ARTICLE 53 A (DEVENU ARTICLE 137 DE LA LOI DE FINANCES POUR 2012)
FIXATION D'UN OBJECTIF DE RÉDUCTION DES INÉGALITÉS ENTRE COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

II. RAPPORT SÉNAT N° 107 (2011-2012) TOME III ANNEXE 23

Commentaire : le présent article additionnel, proposé par vos rapporteurs spéciaux, tend à fixer un objectif de réduction des inégalités, par le rapprochement progressif des niveaux de ressources par habitant des collectivités territoriales.

I. LA SITUATION ACTUELLE

A. L'OBLIGATION CONSTITUTIONNELLE ACTUELLE EST CONTREDITE PAR LES FAITS

La réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 1 ( * ) , texte fondateur de l'acte II de la décentralisation, a reconnu l'existence de profondes inégalités de moyens financiers entre les territoires. Pour y remédier, l' article 72-2 de la Constitution modifiée dispose que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales ».

Mais si l'exigence républicaine est bien reconnue, les moyens financiers, destinés à corriger les disparités de ressources et de charges, demeurent incapables de les stabiliser, et encore moins de les résorber.

Selon les travaux du Conseil des prélèvements obligatoires 2 ( * ) , publiés en mai 2010, les écarts de richesse étaient en 2007, de 1 à 2 entre les régions, de 1 à 4 entre les départements et de un à mille entre les communes de métropole.

Les communes , du fait de leur hétérogénéité, sont les premières victimes de ces inégalités de richesse.

Selon le CPA, « en métropole, le potentiel fiscal par habitant des communes varie de 0 € à plus de 30 000 €, pour une moyenne d'environ 500 €. Le potentiel fiscal par habitant varie, pour les départements, de 296 € (Creuse) à 1069 € (Paris), et pour les régions, de 67 € (Corse) à 111 € (Haute- Normandie) ».

B. L'INSUFFISANCE DES MOYENS DE LA PÉRÉQUATION VERTICALE

Face aux inégalités de ressources des collectivités, aggravées par les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle, les insuffisances de la péréquation verticale, qui relève de la responsabilité de l'Etat, apparaissent évidentes.

Au nombre de sept 3 ( * ) , les dotations de péréquation destinées aux collectivités territoriales n'ont représenté en 2010 que 16,6 % du montant total de la DGF répartie, soit 6,8 milliards d'euros sur un montant total de 41 milliards.

Le faible volume de ces dotations au sein de la DGF ne permet pas une correction efficace des inégalités territoriales.

L'étude des Professeurs Albert Guengant et Guy Gilbert sur l'efficacité péréquatrice des dotations aux collectivités locales 4 ( * ) , présentée au comité des finances locales le 28 octobre 2008, le démontre :

- pour les communes, en 2006, les dotations ont corrigé de 36,9 % les inégalités de pouvoir d'achat. Ce résultat est en recul par rapport à la même étude menée en 2001, qui affichait un chiffre de 39,2 % ;

- pour les départements, en 2006, le taux de correction des inégalités de pouvoir d'achat atteint 47,7 %, en recul également par rapport à 2001 (50,6 %) ;

- seules les régions, en 2006, à la différence des autres niveaux de collectivités territoriales, voient le taux de correction des inégalités de pouvoir d'achat s'améliorer par rapport à 2001 (45,2 % contre 38,2 %).

Paradoxalement, c'est donc le niveau communal, qui connaît les disparités de potentiel fiscal les plus élevées, qui est également celui pour lequel la péréquation est la moins efficace .

En réalité, la politique actuelle de péréquation proposée aujourd'hui par le Gouvernement, s'en remet, pour réduire les inégalités entre collectivités, au développement de la péréquation horizontale , autrement dit à la seule solidarité financière entre collectivités territoriales.

Le gel des dotations de l'Etat impose une évolution de la péréquation verticale à l'intérieur d'une enveloppe contrainte. De ce fait, la péréquation verticale, qui a augmenté au demeurant, est prélevée sur les autres composantes de la DGF. Elle est donc désormais, dans les faits, transformée en une péréquation horizontale.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ PAR VOTRE COMMISSION

Vos rapporteurs spéciaux proposent d'établir, par la loi, les instruments d'une véritable gouvernance de la politique de péréquation.

