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Jeudi 3 mai 2001

- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président. -

Propriété intellectuelle - Audition de M. Francis Brun-Buisson, président de la commission prévue à l'article L.311-5 du code de la propriété intellectuelle, chargée de déterminer les taux et les modalités de versement de la rémunération pour copie privée

La commission a procédé à l'audition de M. Francis Brun-Buisson, président de la commission prévue à l'article L.311-5 du code de la propriété intellectuelle, chargée de déterminer les taux et les modalités de versement de la rémunération pour copie privée.

M. Francis Brun-Buisson a rappelé que la commission qu'il présidait avait été créée par la loi du 3 juillet 1985. Elle a initialement fonctionné pendant un an pour fixer la rémunération de la copie privée sur cassettes audio et vidéo, puis n'a plus été réunie. Elle a été reconstituée le 13 mars 2000 par un arrêté du ministre de la culture et de la communication, à la suite de l'évolution de la copie privée consécutive à l'apparition des supports numériques d'enregistrement et des matériels connectables aux réseaux de transmission, Internet en particulier. Cette évolution a accéléré la substitution des supports numériques aux supports analogiques. Le fait que le produit de la rémunération pour copie privée, qui s'élevait à quelque 800 millions de francs en 1994, ait été de l'ordre de 350 millions de francs en 2000, permet de mesurer cet effet de substitution.

M. Francis Brun-Buisson a rappelé la composition de la commission, qui, outre son président, représentant de l'Etat, comprend 12 représentants des ayants droit, six représentants des consommateurs et six représentants des industriels assujettis à la redevance. Celle-ci n'est pas assimilable à une taxe. Les 24 membres de la commission représentant les parties intéressées sont désignés par les organisations représentatives déterminées par arrêté ministériel. Compte tenu du rôle croissant des supports d'enregistrement reliés aux réseaux, la commission comprend désormais un représentant des industriels de l'informatique.

La commission a pour mission de déterminer les supports pris en compte dans l'assiette de la redevance et les taux de rémunération des ayants droit. Elle fonctionne de manière indépendante et sert d'instance de négociation entre les parties intéressées. Sa première décision, dans sa composition actuelle, a été publiée au Journal Officiel du 4 janvier dernier.

La commission a travaillé à un rythme rapide après avoir demandé au Conseil d'Etat de confirmer la possibilité d'intégrer dans l'assiette de la redevance l'ensemble des supports d'enregistrement numérique, amovibles ou intégrés, dédiés à l'enregistrement sonore et audiovisuel ou à usages multiples.

La décision de janvier dernier a concerné les supports amovibles et le baladeur MP3, ainsi que les cassettes de caméscope. Celles-ci ont été exonérées de la redevance dans la mesure où leur utilisation pour la copie privée est marginale.

La commission travaille à partir des informations et des études communiquées par ses membres. Elle étudie l'utilisation des supports pour la copie privée en fonction des durées d'enregistrement offertes par les différents matériels, des taux de compression et de l'usage effectif des supports.

La commission a aussi actualisé les taux retenus en 1986 pour la copie analogique afin de prendre en compte la diminution du prix des matériels, sans bouleverser le rapport fixé en 1986 entre la redevance acquittée par les supports audio et celle acquittée par les supports vidéo. Pour les supports numériques, le taux horaire de la rémunération des ayants-droit qu'elle a fixé est de l'ordre de à 3 F pour les supports audio et 8,25 F pour les supports vidéo.

Lors de la reconstitution de la commission, les positions des ayants droit et celles des industriels divergeaient fortement. Elles se sont rapprochées progressivement, et le président a pu proposer, le 21 décembre 2000, un compromis final qui a été approuvé par les ayants droit et acquis grâce à sa voix prépondérante, les représentants des consommateurs s'abstenant.

Ce compromis a été inspiré par la nécessité d'octroyer aux ayants droit une compensation à la fois équitable et supportable par les consommateurs. Des enquêtes ont montré que les taux arrêtés n'ont pas eu d'incidence directe sur les prix de détail des matériels assujettis. Le coût de la redevance a été en effet imputé sur la marge bénéficiaire des fabricants et des importateurs.

