Travaux de la commission des affaires culturelles



Mercredi 15 juin 2005

- Présidence de M. Jacques Valade, président, puis de M. Pierre Martin, vice-président du groupe d'étude des problèmes du sport et des activités physiques -

Football - Audition de M. Philippe Diallo, directeur général de l'union des clubs professionnels de football (UCPF)

A titre liminaire, M. Jacques Valade, président, s'est réjoui que, répondant à la demande qu'il avait formulée au nom de la commission et du groupe d'étude des problèmes du sport et des activités physiques, le Président du Sénat organise le lundi 20 juin prochain une manifestation de soutien du Sénat à la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2012. Cette soirée « 2012 jeunes pour Paris 2012 » se déroulera dans les Jardins du Sénat, en présence de M. Jean-François Lamour, ministre des sports, et M. David Douillet, médaillé d'or aux Jeux olympiques.

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Philippe Diallo, directeur général de l'union des clubs professionnels de football (UCPF).

Invité à s'exprimer sur la situation des agents de joueurs en France, M. Philippe Diallo a indiqué que le football était le sport le plus concerné par cette question complexe, dont les dérives nuisent à l'image du sport.

Il a souligné que le football avait connu, au cours des vingt dernières années, une très forte croissance économique, alors qu'il reposait encore sur des structures associatives qui n'étaient pas prêtes à l'assumer. A titre d'exemple, les droits de retransmission télévisée sont passés de 500.000 euros par an en 1984 à près de 500 millions d'euros aujourd'hui.

Il a précisé, en outre, que le marché du travail du football était devenu mondial : ainsi 46 nationalités se côtoient dans l'équipe de Manchester United.

M. Philippe Diallo a estimé que la conjugaison de ces deux phénomènes avait favorisé l'émergence de la profession d'agent sportif, d'une part, pour répondre au besoin d'accompagnement ressenti par les joueurs dans leur recherche d'emploi, d'autre part en raison de la perception du monde du football comme un nouvel Eldorado, alors que les transferts de joueurs peuvent atteindre entre 150 et 250 millions d'euros.

Il a rappelé que les clubs s'étaient d'abord montrés réticents face à l'arrivée des agents, avant d'accepter leur intervention, en raison du caractère de plus en plus juridique des contrats.

Toutefois, il a regretté que la nécessité d'encadrer leur activité ait abouti à l'adoption, en juillet 2000, de dispositions législatives qui sont en décalage avec la réalité du fonctionnement des clubs, des agents et des joueurs.

Il a précisé, en effet, que, dans un milieu désormais mondialisé, la France était le seul pays à s'être doté d'une législation relative aux agents sportifs, les autres pays régissant cette activité sur la base du règlement édicté par la FIFA (Fédération Internationale de Football Association).

Considérant que les clubs, les agents et les sportifs assumaient chacun une part de responsabilité dans ce décalage entre les règles et la pratique, il a souligné, en premier lieu, une certaine déresponsabilisation des joueurs, qui ne donnent pas de mandat aux agents, ou ne le font qu'une fois leur transfert opéré.

Puis il a rappelé qu'il existait en France entre 140 et 150 agents licenciés pour seulement 800 à 900 joueurs, si bien que nombre d'entre eux n'ont pas d'activité. Il a indiqué, de surcroît, que la population des agents sportifs était difficile à cerner, compte tenu de l'intervention de collaborateurs qui s'improvisent parfois agents.

M. Philippe Diallo a insisté, ensuite, sur les difficultés liées aux modalités de rémunération des agents.

Alors qu'aux termes de la loi, seul le mandant peut recevoir la rémunération, celui-ci n'est pas toujours facile à identifier, et, par ailleurs, les joueurs ne souhaitent pas payer les agents. Il s'est étonné que la France soit ainsi le seul pays au monde où les agents ne peuvent pas être rémunérés par les clubs. Estimant que ce décalage entre les dispositions législatives et la pratique était source d'insécurité juridique, il a souhaité une adaptation de la réglementation, dans le sens d'une plus grande transparence.

Un débat a suivi l'exposé de M. Philippe Diallo.

