AFFAIRES SOCIALES

Table des matières


Mercredi 29 septembre 1999

- Présidence de M. Jacques Bimbenet, vice-président -

Afrique du Nord - Guerre d'Algérie et combats en Tunisie et au Maroc - Examen du rapport

Au cours d'une première séance qui s'est tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Marcel Lesbros sur la proposition de loi n° 418 (1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la substitution de l'expression " aux opérations effectuées en Afrique du Nord " par l'expression " à la guerre d'Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc ", ainsi que sur les propositions de loi n° 344 (1998-1999) de M. Guy Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, relative à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc, et n° 403 (1998-1999) de M. Marcel Lesbros et plusieurs de ses collègues, tendant à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie.

A titre liminaire, M. Marcel Lesbros, rapporteur, a rappelé que si, de 1952 à 1962, 1.343.000 jeunes appelés et rappelés et plus de 400.000 militaires d'active avaient franchi la Méditerranée pour faire leur devoir sur les différents théâtres d'opérations d'Afrique du Nord, leur sacrifice avait été cependant longtemps occulté dans la mémoire collective des Français. Il a indiqué que la guerre d'Algérie avait en effet été vécue comme une " guerre sans nom ", malgré ses lourdes conséquences : plus de 25.000 militaires tués, plus de 70.000 militaires blessés et plus de 400.000 victimes civiles.

Il a souligné que la proposition de loi examinée par la commission, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 10 juin dernier, visait à substituer, à l'euphémisme " opérations effectuées en Afrique du Nord ", l'expression, plus conforme à la réalité, de " guerre d'Algérie et combats en Tunisie et au Maroc ", dans les textes à caractère législatif. Il a cependant observé que deux propositions de loi déposées au Sénat recouvraient un objectif identique : la proposition de loi n° 344 de M. Guy Fischer et plusieurs de ses collègues et la proposition de la loi n° 403 de MM. Serge Mathieu, Aymeri de Montesquiou, Joseph Ostermann et Marcel Lesbros. Il a précisé qu'en conséquence ces trois propositions de loi devaient être examinées conjointement même si ce sera celle adoptée par l'Assemblée nationale qui servira de support à la discussion en séance publique le 5 octobre prochain.

Revenant sur l'évolution de la législation, il a souligné que le droit français n'avait pris en compte que progressivement, et toujours partiellement, la réalité des conflits d'Afrique du Nord, rappelant que la loi du 6 août 1955 et surtout la loi du 9 décembre 1974, adoptée notamment à l'initiative du Sénat, donnaient vocation à la qualité de combattant aux militaires engagés en Afrique du Nord, sans pour autant reconnaître la notion de guerre d'Algérie. Il a ainsi constaté que les textes législatifs ne retenaient toujours que l'expression " opérations effectuées en Afrique du Nord ".

Il a estimé que la nature particulière de ce conflit avait pu initialement expliquer la réticence à le qualifier de " guerre ", mais que l'évolution des esprits avait progressivement amené à assimiler les événements d'Afrique du Nord non pas à de simples opérations de police, mais à une véritable guerre compte tenu des méthodes de combat employées et des risques encourus par les soldats. Il a cependant observé que, seule, l'intervention législative permettait d'officialiser l'expression du langage courant " guerre d'Algérie " et de faire disparaître l'expression " opérations de maintien de l'ordre " des textes législatifs.

A cet égard, il a rappelé que, depuis quelques années, s'étaient succédé plusieurs initiatives allant dans ce sens, insistant notamment sur les déclarations du Président de la République du 10 septembre 1996, sur les inscriptions sur les titres de pension qui peuvent désormais faire référence à " la guerre d'Algérie et aux opérations en Afrique du Nord " et sur les deux plaques apposées à Notre-Dame de Lorette sur le cercueil du soldat inconnu d'Algérie et à l'Arc de Triomphe.

Abordant ensuite les trois propositions de loi, M. Marcel Lesbros, rapporteur, a souligné qu'elles avaient un objet identique, mais différaient cependant sur trois points.

S'agissant de la méthode, il a indiqué que la proposition de M. Guy Fischer retenait le principe d'une reconnaissance générale et d'une déclinaison " automatique " en remplaçant dans l'ensemble des textes législatifs et réglementaires et sur l'ensemble des titres l'expression " opérations de maintien de l'ordre en Afrique du Nord " par l'expression " combats de Tunisie, Maroc et guerre d'Algérie ", tandis que la proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale et celle présentée par le rapporteur retenaient une méthode " au cas par cas ". Il a souligné que cette seconde méthode était, en principe, préférable car elle respectait la séparation entre domaine législatif et domaine réglementaire et garantissait une meilleure cohérence rédactionnelle.

