Travaux de la commission des affaires culturelles




Mercredi 11 février 2004

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Aménagement du territoire - Développement des territoires ruraux - Demande de renvoi pour avis et nomination d'un rapporteur

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord demandé à être saisie pour avis du projet de loi n° 192 (2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, relatif au développement des territoires ruraux et a désigné M. Pierre Martin rapporteur pour avis sur ce projet de loi.

Nomination d'un rapporteur

Elle a ensuite désigné M. Jacques Valade, président, comme rapporteur du projet de loi n° 209 (2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

Laïcité - Application du principe de laïcité, le port de signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics - Audition de M. Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman

Puis la commission a procédé à l'audition de M. Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman.

Accueillant M. Dalil Boubakeur, M. Jacques Valade, président, a souhaité connaître son sentiment et celui du Conseil français du culte musulman sur le projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, voté, la veille, par l'Assemblée nationale.

M. Dalil Boubakeur a estimé que la présentation de la position du Conseil français du culte musulman était un exercice délicat, compte tenu de la diversité des courants qui traversent l'islam et sont représentés au sein de cette instance. Il a noté que ceux-ci s'organisaient schématiquement autour d'un pôle « rigoriste » se rattachant à la quatrième école de l'islam, et d'un pôle « libéral ». Il a d'ailleurs relevé que les récents événements avaient montré qu'une partie des musulmans, au demeurant minoritaires dans le pays et se réclamant d'un islam littéraliste, avaient manifesté publiquement des réactions émotionnelles et passionnelles, alors que la grande majorité avait témoigné de son esprit de responsabilité en se montrant décidée à respecter les lois de la République. Souhaitant que la composante musulmane de la population bénéficie d'un effort pour compenser les retards qu'elle enregistre, notamment sur le plan cultuel, il a relevé que la volonté des derniers Gouvernements avait permis la création d'un Conseil français du culte musulman se voulant consensuel et rassembleur.

Evoquant les réserves émises à l'origine par le Conseil français du culte musulman à l'égard d'une loi, il a indiqué que celles-ci tenaient à la crainte de voir stigmatisés les musulmans de France dans leur ensemble, aux interférences possibles de la réforme de la laïcité dans le domaine de la religion, et enfin à l'incitation qu'une interdiction trop brutale constituerait à l'ouverture d'écoles confessionnelles.

Il a cependant estimé que le discours prononcé par le Président de la République reflétait bien l'état actuel de la société française au sein de laquelle le religieux doit savoir garder sa place, qui est celle de la sphère privée, et non de l'expression publique, et admettre le fait qu'au sein de la République, la loi l'emporte sur les références philosophiques ou religieuses. Il a toutefois reconnu que cette conception allait à l'encontre des positions insoutenables des tenants d'un islam radical qui, prétendant ériger le Coran en rival de la loi nationale, témoignent d'une immaturité et d'une incapacité à prendre en compte la modernité et le droit des nations.

Il a indiqué que le Conseil français du culte musulman avait, pour sa part, privilégié la voie de la concertation avec la représentation nationale, souhaitant à ce propos qu'une délégation de son bureau, représentative des différentes tendances, puisse être reçue par le Sénat. Estimant que la voix de la raison progressait, il a rappelé que le conseil venait de publier un communiqué constatant la volonté de la représentation nationale de légiférer en ce domaine, en acceptant le principe et prenant acte du fait que le choix du terme « ostensible » laissait une marge d'appréciation.

Commentant les versets coraniques relatifs au port du voile, il a précisé que leurs prescriptions reflétaient une certaine idée de la dignité de la femme présente dans les autres religions monothéistes, ainsi qu'une volonté de se distinguer de la masse des incroyants. Il a relevé que ces prescriptions s'accompagnaient, comme c'est souvent le cas, de la proclamation que « Dieu est pardonneur et miséricordieux », signifiant que Dieu savait aussi se montrer compréhensif et tenir compte des circonstances.

Il a indiqué que la plus haute autorité de l'islam -le mufti de l'université de El Azhar- considérait que le port du voile constituait certes une prescription religieuse, mais que le devoir d'une musulmane en terre non musulmane était de se soumettre à la loi. Tel était d'ailleurs le sentiment du Conseil français du culte musulman et de la majorité de la communauté musulmane en France.

Il a indiqué que certaines modalités de l'application de la loi devraient à l'avenir être clarifiées, et notamment la question de savoir si l'interdiction du port du voile se limitait à la salle de classe, ou s'étendait à l'ensemble des locaux scolaires, ou encore celle de la présence de médiateurs religieux au cours du dialogue préalable à la prise d'une sanction. Il a également souhaité que le Gouvernement s'attache aux causes sociales (échec scolaire, délitement familial) qui sont à l'origine des raidissements communautaristes.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Jacques Valade, président, a demandé à M. Dalil Boubakeur de lui préciser l'effectif des musulmans en France, la façon dont ils sont représentés au sein du CFCM, et la répartition entre les différents courants.

Mme Marie-Christine Blandin a souhaité des précisions sur le caractère obligatoire ou non des prescriptions contenues dans le Coran, relevant par comparaison que beaucoup d'obligations contenues dans la Bible étaient -hormis les Dix commandements- tombées en désuétude chez les chrétiens, comme par exemple celle « d'enfanter dans la douleur ».

Mme Monique Papon, revenant sur la déshérence d'une partie de la jeunesse, a évoqué l'émergence d'un islam des jeunes différent de l'islam de leurs familles, et a demandé si le port du voile pouvait constituer chez eux une forme de rejet de la culture de leurs parents.

M. Michel Guerry a souhaité des précisions sur la quatrième école de l'islam.

M. Robert Bret a demandé si le débat soulevé par le voile ne posait pas la question de la place et de l'acceptation de l'islam qui constitue maintenant la deuxième religion dans une société française traditionnellement judéo-chrétienne.

Mme Annie David, relevant que M. Dalil Boubakeur s'était montré plutôt favorable à la loi, tout en pointant des lacunes dans le traitement des causes sociales du malaise révélé par le voile, lui a demandé s'il avait à proposer des amendements au projet de loi. Elle a en outre souhaité savoir si le recours à la loi serait toujours nécessaire dans l'hypothèse où l'ensemble des membres du Conseil français du culte musulman prendraient la décision de dispenser les jeunes musulmanes de porter le voile à l'école.

M. Michel Thiollière l'a interrogé sur les mesures sociales qui devraient accompagner la loi.

Rappelant que d'autres religions avaient évolué en phase avec la société sans que l'Etat ait à intervenir, M. Philippe Nogrix a demandé si les règles que le législateur envisageait d'imposer pourraient être considérées comme risquant d'affaiblir l'islam.

Mme Danièle Pourtaud a souhaité savoir si le port du voile n'était pas plus une marque d'affirmation politique qu'un simple signe religieux et si, dans ces conditions, il ne serait pas nécessaire d'étendre l'interdiction au port de signes politiques.

