MM. Alain Houpert et Yannick Botrel, rapporteurs spéciaux

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE
VOS RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Les principales observations de votre rapporteur spécial Alain Houpert

1. Le présent projet de loi de finances propose de doter en 2016 la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (AAFAR), portée par le ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt (MAAF), de 2,8 milliards d'euros en AE et 2,7 milliards d'euros en CP, ce qui représente une contraction marquée des dotations par rapport à 2015 (- 9,2 % en AE et - 6 % en CP, soit 220 millions d'euros et 108 millions d'euros de moins qu'en 2015). Selon le MAAF, il conviendrait toutefois d'interpréter l'évolution des crédits en fonction des modalités de mise en oeuvre de la nouvelle politique agricole commune (PAC) pour 2014-2020.

2. Alors que la contribution totale du ministère au financement public du secteur agricole représenterait 4,5 milliards d'euros en 2016 , le financement communautaire devrait atteindre 9,7 milliards d'euros . Le périmètre de la mission AAFAR ne s'élève donc qu'à moins de 20 % de l'ensemble des concours publics annuels à l'agriculture , qui représentent 15,35 milliards d'euros hors dépenses fiscales, sociales et locales.

3. L'exercice 2016 est peu marqué par le plan de soutien à l'élevage annoncé le 22 juillet 2015. Ce plan prévoit notamment des allègements et reports de charges pour un montant estimé d'au moins 600 millions d'euros . Les mesures devraient être imputées sur 2015 et largement financées par le dégel de la réserve de précaution . À la fin de l'été 2015, 110 millions d'euros ont ainsi été dégelés . Votre rapporteur spécial suivra les modalités de mise en oeuvre du plan avec vigilance, mais dans la mesure où cette initiative semble insuffisante , il a fait le choix de déposer le 16 octobre 2015, avec plusieurs de ses collègues, une proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire .

4. L'agriculture française reste insuffisamment compétitive et tournée vers l'export, comme l'avaient analysé en 2013 plusieurs de nos collègues dans un rapport sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires 1 ( * ) . Notre balance commerciale agricole et agroalimentaire est négative si l'on en retranche nos exportations de vins et d'alcools. Dans ce contexte alarmant, votre rapporteur spécial déplore que le soutien à l'export ne soit pas une priorité pour le Gouvernement . Non seulement la recommandation d'une réforme profonde du dispositif n'a pas été suivie , mais les moyens mêmes de ce dispositif sont en forte baisse : 5,85 millions d'euros dans le présent projet de loi de finances contre 10,2 millions d'euros en 2015, soit une réduction de près de 42 % de la dotation .

Votre rapporteur spécial juge qu'une telle évolution ne peut qu'être défavorable à la présence des produits agricoles et agroalimentaires français sur les marchés internationaux .

5. En 2016, les moyens alloués à la gestion des crises et des aléas disparaissent quasiment , passant de 28 millions d'euros en AE=CP à moins de 3,96 millions d'euros en AE et 3,42 millions d'euros en CP. Certes, le Gouvernement argue du transfert du financement de la gestion des risques au second pilier de la PAC à l'image de l'aide à l'assurance récolte , mais votre rapporteur spécial doute tout de même de la sincérité de la prévision . Le paradoxe continue de vouloir que les aléas climatiques, sanitaires ou économiques, qui bouleversent chaque année dans des proportions variables l'exécution budgétaire, soient pris en charge par l'action la moins dotée du programme 154. La relance du chantier de la couverture des risques par les mécanismes de marché est nécessaire alors que l'assurance récolte se diffuse lentement et a même reculé depuis 2013. La définition au cours de l'année 2015 par les pouvoirs publics et les compagnies d'assurance d'un « contrat socle » permettra peut-être d'infléchir cette tendance. Le lancement des produits d'assurance idoines prévu, au mieux, pour l'hiver prochain, devrait confirmer ou pas ce reflux.

