MM. Marc Massion et Eric Doligé, rapporteurs spéciaux

EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ

ARTICLE 77

Concours financiers de l'Etat au profit de la Polynésie française

Commentaire : le présent article propose de remplacer la dotation globale de développement économique (DGDE) versée à la Polynésie française par trois nouveaux concours financiers distincts.

I. LE DROIT EXISTANT

Les relations financières entre l'Etat et la Polynésie française sont aujourd'hui régis par la convention du 4 octobre 2002 pour le renforcement de l'autonomie économique de la Polynésie française . Celle-ci bénéficie ainsi d'une aide à la reconversion de l'économie polynésienne.

Cette aide est constituée de deux dispositifs distincts :

- d'une part, le versement au territoire des reliquats de subventions, au titre de l'ex-fonds pour la reconversion de l'économie de la Polynésie française - FREPF . Ce fonds résultait des engagements pris par l'Etat au titre de la convention du 25 juillet 1996 pour le renforcement de l'autonomie économique de la Polynésie française, suite à l'arrêt des essais nucléaires et à la fermeture du centre d'expérimentation du Pacifique, qui constituait pour le territoire une source importante de revenus. Le montant de ce versement est fixé à 31,05 millions d'euros en AE et de 37,17 millions d'euros en CP pour l'année 2010 ;

- d'autre part, la dotation globale de développement économique (DGDE) , égale à 150,92 millions d'euros en AE et 137,83 millions d'euros en CP annuellement . Cette dotation comprend elle-même trois composantes : les recettes fiscales et douanières, la DGDE - fonctionnement et la DGDE - investissement.

Au total, le montant des crédits inscrits à ce titre en faveur de la Polynésie française s'élève donc, dans la loi de finances pour 2010, à 181,97 millions d'euros en AE et 175 millions d'euros en CP .

Or, le fonctionnement de la DGDE, notamment de sa part destinée à financer des investissements, pose des problèmes de contrôle importants. Ainsi, la Cour des comptes, dans son rapport public annuel 2009, critiquait la gestion des fonds public par la Polynésie française, notamment le fait que « les budgets d'investissement apparaissent toujours aussi peu réalistes (les besoins de crédits étant surestimés), la collectivité ayant encore beaucoup de mal à mener à bien les programmes prévus. Les taux d'exécution des crédits d'investissement sont toujours aussi faibles, aux alentours de 50%, voire au-dessous ».

Vos rapporteurs spéciaux relevaient pour leur part, dans leur rapport précité sur le projet de loi de finances pour 2010, que « la DGDE est utilisée sans contrôle a priori des investissements financés et avec très peu de contrôle a posteriori . Il conviendrait aujourd'hui de reposer la question de la mise en oeuvre de cette dotation, au regard des besoins de la Polynésie française, et en comparaison de ceux des autres collectivités territoriales d'outre-mer ».

Le Gouvernement s'est ainsi engagé, en 2009, dans un processus de concertation avec le gouvernement de la Polynésie française afin de parvenir à une réforme permettant d'optimiser les conditions d'utilisation de cette dotation et d'améliorer les relations financières entre l'Etat et la Polynésie Française.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le I du présent article propose de créer, à compter de 2011, trois concours financiers de l'Etat distincts :

- une « dotation d'autonomie pour la Polynésie française » ;

- une « dotation territoriale pour l'investissement des communes de la Polynésie française » ;

- et un « concours de l'Etat au financement des investissements prioritaires de la Polynésie française », en application de l'article 169 de la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française 17 ( * ) . Cet article dispose notamment qu'à « la demande de la Polynésie française et par conventions, l'Etat peut apporter, dans le cadre des lois de finances, son concours financier et technique aux investissements économiques et sociaux, notamment aux programmes de formation et de promotion ». Aucune indication n'est donnée dans le présent article sur le montant de ce concours mais le projet annuel de performances annexé au présent projet de loi de finances indique que cette dotation devrait s'élever à 51,31 millions d'euros en AE et 7,7 millions d'euros en CP et être utilisée pour financer les investissements prioritaires de la Polynésie Française dans les secteurs structurants.

L'objectif du présent article est donc de substituer à un concours financier, trois concours financiers aux objectifs différents et identifiés : une dotation globale servant à équilibrer le budget de fonctionnement du territoire, une dotation d'investissement ciblée sur les communes polynésiennes et un concours financier contractualisé servant, au cas par cas, à soutenir la réalisation des investissements les plus structurants pour la Polynésie française.

