MM. Alain Houpert et Yannick Botrel, rapporteurs spéciaux

DEUXIÈME PARTIE : OBSERVATIONS SUR LA POLITIQUE FORESTIÈRE ET LA SÉCURITÉ SANITAIRE DE L'ALIMENTATION
(PROGRAMMES 149 ET 206 - RAPPORTEUR SPÉCIAL : YANNICK BOTREL)

1. Des crédits en faveur de la forêt pratiquement stables

Le programme 149 « Forêt » concerne le financement de la politique nationale en matière de forêt et de soutien à l'amont de la filière forêt-bois 14 ( * ) . En dehors de la participation à l'effort de maîtrise de dépenses publiques, son budget est stable.

Votre rapporteur spécial rappelle qu'il a récemment rendu avec notre collègue Alain Houpert un rapport sur cette filière , ses atouts, ses difficultés et les réformes qu'il convient de mettre en oeuvre 15 ( * ) . Si les actions mises en oeuvre par les pouvoirs publics vont dans le bon sens, les préconisations qui y sont présentées restent entièrement d'actualité et doivent faire l'objet de réflexions et d'actions. Il s'étonne que parmi les plus de 300 rapports établis en 2014 et 2015 et recensés par le MAAF et consacrés aux différentes politiques mises en oeuvre par la mission, ce rapport de la commission des Finances du Sénat ait été oublié.

Avant de présenter son analyse des crédits du programme il tient à souligner à cet égard, à titre préalable, que l'audition des responsables du pôle de Compétitivité « Xylofutur » , dans le cadre de la préparation de l'examen du présent projet de loi de finances pour 2016, a confirmé tout l'intérêt d'une des recommandations du rapport, qui est de privilégier davantage le soutien à l'innovation et à la stratégie de montée en gamme dans le domaine du bois, ce qui devrait dégager des perspectives économiques nouvelles pour la filière forêt-bois française, qui souffre d'une concurrence importante à l'international.

Les dotations globales du programme 149 « Forêt » s'élèvent pour 2016 à 277,7 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et à 291,3 millions d'euros de crédits de paiement (CP), soit une baisse respective de 0,4 % et de 0,3 % par rapport à leur niveau de 2015 .

Cette diminution provient de la réduction de la subvention à l'Office national des forêts . Elle ne suffit pas à totalement équilibrer l'inscription au budget à nouveau de la subvention au Centre national de la propriété forestière, qui avait dû, en 2015, se financer grâce à son fonds de roulement largement excédentaire, sans bénéficier de dotation par le budget de l'État.

En dehors de ces deux phénomènes qui jouent en sens inverse, votre rapporteur spécial relève une légère baisse des moyens alloués au fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB), destiné aux interventions de développement et d'accompagnement de l'investissement dans les filières amont et aval et qui était déjà peu doté (- 0,7 % en AE et - 0,4 % en CP). Toutefois, il note que des fonds supplémentaires seront fléchés via la taxe additionnelle à la taxe foncière sur le foncier non-bâti et le produit de l'indemnité de défrichement. En outre, il note avec satisfaction que le Gouvernement entend, à terme, alimenter ce fonds par le marché carbone.

Il note aussi la réduction programmée des AE attribuées au dispositif de reconstitution des forêts touchées par la tempête Klaus (- 0,5 %). Le poids de cette dernière mesure reste toutefois important au sein du programme, puisqu'elle continuera en 2016 de représenter 14,7 % des AE et 14,5 % des CP du programme.

2. Un risque potentiel de difficultés de trésorerie pour le centre national de la propriété forestière

Il est proposé de rétablir en 2016 la subvention du centre national de la propriété forestière (CNPF), comme le Gouvernement s'y était engagé, à hauteur de 15,4 millions d'euros, alors que l'équilibre du budget de l'établissement avait été assuré en 2015 grâce à un prélèvement sur son fonds de roulement qui était de 22,6 millions d'euros en fin d'exercice 2014.

À la fin de l'année 2015, cet opérateur pourrait faire face à d'importants problèmes de trésorerie selon ses responsables. Votre rapporteur spécial demande donc au Gouvernement de se pencher sur le sujet et d'anticiper d'éventuelles futures difficultés : à la fin du mois de septembre 2015, sa trésorerie serait de 9 millions d'euros alors que ses dépenses mensuelles seraient de l'ordre de 3 millions d'euros .

Le versement de la subvention 2016 n'aura pas lieu au début du mois de janvier, la question mérite donc d'être soulevée le plus rapidement possible.

