MM. Alain Houpert et Yannick Botrel, rapporteurs spéciaux

PREMIÈRE PARTIE : OBSERVATIONS SUR LA MISSION ET LES POLITIQUES AGRICOLES
(PROGRAMMES 154 ET 215 - RAPPORTEUR SPÉCIAL :
ALAIN HOUPERT)

1. L'évolution globale des crédits de la mission : la baisse généralisée des crédits en 2016 (- 9 % en AE et - 6 % en CP)

Le présent projet de loi de finances propose de doter la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (AAFAR) 3 ( * ) , portée par le ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt (MAAF) 4 ( * ) , de 2,8 milliards d'euros en AE et 2,7 milliards d'euros en CP (hors fonds de concours).

Évolution 2015-2016 de la mission
« Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales »

(en millions d'euros et en %)

Programmes

LFI 2015

projet de loi de finances 2016

Évolution

AE

CP

AE

CP

AE

CP

154 « Économie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires »

1 610,8

1 412

1 390,4

1 303,4

-13,7 %

-7,7 %

149 « Forêt »

278,8

292,2

277,7

291,3

-0,4 %

-0,3 %

206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation »

496,1

487,9

494,8

486,5

-1,6 %

-1,6 %

215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture »

715,2

723,6

659,6

664

-7,8 %

-8,1 %

Total mission

3 101

2 922,6

2 815,7

2 745,3

-9,2%

-6,1 %

dont dépenses de personnel

916,3

859,7

916,3

859,7

-6,2%

-6,2 %

Source : projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2016

La dotation de la mission en 2016 est caractérisée par la contraction marquée des dotations par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale pour 2015 : les AE enregistrent une baisse sensible (- 9,2 %, soit 220 millions d'euros de moins qu'en 2015) tandis que les CP sont en réduction de 6 % (108 millions d'euros de moins). Le plafond d'emplois de la mission passe de 13 329 ETPT en 2015 à 12 652 ETPT en 2016 (- 677 ETPT).

Hors crédits de personnel , ces dotations représentent une réduction des AE un peu plus accusée encore, de 10,4 % en 2016 par rapport à 2015. Les dépenses de titre 2 s'élèvent pour leur part à 859,7 millions d'euros en AE = CP, soit une baisse d'environ 6 % par rapport à 2015.

Deux des opérateurs subventionnés par le programme 154 « Économie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires » de la mission AAFAR sont directement concernés par cette réduction des moyens en 2016 mais de manière modérée (les opérateurs rattachés au programme 149 « Forêt » font l'objet d'une présentation par notre collègue Yannick Botrel dans la deuxième partie du présent rapport) :

- l'agence de services et de paiement (ASP) : 105 millions d'euros au lieu de 107 millions d'euros de subvention ;

- l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) : 91,5 millions d'euros au lieu de 96,4 millions d'euros ;

- l'institut français du cheval et de l'équitation (IFCE) : 43 millions d'euros ;

- l'institut national de l'origine et de la qualité (INAO) : 17 millions d'euros ;

- l'office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (ODEADOM) : 4,5 millions d'euros ;

- l'agence nationale pour le développement et la promotion de l'agriculture (Agence BIO) : 1,4 million d'euros ;

- enfin, l'office de développement agricole et rural corse 5 ( * ) (ODARC) : stable avec ses 300 000 euros de subvention.

Selon le MAAF, il conviendrait toutefois d'interpréter l'évolution des crédits en fonction des modalités de mise en oeuvre de la nouvelle politique agricole commune (PAC) pour 2014-2020 : outre la hausse du taux des cofinancements communautaires plus sensible en 2015 qu'en 2014, cette nouvelle programmation du budget de l'Union européenne (UE) avait conduit à un engagement plus massif que d'ordinaire en 2015 , en raison des AE ouvertes au titre de la mise en oeuvre pour cinq ans des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) de la nouvelle PAC. La baisse des AE en 2016 à ce titre serait de 225 millions d'euros car la majorité des contrats auraient été réengagés en 2015. En CP, la fin de la programmation du FEADER 2007-2013 réduirait les besoins de 75 millions d'euros en particulier au titre de la modernisation des exploitations et du financement des prêts bonifiés. En outre, 24,3 millions d'euros en AE et en CP ont été retranchés de la mission en raison du transfert intégral sur le second pilier de la PAC du financement de la gestion des risques, qui relevait, jusqu'en 2015, du budget national à hauteur de 25 %.

