MM. Philippe ADNOT et Michel BERSON, rapporteurs spéciaux

III. LE FINANCEMENT DE LA RECHERCHE : LA MULTIPLICITÉ DES DISPOSITIFS ET DES ACTEURS

A. UN RENFORCEMENT SOUHAITABLE DE LA PART DES FINANCEMENTS PAR PROJET

Les opérateurs reçoivent des financements de l'État de façon récurrente, c'est-à-dire sans lien direct avec les projets qui sont en cours et leur durée, mais également des financements « sur projet » - ces derniers ont explicitement vocation à financer un projet scientifique, dont l'objectif et certaines des modalités de mise en oeuvre sont définies en amont.

La France se distingue, au sein des pays développés, par la faible proportion des financements sur projet.

1. Les ressources récurrentes : le poids des subventions pour charges de service public
a) Les crédits alloués par l'État

Les crédits alloués par l'État aux opérateurs sont de trois types. Les deux agrégats les plus importants d'un point de vue quantitatif sont d'une part, les subventions budgétaires , qui représentent la plus grande part de la masse budgétaire (81 % des crédits), d'autre part, des dépenses de transfert (17 %), qui comme leur nom l'indique ont vocation à être redistribuées à d'autres opérateurs nationaux ou européens, et qui ne financent pas réellement le budget de l'opérateur par lequel elles transitent.

Les dotations en fonds propres constituent un ensemble beaucoup plus réduit (environ 2 %) : elles consistent en ce que l'État alloue des fonds non consomptibles aux opérateurs qui, en contrepartie du dépôt de ces fonds au Trésor, bénéficient d'un financement censé correspondre à la rémunération des fonds. Aujourd'hui, la rémunération est cependant très supérieure aux conditions de marché.

La répartition des financements de l'État aux opérateurs dans projet de loi de finances pour 2015

(en crédits de paiement)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

L'analyse de la répartition des différents types de financement par programme permet de constater que le mode de financement des opérateurs varie d'un programme à l'autre : si les subventions budgétaires dominent globalement, les dotations en fonds propres sont en revanche particulièrement prépondérantes dans le programme 191 « Recherche duale (civile et militaire) » : elles constituent plus de 80 % du total des crédits alloués aux opérateurs. Le programme 193 « Recherche spatiale » bénéficie de fonds de transfert importants qui sont liés au financement de l'Agence spatiale européenne, assurée par le Centre national d'études spatiales. L'essentiel des dépenses de transfert du programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » s'explique par le fait que l'Agence nationale de recherche est rattachée à ce programme : or, l'ANR constitue un relais du financement de la recherche par projets.

La répartition par programme des crédits alloués aux opérateurs en 2015

(en milliers d'euros)

Subventions budgétaires

Dotations en fonds propres

Transferts

Total

Programme 172

5 247 196

16 819

672 034

5 936 049

Programme 190

1 296 565

1 000

0

1 297 565

Programme 191

33 318

158 757

0

192 075

Programme 192

224 154

0

5 386

229 540

Programme 193

575 105

0

859 397

1 434 502

Programme 186

98 288

11 866

1 434

111 588

Programme 142

66 162

19 740

16 424

102 326

Total

7 540 788

208 182

1 554 675

9 303 645

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

b) Les ressources propres

Au-delà de ces financements par le budget général, les opérateurs peuvent développer des ressources propres , par le biais par exemple de partenariats ou de prestations de service. Cependant, votre rapporteur note que le dispositif actuel est très peu incitatif au développement d'une telle autonomie dans la mesure où le gain des ressources propres donne immédiatement lieu à un ajustement des crédits budgétaires versés : en d'autres termes, il n'y a aucun avantage financier à la clé, alors même que la mise en place de partenariats exige du temps et conduit à engager des frais.

Le cas de l'Institut du pétrole et des énergies nouvelles peut être cité : alors que les ressources propres ont connu un développement important ces dernières années et représentent plus de 50 % de son financement, l'IFPEN voit pourtant ses crédits diminuer de - 0,7 % cette année.

Votre rapporteur spécial souhaiterait donc qu'une règle plus incitative soit explicitée , qui pourrait consister en ce que la réduction des crédits budgétaires ne soit pas supérieure à la moitié du montant gagné en ressources propres.