Le II du présent article détaille les modalités de versement de la dotation globale d'autonomie . Celle-ci serait d'un montant égal, en 2011, à 90,552 millions d'euros . Son évolution, à compter de 2012, serait identique à celle de la dotation globale de fonctionnement (DGF) mentionnée à l'article L. 1613-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Cet article est par ailleurs modifié par l'article 19 du présent projet de loi de finances qui prévoit d'inscrire à l'article L. 1613-1 du CGCT la précision selon laquelle « le montant de la dotation globale de fonctionnement est fixé chaque année par la loi de finances ».

Le II indique également que la dotation globale d'autonomie fait l'objet de versements mensuels à la Polynésie française, alors que d'après les informations recueillies par vos rapporteurs spéciaux, les modalités actuelles de versement de la DGDE sont particulièrement complexes et confèrent donc moins de visibilité à la collectivité polynésienne.

Enfin, le III du présent article crée un sous-paragraphe 5, intitulé « Dotation territoriale pour l'investissement des communes », au sein du paragraphe du code général des collectivités territoriales consacré aux dotations au profit des communes de la Polynésie française. Ce sous-paragraphe est constitué d'un article L. 2573-4-1 unique qui prévoit que la dotation territoriale pour l'investissement des communes est affectée aux communes et à leurs établissements en vue de financer des projets en matière de gestion des déchets, d'adduction d'eau et d'assainissement des eaux usées.

Son montant est fixé, pour l'année 2011, à 9 055 200 euros et évoluera au même rythme que la dotation globale d'équipement des communes (DGE) prévue à l'article L. 2334-32 du CGCT.

Enfin, l'article L. 2573-4-1 nouveau que le présent article propose d'insérer dans le CGCT dispose qu'un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application de l'article, c'est-à-dire le fonctionnement et les modalités de versement de la dotation territoriale pour l'investissement des communes.

Le montant cumulé des trois dotations prévues par le présent article s'élève donc, en 2011, à 150,9 millions d'euros en AE et 107,3 millions d'euros en CP . Le montant des AE des nouvelles dotations correspondra donc à l'euro près au montant actuel des AE de la DGDE , la dotation globale d'autonomie représentant 60 % de ce total, la dotation territoriale pour l'investissement des communes, 6 %, et le concours de l'Etat au financement des investissements prioritaires de la Polynésie française, 34 %.

Par ailleurs, le versement des reliquats de l'ex-FREPF doit, en application de la convention du 25 juillet 1996, s'achever au 31 décembre 2010. Le nouveau dispositif proposé par le présent article vise donc uniquement à se substituer à l'actuelle DGDE et non à l'ensemble de l'aide à la reconversion de l'économie polynésienne.

III. LA POSITION DE VOS RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Comme rappelé plus haut, la commission des finances avait déjà pointé à plusieurs reprises les difficultés rencontrées dans le contrôle de l'utilisation des fonds de la DGDE, alors même que l'article 5 de la convention précitée du 4 octobre 2002 prévoyait des mesures d'information de l'Etat, a priori et a posteriori , sur les modalités d'utilisation de ces fonds. La réforme de la DGDE est donc bienvenue, son fonctionnement actuel n'étant pas satisfaisant.

La Polynésie rencontre par ailleurs deux problèmes majeurs .

D'une part, la situation financière de ses communes ne leur permet pas de faire face à leurs nouvelles compétences , prévues par l'ordonnance n° 2007-1434 du 5 octobre 2007 portant extension des première, deuxième et cinquième parties du code général des collectivités territoriales aux communes de la Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics. Nos collègues Bernard Frimat et Christian Cointat avaient souligné le problème des ressources propres très faibles des communes polynésiennes, dans un rapport d'information rédigé au nom de la commission des lois 18 ( * ) . Cela conduisait, d'une part, à rendre artificiel le principe de libre administration de ces communes et, d'autre part, à les rendre « très dépendantes des ressources transférées par la collectivité, si bien que les subventions accordées par cette dernière contribuent à alimenter l'instabilité politique. Les représentants du patronat ont ainsi indiqué à vos rapporteurs que le jeu des subventions favorisait le basculement des membres de l'assemblée d'un camp politique à l'autre, les élus se rendant, selon une expression locale, là où l'herbe est la plus verte ».

D'autre part, le fait que la DGDE ne soit prévue que par une convention entre l'Etat et la Polynésie française présente plusieurs inconvénients . Les évaluations préalables du présent projet de loi de finances indiquent en particulier que « la logique conventionnelle est propice à des divergences d'interprétation », ce qu'illustrent les difficultés dans l'application du contrôle a priori et a posteriori de l'utilisation de la DGDE. Son mécanisme avait dû être revu par cinq avenants à la convention en sept ans. Il apparaît également que le caractère contractuel du dispositif laisse peser plus de doutes sur sa pérennité que s'il était inscrit dans un texte de nature législative.