Répondant aux différents intervenants, M. Dalil Boubakeur a donné les indications suivantes :

- le Conseil français du culte musulman est constitué sur une base cultuelle ;

- le Coran comporte de nombreuses prescriptions, comme d'autres textes religieux, car il est apparu comme une révolution sociale et spirituelle aux populations arabes alors païennes ; au cours des siècles, ces prescriptions ont été diversement appliquées, sous l'influence des controverses théologiques ou philosophiques ; une période rationaliste au IXe siècle a même contesté la valeur divine de ces prescriptions ; la quatrième école est née par réaction contre cette époque rationaliste ; l'islam est resté, depuis, marqué par un courant fondamentaliste ; le sursaut wahhabite, qui considère que toute prescription coranique est par nature sacrée, a encore accentué cette tendance en Arabie saoudite au XXe siècle ; enfin la révolution iranienne, qui a montré que l'islam pouvait être un instrument de conquête du pouvoir, a constitué un phénomène historique marquant ; c'est d'Iran que sont partis l'imposition de la charia et le port du tchador, en rupture avec une attitude plus conciliante qui avait jusqu'alors prévalu dans le monde arabe et musulman ; c'est dans ce nouveau contexte que la conjonction de la quatrième école et du chiisme a fait de l'islam contemporain une religion fortement marquée par la rigueur dogmatique ; rien n'est cependant irréversible, et l'islam de France doit montrer la voie d'un islam libéral, et non politique ;

- l'islam des jeunes constitue bien souvent la réaction d'une jeunesse confrontée à l'échec scolaire et à une situation de déshérence générale ; c'est sur ce terrain que se développe une réislamisation sur un mode revendicatif et politique dont la violence latente est exploitée par l'internationale islamique ;

- l'affaire du voile constitue un test ; sous l'influence de facteurs mondiaux, l'islam tend à se réduire à un signal de reconnaissance extérieure au détriment du message spirituel destiné à améliorer la vision intérieure ; le fait que les manifestations hostiles à la législation sur le voile aient comporté un important encadrement masculin est en soi significatif ;

- le développement du culte musulman en France a subi des retards, et il faut rendre hommage aux maires qui ont accepté de prendre en compte ce problème en ouvrant des lieux de culte ou de prière ; il y a une dynamique qui tend à l'acceptation du culte musulman et le refus du voile à l'école ne constitue pas une marque d'islamophobie ;

- il est utile qu'une loi mette fin au débat, mais on doit se féliciter que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale laisse la porte ouverte à une concertation sur les cas concrets.

Audition de M. Gérard Aschieri, secrétaire général de la Fédération Syndicale Unitaire (FSU), accompagné de M. Daniel Robin, membre du bureau, spécialiste des questions relatives à la laïcité

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Gérard Aschieri, secrétaire général de la Fédération Syndicale Unitaire (FSU), accompagné de M. Daniel Robin, membre du bureau, spécialiste des questions relatives à la laïcité.

Se référant à la position qu'il avait soutenue au nom de la FSU devant le Conseil supérieur de l'éducation, lors de l'examen du projet de loi, M. Gérard Aschieri a déclaré que le port de signes religieux était incompatible avec le fonctionnement de l'école publique, pour une raison fondamentale qui a trait à la mission de l'école, consistant précisément à former l'esprit critique des élèves et à leur transmettre des valeurs communes. Il a estimé qu'une réduction de la liberté des élèves, au nom de la règle imposée par le respect de la laïcité, pouvait être nécessaire, afin de garantir, d'une part, l'accès à une véritable liberté de choix, en connaissance de cause, et d'autre part, l'égalité entre les garçons et les filles.

Néanmoins, il a jugé nécessaire d'actualiser le principe de laïcité à l'école, notamment à l'égard du statut particulier de l'Alsace-Moselle, de l'existence d'aumôneries dans les établissements scolaires ou de la présence de marques ou d'insignes publicitaires.

A ce titre, M. Gérard Aschieri a regretté que le débat soit resté enfermé sur la question du port des signes religieux, alors même que l'enjeu majeur consiste aujourd'hui à donner du sens au vivre ensemble, c'est-à-dire donner du sens à la laïcité, afin que les jeunes puissent se l'approprier.

En outre, il a exprimé ses craintes que la loi n'ait, finalement, un effet contre-productif, en ouvrant la voie de la contestation à des mouvements intégristes se présentant en victimes stigmatisées.

Aussi bien a-t-il jugé nécessaire, dans le prolongement des conclusions du rapport de la commission Stasi, d'élargir le débat aux enjeux relatifs au rôle de l'éducation et à la notion de culture commune, ainsi qu'aux questions sociales, lesquelles constituent le terreau dont se nourrissent les contestations du principe de laïcité.

Par-delà le débat sémantique entre les termes « visible » et « ostensible », M. Gérard Aschieri a fait remarquer, d'une part, que l'interprétation du mot « signes » lui-même serait problématique et que, d'autre part, l'application de la loi se heurterait à des difficultés, dans la mesure où l'exclusion de l'élève en est l'issue probable.

A cet égard, il a rappelé que, si une majorité d'enseignants s'était déclarée favorable au principe de la loi, nombre d'entre eux partageaient le souci de ne pas rejeter les jeunes filles hors de l'enceinte de l'école publique. Aussi bien tout en s'interrogeant sur les moyens qui permettront d'évaluer l'application de la loi au bout d'un an, conformément aux dispositions introduites dans le texte par voie d'amendement à l'Assemblée nationale, s'est-il réjoui que l'obligation de dialogue préalable avec l'élève fasse l'objet d'une mention explicite, insistant sur la nécessité que la loi soit appliquée avec discernement.

M. Daniel Robin a regretté que le projet de loi soit resté inabouti sur la question des relations entre l'école et les religions, en n'abordant pas certains aspects susceptibles d'entrer en contradiction avec le principe de l'interdiction du port de signes d'appartenance religieuse par les élèves, et d'affaiblir ainsi le sens de la laïcité à l'école. Il a cité, à cet égard, la présence de prêtres dans les aumôneries ou le déroulement de services religieux au sein des établissements.

A ce titre, M. Jacques Valade, président, a observé que le projet de loi pourrait contribuer à faire évoluer les mentalités.

Un large débat s'est ensuite engagé.

Exprimant son adhésion aux propos qui venaient d'être tenus, Mme Nicole Borvo a jugé inacceptable que les établissements d'enseignement privé sous contrat soient exclus du champ d'application de la loi, et a regretté que le statut concordataire de l'Alsace-Moselle ne soit pas remis en cause.

M. Robert Bret s'est inquiété des conséquences d'une sanction aussi grave que l'exclusion, celle-ci menant soit à la déscolarisation, soit au développement des écoles confessionnelles musulmanes.

Mme Marie-Christine Blandin a souhaité nuancer les vertus de la mention spécifique, dans le texte de loi, du dialogue nécessaire avant toute sanction, estimant que celui-ci, n'ayant pour issue que le renoncement de la jeune fille à porter le foulard ou son exclusion, serait réduit à une fonction de pédagogie avant l'exclusion.

M. Daniel Eckenspieller a estimé que la question du statut local de l'Alsace-Moselle devait rester à l'écart du débat, ajoutant par ailleurs que ce statut ne conduisait ni à sanctionner les élèves ne désirant pas assister aux enseignements religieux, ni à rendre possible leur identification en fonction de leur religion.

Revenant sur les propos de M. Gérard Aschieri, M. Pierre Martin s'est interrogé sur les moyens et modalités à mettre en oeuvre afin d'« actualiser » la laïcité.

En réponse à ces intervenants, M. Gérard Aschieri a apporté les précisions suivantes :

- le statut spécifique de l'Alsace-Moselle pose problème en ce sens que, si l'on souhaite faire comprendre la laïcité aux jeunes, les règles qui la concernent doivent trouver à s'appliquer sur l'ensemble du territoire ;

- même si elle doit rester l'exception, l'exclusion d'un élève ne saurait être rejetée, dès lors qu'il s'agit d'une décision collective de l'ensemble de l'équipe éducative, qui s'impose à elle après l'échec de la procédure de médiation ; il faudra veiller, à l'usage, à ce que la loi ne remette pas en cause l'équilibre qui a souvent pu s'établir au sein des établissements, grâce au dialogue ;

- actualiser la laïcité suppose d'aller plus avant dans le débat sur les dimensions politiques et sociales de la laïcité dans notre société, qui a été initié au sein de la commission Stasi.