2. La difficile montée en puissance des financements par projet : un équilibre à trouver pour orienter la recherche sans l'étouffer

Le financement par projet intervient à deux échelles : au niveau national, c'est l'Agence nationale de recherche (ANR) qui a pour mission la mise en oeuvre du financement de la recherche sur projets en France. Depuis 2010, l'agence est aussi le principal opérateur des investissements d'avenir dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche. Dans ce cadre, elle assure la sélection, le financement et le suivi des projets.

Au niveau international, l'Union européenne propose également de tels financements dont les modalités étaient d'abord définies par les programmes-cadres de recherche et développement technologique (PCRDT) qui se sont succédé de façon quadriennale de 1984 jusqu'en 2013, et le sont désormais par le programme de recherche « Horizon 2020 » qui a pris la suite du septième programme-cadre.

a) Au niveau national : la diminution des financements de l'Agence nationale de la recherche
(1) L'érosion des projets financés par l'ANR

Pour les années 2011 à 2013, sur la base des ressources comptabilisées aux comptes financiers de sept établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) 39 ( * ) dont la dotation pour charges de service public est portée par le ministère chargé de la recherche, la part des ressources issues des financements de l'ANR a décru, passant de 5,21 % en 2011 à 4,82 % en 2013, de même que la part des ressources issues des financements nationaux sur projets ou sur programmes incitatifs de recherche autres que ceux portés par l'ANR 40 ( * ) qui est passée de 7,81 % en 2011 à 6,58 % en 2013.

Pour ce qui concerne les quatre établissements industriels et commerciaux dont la subvention relève du ministère de la recherche 41 ( * ) , une évolution similaire est observée sur la part des ressources relative aux financements de l'ANR dont la part diminue passant de 2,61 % en 2011 à 1,94 % en 2013.

La mesure de rééquilibrage de crédits opérée à partir de 2013 depuis l'Agence nationale de recherche vers les organismes de recherche se traduit par une diminution des crédits d'intervention de l'Agence et plus particulièrement de ceux dévolus aux appels à projets qui ont diminué de 37 % entre 2010 et 2014. Il en résulte une érosion progressive du taux de projets financés ainsi qu'une diminution des taux de succès.

Ces évolutions se reflètent dans celle des crédits de transferts alloués à l'ANR : ils ont diminué fortement et le léger rebond observé depuis 2014 ne suffit pas à revenir au niveau de l'exécution de l'année 2012.

Évolution des crédits de transferts alloués à l'ANR

(en milliers d'euros, hors PIA)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

(2) Une simplification du processus de sélection qui devrait encourager les candidatures

Une critique récurrente du financement par projet, tel que mis en place en France, réside dans le constat selon lequel les coûts irrépétibles liés à la constitution d'un dossier sont dissuasifs et d'autant plus importants que la procédure est complexe.

Ainsi, une simplification du processus de sélection a été mise en place en 2014. Si elle peut sembler de prime abord plus complexe, puisqu'elle se déroule désormais en deux étapes au lieu d'une, elle permet en réalité de candidater de façon plus aisée et d'enrichir le dossier seulement si les chances de réussite sont réelles. Les porteurs de projets soumettent d'abord une pré-proposition de cinq pages maximum , puis, à l'issue d'une première phase d'évaluation, seuls les porteurs de projets retenus constituent un dossier complet de quarante pages environ - auparavant, tous les candidats devaient rédiger une proposition complète.

(3) La question du préciput

L'article L. 329-5 du code de la recherche dispose qu'« une partie du montant des aides allouées par l'Agence nationale de la recherche dans le cadre des procédures d'appel d'offres revient à l'établissement public ou à la fondation reconnue d'utilité publique dans lequel le porteur du projet exerce ses fonctions ». Ainsi, l'Agence nationale de la recherche verse, pour les projets sélectionnés dans le cadre de sa programmation 2012, un « préciput » aux établissements hébergeant les équipes qui opèrent les projets.

Le montant de ce préciput ne semble cependant pas, dans bien des cas, couvrir l'intégralité des frais de fonctionnement pris en charge par la structure. L'opérateur doit alors procéder à une réallocation de ses crédits, ce qui ne favorise pas une exécution budgétaire maîtrisée et constitue un contexte faiblement incitatif à de nouvelles candidatures.

b) La montée en puissance des investissements d'avenir

Alors que la part des ressources du budget des opérateurs issue des financements de l'ANR tend à diminuer, la part des ressources des opérateurs issue des programmes d'investissements d'avenir (PIA) connaît une augmentation rapide : elle est passée de 0,07 % en 2011 à 2,36 % en 2013 pour les EPST précités et de 0,56 % en 2011 à 2,70 % en 2012 et 2,94 % en 2013 pour les EPA précités.

