Travaux de la commission des affaires culturelles



Mercredi 7 juillet 2004

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Culture - Audition de M. Jean-Paul Cluzel, président-directeur général de Radio France

La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Paul Cluzel, président-directeur général de Radio France, accompagné de MM. Martin Adjari, directeur général délégué pour la gestion et la production, Patrice Cavelier, secrétaire général, et Mme Valérie Charolles, directrice des affaires économiques et financières.

M. Jacques Valade, président, après avoir rappelé que M. Jean-Paul Cluzel avait été nommé à la tête de Radio France au moment où la radio publique devait faire face à d'importants défis, tant sur le plan social que sur le plan technologique, a souhaité que le nouveau président-directeur général dresse un état des lieux de la situation et présente ses projets pour le développement de son groupe.

M. Jean-Paul Cluzel a indiqué que Radio France, qui emploie plus de 4.000 collaborateurs permanents, dont 600 journalistes, demeurait le plus important groupe radiophonique national : ses 7 chaînes de format différent réalisent en effet près de 28 % de l'audience nationale.

Après avoir souligné que 90 % des ressources de la société, soit 469 millions d'euros sur un budget global de 500 millions d'euros, provenaient de la redevance audiovisuelle, il a fait remarquer que la part de la redevance allouée à la radio avait fortement diminué au cours de la dernière décennie, avant de se stabiliser au cours des trois dernières années : elle est ainsi revenue de 30 % du produit total de la redevance en 1987 à 18 % aujourd'hui.

Il a précisé que la structure des dépenses de Radio France, à l'image de celle de Radio France International (RFI) et des autres stations de radio privées, se caractérisait par l'importance des charges de personnel. Ces dernières représentent ainsi 57  % du budget de la société, contre 25 % pour France Télévisions, cette situation s'expliquant par la production en interne de l'essentiel des programmes diffusés à l'antenne.

Il a affirmé que la dynamique propre de la masse salariale liée à cette structure des dépenses, supérieure à 4 % par an au cours des dernières années, nécessitait un financement public complémentaire compris entre 2 % et 3 % par an et ne pouvait être compensée par un recours accru aux recettes publicitaires, un nouvel allongement des plages publicitaires diffusées aux heures de grande écoute, le matin en particulier, ne paraissant pas conforme aux obligations de service public imposées à la société.

Il a indiqué que le premier défi auquel devait faire face la nouvelle direction était celui d'une érosion de l'audience au niveau du média radio : celle-ci a perdu 2 % en 2004 et si cette tendance se confirmait, la diminution pourrait atteindre 30 % sur les dix prochaines années.

Il a noté qu'à cette érosion générale de l'audience des services de radio s'ajoutaient des difficultés spécifiques aux chaînes du service public. Il a ainsi souligné que 50 % des auditeurs de Radio France avaient plus de 50 ans et que les émissions matinales, qui sont traditionnellement les plus écoutées, connaissaient un effritement inquiétant de leur audience. Soulignant qu'une radio de service public devait s'adresser à tous les publics, il a affirmé que le renouvellement de l'audience et la mise à l'antenne de programmes matinaux de qualité susceptibles d'attirer de nouveaux auditeurs, en particulier les jeunes, feraient partie des priorités de la nouvelle équipe dirigeante.

Concernant la situation sociale de l'entreprise, il a rappelé que Radio France avait connu une situation tendue au cours de l'hiver : au terme de la plus longue grève jamais entreprise par les journalistes de la société, la direction a dû se résoudre à accorder une augmentation générale des rémunérations de 3 % en 2005 en sus de la progression normale de la masse salariale.

Il a par ailleurs indiqué qu'une décision de justice obligeait la direction de Radio France à constater chaque année, en application des accords Servat, les éventuelles disparités de rémunération existant entre les journalistes employés par les sociétés nationales de télévision et ceux de Radio France. Après avoir précisé que ce constat porterait non seulement sur le niveau des salaires, mais aussi sur le contenu des tâches effectuées, le rythme de travail et le nombre de jours travaillés dans les autres entreprises publiques audiovisuelles, mais aussi à Europe 1 et RTL, il a souhaité qu'il ne fasse pas apparaître des différences de traitement trop importantes entre les journalistes de Radio France et les autres.