Complétant ces propos, M. Daniel Robin a indiqué que :

- la loi n'a pas pour effet de rendre l'exclusion systématique, toute décision restant subordonnée au passage, obligatoire, devant le conseil de discipline, après une première phase de dialogue ;

- le fait que la loi ne s'applique pas aux établissements d'enseignement privé sous contrat signifie que la notion de « caractère propre » concerne désormais, non plus seulement les aspects extérieurs, mais également intérieurs, à la salle de classe ;

- s'agissant du statut spécifique de l'Alsace-Moselle, la loi aurait pu marquer une première avancée en y rendant l'enseignement religieux facultatif, le défaut d'assiduité des élèves à ces cours donnant lieu, de façon régulière, à des conflits ;

- la loi n'abordant pas, de façon globale, la question de la place du religieux dans l'enceinte scolaire, il est à craindre que les établissements ne se trouvent confrontés à une hausse des demandes de création de lieux de prières ou d'aumôneries musulmanes.

En conclusion, M. Jacques Valade, président, a rappelé qu'au terme d'un débat au cours duquel un grand nombre de députés avaient pu s'exprimer, et qui se poursuivra prochainement au Sénat, l'Assemblée nationale avait adopté un amendement prévoyant l'évaluation de l'application de la loi un an après son entrée en vigueur.

Audition de Mme Hanifa Chérifi, chargée de mission auprès de M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, et médiatrice auprès des établissements d'enseignement pour les problèmes liés au port du voile

La commission a ensuite entendu Mme Hanifa Chérifi, chargée de mission auprès de M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, et médiatrice auprès des établissements d'enseignement pour les problèmes liés au port du voile.

Faisant observer que les premières apparitions, publiques et médiatiques, de jeunes filles voilées dans les établissements scolaires, encore peu nombreuses, avaient eu lieu en 1989, alors même que l'immigration était, en France, sédentarisée depuis longtemps, Mme Hanifa Chérifi a précisé que le port du voile n'était en rien lié à la manière de vivre l'islam chez la majorité des musulmans. Elle a indiqué que la réapparition du voile correspondait à la radicalisation d'une minorité de musulmans du fait de l'émergence d'un courant fondamentaliste, porté par la proclamation, le 11 février 1979, de la République islamique d'Iran, où l'ayatollah Khomeiny avait imposé le port du tchador.

Mme Hanifa Chérifi a fait référence au terme hidjab, signifiant en arabe « cacher », « mettre derrière un rideau », afin de désigner le voile qu'il est imposé aux fillettes de porter dès l'âge de 12 ans, recouvrant entièrement leurs cheveux, cou et oreilles, de façon à de ne laisser apparaître de leur corps que leur visage et leurs mains. Elle a indiqué que la pression morale s'exerçant sur ces jeunes filles, notamment au sein de leur milieu familial, était telle qu'elles refusaient d'ôter leurs tenues pour pouvoir assister aux cours d'éducation physique ou pour aller à la piscine.

Estimant le phénomène relativement rare à l'école primaire, n'ayant rencontré que 10 à 15 cas depuis 1994, Mme Hanifa Chérifi a néanmoins fait observer, d'une part, que le nombre de jeunes filles voilées était beaucoup plus important dès l'entrée au collège, et, d'autre part, que ce nombre avait connu une augmentation significative après 1989, dans la mesure où la position définie par le Conseil d'Etat dans son avis, en proscrivant toute interdiction générale et absolue du foulard, en autorisait implicitement le port.

Elle a ensuite souligné les effets pervers de la circulaire adressée aux chefs d'établissement en septembre 1994 par le ministre de l'éducation nationale, M. François Bayrou, dans un contexte de recrudescence du nombre de jeunes filles voilées dans les établissements scolaires. Considérée sans portée juridique, cette circulaire a contribué à faire émerger un important contentieux, portant sur le devant de la scène médiatique les affaires dites du voile, ce qui a conduit à la désignation d'une médiatrice pour le ministère sur ce thème.

M. Jacques Valade, président, ayant souhaité obtenir des précisions sur l'étendue du phénomène, Mme Hanifa Chérifi a précisé que le nombre de jeunes filles voilées dans les établissements scolaires était estimé à 2.000 en septembre 1994 (3.000 selon le ministre M. François Bayrou), 300 cas ayant été portés à sa connaissance pour le seul mois de décembre 1994, au début de sa mission, notamment dans les académies de Strasbourg, Lille et Lyon. Elle a ajouté que 120 procès contentieux avaient eu lieu depuis 1994, la plupart ayant donné raison aux jeunes filles voilées, ce qui les a fortifiées dans leur discours militant et standardisé, visant à mettre l'école hors la loi et à accuser les enseignants de ne pas respecter la laïcité.

Tout en faisant percevoir la dimension de crise d'adolescence comme facteur d'explication du comportement de ces jeunes filles, Mme Hanifa Chérifi a mis l'accent sur leur volonté, d'une part, de s'inscrire en rupture avec leur culture familiale et la façon de leurs parents de vivre l'islam, et d'autre part, de contester un modèle de promotion sociale par l'école dans lequel elles ne croient plus. Elle a indiqué que cette image dévalorisée de l'autorité parentale et ce rejet de la société française et de l'école les conduisaient, non pas vers un repli identitaire, mais vers la quête d'une identité de substitution, instrumentalisée par les courants fondamentalistes implantés en France depuis la « Marche des beurs », à la fin des années 1980. Elle a néanmoins souligné le paradoxe par lequel se traduit ce besoin de reconnaissance, les jeunes filles acceptant de revêtir un signe qui renvoie à l'aliénation de la femme et les inscrit dans une spirale de l'exclusion.

En réponse aux interrogations formulées par M. Jacques Valade, président, quant aux espoirs qu'il est possible d'offrir à ces jeunes filles, Mme Hanifa Chérifi a estimé que l'adoption du projet de loi contribuerait à les aider à sortir de l'enfermement de leur ghetto. Elle a précisé que ce n'étaient pas les jeunes filles, mais les organisations islamistes, qui les instrumentalisent, qui étaient visées par la loi, laquelle a permis, à l'occasion des manifestations de contestation, de les démasquer et de les dénombrer démontrant ainsi qu'il s'agit d'un mouvement prosélyte très minoritaire.

Enfin, elle a souligné l'importance du défi, pour l'école, de proposer des repères solides à ces jeunes en quête de références identitaires gratifiantes, afin qu'ils n'aillent pas trouver celles-ci auprès des prédicateurs prônant un islam radical.

M. Jacques Valade, président, a remercié Mme Hanifa Chérifi pour son témoignage fondamental et l'a interrogée sur les aspirations des jeunes filles concernées.

M. Louis Duvernois a demandé des précisions sur le nombre de cas litigieux relatifs au port du voile dans les établissements scolaires à l'heure actuelle, et sur leur évolution depuis 1994. Il a estimé, en outre, que des évolutions dans l'organisation du Conseil français du culte musulman seraient nécessaires, faisant remarquer que les musulmans modérés, représentés par Dalil Boubakeur, y étaient minoritaires.

Tout en réitérant ses doutes persistants quant à l'opportunité de la loi, laquelle ne rappelle pas, notamment, l'obligation d'assister aux cours d'éducation physique, Mme Annie David a exprimé ses craintes que la loi ne soit discriminante à l'égard des jeunes filles, déjà soumises à de fortes pressions, en les sanctionnant par l'exclusion et en leur fermant ainsi les portes de l'école et du savoir.