6. Les refus d'apurement communautaires à venir font douter de la sincérité de la programmation 2016 de la mission . Ces corrections, qui sont au coeur d'un contrôle conduit en 2015 par votre rapporteur spécial , en commun avec nos collègues Yannick Botrel et François Marc, sur les relations entre le budget communautaire et le budget national à travers la PAC, connaissent depuis 2013 une croissance considérable : elles ont atteint 429 millions d'euros en 2014 et devraient s'établir à 871 millions d'euros en 2015 . En 2016 et 2017, il devait s'agir d'un minimum de d'au moins 360 millions d'euros suite à l'identification en début d'année 2015 de 1,1 milliard d'euros de corrections dues pour l'année en cours et pour les deux exercices suivants. Le Gouvernement a cependant fait le choix de faire porter le coût des deux tranches 2015 et 2016 sur l'exercice 2015 et de reporter le versement de la troisième tranche à 2017. Au-delà de ces acrobaties budgétaires, dont l'intérêt en termes d'amélioration du solde 2016 est entendu, votre rapporteur spécial regrette que le Gouvernement continue de faire le choix de mouvements ex post pour couvrir ces dépenses, qui devraient faire l'objet d'une dotation en loi de finances initiale , ce qui n'est, une fois de plus, pas le cas même s'il est certain que la France subira de nouvelles corrections l'année prochaine.

7. La mission « Développement agricole et rural » correspond au compte d'affectation spéciale éponyme, dit « CAS-DAR » . Ses recettes proviennent du produit d'une taxe affectée dont le montant est évalué à 147,5 millions d'euros pour 2016 . Votre rapporteur spécial se félicite de l'augmentation du financement d'actions par le biais de procédures d'appels à projets (42,43 millions d'euros en 2016, soit 29 % des crédits du compte en 2016, contre 12,82 % en exécution 2014 ; sur le seul programme 776 le taux monte même à 42 %, contre 19 % en 2015). Il plaide pour la poursuite de cet accroissement de la part des dépenses destinées à ce type d'actions. En dépit des avancées constatées, votre rapporteur spécial estime que la justification des dépenses reste encore insuffisante pour s'assurer que les crédits ne sont pas distribués en vertu d'une logique d'abonnement des organisations par lesquelles ils transitent .

Les principales observations de votre rapporteur spécial Yannick Botrel

1. Votre rapporteur spécial rappelle qu'il a récemment rendu avec notre collègue Alain Houpert un rapport sur la filière forêt-bois , ses atouts, ses difficultés et les réformes qu'il convient de mettre en oeuvre 2 ( * ) . Même si les actions mises en oeuvre par les pouvoirs publics vont dans le bon sens, les préconisations qui y sont présentées restent entièrement d'actualité et doivent faire l'objet de réflexions et d'actions, à commencer par celle de privilégier davantage le soutien à l'innovation et à la stratégie de montée en gamme dans le domaine du bois, ce que l'audition des responsables du pôle de Compétitivité « Xylofutur » , dans le cadre de la préparation de l'examen du présent projet de loi de finances pour 2016, a confirmé.

2. Les crédits en faveur de la forêt sont quasi-stables en 2016 . Une légère diminution est à noter du fait de la réduction de la subvention à l'Office national des forêts (ONF), maillon faible de la filière forêt-bois française. Cette baisse découle du redressement du cours du bois. Elle n'est pas complètement compensée par la réinscription au budget de la subvention au centre national de la propriété forestière (CNPF), qui avait dû, en 2015, se financer grâce à son fonds de roulement largement excédentaire, sans bénéficier de dotation par le budget de l'État.

3. L'équilibre financier de l'ONF est en cours de discussion cet automne, dans le cadre de la renégociation anticipée de son contrat d'objectifs et de performance (COP) pour 2016-2020, qui devrait être signé avant la fin de l'année. Selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial auprès des responsables de l'ONF, les évolutions entre le précédent et le nouveau COP seront marquées par les moindres ambitions des objectifs de l'opérateur en termes de mobilisation de la ressource bois (6,3 millions de mètres cube par an au lieu de 6,8 millions en forêt domaniale, 8,3 millions de mètres cube par an au lieu de 9,3 millions dans les forêts des collectivités). Le nouveau COP devrait également prévoir une stabilisation des moyens en personnels de l'office et son retour à l'équilibre financier, en cohérence avec les dotations budgétaires qui lui sont destinées. Votre rapporteur spécial regrette que le COP en cours de discussion révise à la baisse les ambitions assignées à l'ONF et il invite à tourner cet opérateur vers une logique de résultats et à accroître ses récoltes de bois . L'ONF doit mettre en place une véritable politique commerciale , structurée et dotée d'une expertise autonome. De même les efforts de l'office en matière d' organisation interne doivent être poursuivis, notamment pour ce qui concerne la mise en place d'une comptabilité analytique et l'optimisation de sa fonction ressources humaines. À cet égard, votre rapporteur spécial s'étonne que les responsables de l'ONF comptent remplacer les départs de fonctionnaires et de salariés en retraite par des emplois aidés et des apprentis . Une telle stratégie paraît bien incertaine, voire, à certains égards, peu responsable.