Il a ajouté que les partenaires sociaux demandaient l'ouverture de négociations sur les problèmes de droit sur internet, Radio France disposant du premier site multimédia d'information en langue française, ainsi que sur les questions liées à la multicollaboration des journalistes.

Après avoir relevé que l'ensemble de ces coûts éventuels devaient correspondre à l'enveloppe allouée à Radio France par les pouvoirs publics, il a précisé qu'il souhaitait engager une réflexion sur l'évolution souhaitable des métiers de la radio au regard du développement des technologies numériques, cette évolution pouvant contribuer à desserrer la contrainte financière engendrée par l'augmentation des charges et la stagnation des ressources de la société.

Evoquant la mise en sécurité de la maison de la radio, dont le coût est estimé à 168 millions d'euros au cours des huit années à venir, il a indiqué qu'il attendait les résultats de deux missions d'expertise sur le sujet, l'une lancée par l'inspection des finances et l'autre par une filiale de la Caisse des dépôts et consignations. Il a noté que ces travaux, en dépit des contraintes logistiques et financières qu'ils imposent, pouvaient paradoxalement être une chance pour Radio France : la rénovation de ces structures doit en effet être l'occasion d'aborder le sujet de la modernisation des méthodes de travail des personnels de France Inter, France Culture et France Musiques.

Compte tenu de la structure des dépenses des groupes de radio et de l'importance prise par la masse salariale, il a souligné la nécessité d'une croissance dynamique du produit de la redevance. Il a estimé que les besoins normaux de Radio France et les conséquences du conflit social de l'hiver dernier nécessitaient une progression de 3,3 % du produit de la redevance pour 2005, cette progression atteignant 5,5 % si une première tranche de travaux immobiliers devait être financée.

Au-delà de la volonté du ministère de l'économie et des finances de réformer le mode de perception de la redevance en 2005, il a souligné que les pouvoirs publics pouvaient difficilement faire l'économie d'une réflexion concernant une augmentation du taux de cet impôt afin de répondre au besoin de financement des différentes sociétés nationales de l'audiovisuel public. Il a précisé qu'en contrepartie d'une augmentation régulière des ressources allouées à Radio France, la société s'engagerait dans une démarche de modernisation symbolisée par la signature d'un contrat d'objectifs et de moyens.

Un débat s'est alors engagé.

M. Jacques Valade, président, a indiqué qu'il avait fait part au ministre de la culture et de la communication de la nécessité d'une augmentation du taux de la redevance pour faire face aux besoins financiers de l'audiovisuel public, déjà proposée l'an dernier par certains membres de la commission des affaires culturelles du Sénat, mais qui s'était heurtée au refus du Gouvernement.

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis des crédits de la communication, a souhaité savoir quelle était la définition, pour le personnel de Radio France, des missions de service public de la société. Il s'est demandé si une véritable réflexion avait été engagée sur ce sujet et s'il existait des études sociologiques permettant de cerner précisément les caractéristiques des auditeurs écoutant les radios publiques.

Concernant les moyens budgétaires alloués aux sociétés nationales de programmes, il a regretté que le Parlement n'ait pas réussi à se mobiliser en faveur d'une revalorisation modérée de la redevance lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2004.

Après avoir rappelé que le plan de fréquences en vigueur était assez généreux à l'égard de Radio France, il s'est interrogé sur la possibilité de rationaliser ce plan, afin de réattribuer une partie de la ressource radioélectrique aux radios d'information politique et générale privées.

Il a enfin souhaité connaître le sentiment de M. Jean-Paul Cluzel sur l'idée d'un éventuel rapprochement entre Radio France et Radio France International.

M. Pierre Laffitte a rendu hommage à la qualité des émissions de France Culture et de France Musiques et a salué le travail accompli par les équipes de Radio France. Il a néanmoins dénoncé la partialité caractérisant la relation de certaines informations sur France Info.