Ainsi semble se faire jour un phénomène de substitution des investissements d'avenir au financement par projet « classique », relevant de l'ANR .

Votre rapporteur spécial souligne que les investissements d'avenir doivent rester un mode de financement de projets innovants qui soutiennent l'excellence de la recherche française , et ne pas se substituer aux subventions budgétaires : il a eu connaissance, au cours de ses recherches, de situations proches d'une stratégie de « débudgétisation » dans lesquels des crédits budgétaires étaient annulés puis financés par le biais des investissements d'avenir. Votre rapporteur spécial sera tout particulièrement attentif à ce point lors de l'analyse de l'exécution pour 2014.

Au total, d'après les informations transmises à votre rapporteur, « il peut être estimé que depuis 2010 le financement sur projets des équipes publiques de recherche a été au moins maintenu ». Cependant, au regard de notre retard en matière de financement sur projets, c'est vers une augmentation que les efforts doivent se porter, par un ajustement progressif des financements récurrents.

3. Les financements européens : une chance dont la France ne tire pas encore tous les bénéfices
a) La montée en puissance des financements européens de la recherche

Les financements ouverts par l'Union européenne en matière de recherche ont connu une augmentation marquée , comme le montre le graphe ci-après. L'obtention de financements européens par les chercheurs français constitue donc un enjeu de taille.

Évolution du budget des programmes européens de financement de la recherche

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de la Commission européenne

b) La participation française au septième programme-cadre de l'Union européenne

La France est le troisième pays bénéficiaire du septième programme-cadre pour la recherche. Toutefois, par rapport au sixième programme, la participation de la communauté française de recherche et d'innovation aux appels à projets européens a significativement décru . Les financements obtenus par les participants français sont ainsi passés de 13 % pour le sixième programme à 11,4 % pour le septième, cette tendance à la baisse étant particulièrement marquée dans la seconde partie de la période, c'est-à-dire entre 2011 et 2013.

Ces performances apparaissent insuffisantes tout à la fois au regard des capacités de recherche français et dans la mesure où la contribution de la France au budget de l'Union européenne s'est élevée à 16,4 % sur la période 2007-2013.

Cette moindre obtention de financement s'explique par un taux de réponse aux appels plus faible que les autres partenaires européens : si les chercheurs français obtiennent un taux de succès moyen de 24 %, soit l'un des meilleurs parmi ceux des grands pays participants, les acteurs français se situent en revanche au cinquième rang seulement des déposants.

c) Les orientations du programme « Horizon 2020 » : une simplification de la mise en oeuvre, un accompagnement renforcé du ministère
(1) La simplification du programme européen

Des critiques ont visé la complexité du modèle de financement du septième programme-cadre, qui pouvait mener à un décalage important entre les anticipations des équipes et les montants effectivement financés. En outre, la politique d'audits financiers ex-post menée par la commission sur les projets des sixième et septième programmes-cadre a parfois semblé trop rigoureuse et extensive.

Le programme « Horizon 2020 » est ainsi simplifié par rapport au septième  programme-cadre sous trois aspects : d'une part, il n'est plus fondé que sur deux règlements (règlement dit « cadre » et règlement sur les règles de participation) et sur une décision instituant un programme spécifique unique d'Horizon 2020, d'autre part, l'architecture du programme est resserrée autour de trois priorités (excellence scientifique, primauté industrielle et défis sociétaux). Enfin, les conditions de participation ont été revues : les mêmes règles s'appliquent à tous les projets et initiatives (des exceptions sont possibles, mais très restreintes) et le modèle de remboursement des coûts est fortement simplifié, de façon à réduire le risque d'erreur, accélérer l'attribution des financements et revenir à une politique d'audit plus mesurée.

(2) Un renforcement du dispositif national d'accompagnement des chercheurs

Le dispositif français de pilotage de la participation au programme de recherche de l'Union européenne est organisé autour de trois principaux types d'acteurs.

Les représentants français dans les comités de programme (RCP) qui participent avec la Commission à la définition du programme de travail dans lequel sont fixés les thèmes de recherche ouverts, le contenu des appels à propositions ainsi que les budgets disponibles.