3. L'Office national des forêts, maillon faible de la filière forêt-bois française

S'agissant de l'Office national des forêts (ONF ), sa subvention d'équilibre est revue à la baisse de 16,2 millions d'euros en 2016 du fait du redressement du cours du bois , mais le versement compensateur dont il bénéficie est maintenu à 140,4 millions d'euros 16 ( * ) , ce qui fait plus que compenser cette baisse, de même que le financement de ses missions d'intérêt général (MIG), à hauteur de 22,3 millions d'euros.

L'équilibre financier de l'ONF, après une année record en 2014 17 ( * ) , est en cours de discussion cet automne, dans le cadre de la renégociation anticipée de son contrat d'objectifs et de performance (COP) pour 2016-2020, qui devrait être signé avant la fin de l'année.

Selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial auprès des responsables de l'ONF, les évolutions entre le précédent et le nouveau COP seront marquées par les moindres ambitions des objectifs de l'opérateur en termes de mobilisation de la ressource bois (6,3 millions de mètres cube par an au lieu de 6,8 millions en forêt domaniale, 8,3 millions de mètres cube par an au lieu de 9,3 millions dans les forêts des collectivités). Le nouveau COP doit cependant enfin prévoir une stabilisation des moyens en personnel de l'office et son retour à l'équilibre financier, en cohérence avec les dotations budgétaires qui lui sont destinées.

Votre rapporteur spécial regrette que le COP en cours de discussion révise à la baisse les ambitions assignées à l'ONF et il invite à orienter cet opérateur vers une logique de résultats et à accroître ses récoltes de bois . L'ONF doit mettre en place une véritable politique commerciale , structurée et dotée d'une expertise autonome. De même les efforts de l'office en matière d' organisation interne doivent être poursuivis, notamment pour ce qui concerne la mise en place d'une comptabilité analytique et l'optimisation de sa fonction ressources humaines. À cet égard, votre rapporteur spécial s'étonne que les responsables de l'ONF comptent remplacer les départs de fonctionnaires et de salariés en retraite par des emplois aidés et des apprentis . Une telle stratégie paraît bien incertaine, voire, à certains égards, peu responsable.

4. Des dépenses fiscales rattachées au programme 149 « Forêt » de taille inégale

Les onze dépenses fiscales rattachées au programme 149 « Forêt » devraient avoir un coût de 113 millions d'euros en 2016 , dont 110 millions d'euros pour les impôts perçus par l'État et 3 millions d'euros pour les dépenses fiscales concernant les impôts locaux.

Les deux mesures de fiscalité forestière fiscales les plus coûteuses sont les exonérations au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et des droits de mutation à titre gratuit (DMTG), respectivement de 50 millions d'euros et 46 millions d'euros en 2016. Mais en réalité leur coût n'est pas strictement forestier , ce qui conduit à une surestimation importante de ces dépenses. Le coût de ces deux mesures fiscales patrimoniales serait en réalité plus proche de 20 millions d'euros pour chacune selon la Cour des comptes.

Le dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt (DEFI), composée de quatre volets 18 ( * ) , représente pour sa part un coût modeste de 9 millions d'euros. Le DEFI devrait être stable en 2016, à l'exception d'une mesure que le Gouvernement envisage de présenter dans le collectif budgétaire de fin d'année. Cette mesure consisterait à étendre la majoration de 25 % de l'aide, au titre des volets « Travaux » et « Contrat », aux membres des groupements d'intérêts économique et environnemental forestiers visés à l'article 69 de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014.

Votre rapporteur spécial rappelle que le DEFI a déjà été modifié par la loi de finances rectificative pour 2013 mais que cette réforme ne s'est appliquée qu'aux revenus 2014 et n'a donc pas pu être encore évaluée. Un chiffrage pour 2014 du coût des différents volets de la réduction d'impôt DEFI est toutefois disponible.

Coût de la réduction d'impôt « DEFI » en 2014 au titre des revenus 2013

Source : direction de la législation fiscale

De manière générale s'agissant des mesures fiscales sur lesquelles s'appuie notre politique forestière, votre rapporteur spécial juge pertinent de ne pas réduire le coût global des dépenses fiscales dont bénéficie la filière. Il préconise plutôt un rééquilibrage progressif des soutiens publics vers les mesures fiscales à visée incitative. Il doit donc s'agir, en particulier, de favoriser les mesures d'incitation à l'investissement , telles que les quatre volets du DEFI ou le compte d'investissement forestier et d'assurance (CIFA) dont la diffusion chez les professionnels reste assez confidentielle.