En dépit de la baisse des crédits en 2016, les plafonds prévus par la programmation pluriannuelle sont légèrement dépassés . En effet, selon l'article 13 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, hors contribution directe au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », les plafonds alloués à la présente mission sont fixés à 2,64 milliards d'euros en 2015, 2,49 milliards d'euros en 2016 et 2,46 milliards d'euros en 2017. Pour 2016, les crédits demandés pour la mission sont de 2,74 milliards d'euros, dont 241 millions d'euros au titre de la contribution d'équilibre au CAS « Pensions ». Votre rapporteur spécial observe donc que le plafond fixé par le projet de loi de programmation des finances publiques précité n'est pas respecté . Dans la mesure où la budgétisation de la mission est traditionnellement faite au plus juste et que des aléas plus ou moins prévisibles, et non financés, interviennent assez régulièrement, ce dépassement des plafonds conduit à s'interroger sur le caractère réaliste de la programmation pluriannuelle de la mission et/ou sur la sincérité du projet de budget proposé pour 2016.

La programmation pluriannuelle de la mission

(en milliards d'euros)

2015

2016

2017

Plafonds hors CAS « Pensions »

2,64

2,49

2,46

Source : projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019

La mission AAFAR reste marquée en 2016 par ses dispositifs d'intervention (45 % des crédits de la mission), largement cofinancés par l'Union européenne. En effet, les crédits de la mission doivent être rapprochés des autres concours publics à l'agriculture , et en particulier des dotations communautaires accordées au titre de la politique agricole commune (PAC) . Celles-ci représentent 63 % du total des dépenses de l'UE réparties sur notre territoire en 2014 (contre 68 % en 2013 et environ 75 % les années précédentes), continuant de faire de notre pays le premier bénéficiaire de cette politique communautaire.

Alors que la contribution totale du ministère au financement public du secteur agricole représenterait 4,5 milliards d'euros 6 ( * ) en 2016 hors dépenses fiscales (2,9 milliards d'euros prévus), le financement communautaire devrait atteindre 9,7 milliards d'euros (dont 7,3 milliards d'euros au titre du premier pilier et 2,4 milliards d'euros au titre du deuxième pilier) tandis que les concours apportés par les collectivités territoriales sont estimés à environ un milliard d'euros par an.

À partir des dernières données d'exécution disponibles, soit 2014, votre rapporteur spécial observe que le périmètre de la mission AAFAR représente donc moins de 20 % de l'ensemble des concours publics annuels à l'agriculture, qui s'établissent à 15,35 milliards d'euros hors dépenses fiscales, sociales et locales.

Les concours publics à l'agriculture en 2014

(en millions d'euros)

LES CONCOURS PUBLICS

2013

2014

2014/2013

État 2014

UE 2014

2014

2014/
2013

2014

2014/
2013

Régulation des marchés dont :

251,6

266,2

5,8%

505,6

289,5%

-239,4

-296,5%

Restitutions à l'exportation

0,2

-99,4%

0,0

0,2

-99,4%

Dépenses d'intervention

31,3

30,1

-3,7%

0,0

-47,8%

30,1

-3,6%

Aides à l'écoulement sur le marché intérieur

9,8

6,9

-29,4%

0,0

6,9

-29,4%

Autres soutiens (adaptation des filières, apurement et taxes)

183,4

229,0

24,9%

505,6

289,7%

-276,6

-615,2%

Aides liées aux produits dont :

870,9

750,9

-13,8%

137,9

-37,2%

613,0

-5,9%

Prime à la vache allaitante

640,3

528,5

-17,5%

67,6

-58,0%

460,9

-3,9%

Autres paiements directs liés aux produits

230,6

222,5

-3,5%

70,3

19,4%

152,1

-11,4%

Maîtrise de l'offre

15,0

8,2

-45,3%

8,2

-45,3%

0,0

39,4%

Paiements uniques et article 68, dont :