Les groupes techniques nationaux (GTN), qui sont des structures de concertation avec le monde universitaire et économique, permettent d'apporter une expertise de terrain en vue de la préparation des programmes de travail et de les orienter de manière à les rendre conformes aux intérêts et aux compétences de la communauté scientifique française dans le domaine considéré.

Enfin, les points de contact nationaux (PCN) constituent un réseau destiné à informer les participants potentiels sur les possibilités offertes par les financements de l'Union européenne et leur apporter conseil dans la préparation de leurs propositions.

La mise en ligne du portail www.horizon2020.gouv.fr dédié à l'accompagnement des porteurs de projet français participe également de la volonté d'accompagnement accru des chercheurs français dans leur participation au programme européen, de même que la création d'un trophée « Les Etoiles de l'Europe » , dont la première édition a été remise le 16 décembre 2013 dans le cadre du lancement d'Horizon 2020.

B. LE FINANCEMENT LOCAL DE LA RECHERCHE : 1,3 MILLIARD D'EUROS DE RESSOURCES ISSUES DU SECTEUR LOCAL EN 2013

Les chiffres concernant la participation des collectivités territoriales au financement de la recherche ne sont pas encore disponibles pour l'année 2014, mais les données concernant 2013 permettent déjà d'en analyser les enjeux principaux.

1. Les régions, principaux financeurs locaux des activités de recherche

Le budget que les collectivités territoriales déclarent affecter aux opérations de recherche et de transfert de technologie est estimé à 1 330 millions d'euros en 2013 . Les régions assument la plus grande part de cet effort puisqu'elles participent à hauteur de 888 millions d'euros (pour les seuls conseils régionaux de France métropolitaine). Ainsi, les conseils régionaux de France métropolitaine ont alloué en moyenne, en 2013, 3,2 % de leur budget primitif à des dépenses liées à la recherche, ce qui correspond à une dépense moyenne par habitant de 14 euros.

Concernant les départements, leur budget en matière de recherche s'élève à 176 millions d'euros, soit 14 % du budget de recherche de l'ensemble des collectivités territoriales du territoire métropolitain.

Les communes et établissements publics de coopération intercommunale ont quant à eux apporté 236 millions d'euros, soit 18 % du budget métropolitain local consacré à la recherche.

Le budget des collectivités territoriales consacré à la recherche et au transfert de technologie de 2012 à 2014

(en millions d'euros)

Source : réponse au questionnaire budgétaire

2. Une implication principalement tournée vers la réalisation d'opérations immobilières

Les collectivités territoriales sont particulièrement impliquées dans des opérations immobilières qui représentent, en 2013 et en 2014, plus du tiers des budgets locaux de recherche (527 millions d'euros en 2014).

L'engagement financier est moindre pour ce qui concerne le renforcement des équipements scientifiques des laboratoires des universités et des organismes de recherche (7 %) ou le soutien aux projets de recherche (15 % des budgets). Les aides aux chercheurs absorbent 8 % des crédits, sous forme d'allocations (comme par exemple des allocations d'aide à la mobilité internationale, d'aide à l'embauche de chercheurs et à l'accueil de chercheurs de haut niveau).

La répartition par objet du financement local de la recherche en 2013

(en pourcent)

Source : réponse au questionnaire budgétaire

C. UN FINANCEMENT « EN CREUX » DE GRANDE AMPLEUR : 6 MILLIARDS D'EUROS DE DÉPENSES FISCALES

Les dépenses fiscales liées à la recherche sont nombreuses et totalisent près de 6 milliards d'euros en 2015, soit plus de 20 % des crédits budgétaires alloués à la recherche.

Il s'agit donc d'un financement à part entière qui, bien que moins visible que les dotations budgétaires, doit faire l'objet d'une analyse dédiée et d'évaluations régulières. Les dispositifs prévus dans le projet loi de programmation des finances publiques concernant l'évaluation des dépenses fiscales et leur plafonnement semblent d'ailleurs pertinents et votre rapporteur spécial se montrera vigilant quant à leur mise en oeuvre dans le champ de compétences qui est le sien.

