Atlantique du monde politique et économique, les débats ont été riches, denses et fructueux.

Les Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise sont chaque année l'occasion de traiter un sujet d'actualité qui intéresse autant les politiques que les chefs d'entreprises. Au lendemain de la journée des cinq cents créateurs d'entreprises dans l'hémicycle du Sénat de la République et à la veille de l'ouverture du Salon des Entrepreneurs, les Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise constituent un moment privilégié d'échanges, notamment entre les hommes et les femmes d'entreprise et l'ensemble de mes collègues sénateurs.

C'est d'ailleurs grâce aux sénateurs, de toutes tendances politiques confondues, qui acceptent de prendre chaque automne le chemin des entreprises, que ces rencontres connaissent un succès croissant et ont contribué à faire du Sénat, plus que jamais, « la maison des entrepreneurs ».

Christian PONCELET, Président du Sénat

Première table ronde, Euro fort ! L'euro-monnaie

Débats animés par Vincent Giret,

directeur adjoint de la rédaction de L'Expansion

Avec la participation de :

Philippe Marini,

sénateur de l'Oise, rapporteur général du budget au Sénat

Jean François-Poncet,

sénateur du Lot-et-Garonne, ancien ministre des affaires étrangères

Jean-Pierre Jouyet,

directeur du Trésor

Edi Karni,

professeur à la John Hopkins University de Baltimore

Xavier Fontanet,

président directeur général d'Essilor

Michel Pébereau,

président de BNP Paribas

Patrick de Cambourg,

président directeur général de Mazars

Christian de Boissieu,

président délégué du conseil d'analyse économique


· M. Vincent GIRET, directeur adjoint de la rédaction de L'Expansion

L'Expansion est heureuse de s'associer à ce débat, que le Sénat a été bien inspiré d'organiser sur ce sujet brûlant. L'année 2003 s'est achevée dans une ambiance de crise avec l'échec du sommet de Bruxelles ; l'année 2004 commence dans les tensions monétaires. Devant l'euro fort, chacun s'inquiète et semble y perdre son latin : on croyait qu'une monnaie forte était une bonne chose. Faut-il être inquiet ? La force de l'euro est-elle l'effet d'un déséquilibre interne ? Le problème vient-il du seul dollar ?

Monsieur Karni, vous avez travaillé sur la théorie de la monnaie et vous vous rangez du côté de ceux qui, à la différence de Robert Mundell, ont été très sceptiques sur les chances de l'union économique européenne et monétaire. La situation actuelle confirme-t-elle votre analyse ou la dément-elle ?


· M. Edi KARNI, professeur à la Johns Hopkins University de Baltimore

Les gens étaient sceptiques, au début, à cause de la situation de l'Europe : les professionnels ne jugeaient pas réunies les conditions d'un succès. On craignait que cela ne crée une situation peu satisfaisante du fait du manque de mobilité de la main d'oeuvre et de diverses rigidités structurelles.

L'Europe a souffert d'un choc asymétrique avec le dollar, à l'occasion duquel l'euro s'est comporté beaucoup mieux que ce que l'on pouvait attendre. Il est aujourd'hui considéré comme une monnaie de réserve, apte à concurrencer le dollar. L'instabilité du taux de change par rapport au dollar a été réduite à la baisse. C'est une bonne chose, qui aura des conséquences favorables au développement du commerce intérieur européen. L'appréciation par rapport au dollar va sans doute faire apparaître des tensions, révélatrices des faiblesses de l'euro. Tel est le risque auquel je suis sensible.


· M. Vincent GIRET

Le problème n'est-il pas, d'abord, la faiblesse du dollar ?


· M. Edi KARNI

C'est, en effet, plus un problème du dollar que de l'euro : les déficits budgétaire et commercial des États-Unis sont insoutenables à terme.


· M. Vincent GIRET

Quelle est l'appréciation d'un banquier, monsieur Pébereau ?


· M. Michel PÉBEREAU, président de BNP Paribas

Le bilan de l'euro est totalement positif. La création d'une nouvelle monnaie est un événement rare dans l'histoire du monde. Celle-ci est un succès complet. Une monnaie a trois grandes fonctions : elle doit être une unité de compte, un instrument d'échange, un instrument de réserve de valeurs. Aujourd'hui, il n'est pas un Européen qui ne considère que ces trois fonctions sont effectivement exercées par l'euro. Si tel n'était pas le cas, des monnaies parallèles circuleraient ; les gens auraient gardé leurs deutschemarks ; ou leurs francs.

La réussite de l'euro est également internationale. Une monnaie comme celle du grand espace commercial européen doit pouvoir être utilisée internationalement. On retrouve, à cette échelle, les trois fonctions que j'ai dites. L'euro est un bon instrument de mesure, en ce sens que les biens des Européens ne sont pas sous-évalués. Il est un bon instrument de réserve puisque 15 % des réserves mondiales sont désormais libellées en euro, contre 60 % en dollar. Enfin, l'euro commence à exister dans les transactions internationales. Quand nos clients empruntent sur les marchés internationaux des capitaux, dans plus de la moitié des cas, ils le font désormais en euros plutôt qu'en dollars.

Bref, l'euro est une bonne monnaie ; s'il ne l'était pas, les Européens ne l'utiliseraient pas comme ils le font. Aujourd'hui, nous sommes en compétition avec l'autre grande monnaie internationale qu'est le dollar. L'euro trouve de plus en plus sa place dans les échanges internationaux. La dépréciation du dollar, que l'on constate depuis dix-huit mois, est accompagnée d'un mouvement révélateur : le prix du pétrole s'accroît en dollar. Cela signifie que le dollar n'est plus considéré, par les pays producteurs de pétrole, comme une bonne unité de mesure. Peut-être ont-ils en tête la valeur du baril en euro...

L'euro pose sans doute beaucoup de problèmes mais il est un point sur lequel il n'en pose pas : comme monnaie, il a réussi.


· M. Patrick de CAMBOURG, président directeur général de Mazars

Une monnaie a aussi une dimension affective et, sur ce point également, je partage le sentiment de M. Pébereau. Nous avons parcouru un chemin important en peu de temps. Lancer une monnaie à cette échelle, c'est du jamais vu ! Quand on sait qu'il faut plusieurs années pour que des relations affectives s'instaurent, on ne peut pas dire que l'euro ne soit pas entré dans les moeurs.

Nous avons mené une enquête dans nos bureaux de cinq grands pays européens. Elle a fait apparaître que les situations individuelles variaient beaucoup en fonction de l'exposition hors zone euro. Un groupe de luxe, qui produit en Europe et vend dans le monde entier, y voit un sujet délicat. Dans de telles entreprises, on communique sur le thème : « Ah, si les changes étaient restés comme avant ! ». Inversement, des entreprises qui travaillent vers l'Europe regardent la situation d'un oeil favorable.

Cependant, quelle que soit la situation individuelle, tout le monde juge que l'on est dans une zone à problèmes, requérant que les politiques fassent quelque chose. Mais, de manière générale, ce sont d'autres obstacles aux affaires qui sont dénoncés, de nature structurelle ou juridique, ou tenant à l'organisation du marché du travail. Au plan macro-économique, on mentionne souvent le pacte de stabilité, avec la contrainte sur les budgets et sur l'inflation.

M. Vincent GIRET

L'euro est une création politique. Qu'en pense l'homme politique qu'est M. Marini ?


· M. Philippe MARINI, sénateur de l'Oise, rapporteur général du budget au Sénat

La situation n'est pas satisfaisante. Il y a, certes, une réussite technique mais beaucoup de choses fondamentales laissent encore à désirer. Le fait de doter la zone euro de sa monnaie sans qu'existe le moindre Gouvernement économique à cette échelle crée un déséquilibre fondamental qui se paiera en termes de confiance.

Peut-être nous sommes-nous dotés d'un anesthésique trop puissant. Chacun a fait des efforts pour se conformer aux critères édictés pour l'euro ; puis, une fois la machine en fonctionnement, s'est mise en place une panoplie très efficace permettant à des États de laisser se développer une inflation élevée sans en payer le prix. Certains, comme l'Allemagne et la France, ont profité des avantages de l'euro pour différer des réformes structurelles nécessaires.

L'euro est une merveilleuse machine - incomplète. C'est ce qu'exprime la mise entre parenthèses du pacte de stabilité. Il faudra donc en sortir avec des règles du jeu économique et politique supplémentaires.

La zone euro a-t-elle ses frontières définitives ? A-t-elle vocation à s'élargir ? À qui et comment ? Tant que l'on n'aura pas de réponse, il y aura des comportements erratiques sur le marché des changes. Ce qui arrive à l'euro et au dollar est très difficile à interpréter.

Peut-être l'élément de la confiance doit-il être pris en compte.