4. À la fin de l'année 2015, le centre national de la propriété forestière (CNPF) pourrait faire face à d'importants problèmes de trésorerie selon ses responsables. Votre rapporteur spécial demande donc au Gouvernement de se pencher sur le sujet et d'anticiper d'éventuelles futures difficultés : à la fin du mois de septembre 2015, sa trésorerie serait de 9 millions d'euros alors que ses dépenses mensuelles seraient de l'ordre de 3 millions d'euros .

5. Les onze dépenses fiscales rattachées au programme 149 « Forêt » sont de taille inégale et devraient avoir un coût de 113 millions d'euros en 2016 . Les deux mesures de fiscalité forestière fiscales les plus coûteuses sont les exonérations au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et des droits de mutation à titre gratuit (DMTG). Mais en réalité leur coût n'est pas strictement forestier , ce qui conduit à une surestimation importante de ces dépenses. Le coût de ces deux mesures fiscales patrimoniales serait en réalité plus proche de 20 millions d'euros pour chacune selon la Cour des comptes. Le dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt (DEFI) devrait représenter pour sa part un coût modeste de 9 millions d'euros. De manière générale s'agissant des mesures fiscales sur lesquelles s'appuie notre politique forestière, votre rapporteur spécial juge pertinent de ne pas réduire le coût global des dépenses fiscales dont bénéficie la filière. Il préconise plutôt un rééquilibrage progressif des soutiens publics vers les mesures fiscales à visée incitative. Il doit donc s'agir, en particulier, de favoriser les mesures d'incitation à l'investissement , telles que le DEFI ou le compte d'investissement forestier et d'assurance (CIFA) dont la diffusion chez les professionnels reste assez confidentielle.

6. Le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » consacré au fonctionnement de la direction générale de l'alimentation (DGAL) et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) témoigne de l'attention du Gouvernement à cette politique publique. Il permet la reconduite en 2016 des principales actions menées , à l'image des dépenses liées à la lutte contre les maladies animales. Par ailleurs, ce budget prévoit la création de 60 postes supplémentaires pour les contrôles sanitaires et phytosanitaires . En deux ans, 120 postes auront ainsi été créés. Hors crédits de personnel, ses moyens sont, certes, en baisse de 5,4 % en AE et 6,3 % en CP en 2016 par rapport à 2015. Mais cette baisse de crédits ne correspond pas à une moindre exigence en matière de sécurité sanitaire. Pour votre rapporteur spécial, le Gouvernement doit veiller à conserver des moyens de contrôle sanitaire adaptés . La reconnaissance de la sécurité alimentaire en tant qu'objectif des politiques agricoles traduit la valeur accordée à cette préoccupation transversale dont il s'agit de faire un principe général d'action publique .

7. Votre rapporteur spécial a souhaité faire le point sur la prévalence de la tuberculose dans les cheptels et les moyens utilisés pour la combattre parce qu'elle est l' une des maladies infectieuses les plus difficiles à combattre et qu' en 2016 un nouveau plan de lutte sera lancé. Il attire l'attention du Gouvernement sur le fait qu'il est prévu que le financement de ces nouvelles mesures se fasse à enveloppe réduite , soit 25,4 millions d'euros en 2016 contre 28,9 millions d'euros en 2015.

En application de l'article 49 de la LOLF, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent projet de loi de finances, la date limite était fixée au 10 octobre 2015 .

À cette date, seules 50,63 % des réponses au questionnaire budgétaire étaient parvenues à vos rapporteurs spéciaux .


* 1 « L'agroalimentaire français face au défi de l'export : pour une réforme ambitieuse du dispositif public de soutien », rapport n° 736 (2012-2013) par Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin et André Ferrand.

* 2 En application de l'article 58-2° de la LOLF, la commission des finances a confié à la Cour des comptes une enquête sur les soutiens à la filière forêt-bois, qui a conduit à la remise d'un rapport « Faire de la filière forêt-bois un atout pour la France », n° 382 (2014-2015).