7 138,3

6 758,6

-5,3%

0,0

6 758,6

-5,3%

Paiements uniques

6 771,8

6 307,7

-6,9%

0,0

6 307,7

-6,9%

Paiements article 68

366,5

450,9

23,0%

0,0

450,9

23,0%

Organisation et modernisation des filières dont :

359,0

346,6

-3,4%

44,3

40,9%

302,4

-7,7%

Dynamique des filières de production (dont restructuration vignoble)

235,0

232,9

-0,9%

34,3

51,1%

198,6

-6,4%

Dynamique des filières de commercialisation (actions de modernisation)

124,0

113,8

-8,3%

10,0

14,3%

103,8

-10,0%

Actions de promotion et qualité des produits

83,1

113,2

36,2%

62,1

4,9%

51,1

113,9%

Aide alimentaire

93,0

11,7

-87,4%

1,2

-88,8%

10,5

-87,3%

Gestion aléas de production et allègement des charges dont :

641,9

579,5

-9,7%

579,5

-9,7%

0,0

48,7%

FNGRA, bonification prêt calamités, FAC et Agridiff

523,7

458,5

-12,4%

458,5

-12,4%

0,0

Autres mesures

1,2

5,4

344,2%

5,3

352,0%

0,0

48,7%

TIPP et TICGN

117,0

115,7

-1,2%

115,7

-1,2%

0,0

TOTAL AIDES DE MARCHÉ ET AIDES DIRECTES

9 452,9

8 835,0

-6,5%

1 338,8

20,9%

7 496,3

-10,2%

Développement rural dont :

1 600,2

1 741,7

8,8%

619,6

-9,6%

1 122,1

22,7%

Installation et maîtrise des pollutions (Bonif, DJA, PMPOA, CTE/CAD, PMBE)

336,8

395,3

17,4%

183,0

13,9%

212,3

20,5%

Cessation d'activité en agriculture (IVD-Préretraite)

44,4

36,9

-17,0%

36,3

-17,4%

0,6

21,1%

Compensation de handicaps naturels (ICHN et autres mesures)

570,1

626,5

9,9%

161,3

-36,7%

465,2

47,6%

Mesures agro-environnementales (PHAE-CTE/CAD)

391,0

388,1

-0,7%

128,3

2,1%

259,8

-2,1%

Aménagement et protection de l'espace rural (Axe 3, leader...)

173,0

207,1

19,7%

63,8

25,3%

143,2

17,4%

Transformation et commercialisation des produits agricoles (POA)

43,9

47,9

8,9%

6,9

-17,7%

41,0

15,2%

Activités hippiques

40,9

40,0

-2,3%

40,0

-2,3%

0,0

Sécurité sanitaire des végétaux et des animaux dont :

216,9

159,4

-26,5%

136,9

-30,9%

22,5

19,7%

Service public de l'équarrissage et élimination des farines animales

63,7

11,7

-81,6%

11,7

-81,6%

0,0

Lutte contre les maladies des végétaux et des animaux

153,2

147,7

-3,6%

125,2

-6,9%

22,5

19,7%

TOTAL AGRICULTURE ET TERRITOIRES RURAUX

11 269,9

10 736,2

-4,7%

2 095,3

5,2%

8 640,9

-6,9%

Forêt dont :

318,3

340,0

6,8%

307,0

5,1%

33,0

26,3%

Gestion des forêts publiques et protection de la forêt

201,2

236,2

17,4%

228,0

17,4%

8,3

18,2%

Développement économique de la filière et gestion durable

117,2

103,8

-11,4%

79,0

-19,4%

24,7

29,3%

Services généraux dont :

1 304,8

1 329,2

1,9%

1 320,5

2,0%

8,6

-11,1%

Personnel

1 061,7

1 085,9

2,3%

1 083,4

2,3%

2,5

8,5%

Autres frais de fonctionnement

243,0

243,3

0,1%

237,2

0,6%

6,1

-17,1%

Enseignement et recherche dont :