· M. Jean-Pierre JOUYET, directeur du Trésor

Ce que l'on a vécu est une aventure unique dans l'histoire mondiale. L'union économique et monétaire a été pensée il y a dix ans ; la monnaie unique a été mise en place il y a cinq ans et elle est dans les poches des citoyens depuis deux ans. Je ne partage pas la nostalgie de M. Marini pour les années 70. Le système actuel, malgré ses imperfections, est bien mieux organisé que ce que l'on avait à l'époque. L'euro est un levier essentiel de stabilité. J'étais hier à Bruxelles et nous évoquions les progrès faits à l'intérieur de l'Europe par rapport aux années 1990-1992, avec les crises monétaires qu'il y avait alors. Aujourd'hui, nous sommes en mesure d'absorber des chocs internationaux très violents.

S'agissant de l'organisation de la politique économique, M. Marini a raison. Il est vrai que nous devrions avoir une coopération renforcée pour faire face aux défis que rencontre l'Europe d'aujourd'hui. Il convient donc d'accélérer le rythme des réformes et de penser à approfondir les mécanismes d'organisation de la politique conjoncturelle. Le pacte de stabilité doit être complété ; j'attends les propositions de la Commission.


· M. Vincent GIRET

Complété ou récrit ?


· M. Jean-Pierre JOUYET

Mieux vaut compléter que récrire. Une expérience est acquise, il faut sans doute l'enrichir, mais vouloir tout récrire nous engagerait dans une oeuvre de trop longue haleine.


· M. Christian de BOISSIEU, président délégué du conseil d'analyse économique

Je salue ce qui s'est passé en si peu de temps ! Le temps des transformations monétaires est forcément long. L'euro ne remplacera pas le dollar du jour au lendemain mais il peut l'épauler. Souvenons-nous qu'il a fallu une quinzaine d'années au dollar pour remplacer la livre sterling.

À terme, le débat le plus important concerne la place de l'Europe. L'euro est un facteur de rééquilibrage mais la monnaie ne doit pas être considérée comme une fin en soi, ce n'est qu'un moyen. Je pense que nous sommes dans une phase de réajustement des taux de change qui est loin d'être terminée. Le dollar continuera à baisser. La reprise américaine va encore accroître le déficit extérieur des États-Unis, et ce n'est pas en année électorale que l'on engage des réformes de fond. Comme, en outre, la croissance devrait être de 4 % aux États-Unis contre tout au plus 2 % dans la zone euro, la baisse du dollar va s'en trouver accélérée.

Les entreprises françaises se plaignent : on les entendait moins quand l'euro était à 0,83 dollar !


· M. Philippe MARINI

On risque une croissance zéro !


· M. Christian de BOISSIEU

Ce n'est pas ce que je souhaite. Revenir à Bretton-Woods, je ne suis pas contre mais de quel prix devrait-on le payer ?

Le problème, par rapport au taux de change, c'est que nous prenons tout dans la figure. La banque du Japon est intervenue massivement pour freiner la hausse du yen : on se refile le mistigri ! Le problème se pose à l'échelle du G 7, et aussi dans les relations avec la Chine.

On a fait le choix - que je respecte - de commencer par l'union monétaire, avec l'idée que le Gouvernement économique et politique suivrait. C'est possible pendant un certain temps mais cela ne peut durer. Je ne comprends pas pourquoi on a si peu avancé sur le pacte de stabilité. En novembre 2002, la Commission a fait des propositions consensuelles, comme d'inciter les Gouvernements à combler leur déficit quand la croissance est là. On était d'accord aussi pour regarder la dette publique autant que le déficit public. L'histoire de l'euro a amené à sous-évaluer le ratio de la dette publique : on voulait, à juste titre, avoir l'Italie et la Belgique dans la zone euro si bien qu'en 1998 on les a acceptées alors que le ratio de leur dette publique atteignait les 125 %.

Si l'euro monte, ce n'est pas parce que l'Europe va bien mais à cause du déficit américain. Il faut donc se mettre rapidement d'accord sur le projet de constitution de M. Giscard d'Estaing, même s'il est faiblard en ce qui concerne la gouvernance économique.


· M. Jean FRANÇOIS-PONCET, sénateur du Lot-et-Garonne, ancien ministre des affaires étrangères

Que se passerait-il en Europe sans l'euro ? La réponse est très simple : ce serait le chaos monétaire pour les quatre cinquièmes de nos échanges. Le mark se réévaluerait, l'Italie et la Grèce feraient des dévaluations catastrophiques.

Le taux de 1,24 est sans doute trop élevé mais nous avons introduit l'euro à 1,17, On n'en est pas si éloigné. On est très proche de l'équilibre d'il y a deux ans.

Est-ce que cela va continuer ainsi ? Comme M. de Boissieu, je pense que la situation peut encore s'aggraver parce que le problème est surtout celui de la faiblesse du dollar. À quoi cela correspond-il ? Probablement au sentiment confus que les Américains assument des responsabilités politiques et militaires qui dépassent les bases économiques de leur pays, si prospères soient-elles. Les États-Unis sont un géant dont on commence à se demander s'il n'a pas des pieds d'argile.

Il est évident que l'euro est hémiplégique. Il a besoin d'une politique d'accompagnement, il y va du crédit politique de l'Europe. Aussi longtemps que nous n'aurons pas donné le sentiment que l'Europe à vingt-cinq est gouvernable, notre fragilité équilibrera celle des États-Unis.

C'est pourquoi il faut accepter la constitution de M. Giscard d'Estaing. Si l'Europe est gouvernable, elle fera, tôt ou tard, une politique monétaire.


· M. Michel PÉBEREAU

Actuellement, les États-Unis ont un grave problème économique : leur déséquilibre. Ce pays consomme structurellement plus qu'il ne produit, ce qui le contraint à s'endetter. Ce déficit structurel atteint 4 à 5 % de leur PIB. Il faut donc que le reste du monde finance leur déficit. C'est une des causes de la faiblesse permanente du dollar. D'autre part, leur économie est très prospère et a de bonnes perspectives ; cela incite le reste du monde à y investir plus que nécessaire.

Les Européens ont un énorme problème : nous ne produisons plus assez, nous n'avons pas de capacité de développement propre. Le dynamisme des entreprises européennes n'est pas en cause : il est très grand. Mais la rigidité des structures en place bride la croissance économique. L'Europe souffre de ce mal, qu'il lui appartient de corriger.

Une fois que chacun se sera attaqué à son problème, on pourra parler sérieusement de coordination des politiques. Si l'on veut stabiliser les taux de change entre le dollar et l'euro, il faut qu'Américains et Européens se mettent d'accord sur ce qui est raisonnable. On en est loin ! On ne peut pas fixer administrativement un taux de change mais on peut se mettre d'accord sur ce que l'on juge raisonnable et appliquer des politiques qui y correspondent.

À l'évidence, l'Europe manque de coordination économique. Quand les hommes politiques ont décidé de créer l'Europe, ils ont demandé aux entrepreneurs de s'adapter. Cette fois, c'est à eux de s'adapter.


· M. Xavier FONTANET, président directeur général d'Essilor

Je ne puis que donner mon sentiment d'homme de terrain ! Avec 25 000 salariés, Essilor est une grande entreprise mais pas un géant. Il y a vingt-cinq ans, nous ne comptions que 1 500 personnes. Vous voyez la croissance ! Depuis quinze ans, 80 % de nos investissements vont hors d'Europe. Si je suis un Européen et un Français convaincus, ma tâche est avant tout de faire tourner mon entreprise, sans oublier que je suis davantage présent aux États-Unis qu'en Europe. Pour une entreprise comme la mienne, le problème des monnaies est dépassé depuis longtemps.

Un verre de lunettes est comparable à un costume en ce que le composant se fait à l'échelle mondiale et la finition à celle des particuliers. Il y a cinq milliards de combinaisons possibles ! Pour les composants du verre, nous sommes, depuis dix ans, relocalisés un peu partout dans le monde. Pour 70 %, cette production se fait en Asie. C'est là que vont nos budgets d'investissement, et tout cela est en dollar. En revanche, pour la partie locale, nous avons 150 petites usines dans le monde, dont 50 en Europe.

On ne dit pas assez que l'euro va amener d'importants déplacements de populations à l'intérieur de l'Europe : entre la France ou l'Allemagne et le Portugal, l'écart des coûts de production atteint 60 % ! Je voyage énormément. J'ai ouvert l'année aux États-Unis, puis je suis allé au Japon, à Singapour, en Australie. J'ai déjà effectué 50 000 kilomètres depuis le début de l'année. Je vois bien les problèmes que nous crée la législation du travail. Nous avons enfilé des couches de coûts faramineux ! Des sénateurs sont venus dans nos usines chinoises - ainsi que dans celles de nos concurrents -, ils ont pu voir ce qu'il en était là-bas de la législation du travail. À mon sens, les problèmes sont aussi, pour beaucoup, liés aux mentalités.


· M. Philippe MARINI

La constitution issue de la Convention n'est pas bonne parce qu'elle est égalitaire à vingt-cinq alors que nous avons des zones très différentes : la zone euro d'une part, le Royaume-Uni et les autres pays avancés hors zone euro d'autre part et, enfin, les nouveaux entrants. La zone euro doit être dotée de ses institutions propres à l'intérieur de l'ensemble européen. Sinon, on n'aboutira à rien. C'est un vrai problème diplomatique et stratégique.