Après avoir souligné l'importance accordée par la commission des affaires culturelles à la diffusion de la culture scientifique et technique, il a regretté que ce sujet important n'ait pas encore trouvé la place qui devrait être la sienne sur les ondes du service public.

M. Ivan Renar, se félicitant de la qualité des programmes proposés par les stations du groupe Radio France, a indiqué qu'il était favorable à une augmentation des ressources publiques qui lui sont allouées.

Il a affirmé que Radio France devait se garder de proposer « des programmes pauvres pour pauvres gens » et a fait part de son inquiétude quant à la dérive populiste constatée à l'écoute de certaines stations du réseau France Bleu.

Rappelant que Radio France avait la direction d'un choeur, d'une maîtrise et de deux orchestres professionnels, il a souligné la difficulté pour les autres orchestres à accéder aux antennes de France Musiques. Il a notamment estimé que France Musiques n'était pas fondée à demander à ces formations musicales une clause d'exclusivité tacite pour la retransmission de leurs performances, celles-ci souhaitant légitimement pouvoir être diffusées régulièrement sur d'autres ondes.

M. Jean-François Picheral a rendu hommage aux équipes dirigeantes qui se sont succédé à la tête de Radio France au cours des années écoulées et qui ont dû composer avec des conditions matérielles et financières difficiles.

Après avoir mis en avant l'attachement des Français aux médias locaux, il s'est demandé si le réseau France Bleu était concerné par les baisses d'audience constatées en début d'année. Il a considéré qu'un véritable effort de communication en direction du public était nécessaire, afin de promouvoir ce réseau particulièrement bien adapté à l'information locale.

M. André Vallet a estimé que les différentes stations de Radio France n'avaient pas l'audience qu'elles méritaient et s'est interrogé sur la volonté des collaborateurs de la société de renverser cette situation. Il a également souhaité obtenir des informations relatives aux audiences obtenues par les autres groupes radiophoniques publics européens.

Il a regretté que, faute d'une programmation adaptée, France Musiques soit dépassée par des radios privées et s'est interrogé sur l'opportunité d'une refonte de la grille des programmes.

Concernant plus particulièrement France Inter, il a regretté que les auditeurs soient forcés de passer de la modulation de fréquences aux grandes ondes pour suivre la retransmission des compétitions sportives.

M. Alain Dufaut a, quant à lui, réaffirmé l'attachement des élus locaux au réseau France Bleu et a souligné la nécessité de rendre à l'information locale la place prépondérante qui était la sienne sur ses antennes.

Répondant aux différents intervenants,M. Jean-Paul Cluzel a apporté les précisions suivantes :

- afin de définir des orientations stratégiques claires permettant de répondre efficacement aux attentes des auditeurs, il paraît essentiel de connaître la sociologie de ces derniers. Cette démarche essentielle a été initiée par la nouvelle équipe dirigeante, qui a d'ailleurs présenté une première étude, sur ce sujet, lors du dernier Conseil d'administration. Ces études auront vocation à circuler en interne, afin que chaque collaborateur de Radio France puisse prendre conscience de l'identité réelle de son auditoire.

Concernant les auditeurs les plus jeunes, la situation n'est pas satisfaisante : 5 % seulement des auditeurs de France Info ont moins de 25 ans. La seule radio qui connaît un véritable succès auprès des jeunes est Le Mouv', qui émet dans 17 villes et réalise des taux d'audience de 7 % à 14 % par jour. La présence du Mouv' et de France Bleu dans les banlieues doit être une priorité pour Radio France, les stations du service public pouvant constituer une alternative de qualité aux chaînes commerciales ;

- France Inter et France Info sont certainement les stations nationales réservant le plus important temps d'antenne aux débats politiques et économiques. Quelques améliorations peuvent certes être envisagées, en matière de présentation et de travail éditorial notamment : le pluralisme d'une rédaction ne doit pas forcément résulter de l'addition des différentes sensibilités politiques des membres d'une rédaction, mais plutôt du travail collectif réalisé par celle-ci ;