Citant le cas de Marseille, où les problèmes sont peu nombreux, en particulier grâce à la qualité de l'imam, M. François Picheral s'est interrogé sur la nature des pressions pesant sur les jeunes filles, non seulement celles émanant d'un entourage extrafamilial très masculin, mais aussi celle que peut constituer l'image de leurs grands-mères voilées.

Remerciant Mme Hanifa Chérifi pour la qualité de son exposé, Mme Danièle Pourtaud a précisé que les jeunes filles cherchaient, dans le port du voile, une mauvaise réponse à une bonne question, qui renvoie au fait que l'école ne joue plus son rôle d'ascenseur social. Elle a souligné l'ampleur du défi social et les efforts nécessaires, en parallèle à l'adoption de la loi, afin de sortir ces jeunes de leur statut de laissés pour compte. Elle s'est interrogée, par ailleurs, sur les moyens permettant de faire comprendre que la loi n'a pas pour objet de stigmatiser une religion.

Enfin, M. Pierre Martin s'est inquiété du degré d'interprétation des règles de la laïcité qu'il est possible d'admettre, tout en restant compatible avec leur strict respect.

En réponse à ces intervenants, Mme Hanifa Chérifi a apporté les précisions suivantes :

- la mise en place, en 1994, par l'éducation nationale, d'une structure de médiation, ajoutée à la vertu pédagogique de certaines exclusions, qui ont suscité, chez les autres jeunes filles, une prise de conscience de la gravité de la sanction, ont permis de canaliser, pour un temps, le nombre d'affaires liées au port du voile à l'école. Toutefois, la recrudescence d'un islam fondamentaliste, conjuguée à la création du Conseil français du culte musulman, à majorité radicale, a donné lieu à une forte augmentation du nombre de voiles, non seulement à l'école, mais aussi dans la rue ou dans l'intimité des foyers, le port du voile ayant ainsi tendance à se banaliser, y compris pour les mères de jeunes filles voilées.

S'il est difficile d'avancer des chiffres précis, la plupart des cas étant gérés par la voie du dialogue, il est néanmoins certain que le nombre de jeunes filles voilées est actuellement important, de l'ordre de 3.000 à 4.000 ;

- il est probable que l'adoption de la loi fera évoluer le CFCM, dans la mesure où l'UOIF (Union des Organisations islamiques de France) ne pourra pas aller à l'encontre de la loi républicaine, au risque de se mettre en porte-à-faux de la majorité des musulmans de France ;

- le fait de régler les problèmes par la voie disciplinaire, comme c'est actuellement le cas, crée une situation de discrimination à l'égard des jeunes filles voilées. Au contraire, aux termes de la loi, la sanction vise, non pas les jeunes filles, mais le signe religieux lui-même, afin que celles-ci puissent prendre appui sur la loi pour résister aux pressions, familiales ou extérieures, leur imposant le port du voile. La loi est le signe que la République leur vient en aide, alors que les prédicateurs islamistes, privilégiant le combat pour le voile, les encouragent à la déscolarisation, comme le fait le docteur Milcent dans son ouvrage publié en 1995, « Le foulard islamique et la République : mode d'emploi ». Désormais, les cas de déscolarisation à la suite d'une exclusion seront gérés au sein de l'éducation nationale ;

- les foulards traditionnels que portaient leurs grands-mères, différents d'une région à l'autre, étaient liés à des traditions méditerranéennes, qui évoluent, et non portés en référence à un dogme, qui, par définition, n'évolue pas ;

- notre défi est aujourd'hui d'aider les jeunes à trouver la bonne réponse à la bonne question, à savoir les aider à faire entendre leur voix, dans le respect des lois de la République, pour mettre en évidence les problèmes, bien réels, d'intégration et de promotion sociale, auxquels ils se trouvent confrontés ;

- les islamistes radicaux, ceux qui, précisément, constituent la cible du projet de loi, sont les premiers à tenir le discours de la stigmatisation de la religion musulmane, alors que la majorité des musulmans de France se sent discriminée, quant à elle, par la focalisation harassante des médias sur les affaires du voile, et les amalgames qui tendent à faire de ce problème celui de l'ensemble des musulmans.

Audition du pasteur Marcel Manoël, président du Conseil national de l'Eglise réformée de France, membre de la Fédération protestante de France (FPF)

La commission a ensuite procédé à l'audition du pasteur Marcel Manoël, président du Conseil national de l'Eglise réformée de France, membre de la Fédération protestante de France (FPF).

Le pasteur Marcel Manoël a indiqué que les Eglises membres de la Fédération protestante de France n'avaient que peu participé au débat sur le projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité et ne sont guère concernées par son application, dans la mesure où elles n'édictent aucune obligation concernant le port de signes religieux spécifiques par des enfants en âge scolaire.

Il a rappelé que la croix huguenote portée, généralement de manière discrète, par certains protestants qui souhaitent manifester leur identité spirituelle, n'avait pas de valeur religieuse.

Si les Eglises de la Fédération protestante ne s'opposent pas au projet de loi, il convient de souligner que leur organisation a plusieurs fois exprimé ses craintes à l'égard d'un texte préparé dans l'urgence et susceptible d'être considéré comme discriminatoire envers la religion musulmane, religion dont elle souhaiterait par ailleurs que le culte soit mieux intégré dans la société.

Le pasteur Marcel Manoël a indiqué que, sans ignorer les problèmes soulevés par le fondamentalisme religieux, la Fédération protestante regrettait que l'application du principe de laïcité se traduise par des mesures d'exclusion, résultat opposé aux objectifs affichés d'intégration et d'égalité. A cet égard, seraient mieux adaptées à ces objectifs des mesures d'éducation à la laïcité qui permettraient à la fois de comprendre la construction historique de ce principe, de favoriser une ouverture à la diversité des convictions et des opinions à travers un apprentissage de l'écoute de l'autre, du respect et du débat, et, enfin, de sensibiliser à la nécessité d'une règle de comportement dans les lieux destinés à la vie en commun.

Le pasteur Marcel Manoël s'est toutefois déclaré conscient que désormais, au regard du débat engagé, renoncer à légiférer pourrait apparaître comme une capitulation de la laïcité devant les forces adverses. En conséquence, il a souhaité que, pour l'application de la loi, les autorités administratives fassent preuve de l'empirisme et du sens de compromis raisonnable qui ont traditionnellement marqué la mise en oeuvre du principe de laïcité en France.

Il a souligné que la Fédération protestante avait eu l'occasion de manifester son attachement à la laïcité de la République et de l'Etat, principe qui comporte la garantie de la liberté de conscience et celle du libre exercice des cultes. Si les Eglises protestantes reconnaissent l'autorité du pouvoir législatif pour voter des lois nécessaires à l'ordre public, l'histoire les a rendues très circonspectes à l'égard de toute législation prétendant limiter l'exercice public d'un culte. A la logique de l'interdiction et de l'exclusion, la Fédération préfère celle du dialogue et du débat pour redonner force au lien social. En effet, au-delà des difficultés conjoncturelles, le débat actuel témoigne de la remise en cause de notre capacité à vivre ensemble.

Enfin, le pasteur Marcel Manoël a évoqué les difficultés que pourrait soulever l'interdiction du port de signes ou de tenues religieuses dans des espaces publics autres que l'école. A cet égard, il a rappelé que plusieurs communautés religieuses intervenant dans les milieux éducatifs ou sanitaires portaient un vêtement dont l'interdiction serait inévitablement ressentie comme une restriction des libertés religieuses. A titre d'exemple, il a évoqué la communauté des diaconesses et s'est interrogé sur la qualification éventuelle de l'uniforme de l'Armée du Salut comme signe religieux.

