Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale

SECONDE PARTIE
LES CONTENTIEUX COMMUNAUTAIRES

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2017, la rapporteure spéciale a choisi de faire un point sur les principaux contentieux communautaires , dont le coût prévisionnel est retracé chaque année sur les crédits de la présente mission.

Si ces éléments peuvent paraître techniques, la rapporteure spéciale attire l'attention sur l'importance de ces enjeux , tant par le nombre de dossiers qu'ils recouvrent parfois, mais aussi des montants liés. Ainsi, en 2017, 1,4 milliard d'euros sont prévus à ce titre, soit par exemple un montant supérieur à celui de la dotation de solidarité rurale. Surtout, la rapporteure spéciale s'inquiète des capacités de traitement des dossiers contentieux par les services du ministère de l'économie et des finances , dans un contexte global de réduction des effectifs de l'administration fiscale et face à un nombre important de dossiers complexes ou peu documentés.

Le coût des contentieux communautaires est difficile à anticiper dans la mesure où les perspectives d'exécution des dépenses liées aux contentieux fiscaux dépendent d'un certain nombre de facteurs distincts et d'une prégnance variable d'un contentieux à l'autre, dont l'administration ne possède pas la maîtrise. Ainsi, le coût des contentieux communautaires en 2015 a été très en-deçà des prévisions : comme le signale la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire, l'exécution a été inférieur de 1,37 milliard d'euros aux montants prévus par la loi de finances initiale pour 2015.

Coût des contentieux communautaires en 2015

(en milliards d'euros)

LFI 2015

Exécution

Écart à la LFI

OPCVM

1,75

0,72

- 1,03

Précompte mobilier

0,35

0,00

- 0,35

De Ruyter

0,01

+ 0,01

Dépenses totales

2,10

0,73

- 1,37

Source : Direction générale des finances publiques

Si les exécutions des dépenses sont sujettes à la réalisation de différents facteurs, les dépenses estimées sont considérées comme ayant vocation à être réalisées. Ainsi, la part non exécutée de ces prévisions, qui, comme le rappelle le ministère des finances et des comptes publics, « sont établies à partir des contentieux enregistrés et de l'état du droit et de la jurisprudence au moment de leur élaboration », est donc, selon le ministère, reportée dans la quasi intégralité des cas.

Des provisions sont faites au titre des contentieux, inscrites dans la comptabilité générale de l'État. Ces provisions obéissent à des règles prudentielles et, par convention, l'administration inscrit tout litige d'un montant important dès sa naissance. La rapporteure spéciale souligne qu' en cinq ans, les provisions réalisées au titre des contentieux fiscaux a été multipliée par deux 9 ( * ) . Les contentieux fiscaux de séries, desquels font partie les contentieux communautaires développés ici, représentent 65 % des sommes provisionnées.

Les principaux contentieux fiscaux ont été retracés par le ministère de l'économie et des finances dans le tableau suivant, qui en précise également les montants susceptibles d'être engagés. Ces contentieux, tous d'origine communautaire, sont pour quatre d'entre eux développés dans la partie suivante.

Dépenses budgétaires prévues en 2016 et en 2017
au titre des principaux contentieux fiscaux

(en millions d'euros)

Contentieux

2016

2017

Contentieux OPCVM

1 000

1 000

Contentieux STERIA

340

300

Contentieux Précompte

-

-

Contentieux De Ruyter

200

100

Contentieux contribution additionnelle

-

-

Total

1 540

1 400

Source : réponse du ministère de l'économie et des finances au questionnaire de la rapporteure spéciale

I. LE CONTENTIEUX « PRÉCOMPTE MOBILIER », UN RISQUE CONTENU

A. ORIGINE DU CONTENTIEUX

La Cour de justice des communautés européennes 10 ( * ) a dans son arrêt « Manninen » implicitement condamné un dispositif finlandais d'avoir fiscal. Cette législation, autorisant l'imputation d'un avoir fiscal lorsque la société distributrice est résidente nationale mais s'y opposant lorsque cette société n'est pas résidente, constitue selon la Cour une entrave à la liberté de circulation des capitaux garantie par le traité CE à ses articles 56 et 58.

Il en a été tenu compte en France concernant le dispositif d' avoir fiscal français ainsi que celui du précompte , considérant des similitudes avec le dispositif finlandais. Le régime fiscal des distributions a ainsi été modifié 11 ( * ) et l'avoir fiscal et le précompte adossé à ce dernier pour les personnes morales ont ainsi été supprimés à compter du 1 er janvier 2005.

Par la suite, une vingtaine de sociétés mères françaises ont alors introduit des recours contentieux, afin de bénéficier d'un avoir fiscal à raison des dividendes reçus de leurs filiales résidentes d'un État membre de l'Union européenne et d'ainsi obtenir le remboursement du précompte mobilier payé lors de la redistribution de ces dividendes.

B. UN CONTENTIEUX NÉ EN 2006, DES PROCÉDURES TOUJOURS EN COURS

Les premières décisions rendues sur ce contentieux l'ont été par le tribunal administratif et la Cour administrative d'appel de Versailles respectivement en décembre 2006 et en mai 2008 , concernant les sociétés Accor et Rhodia, dossiers devenus « pilotes ». Les deux juridictions ont jugé que le dispositif de l'avoir fiscal et du précompte mobilier désavantageait les sociétés mères françaises ayant des filiales établies dans un autre État membre de l'Union européenne par rapport à celles qui avaient des filiales établies en France et était donc constitutif d'une restriction à la liberté de circulation des capitaux prohibée par l'article 56 du traité CE. Les tribunaux administratifs de Paris et Cergy-Pontoise ont examiné dans le même temps cinq autres requêtes et ont intégralement donné satisfaction aux sociétés requérantes par des jugements intervenus en 2007 et 2008. Ces différentes décisions ont ainsi conduit à un décaissement total au profit des sociétés concernées de 1,1 milliard d'euros.