En ce qui concerne la rémunération de la copie privée prélevée sur des supports informatiques amovibles, aussi bien que sur des supports intégrés à du matériel électronique, tels que les disques durs, les décodeurs et les magnétoscopes numériques, le premier problème à résoudre reste celui que posent les supports hybrides, non dédiés à l'enregistrement d'oeuvres sonores ou audiovisuelles, susceptibles de servir à d'autres usages, privés ou professionnels.

S'agissant des supports amovibles, la commission a évalué le degré d'utilisation des CD et des DVD à des fins de copie privée. Un abattement de 50 % de la redevance a été décidé afin de tenir compte des autres usages.

Le problème se pose aussi du traitement réservé aux supports acquis par les entreprises pour un usage professionnel. La loi de 1985 n'exonère du paiement de la redevance que les entreprises utilisant les supports d'enregistrement pour leur propre production, les entreprises audiovisuelles et les producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes. Mais elle ne prévoit pas d'autre exonération pour des usages professionnels, ce qui est peut-être une lacune.

Autre problème, la loi ne prévoit pas la rémunération de la copie privée des oeuvres écrites, bien que celles-ci puissent être scannées, diffusées et enregistrées. La loi de 1985 n'a en effet intégré dans son champ d'application que les oeuvres fixées sur des vidéogrammes et des phonogrammes. D'autres oeuvres que les oeuvres écrites, par exemple les oeuvres photographiques ou graphiques, sont également exclues.

Les ayants droit des jeux vidéo, couverts par le régime juridique spécifique des logiciels, qui interdit la copie privée, ont aussi présenté des revendications. L'idée de considérer les jeux vidéo comme des vidéogrammes comportant des logiciels, afin de leur appliquer le régime de la loi de 1985, n'emporte pas la conviction du juriste.

M. Francis Brun-Buisson a aussi évoqué d'autres questions posées récemment. Le régime du téléchargement mérite en particulier de faire l'objet d'une réflexion, la redevance pour copie privée s'appliquant uniquement à des matériels et non à des actes de consommation tels que les opérations de téléchargement.

Il a conclu son exposé en insistant sur le fait que le régime juridique de la copie privée n'est viable que si les taux de la redevance sont fixés à un niveau raisonnable. Ceci intéresse en particulier les supports informatiques, dont les capacités d'enregistrement sont considérables. La commission ne fixera pas les taux de redevance qui leur seront appliqués par rapport à leur capacité théorique d'enregistrement mais par rapport aux taux fixés pour les supports amovibles.

Un débat s'est ensuite engagé.

Mme Danièle Pourtaud, estimant intéressantes les pistes ouvertes par l'exposé de M. Francis Brun-Buisson, a rappelé que le groupe socialiste du Sénat avait déposé une proposition de loi étendant le champ d'application du bénéfice de la redevance pour copie privée.

Prenant acte du fait que la fixation des taux de rémunération ressortissait à la compétence de la commission prévue à l'article L.311-5 du code de la propriété intellectuelle, elle a noté que la loi devait, en revanche, préciser la liste des oeuvres entrant dans le champ d'application de la rémunération pour copie privée, ce qui peut intéresser l'écrit et la photo, mais aussi des oeuvres plastiques.

Elle a demandé, pour le cas où l'exonération des seules entreprises audiovisuelles serait jugée restrictive, s'il était préférable d'étendre la liste législative des secteurs professionnels exonérés du paiement de la redevance, ou s'il fallait décider l'exonération globale de l'ensemble des usages professionnels.

Elle a aussi demandé, en ce qui concerne le montant de la redevance applicable aux supports intégrés, comment seraient déterminés les taux raisonnables préconisés et de quelle façon la commission évaluait les pratiques des consommateurs.

M. James Bordas, notant la difficulté d'évaluer le piratage des oeuvres, a demandé quels moyens de contrôle étaient disponibles.