Tableau récapitulatif des dépenses fiscales rattachées aux programmes relatifs à la recherche de la mission « Recherche et enseignement supérieur »

(en millions d'euros)

Intitulé du programme et de la dépense fiscale

2011

2012

2013

2014

Score

2015

172 - Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires

3 075

3 375

3 274

5 555

5 345

Crédit d'impôt en faveur de la recherche (200302)

3 070

3 370

3 269

5 550

3

5 340

Exonération des établissements publics de recherche, des établissements publics d'enseignement supérieur, des personnes morales créées pour la gestion d'un pôle de recherche et d'enseignement supérieur et des fondations d'utilité publique du secteur de la recherche pour leurs revenus tirés d'activité relevant d'une mission de service public (300208)

5

5

5

5

ne

5

142 - Enseignement supérieur et recherche agricoles

nc

nc

nc

nc

nc

Exonération des revenus patrimoniaux des établissements publics scientifiques, d'enseignement et d'assistance pour leurs revenus fonciers agricoles et mobiliers (300201)

nc

nc

nc

nc

ne

nc

190 - Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de l'aménagement durables

0

0

0

0

0

192 - Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle

968

784

681

608

630

Crédit d'impôt en faveur de l'innovation (CII) (200310)

160

190

Taxation au taux réduit des plus-values professionnelles à long terme et de certains produits de la propriété industrielle

Réduction d'impôt au titre de la souscription de part de fonds communs de placement sur l'innovation (110218)

95

54

32

29

1

26

Exonération totale ou partielle des bénéfices réalisés par les jeunes entreprises innovantes existantes au 1er janvier 2004 ou créées entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2013 et les jeunes entreprises universitaires (230604)

18

20

13

13

1

13

Exonération totale ou partielle des bénéfices réalisés par les entreprises participant à un projet de recherche et de développement et implantées dans une zone de recherche et de développement (200308 puis 220105)

2

3

1

1

1

Abattement de 30% sur les produits de cession de licences autres que ceux taxés au taux forfaitaire de 16% (160102)

1

ne

Exonération des sociétés unipersonnelles d'investissement à risque (300207)

å

å

å

å

ne

å

Imputation sur le revenu global du déficit provenant des frais de prise de brevet et de maintenance (160103)

å

å

å

å

3

å

Exonération des plus-values de cession de

titres de jeunes entreprises innovantes ou de jeunes entreprises universitaires (150711)

2

2

5

5

ne

-

Exonération des dividendes perçus par l'associé unique d'une société uni personnelle d'investissement à risque (140124)

å

å

å

å

ne

å

Taxation au taux réduit des plus-values à long terme provenant des produits de cessions et des concessions de brevets (320139)

850

705

630

400

1

nc

Exonérations des plus-values de cession d'actions ou de parts de sociétés agréées pour la recherche scientifique ou technique; de titres de société financières d'innovations conventionnées (230504)

nc

nc

nc

nc

ne

nc

Total dépenses fiscales rattachées à titre principal

4 043

4 159

3 955

6 163

5 975

Source : réponse au questionnaire budgétaire

N.B. : le « score d'évaluation » correspond au score obtenu à l'évaluation menée par le comité d'évaluation des dépenses fiscales en 2011, 1 étant le score le plus faible.

1. Le crédit d'impôt recherche : 90 % des dépenses fiscales liées à la recherche
a) Une dépense fiscale de plus de 5 milliards d'euros

Le crédit d'impôt recherche (CIR), créé en 1983 et réformé profondément de 2004 à 2008, est devenu la dépense fiscale rattachée à la recherche la plus importante en termes quantitatifs. Depuis la réforme de 2004 qui a introduit une part en volume dans le calcul de ce crédit d'impôt, le nombre d'entreprises déclarantes et le montant de la créance ont fortement augmenté. La réforme de 2008 qui a instauré un dispositif uniquement en volume et sans plafond, avec un taux de 30 % pour la plupart des entreprises, a conduit à ce qu'entre 2008 et 2012, le nombre d'entreprises déclarantes augmente de plus de 50 %, dépassant 20 000, pour un montant de dépenses éligibles de 19,2 milliards d'euros et un crédit d'impôt de 5,3 milliards d'euros.

L'augmentation de la créance tend cependant à ralentir , ce qui explique d'ailleurs pour une large part la légère baisse des dépenses fiscales liées à la recherche.