Avec un dollar à 1,10, nous avons bouclé une loi de finances faisant apparaître une croissance de 1,7 %. Avec un dollar à 1,30, notre croissance n'est plus que de 1,3 %. Dans le premier cas, le déficit de la France atteignait 3,6 % ; dans le second, il dépasse les 4 %. L'évolution des parités monétaires fait que nous avons moins de marges de manoeuvre. Et, avec moins de marges de manoeuvre, on peut faire moins de réformes.

Plus les entreprises se sont mondialisées, plus elles ont échappé aux contraintes des frontières et des ordres juridiques nationaux. Mais nous, États, sommes les pieds dans la glèbe. Les hommes politiques ont des électeurs. On peut harmoniser davantage les marchés financiers, c'est clair. On peut instaurer un régulateur européen, c'est clair et relativement facile. Mais pour une gouvernance proprement dite, il faut garder à l'esprit qu'il y a, en Europe, des situations différentes.

On ne peut vivre dans la fiction d'une Europe à vingt-cinq, laïque et égalitaire ! Tant qu'on ne mettra pas, face à la BCE, une autorité politique de la zone euro, la BCE ne pourra réagir aux circonstances mondiales qu'à petits pas, et ceux-ci risquent fort d'être toujours insuffisants. Cela risque de se payer très cher en termes d'emplois et d'acceptabilité des réformes.


· M. Jean-Pierre JOUYET

Je tiens pour fondamentale la question de savoir s'il faut privilégier un modèle universaliste européen ou plutôt des intégrations différenciées. Sur le plan économique, il est essentiel de programmer des intégrations de marchés financiers. Cela implique de se mettre d'accord sur des orientations économiques communes, à propos desquelles la souveraineté sera partagée. L'organisation viendra par la suite.

La faiblesse du dollar n'est pas seulement par rapport à l'euro ; elle est manifeste aussi par rapport aux autres devises. Le Canada, par exemple, s'en préoccupe lui aussi beaucoup. Nous avons eu des rencontres suivies, dans le cadre du G 7, pour étudier des moyens d'intervention.


· M. Vincent GIRET

Faut-il corriger le mandat de la BCE pour le rapprocher de celui de la Fed. ?


· M. Edi KARNI

J'approuve ce qui vient d'être dit. Il aurait effectivement fallu envisager une organisation politique, et pas seulement économique. Je suis d'accord aussi pour considérer la mise en place de l'euro comme un événement considérable. A-t-il, pour autant, connu une épreuve de force ? Oui : actuellement. Le mandat de la BCE ne lui permet pas de fixer d'autres cibles que l'inflation. Elle ne peut donc pas faire grand chose de plus qu'actuellement. Le mandat de la Fed. lui donne aussi d'autres cibles : le chômage et la conjoncture. On pourrait envisager un élargissement en ce sens du mandat de la BCE.

L'euro a été lancé pour des raisons plus politiques qu'économiques. Il est vrai que le lancement d'une monnaie doit être sous-tendu par une unification des politiques budgétaires et économiques. La coordination budgétaire doit donc être renforcée. Le pacte de stabilité ne laisse qu'une marge très étroite. Le moment est venu de voir les problèmes qui se présentent à l'horizon, précisément parce que l'euro est en position de force.


· M. Christian de BOISSIEU

Je vous entends bien, sur le mandat. Mais n'oubliez pas que la BCE est une banque jeune : la Fed. a été créée en 1913. Toutefois, le débat central me semble moins celui du mandat que celui de la transparence et de la responsabilité de la BCE. Nous sommes dans un scénario d'Europe à plusieurs vitesses et cela pose d'autres problèmes de gouvernance. La zone euro n'est pas identique à la zone Schengen. Le débat est politique, institutionnel et constitutionnel. On vit sous le régime de l'unanimité pour les dossiers qui fâchent. À vingt-cinq, la probabilité que survienne un désaccord sera encore plus forte qu'à quinze. Ajouter unanimité et élargissement, c'est faire un mélange explosif.

On donne l'impression d'avancer, sur la fiscalité de l'épargne par exemple, mais on trompe ainsi l'opinion publique : en fait, on n'avance pas vraiment.


· Mme FLOUZAT, ancien membre du conseil de la politique monétaire

Je souhaite que les gouvernants fassent preuve de vertu au sens romain du terme. De fait, la situation actuelle est anesthésiante : on a pu, impunément, ne pas diminuer les déficits en période de croissance, on a lancé des réformes de structures qui allaient dans un sens contraire à l'harmonisation sociale européenne - je pense aux 35 heures - sans subir les attaques contre la monnaie que l'on aurait subies avant qu'existe l'euro.

L'Asie se défend. Pensez que les Japonais ont dépensé 185 milliards de dollars pour acheter des titres en dollars afin de limiter la hausse du yen. Ils sont aujourd'hui à 106 yens pour un dollar ; il y a un an, c'était 112 mais, en 1995, c'était 79 ! Voilà leur terreur : ils veulent éviter un nouveau endaka. Nous devons promouvoir une zone asiatique qui ne soit plus une zone de dollar asiatique. En ce moment, chacun se tient par la barbichette : les Asiatiques financent le déficit des États-Unis, ce que ceux-ci les contraignent de faire au nom de leurs exportations.

Pour réussir une action sur les changes, il faut « des paroles, des paroles, des paroles », une action sur les taux d'intérêt, et que tout le monde agisse dans le même sens. Ce n'est pas demain que les États-Unis vont entrer dans ce consensus. La BCE serait donc amenée à intervenir sur le marché des changes. Ailleurs qu'en Europe, c'est le ministre des finances qui prend une telle décision, pas la banque centrale. Au Japon, la banque centrale a été contrainte par le ministre des finances. Chez nous, le ministre des finances, c'est l'Ecofin.

Si l'on veut que nos interventions soient valables, elles doivent être massives. Une fois encore, les Japonais ont dépensé 185 milliards de dollars pour un résultat somme toute assez petit.


· M. Jean FRANÇOIS-PONCET

Je reviens sur les institutions politiques. De fait, nous avons toujours eu une Europe à plusieurs vitesses. Il y a Schengen, l'euro, la politique de défense.

Mais si l'Europe peut vivre dans de tels sous-ensembles, c'est qu'elle a une superstructure solide. Avec les institutions héritées des Six, l'Europe des Vingt-cinq est paralysée. Il faut donc une constitution. Si celle-ci n'aboutit pas, nous entrerons dans une situation très confuse, dans laquelle toute perspective de gouvernance économique solide serait illusoire.

Comme le commencement ! M. Giscard d'Estaing est allé aussi loin qu'il était possible, appliquons son texte. Cela dit, je sais bien qu'on ne fera pas une défense européenne avec une Autriche qui reste neutraliste, non plus qu'une gouvernance économique avec la Pologne ou Malte.


· M. Jean-Pierre JOUYET

Le dialogue avec les Asiatiques existe. On évolue vers une zone monétaire asiatique plus autonome.

Le Traité est clair : il incombe au ministre de l'économie et des finances de fixer les orientations générales pour la politique des changes et à la BCE de la mettre en oeuvre. Le dialogue s'est noué dans l'eurogroupe. Les ministres des finances européens ont adressé un message de préoccupation. Les ministres et le président de la BCE doivent dialoguer.


· M. Michel PÉBEREAU

Ce qu'a dit M. François-Poncet est fondamental. On est parvenu à un consensus grâce à M. Giscard d'Estaing. Il faut que le système puisse poursuivre sa route. Si l'on ne parvenait pas à un accord avant la fin de l'année, les acteurs économiques en tireraient la conclusion que l'Europe ne veut pas s'approfondir.

Faire une Europe à vingt-cinq sans approfondissement est une erreur. Quand on est passé de six à neuf, on a lancé l'union économique et monétaire. Quand on est passé à douze, il y a eu le grand marché européen. Quand on est passé à quinze, ce fut le traité de Maastricht. Ne rien faire quand on passe à vingt-cinq, c'est risquer de détruire l'Europe.


· M. Xavier FONTANET

Les entreprises ont des marges de manoeuvre à cause de la concurrence. Je combats l'idée qu'on pourrait plus facilement mener les réformes à certains moments qu'à d'autres. La seule question que je me pose est de savoir où je dois mettre l'argent d'Essilor.

Je rentre d'Asie par un vol d'Air France qui, pour cette fois, est arrivé à l'heure. Il est quatre heures du matin, nous avons tous hâte de sortir de l'avion. Nous devons attendre la passerelle un quart d'heure. Après quoi, nous devons attendre les douaniers un nouveau quart d'heure.

Ensuite, ce sont les bagages qu'il faut attendre, durant vingt minutes. Nous avons besoin d'argent liquide mais les distributeurs automatiques de billets sont presque tous en panne ; nous en trouvons un qui fonctionne et devons donc faire la queue pendant une demi-heure.

