M. Jean-Pierre Vogel, rapporteur spécial

ANALYSE PAR PROGRAMME

I. LE PROGRAMME 152 « GENDARMERIE NATIONALE »

A. PRÉSENTATION DES CRÉDITS

Pour le programme « Gendarmerie nationale », les autorisations d'engagement et les crédits de paiement demandés sont en hausse de respectivement 2,4 % et 0,8 % par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale pour 2015.

Évolution des autorisations d'engagement et des crédits de paiement

(en millions d'euros)

AE

CP

LFI 2015

PLF 2016

LFI 2015

PLF 2016

Dépenses de personnel

6 848,9

6 896,2

6 848,9

6 896,2

Évolution

0,7 %

0,7 %

Dépenses de fonctionnement

1 092,8

1 235,2

1 115,5

1 113,8

Évolution

13 %

- 0,2 %

Dépenses d'investissement

126,6

132,4

84,6

103,1

Évolution

4,6 %

21,9%

Dépenses d'intervention

6

6

9,2

8,9

Évolution

0,0 %

- 3,3 %

Total hors hors fonds de concours (FDC) et attribution de
produit (ADP)

8 074,3

8 269,8

8 058,2

8 122

Évolution

2,4 %

0,8 %

FDC et ADP prévus au titre 2

0

74,5

0

74,5

FDC et ADP hors titre 2

37,6

33,3

37,6

33,3

Total y.c. FDC et ADP prévus

8111,9

8377,6

8095,8

8229,7

Évolution

3,3 %

1,7 %

Note : La hausse des fonds de concours (FDC) et attributions de produit (ADP) résulte de la prise en compte du remboursement des dépenses de personnel pour les prestations fournies à divers organismes extérieurs (EDF, BDF, etc.). Il s'agit d'une simple rectification d'une erreur informatique : ces prestations étaient déjà prises en compte en exécution dans le cadre des rapports annuels de performances (RAP).

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

Une fois pris en compte les deux amendements adoptés par l'Assemblée nationale, la hausse s'élève à 2,6 % en AE et 1 % en CP.

Évolution des autorisations d'engagement et des crédits de paiement

(en millions d'euros)

AE

CP

2015 (LFI)

2016 (initial)

2016

2015 (LFI)

2016 (initial)

2016

Dépenses de personnel

6 849

6 896

6 909

6 849

6 896

6 909

Moyens de fonctionnement, d'investissement et d'intervention

1 225

1 374

1 374

1 209

1 226

1 226

Total (hors FDC et ADP)

8 074

8 270

8 283

8 058

8 122

8 135

Variation par rapport à 2015

2,4 %

2,6 %

0,8 %

1 %

Total, y.c. FDC et ADP

8 112

8 378

8 390

8 096

8 230

8 243

Dépenses de personnel / Total des dépenses

84,8 %

83,4 %

83,3 %

85%

84,9 %

84,9 %

Note : les données de la colonne « 2016 » prennent en compte l'amendement n° II-228 et l'amendement n° II-18 adoptés par l'Assemblée nationale

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

B. UNE DÉFLATION DU CORPS DES OFFICIERS ACCOMPAGNÉE D'UN RENFORCEMENT DES PERSONNELS ADMINISTRATIFS

L'évolution des dépenses de personnel s'explique notamment par les 554 créations d'emplois prévues en 2016 sur le programme.

D'après les données transmises par le ministère de l'intérieur, la création nette d'emplois prévue pour 2016 peut être décomposée entre une création brute de 625 emplois et une destruction brute de 71 emplois dans les services d'administration centrale non opérationnels.

Répartition des créations d'emplois en 2016

(en ETP)

Schéma d'emplois

Lutte contre l'immigration irrégulière

370

Lutte anti-terroriste

55

Loi de programmation

200

Services d'administration centrale

non opérationnels

- 71

Création nette d'emplois

554

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Hors plan « migrants », l'évolution des emplois par catégorie traduit la poursuite d'un objectif de déflation du corps des officiers, dont le coût moyen d'entrée est particulièrement élevé (62 001 euros CAS « Pensions » compris, contre 49 122 euros pour le corps des sous-officiers).