2 463,0

2 500,2

1,5%

2 480,3

1,4%

19,9

19,9%

Enseignement technique

1 316,5

1 343,3

2,0%

1 343,3

2,0%

0,0

Apprentissage, formation continue et autres

32,6

34,3

5,3%

14,3

-10,0%

19,9

19,9%

Enseignement supérieur

270,2

282,4

4,5%

282,4

4,5%

0,0

Recherche, développement et transfert de technologie

843,7

840,2

-0,4%

840,2

-0,4%

0,0

TOTAL (hors protection sociale)

15 356,1

14 905,6

-2,9%

6 203,1

3,0%

8 702,4

-6,7%

Source: commission des finances d'après les réponses au questionnaire adressé au ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt

2. Un exercice 2016 peu marqué par le plan de soutien à l'élevage

Le Gouvernement a annoncé le 22 juillet 2015 un plan de soutien à l'élevage , avec la mise en place de nombreuses mesures d'urgence enrichies par de nouvelles annonces du Premier ministre Manuel Valls suite à la journée de mobilisation des agriculteurs du 3 septembre dernier. Ce plan prévoit notamment des allègements et reports de charges pour un montant estimé d' au moins 600 millions d'euros ainsi que la restructuration de la dette des éleveurs. Il faut noter que l'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties correspond à des remises gracieuses sur demande, que l'extension des exonérations fiscales aux installations de méthanisation construites antérieurement à 2015 est prévue par l'article 7 du présent projet de loi de finances pour 2016 et que l'éligibilité des associés des coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA) à la déduction exceptionnelle en faveur de l'investissement prévue par la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques du 6 août 2015 7 ( * ) est prévue par l'article 7 bis du présent projet de loi de finances pour 2016.

Selon les informations transmises par le MAAF, les mesures seront imputées sur 2015 et devraient être largement financées par le dégel de la réserve de précaution du programme 154 .

À la fin de l'été 2015, 110 millions d'euros ont ainsi été dégelés . Au niveau européen, une enveloppe de 500 millions d'euros, annoncée le 15 septembre 2015, doit permettre d'aider le secteur de l'élevage, et tout particulièrement la filière lait et la filière porcine des États membres, sans être prélevée sur le budget disponible de la PAC (ce qui est le cas lorsque la réserve de crise de l'UE pour le secteur agricole est activée). Et selon une ventilation provisoire, il devrait s'agir d'environ 65 millions d'euros destinés à la France .

Votre rapporteur spécial suivra les modalités de mise en oeuvre du plan de soutien à l'élevage avec vigilance , surtout que la recherche d'effets d'annonce est souvent de mise face aux crises du secteur agricole .

Il souligne ainsi que les trois milliards d'euros d'investissements dans les exploitations d'ici 2017 correspondent en réalité à une hausse de 30 millions d'euros par an des crédits du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles 8 ( * ) (PCAE), avec une dotation budgétaire qui passe de 26 millions d'euros par an à 56 millions d'euros par an à partir de 2016. Pour le MAAF, le concours des régions et de l'Union européenne porterait annuellement les aides publiques à un total de 350 millions d'euros, ce qui permettrait d'engendrer un milliard d'euros d'investissement par an d'ici 2017 dans les filières d'élevage.

Votre rapporteur spécial relève, par ailleurs, que cette mesure en faveur du PCAE est la seule mesure du plan d'urgence pour l'élevage qui associe des dotations budgétaires à un objectif d'amélioration de la compétitivité des exploitations agricoles : à l'heure où la faiblesse de notre compétitivité apparait comme le talon d'Achille de notre agriculture, cette initiative semble très insuffisante .

C'est pourquoi il a fait le choix de déposer le 16 octobre 2015, avec plusieurs de ses collègues et suite à une demande du président du Sénat, une proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire 9 ( * ) : ainsi que l'explique l'exposé des motifs de ce texte, les difficultés conjoncturelles des filières d'élevage masquent la faiblesse structurelle de notre compétitivité. Ses 13 articles sont autant d'efforts pour aller plus loin que les mesures de circonstance du Gouvernement . Peuvent être cités, en particulier, l'article 4 qui permet aux agriculteurs subissant une crise de reporter le paiement de leurs échéances d'emprunts destinés à financer des investissements ; l'article 5 qui crée un « livret vert » afin de drainer l'épargne populaire vers des investissements dans le monde agricole ; l'article 6 qui réforme et élargit la déduction pour investissements (DPI) et la déduction pour aléas (DPA) ; ou, encore, l'article 7 qui rend les bâtiments de stockage éligibles à la déduction exceptionnelle en faveur de l'investissement , prévue par l'article 142 de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques précitée.