Enfin libérés de Roissy, il nous faut prendre le taxi, que nous attendons encore une bonne vingtaine de minutes. Au total, deux heures entre l'arrivée de l'avion et le moment où nous pouvons être opérationnels à notre bureau. Quand je suis allé à Singapour, j'ai pu donner rendez-vous à des Japonais, dans mon hôtel, une demi-heure après l'arrivée de l'avion. Tout cela, c'est une question de mentalités ! Il est urgent de se pencher sur des sujets qui semblent aussi simples et qui sont pourtant très importants.


· M. Michel PÉBEREAU

Si les distributeurs automatiques de billets ne fonctionnent pas dans certains lieux publics, ce n'est pas à cause des banques. C'est parce que le Parlement a voté de façon précipitée une loi censée protéger les transporteurs de fonds.


· M. Philippe MARINI

Ne versons pas trop dans le corporatisme !


· M. Michel PÉBEREAU

La surréglementation est un facteur d'inefficacité économique permanente. (Applaudissements)


· M. Philippe MARINI

Il est facile de susciter ainsi les applaudissements ! Les chefs d'entreprise ne cessent pas de dire que les textes sont mauvais ; si l'on en veut de meilleurs, il faut en faire d'autres.


· M. Michel PÉBEREAU

Faites en moins !


· M. Philippe MARINI

Ce genre de propos est trop facile à tenir ! Je n'ai jamais défendu les mauvaises habitudes des administrations et du secteur public. Le Sénat a toujours manifesté son exigence d'aller dans le sens d'une plus grande réactivité, d'une meilleure flexibilité, propres à améliorer notre attractivité pour les entreprises.

Oui, j'affirme que l'on donne trop de pouvoirs aux organisations syndicales ! Il faut améliorer le dialogue social en le décentralisant. C'est un grand enjeu. Quand on fera ce que préconise le rapport Virville, cela exigera beaucoup de textes !

L'euro est-il viable à long terme sans la Grande-Bretagne ? Un dollar baissier, est-ce que cela ne suppose pas plus de lucidité par rapport à la politique américaine ? Cela témoigne d'une Amérique qui évolue et se transforme, dont la responsabilité mondiale fait problème et débat. Le sujet des rapports entre l'euro et le dollar ne va-t-il pas évoluer fondamentalement à la suite de la politique américaine ? C'est un des enjeux de l'élection de novembre prochain.


· M. Christian de BOISSIEU

La monnaie de l'Asie, aujourd'hui, c'est le dollar et cela le restera dans les dix ou quinze ans à venir. La situation monétaire mondiale n'est pas celle d'une triade, mais bien celle d'un duopole asymétrique, de l'euro et du dollar.

Une intervention massive de la BCE me paraît prématurée : ce serait gaspiller des marges de manoeuvres. La BCE est intervenue à l'automne 2000, quand l'euro était trop bas. La Fed., alors, était bien contente de se joindre à nous. Mais, en année électorale, on ne peut guère attendre d'intervention américaine.

Tout déficit est financé ex post, de même que toute épargne est toujours placée. S'agissant du déficit américain, la question est de savoir par qui et à quel prix. Il va y avoir, dans quelques jours, une réunion du G 7. Je considère que la Chine doit absolument être introduite dans ce débat. Les Chinois ne décrocheront pas du dollar pour nous faire plaisir. Ils le feront contre quelque chose, qui ne peut être que d'ordre géopolitique. Il est normal que la Russie ait rejoint le G 7 mais que la Chine, l'Inde ou le Brésil ne l'aient pas fait est pour le moins surprenant. Il est temps de passer du G 8 à autre chose.


· M. Jean-Pierre JOUYET

Il existe un organisme, le G 20, et il dialogue avec le G 7. Les grands pays émergents ont été associés au sommet d'Evian. Les Chinois ne sont jamais absents de nos pensées ni de nos contacts.

L'euro a-t-il subi un test ? Il y en a eu un, à l'automne 2000, et l'on a réagit alors sur la solidité de l'euro -quoique dans un sens différent de celui d'aujourd'hui. L'histoire monétaire est faite de ces hauts et de ces bas, à la recherche d'une certaine stabilité.


· M. Edi KARNI

L'économie américaine n'est pas aussi tributaire des échanges internationaux que l'est l'économie européenne. Il n'y a donc pas de pressions aux États-Unis pour inciter la Fed. à agir par rapport à la BCE. Cette remarque n'est pas celle d'un responsable politique, elle est purement spéculative !


· M. Jean FRANÇOIS-PONCET

J'ai entendu, tout à l'heure, un appel à la vertu. Les États peuvent-ils devenir vertueux ? Nous le souhaitons tous, mais en quoi cela consiste-t-il ? À mon sens, nous avons absolument besoin d'un pacte de stabilité, parce que c'est une contrainte et que la vertu est aidée par la contrainte. On est vertueux quand on reçoit des coups de bâton. Les critiques adressées à la France et à l'Allemagne les ont incitées à davantage de vertu.


· M. LAMBERT, vice-président de l'ordre des experts-comptables

La présence de la livre dans l'euro est-elle indispensable ? Renforcerait-elle l'euro ou bien l'affaiblirait-elle ?


· M. Christian de BOISSIEU

Nous avons, à terme, besoin de la livre, laquelle n'a pas besoin de nous. M. Blair est de moins en moins clair sur le calendrier. Le Gouvernement britannique a ajouté ses propres conditions au traité de Maastricht, concernant en particulier la convergence des cycles. La zone euro a tout intérêt à la présence britannique, à cause, en particulier, de la place de Londres. Le jour où les Britanniques seront dans la zone euro, les partenariats seront facilités entre la place de Londres et celles de l'Europe continentale. Telle est ma préférence. Ma prévision, elle, serait que le Royaume-Uni ne rejoindra pas l'euro quand il monte ! J'ai le sentiment que des pays comme la Tchéquie, la Hongrie ou la Pologne pourraient entrer dans la zone euro vers 2009 ou 2010, avant le Royaume-Uni.


· M. Michel PÉBEREAU

La question de la livre n'est pas centrale. L'important est que les pays qui ont pour monnaie l'euro puissent avoir une politique économique homogène. Il serait mieux que le Royaume-Uni en fasse partie, dès lors qu'on a jugé bon qu'il appartienne à l'Union européenne.

Mais si le Royaume-Uni n'est pas dans la zone euro, ce ne sera pas grave. Les places financières de Paris ou de Francfort n'ont pas besoin du Royaume-Uni. Nous sommes d'ailleurs présents à Londres. Si les Britanniques entrent, c'est très bien ; s'ils n'entrent pas, c'est très bien. Ce qui compte, c'est que l'eurogroupe fonctionne.


· M. Patrick de CAMBOURG

J'ai le même sentiment. Ce qui manque à l'euro, c'est un peu de souveraineté et d'efficacité. Il ne faudrait pas qu'en négociant l'entrée de la livre dans l'euro, on réduise la souveraineté de la zone euro. Nous devons nous réformer d'abord. J'observe d'ailleurs qu'au Royaume-Uni, le débat sur l'entrée dans la zone euro est aujourd'hui en sourdine. C'est la preuve que nous avons un pas supplémentaire à faire.


· M. Vincent GIRET

Merci à vous tous !

La séance est suspendue à 11 heures.

Deuxième table ronde, Europe forte ? L'euro-politique

Débats animés par Jean-Pierre Elkabbach

président de Public Sénat

Avec la participation de :

Romano Prodi,

président de la Commission européenne

Francis Mer,

ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

Grant Aldonas,

sous-secrétaire américain au commerce international

Jean Arthuis,

sénateur de la Mayenne, président de la commission des Finances du Sénat, ancien ministre de l'économie et des finances

Dominique Strauss-Kahn,

député du Val-d'Oise, ancien ministre de l'économie et des finances

Nicolas Dupont-Aignan,

député de l'Essonne

Yves-Thibault de Silguy,

délégué général de Suez, ancien commissaire européen

Philippe Camus,

président exécutif d'EADS


· M. Jean-Pierre ELKABBACH,
président de Public Sénat :

Bravo et merci au Président de la République de Chine, si la qualité de l'accueil se mesure à l'importance des embouteillages ! Mais sans doute y a-t-il d'autres critères d'appréciations ?

Public Sénat a de la chance : nous diffusons aujourd'hui deux débats en direct à l'occasion des Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise, voulues par le Président Poncelet. Le citoyen ne comprend plus : quand l'euro est faible, la cohorte des pleureuses s'angoisse et se plaint ; quand l'euro est fort, la même cohorte s'angoisse et se plaint.

Monsieur le président de la Commission européenne, êtes-vous satisfait ? Qu'est-ce qui manque pour que les citoyens adhèrent à l'Europe avec confiance ?


· M. Romano PRODI, président de la Commission européenne

Quand l'euro était bas, c'était une tragédie. Je disais alors : vous pleurerez quand il sera haut ! L'euro se comporte comme toutes les grandes monnaies du monde : il monte ou descend. Aujourd'hui, il est haut, ce qui pose quelques problèmes pour notre croissance - pas des problèmes très graves. Il est fort parce que les fondamentaux de l'économie européenne sont bons ; nous n'avons pas le déficit commercial des États-Unis, notre inflation est faible, il n'est donc pas surprenant que notre monnaie soit forte.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Pourquoi la différence entre le dollar et l'euro apparaît-elle comme un obstacle à la croissance de l'Europe ?