5. La budgétisation au plus juste de la politique de sécurité sanitaire de l'alimentation

Le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » est plus spécifiquement consacré au fonctionnement de la direction générale de l'alimentation (DGAL) et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES).

La dotation du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » attendue pour 2016 s'élève à 495 millions d'euros d'AE et à 486,5 millions d'euros de CP , soit une baisse de - 1,6 % par rapport à 2015. Hors crédits de personnel, il s'agit d'allouer au programme 203 millions d'euros en AE et 202 millions d'euros en CP, soit une baisse encore plus significative, respectivement de 5,4 % en AE et 6,3 % en CP par rapport à 2015 (- 11,6 millions d'euros et - 13,6 millions d'euros).

Toutefois, selon le Gouvernement, cette baisse des crédits ne serait pas la traduction budgétaire de nos exigences en matière de sécurité sanitaire vis-à-vis desquelles la France doit rester à la pointe. L'amélioration de l'état sanitaire des cheptels, ainsi que la maîtrise des dépenses de fonctionnement permettraient de dégager des économies. Certaines mesures de prévention des maladies seraient même renforcées.

Pour votre rapporteur spécial, le Gouvernement doit veiller à conserver des moyens de contrôle sanitaire adaptés . Et la reconnaissance de la sécurité alimentaire en tant que premier objectif des politiques agricoles doit traduire la valeur accordée à cette préoccupation transversale dont il s'agit de faire un principe général d'action publique .

L'évolution la plus significative est constatée sur les crédits inscrits au titre de la sous-action relative à la gestion des maladies animales en raison du rééquilibrage des coûts générés par les mesures de gestion des maladies animales et des foyers de maladies animales, sur la base des dépenses effectivement engagées en 2014, et « à la lumière d'une tendance sanitaire relativement favorable » selon le Gouvernement.

Votre rapporteur spécial a cependant souhaité faire le point sur la prévalence de la tuberculose dans les cheptels et les moyens utilisés pour la combattre . 105 nouveaux cas de tuberculose bovine ont, en effet, été constatés en 2014, ce qui en fait l'épizootie à la croissance la plus forte, comme le souligne le tableau de la page suivante.

Prévalence des principales maladies animales

(Nombre de nouveaux cas observés en 2014)

Source : MAAF

6. Un nouveau plan de lutte contre la tuberculose marqué par des incertitudes

La tuberculose est une maladie transmissible entre l'homme et les animaux, en particulier les bovins. Elle est l' une des maladies infectieuses les plus difficiles à combattre et sa prévalence dans les cheptels reste préoccupante.

Les efforts collectifs de lutte contre la tuberculose bovine ont commencé dans les années 1930 et ont permis de passer d'une situation où près de 25 % des élevages étaient atteints à une prévalence de 0,05 % aujourd'hui . Cependant la maladie est encore présente, une phase de résurgence a même été observée entre 2005 et 2008 et, depuis 2009, la tendance est stabilisée avec 100 à 110 nouveaux élevages détectés chaque année. Des zones infectées ont été mises en évidence dans des élevages de Camargue, de Côte d'Or et du Sud-ouest (Dordogne, Charente, Pyrénées-Atlantiques, Landes, Lot et Garonne), qui concentrent les deux tiers des foyers.

Afin de rendre l'action d'assainissement plus supportable sur la durée, des stratégies expérimentales ont été mises en oeuvre dans les départements les plus touchés. Toutefois ces dispositifs expérimentaux ont été jugés non conformes en 2011 par la Commission européenne à l'occasion d'un audit de l'office alimentaire vétérinaire. La Commission européenne a exigé un retour aux stratégies traditionnelles sous peine du retrait pour la France de son statut officiellement « indemne » de tuberculose. Depuis 2012, la DGAL cherche à adapter les moyens de son dispositif d'assainissement. En 2013, un nouveau programme expérimental a été autorisé par la Commission européenne, pour évaluer des méthodes alternatives de gestion des suspicions. Il s'agit de mettre en place un test de dosage de l'interféron gamma lorsque les tests reconnus par le droit de l'Union européenne ne sont pas conclusifs. Ce programme a été testé dans le courant du premier semestre 2013 avant d'être lancé à grande échelle pour les campagnes de surveillance active 2013-2014 et 2014-2015, les résultats seront disponibles mi 2016.