Répartition du schéma d'emplois par catégorie en 2016, hors plan « migrants »

(en ETP)

Schéma d'emplois

Personnels administratifs

216

Personnels techniques

56

Ouvriers d'État

- 22

Officiers (gendarmes)

- 280

Sous-officiers (gendarmes)

265

Volontaires (gendarmes)

- 51

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Cette stratégie semble cohérente avec les observations formulées par la Cour des comptes dans son référé sur la gestion des carrières dans la police et la gendarmerie nationales.

Dans la gendarmerie nationale, le plan d'adaptation des grades aux responsabilités exercées (PAGRE) prévoyait de porter à 9 000 le nombre d'officiers, notamment par la transformation de 5 000 postes de sous-officiers.

Toutefois, la Cour des comptes souligne que cette politique répondait avant tout à une volonté de « s'aligner » sur la situation de la police, «  sans réflexion suffisante sur ses besoins fonctionnels » 28 ( * ) . Selon la Cour des comptes, il aurait été préférable d'allonger les temps de commandement opérationnels des officiers, qui représentent actuellement seulement 20 % à 25 % de leur carrière. L'effectif cible a finalement été abaissé à 6 498.

Si cette déflation du corps des officiers doit être saluée, votre rapporteur spécial s'interroge toutefois sur le choix de concentrer 40 % des créations d'emplois sur les personnels administratifs, contre 14 % dans la police nationale.

C. UN PLAFOND D'EMPLOIS ARTIFICIELLEMENT ÉLEVÉ

Dans son rapport de 2013 consacré aux dépenses de rémunération et au temps de travail dans la police et la gendarmerie nationales, la Cour des comptes rappelait que le programme 152 « Gendarmerie nationale » est marqué par une sous-exécution chronique de son plafond d'emplois depuis 2006.

Les derniers exercices ne dérogent pas à la règle, avec un écart en exécution qui représente 2 % du plafond fixé en loi de finances initiale (LFI).

Exécution du plafond d'emplois et du schéma d'emplois en 2013 et 2014

(en ETPP, en ETP)

2013

2014

Plafond d'emplois

LFI

97 093

97 167

Réalisation

95 283

95 195

Écart à la LFI

- 1 810

- 1 972

Écart à la LFI en % du plafond prévu en LFI

2 %

2 %

Schéma d'emplois

LFI

192

162

Réalisation

192

173

Écart à la LFI

0

11

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Même lorsque le schéma d'emplois est sur-exécuté, comme c'est le cas pour l'exercice 2014, l'écart à la LFI sur le plafond d'emplois reste de 2 %, soit 1 972 ETPT.

Votre rapporteur spécial estime qu'il serait souhaitable de mettre un terme à cette situation artificielle qui prévaut depuis plusieurs années , en fixant le plafond d'emplois à un niveau cohérent avec les dépenses de personnel prévues en LFI . Afin de maintenir une certaine marge de manoeuvre dans la gestion des crédits de personnel pour le responsable de programme, l'objectif pourrait consister à fixer le plafond d'emplois à un niveau tel que l'écart constaté en exécution ne dépasse pas 0,5 % du plafond fixé en LFI.

Dans cette perspective, votre rapporteur spécial regrette le choix de relever une nouvelle fois le plafond d'emplois en 2016, sans pour autant augmenter les dépenses de personnel à un niveau permettant de s'en approcher.

En la matière, les évolutions prévues dans les documents budgétaires relatifs à la gendarmerie nationale semblent davantage répondre à un objectif d'affichage politique que de sincérité budgétaire. Plusieurs interlocuteurs ont par exemple exprimé leur « étonnement » face à l'augmentation du plafond d'emplois prévue en 2016 (+ 184 ETPT), qui correspond « miraculeusement » à l'évolution prévue du schéma d'emplois (+ 184 ETP).