M. Jacques Valade, président, a remercié le pasteur Marcel Manoël pour son intervention qui témoigne d'une absence d'opposition au projet de loi et du souci de faire prévaloir des solutions inspirées d'un compromis raisonnable. En conclusion, il a salué la contribution de la communauté protestante à la vie publique et reconnu l'intérêt, pour les élus, d'être associés à sa réflexion.

Audition de M. Georges Dupon-Lahitte, président de la Fédération des parents d'élèves des écoles publiques (FCPE)

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Georges Dupon-Lahitte, président de la Fédération des parents d'élèves des écoles publiques (FCPE).

Après avoir rappelé que la FCPE entendait défendre le respect du principe de laïcité dans les établissements d'enseignement publics, M. Georges Dupon-Lahitte a regretté que le projet de loi, bien qu'il vise tous les signes religieux, se focalise essentiellement sur le port du foulard, stigmatisant ainsi les jeunes filles de confession musulmane.

Il a précisé que la Fédération ne défendait pas le port du foulard ou toute autre pratique visant à la soumission de la femme, mais s'interrogeait sur le choix fait, par les pouvoirs publics, de se limiter au champ des signes religieux, dont la plupart ne semblent pas présenter un réel danger pour la laïcité dans les établissements scolaires.

Indiquant que la réglementation en vigueur permettait de résoudre, au cas par cas, les principales difficultés liées au port du voile dans les établissements publics et de lutter efficacement contre les dérives communautaires, il a noté que le choix de se focaliser sur l'apparence des élèves conduirait à freiner l'intégration des jeunes filles dans notre société en les incitant à radicaliser leur comportement.

Il a ajouté que cette législation allait à l'encontre de la défense du droit des femmes et aboutirait paradoxalement à pénaliser les victimes que l'on prétend libérer, en les isolant dans un milieu qui leur impose des règles contraires aux principes républicains.

Il a considéré qu'une telle législation, en déniant à l'école de la République la capacité à éduquer les élèves aux valeurs qui la fonde, et à proposer aux victimes les éléments de leur propre libération, était un aveu de renoncement et d'impuissance susceptible de favoriser des dérives, dont certaines sont déjà à l'oeuvre. Ainsi, il a affirmé que le dépôt du projet de loi était déjà un prétexte invoqué par certains chefs d'établissement pour interdire abusivement, aux mères voilées, l'entrée des établissements scolaires.

Il a considéré que cette dérive était liée au caractère ambigu du projet de loi qui se contente d'appliquer, aux citoyens, une conception de la laïcité réservée à l'origine aux seules institutions. S'il convient de défendre les valeurs de la République, cette confusion pourrait se révéler dangereuse et favoriser le développement des tensions communautaires au sein de notre société.

Un débat s'est alors engagé.

M. Jacques Legendre a souhaité obtenir des précisions sur la nature des textes permettant à l'heure actuelle aux chefs d'établissement de résoudre les difficultés liées au port du voile dans les établissements publics. Il s'est demandé si le port d'un signe religieux ostensible ne traduisait pas, de fait, une certaine forme de prosélytisme.

M. Jacques Valade, président, a jugé les propos de M. Dupon-Lahitte particulièrement sévères à l'encontre du projet de loi. Il a ajouté que toutes les personnalités auditionnées, quelle que soit leur position sur le sujet, avaient fait l'effort d'écouter les points de vue opposés, afin de contribuer utilement à l'élaboration de la règle républicaine. Il a rappelé que le règlement intérieur de chaque établissement scolaire était tenu de respecter les dispositions législatives et réglementaires en vigueur et qu'il était inacceptable que certains règlements tentent de s'affranchir du respect de la hiérarchie des normes. Il a enfin indiqué que les parents devaient également veiller à ce que leurs enfants aient une tenue vestimentaire correcte pour se rendre à l'école.

M. Serge Lagauche a souligné que la FCPE ne devait pas se considérer comme la seule garante du respect des valeurs de la République, au simple motif que sa position est hétérodoxe. Il a rappelé que l'objectif de la représentation nationale n'était pas de stigmatiser une religion, en particulier, mais au contraire, de lutter contre le développement de tous les intégrismes religieux.

En réponse aux différents intervenants, M. Georges Dupon-Lahitte a apporté les précisions suivantes :

- concernant le port du voile, le nombre de cas ayant posé de réelles difficultés apparaît réduit au regard du nombre d'établissements et du nombre d'élèves que compte notre pays. Par ailleurs, il convient de préciser que la plupart de ces cas ont pu être réglés par la voie du dialogue ;

- il est regrettable que l'on ait décidé d'exclure du champ d'application du projet de loi les écoles privées sous contrat, dont on ne cesse de rappeler la mission de service public. Ce faisant, on court le risque de renvoyer celles et ceux qui souhaiteraient exprimer leurs convictions sans prosélytisme vers des écoles privées confessionnelles qui ne manqueront pas de se targuer d'être les seuls véritables espaces de liberté. Ce projet de loi risque en définitive d'affaiblir l'école laïque en rejetant volontairement des élèves qu'il faudrait au contraire prendre en charge afin de les initier aux valeurs républicaines ;

- la FCPE ne fait pas un procès d'intention à la représentation nationale, mais veut plutôt marquer son désaccord avec les choix qui ont été faits jusqu'à présent par le Gouvernement et l'Assemblée nationale. La fédération souhaite mettre en avant les risques de dérive que comportent ces choix et le fait que les chefs d'établissement ont toujours été enclins à prendre des libertés vis-à-vis des textes législatifs et réglementaires qu'ils sont censés respecter ;

- la FCPE regrette que les pouvoirs publics n'aient pas tenu compte des remarques formulées par la commission Stasi quant au champ d'application de la loi. Il aurait été nécessaire de ne pas limiter la réflexion sur la laïcité à l'école mais de traiter cette question sous ses différents aspects, en analysant notamment les phénomènes sociaux et économiques propices au développement des intégrismes.

Audition de Monseigneur Olivier de Berranger, évêque de Saint-Denis, accompagné de Monseigneur Stanislas Lalanne, secrétaire général de la Conférence des évêques de France

Puis la commission a procédé à l'audition de Monseigneur Olivier de Berranger, évêque de Saint-Denis, accompagné de Monseigneur Stanislas Lalanne, secrétaire général de la Conférence des évêques de France.

M. Jacques Valade, président
, a souhaité connaître la position de l'Eglise catholique sur le projet de loi tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale.

Monseigneur Olivier de Berranger, après avoir rappelé l'importance qu'elle accordait au dialogue interreligieux depuis le concile de Vatican II, a indiqué que l'Eglise catholique s'était interrogée moins sur le contenu du projet de loi que sur son opportunité. En effet, des craintes se sont manifestées de voir ce projet de loi nourrir une radicalisation des positions.

L'Eglise catholique est favorable à une conception ouverte de la laïcité, axée sur le respect des différences, notamment religieuses, et sur la formation à l'esprit critique. Il convient de prendre acte du projet de loi adopté de manière consensuelle par l'Assemblée nationale. L'Eglise catholique fera tout son possible pour maintenir le dialogue avec toutes les populations, y compris musulmanes, de façon à ce que la laïcité soit comprise non comme un principe d'exclusion, mais comme un vecteur de liberté.

Monseigneur Olivier de Berranger s'est ensuite soucié des suites données aux conclusions du rapport Stasi sur d'autres sujets que l'interdiction du port de signes religieux dans les établissements scolaires. Il a en effet fait observer que, dès lors que la misère sociale et la ségrégation se développaient, la délinquance et l'extrémisme apparaissaient. Face à ce constat, il convient de s'attacher à réduire les risques de marginalisation.