· M. Dominique STRAUSS-KAHN, député du Val-d'Oise, ancien ministre de l'économie et des finances

Ce qui n'est pas bon, c'est que l'euro subisse son taux de change. Les Américains considèrent le dollar comme un instrument : quand il y a risque de surchauffe, le dollar monte ; quand il y a dépression, il baisse. Ils utilisent le taux de change.

Nous, Européens, avons là-dessus une faiblesse intellectuelle et politique. Nous n'agissons pas, faute de croire pouvoir agir, et aussi parce que nous manquons des instruments politiques nécessaires. La force de l'euro n'est donc pas une chose que nous avons décidée.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Nous sommes impressionnés par la croissance américaine, même si son taux de 4 % est inférieur de moitié à celui que connaissent la Chine et l'Inde. Nous sommes solidaires des États-Unis depuis les attentats. Nous sommes éblouis par leur dynamisme. Cependant, les Américains vivent sur le dos des Asiatiques et des Européens, qui financent leur déficit. Celui-ci atteint 500 milliards de dollars ! Nous nous sentons victimes de la stratégie américaine.


· M. Grant ALDONAS, sous-secrétaire américain au commerce international

Ce n'est pas une stratégie politique ! Seuls le Président et le secrétaire d'État au Trésor peuvent parler sur le taux de change du dollar. Lors du récent discours sur l'état de l'Union, le Président a évoqué ce problème, ainsi que l'excessive faiblesse du taux d'épargne des Américains. Nous devons coopérer davantage, afin d'instaurer un dialogue sur la situation macro-économique de nos pays.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

La faiblesse du dollar profite à la reprise des États-Unis.


· M. Grant ALDONAS

Notre croissance a repris avant la baisse du dollar. Elle est aussi due à l'action de la Fed. et à la politique fiscale du Président.


· M. Jean ARTHUIS, sénateur de la Mayenne, président de la commission des finances du Sénat, ancien ministre de l'économie et des finances

Nous sommes heureux d'avoir une monnaie unique mais je regrette qu'on ne soit pas allé au bout de l'exercice. Nous avons une monnaie mais il nous manque le comité de pilotage : la gouvernance économique de l'Europe n'a pas progressé. Nous n'avons pas construit l'Europe pour attendre une croissance venue d'ailleurs ; nous la faisons pour qu'elle soit capable de générer elle-même sa croissance.


· M. Romano PRODI

Je partage cette position : il y a des résistances pour le passage à une économie concertée. On conserve des institutions aussi statiques que le pacte de stabilité. Quand j'ai dit qu'il était absurde, on s'est récrié ; chacun voit aujourd'hui que telle était la vérité.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

La Commission a été critiquée pour avoir fait appel à la Cour de justice.


· M. Francis MER, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

C'est une Europe forte qui doit donner une monnaie forte, pas l'inverse. Le processus commencé il y a un demi-siècle n'est pas terminé. Nous sommes tous impatients.

De là à en conclure que nous sommes en déclin, il y a un pas que je refuse de voir franchir. Ce n'est pas parce qu'on a des difficultés qu'il faut tirer la conclusion que nous n'aurions pas été capables de surmonter les problèmes ensemble ou que nous ne le serions plus.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Sous le regard des Chinois ?


· M. Francis MER

Entre la Chine et l'Europe, la puissance effective est la puissance européenne, la puissance potentielle, c'est la chinoise. C'est à nous de faire en sorte que notre puissance continue à exister pour être mise au service du reste du monde. Je ne suis pas pessimiste.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Quel geste attendre des États-Unis ?


· M. Francis MER

Ils ont leurs problèmes, comme le Japon et comme l'Europe. Nous devons bâtir les nouvelles conditions d'un monde meilleur, qui se développe plus vite. Les prévisions sont d'un taux de croissance mondial de 4 %, soit davantage que la moyenne des dix dernières années.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Ces 4 % représentent une moyenne, sachant que la Chine et l'Inde sont à 8 %. Pourquoi l'Europe est-elle à la traîne ?


· M. Francis MER

Elle n'a pas toujours ce retard. Les chiffres de la Commission ont montré que, contrairement à l'image que l'on se fait couramment, la croissance du niveau de vie des Européens a été, par tête, la même que celle des Américains. Le problème est que notre population n'augmente plus alors que celle des États-Unis continue à augmenter grâce à une politique d'immigration généreuse.

Je suis plein d'admiration devant cette capacité d'accueil. Une des premières choses que doivent faire les Européens est de regarder en face nos problèmes, au premier rang desquels celui du vieillissement.

Nous devons faire un point lucide sur les réformes qui doivent être menées dans les différents pays pour être dans le monde de demain et non dans celui d'hier. Ces réformes sont en cours de réalisation. Il serait faux de dire qu'on ne fait rien. Peut-être n'avons-nous pas assez expliqué ce que nous faisons mais le fait est que nous avançons.

Peut-être ne vendons-nous pas bien nos réformes, peut-être y a-t-il un déficit de communication, il faut absolument combattre l'idée selon laquelle l'Europe serait encalaminée.


· M. Dominique STRAUSS-KAHN

Si nous pouvons être d'accord pour améliorer la coordination des politiques économiques, reste que cela n'a de sens que si l'on se donne des règles et qu'on les respecte. Il est possible que certaines ne soient plus adaptées mais il serait inacceptable que chacun mène de son côté la politique qui l'arrange.

Une fois fixée la coordination, il convient de déterminer une stratégie. À mon sens, celle-ci doit viser un euro fort à long terme. C'est la valeur du travail des Européens qui est en jeu. Tel est le sens de la stratégie décidée à Lisbonne. Ce n'est, bien entendu, pas d'un euro artificiellement fort que nous avons besoin, mais d'un euro fort par lui-même. Nos amis américains nous expliquent que, comme par miracle, le dollar s'ajuste à ce dont les États-Unis ont besoin. Nous devons faire de même. Un dollar faible, c'est l'exportation d'un risque déflationniste.

Les États-Unis ont 500 milliards de dollars de dette ; en faisant baisser le dollar, ils dévalorisent leur dette. Il faut donc accepter d'intervenir. Le Japon l'a fait massivement et la dévaluation du dollar par rapport au yen est moitié moindre de ce qu'elle est par rapport à l'euro. Une concertation entre l'euro et le yen aurait beaucoup d'effets.

Le dialogue doit être mené entre des partenaires égaux et armés. Nous devons montrer quelques dents.


· M. Grant ALDONAS

Nous ne mettons le couteau sous la gorge de personne pour qu'on nous prête de l'argent ! C'est le marché qui décide, non le Gouvernement américain. Nous commençons à reconnaître qu'il faut nous atteler à la recherche de solutions, à la question du déficit ou à celle du taux d'épargne.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Après les élections ?


· M. Grant ALDONAS

Non, avant ! Il faut discuter avec nos amis européens sur les mesures propres à stimuler la croissance.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Il est bon que vous veniez souvent en Europe tenir de tels discours en compagnie de chefs d'entreprise !


· M. Romano PRODI

Dans la réalité des faits, le seul instrument de la politique américaine, c'est la baisse du dollar. La politique fiscale n'aura guère d'effets visibles avant les élections.

Un euro faible est dommageable, mais si l'euro est tellement fort que toute adaptation est impossible, cela ne va pas non plus. Un euro fort est nécessaire pour une économie vertueuse mais il y a des limites.


· M. Francis MER

C'est très juste. Nous sommes dans un monde ouvert et global. Dans leur portefeuille d'activités, les Européens ont le devoir d'évoluer vers le haut. Les Chinois sont capables de développer leur portefeuille d'activités, actuellement moins valorisées.

La vertu d'une monnaie solide est d'obliger une zone économique à se tirer vers le haut, à condition que les fluctuations monétaires ne lui fassent pas perdre ses
atouts.

Les nôtres sont à un niveau d'éducation déjà convenable mais qu'il faut améliorer, et une capacité de recherche qu'il faut absolument développer.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Des sénateurs ont fait des stages en entreprise. L'initiative semble plaire. Monsieur Thibault de Silguy, vous êtes un des fondateurs de l'euro. Les importateurs ne se plaignent jamais de son niveau ?


· M. Yves-Thibault de SILGUY, délégué général de Suez, ancien commissaire européen

Quand on a lancé l'euro, on n'a pas communiqué sur sa valeur extérieure. Il est sorti à 1,18 et tout le monde trouvait cela très bien. Il s'agissait d'assurer la viabilité d'un grand marché intérieur et il n'y a plus de variations de change dans ce marché, où s'effectuent encore 60 % de nos échanges commerciaux.

L'euro est une protection contre les crises extérieures : où serions-nous, sans lui, après les crises afghane et irakienne ? Aujourd'hui, le pétrole est à 30 dollars le baril ; si le dollar était fort, cela aurait des effets désastreux sur notre croissance. Une entreprise doit intégrer le fait que les changes sont flottants.