M. Pierre Martin, président, a demandé si le montant des transferts évoqués dans l'exposé concernait les joueurs français. Puis il a souhaité savoir si le contrôle des finances des clubs par la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) permettait d'identifier les rémunérations versées aux agents, avant de s'interroger sur le montant de ces commissions. Il s'est inquiété, ensuite, des conditions d'exercice et de contrôle des agents étrangers venant travailler en France. Enfin, il a demandé des précisions au sujet des rumeurs selon lesquelles certains entraîneurs joueraient le rôle d'agent.

Alors que la France est le seul pays à avoir légiféré en la matière, M. Jean-François Humbert a souhaité savoir si la procédure d'accès à la profession d'agent, mise en place par la loi du 6 juillet 2000, fonctionnait bien. Il a rappelé, à cet égard, qu'un récent rapport d'enquête remis à M. Jean-François Lamour relevait le recours massif, par la fédération française de football, au dispositif dérogatoire basé sur la prise en compte des acquis de l'expérience. Puis il s'est interrogé sur le nombre d'agents étrangers exerçant en France, ainsi que sur les raisons pour lesquelles les joueurs ne rémunèrent pas eux-mêmes les agents.

M. Jacques Blanc a estimé qu'une législation nationale n'avait guère de sens dans un domaine à dimension européenne, voire mondiale. A titre de comparaison, il a cité les difficultés liées à l'application de la loi Evin en matière de publicité, lors des retransmissions sportives à la télévision. Il a considéré qu'une approche globale devait être privilégiée, adaptée à la réalité et fondée sur des engagements réciproques. Puis il a salué les progrès déjà réalisés par le monde du football pour évoluer vers davantage de transparence, notamment avec la mise en place du contrôle financier des clubs.

Relevant que les agents trouvent un intérêt financier dans les transferts des joueurs, M. Thierry Repentin s'est demandé si, d'expérience, les décisions de mutation reposaient sur les agents ou sur les joueurs.

En réponse à ces différentes questions, M. Philippe Diallo a apporté les précisions suivantes :

- le contrôle de gestion des clubs réalisé par la DNCG permet d'identifier les commissions versées aux agents, dont le nom est indiqué sur le contrat des joueurs ; ainsi, d'un point de vue formel, la procédure de rémunération est tout à fait légale, mais tout le monde sait que cela est factice ;

- si la loi fixe à 10 % le montant de la commission versée aux agents, celle-ci varie entre 5 et 7 % du montant du salaire figurant sur le contrat de travail du joueur, pour l'ensemble de la durée de ce contrat ; soit la commission est versée en globalité au moment de la signature du contrat, soit son paiement est étalé sur la durée du contrat ; cette dernière possibilité, destinée à se prévaloir contre les mouvements de joueurs en cours de contrat, pose toutefois problème, sur un marché international concurrentiel, mais aussi pour des raisons fiscales ; en effet, même si son paiement est étalé, la totalité de la commission est imposable dès la première année de son versement ;

- le marché européen du football est actuellement estimé à 12 milliards d'euros, concentrés sur les cinq grands marchés de transferts que sont la France, l'Allemagne, l'Espagne, la Grande-Bretagne et l'Italie ; les commissions versées aux agents représentent environ 7 à 10 % de ce montant ;

- de nouveaux investisseurs, notamment russes ou chinois, font leur entrée dans le monde du football, sans que l'on dispose encore de moyens de contrôle ; par ailleurs, des clubs comme Chelsea, qui pratiquent des tarifs prohibitifs, déstabilisent le marché en créant une inflation artificielle sur les rémunérations des autres joueurs de l'équipe ; or ces dérives sont d'autant moins justifiées que les comptes de ce club sont déficitaires, enregistrant une perte de 150 millions d'euros, équivalente au niveau de leur masse salariale ; à titre de comparaison, le budget de l'Olympique lyonnais, qui est le plus élevé en France, est de 90 millions d'euros ; aussi bien une régulation est-elle nécessaire, par la mise en place d'un contrôle de gestion au niveau européen ;

- l'examen d'accès à la profession d'agent a été réformé et considérablement amélioré au cours des dernières années ; toutefois, il attire des candidats au niveau de diplôme de plus en plus élevé, qui, contrairement aux « agents historiques », ne sont pas issus du milieu du sport ; ces agents ainsi titulaires d'une licence ont ensuite des difficultés à trouver des joueurs ;