3. Une agriculture française insuffisamment compétitive et tournée vers l'export

Les terres agricoles occupent en France 28 millions d'hectares en 2014, soit environ 51 % du territoire métropolitain. Les exploitations agricoles, au nombre de 452 000 exploitations et au sein desquels 908 000 personnes travaillent, disparaissent à un rythme de 3 % par an (taux stable depuis une quinzaine d'années). Elles sont de plus en plus confrontées à la concurrence internationale , sous l'effet des réformes successives de la PAC depuis les années 1990.

Dans ce contexte et avec une demande intérieure qui reste stable, l'agriculture française doit relever le défi de la compétitivité et se tourner vers l'export. Les résultats sont à cet égard inquiétants , comme l'avaient du reste analysé en 2013 plusieurs de nos collègues dans un rapport sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires 10 ( * ) . Ainsi, l'excédent des échanges agricoles et agroalimentaires français a atteint 9,2 milliards d'euros en 2014 , ce qui représente une baisse de 2 milliards d'euros par rapport à 2013 (- 1,2 milliard d'euros vers l'Union européenne et - 800 millions d'euros vers les pays tiers). Cette contraction résulte surtout de nos exportations qui ont diminué de près de 4 % en valeur à 57,9 milliards d'euros, alors que nos importations restent pratiquement identiques, à 48,7 milliards d'euros. Pour mémoire le secteur agricole et agroalimentaire représente 13 % de la valeur totale des exportations françaises. En ce qui concerne les seules productions agricoles , le solde des échanges est de 2,8 milliards d'euros en 2014 contre 4,2 milliards d'euros en 2013 (les exportations de produits agricoles s'élèvent en 2014 à 14,7 milliards d'euros, en baisse de plus de 10 % par rapport à 2013).

Depuis plusieurs années, le fait de retrancher nos exportations de vins et d'alcools conduit à faire apparaître un solde négatif de notre balance commerciale agricole et agroalimentaire . L'excédent des vins et spiritueux est en effet à lui seul de plus de 9,5 milliards d'euros, il est au demeurant, lui-aussi, en baisse .

Dans un tel contexte, qui à bien des égards peut être qualifié d'alarmant, votre rapporteur spécial déplore que le soutien à l'export, au moins s'agissant du dispositif public de promotion, ne soit pas une priorité pour le Gouvernement .

Non seulement la recommandation d'une réforme profonde du dispositif , faite par nos collègues dans leur rapport précité, n'a pas été suivie par le Gouvernement , à commencer par le rapprochement effectif entre Sopexa et Business France, mais ce sont les moyens mêmes de ce dispositif qui sont en forte baisse : pour les mêmes opérateurs qu'en 2015 11 ( * ) , le présent projet de loi de finances pour 2016 ne prévoit que 5,85 millions d'euros contre 10,2 millions d'euros en 2015, soit une réduction de près de 42 % de la dotation en faveur des actions de promotion à l'international . Votre rapporteur spécial juge qu'une telle évolution ne peut qu'être défavorable à la présence des produits agricoles et agroalimentaires français sur les marchés internationaux .

Pour l'heure, le Gouvernement choisit de placer ses espoirs dans les allègements de charges sociales et fiscales issues du Pacte de responsabilité et de solidarité . Sous réserve de la montée en puissance des mesures associées au pacte, ces allègements devraient représenter, en 2016, 734 millions d'euros pour les exploitations agricoles et 966 millions d'euros pour les entreprises et coopératives du secteur agro-alimentaire , soit un total de 1,7 milliard d'euros.

Votre rapporteur fera, sur ce sujet aussi, preuve d'une grande vigilance , surtout que les mesures traditionnelles visant à faire face aux aléas, telles que le fonds d'allègement des charges, ne sont quasiment plus dotées en loi de finances initiale.