Quand 1 500 milliards de dollars sont échangés chaque jour sur le marché des changes, l'influence des politiques ne peut qu'être faible.

L'euro est une chance de redistribuer les cartes : la moitié des échanges financiers se font déjà en euro. Il fut un temps où les Américains disaient : « Le dollar est notre monnaie mais votre problème. » Quand il ne sera plus la seule monnaie mondiale, il ne sera plus notre problème.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Je félicite EADS pour le récent accord qu'évoque la presse de ce matin. Il s'agit, je crois, d'une vingtaine d'avions ravitailleurs.


· M. Philippe CAMUS, président exécutif d'EADS

Nous sommes très heureux de cet accord avec la Royal Air Force. Dans une activité internationale comme la nôtre, nous sommes en concurrence avec des entreprises dont les coûts sont libellés en dollars alors que les nôtres sont en euros. De l'un à l'autre, il y a une différence de compétitivité. Les pays asiatiques, qui sont en dollars, ont des coûts très bas.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

L'an dernier, vous avez tout de même vendu 305 avions civils, quand Boeing en vendait 280.


· M. Philippe CAMUS

Oui, mais c'était des contrats signés il y a deux ou trois ans, quand la parité des changes était plus favorable pour nous. Depuis lors, le dollar s'est déprécié de 30 %, ce qui est considérable sur un prix de revient industriel. Si la situation devait durer, l'estimation de nos investissements futurs devrait tenir compte de cette différence des parités : si le dollar reste faible, nous développerons nos activités aux États-Unis mêmes.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Les Américains craignent un quadruplement de leur déficit d'ici dix ans si rien n'est fait.


· M. Philippe CAMUS

Je partage l'avis de M. Mer : il faut investir fortement dans les nouvelles technologies, dans les nouveaux produits.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

C'est ce que m'a dit M. Prodi ce matin sur Europe n° 1 : il faut un effort national et européen pour la recherche.


· M. Romano PRODI

Certaines choses ne peuvent pas se faire au niveau national ; il faut tracer clairement la ligne de partage entre les recherches qui peuvent se faire au niveau national et celles qui doivent être au niveau européen. Vous avez insisté sur les aspects économiques de l'euro. Le précédent président chinois m'a souvent interrogé sur l'euro presque chaque fois que je suis allé en Chine. Quand je lui ai donc demandé pourquoi cela l'intéressait autant, il m'a répondu que c'était pour une raison politique : « J'aime le monde multipolaire, et l'euro est un moyen de transformer le monde unipolaire en un monde multipolaire. »


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Finalement, il y a deux conceptions : celle de la défense des intérêts propres aux pays développés et une conception multipolaire, en relation avec la Chine, le Brésil, l'Inde, l'Europe. Cela, les États-Unis ne l'ont pas tout à fait admis.


· M. Grant ALDONAS

Nous savons bien que nous vivons dans une économie mondiale et multilatérale ! Les gens se trompent quand ils croient que les États-Unis n'ont pas une vision multilatérale. Nous soutenons fortement l'OMC.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Cancun !


· M. Grant ALDONAS

Nous faisons des efforts pour sortir l'OMC de cette difficulté. Nous lui avons donné une nouvelle impulsion. Sur l'acier, nous avons respecté ses décisions.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Il est question qu'un grand groupe pharmaceutique devienne n° 1 européen et n° 3 mondial. Si cela se fait en France, qu'en pense le président de la Commission européenne ?


· M. Romano PRODI

Pourquoi pas ? Il faudra naturellement étudier les aspects monopolistiques de la chose mais nous voyons bien l'intérêt des économies d'échelle qui pourraient être réalisées dans la recherche pharmaceutique.


· M. Francis MER

Nous sommes dans un monde global, le marché est mondial et l'Europe doit conquérir des parts de marché au niveau mondial. Nous avons besoin d'acteurs aussi puissants que possible.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Dois-je comprendre que vous avez été informé de cette OPA ?


· M. Francis MER

Ce n'est pas le problème !


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

L'État a un rôle à jouer dans un tel rapprochement.


· M. Francis MER

L'État doit expliquer aux Français et aux entreprises dans quel contexte nous jouons. Leur montrer que le changement est nécessaire, en quoi il mène à une France et à une Europe meilleure. Il y a naturellement des règles européennes à respecter mais, entre des entreprises européennes, pourquoi voudriez-vous que l'État intervienne ?


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Pour ne pas laisser les entreprises européennes divisées sous la menace américaine.


· M. Francis MER

Il n'est pas question de menace. Il faut courir aussi vite que les autres pour être en tête de la course.


· M. Romano PRODI

J'ai réuni à Bruxelles les dix plus grands laboratoires pharmaceutiques européens. J'ai appris, à cette occasion, que 40 % des laboratoires étaient aux États-Unis ! Notre problème majeur, je le répète, c'est la recherche !


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Vous avez entendu les chercheurs, monsieur Mer ?


· M. Francis MER

Nous sommes tous d'accord pour dire que nous avons besoin de plus de recherche. Celle-ci doit être à la fois publique et privée. Aujourd'hui, en France, le point où le bât blesse, c'est la recherche privée. Le tissu économique européen et français n'a pas encore compris que la recherche et la formation étaient essentielles dans l'équilibre d'une entreprise.

Aujourd'hui, la recherche privée française n'est pas ce qu'elle devrait. Nous devons faire comprendre aux entreprises que leur devenir passe par plus d'investissements dans la recherche, ne serait-ce, tout simplement, que pour

Il faut, d'autre part, créer des conditions propres à rendre la recherche publique aussi performante qu'elle peut l'être. On peut améliorer le rendement de la recherche sans alourdir les dépenses.


· M. Jean ARTHUIS

Nous devons prendre comme exemple le modèle Airbus : ça marche parce qu'on a réparti les missions entre différents pays.

Aujourd'hui, la recherche européenne est trop pagailleuse. Il y a des marges de croissance considérables.

Une OPA a été lancée, c'est le marché qui va réagir. Il serait temps que l'Europe se donne de nouvelles règles. Celles qu'applique M. Monti datent quelque peu.

Le problème n'est pas l'euro fort, il est d'inspirer confiance. Une bonne parité de change est celle qui favorise la croissance. J'aimerais qu'on n'accepte pas les délocalisations de la recherche comme une fatalité.


· M. Dominique STRAUSS-KAHN

En matière de recherche publique, tout ne se réduit pas à une question de crédits globaux. En pourcentage du PIB, ce que nous consacrons à la recherche publique n'est pas négligeable mais va surtout à des domaines comme celui que connaît bien M. Camus. En revanche, nous sommes très en retard dans le domaine des biotechnologies.

Je partage l'analyse de M. Mer sur le retard de notre recherche privée. Elle aussi dépend, dans une certaine mesure, de l'action publique, avec des dispositions comme le crédit d'impôt recherche.

Les États-Unis pratiquent très bien cette stimulation publique de la recherche privée.


· M. Nicolas DUPONT-AIGNAN, député de l'Essonne

J'ai cru que vous n'alliez jamais me donner la parole !

La question est de savoir comment construire un monde multipolaire, comment valoriser les atouts de l'Europe. On a créé une monnaie ; celle-ci ne joue pas un rôle négligeable dans la prévention des crises intérieures mais ses résultats ne tiennent pas les promesses qui ont été faites.

Je ne peux m'empêcher de regarder la croissance britannique.

On dit que le problème vient du dollar et pas de l'euro, ce n'est pas vrai : l'euro s'apprécie aussi par rapport aux autres monnaies. Les États-Unis ont une politique de croissance.

L'Europe ne peut entrer dans le XXIè siècle avec une croissance molle ; il faut s'interroger sur la politique monétaire menée statutairement par la BCE. Je suis convaincu que, comme le Royaume-Uni, la France aurait eu une meilleure performance sans l'euro. Je suis scandalisé de voir la BCE rappeler M. Mer à l'ordre parce qu'il avait osé dire qu'on avait parlé des taux d'intérêt à l'eurogroupe !

Il ne s'agit pas de revenir en arrière mais de faire en sorte que l'euro serve la croissance. La question est de savoir si l'on se servira de l'euro pour favoriser la croissance et la recherche, ou s'il sera un carcan enserrant le continent et le condamnant au chômage de masse.


· M. Francis MER

Ce serait trop simple, s'il suffisait de décréter la croissance ! L'euro est un outil parmi d'autres. La croissance est la capacité de se remettre en cause pour améliorer l'utilisation des facultés dont on dispose, pour renouveler l'offre. C'est un plus pour les biens et les services. Voilà ce qu'est la croissance !

Avec un taux d'intérêt de 2 % et une inflation encore plus faible, on peut dire que jamais l'argent n'a été aussi peu cher depuis trente ans. L'euro est favorable, ou défavorable, aux exportations et aux importations, mais M. Thibault de Silguy a raison : l'euro est un élément positif majeur. À aucun moment, je n'échangerais l'euro contre un retour à nos monnaies différentes !