- le recours à la procédure dérogatoire fondée sur la reconnaissance des acquis de l'expérience s'est imposé pour les agents en exercice au moment de l'adoption des dispositions législatives encadrant l'accès à la profession ;

- les dispositions législatives et réglementaires offrent la possibilité aux agents étrangers d'exercer en France, à l'occasion d'opérations ponctuelles ; mais il est difficile de les comptabiliser ; toutefois, l'application de la législation française aux agents étrangers venant de pays extérieurs à l'Union européenne pose un véritable problème, puisqu'ils sont contraints soit de passer l'examen français afin d'obtenir une licence, soit d'exercer par l'intermédiaire d'un agent français ;

- force est de constater que les joueurs ne souhaitent pas être impliqués dans la rémunération des agents, qui est donc versée par les clubs, comme cela se pratique dans tous les autres pays ; cela satisfait les agents, pour qui la garantie d'un club est plus sûre, mais également les clubs, qui y trouvent un intérêt fiscal ;

- afin de prendre en compte cette réalité, les clubs proposent que la commission de l'agent soit intégrée dans la facture du joueur qui leur est adressée, comme cela se fait dans le milieu artistique ; un tel système serait plus transparent, et donc plus facilement contrôlable ; il répondrait, en outre, au constat établi par le rapport d'enquête remis au ministre des sports, selon lequel il n'y a plus de mandats déposés aux fédérations ;

- le fait que certains entraîneurs s'immiscent dans le rôle d'agent ne repose actuellement que sur des rumeurs ; d'autres pays sont confrontés à des problèmes similaires, comme l'Angleterre où il existe des sociétés d'agents cotées en bourse, où les dirigeants de clubs sont actionnaires ; dans le milieu du football européen, où 40 à 60 % des joueurs évoluant dans le championnat sont étrangers, une réflexion est engagée pour parvenir à des réglementations communes ;

- il n'existe par de réponse claire permettant d'affirmer qui, du joueur ou de son agent, décide des opérations de transfert ; certains agents peuvent en effet exercer une influence sur des sportifs dont on connaît la fragilité, en leur prodiguant des conseils fondés lesquels, depuis la fin des années 90, il a été fait le choix financier de procéder à de nombreux transferts, est à ce titre éloquent : aucun d'entre eux n'a accédé à une brillante carrière sportive.

Football- Audition de Monsieur Christophe Douvroy, directeur juridique adjoint de la Fédération française de football (FFF)

La commission a enfin procédé àl'audition de M. Christophe Douvroy, directeur juridique adjoint de la Fédération française de football (FFF)

M. Christophe Douvroy a indiqué que, depuis l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions législatives en juillet 2000, les fédérations sportives, chargées de contrôler l'activité des agents de joueurs, avaient pris progressivement connaissance des pratiques en vigueur dans le secteur.

Soulignant la difficile application de la législation actuelle, il a insisté sur le fait que M. Jean-Pierre Escalettes, récemment élu à la tête de la Fédération française de football, avait fait de la moralisation de la profession d'agent de joueur l'une des priorités de son mandat.

Pour illustrer le manque de transparence du secteur, il a indiqué que, pour la saison 2004/2005, 95 % des joueurs de football professionnel avaient déclaré ne pas recourir aux services d'un agent, alors même qu'on comptabilise, à l'heure actuelle, 163 agents licenciés auprès de la Fédération, en activité.

Il a imputé cette situation au décalage existant entre la législation en vigueur, qui impose l'exclusivité de la représentation et de la rémunération par la partie mandataire (article 15-2 de la loi du 16 juillet 1984 sur les activités physiques et sportives), et la pratique, qui veut que, depuis une vingtaine d'années, ce sont les clubs sportifs qui rémunèrent les agents.

Il a indiqué que deux procédures avaient été mises en place pour tenter de rétablir une certaine transparence :

- d'une part, au moment du dépôt du contrat liant le joueur à son nouveau club employeur, le recours à un agent et les conditions de sa collaboration doivent obligatoirement être indiqués dans le contrat ;

- d'autre part, le contrat de l'agent doit obligatoirement être homologué auprès du club bénéficiaire du transfert.

Evoquant la première obligation, M. Christophe Douvroy a précisé que, dans 90 % des cas, les agents déclaraient être intervenus à la demande du club.