La demande des éleveurs est d'adopter immédiatement le test de dosage de l'interféron gamma, ce qui n'est pas possible sans l'accord de la Commission européenne, le test n'étant pas reconnu pour le moment. Le risque serait de voir la France perdre son statut « indemne » de tuberculose, ce qui aurait des conséquences économiques et sanitaires désastreuses (fermetures des échanges européens et de certains pays tiers sur les animaux et les produits comme le fromage ou le lait ; renforcement de la surveillance dans les élevages et au sein de la population par des méthodes plus reconnues). En 2014, l'assainissement des troupeaux infectés par abattage partiel, sous certaines conditions sanitaires et zootechniques, a été réintroduit, ce qui a permis d'améliorer l'acceptabilité des mesures et de réduire les frais d'indemnisation pour abattage.

Mais face aux difficultés croissantes pour gérer la maladie et à la démobilisation progressive des parties prenantes, il a été décidé de réviser une nouvelle fois le plan d'action pour permettre de trouver un nouvel angle et de bien inscrire la lutte dans une perspective d'éradication à long terme. Une nouvelle stratégie sera ainsi présentée par les autorités fin 2015 .

Actuellement, l'État participe au financement du dépistage des cheptels et ses modalités d'intervention sont en cours de débat avec la direction du budget. Par ailleurs, les tarifs d'intervention des vétérinaires sanitaires en élevage pour le dépistage de la tuberculose sont fixés par convention entre les éleveurs et les vétérinaires, par département. En l'absence d'accord, c'est le préfet qui fixe ces tarifs, ce qui conduit à de fortes disparités sur le territoire et une mission du MAAF est en cours pour émettre des recommandations quant à la fixation de ces tarifs ou l'amélioration des modalités de concertation entre éleveurs et vétérinaires.

Des travaux sont également en cours pour faire évoluer les conditions d'indemnisation des éleveurs lors des abattages diagnostics ou lors de décisions d'abattage pour assainissement . À ce jour, les indemnisations sont établies sur la base d'une proposition d'experts désignés par l'éleveur dans une liste prévue par le préfet, dans les limites fixées par une grille forfaitaire établie par l'administration. Le rapport d'expertise peut proposer, pour des animaux exceptionnels, un dépassement des tarifs forfaitaires. En ce cas, la DGAL doit valider la proposition d'indemnisation faite sur la base du rapport. Le délai moyen de validation est de l'ordre d'un mois.

Par ailleurs, de nombreux travaux transversaux seront nécessaires dans les domaines de la recherche, afin de disposer de nouveaux outils de dépistage ou de maîtrise de la maladie, ainsi que d'études pour mieux éclairer l'orientation des choix techniques. Il pourrait également s'agir de conduire des actions de sensibilisation, de formation, voire d'accompagnement à la biosécurité et de développement d'outils de gestion informatisée des données.

Votre rapporteur spécial attire l'attention du Gouvernement sur le fait qu'il est prévu que le financement de toutes ces nouvelles mesures se fasse à enveloppe réduite, soit 25,4 millions d'euros en 2016 contre 28,9 millions d'euros en 2015 . Le MAAF estime, pour sa part, cette stratégie réaliste en raison des économies réalisées par le développement de l'abattage partiel.


* 14 À l'exception du boisement des terres agricoles qui relève du programme 154.

* 15 En application de l'article 58-2° de la LOLF, la commission des finances a confié à la Cour des comptes une enquête sur les soutiens à la filière forêt-bois, qui a conduit à la remise d'un rapport « Faire de la filière forêt-bois un atout pour la France », n° 382 (2014-2015).

* 16 Soit 20 millions d'euros de plus que ce que prévoit l'actuel contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'office, qui devait couvrir la période 2012-2016.

* 17 L'ONF a engendré au titre de ses ventes de bois un chiffre d'affaires record de 270 millions d'euros en 2014. Cette somme représente un tiers de ses recettes alors que ses ventes en représentaient entre 70 % et 80 % dans les années 1980.

* 18 Le volet « travaux », qui consiste à aider l'investissement en forêt, est le plus utilisé. Le volet « acquisition » encourage l'agrandissement des propriétés forestières. Le volet « contrat » du DEFI destiné à encourager la conclusion de contrats de gestion pour les petites propriétés souffre d'un taux d'aide trop faible pour être utilisé. Enfin, l'absence de développement de l'assurance contre les tempêtes en forêt a obéré le développement du volet « assurance » du DEFI, qui consiste notamment à prendre en charge une part des cotisations du propriétaire forestier.