A. UN OBJECTIF ATTEIGNABLE

Celle-ci passe par la fixation d'un objectif de réduction des inégalités territoriales qu'ils proposent de définir comme conduisant, à terme, un délai de dix ans paraissant envisageable, à ce qu'aucune commune n'ait un indicateur de ressources élargi par habitant 5 ( * ) , corrigé des mécanismes de péréquation horizontale, inférieur à 80 % du potentiel financier moyen de sa strate démographique. Pour les départements, ce taux serait de 90 %. Pour les régions l'objectif serait un écart de 95 % à l'indicateur de ressources fiscales par habitant corrigé des mécanismes de péréquation horizontale.

Cet objectif est à la fois ambitieux et raisonnable.

Le rapport précité du Conseil des prélèvements obligatoires, observait que 15 710 communes disposaient, en 2007, d'un potentiel financier par habitant inférieur à 80 % de la moyenne et que 20 départements disposaient d'un potentiel financier inférieur à 90 % de la moyenne.

Cette mesure permettrait à la politique de péréquation d'acquérir davantage de visibilité dans le débat public, notamment parlementaire, et de lisibilité pour chaque élu local.

B. UN MÉCANISME SIMPLE

La validité d'un tel mécanisme a été reconnue et son instauration a été recommandée par de très nombreuses instances qui ont émis ces dernières années des propositions pour un approfondissement de la péréquation.

Le Conseil des prélèvements obligatoires , dans son rapport précité sur la fiscalité locale, a encouragé à avancer dans cette voie :

« Pour renforcer les incitations à la péréquation, le Parlement pourrait approuver chaque année un objectif de réduction des inégalités entre collectivités sur la base d'un indicateur simple et peu contestable. Cet indicateur pourrait prendre la forme d'un écart maximal de ressources après transferts

Le même rapport souligne que « l'idée d'un seuil minimal relatif de richesse garanti aux collectivités les plus pauvres serait proche de la logique en vigueur pour la péréquation horizontale entre Länder allemands (Länderfinanzausgleich), chaque Land se voyant garantir un niveau de recettes par habitant égal à 95 % du niveau moyen national. Le modèle allemand poursuit un objectif de redistribution très ambitieux, impliquant un taux de prélèvement très élevé sur les recettes fiscales des Länder les plus riches (Bavière, Bade-Wurtemberg et Rhénanie du Nord-Westphalie). »

Le rapport d'évaluation des effets de la réforme de la taxe professionnelle sur la fiscalité des collectivités locales et sur les entreprises dit rapport « Durieux-Subremon », remis en mai 2010, invite également à aller dans cette direction :

« Au préalable, il semble utile de fixer, pour une période donnée, une cible de réduction des inégalités communales et d'en déduire le dispositif de péréquation le plus adapté et son paramétrage. La première étape dans la définition d'un mécanisme de péréquation est de déterminer la cible souhaitée de réduction des inégalités entre collectivités ainsi que la rapidité avec laquelle l'objectif doit être atteint. Ce choix politique conditionne les modalités techniques de mise en oeuvre du mécanisme . »

Ces préconisations argumentées relèvent du bon sens. Vos rapporteurs spéciaux vous proposent de les traduire dans la loi.

Décision de la commission : votre commission des finances vous propose d'adopter cet article additionnel.


* 1 Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.

* 2 Rapport sur la fiscalité locale.

* 3 Sont inclus dans ce calcul l'ensemble des dotations de péréquation : dotation nationale de péréquation, dotations de solidarité urbaine et rurale, dotation d'intercommunalité pour le bloc communale ; dotations de péréquation urbaine et de fonctionnement minimal pour les départements ; dotation de péréquation pour les régions.

* 4 Cette étude porte sur la performance de la péréquation financière entrainée par les dotations de l'Etat vers les collectivités territoriales sur la période 2001/2006.

* 5 Sur cette notion, voir les commentaires des articles 53, 55 et 57 inclus dans le présent rapport.