Il a estimé nécessaire de lutter contre les deux formes d'extrémisme que sont, d'une part, l'islamisme, auquel il faut se garder d'assimiler l'ensemble de la communauté musulmane, et, d'autre part, le laïcisme qui, au prétexte du respect de la liberté de conscience, ne reconnaît pas le fait religieux.

M. Serge Lagauche s'est demandé dans quelle mesure pourrait être revue la réglementation des aumôneries dans les établissements scolaires.

M. Bernard Fournier a indiqué que, lors de précédentes auditions, avait été évoquée la possibilité que la loi remette en cause certaines pratiques, telles que l'existence d'aumôneries ou l'intervention d'enseignants religieux dans les établissements scolaires.

M. Ambroise Dupont s'est demandé si des enfants de confession musulmane étaient scolarisés dans les écoles privées sous contrat de l'enseignement catholique.

Monseigneur Olivier de Berranger a observé que les écoles de l'enseignement catholique comptaient déjà beaucoup d'enfants de familles musulmanes et les avaient toujours bien accueillis.

Il a précisé que nombre d'aumôneries ne se situaient pas dans les enceintes des établissements scolaires.

Monseigneur Stanislas Lalanne a précisé que l'existence d'aumôneries, qui sont également ouvertes à d'autres religions, est reconnue par les textes et ne traduit pas l'existence d'un privilège de la religion catholique. Si elle assure la liberté de conscience, la loi de 1905 garantit également la liberté d'exercice des cultes, reconnaissant ainsi une valeur sociale à l'expression religieuse. L'éducation dispensée dans les aumôneries est l'occasion, pour les jeunes, de découvrir leur religion, mais également celle des autres, et participe à ce titre à la création de lien social. Il ne serait pas admissible que les conseils d'administration des établissements refusent de créer des aumôneries catholiques au motif que la communauté musulmane risque de formuler une demande similaire.

Il a estimé nécessaire, dans le débat actuel, de tenir compte de la place qu'occupe, en raison de l'histoire, l'Eglise catholique dans notre société.

M. Serge Lagauche s'est demandé dans quelle mesure la règle interdisant de subventionner les cultes pourrait évoluer de manière à faciliter, pour les musulmans, l'exercice de leur culte et à leur éviter de recourir à des sources de financement parfois contestables.

Monseigneur Olivier de Berranger a déclaré que des évolutions étaient possibles grâce au dialogue, tout en restant vigilant sur la nécessité d'éviter des manipulations.

M. Jacques Valade, président, évoquant le rapport de M. Jacques Legendre sur l'enseignement des langues étrangères, a souligné l'importance de l'apprentissage de l'arabe dans les établissements scolaires, qui constitue un signe de reconnaissance pour les populations musulmanes.

M. Josselin de Rohan s'est interrogé sur la différence entre laïcité et laïcisme.

Monseigneur Stanislas Lalanne a indiqué que la laïcité ouverte, notion utilisée par Monseigneur Olivier de Berranger, prenait en compte l'expression des religions dès lors qu'elle ne contrevenait pas à l'ordre public et conférait à l'éducation la mission d'apprendre les différences, entreprise dont il faut au demeurant reconnaître la difficulté. Par opposition, le laïcisme cantonne l'expression du fait religieux à la sphère privée.

M. Pierre Martin s'est demandé dans quelle mesure le principe de laïcité s'imposait aux établissements privés sous contrat.

Monseigneur Olivier de Berranger a reconnu que la question du voile ne s'était pas encore posée dans les établissements de l'enseignement catholique. Il a souligné que cet enseignement conférait une particulière importance à la formation au fait religieux, dans le souci d'assurer le respect des différentes croyances et de faire prévaloir le « vivre ensemble ».

Monseigneur Stanislas Lalanne a admis que les écoles privées seraient dans une situation délicate si elles devaient accueillir des enfants de familles qui souhaitent contourner la loi. Dans une telle situation, la voie du dialogue doit être réaffirmée.

M. Jacques Valade, président, évoquant la disposition introduite par l'Assemblée nationale dans le projet de loi, qui vise à faire précéder toute décision d'exclusion d'un dialogue, a souligné que cette étape ne constituait pas seulement une procédure supplémentaire, mais bien un mode de règlement des conflits qui devait être privilégié.

Audition de M. Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), accompagné de M. Roger Benarrosh, vice-président, et de Mme Elizabeth Cohen-Tannoudji, chargée de mission

La commission a ensuite entendu M. Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), accompagné de M. Roger Benarrosh, vice-président, et de Mme Elizabeth Cohen-Tannoudji, chargée de mission.

M. Roger Cukierman
a tout d'abord indiqué que le projet de loi en cours de discussion était un acte politique d'importance, permettant de rappeler, à tous les individus résidant sur le territoire national, la nécessité de se soumettre aux lois et aux usages de la République.

Il a rappelé que le CRIF n'était pas une institution religieuse, mais une fédération regroupant plus de 60 associations juives religieuses et laïques.

Après avoir souligné le caractère symbolique de la question du port des signes religieux par les élèves et s'être prononcé en faveur de la mise en place d'instances de dialogue au sein des établissements, il a insisté sur la nécessité d'enrayer le développement des intégrismes religieux en milieu scolaire en réaffirmant les principes fondamentaux de laïcité et d'égalité des sexes. A cet égard, il a estimé que le recours à la loi permettrait d'homogénéiser les pratiques des chefs d'établissement qui pouvaient, jusqu'à présent, en fonction des circonstances locales, prendre des décisions différentes face à des situations pourtant identiques.

Abordant les conséquences que pouvait avoir le projet de loi sur le port de la kippa, il a précisé que celle-ci n'était pas une nécessité impérieuse de la religion juive. Il a d'ailleurs fait remarquer que très peu d'élèves portant kippa fréquentaient l'école laïque et que ceux d'entre eux tenant absolument à la conserver en permanence avaient la possibilité de rejoindre l'enseignement privé.

M. Roger Benarrosh a rappelé que le débat concernant le respect du principe de laïcité ne devait pas se limiter à l'école et gagnerait à être étendu à d'autres sphères, et notamment aux universités, dans lesquelles il ne devrait pas être permis de faire valoir ses tendances politiques. A ce sujet, il a prôné le maintien d'une certaine vigilance, afin d'éviter l'exacerbation des tensions liées au contexte national et international.

Un large débat s'est ensuite instauré.

Après avoir salué les déclarations de M. Roger Cukierman, M. Jacques Legendre s'est déclaré préoccupé par les réactions de certains pays étrangers tendant à contester l'obligation, pour l'ensemble des personnes vivant sur le territoire français, de se soumettre aux lois de la République. Il s'est également inquiété du caractère éminemment politique du débat qui se profile derrière le débat religieux et marque l'apparition d'une forme de contestation politique. Il a, par ailleurs, exprimé la crainte que cette situation se développe à l'université.

M. Roger Cukierman a confirmé le caractère politique du débat, qui explique l'intervention de l'organisation politique qu'est le CRIF. Il a estimé que cette situation, signe d'une dérive très grave, justifiait l'adoption d'une loi marquant une volonté politique de réagir.

M. Jacques Valade, président, s'est interrogé sur l'acceptation par les jeunes des recommandations du CRIF, concernant en particulier la kippa. Il a demandé si les signes vestimentaires, tels que le port du keffieh ou du voile, ne correspondaient pas à des phénomènes de mode et à l'expression d'une opposition par les jeunes.