· M. Nicolas DUPONT-AIGNAN

La conseillère du président Clinton, aujourd'hui présidente de la London Business School, considère qu'une politique monétaire doit être à la fois flexible et rapide. C'est ce qui se passe aux États-Unis mais pas chez nous.


· M. Jean-Pierre ELKABACCH

C'est nous qui payons les 500 milliards du déficit américain ; c'est nous qui payons leur baisse d'impôt et leurs deux guerres en Irak.


· M. Nicolas DUPONT-AIGNAN

Les choses vont mieux parce que nos Gouvernements font des efforts, mais l'euro freine. La politique malthusienne de la BCE est néfaste.


· M. Yves-Thibault de SILGUY

La croissance, c'est d'abord de la confiance. Donc, avoir les finances publiques gérées le plus sainement possible. L'épargne mondiale est colossale. Elle allait vers les pays en voie de développement ; le risque y est trop grand, elle n'y va plus ; elle peut venir en Europe. La place financière de Paris peut tirer profit de l'euro, pour autant qu'on arrive à une bonne organisation européenne.


· M. Romano PRODI

Le problème n'est pas l'euro mais l'absence de la réforme politique et économique qu'il aurait fallu faire. Nous n'avons pas assez d'euro ! Avec des crises comme Enron et Parmalat, nous aurions, sans l'euro, eu des dévaluations compétitives.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Dans certains pays, on parle de sortir de l'euro. Est-ce possible ? En Italie, on en fait le bouc émissaire des dysfonctionnements.


· M. Romano PRODI

Sans l'euro, ce sont aujourd'hui 60 % du commerce européen qui seraient fusillés.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Je vous interroge aussi sur l'Italie.


· M. Romano PRODI

Vous ne me ferez rien dire sur le Gouvernement italien actuel ! Notre faiblesse nationale, ce sont les dévaluations compétitives que nous avons faites à plusieurs reprises et la nostalgie est toujours un sentiment fort chez nous...


· M. Nicolas DUPONT-AIGNAN

On ne connaît pas de monnaies qui aient pu survivre quand elles étaient communes à des pays dont les politiques différaient. Or, nous n'avons pas de budget fédéral. Les problèmes de l'euro sont-ils posés par l'absence de politique monétaire cohérente ? La constitution reprend les règles mêmes de Maastricht !


· M. Grant ALDONAS

Je suis surpris par ce débat prématuré. Il est beaucoup trop tôt. pour évaluer les bénéfices qu'apporte une monnaie commune. Les sociétés européennes n'ont pas encore eu le temps de s'adapter à l'euro : l'instauration d'une monnaie commune crée des coûts supplémentaires qu'il faut prendre en compte.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Les Européens sont sceptiques et jamais contents.


· M. Grant ALDONAS

C'est ce que j'aime chez mes amis !

Nous devons nous demander tous comment améliorer la croissance. Nous venons de mener une enquête aux États-Unis et on nous a surtout parlé de réformes fiscales et juridiques, de frais médicaux, de marché du travail.


· M. X (dans le public)

Pour l'essentiel, les économies européennes et américaines sont domestiques et donc peu concernées par le problème des taux de change. Ce qui importe avant tout, c'est d'obtenir une croissance qui fasse diminuer le chômage. Il faut mettre l'euro au service de la lutte contre le chômage, pas l'inverse. Pour qu'une économie fonctionne, il faut une impulsion politique unique. Or, la BCE est technocratique, en ce sens qu'elle n'est pas politiquement responsable.


· Mme Y (dans le public)

Il s'agit de savoir quel est le moteur de la croissance. Je suis très étonnée d'entendre M. Mer dire que « le Gouvernement doit expliquer aux entreprises » ; à mon sens, le Gouvernement doit s'adresser aux entrepreneurs pour les écouter.

Je suis américaine et française ; j'ai une entreprise ici depuis vingt ans. Je constate que, dans les entreprises, il y a des femmes. Je regrette de n'en voir aucune parmi les intervenants de vos tables rondes.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Je suis d'accord avec vous, mais j'assume.


· M. Francis MER

Je reste convaincu qu'il faut expliquer à l'opinion publique, et aussi aux entrepreneurs. Tous les entrepreneurs français n'ont pas le niveau qu'ont atteint leurs collègues américains : ils ne savent pas depuis le berceau où est leur intérêt ! En tant qu'ancien entrepreneur, je puis donc dire à certains :

« Attention, vous faites fausse route ». Je dois aussi avoir ce rôle de professeur.


· M. Philippe CAMUS

Les entreprises européennes vont digérer l'euro et le soutiennent. Elles sont très pro-européennes. Une des conditions nécessaires à une Europe forte est un euro fort ; mais cette condition n'est pas suffisante. Il faut aussi accompagner l'euro par une politique plus globale.

Dans mon entreprise, 17 % de notre chiffre d'affaires vont à la recherche, ce qui est le double du niveau américain moyen. Je suis néanmoins d'accord pour considérer que le lien entre recherche publique et privée ne se fait pas bien.


· M. Romano PRODI

À long terme, il sera impossible d'avoir une politique monétaire unique, avec vingt-cinq politiques économiques différentes.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Les commissaires européens ont saisi la Cour de justice contre la suspension du pacte de stabilité par le Conseil. Est-ce vraiment au juge d'imposer aux États leur politique monétaire ?


· M. Romano PRODI

Les États se sont imposé une règle et ils ont demandé à la Commission de la faire appliquer. La loi est la loi, même si on la déclare mauvaise. Aucune organisation collective satisfaisante n'est possible si la loi n'est pas respectée.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Pourquoi n'avoir rien fait contre M. Blair, dont le déficit atteint les 3,3 % ?


· M. Romano PRODI

Parce que le Royaume-Uni est désormais dans l'euro ? On ne m'en avait pas informé...


· M. Jean ARTHUIS

Quand nous avons mis au point le pacte de stabilité à Dublin, je me souviens - et M. Prodi doit s'en souvenir aussi - que nous avons passé une nuit entière à discuter la question de savoir s'il y aurait automaticité des sanctions ou si celles-ci devaient relever d'une décision politique.

Or, nous sommes convenus que cette décision devrait être politique.


· M. Yves-Thibault de SILGUY

Le pacte de stabilité, c'est moi qui l'ai rédigé. Les Allemands demandaient 1 % et des sanctions automatiques ! Rien dans le pacte ne va au-delà de ce que prévoit le Traité de Maastricht.

Ce que je me demande, c'est pourquoi M. Prodi n'a pas attaqué ces Gouvernements pour violation du Traité de Maastricht ?


· M. Romano PRODI

C'est le pacte de stabilité qui était sur la table. Elargir le problème aurait été encore plus grave. La décision a été prise malgré mes désirs contraires : il n'est pas agréable d'aller contre la France et l'Allemagne.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Vous auriez pu leur donner une chance, fixer un moratoire...


· M. Romano PRODI

Nous l'avons déjà fait.


· M. Dominique STRAUSS-KAHN

Tout le monde s'arrache la paternité du pacte de stabilité, tout en disant qu'il est imbécile ! Moi, je ne l'ai pas rédigé et je m'en réjouis. Mais je l'ai appliqué. Quand on a une règle, il faut la respecter. La confiance repose sur la certitude que l'on sait où l'on va.

Je ne reproche pas au Gouvernement français de ne pas avoir collé à un pacte qui serait l'alpha et l'oméga. Je trouve plutôt que la Commission a trop tardé à saisir la Cour de justice. Elle a déjà donné des moratoires et c'est cela qui a créé cette situation absurde. S'il n'y avait pas l'euro, nous serions aujourd'hui obligés de dévaluer et nous dépendrions du FMI.


· M. Francis MER

Je partage ce point de vue sur le rôle de l'euro. Pour la France, l'Italie et quelques autres, l'euro interdit la facilité de déposséder les gens en dévaluant la monnaie et de se rattraper sur l'inflation. C'est le premier mérite de l'euro. Dès lors, il doit devenir un outil positif.

La Commission a demandé à la Cour de justice de l'éclairer sur la procédure, point. Ce que nous avons fait, c'était en toute légalité. Le Conseil a appliqué le Traité et constaté que les propositions de la Commission n'étaient pas acceptées. On verra la suite. Ce qui m'intéresse, c'est de tirer des enseignements, dix ans après la conception de l'euro, afin d'en faire un outil encore plus adapté à notre projet commun. Je proteste contre l'idée que nos politiques ne seraient pas de mieux en mieux coordonnées.

Regardez le pari pris par l'administration américaine. En 1999, les États-Unis avaient un excédent budgétaire de 1,5 %. Ils ont décidé de mettre 6 % du PIB dans l'économie, quoi qu'il en coûte. Leur pari était : je sais que ce n'est pas raisonnable mais, en dix ans, on divisera le déficit par deux. En d'autres termes, ils espèrent arriver, dans les cinq ans, à nos 3 % de déficit. Mon problème, c'est de pouvoir faire jouer des fluctuations au moment où nous en avons absolument besoin. Ce n'est jamais qu'une aggravation d'un point du déficit en termes consolidés. Le moment venu, à froid, méthodiquement, on aboutira ensemble à une interprétation plus utile de ce pacte.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Quand ?