S'agissant de la qualification officielle choisie, il a observé que la proposition de loi de l'Assemblée nationale et celle de M. Guy Fischer faisaient référence à la " guerre d'Algérie " mais aussi aux " combats en Tunisie et au Maroc ", à la différence de la proposition n° 403. Il a estimé que cette référence aux " combats de Tunisie et du Maroc " devait être retenue, car plus conforme à la réalité historique.

S'agissant du contenu, il a indiqué que les propositions de l'Assemblée nationale et de M. Guy Fischer avaient une portée essentiellement symbolique, alors que la proposition de loi n° 403 était créatrice de droits et prévoyait explicitement, dans son article 5 modifiant le code des pensions civiles et militaires de retraite, l'octroi des bénéfices de campagne pour les anciens d'Afrique du Nord.

Rappelant qu'à l'Assemblée nationale, un amendement identique à cet article 5 avait été déclaré irrecevable en application de l'article 40 de la Constitution et estimant qu'il était nécessaire d'adopter de manière à la fois solennelle, consensuelle et rapide, un texte répondant aux attentes de la troisième génération du feu, il a jugé qu'il n'était pas forcément souhaitable de s'engager dans une navette longue aux conséquences incertaines. Il a alors estimé qu'il ne lui semblait pas opportun de reprendre les dispositions de l'article 5 de la proposition de loi n° 403.

Abordant les conséquences juridiques qu'aurait la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie au-delà de son importante dimension symbolique, il a constaté que l'analyse des textes permettait de conclure à l'absence de conséquences financières, tant en matière de droits à réparation reconnus aux anciens combattants qu'en matière de dommages de guerre.

Il a notamment observé que l'octroi des bénéfices de campagne pour les fonctionnaires n'était pas nécessairement lié à la reconnaissance d'un état de guerre.

De la même manière, il a indiqué que la qualification juridique de guerre n'entraînerait pas une éventuelle mise en jeu de la responsabilité pénale tant devant le juge français qu'algérien ou international.

M. Marcel Lesbros, rapporteur, a considéré que s'il n'était pas évident que les requalifications effectuées par cette proposition de loi embrassent l'ensemble des textes législatifs dans lesquels il est fait mention de l'expression " opérations effectuées en Afrique du Nord ", il n'avait pas jugé nécessaire de se lancer dans un vaste travail de " toilettage " de la législation. A cet égard, il a affirmé qu'il importait avant tout de reconnaître la réalité des conflits d'Afrique du Nord en adoptant rapidement cette proposition de loi, dans sa rédaction actuelle à la valeur essentiellement symbolique.

Concluant son propos, le rapporteur a tenu à rendre un hommage particulier à tous les jeunes appelés, rappelés, réservistes, engagés et harkis, ayant servi avec bravoure et honneur la Patrie et le drapeau français. Considérant qu'il ne s'agissait pas de simples opérations de police mais bien d'une guerre et de combats, il a estimé que la reconnaissance de la Nation devait s'exprimer par une mise en accord de la loi avec la réalité. Il a alors demandé à la commission d'adopter sans modification la proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale.

Après avoir félicité le rapporteur et insisté sur l'importance de ce texte, M. Lucien Neuwirth a souligné une ambiguïté rédactionnelle à l'article 2 de la proposition de loi, estimant que les dispositions de l'article L. 243 du code des pensions militaires d'invalidité devaient s'appliquer aussi bien aux harkis qu'à leurs ayants droit. Il a rappelé qu'il existait encore des harkis vivant en Algérie qui devaient accéder de droit sans condition de nationalité au bénéfice de telles dispositions. Il alors suggéré d'interroger le Gouvernement en séance sur ce point afin d'obtenir son interprétation de ces dispositions.

M. Guy Fischer a, à son tour, estimé que cette proposition de loi constituait un hommage nécessaire aux anciens d'Afrique du Nord et permettait d'exprimer la dette de la Nation à leur égard. Il a jugé indispensable d'adopter ce texte à l'unanimité et a précisé que le groupe communiste républicain et citoyen ne déposerait pas d'amendement.

Félicitant le rapporteur pour sa sagesse, M. Gilbert Chabroux a indiqué qu'il importait aux représentants de la Nation de voter conforme ce texte dans les meilleurs délais. Il a insisté sur la dimension symbolique de cette proposition de loi, estimant que celle-ci ne laissait pas de place à des préoccupations matérielles, ces dernières pouvant en revanche s'exprimer à l'occasion du prochain débat budgétaire. Il a enfin souligné l'importance d'une réconciliation complète entre la France et l'Algérie, jugeant que cette réconciliation ne serait possible que si la France assumait pleinement son histoire.