Évolution de la créance fiscale liée au crédit d'impôt recherche depuis 2009 (créance fiscale)

Nombre de déclarants

Montant du CIR en millions d'euros

2009, au titre de l'année 2008

14 012

4 452

2010, au titre de l'année 2009

17 193

4 880

2011, au titre de l'année 2010*

19 214

5 250

2012, au titre de l'année 2011*

20 807

5 210

2013, au titre de l'année 2012*

20 441

5 333

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Les données 2011, 2012 et 2013 sont des données provisoires. En effet, pour une année n, les données du CIR sont définitives en décembre n+3 car les entreprises ont trois ans pour déposer des déclarations rétroactives. Les données 2012 étant les plus récentes, elles subiront plus de modifications que celles de 2010 et 2011. Les données 2012 définitives devraient donc être plus élevées que 2011, contrairement à ce qu'indiquent ces données provisoires.

D'après les chiffres prévus dans le projet de loi de finances pour 2015, le montant du crédit d'impôt recherche diminuerait en 2015. Cependant, au vu des sous-estimations récurrentes de cette dépense fiscale ces dernières années, cette prévision peut être amenée à évoluer.

Évolution de l'estimation du coût de CIR en loi de finances

(en millions d'euros)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

PLF pour 2009

1 000

1 390

2 010

PLF pour 2010

1 500

5 800

4 000

PLF pour 2011

6 200

4 500

2 100

PLF pour 2012

4 900

2 275

2 300

PLF pour 2013

3 070

2 850

3 350

PLF pour 2014

3 370

4 050

5 800

PLF pour 2015

3 269

5 550

5 340

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

b) Une dépense fiscale peu pilotable

Le montant du crédit d'impôt recherche est difficile à anticiper : en effet, la dépense fiscale dépend de la dynamique de la créance, mais aussi de l'impôt sur les sociétés et des demandes de remboursement immédiat des entreprises, dont les règles ont varié depuis 2008, notamment durant le plan de relance, puis avec la généralisation aux PME (au sens communautaire) de la possibilité d'un remboursement immédiat. La part des entreprises - PME principalement, entreprises nouvelles, jeunes entreprises innovantes ou entreprises en difficulté - bénéficiaires du droit au remboursement immédiat et en demandant l'application peut en effet fluctuer selon les exercices et expliquer les variations de la dépense fiscale constatées en exécution. Ainsi, la créance fiscale a été systématiquement sous-évaluée entre 2010 et 2012.

Le crédit d'impôt recherche a fait l'objet de plusieurs études d'évaluation . Ces différentes analyses statistiques permettent de conclure à un effet positif de ce crédit d'impôt sur les dépenses de recherche des entreprises : votre rapporteur spécial considère en effet que la part de la recherche privée aurait reculé au cours des dernières années en l'absence de ce crédit d'impôt, qui a permis de stabiliser l'effort de recherche en France.

Toutefois, le coût du dispositif doit être maîtrisé : comme le souligne un rapport de l'OCDE paru en juin 2014 42 ( * ) , le CIR devrait être davantage concentré et ciblé sur les entreprises qui en ont le plus besoin. Il apparaît en particulier que les grandes entreprises bénéficient d'une dépense fiscale coûteuse pour l'État alors même que l'effet incitatif est réduit par rapport aux petites et moyennes entreprises, au vu des montants en jeu.

Un amendement a été déposé à l'Assemblée nationale par nos collègues députés Valérie Rabault, la rapporteure générale du Budget, Karine Berger et Yann Galut, visant à réduire le CIR des grandes entreprises. Il s'agit d'instaurer un plafond de 100 M€ pour le calcul du CIR au niveau des groupes, et non au niveau de chaque filiale. Cette mesure serait justifiée par l'existence d'une possibilité d'optimisation de la part des groupes, dont l'ampleur est cependant débattue.

2. La taxation au taux réduit des plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets

L'objectif de cette mesure est de soutenir l'effort de recherche des entreprises en accordant un régime favorable applicable aux cessions et concessions de brevets ou aux inventions brevetables . Les entreprises bénéficient, au titre de leur impôt sur les sociétés, d'une taxation à taux réduit (15 % au lieu de 33,33 %) pour les plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets, d'une invention brevetable ou d'un procédé de fabrication industriel, sous réserve qu'il n'existe pas de liens de dépendance entre l'entreprise cédante et l'entreprise cessionnaire.

Ce dispositif concerne environ 200 entreprises en 2013 et représente la dépense fiscale la plus importante du programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » (400 millions d'euros pour 2014).