· M. Francis MER

C'est à nous de nous débrouiller.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Et le citoyen ?


· M. Francis MER

Ne faites pas de démagogie ! Ce n'est pas le citoyen de base qui a des opinions valables sur la règle des 3 % !


· M. Romano PRODI

Croyez-vous vraiment que nous aurions pu trouver une solution sans aller à la Cour, pour poser le problème au fond ?


· M. Francis MER

C'était nécessaire pour poser le problème ici.


· M. Z (dans le public)

J'appartiens à la délégation américaine venue rechercher ici des occasions d'investissements. J'ai rencontré une dizaine d'entrepreneurs français. L'euro est une réalité, qui va perdurer. Mieux vaut conduire le cheval que tenter de l'arrêter. La question que se posent les entrepreneurs français est moins celle du taux de change que celle de la politique fiscale, et ce dont ils se plaignent le plus, c'est les 35 heures. Ils demandent que l'on trouve trois ou quatre idées de politique fiscale propres à favoriser la croissance.


· M. Francis MER

J'y suis sensible. Qu'ils me fassent confiance ! Nous écoutons beaucoup les entrepreneurs français, nous écoutons leurs propositions et nous les transformons en réalités. Le crédit d'impôt recherche a déjà été fortement amélioré. Les entrepreneurs, mes anciens collègues, ont dû vous dire que nous avons suspendu pour dix-huit mois la taxe professionnelle sur les investissements des entreprises, le temps de trouver des taxes moins pénalisantes. Nous essayons d'aller dans la bonne direction. À Davos, mes amis américains n'étaient pas particulièrement critiques vis-à-vis de la France, même s'ils comprennent mal que l'on trouve de l'intérêt à empêcher les gens de travailler autant qu'ils veulent.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

La constitution européenne, c'est pour quand ?


· M. Romano PRODI

Je suis plutôt optimiste. On verra après les élections espagnoles si la situation permet de faire un sommet efficace ; sinon, cela devrait pouvoir se faire durant la présidence néerlandaise. Mais je suis confiant pour le premier semestre : il y a des remords chez les chefs d'État, pas seulement espagnol et polonais. Il y a un sens de l'urgence et du drame.


· M. Francis MER

Je suis très heureux de cette préoccupation. Ce serait vraiment un échec si on renonçait à une telle constitution.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Je vais vous demander à chacun vos conclusions.


· M. Grant ALDONAS

Nous sommes très fiers d'amener nos entrepreneurs pour cette visite en France. D'autres pays vous apportent leurs hooligans...


· M. Nicolas DUPONT-AIGNAN

On a cru que l'union politique serait la conséquence de l'union monétaire ; c'en est la condition. On ne peut oublier les peuples et se satisfaire d'un chômage de masse. Il faut retrouver un équilibre, sinon tout explosera.


· M. Yves-Thibault de SILGUY

Dans la construction européenne, c'est toujours l'économie qui a tiré la politique. Réformons les structures et l'on créera des emplois.


· M. Jean ARTHUIS

L'euro est une réussite. Demain, les ministres des finances devront parler de leur budget avec leurs partenaires européens avant de les boucler.


· M. Philippe CAMUS

L'euro est très mobilisateur pour les entreprises ; il bénéficie d'un grand soutien de l'opinion publique. Les quatre cinquièmes des Européens souhaitent aussi une Europe de défense intégrée, qui puisse intervenir sans l'aide des États-Unis.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Quels arguments avancez-vous pour convaincre d'acheter un Airbus plutôt qu'un Boeing ?


· M. Philippe CAMUS

Le produit est meilleur !


· M. Francis MER

L'euro est un élément dans la construction de l'Europe. Si nous avons la volonté de bâtir une Europe de la défense, ce sera un plus dans une construction européenne qui est destinée à continuer pendant des décennies. Il faut du temps et celui-ci ne travaille pas contre nous. Nous devons avoir la volonté de nous développer, en tirant les conclusions du passé.


· M. Romano PRODI

L'euro a fait son devoir, c'est ma première conclusion. Mais quand je pense que nous avons 400 000 chercheurs européens aux États-Unis, je dis que nous devrions avoir 700 000 chercheurs européens de plus. C'est l'objectif principal.


· M. Jean-Pierre ELKABBACH

Vous nous avez tous aidés à comprendre la situation et je vous en remercie. Le président Poncelet va maintenant conclure ces rencontres, qu'il a voulues.


· M. Christian PONCELET, Président du Sénat

Les Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise viennent de s'achever.

Lorsque j'en ai défini le thème, il y a six mois, je pressentais que l'euro constituerait un sujet majeur de réflexion et de discussion dans les semaines à venir. Je vous avoue humblement que l'actualité est allée bien au-delà de mes espérances.

Les débats, ce matin, ont été riches, denses et passionnants. Il appartient à chacun d'entre vous d'en tirer la substantifique moelle.

Sans vouloir me livrer à une comparaison par trop audacieuse, je voudrais, simplement et rapidement, vous faire part de deux réflexions.

Il y a cinq ans, en 1999, nombreux étaient ceux qui doutaient de la réussite de l'euro et qui lui prédisaient un avenir des plus sombres. Que n'entendait-on pas sur cette monnaie unique : pari fou ! échec assuré ! Aujourd'hui, si l'européen convaincu que je suis reconnaît bien volontiers que la vitalité de l'euro pose certaines difficultés, qui peut prétendre sérieusement qu'il n'est pas devenu une monnaie à part entière ?

Lorsque j'ai lancé, voici cinq ans, la première opération du Sénat en direction des entreprises, que n'ai-je entendu ? Non pas de mes collègues sénateurs qui ont toujours considéré, dans leur grande sagesse, les entrepreneurs comme le ciment de la prospérité de notre Nation, mais d'une multitude d'acteurs politiques et économiques. Pourquoi le Sénat devait-il ne pas s'intéresser à l'économie de la France ?

En 2004, cinq ans plus tard, la réalité a donné raison au Sénat : les deux cents stages d'immersion en entreprise, auxquels ont participé mes collègues sénateurs, Tremplin-Entreprises - devenu le premier événement du capital risque en France, club.senat.fr - seul lieu de réflexion de l'économie numérique en connexion directe avec le législateur, les rencontres bimensuelles avec les grands capitaines d'industrie - et, enfin, les Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise - l'un des moments-phares de la Semaine de l'Entrepreneur, tous ces événements ont fait du Sénat la « maison des entrepreneurs ». Ce qui paraissait un pari insensé est devenu une réalité incontestée. L'entreprise a droit de cité au Sénat.

Nous sommes la seule institution de cette nature à envoyer ses membres en stage en entreprise. Nous le faisons pour que nos élus puissent s'imprégner des difficultés, des préoccupations et des espoirs qui font la vie de l'entreprise. Ainsi, les sénateurs seront-ils mieux formés pour mieux légiférer. Je vous rappelle cette formule d'un de mes prédécesseurs, Jules Ferry, qui disait : « Le Sénat est là pour bien légiférer. ».

La France est un grand peuple d'entrepreneurs. Nous leur avons rendu hommage hier, puisque cinq cents créateurs d'entreprise ont siégé dans l'hémicycle du Sénat et que dix d'entre eux ont pu poser une question au Premier ministre et à son ministre délégué à la recherche.

Ce matin, vous avez débattu d'un sujet qui concerne tous les Européens.

J'adresse mes remerciements les plus chaleureux au président de la Commission européenne, M. Prodi, qui est venu à Paris spécialement pour ces Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise, ainsi qu'au ministre de l'économie et des finances. Cet après-midi, se tiendra, à la Présidence du Sénat, le premier forum franco-américain. Vingt-cinq chefs d'entreprise américains rencontreront, autour de deux tables rondes, leurs homologues français. M. Aldonas et M. Loos présideront ces débats. Je les remercie d'avoir bien voulu m'accompagner sur le chemin du renforcement de la coopération commerciale entre nos deux pays. Si nous sommes concurrents, nous sommes aussi alliés.

Les entrepreneurs sont des personnages importants de notre société. Si le Sénat a contribué, modestement, à changer l'esprit du temps, il le doit non pas seulement à son président mais à l'ensemble des sénateurs.

Je remercie mes collègues qui ont effectué, depuis cinq ans, des stages d'immersion en entreprise afin de mieux comprendre les difficultés, les attentes et les espoirs de toutes celles et ceux qui participent à la prospérité de notre Nation. Je n'oublie pas que nous avons été aidés dans notre quête par un grand nombre de partenaires. Ainsi la Semaine de l'Entrepreneur, qui a débuté hier dans l'hémicycle, est une oeuvre commune du Sénat de la République et du Salon des Entrepreneurs. Le salon ouvrira demain au Palais des Congrès, à Paris. Je vous invite à vous y rendre nombreux.

Je vous remercie et vous souhaite de connaître une grande réussite, tant professionnelle que personnelle.

La séance est levée à 13 h 15

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