Il n'y a pourtant aucune raison objective qu'une telle correspondance existe. En effet, l'évolution du plafond d'emplois dépend de nombreux facteurs tels que le mois moyen des sorties et des entrées de l'exercice précédent (effet d'extension en année pleine des schémas d'emplois 2015 sur 2016) et à venir (impact des schémas d'emplois 2016 sur 2016) ainsi que l'effet des mesures de périmètre et de transfert. À titre d'illustration, pour le programme 176 « Police nationale », le schéma d'emplois devrait se traduire par une hausse de 548 ETP, tandis que le plafond d'emplois est relevé de 666 ETPT.

D. L'ENJEU DE L'APPLICATION À LA GENDARMERIE DE LA DIRECTIVE EUROPÉENNE RELATIVE AU TEMPS DE TRAVAIL

Dans un rapport thématique de juillet 2015, le haut comité d'évaluation de la condition militaire retient parmi les risques à maîtriser celui d'une « banalisation de l'état militaire » , en raison notamment de l'évolution du droit communautaire 29 ( * ) .

En effet, la directive 2003/88/CE relative au temps de travail prescrit des périodes minimales de repos difficilement compatibles avec le principe de disponibilité inhérent au statut militaire. Ainsi, la durée maximale du travail hebdomadaire est fixée à 48 heures, tandis qu'un repos journalier de 11 heures consécutives et un repos d'une journée par période de 7 jours sont prévus.

Comme le rappelle le haut comité, « jusqu'à présent, la France a considéré que cette directive n'était pas applicable » aux militaires . Si l'article 1 er de la directive dispose qu'elle s'applique à « tous les secteurs d'activités, privés ou publics, au sens de l'article 2 de la directive 89/391/CEE », l'article 2 prévoit que la directive « n'est pas applicable lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s'y opposent de manière contraignante ».

Toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne a encadré cette exception en précisant qu'elle « ne saurait trouver à s'appliquer que dans le cas d'événements exceptionnels à l'occasion desquels le bon déroulement des mesures destinées à assurer la protection de la population dans des situations de risque collectif grave exige que le personnel ayant à faire face à un événement de ce type accorde une priorité absolue à l'objectif poursuivi par ces mesures afin que celui-ci puisse être atteint » 30 ( * ) .

Dès lors, les forces de gendarmerie ne peuvent plus se prévaloir d'une exemption globale.

Or depuis l'entrée en vigueur de la loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 , la constitution d'associations professionnelles de militaires (APN) est désormais autorisée, pour mettre en conformité le droit français avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) 31 ( * ) .

Créée dans ce cadre, l'Association professionnelle « GENDXXI » indique dans une lettre adressée au ministre de l'intérieur et au DGGN « qu'aucun texte d'application général (décret) de cette directive n'a été promulgué » et que « certaines instructions ponctuelles, par exemple pour la gendarmerie (instruction dite « 1000 ») enfreignent de fait directement la directive », tout en précisant espérer « ne pas avoir à engager les procédures judiciaires » 32 ( * ) pour remédier à cette difficulté.

Compte tenu du risque croissant de recours, il apparaît nécessaire d'adapter à la marge le droit en vigueur .

Toutefois, votre rapporteur spécial soutient pleinement le refus par le haut comité d'une « application mécanique ou indifférenciée » 33 ( * ) de la directive , afin de préserver la portée du principe de disponibilité et de limiter les besoins supplémentaires en personnel qui pourraient résulter de sa transposition.

E. UNE BAISSE DES CRÉDITS DE FONCTIONNEMENT DE NATURE À REMETTRE EN CAUSE LA HAUSSE PRÉVUE DES CRÉDITS D'INVESTISSEMENT ?

S'agissant des dépenses de fonctionnement, le projet annuel de performances prévoit une baisse des crédits de paiement de 0,2 % , pour une hausse des autorisations d'engagement de 13 %.