Coût de la dépense fiscale

(en millions d'euros)

2011

2012

2013

PAP 2015

2014

PAP 2015

2015

PAP 2015

Taxation au taux réduit des plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets

850

705

630

400

Non connu

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Votre rapporteur spécial propose la diminution de cette dépense fiscale dont le bénéfice pour la société n'apparaît pas à la hauteur de son coût : à peine 200 entreprises sont concernées et la dépense n'a obtenu qu'un score de 1 lors de l'évaluation menée par le Comité d'évaluation des dépenses fiscales en 2011, contre un coût prévu de 400 millions d'euros pour 2015.

Votre rapporteur propose de supprimer cette dépense fiscale : en période de restriction budgétaire , il apparaît peu opportun de conserver une dépense fiscale peu efficace. Les marges de manoeuvre budgétaires ainsi dégagées pourraient être réallouées dans le cadre d'un plan de relance de l'emploi scientifique, dont nous verrons qu'il connaît des difficultés.

Votre rapporteur a demandé des informations plus détaillées relatives à cette dépense fiscale, que le Gouvernement s'est refusé à lui fournir. L'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances précise pourtant, au sujet des rapporteurs spéciaux, que « tous les renseignements et documents d'ordre financier et administratif qu'ils demandent, y compris tout rapport établi par les organismes et services chargés du contrôle de l'administration, réserve faite des sujets à caractère secret concernant la défense nationale et la sécurité intérieure ou extérieure de l'État et du respect du secret de l'instruction et du secret médical, doivent leur être fournis ».

D. LA NÉCESSITÉ D'UNE POLITIQUE RÉSOLUE DE FINANCEMENT DE L'EMPLOI SCIENTIFIQUE

1. Une précarisation de l'emploi scientifique

En France, en 2012 43 ( * ) , 412 000 équivalents temps plein étaient consacrés à la recherche . Sur une période allant de 2001 à 2011, ces emplois ont connu une augmentation de 22 %. Concernant plus particulièrement la population des chercheurs (hors personnels de soutien), la croissance des effectifs sur la même période (2001-2011) est plus importante encore puisqu'elle atteint 40 % sur 10 ans.

a) Une évolution contrastée entre secteurs public et privé

L'emploi scientifique est aujourd'hui plus important dans le secteur privé que dans le secteur public : l'un compte 239 000 équivalents temps plein, l'autre seulement 163 400.

Cette différence s'explique en partie par le fait que la croissance des effectifs entre 2001 et 2011 est principalement intervenue dans le secteur privé : les effectifs de chercheurs y ont cru de 68 % en dix ans, contre une hausse des effectifs de 13 % seulement dans le secteur public.

b) Dans le secteur public, la question de la qualité de l'emploi
(1) Une inflexion des départs en retraite ?

Les plafonds d'emplois des opérateurs de recherche augmentent ces dernières années et ils connaissent également une hausse en 2015.

L'évolution du plafond d'emplois des opérateurs de la recherche

2014

2015

Programme concerné

État

Opérateur

État

Opérateur

172 (et 187)

66024

70551

193

2417

2417

190

4637

4560

192

1267

2268

1248

2563

186

1121

1093

142

2696

929

2719

1215

Total

« Recherche »

3963

77396

3967

82399

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cependant, la baisse des financements accordés aux opérateurs laisse entière la question du financement et de la pérennisation de ces emplois.

En outre, en dehors de la stabilisation des crédits alloués aux opérateurs , qui n'encourage pas l'augmentation des dépenses de personnel, il faut également citer la diminution progressive du nombre de départs en retraite diminue mécaniquement les remplacements de ces départs.

Prévisions de départ en retraite des chercheurs des EPST
de 2014 à 2019

Source : réponse au questionnaire budgétaire

(2) D'un point de vue qualitatif, de nombreux emplois non titulaires

D'après les informations transmises par le Gouvernement à votre rapporteur, « la proportion de contractuels financés sur projet a augmenté depuis 2005 ». En effet, le financement sur projet est peu propice à un recrutement sur la longue durée - se pose dès lors, une fois le projet achevé, la question de la pérennisation des emplois créés.

La part de l'emploi non titulaire est ainsi loin d'être marginale : les établissements publics scientifiques et technologiques rémunéraient en 2012 42 600 emplois titulaires et environ 18 600 emplois contractuels (exprimés en équivalents temps plein travaillé). Environ un tiers des emplois rémunérés par les EPST sont donc contractuels.