En réponse aux différents intervenants, M. Marcel Lesbros, rapporteur, a rappelé l'importance de parvenir à un consensus lors de la discussion de la proposition de loi, soulignant que la discussion en séance coïnciderait avec le début de la session parlementaire. Il a indiqué que sa préférence pour une adoption de la proposition de loi votée à l'Assemblée nationale s'expliquait avant tout par des raisons de commodité et de délai.

Se déclarant en accord avec M. Gilbert Chabroux, le rapporteur a estimé que l'adoption de cette proposition de loi devait être le point de départ d'une nouvelle coopération entre la France et l'Algérie.

Il a également remercié M. Guy Fischer pour sa décision de privilégier, par rapport à celle qu'il avait présentée, la proposition de loi de l'Assemblée nationale. Il s'est enfin déclaré favorable à la suggestion de M. Lucien Neuwirth, estimant qu'il était nécessaire que les harkis puissent bénéficier du droit à pension quelle que soit leur nationalité et que le Gouvernement devait préciser son interprétation du code des pensions.

La commission a ensuite procédé à l'examen des articles de la proposition de loi.

Elle a adopté l'article premier modifiant l'article L. premier bis du code des pensions militaires d'invalidité pour insérer la notion de " guerre d'Algérie et de combats en Tunisie et au Maroc ".

Elle a également adopté l'article 2 modifiant l'article L. 243 du même code, relatif au droit à pension des membres des forces supplétives françaises, dans le même sens.

Elle a adopté l'article 3 ayant le même objet et modifiant l'article L. 243 bis du même code, tout comme l'article 4 modifiant l'article L. 401 bis dudit code, cet article étant consacré à l'accès aux emplois réservés pour les membres des forces supplétives.

Enfin, la commission a adopté l'article 5 modifiant l'article L. 321-9 du code de la mutualité, pour y insérer l'expression " guerre d'Algérie ou combats en Tunisie et au Maroc " dans les dispositions relatives à la rente mutualiste.

Elle a donc adopté conforme, à l'unanimité, la proposition de loi votée à l'Assemblée nationale.

Actionnariat salarié - communication

Puis la commission a entendu une communication de M. Jean Chérioux sur l'actionnariat salarié.

M. Jean Chérioux a tout d'abord rappelé que la commission lui avait confié le 6 avril dernier la mission de préparer une communication sur le développement de l'actionnariat salarié. Il a indiqué qu'au terme d'un travail préparatoire ponctué notamment par 32 auditions, il avait essayé de dresser un bilan aussi objectif et exhaustif que possible de la situation actuelle de l'actionnariat salarié et de ses implications, bilan au regard duquel il allait formuler une série de propositions dont l'ambition était d'accompagner la progression de l'actionnariat salarié dans les meilleures conditions, dans le respect du dialogue social et dans le souci de coller au plus près de la réalité des entreprises.

Il a souligné que l'actionnariat salarié n'était pas une idée neuve en France mais que c'était grâce au Général de Gaulle qu'il s'était durablement inscrit dans notre paysage législatif. Il a indiqué que l'idée d'" association " lancée par le Général de Gaulle recouvrait trois réalités : la participation du salarié aux résultats de l'entreprise, au capital de l'entreprise et à la gestion de l'entreprise. Il a observé que les premières mesures en faveur de l'actionnariat salarié avaient été mises en oeuvre dans le cadre de la participation financière à partir de 1959.

Rappelant que dans les années 1970 plusieurs lois avaient cherché à développer plus spécifiquement l'actionnariat salarié aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé, il a néanmoins constaté que ces lois s'étaient traduites le plus souvent par des échecs. Il a également souligné que plusieurs propositions de loi avaient été également déposées au Parlement, notamment au Sénat, insistant tout particulièrement sur la proposition de loi visant à créer la société d'actionnariat salarié qu'il avait lui-même présentée.

M. Jean Chérioux a estimé que l'actionnariat salarié, au-delà de ces premières tentatives, ne s'était véritablement développé en France qu'à partir de 1986 sous l'effet conjugué des privatisations et de la relance des plans d'épargne d'entreprise (PEE), constatant que ces deux formules restaient aujourd'hui encore le principal vecteur de l'actionnariat salarié.

S'agissant des privatisations, il a observé que la loi offrait des conditions préférentielles aux salariés pour les inciter à devenir actionnaires : 10 % des actions mises sur le marché réservées, décote sur le prix d'acquisition, possibilité d'obtenir des délais de paiement, voire des actions gratuites.

S'agissant des PEE, il a considéré que ceux-ci permettaient d'affecter l'épargne salariale à l'acquisition de titres de l'entreprise dans des conditions attractives (abondement de l'employeur, décote pouvant atteindre 20 %, régime social et fiscal favorable) à la condition que les fonds recueillis soient bloqués pendant au moins cinq ans.