M. Roger Benarrosh a relevé qu'en dépit du caractère reconnu comme politique de ce type de manifestation, le port du voile n'était évoqué et défendu que sous l'aspect religieux. Estimant qu'il ne s'agissait plus aujourd'hui de phénomènes de mode, mais d'affrontements communautaristes, en particulier à l'université, il a demandé s'il ne conviendrait pas de rappeler les principes de la laïcité de façon plus générale et de veiller à leur application dans les universités et dans les services publics.

M. Roger Cukierman s'est inscrit en faux contre l'impression générale d'un affrontement entre les communautés juive et musulmane et il a insisté sur son caractère unilatéral qui, résultant de l'importation du conflit du Proche-Orient, touche la communauté juive et est inspiré par des motifs politiques. Il a estimé qu'il s'agissait là d'une « guerre menée par des groupes terroristes », cherchant à amener ce conflit proche-oriental en Europe.

M. Jacques Legendre a estimé que l'on ne pouvait reprocher à des étudiants majeurs leur engagement politique à l'université, mais que la loi devait en revanche réprimer le recours à des moyens violents, qui doit faire l'objet de poursuites.

M. Josselin de Rohan a évoqué les faits inquiétants relatés par « Les territoires perdus de la République », ouvrage collectif publié sous la direction de M. Emmanuel Brenner, relayant la montée des actes antisémites en France. Il a demandé quel danger véritable représentait la tentation d'une partie de la population immigrée d'origine musulmane d'importer les conflits proche-orientaux.

Mme Elizabeth Cohen-Tannoudji a indiqué que cet ouvrage collectif offrait une vision claire et exacte de l'inquiétante situation actuelle. Elle a précisé que des actes antisémites commis à l'école étaient dénoncés chaque semaine, qu'ils posaient le problème du climat de violence générale dans les établissements et que les fauteurs de troubles étaient en majorité issus des milieux de l'immigration. Elle s'est félicitée que les pouvoirs publics, en particulier le ministère de l'éducation nationale, prennent ces problèmes très au sérieux, mais elle a relevé les difficultés parfois rencontrées pour y sensibiliser l'ensemble des enseignants.

Répondant à une question de M. Michel Guerry concernant les problèmes de sécurité, M. Roger Cukierman a souligné la nécessité, à la fois de sanctionner, d'éduquer et d'intégrer. La sanction relève des ministres de l'intérieur et de la justice, qui font preuve d'une rigueur renforcée dans ce domaine, même si les juges se montrent parfois compréhensifs à l'égard des fauteurs de troubles ; les deux ministres chargés de l'éducation ont pris la mesure du problème et proposent de développer l'enseignement de l'éducation civique et de l'histoire des religions, en vue de renforcer la tolérance dans les écoles ; l'intégration relève d'un effort de plus long terme de l'ensemble de la société française.

Mme Elizabeth Cohen-Tannoudji a salué la concertation et la collaboration entre les ministères de l'éducation nationale, de l'intérieur et de la justice, afin que les procureurs, les préfets et les responsables d'académie travaillent ensemble à la prise en charge globale des problèmes d'antisémitisme. Elle s'est inquiétée de la diminution de l'âge des agresseurs, qui rend difficile le règlement des situations, et elle a souhaité que soient enseignées, dès le plus jeune âge, la tolérance et l'éducation civique.

Relevant que le comportement des enfants dépendait de l'éducation reçue tant à l'école qu'au sein de la famille, M. Jacques Valade, président, a jugé nécessaire et urgente une prise de conscience générale. Il a estimé qu'il conviendrait de sensibiliser la communauté éducative à ces problèmes, qui ne sauraient être réglés exclusivement par la loi.

M. Roger Benarrosh a estimé que les difficultés tenaient principalement à l'échec de l'intégration des auteurs des actes antisémites, qui constituaient des proies privilégiées pour la mouvance intégriste internationale. Il a jugé que, loin de poser exclusivement un problème d'antisémitisme, la situation constituait les prémices d'une déstabilisation et d'une remise en cause de la démocratie occidentale. Il a souhaité une prise de conscience générale de ce risque, au niveau de la communauté nationale.

Recherche - Audition de M. Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS

La commission a enfin entendu M. Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS, sur son rapport « Education et croissance » réalisé pour le Conseil d'analyse économique.

M. Elie Cohen a indiqué que ce rapport, rédigé avec M. Philippe Aghion, avait pour ambition de répondre à une question du Premier ministre concernant la relation entre l'enseignement et la croissance. Il a rappelé qu'à cet effet, le Conseil d'analyse économique avait analysé les théories et que les deux types d'approches, macro et microéconomiques, s'étaient révélées décevantes. Il a précisé qu'il s'était alors appuyé sur une approche mettant en valeur l'impact essentiel du niveau de développement technologique, d'où il résulte que l'impact relatif de l'enseignement supérieur et de l'enseignement secondaire, en termes de croissance, varie selon que l'économie est en phase de rattrapage ou est proche de la « frontière technologique ». Selon ce modèle, les économies en « phase de rattrapage et d'imitation » doivent concentrer l'investissement dans l'enseignement primaire et secondaire, qui contribue le plus au développement et à la croissance. Les pays les plus avancés, c'est-à-dire proches de la « frontière technologique » (déterminée en l'espèce par les Etats-Unis) doivent, quant à eux, privilégier l'investissement dans l'enseignement supérieur.

M. Elie Cohen a souligné le caractère très paradoxal de la situation française, qui conjugue un très bon système de formation des élites, par le biais des grandes écoles, l'existence de grands organismes de recherche spécialisés performants et des universités qui, avec des moyens relativement modiques, ont rempli leurs missions en faisant face au défi quantitatif et en accroissant le niveau de professionnalisation.

Il a noté que la double coupure historique entre grandes écoles et universités et entre universités et instituts de recherche s'inscrivait parfaitement dans la logique de rattrapage d'après-guerre, mais que ce système n'était plus adapté aujourd'hui, alors que la France est désormais proche de la « frontière technologique ». Il a précisé que la dégradation des indicateurs en matière de recherche (brevets, publications...), depuis 1995, montrait que l'Europe, dont la France, avait « décroché » par rapport aux Etats-Unis.

M. Elie Cohen a relevé que les Américains avaient transposé le modèle universitaire et de recherche allemand et qu'ils avaient combiné les trois pôles que constituent la production des connaissances (avec la recherche), la diffusion des connaissances (avec l'université) et leur transfert vers les entreprises. Il a souligné que la circulation souple entre ces trois pôles permettait de développer l'innovation, tandis que l'organisation du système français, trop cloisonné, n'était plus adaptée.

Il a constaté la faible visibilité des grandes écoles françaises à l'échelle mondiale, la dévitalisation des universités et la difficulté des grands instituts de recherche à définir leurs missions.

M. Elie Cohen a précisé que le Conseil d'analyse économique n'avait pas cédé à la tentation d'une remise en cause profonde du système, mais défendait l'idée d'une « réforme à la chinoise », c'est-à-dire graduelle, une nouvelle logique étant mise en place parallèlement au maintien du système ancien.

Il a estimé qu'un rattrapage budgétaire était nécessaire afin de permettre à la France d'entrer dans « l'économie de la connaissance ». Il a rappelé qu'au cours des dix dernières années, l'effort de recherche français était revenu de 2,5 à 2,1 % du produit intérieur brut (PIB), et qu'il convenait de rattraper ce niveau, les autres pays occidentaux, -qui avaient connu la même évolution au début des années 1990, ayant, depuis 1995, renforcé leurs efforts.