M. Francis Brun-Buisson a apporté les réponses suivantes aux intervenants :

- la copie privée est une limitation du droit d'auteur et non un droit reconnu aux consommateurs ; cette dérogation aux droits exclusifs de propriété intellectuelle ne peut être confondue avec le piratage. La compensation financière de la copie privée ne peut donc être assimilée à une indemnisation du délit de piratage, même si certains économistes ont tendance à confondre les notions et si l'indemnisation peut apparaître dans l'esprit du public comme une sorte de légitimation du piratage.

Le délit de piratage, qui ne ressortit pas à la compétence de la commission de l'article L.311-5, fait l'objet, dans le cadre de la répression pénale, d'une indemnisation à l'acte. En revanche, la rémunération de la copie privée est forfaitaire, même si la répartition du produit de la redevance est effectuée en fonction des estimations du nombre des copies effectivement réalisées ;

- on peut imaginer d'inclure les oeuvres graphiques et plastiques, qui peuvent faire l'objet de copies numériques, dans le champ d'application des dispositions relatives à la rémunération de la copie privée de la loi de 1985. Cependant, pour ces oeuvres, la loi prévoit un régime particulier de participation de leurs auteurs au produit de leur revente défini à l'article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle. Elles posent à cet égard un problème différent de celui des oeuvres écrites. Il faut aussi tenir compte du fait que les photographes, par exemple, qui utilisent des supports numériques, sont assujettis à la redevance. En tous cas, le fait que les supports numériques peuvent servir à reproduire des textes, et des images animées ou non, fait apparaître comme assez inéquitable que la rémunération ne bénéficie qu'aux oeuvres musicales ou audiovisuelles ;

- en ce qui concerne l'usage professionnel des supports d'enregistrement, la loi pourrait soit exonérer les entreprises, ou certaines d'entre elles, de la redevance, soit confier à la commission le pouvoir de définir les conditions d'exonération des usages professionnels. Différentes modalités d'exonération sont envisageables : la création d'un taux zéro, la définition d'abattements, l'exonération pure et simple. Il faut rappeler, en tout état de cause, que les ordinateurs des entreprises, des administrations et des institutions ne sont pas utilisés à des fins uniquement professionnelles ;

- il est intéressant de comparer les taux de redevance définis dans les différents pays européens. La France a pris de l'avance dans le domaine de la copie numérique. L'Allemagne assujettit cependant d'ores et déjà les micro-ordinateurs à une redevance de l'ordre de 200 francs. Il serait déraisonnable de fixer en France, pour les micro-ordinateurs, un taux sans rapport avec celui appliqué aux supports amovibles. Quelle que soit la capacité d'enregistrement du support, le niveau des différents taux ne doit en effet pas être excessivement inégal. L'idée, parfois avancée, de fixer la redevance applicable aux micro-ordinateurs entre 800 et 1 000 F ne reflète d'ailleurs pas l'état d'esprit de la commission et ne correspond pas à une interprétation légitime du droit en vigueur. La fixation de taux excessivement élevés pourrait être contestée devant les tribunaux ;

- l'évaluation quantitative de la copie privée est l'aboutissement d'une négociation souvent difficile effectuée à partir des études et des données fournies par les membres de la commission. Celle-ci étudie l'évolution des matériels et des capacités d'enregistrement utilisables pour la copie privée, évalue l'utilisation effective de ces capacités à des fins de copie privée et le comportement moyen des utilisateurs. Des études de consommation des matériels existants sont effectuées dans ce but. Les organisations professionnelles intéressées fournissent aussi des données, dont la commission interprète les résultats ;

- la loi prévoit que la rémunération pour copie privée est exigible lors de la mise sur le marché des matériels. Dans la mesure où cette rémunération a un caractère forfaitaire, il importe de mener les études nécessaires dès avant la commercialisation effective des nouveaux matériels. Cela permet d'éviter des délais de plusieurs mois entre la mise sur le marché et la fixation de la rémunération des ayants droit.