4. La quasi-disparition des moyens alloués à la gestion des crises et des aléas

L'action 2 « Gestion des crises et aléas » du programme 154, qui était déjà en baisse les années précédentes, enregistre en 2016 une réduction inédite de ses crédits , passant de 28 millions d'euros en AE=CP à moins de 3,96 millions d'euros en AE et 3,42 millions d'euros en CP. Le paradoxe continue de vouloir que les aléas climatiques, sanitaires ou économiques, qui bouleversent chaque année dans des proportions variables l'exécution budgétaire, soient pris en charge par l'action la moins dotée du programme 154.

Certes, le Gouvernement argue du transfert du financement de la gestion des risques au second pilier de la PAC à l'image de l'aide à l'assurance récolte , mais votre rapporteur spécial doute tout de même de la sincérité de la prévision .

Il rappelle qu'outre le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), jamais doté en loi de finances initiale par le Gouvernement alors même que l'article L. 361.5 du code rural dispose que les ressources du fonds sont composées d'une subvention inscrite au budget de l'État, l'action 2 permet de financer le fonds d'allègement des charges (FAC) et le dispositif « agriculteurs en difficulté » (AGRIDIFF). Bien que la survenue de crises soit par nature imprévisible et rende difficile toute budgétisation en loi de finances initiale, le caractère récurrent des aléas qui touchent le monde agricole laisse votre rapporteur spécial songeur.

Au total, il apparaît que la question des aléas climatiques, économiques et sanitaires subis par le monde agricole ne fait toujours pas l'objet d'une prise en charge satisfaisante d'un point de vue budgétaire . Cette prise en charge se détériore année après année.

Il faut souhaiter que le chantier de la couverture des risques par les mécanismes de marché soit efficacement relancé par les pouvoirs publics alors que l'assurance récolte se diffuse lentement et a même reculé depuis 2013 (recul de 2 % entre 2013 et 2014, qui frappe surtout les grandes cultures). La définition au cours de l'année 2015 par les pouvoirs publics et les compagnies d'assurance d'un « contrat socle » 12 ( * ) permettra peut-être d'infléchir cette tendance. Le lancement des produits d'assurance idoines prévu, au mieux, pour l'hiver prochain, devrait confirmer ou pas ce reflux.

5. Des refus d'apurement communautaires à venir qui font douter de la sincérité de la programmation 2016 de la mission

Les refus d'apurement des dépenses de la PAC , qui résultent principalement de défaillances dans nos systèmes d'octroi et de contrôle des aides, sont au coeur d'un contrôle conduit par votre rapporteur spécial en 2015 sur les relations entre le budget communautaire et le budget national à travers la PAC, en commun avec nos collègues Yannick Botrel et François Marc, respectivement rapporteurs spéciaux de la mission « Agriculture Alimentation Forêt et Affaires Rurales » et des « Affaires européennes », c'est-à-dire du prélèvement sur recettes au profit du budget de l'Union européenne.

Pendant les années 1990 et 2000, le montant moyen de ces corrections représentait un peu moins de 100 millions d'euros par an . Les efforts fournis par le Gouvernement avaient fini par porter leurs fruits puisque l'exercice 2011 marqua un record dans le niveau des refus d'apurement, en atteignant 18,41 millions d'euros. En 2012 et 2013, il s'est agi respectivement de 63,73 millions d'euros et 41,2 millions d'euros. Mais depuis 2013, ces refus d'apurement supportés par le budget national connaissent une croissance considérable : ils ont ainsi atteint 429 millions d'euros en 2014 et devraient s'établir à 871 millions d'euros en 2015 . En 2016 et 2017, il devait s'agir d'un minimum de refus d'apurement d'au moins 360 millions d'euros suite à l'identification en début d'année 2015 de 1,1 milliard d'euros de corrections dues pour l'année en cours et pour les deux exercices suivants. Le Gouvernement a fait le choix de faire porter le coût des deux tranches 2015 et 2016 sur l'exercice 2015 et de reporter le versement de la troisième tranche à 2017.