Le Conseil d'État , saisi de deux pourvois en cassation 12 ( * ) de l'administration dirigés contre les arrêts de la Cour administrative d'appel de Versailles de mai 2008, a adressé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) par une première décision Accor 13 ( * ) . Le Conseil d'État a demandé dans le même temps aux juridictions saisies d'affaires de ce type d'en geler l'instruction dans l'attente de la réponse de la Cour de justice puis de ses propres décisions.

L'arrêt de la Cour de justice a été prononcé le 15 septembre 2011. Dans celui-ci, la Cour a invalidé dans sa décision le régime français ancien des distributions, dès lors qu'il réservait le bénéfice de l'avoir fiscal aux seuls dividendes de source française . Elle a cependant posé le principe selon lequel la France n'était pas tenue d'accorder un avoir fiscal sans tenir compte du niveau d'imposition réel des bénéfices de source communautaire appréhendés par les sociétés mères françaises, et a laissé au Conseil d'État le soin de trancher un certain nombre de questions relatives au quantum du litige. Les décisions de principe du Conseil d'État suivant l'arrêt de la Cour de justice ont été rendues publiques le 10 décembre 2012 .

L'application combinée des principes posés par la Cour de Justice et le Conseil d'État dans ces deux affaires a abouti, indique le ministère, au rétablissement des impositions suivantes au profit du Trésor :

- 8 millions d'euros dans le cadre du dossier Rhodia , intérêts moratoires inclus, soit 48,5 % de l'enjeu du dossier ;

- 149,8 millions d'euros dans le cadre du dossier Accor au titre des trois années en litige, représentant 96 % de l'enjeu global en droits qui s'élève à 156 millions d'euros, auxquels s'ajoute la restitution des intérêts moratoires versés à tort en 2007 à la société pour un montant de 35 millions d'euros .

C. UN CONTENTIEUX À L'ISSUE INCERTAINE

Les décisions juridictionnelles intervenues à ce jour confirment que si les principes posés par le Conseil d'État dans ses décisions Accor et Rhodia du 10 décembre 2012 n'étaient pas remis en cause, le risque budgétaire de ce contentieux pour l'État se trouverait considérablement réduit.

Cependant, six sociétés ont déposé une plainte en juillet 2013 devant la Commission européenne à l'encontre des décisions du Conseil d'État du 10 décembre 2012, en vue d'obtenir une nouvelle saisine de la Cour de justice. L'instruction de cette procédure par les services de la Commission européenne est toujours en cours. Celle-ci a donné suite à cette plainte et engagé une procédure de recours en manquement à l'encontre de la France .

Si une saisine de la Cour de justice de l'Union européenne aurait pour effet, selon le ministère de reporter l'issue définitive de l'ensemble du litige à un horizon beaucoup plus lointain, autour de 2019/2020. L'issue définitive de ce contentieux demeure donc incertaine.

D. DES CONSÉQUENCES BUDGÉTAIRES DIFFICILES À ESTIMER

Les conséquences budgétaires de cette saisine sont extrêmement difficiles à chiffrer pour l'administration puisque les sociétés requérantes, relayées par la Commission européenne, portent des critiques sur l'ensemble des principes posés par les décisions du Conseil d'État. De plus, il est impossible à l'administration d'anticiper l'analyse de la Cour de justice, tout en sachant que les impacts ne seraient pas de degrés comparables sur l'ensemble des dossiers.

Une saisine de la Cour de justice et une remise en cause des décisions du Conseil d'État par celle-ci impliqueraient un réexamen des dossiers encore pendants à cette date devant les juridictions nationales. Cela ouvrirait également la possibilité aux sociétés dont les affaires auront fait l'objet d'une décision juridictionnelle définitive d'introduire un contentieux en responsabilité contre l'Éta t.

L'administration estime que la quasi-totalité des sommes contestées depuis l'origine de ce contentieux serait à nouveau en risque.

E. DES DÉCISIONS POUR L'INSTANT FAVORABLES À L'ADMINISTRATION

Le ministère de l'économie et des finances indique que l'intégralité des litiges « précompte » a aujourd'hui été examinée par les juridictions nationales françaises de premier et de second rang dans un sens favorable à l'administration .

En décembre 2012 , à la suite des deux arrêts de principe Rhodia et Accor 14 ( * ) rendus par le Conseil d'État , les juridictions administratives de premier et de second rang ont examiné en 2013 et en 2014 l'intégralité des affaires alors pendantes devant elles en matière de précompte mobilier.

Les décisions rendues en 2014 ont engendré un solde positif pour le Trésor. Aucun décaissement n'a été opéré en 2015 et début 2016 au titre de ce contentieux.

Certains pourvois en cassation introduits à l'initiative des sociétés requérantes à la suite des arrêts des Cours administratives d'appel ont en outre d'ores et déjà fait l'objet de décisions de non admission de la part du Conseil d'État.


* 9 Audition à l'Assemblée nationale le 15 mars 2016 de M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques, sur le bilan et les perspectives des contentieux fiscaux entraînant une condamnation de l'État.

* 10 Cour de justice, Arrêt de la Cour (grande chambre) du 7 septembre 2004 - Petri Manninen.

* 11 Article 30 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004.

* 12 Conseil d'État, respectivement affaires n° 317074 et n° 317075.

* 13 Conseil d'État, décision du 3 juillet 2009.

* 14 Conseil d'État, respectivement décisions n° 317074 et n°317075 du 10 décembre 2012.