- les différentes stations de Radio France ont un public très fidèle, mais qui se renouvelle peu. Plus qu'une évolution des contenus, cette situation appelle un important travail de communication destiné à faire connaître les programmes proposés par chacune d'entre elles aux auditeurs potentiels. Un poste de directeur général adjoint chargé de la communication vient d'être créé à cet effet ;

- Radio France va lancer prochainement des partenariats avec les grandes formations orchestrales et les théâtres lyriques ;

- si Radio France utilise plus de 3.000 fréquences, le maillage du territoire n'est pas pour autant parfait, les émetteurs de télévision TDF utilisés pour la diffusion des services de radio étant implantés dans les campagnes et non directement dans les villes. Radio France a d'ailleurs entrepris de mettre en concurrence TDF avec la filiale de NRJ, afin d'optimiser l'utilisation des fréquences qui lui sont allouées.

Les équipes techniques de Radio France participeront activement au groupe de travail « Fréquences 2006 » lancé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, afin d'optimiser la couverture territoriale des différentes stations du groupe et de remettre éventuellement à disposition de l'autorité de régulation la ressource radioélectrique inutile ;

- l'isolement de RFI pourrait lui être préjudiciable et l'idée de créer un pôle audiovisuel extérieur multimédia à l'image de celui constitué par la BBC ou la Deutsche Welle paraissait séduisante. Les pouvoirs publics en ont décidé autrement. Dans ces conditions, un rapprochement à moyen terme entre RFI et Radio France paraît s'imposer et le remplacement récent des équipes dirigeantes constitue une réelle opportunité pour modifier l'architecture du service public radiophonique. L'idée d'une présidence commune n'ayant pas été retenue, les deux sociétés nationales continueront leurs coopérations ponctuelles, notamment en matière de programmes sportifs ;

- si la création d'un réseau national composé de stations locales est une excellente idée, l'offre de France Bleu reste toutefois perfectible. La ligne éditoriale du réseau, tout comme sa structure, peuvent ainsi être affinées sur la base d'études qualitatives et les ateliers de création régionaux méritent d'être redynamisés afin de contribuer de manière plus importante à la programmation de chacune des stations.

L'audience de France Bleu est stable : le réseau semble avoir trouvé un bon compromis entre programmes nationaux et programmes locaux, la part d'antenne consacrée à l'information nationale permettant aux auditeurs d'avoir une vision globale de l'actualité ;

- une récente étude de l'Union européenne de radiodiffusion permet de constater qu'avec près de 30 % de l'audience nationale, Radio France se situe dans la moyenne des résultats obtenus par les autres groupes radiophoniques publics européens ;

- la programmation proposée par le nouveau directeur de France Musiques devra répondre aux attentes des auditeurs en proposant de véritables explications des différents morceaux de musique diffusés et en privilégiant la diffusion de larges plages consacrées à un même genre musical ;

- une émission sur la culture scientifique sera programmée à la rentrée sur les ondes de Radio France ;

- le problème du décrochage de la modulation de fréquences vers les grandes ondes pour la retransmission des manifestations sportives mérite d'être étudié.

Consommation - Soutien à la consommation et à l'investissement - Communication

M. Jacques Valade, président, a ensuite informé la commission que le Sénat allait prochainement examiner le projet de loi n° 387 (2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, pour le soutien à la consommation et à l'investissement, dont l'article 8 (nouveau) modifie le dispositif de calcul de la redevance d'archéologie préventive pour remédier aux cas aberrants qui ont pu être constatés.

Après avoir rappelé que la commission s'était fortement impliquée dans la discussion de la loi du 17 janvier 2001, puis dans celle du 1er août 2003 relatives à l'archéologie préventive, dont le rapporteur était M. Jacques Legendre, il a proposé aux commissaires de mandater ce dernier pour rappeler, à l'occasion de la discussion de cette nouvelle disposition, les positions prises par la commission, et pour déposer, le cas échéant, un amendement permettant d'en assurer le plein respect.

Groupe de réflexion sur la création culturelle - Communication

La commission a enfin approuvé à l'unanimité les conclusions du groupe de réflexion sur la création culturelle présentées par M. Jacques Valade, président, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.