La réforme poursuit donc trois objectifs distincts, visant à répondre aux difficultés actuelles :

- elle prévoit un mécanisme stable de financement des nécessaires investissements des communes polynésiennes , en lien avec l'extension de leurs compétences ;

- elle met en place un dispositif de dotation globale en faveur de la Polynésie française, semblable aux dotations de fonctionnement dont bénéficient l'ensemble des collectivités territoriales d'outre-mer et indexé au même rythme que la dotation globale de fonctionnement (DGF). Cette nouvelle dotation permettra de stabiliser et de pérenniser le soutien financier apporté par l'Etat au budget de fonctionnement de la Polynésie française. Vos rapporteurs spéciaux soulignent que le montant de la DGDE était figé en euros courants. L'indexation de la dotation globale d'autonomie est donc potentiellement bénéfique pour le territoire. Toutefois, cet avantage est aujourd'hui limité dans un contexte de gel des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales ;

- elle allie à cet impératif de pérennisation une logique de contractualisation pour la participation de l'Etat aux investissements structurants, notamment en termes de transports routier, maritime et aérien, au travers d'une nouvelle convention qui sera passée entre l'Etat et la Polynésie française.

En 2011, la réforme de la DGDE se fera à moyens financiers constants . A partir de l'année 2012, la dotation globale d'autonomie et la dotation destinée aux communes pourront en revanche, à l'inverse de la DGDE actuellement, progresser au même rythme que les autres dotations de l'Etat, si toutefois ces dotations ne sont pas gelées.

Par ailleurs, cette réforme va dans le sens positif d'une plus grande transparence et d'un meilleur fléchage des dotations de l'Etat et recueille donc l'assentiment de vos rapporteurs spéciaux.

Ils vous proposent toutefois d'adopter trois amendements :

- un premier amendement visant à sécuriser davantage le dispositif de la dotation globale d'autonomie de la Polynésie française en l'inscrivant au sein du code général des collectivités territoriales, comme c'est le cas pour de nombreuses autres dotations aux collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution. L'Assemblée de la Polynésie française a en effet émis un avis défavorable 19 ( * ) sur la réforme prévue par le présent article, arguant notamment que « la volonté forte de stabilisation et de pérennisation des concours financiers de l'Etat ne transparaît aucunement dans le projet de texte présenté ». Vos rapporteurs spéciaux, en inscrivant cette dotation dans le code général des collectivités territoriales, souhaitent montrer leur volonté que la nouvelle dotation globale d'autonomie soit stabilisée et pérennisée ;

- un deuxième amendement visant à garantir la stabilité du versement de la dotation territoriale pour l'investissement des communes . En effet, l'idée ayant présidé à la création de cette dotation est que le financement des communes ne soit plus conditionné aux décisions prises par la collectivité de la Polynésie française. D'après les informations recueillies par vos rapporteurs spéciaux auprès de Denis Robin, directeur de cabinet de Marie-Luce Penchard, ministre chargé de l'outre-mer, et Vincent Bouvier, délégué général à l'outre-mer, la dotation prévue pour les communes devrait alimenter directement le Fonds intercommunal de péréquation (FIP), géré par des représentants des maires, et ne plus transiter par le budget de la collectivité polynésienne. Cette précision n'est toutefois pas inscrite dans le dispositif proposé et il semble préférable qu'elle le soit, afin de garantir l'effectivité du dispositif ;

- un dernier amendement de coordination . Le texte du présent article prévoit que la dotation territoriale pour l'investissement des communes est indexée sur la dotation globale d'équipement des communes (DGE). Or, cette dotation doit disparaître, en application de l'article 82 du présent projet de loi de finances, et être remplacée par une dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Il vous est donc proposé de modifier la référence d'indexation proposée, sachant que la nouvelle DETR comme l'ancienne DGE des communes sera indexée sur le taux de croissance de la formation brute de capital fixe des administrations publiques prévu pour l'année à venir, tel qu'il est estimé dans la projection économique présentée en annexe au projet de loi de finances initiale.


* 17 Loi n° 2004-192 du 27 février 2004.

* 18 Rapport d'information n° 130 (2008-2009), « Droits et libertés des communes de Polynésie française : de l'illusion à la réalité », Christian Cointat et Bernard Frimat, fait au nom de la commission des lois.

* 19 Avis n° 2010-16 A/APF du 16 septembre 2010 sur le projet d'article B 45 du projet de loi de finances pour 2011.