Actes du colloque Vive la Loi


La loi contestée

M. Dominique BARELLA, Magistrat

Je remercie le Sénat de prendre le risque d'inviter l'un de ces représentants syndicaux, qui sont souvent l'objet de contestations de la part des parlementaires. Ceux-ci considèrent en effet qu'après leur face-à-face électoral avec le peuple, leur rôle devient en quelque sorte celui de conducteurs automobiles, étant en charge de conduire le véhicule législatif. Ils pourraient ainsi se passer totalement des mécaniciens que sont les corps intermédiaires (associations et syndicats). Les parlementaires ne reconnaissent en effet à ces derniers qu'un droit - d'ailleurs constitutionnel - au commentaire, sans prendre la mesure de la réelle utilité qui justifie leur participation à l'élaboration de la loi.

I. La loi mérite d'être contestée en amont

La France entretient à l'égard de la loi une conception quelque peu magique. Celle-ci pourrait tout résoudre. Dès qu'un problème de société, un événement médiatique ou une question judiciaire se pose, un certain nombre de commentateurs font ainsi immédiatement appel au législateur pour sortir de la crise. Une telle conception de la loi explique aisément pourquoi la loi est généralement contestée : elle est de fait souvent contestable, dans la mesure où elle est trop nombreuse, trop fréquente et adoptée parfois dans la précipitation, sous la pression de événements.

La loi est en outre considérée comme un instrument de pouvoir, plus que d'action, par la majorité en place, quel que soit son bord politique. Le vote d'une loi constitue en effet un outil de communication couramment utilisé par les ministres, qui manifestent souvent une envie irrésistible d'attacher leur nom à une loi. Il n'est pas rare toutefois qu'un ministre se voie reprocher de n'avoir rien fait, parce qu'il n'a pas fait voter de loi. Les citoyens placent ainsi les responsables de l'exécutif devant un choix impossible : faire voter une loi à tout prix et être critiqué éventuellement pour sa mauvaise qualité ou ne pas soumettre au Parlement un projet de loi et être taxé d'inefficacité ou d'absence de réactivité.

Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que la loi, loin d'être un instrument utilisé avec doigté et parcimonie, soit un outil banal et usuel. Le nombre de textes adoptés par le Parlement étant considérable, la contestation de la loi est inévitable.

Par ailleurs, les modes de discussion de la loi ne sont pas toujours d'une grande clarté. Loin de faire intervenir les corps intermédiaires en amont de leur élaboration, les textes sont souvent préparés dans le secret des cabinets ministériels - avant que des « fuites » ne s'échappent et réapparaissent dans quelque grand quotidien national. Le débat est alors lancé de façon abrupte, sans que n'ait été pris le temps nécessaire de l'écoute et du dialogue avec les acteurs sociaux, qui sont pourtant d'utiles « mécaniciens » de la loi. Dès lors, il n'est pas étonnant que l'expression nécessaire et utile de la critique de la loi intervienne sous la forme de sa contestation, postérieurement à l'adoption du texte.

L'initiative parlementaire conduit en outre fréquemment à un gonflement important des projets de lois. Les textes des lois dites Guigou et Perben II, relatives à la procédure pénale, par exemple, dont l'impact sur la société est fondamentalement structurant, ont ainsi acquis une immense complexité, du fait des très nombreux amendements, qui ont été déposés et ont dû être débattus dans le temps très court de la discussion parlementaire. Si le pouvoir d'amendement des parlementaires ne saurait être remis en cause, il ne doit pas pour autant faire fi de l'expression des autres représentants de la nation que sont les corps intermédiaires. Leurs critiques et leurs commentaires, parfois pertinents car au plus près d'une réalité qu'ils vivent au quotidien, peuvent en effet s'avérer particulièrement utiles pour accroître la qualité de la loi, et ce, sans retirer la moindre parcelle de pouvoir au législateur, qui seul statue en dernier ressort.

II. La loi peut être contestée en aval

Il n'est pas en soi intolérable d'affirmer que la loi peut être contestée, dès lors que toute oeuvre humaine est par nature contestable. Ainsi, les textes votés par le législateur durant les quelques années qui ont suivi la Révolution française auraient été suffisants, si l'évolution du contexte social, économique et politique n'avait pas contraint le législateur, à chaque époque, à en produire de nouveaux. C'est un fait que de nouvelles lois auront toujours à être votées, tandis que les anciennes ont vocation à être contestées.

Par ailleurs, la conception magique que les citoyens entretiennent à l'égard de la loi conduit trop souvent ces derniers à attendre des miracles. La loi relative à l'interdiction de fumer dans les lieux publics, par exemple, avait prévu l'instauration de zones non fumeurs dans les restaurants. Les parlementaires semblent ainsi considérer que, grâce à leur loi, les effets nocifs du tabac pourraient s'arrêter devant la barrière invisible que le législateur a entendu tracer... Cette croyance quasi mystique dans les pouvoirs de la loi amènent ainsi le législateur à faire dire parfois tout et n'importe quoi à la celle-ci. Sans faire preuve de la modestie et de la prudence qui s'imposent, le risque est grand, là encore, de voir la loi sans cesse remise en cause.

Enfin, le législateur prend un autre risque, au moment même où il examine les textes de lois, en ne veillant pas aux moyens de leur application. Cette carence manifeste est souvent la cause de grandes frustrations et explique la contestation exprimée par ceux-là même qui sont supposés bénéficier de la loi. Ainsi, moins d'un an après l'adoption de la loi Perben II, le ministère des Finances a annoncé que les actions prévues par la loi-programme relative aux ministères de l'Intérieur et de la Justice ne seraient pas mises en oeuvre, faute de moyens budgétaires. Cette loi se trouve de fait partiellement privée de ses effets. Tout projet ou proposition de loi devrait pourtant faire l'objet d'une réflexion préalable, visant à étudier les ressources financières nécessaires à son application, puis s'accompagner de l'obligation pour le ministère des Finances de dégager les moyens budgétaires adéquats.

D'une manière générale, la loi serait moins contestée, si elle était plus crédible. En effet, les contestataires ne sont pas, le plus souvent, les ennemis de la loi, mais sont, au contraire, les plus fervents soutiens des lois, qu'ils souhaitent justes et correctement appliquées.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page