Quant à la seconde, il a reconnu qu'elle était totalement inappliquée : en effet, dans la pratique, le contrat de recherche émanant du club n'est rédigé qu'a posteriori, une fois la négociation avec l'agent aboutie et le joueur embauché.

Il a estimé qu'il serait souhaitable, pour rétablir la transparence, et conformément aux préconisations du rapport d'enquête remis au ministre des sports par M. Pierre François, inspecteur général de la jeunesse et des sports, de laisser aux parties la possibilité de décider qui rémunère l'agent.

Il a appelé de ses voeux, par conséquent, la légalisation des pratiques en vigueur, notamment celle consistant, pour le club d'accueil, à rémunérer l'agent qui a négocié le transfert.

S'appuyant sur les conclusions d'un groupe de travail mis en place au sein de la Fédération française de football, il a préconisé de conditionner l'homologation du contrat du joueur recruté par le club sportif à la transmission du contrat de son agent.

Insistant sur la grande variété des moyens utilisés à l'heure actuelle pour contourner la loi, il a rappelé l'urgence du rétablissement de la transparence et indiqué que l'informatisation des procédures au sein de la Fédération française de football rendrait rapidement opérationnelles les réformes évoquées, si elles étaient mises en oeuvre.

M. Pierre Martin, président, a regretté le développement de pratiques dissimulées dans le football professionnel, qui jettent le doute sur la fiabilité de l'ensemble du secteur.

M. Christophe Douvroy a fait remarquer que les clubs sportifs étaient tout à fait favorables à la possibilité de rémunérer directement les agents, non seulement parce que cette pratique leur semblait plus claire, mais également parce qu'il était plus avantageux pour eux de verser des honoraires, non soumis à la TVA, que des salaires, soumis à charges sociales, augmentés à due concurrence du montant de la commission de l'agent.

Relevant par ailleurs la relative vulnérabilité des joueurs, particulièrement les plus jeunes, il a rappelé que la plupart d'entre eux ne connaissaient pas le montant de leur rémunération et que le principe de la rémunération des intermédiaires était très éloigné de leur culture.

Abordant la question de la délivrance d'une licence d'agent à une personne morale, autorisée par le droit français, il a rappelé que ce principe était en contradiction avec les règles de la Fédération internationale de football Association (FIFA) et que, par conséquent, la Fédération française de football ne l'avait jamais appliqué.

Estimant qu'il était illogique de délivrer une licence d'agent à une personne morale sur le fondement des compétences d'une personne physique qui ne lui est pas indéfectiblement liée, il a indiqué que la Fédération française de football était favorable à l'abrogation de cette possibilité, comme le recommandait la mission d'enquête diligentée par M. Pierre François.

Il a toutefois précisé à M. Jean-François Humbert que si la FIFA ne délivrait de licence d'agent qu'à des personnes physiques, elle ne leur interdisait pas, pour autant, de se constituer ensuite en société.

M. Christophe Douvroy a ensuite souhaité soulever un certain nombre de points, à l'origine de difficultés d'application :

- s'agissant de l'obligation pour les candidats au concours d'agent de joueurs de produire un extrait de leur casier judiciaire, il a indiqué avoir interrogé les services du ministère sur la possibilité d'accéder à la déclaration n° 2, et non n° 3, comme c'était le cas actuellement, sans avoir obtenu de réponse ;

- il a souhaité que les agents ne puissent cumuler leurs fonctions avec l'exercice de responsabilités au sein des clubs professionnels, notamment en tant que conseillers en recrutement ; il a indiqué qu'en ce qui la concernait, la Fédération française de football demandait alors à ces agents de restituer leur licence.

En conclusion, il s'est interrogé sur la possibilité de rapprocher l'encadrement législatif des pratiques actuelles, en procédant, par exemple, à l'exonération du service rendu par l'agent, tout en reconnaissant que, compte tenu du montant des salaires en question, cette réforme ne serait sans doute pas facile à faire accepter.

Evoquant un principe de réalité, il a souligné que la Fédération française de football avait, en tout état de cause, anticipé sur les évolutions à venir en se dotant de procédures fiables.

Evoquant le soutien du Sénat à la candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2012, M. Thierry Repentin a regretté n'avoir pas été associé à la phase de préparation de cette opération alors que le groupe d'études des problèmes du sport et des activités physiques l'avait chargé, avec M. Jacques Blanc, du suivi des questions olympiques.