Répartition de l'emploi des EPST entre emploi contractuel et emploi titulaire

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Pour certains opérateurs, comme l'INED ou l'Inserm, cette proportion est proche ou dépasse 50 % . D'après les chiffres fournis par le Gouvernement, l'INRIA compte même davantage d'emplois contractuels que d'emplois titulaires.

L'ensemble de ces éléments conduisent à prendre acte de la réalité d'une crise de l'emploi scientifique : au-delà des mouvements sociaux récents, dont le collectif « Sciences en marche » est un des plus médiatisé, il s'agit d'une préoccupation forte de l'ensemble des acteurs que votre rapporteur spécial a pu rencontrer. Le Comité national de la recherche scientifique 44 ( * ) (CoNRS) s'est d'ailleurs réuni pour la cinquième fois en soixante-dix ans d'existence sur ce thème, en juin 2014.

Votre rapporteur spécial est convaincu que le dynamisme de l'emploi scientifique est une des clés de la croissance future : il importe à ce titre de sanctuariser les financements qui lui sont dédiés et de dégager des marges de manoeuvre sur d'autres postes de dépenses pour garantir aux jeunes chercheurs des perspectives d'emploi satisfaisantes.

Votre rapporteur spécial propose ainsi que les marges de manoeuvre , dégagées par la suppression de la dépense fiscale liée aux cessions de brevet, qui a coûté 400 millions d'euros à l'État en 2014, soient réinvesties dans l'emploi scientifique et permettent d'augmenter le nombre d'emplois titulaires dans les organismes de recherche.

2. La difficile intégration des jeunes doctorants au marché du travail

L'intégration des jeunes doctorants au marché du travail est, en France plus qu'ailleurs, difficile. En effet, d'après une note du Centre d'analyse stratégique de juillet 2010 45 ( * ) , les titulaires d'un doctorat ont un taux de chômage plus élevé que les titulaires d'un master . Le taux de chômage des doctorants français est ainsi trois fois plus élevé que celui des doctorants des autres pays de l'OCDE. La note précitée permet de constater que cette situation n'est pas liée à une « surproduction » de doctorants par rapport aux autres pays, mais à un sous-investissement des entreprises en recherche et développement ainsi qu'à la préférence des entreprises pour les ingénieurs .

Cette situation pose un problème d'attractivité de la recherche et peut laisser craindre une désaffection à l'égard des diplômes de doctorat, alors même que la recherche française a besoin de jeunes chercheurs.

Votre rapporteur spécial souligne l'importance de conserver un emploi scientifique de qualité, ce qui induit, outre la sanctuarisation des financements dédiés aux chercheurs, un accompagnement renforcé des jeunes doctorants sur le marché du travail. La majoration des dépenses de personnel destinées à payer un jeune docteur dans le calcul de l'assiette du CIR constitue un dispositif tout à fait pertinent, de même que les modules de formation « insertion professionnelle » qui sont proposés par certaines écoles doctorales. Il est cependant possible d'imaginer aller plus loin, par exemple en cherchant à augmenter la proportion de thèses effectuées au sein des entreprises afin de rapprocher encore davantage les mondes universitaire et socio-économique.

A cet égard, la réussite que constitue le dispositif des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) doit être soulignée . Il s'agit de subventionner toute entreprise de droit français qui embauche un doctorant pour le placer au coeur d'une collaboration de recherche avec un laboratoire public. Les travaux aboutiront à la soutenance d'une thèse en trois ans. Les CIFRE sont intégralement financées par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche . 1350 conventions CIFRE ont été ouvertes en 2012 et en 2013.


* 39 CNRS, INSERM, INRA, INRIA, IRD, IRSTEA, INED.

* 40 Comme par exemple l'ADEME, le FCE ou OSEO.

* 41 CEA, CIRAD, IFREMER, BRGM.

* 42 Rapport du 27 juin 2014 concernant l'évaluation des politiques d'innovation en France.

* 43 Source : réponse au questionnaire budgétaire.

* 44 Le travail de cette instance, qui regroupe notamment le conseil scientifique du CNRS, des conseils scientifiques des instituts du CNRS et les sections chargées du recrutement et de l'évaluation, ne concerne pas seulement le CNRS : les universités et les autres organismes y sont aussi représentés.

* 45 Centre d'analyse stratégique, note n° 189 de juillet 2010.