D'après la DGGN, la hausse des autorisations d'engagement s'explique toutefois principalement par une modification des règles de comptabilité budgétaire « obligeant les responsables de programme à engager les AE des baux locatifs pluriannuels conclus à partir de 2016 à hauteur de la durée totale desdits baux ».

La hausse des effectifs devra donc être réalisée avec des moyens de fonctionnement en baisse.

Selon les informations transmises à votre rapporteur spécial, cette baisse devrait porter essentiellement sur les dépenses liées à l'énergie (dotation en baisse de 5 millions d'euros par rapport à 2015) et au carburant (baisse de 2,3 millions d'euros). Par ailleurs, une diminution de 5 millions d'euros de l'enveloppe consacrée aux changements de résidence est prévue, en contrepartie d'une modulation de « la durée des affectations ».

Ces prévisions d'économies sont toutefois tributaires de facteurs exogènes (l'évolution des cours) et de la capacité de la DGGN à optimiser les mouvements de personnels .

S'agissant des dépenses d'investissement, le projet annuel de performance prévoit une hausse des crédits de paiement et des autorisations d'engagement de respectivement 21,9 % et 4,6 %.

Cette dotation doit notamment permettre de financer les grandes priorités du programme.

Outre les crédits dédiés au renouvellement du parc automobile , dont le niveau insuffisant a déjà été évoqué, 70 millions d'euros en AE sont prévus au titre de la deuxième année du plan de réhabilitation immobilier. D'après le ministère de l'intérieur, les crédits ouverts en 2015 ont déjà permis au 31 juillet 2015 d'engager 62 opérations de réhabilitation et de maintenance, pour un total de 22 millions d'euros. L'objectif est que les premières livraisons de chantiers interviennent dès 2016.

Par ailleurs, dans le cadre du plan ministériel de modernisation technologique des forces de sécurité, la gendarmerie nationale a lancé le projet NEOGEND , doté de 13,2 millions d'euros en 2016, qui vise à équiper les gendarmes d'équipements mobiles (smartphones et tablettes) leur permettant d'accéder depuis l'extérieur aux systèmes d'information du ministère.

Compte tenu de la baisse des crédits de fonctionnement, il est permis de s'interroger sur la crédibilité du niveau des dépenses d'investissement.

En effet, comme l'a rappelé votre rapporteur spécial lors de l'examen de la loi de règlement 2014 34 ( * ) , la tension sur les dépenses de fonctionnement se reporte systématiquement sur les dépenses d'investissement , du fait de l'existence d'un principe de fongibilité entre le titre 3 et le titre 5.

En conséquence, l'exécution budgétaire est marquée depuis de nombreux exercices par un sous-investissement important.

Exécution des dépenses d'investissement depuis 2012

(en millions d'euros)

2012

2013

2014

LFI

124,3

140,4

120,2

Exécution

98,5

108,5

108,4

Écart à la LFI

- 21 %

- 23 %

- 10 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Aussi, votre rapporteur spécial sera particulièrement attentif à ce que la baisse des crédits de fonctionnement ne se traduise pas une nouvelle fois par une sous-exécution des crédits d'investissement.


* 28 Cour des comptes, « La gestion des carrières dans la police et la gendarmerie nationales », précité, p. 3

* 29 Haut comité d'évaluation de la condition militaire, « Perspectives de la condition militaire », rapport thématique, juin 2015, p. 72

* 30 CJUE, 2006, affaire C-132/04, Commission européenne c/ Espagne.

* 31 Le 2 octobre 2014, la CEDH a rendu deux arrêts condamnant la France en raison de l'interdiction faite aux militaires d'adhérer à un syndicat ou à un groupement constitué pour soutenir des revendications d'ordre professionnel.

* 32 « Temps d'activité des Gendarmes et soldats, le gouvernement en infraction », GendXXI, 3 février 2015.

* 33 Haut comité d'évaluation de la condition militaire, « Perspectives de la condition militaire », précité, p. 51

* 34 Rapport n° 604 sur la loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014, tome II (2014-2015), fait au nom de la commission des finances et déposé le 8 juillet 2015.