Compte tenu de cette diminution des moyens consacrés à la recherche et à l'enseignement supérieur, il a suggéré qu'un financement supplémentaire, de l'ordre de 0,5 % du PIB de la France, lui soit consacré, sous réserve d'une affectation différente des moyens, privilégiant le financement de projets sur appel d'offres, sur la base d'une procédure d'examen par les pairs, y compris étrangers, et d'instances d'évaluation les plus larges possible. Il a insisté sur le caractère vertueux d'un tel système d'incitation sur les structures existantes.

Rappelant que, face au constat des dysfonctionnements du système français, les tentatives de réforme s'étaient toujours heurtées à des résistances au changement, M. Elie Cohen a fait valoir que les propositions du rapport permettraient de sortir de « la querelle des préalables », qui suppose que l'on réforme le système avant d'y injecter des moyens supplémentaires et aboutit au blocage. Il a estimé que de nouvelles modalités d'affectation de financements supplémentaires permettraient la mise en place progressive d'une organisation nouvelle, par le biais de la contagion d'un modèle plus vertueux.

A l'issue de cet exposé, un large débat s'est instauré.

M. Pierre Laffitte a félicité l'orateur avec lequel il s'est déclaré en accord total. Il a précisé que les dépenses américaines en faveur de la recherche dépassaient de 50 milliards de dollars par an le budget que lui consacre l'Europe.

Il a partagé l'idée qu'il ne fallait pas « casser le système », mais qu'il s'avérait nécessaire, au-delà du financement des structures, de financer des projets. Il a rappelé que le budget de la recherche pour 2004 traduisait cette ambition, mais avait contribué aux réactions des chercheurs. Il a ajouté que cette évolution s'était, il est vrai, accompagnée d'une légère érosion des ressources attribuées aux structures et que le problème de la fuite des cerveaux aux Etats-Unis ne pourrait être résolu que par une injection massive de moyens, affectés selon des critères plus proches des critères américains et en évitant les défauts de la bureaucratie bruxelloise. Il a rappelé qu'il avait, à l'occasion d'un colloque au Sénat, le 30 septembre dernier, lancé l'idée d'un emprunt massif de 150 milliards d'euros par la Banque européenne d'investissement, que devraient demander les chefs d'Etat européens. Il a estimé qu'une telle opération, menée sur trois ans, permettrait de compenser le manque d'attractivité aujourd'hui constaté et favoriserait le retour d'une grande majorité des 550.000 chercheurs européens exerçant leur activité aux Etats-Unis.

Evoquant le titre du rapport du Conseil d'analyse économique « Education et croissance », M. Jaques Valade, président, a estimé que les défauts de l'organisation française de l'enseignement supérieur et de la recherche, se traduisaient par la faiblesse de la recherche universitaire, alors même que la réussite de l'enseignement supérieur dépendait de la qualité de la recherche.

M. Elie Cohen a estimé que la proposition de M. Pierre Laffitte relayait en quelque sorte le souhait exprimé par M. Jacques Delors, voilà dix ans, alors qu'il présidait la Commission européenne, d'un emprunt européen permettant de financer de grandes infrastructures transfrontalières ; des raisons juridiques, tenant à l'absence de capacité d'emprunt de l'Union européenne, avaient empêché la concrétisation de cette initiative. Il a précisé que la nécessaire imputation d'un tel endettement sur le budget de chaque Etat membre rendait ce projet difficile, compte tenu du contexte budgétaire actuel. Il a cependant insisté sur la nécessité de mettre en oeuvre de nouveaux moyens financiers et de « sortir des préalables » et, dans ces conditions, s'est déclaré confiant dans la capacité de rattrapage et de rebond, ainsi que l'a récemment illustré la recherche allemande dans le domaine des sciences de la vie.

M. Elie Cohen a, par ailleurs, estimé qu'un regroupement des grandes écoles parisiennes autour du projet « Paristech » permettrait d'accroître leur capacité d'attraction.

M. Pierre Laffitte a suggéré que ce projet soit étendu aux pôles universitaires de troisième cycle d'excellence de la région parisienne.

Evoquant la situation des universités de Bretagne, M. Josselin de Rohan a indiqué que les quatre présidents des universités concernées avaient accepté un regroupement, avec les écoles d'ingénieurs, autour d'un grand pôle universitaire, et avaient pour ambition de réaliser une « académie numérique ». Il s'est déclaré convaincu des possibilités qu'offre une telle logique de projets, autour de la constitution de réseaux qui ne demandent qu'à être encouragés.

En tant que présidente du conseil d'administration de l'Ecole supérieure physique chimie industrielles Ville de Paris (ESPCI) et adjointe au maire de Paris chargée de l'enseignement supérieur, Mme Danièle Pourtaud a déclaré partager le diagnostic posé par l'orateur. Elle a toutefois rappelé l'existence de coopérations entre grandes écoles et universités et elle a relevé que le « détricotage » des universités Paris VI et Paris VII, pour des raisons immobilières, prouvait la réalité des partenariats avec les instituts de recherche, les entreprises et les grandes écoles... Elle s'est déclarée favorable à l'attribution de moyens supplémentaires à des projets déterminés, mais elle a souhaité que les critiques à l'encontre du système existant soient mesurées, compte tenu du découragement actuel des chercheurs.

M. Jacques Valade, président, a jugé que les problèmes tenaient plus aux mentalités qu'aux moyens et que la « culture d'établissement » nuisait à l'évolution de l'enseignement supérieur et de la recherche, que seul un choc psychologique d'importance permettrait.

M. Pierre Laffitte a rappelé l'existence, en France, de pôles d'excellence remarquables (dans les domaines nucléaire, parapétrolier, des transports, de l'aéronautique...), mais il s'est montré préoccupé par le déclin de la recherche dans les sciences de la vie. Il a souligné la faiblesse du capital risque en Europe et la nécessité d'encourager le financement privé ainsi que les projets associant secteurs privé et public. Il a relevé que la recherche privée américaine n'était proportionnellement pas très supérieure à celle de l'Europe et de la France, mais que la volonté politique américaine de développer la recherche était très forte.

En réponse à M. Michel Guerry, M. Elie Cohen a indiqué qu'aux Etats-Unis et en Irlande, contrairement à la France, des fonds publics étaient consacrés à des programmes privés, menés par des laboratoires tant publics que privés. Il a, par ailleurs, souligné le niveau de spécialisation atteint par les Etats-Unis dans certains domaines, en particulier dans le secteur biomédical.

M. Elie Cohen a estimé que la France ne prenait pas assez la mesure du « basculement vers une économie de la connaissance » et de la rapidité de l'évolution des spécialisations, ce qui la freine pour atteindre la nouvelle « frontière technologique ». Il a observé que les coopérations existantes n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu et a cité l'exemple de la Chine, qui, en un an, a conquis 25 % des parts de marché des « produits bruns » aux Etats-Unis.

Mme Danièle Pourtaud a partagé le souhait de l'orateur de « sortir des préalables » et s'est interrogée sur la réelle capacité des chercheurs français à travailler avec leurs collègues européens.

M. Elie Cohen a évoqué le rapport de M. Sapir, qui a souligné la supériorité de l'effet de levier que constituerait un effort massif en faveur de l'éducation, de la recherche et du développement, par rapport aux dépenses européennes actuelles, à budget constant. Il a estimé que l'échelle européenne était la bonne, mais que les procédures du programme-cadre de recherche et développement (PCRD) européen n'étaient pas adaptées.

M. Pierre Laffitte a confirmé ce point de vue et mis en évidence la plus grande efficacité du dispositif Eurêka. Il a estimé nécessaire un financement européen de la recherche, qui dépend d'une volonté politique.