Au-delà de ces acrobaties budgétaires, dont l'intérêt en termes d'amélioration du solde 2016 est entendu, votre rapporteur spécial regrette que le Gouvernement continue de faire le choix de mouvements ex post pour couvrir ces refus d'apurement communautaires. Ces dépenses devraient faire l'objet d'une dotation en loi de finances initiale , ce qui n'est, une fois de plus, pas le cas. Elles font donc douter de la sincérité de la programmation 2016 de la mission . En effet même si le versement des 360 millions d'euros dus en 2016 est imputé sur 2015, il est certain que la France aura de nouvelles corrections l'année prochaine. Le Gouvernement relève même dans sa réponse au questionnaire budgétaire que « le niveau de refus d'apurement pour les exercices à venir reste élevé (...) et (que) les principales nouvelles corrections attendues portent sur les droits à paiement unique, les aides aux surfaces, la conditionnalité des aides et les restitutions aux volailles ».

6. La stabilité en 2016 du montant d'environ 3 milliards d'euros de dépenses fiscales rattachées au programme 154

Les 25 dépenses fiscales rattachées au programme 154 devraient avoir un coût de 2,7 milliards d'euros en 2016 , dont 2,6 milliards d'euros pour les impôts perçus par l'État et 194 millions d'euros pour les dépenses fiscales concernant les impôts locaux. Ces dispositifs devraient être stables en 2016, à de rares exceptions : ainsi, le présent projet de loi de finances pour 2016 prévoit par ses articles 7 et 7 bis deux mesures fiscales notables : d'une part, une extension des exonérations fiscales bénéficiant aux installations de méthanisation construites antérieurement à 2015 ; d'autre part, l'éligibilité des associés des coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA) à la déduction exceptionnelle en faveur de l'investissement prévue par la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques du 6 août 2015 13 ( * ) .

Une autre réforme, de plus grande envergure, est annoncée suite aux activités en 2015 du groupe de travail sur la fiscalité agricole mis en place par le Gouvernement. Le remplacement du forfait agricole par un dispositif dit de « micro-bénéfices agricoles » ou micro-BA a notamment été étudié et pourrait figurer dans une prochaine loi de finances. La réforme consisterait à retenir, pour déterminer le résultat imposable, un abattement forfaitaire de 87 % pour tenir compte des charges. Des mécanismes de lissage seraient prévus afin de permettre une montée en puissance progressive du dispositif.


* 3 La mission s'appelait jusqu'au projet de loi de finances 2013 « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales ». Les crédits de la pêche ayant été transférés à la mission « Écologie, développement et aménagement durables », un tel changement d'intitulé était devenu indispensable.

* 4 Pour la même raison, à laquelle il convient d'ajouter le transfert de compétence de l'aménagement du territoire vers le ministère de l'égalité des territoires et du logement, le ministère a également changé d'intitulé. Le ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire est donc devenu en 2012 le ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt (MAAF).

* 5 Seul ce dernier organisme n'est pas un opérateur de l'État puisqu'il agit pour la collectivité territoriale de Corse.

* 6 Ce montant correspond au périmètre du ministère, et non à celui de la mission.

* 7 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron ».

* 8 Ce plan s'est substitué en 2015 au plan de modernisation des bâtiments d'élevage (PMBE), au plan végétal pour l'environnement (PVE) et au plan de performance énergétique (PPE).

* 9 Proposition de loi n° 86, 2015-2016.

* 10 « L'agroalimentaire français face au défi de l'export : pour une réforme ambitieuse du dispositif public de soutien », rapport n° 736 (2012-2013) par Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin et André Ferrand.

* 11 Soit Sopexa, Business France, Adepta et Ceneca.

* 12 Répondant selon le Gouvernement à une logique de « coup dur », ce contrat socle a pour objectif de soutenir l'agriculteur touché par un aléa climatique et lui permettre de relancer un cycle de production. Sa spécificité repose sur le principe d'un plafonnement du capital assuré. Il devrait permettre de limiter le coût de l'assurance et faciliter l'accès d'un plus grand nombre d'agriculteurs à ce moyen de protection. Un tel produit devrait permettre de mieux protéger les exploitations et de mieux asseoir la viabilité de l'assurance récolte grâce à une meilleure mutualisation des risques liés aux aléas climatiques.

* 13 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron ».