AFFAIRES SOCIALES

Table des matières


Mercredi 28 juin 2000

- Présidence de M. Jean Delaneau, président -

Emploi - Audition de M. Guy Laroque, directeur des études et synthèses économiques à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

La commission a procédé à des auditions sur le retour à l'emploi et sur la notion de " trappe à inactivité ".

Elle a tout d'abord entendu M. Guy Laroque, directeur des études et synthèses économiques à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).

M. Jean Delaneau, président, a rappelé que la commission était saisie de la proposition de loi de MM. Alain Lambert, président de la commission des finances, et Philippe Marini, rapporteur général, portant création d'un revenu minimum d'activité, et a considéré que l'examen de ce texte fournissait l'occasion de se pencher sur la question de la " trappe à inactivité ".

Evoquant le rapport présenté par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire, ainsi que la réforme des aides au logement annoncée lors de la conférence de la famille du 15 juin dernier, il a souligné que la question de l'incitation financière à la reprise d'un emploi pour les titulaires de minima sociaux semblait particulièrement d'actualité.

Après avoir rappelé que l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) avait approfondi sa réflexion depuis deux ans et demi sur la question des minima sociaux et de l'incitation financière au travail, M. Guy Laroque a tout d'abord rappelé que le chômage était resté, en France, à un niveau élevé au cours des vingt dernières années, malgré les fluctuations conjoncturelles.

M. Guy Laroque a indiqué que, si l'on distinguait les causes du chômage à partir des comportements individuels, l'on pouvait identifier trois types de situations :

- ceux qui ne veulent pas travailler, parce que le salaire net auquel ils peuvent prétendre n'accroît pas leurs ressources de manière suffisante pour compenser les contraintes liées à un emploi et la réduction des revenus distribués par " l'Etat-providence " ;

- ensuite, ceux qui ne travaillent pas, parce qu'ils ne sont pas assez productifs pour que les employeurs potentiels leur offrent un salaire égal ou supérieur au salaire minimum de croissance (SMIC) ;

- enfin, ceux qui ne travaillent pas parce qu'ils sont entre deux emplois, ou parce que l'économie traverse une phase de conjoncture défavorable.

Si l'on opère, suivant cette modélisation, une distinction entre le " non-emploi volontaire ", le " non-emploi classique " et le " non-emploi frictionnel ou conjoncturel ", il ressort, d'après l'étude de l'INSEE consacrée à " une analyse descriptive des incitations au travail " que 50 % du " non-emploi " s'explique par un " non-emploi " volontaire provoqué par l'Etat-Providence, et que le non-emploi " classique " d'une part et le non-emploi " conjoncturel ou frictionnel ", d'autre part, pèsent chacun pour 25 % dans les facteurs d'explication.

M. Guy Laroque a rappelé que la première étude de l'INSEE portait sur le " coin socio-fiscal " qui est le résultat de l'ensemble complexe de prélèvements et de transferts sociaux qui s'interpose entre les rémunérations que les employeurs versent aux ménages, et le revenu disponible de ces mêmes ménages.

L'étude, conduite à partir de l'enquête annuelle " Emplois " de l'INSEE de mars 1997, porte sur un échantillon représentatif de 19,9 millions d'individus, qui se répartit en 14,8 millions d'actifs occupés, 2 millions de chômeurs et 3,1 millions d'inactifs. L'enquête ne prend en compte ni les pensions de retraite ou de préretraite, ni les revenus du patrimoine, ni les revenus des travailleurs indépendants.

L'enquête évalue le taux marginal de prélèvement, c'est-à-dire la somme prélevée par le système socio-fiscal quand l'employeur augmente de 100 francs le coût du travail de l'individu considéré.

Il apparaît que, pour 3,8 millions d'individus sur 19,9 millions, soit 19,3 % de l'échantillon considéré, le taux marginal de prélèvement est égal ou supérieur à 95 %. En particulier, la quasi-totalité des personnes qui perçoivent une allocation différentielle se voit confisquer tout accroissement marginal de revenus (20 % de l'échantillon) ; les salaires inférieurs au SMIC connaissent un prélèvement de l'ordre de 35 à 45 % ; le taux passe à 60 % pour les salariés recevant un salaire compris entre le SMIC et 1,33 fois le SMIC ; le taux atteint de 45 % à 65 % pour les salariés rémunérés au-delà de 1,33 fois le SMIC : au-delà de 30.000 francs de revenu mensuel, le taux augmente fortement en raison de l'impôt sur le revenu.

Il est à noter que cette étude se place dans une optique de long terme et qu'elle ne prend donc pas en compte les mécanismes d'intéressement qui réduisent à court terme le taux marginal.

M. Guy Laroque a observé que ce sont les personnes qui ont les revenus les plus bas qui ont les taux marginaux les plus élevés.

L'étude porte également sur l'avantage financier que les chômeurs ou inactifs retirent de la prise d'un emploi, à temps plein ou à temps partiel rémunéré au SMIC.

Il en ressort que 45 % des chômeurs ont un gain net mensuel inférieur à 2.000 francs lorsqu'ils reprennent un emploi à temps plein rémunéré au SMIC ; par ailleurs, pour 54 % des chômeurs, la reprise d'un emploi à mi-temps rémunéré au SMIC représente un gain net qui ne dépasse pas 500 francs.

Une fraction de la population concernée, de l'ordre de 12 %, n'a pas intérêt financièrement à prendre un emploi à mi-temps rémunéré au SMIC parce que, perdant le bénéfice du RMI, elle devient redevable de la taxe d'habitation et connaît, en outre, une réduction brutale de son allocation logement.

La seconde étude de l'INSEE, consacrée à la " décomposition du non-emploi en France ", s'efforce de montrer comment les personnes en situation de non-emploi répondent à une incitation financière à la reprise d'un emploi.

Elle repose sur deux variables que l'on peut associer à chaque individu : la première -" le salaire potentiel net "- est le coût mensuel qu'un employeur est prêt à payer pour embaucher cette personne à temps plein, compte tenu de ses diplômes et de son expérience ; la seconde, dénommée " salaire de réserve ", est la somme mensuelle que la personne demande pour effectivement prendre un travail. Le salaire de réserve dépend de multiples éléments, notamment du nombre d'enfants à charge et du salaire du conjoint ou des frais de transport.

Schématiquement, sans tenir compte des prélèvements ni des transferts sociaux, le croisement des deux variables permet de déterminer les différentes formes de non-emploi, le cas où le " salaire de réserve " est supérieur au salaire net potentiel, correspond à la situation de " non-emploi volontaire ". Un autre cas est celui où le salaire de réserve est inférieur au salaire potentiel net, mais où les intéressés ne trouvent pas d'emploi parce que ce dernier est inférieur au SMIC ; la rigidité du marché du travail induit donc un " non-emploi classique " ; d'autres personnes enfin dont la productivité est supérieure au SMIC ne parviennent pas à trouver un emploi du fait de " frictions " dans l'économie ou de la conjoncture.

L'étude est effectuée sur un échantillon représentatif d'une sous-population de 9,6 millions d'adultes entre 25 et 49 ans dont 6,35 millions ont un emploi à temps plein et 3,25 millions sont sans emploi, comprenant 1,5 million de personnes au chômage. L'échantillon exclut les salariés à temps partiel et les fonctionnaires.

Le modèle, fonctionnant à partir du croisement des variables relatives au salaire de réserve et au salaire potentiel net, montre que, sur les 3,25 millions de personnes sans emploi, 57 % sont volontairement dans cette situation, 20 % en sont empêchées par le niveau du SMIC et 23 % sont en situation autre (chômage frictionnel ou conjoncturel).

M. Guy Laroque a souligné que la notion de non-emploi volontaire ne signifiait pas que la personne concernée ne cherchait pas un emploi, mais simplement que ces personnes gagneraient peu à prendre un emploi de sorte, qu'au vu du comportement moyen de la population, elles ne devraient effectivement pas participer au marché du travail.

M. Guy Laroque a estimé que le taux de 20 % de " chômage classique ", correspondant à ceux qui souhaitent travailler, mais dont la qualification est insuffisante, est apparu sensiblement plus élevé que les hypothèses généralement retenues par les économistes.

L'étude comporte également une simulation de l'effet d'une suppression des allégements de charge sur les bas salaires.

Il ressort de cette simulation que les mesures d'allégement des charges sociales patronales sur les bas salaires en vigueur en 1997 devraient créer environ 500.000 emplois à long terme, soit sensiblement plus que les 250.000 emplois à long terme retenus par les estimations actuelles.

La simulation de l'effet d'une augmentation de 10 % du SMIC montre en revanche que les destructions d'emplois seraient très nombreuses et représenteraient la perte d'environ 290.000 emplois.

M. Philippe Nogrix s'est interrogé sur les effets des mesures d'intéressement au retour à l'emploi, les conséquences de la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU) et les pistes de réforme du RMI.

M. Guy Laroque a indiqué que les mécanismes d'intéressement avaient certainement un effet positif, puisqu'ils permettaient d'accroître l'écart entre le minimum social et le revenu d'activité, mais que le modèle de la direction de la prévision n'avait pas pris en compte ce paramètre qui aurait considérablement compliqué l'analyse, en raison des effets complexes de calendrier.

Il a observé que, sur un plan économique, il pouvait apparaître des effets pervers du fait de multiples " allers et retours " entre les situations d'activité et le minimum social pour optimiser les effets financiers de l'intéressement. Ce type de phénomène est observé au niveau de l'assurance chômage des intermittents du spectacle.

Concernant l'effet de la CMU, M. Guy Laroque a indiqué que l'étude de l'INSEE prenait en compte les données de 1997 et que celle-ci ne pouvait donc intégrer les effets de la réforme entrée en vigueur au 1er janvier 2000.

En première analyse, il a considéré que l'effet désincitatif principal proviendrait du mécanisme d'assurance complémentaire et non pas du dispositif de la couverture de base dans la mesure où les personnes qui ne sont pas couvertes par l'assurance maladie sont celles qui sont plus éloignées du marché de l'emploi.

Concernant les pistes de réforme, il a rappelé qu'il n'incombait pas à l'INSEE de se prononcer sur ce point tout en observant cependant, qu'au-delà du simple raisonnement économique, beaucoup de chômeurs étaient prêts à faire beaucoup d'efforts pour pouvoir accéder à un véritable travail.

Il a remarqué que les femmes en couple, dont le conjoint était sans emploi, avaient un taux d'emploi de 31,1 %, beaucoup plus faible que celui des femmes dont le conjoint détient un emploi (46 %).

Le modèle économétrique montre que la différence provient du " non-emploi volontaire " : une femme dont le conjoint travaille gagne en moyenne 5.500 francs par mois en prenant un emploi, alors que le supplément de revenu n'est plus que de 2.800 francs pour les épouses dont le conjoint est sans emploi, du fait de la perte d'une partie non négligeable des prestations sociales.

Le fait que le conjoint travaille est donc un facteur incitatif pour sortir de la " trappe à pauvreté ".

M. Guy Laroque a rappelé qu'en économie, il fallait opérer de nombreux arbitrages entre l'efficacité et l'équité, et qu'il appartenait aux décideurs politiques de fixer le curseur des minima sociaux, afin d'assurer un équilibre entre l'incitation au travail salarié et la " trappe à inactivité ".

M. Louis Souvet a souligné l'importance des créations d'emplois générées par les allégements de charges et s'est félicité que l'étude montre les effets pervers d'une augmentation du RMI.

M. Jean Chérioux a souligné que la situation de " non emploi volontaire " recouvrait le cas de personnes handicapées qui pouvaient difficilement accéder au marché du travail. Il s'est interrogé sur les effets d'une inscription systématique des titulaires du RMI à l'ANPE.

M. Alain Vasselle s'est interrogé sur les effets de l'intéressement en se demandant si des effets concrets étaient mesurés par les études économiques.

M. Jean Delaneau, président, s'est enquis des conséquences de la réforme des allocations logement annoncée lors de la Conférence de la famille du 15 juin dernier.

En réponse, M. Guy Laroque a souligné que l'impact des politiques d'allégement des charges sociales sur les bas revenus pouvait être différent, selon que la mesure concerne les employeurs ou les salariés.

Il a rappelé que les études de l'INSEE ne permettaient pas de quantifier les effets des mesures d'intéressement, et que le coût budgétaire de ces politiques était relativement élevé, ce qui conduisait à des arbitrages délicats.

S'agissant du dispositif d'allocation logement, il a rappelé qu'avant la réforme annoncée par le Gouvernement, le dispositif actuel aboutissait paradoxalement à une légère baisse de revenus, de l'ordre de 400 francs par mois, pour certaines catégories de ménages qui passaient du RMI au SMIC. Il a rappelé par ailleurs qu'en France 50 % des ménages étaient locataires et que 40 % bénéficiaient d'une allocation logement, ce qui prouvait que le dispositif était peu sélectif.

S'agissant du rôle de l'ANPE vis-à-vis des bénéficiaires du RMI, il a rappelé que ces derniers étaient souvent des personnes peu employables, car très éloignées du marché du travail. Il a évoqué par ailleurs le maintien à un niveau élevé des effectifs de titulaires de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) versée à des chômeurs de longue durée pourtant inscrits à l'ANPE.

Emploi - Audition de M. Bertrand Fragonard, Conseiller maître à la Cour des comptes

Puis elle a entendu M. Bertrand Fragonard, Conseiller maître à la Cour des comptes.

M. Jean Delaneau, président, a rappelé que M. Bertrand Fragonard avait été le premier délégué interministériel au revenu minimum d'insertion (RMI) et qu'il avait exercé cette fonction de 1988 à 1996, puis l'a invité à s'exprimer sur la question de savoir si le dispositif des minima sociaux en France encourageait suffisamment la reprise d'un emploi.

M. Bertrand Fragonard, après avoir rappelé qu'il s'exprimait à titre personnel et que ses prises de position n'engageaient naturellement pas la Cour des comptes, a souligné que la question posée s'inscrivait dans la problématique dominante exprimant la crainte que l'existence de minima sociaux ne dissuade de reprendre un emploi.

Il a estimé que la première question était de savoir si le fait de bénéficier, sur des critères largement inconditionnels, d'un minimum social, pouvait entraîner le refus de prendre un travail " déclaré ".

Il a rappelé que, selon une thèse qui s'appuie sur une intuition présentée comme une évidence, certaines personnes préféreraient s'accommoder d'un minimum social, plutôt que d'accomplir un travail pénible pour un avantage financier faible. Les partisans de cette thèse mettent en avant le caractère trop faible de l'écart entre le niveau du RMI et celui du SMIC ou, a fortiori, du salaire correspondant à un travail à temps partiel.

M. Bertrand Fragonard a souligné que la thèse en question était en fait une simple intuition qui ne reposait sur aucune analyse méthodologique sérieuse depuis dix ans. Il a regretté, à cet égard, que les mises en garde des associations de lutte contre l'exclusion ne soient pas suffisamment entendues sur ce point.

Il a rappelé qu'une étude du Centre de recherche et de documentation sur la consommation (CREDOC), de juin 1992, avait mis en évidence que le refus du travail chez les titulaires du RMI était un phénomène qui existait mais qui était rare et justifié par des raisons ne tenant pas à la mauvaise volonté des intéressés.

Une autre enquête réalisée par l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) avait montré que le titulaire du RMI ne faisait pas preuve de moins d'énergie qu'un chômeur relevant de l'assurance chômage pour rechercher un emploi.

M. Bertrand Fragonard a rappelé en effet que, pour le titulaire d'un minimum social dont les revenus sont très faibles, une augmentation de ressources même minime en valeur absolue pouvait représenter beaucoup : un gain supplémentaire de 1.000 francs représente une augmentation de 40 % des revenus pour le titulaire d'un RMI qui perçoit 2.552 francs.

Par ailleurs, M. Bertrand Fragonard a souligné que l'analyse des motivations des titulaires d'un RMI ne donnait pas lieu à une réponse globale simple et que l'aspect financier n'était pas le seul qui devait être pris en considération.

Il a indiqué par exemple qu'une jeune femme de 18 à 25 ans, sans qualification, ayant un enfant et vivant chez ses parents, ne reprendrait un travail que si elle bénéficiait d'un véritable accompagnement social à cette fin ; la situation serait différente pour la même personne si elle ne bénéficiait pas d'un environnement familial ou si elle était mieux qualifiée.

De même, une femme de 40 à 45 ans, au chômage après avoir travaillé, bénéficiant de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), dont le conjoint dispose d'un revenu modique décent et est propriétaire de son logement, ne développera que peu d'énergie à retrouver un travail ; la situation est évidemment différente si cette personne vit seule.

Par ailleurs, M. Bertrand Fragonard s'est interrogé sur l'opportunité de la démarche qui consisterait à demander à un titulaire du RMI de 50 ans ou plus, usé par de nombreuses années de travail et ne bénéficiant pas d'une pension d'invalidité, de reprendre une activité, alors même que d'autres personnes ayant le même âge dans la même branche d'activité bénéficient d'une préretraite et que les chômeurs de plus de 50 ans, relevant de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), sont officiellement dispensés de recherche d'emploi.

M. Bertrand Fragonard a considéré qu'il n'existait pas de preuve de l'existence d'un effet majeur de contre-incitation au travail provoquée par les minima sociaux. Il a souhaité alors répondre à la question de savoir quelle politique publique devrait être mise en place pour réduire cet effet de contre-incitation, lorsqu'il existe.

Il a indiqué que la première réponse, d'inspiration libérale, consistait à accroître l'écart entre le revenu minimum d'insertion et le revenu salarié de base d'un actif.

Estimant " irréaliste " de baisser les niveaux actuels du RMI et des minima sociaux, M. Bertrand Fragonard a mis l'accent sur les moyens d'améliorer les revenus de base de l'actif au SMIC.

La première possibilité est d'autoriser le cumul partiel pendant un temps limité du salaire d'activité et de tout ou partie du minimum social.

M. Bertrand Fragonard a souligné néanmoins que cette mesure se heurtait à deux types d'inconvénients : tout d'abord, il est essentiel que cette disposition soit très " lisible " et que l'intéressé soit conscient du caractère temporaire du mécanisme d'intéressement afin d'ajuster ses dépenses à la " date butoir " d'arrêt du dispositif ; ensuite, une telle mesure entraîne un coût financier immédiat pour les finances publiques.

En tout état de cause, M. Bertrand Fragonard a estimé que l'intéressement n'était pas la raison principale d'une reprise du travail par un titulaire du RMI et que des études devraient être conduites sur ce problème à partir d'entretien sur le terrain.

Par ailleurs, M. Bertrand Fragonard a observé que l'écart entre le niveau du RMI et celui du SMIC s'était accru structurellement de façon importante en raison du décalage entre le premier indexé sur les prix et le second, qui intègre une part de hausse de pouvoir d'achat. Ainsi, depuis 1988, le niveau du SMIC a augmenté de 42 %, tandis que celui du RMI n'a augmenté que de 25 %.

Il s'est interrogé, au demeurant, sur la possibilité d'indexer durablement les minima sociaux sur la seule inflation. Il a observé que les primes de fin d'année accordées correspondaient en réalité au souci de faire participer les titulaires des minima sociaux à l'évolution du pouvoir d'achat.

Par ailleurs, une autre solution est de conférer au travailleur salarié rémunéré au SMIC les mêmes avantages connexes que ceux qui sont accordés au titulaire de minima sociaux. A cet égard, il apparaît que, depuis la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU), une famille au SMIC avec un ou deux enfants dispose d'une aide médicale gratuite, ce qui n'était pas le cas auparavant. Par ailleurs, les règles d'exonération en matière de taxe d'habitation ont été réaménagées de manière à ce que celles-ci soient étendues à toutes les personnes à ressources modiques qu'elles travaillent ou non ; enfin, le barème de l'allocation logement devrait être prochainement modifié, ce qui permettra d'accroître sensiblement le niveau de l'aide pour les salariés au niveau du SMIC.

M. Bertrand Fragonard a indiqué qu'au total, par rapport au titulaire du RMI, la situation relative d'un salarié au SMIC serait améliorée de 18 % pour un salarié célibataire, et de 25 % pour un couple avec un ou deux enfants.

M. Bertrand Fragonard a souligné que les titulaires de minima sociaux ne réagissaient pas uniquement selon un raisonnement économique et a ensuite évoqué les solutions consistant à réformer le dispositif même du RMI.

La première voie consisterait à durcir le mécanisme en prévoyant une dégressivité de l'allocation, en limitant sa durée d'attribution ou en supprimant son versement en cas de refus de reprendre un travail.

Concernant la dégressivité, M. Bertrand Fragonard a rappelé que les niveaux de base du RMI étaient déjà relativement faibles, en particulier pour un célibataire, et a estimé que cette réforme serait paradoxale, au moment où il est proposé de revenir sur le principe de la dégressivité en matière d'assurance chômage.

En outre, il a émis des doutes sur la possibilité de limiter à 5 ans la durée de versement de l'allocation en rappelant que le RMI avait déjà été conçu comme un ultime " filet de sécurité " et que l'apparition de nouvelles catégories de personnes sans ressources entraînerait inéluctablement la création d'un nouveau dispositif d'allocation de secours. Il s'est demandé également si l'économie qui serait réalisée pouvait être perçue comme une " priorité radicale " dans une période de relative aisance des finances publiques.

Enfin, il a indiqué, concernant les mécanismes de sanctions en cas de refus de travailler, que la loi du 1er décembre 1988 avait déjà prévu la suspension du versement de l'allocation du RMI lorsque le titulaire ne respecte pas les engagements du contrat d'insertion. Il a observé toutefois que cette mesure n'était pas appliquée en raison d'un déficit de gestion administrative du dispositif.

M. Bertrand Fragonard a évoqué une autre voie de réforme consistant à renforcer les politiques actives d'accompagnement social.

Rappelant que dans les pays nordiques ou au niveau communal au Royaume-Uni, de multiples intervenants étaient présents pour s'occuper des chômeurs, M. Bertrand Fragonard a estimé que l'accompagnement social était insuffisant en France. Il a rappelé à cet égard l'échec des mesures de tutorat en entreprise pour les personnes en difficulté ainsi que les différences qui avaient été constatés entre les départements pour mobiliser les crédits départementaux d'insertion obligatoire fixés, aux termes de la loi, à 20 % du montant des allocations de RMI versées par l'Etat dans le département. Il a souligné par ailleurs que ce souci d'insertion était propre au RMI et ne concernait pas, par exemple, les titulaires de l'allocation parent isolé (API).

Evoquant les projets de réforme de l'assurance chômage, il a estimé que les mesures d'incitation financière seraient inefficaces sans une politique publique nouvelle visant à améliorer le retour à l'emploi des personnes en difficulté. Le renforcement des politiques d'intéressement et des dépenses ne doit pas faire oublier le caractère essentiel des discriminations positives à l'embauche et de l'amélioration des politiques actives d'accompagnement social pour favoriser la rencontre, dans de meilleures conditions, entre les titulaires de minima sociaux d'insertion et les employeurs.

M. Louis Souvet s'est félicité du réalisme de la position de M. Bertrand Fragonard. Il a rappelé qu'en Suède, les maires disposaient de la liste des personnes bénéficiant d'un minima social, et pouvaient leur demander de participer à un travail d'intérêt général pour la collectivité publique.

M. Philippe Nogrix a rappelé que les départements qui étaient les plus rigoureux en terme de gestion du RMI, étaient ceux qui avaient obtenu les meilleurs résultats en matière d'insertion. Il s'est demandé si on pouvait distinguer trois tiers dans la population de bénéficiaires du RMI : ceux qui sont très " désocialisés " et ne peuvent accéder à un emploi ; ceux qui pourraient accéder à un emploi à condition de bénéficier d'un accompagnement ou d'une formation ; ceux qui pourraient travailler directement, mais ne le font pas pour des raisons financières.

M. Bertrand Fragonard a estimé que la théorie des " trois-tiers " était dangereuse. Il a considéré en effet que le risque serait de consacrer prioritairement l'aide publique à l'insertion des personnes qui sont les moins éloignées du marché du travail et de sélectionner en quelque sorte les meilleurs, ceux qui sont les plus dynamiques. Il a rappelé à cet égard que les nouveaux entrants au RMI étaient ceux qui avaient le taux de sortie le plus rapide.

Raisonnant par analogie avec les négociations sur le programme d'aide au retour à l'emploi (PARE) conduites au sein de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), il a souligné que si le dispositif pouvait être efficace pour les chômeurs qui peuvent le plus facilement retrouver un emploi, la question resterait entière de savoir comment aider les chômeurs qui échouent systématiquement dans leur recherche d'emploi.

Il a rappelé que la France avait beaucoup souffert de la crise de l'emploi dans les années 90, et a estimé que si l'amélioration de la situation économique ne s'accompagnait pas d'un effort plus ambitieux de réinsertion, le nombre de titulaires du RMI ne baisserait pas aussi vite que le chômage de longue durée.

Evoquant la situation suédoise, il a rappelé que les maires étaient dotés d'une véritable responsabilité, assortie de moyens, en matière d'offres d'emplois ou d'activités aux personnes en difficulté. Il lui est apparu possible de suspendre le versement d'un minimum social seulement lorsque la certitude existe que tout a été fait pour améliorer la situation de la personne bénéficiant de l'aide publique.

Or, aujourd'hui en France, il n'est pas exclu que des mesures de suspension puissent pénaliser des allocataires du RMI qui auraient pu retrouver du travail avec une formation adaptée. En d'autres termes, le système administratif n'est pas en mesure de distinguer les allocataires en fonction de leur plus ou moins bonne volonté à reprendre un emploi.

M. Philippe Nogrix a souligné le caractère insatisfaisant du principe de cogestion entre l'Etat et les départements en matière d'insertion, et a rappelé que le Sénat avait souhaité, dès l'origine, une véritable décentralisation en ce domaine.

M. Bertrand Fragonard a considéré que la gestion des crédits départementaux d'insertion avait été plus ou moins efficace selon des départements, mais qu'en tout état de cause, des résultats avaient été obtenus lorsque des équipes performantes avaient été mises en place. Il a évoqué néanmoins des problèmes de " lassitude " ou de " banalisation " qui avaient pu apparaître en matière de réinsertion du fait de la durée de la crise économique et de l'ampleur du chômage.

M. Philippe Nogrix s'est interrogé sur une intervention accrue de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) en direction des titulaires du RMI.

M. Bertrand Fragonard a constaté que les titulaires du RMI avaient été perçus comme une population marginalisée alors qu'en réalité, le gros des effectifs était composé de chômeurs de longue durée, mal formés, dans des régions en crise.

Il a estimé que, dans ce contexte, l'ANPE avait parfois pu avoir un " comportement d'évitement ", surtout dans une situation où la France comptait déjà près de 3,3 millions de chômeurs relevant de l'assurance chômage.

Estimant révélatrice l'absence de véritable proposition de réforme globale du RMI, M. Bertrand Fragonard a considéré, rétrospectivement, que les collectivités locales auraient dû être mieux impliquées dans le dispositif.

M. Alain Gournac a souhaité que la gestion du RMI soit rapprochée du terrain, tout en s'interrogeant sur l'utilité du " volet insertion " du RMI, et en constatant que certaines personnes semblaient s'être " installées " dans le dispositif.

M. Bertrand Fragonard a considéré que renoncer à la notion d'insertion serait " un échec de toute la société ", et que le volet relatif à l'insertion était utile, même si les gestionnaires avaient été débordés par l'effet de masse et si le dispositif était parfois trop éloigné du terrain.

Il a rappelé que lorsqu'un bénéficiaire du RMI avait refusé par trois fois un emploi qui lui était proposé, les gestionnaires avaient bien la possibilité législative de suspendre le versement de l'allocation mais qu'ils ne le faisaient pas en invoquant diverses raisons.

Concernant l'écart entre le niveau du RMI et celui de la rémunération d'un salarié au SMIC, il a rappelé que, pour un couple avec un enfant, si l'on tenait compte de la réforme à venir de l'allocation logement, l'aide au titre de la couverture maladie universelle (CMU) et des exonérations de taxe d'habitation, cet écart se serait accru de 1.330 francs entre 1988 et 2002, soit 25,8 % du RMI total.

M. Alain Vasselle a regretté que le maire ne soit pas mieux associé à la procédure d'attribution du RMI et a rappelé que la collectivité locale de droit commun compétente en matière d'aide sociale était le département, et non la commune. Il s'est demandé si le fait d'exiger une contrepartie du bénéficiaire du RMI sous forme de travail aurait un caractère dissuasif pour les demandeurs.

M. Bernard Seillier a souhaité un renforcement des politiques d'accompagnement social des personnes en difficulté s'inspirant de l'exemple des missions locales d'insertion. Il a estimé que le maire pouvait jouer un rôle important en terme d'animation de la politique d'aide sociale de proximité. Il a regretté la volonté parfois hégémonique d'intervention de l'ANPE en matière d'insertion.

M. Michel Esneu a rappelé que les élus locaux, mis à part les contrats aidés, tels que les contrats emploi-solidarité et les chantiers d'insertion, n'avaient eu que peu de moyens pour assurer une insertion par l'emploi des titulaires du RMI, et qu'ils s'étaient donc reportés sur la démarche d'insertion sociale.

M. Philippe Nogrix s'est fait l'interprète de M. Jean Chérioux, en s'interrogeant sur les conséquences de l'attribution de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) par les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnels (COTOREP) au motif d'un " handicap social ".

M. Bertrand Fragonard a rappelé que la construction du RMI sur la notion d'unité de consommation, afin de prendre en compte la dimension familiale de la politique sociale, avait des effets négatifs en termes d'incitation à la reprise d'un travail. Le rapport du RMI au SMIC atteint en effet le taux de 40 % pour un célibataire contre 62 % pour un couple avec un enfant.

Il a précisé que la mise en oeuvre de la CMU et la prochaine réforme des allocations logement conduiraient à réorienter le barème des aides en faveur des célibataires.

Concernant le rôle du maire, il a rappelé que la loi du 29 juillet 1992 avait prévu que le maire serait informé des ouvertures du droit au RMI mais que cette mesure n'avait pas eu d'effet significatif sur la gestion du dispositif.

Il a rappelé que les missions locales d'insertion avaient fait la preuve de leur efficacité, mais qu'elles étaient inégalement réparties sur le territoire et qu'elles souffraient d'un manque chronique de moyens.

Concernant l'AAH, il a constaté que les statistiques territoriales qui avaient été fournies fort tardivement par les COTOREP montraient une dispersion importante des taux d'attribution de l'allocation en fonction des départements.

Il a rappelé que les cas d'attribution de l'AAH, pour handicap social, avaient été les plus importants dans les bassins d'emplois sinistrés, et que ce problème était au demeurant antérieur à l'institution du RMI.

Il a souligné que l'une des difficultés actuelles tenait à l'écart entre le niveau de l'AAH et celui du RMI, notamment pour un célibataire, qui rendait très difficile le passage du premier dispositif au second.

Il a estimé que le dispositif des pensions d'invalidité était conçu en France de manière trop restrictive en faisant valoir que, dans les Pays-Bas, les chômeurs âgés pouvaient plus facilement avoir accès à une pension d'invalidité dès lors qu'ils avaient exercé un travail pénible.

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 - Nomination des rapporteurs

La commission a désigné en qualité de rapporteurs sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 :

- M. Charles Descours (équilibres financiers généraux de la sécurité sociale et assurance maladie) ;

- M. Jacques Machet (famille) ;

- M. Alain Vasselle (assurance vieillesse).

Loi de finances pour 2001 - Nomination des rapporteurs pour avis

Puis la commission a désigné en qualité de rapporteurs pour avis de la loi de finances pour 2001 :

- M. Jean Chérioux (solidarité) ;

- M. Louis Boyer (santé) ;

- M. Paul Blanc (ville) ;

- M. Louis Souvet (travail et emploi) ;

- Mme Annick Bocandé (formation professionnelle) ;

- M. Louis Boyer (budget annexe des prestations sociales agricoles) ;

- M. Marcel Lesbros (anciens combattants) ;

- M. Jean-Louis Lorrain (outre-mer : aspects sociaux) ;

- M. Jacques Bimbenet (logement social).

Mission d'information à l'étranger - Suède et Italie - Nomination des membres de la délégation

La commission a nommé MM. Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Claude Domeizel, Guy Fischer, Alain Gournac, Jean-Louis Lorrain, Jacques Machet, Alain Vasselle, membres de la délégation, présidée par M. Jean Delaneau, président, chargée d'accomplir, au nom de la commission, une mission d'information consacrée à l'étude de la réforme des systèmes de retraite en Suède et en Italie (5 au 13 septembre).