M. Jean Chérioux a néanmoins considéré qu'un véritable actionnariat salarié exigeait également une participation du personnel à la gestion de l'entreprise, celle-ci ayant été progressivement rendue possible par la loi : ordonnance du 21 octobre 1986 définissant les conditions de désignation d'administrateurs salariés dans les conseils d'administration des sociétés, loi du 23 décembre 1988 sur les fonds communs de placement d'entreprise (FCPE) prévoyant que les représentants des salariés actionnaires soient présents en nombre au moins égal aux représentants de l'entreprise dans les conseils de surveillance, loi du 25 juillet 1994 rendant nécessaire, lorsque les salariés détiennent plus de 5 % du capital social de l'entreprise, la convocation d'une assemblée générale extraordinaire devant se prononcer sur une modification des statuts visant à faire siéger les représentants des salariés actionnaires au conseil d'administration de l'entreprise.

Observant une accélération récente de l'actionnariat salarié, il a souligné que celui-ci restait néanmoins difficile à quantifier faute d'indicateurs statistiques complets et précis. Il a estimé qu'il était cependant possible de relever plusieurs signes de son développement. Ainsi il a indiqué que 3 % des ménages, soit 700.000 familles, possédaient des actions de leur entreprise, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), que 7 % des entreprises ayant un accord d'intéressement ou de participation pratiquaient l'actionnariat salarié, selon la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES), que la part du capital des entreprises du CAC 40 détenue par leurs salariés s'élevait à environ 2,6 % en 1998 contre 2,3 % en 1997, que les émissions de titres réservés aux actionnaires salariés étaient passées de 3,9 à 7 milliards de francs entre 1996 et 1998. Il a également observé que l'épargne salariale tendait de plus en plus à être investie en actions de l'entreprise, constatant qu'en 1998, 88 milliards de francs sur les 232 milliards de francs d'encours des FCPE étaient placés en actions de l'entreprise, celles-ci représentant 38 % de l'encours total des FCPE contre 15 % en 1988.

Au-delà de ces indicateurs statistiques, M. Jean Chérioux a également observé que le développement de l'actionnariat salarié était souligné par plusieurs tendances récentes. Ainsi, il a constaté une multiplication et une médiatisation croissantes des opérations réservées aux salariés, évaluant à environ 75 % le taux de souscription moyen des salariés à ces opérations. Il a également observé une volonté croissante des entreprises d'attirer l'épargne salariale vers les actions, précisant que de nombreuses sociétés offraient un abondement plus important dans ce cas. Il a également indiqué que certaines entreprises allaient plus loin en proposant des opérations d'actionnariat avec " effet de levier " ou avec " garantie " comme en témoignait par exemple l'opération Pégase de Vivendi présentée devant la commission. Il a également constaté une première évolution dans la nature des plans d'options sur actions, précisant que ceux-ci, traditionnellement réservés aux cadres dirigeants, étaient de plus en plus distribués à l'ensemble du personnel, une étude de la DARES évaluant à 15 % la proportion des entreprises ayant des plans d'options sur actions qui les distribuent à tous leurs salariés.

M. Jean Chérioux a considéré que le changement de dimension récent de l'actionnariat salarié s'expliquait avant tout par le fait qu'il constituait désormais une réponse aux aspirations convergentes des entreprises et des salariés.

S'agissant des entreprises, il a considéré que l'actionnariat salarié présentait un triple intérêt : il est facteur de cohésion sociale dans l'entreprise, il permet de contribuer à la stabilité du capital de l'entreprise au moment où l'arrivée massive d'investisseurs étrangers rend le capital des entreprises françaises plus volatile, il est enfin un moyen de redistribution de la richesse créée et un complément de la politique salariale.

S'agissant des salariés, il a rappelé qu'un récent sondage montrait que 81 % d'entre eux considéraient le développement de l'actionnariat salarié comme une évolution favorable. Il a d'abord observé qu'il s'agissait d'un placement attractif, le salarié bénéficiant de conditions très favorables (décote ou abondement) pour investir son épargne en actions. Il a aussi considéré que l'actionnariat permettait aux salariés d'être mieux associés à la marche de l'entreprise et de pouvoir se prononcer sur le sort de leur emploi et le destin de leur entreprise. Il a estimé que cette meilleure participation du salarié à la décision pouvait se vérifier à trois niveaux. S'agissant de la gestion de l'épargne et de l'actionnariat, il a rappelé que les salariés étaient représentés par au moins la moitié des membres des conseils de surveillance des FCPE. S'agissant de l'exercice des droits de vote aux assemblées générales, il a précisé que le plus souvent les conseils de surveillance des FCPE détenaient collectivement les droits de vote des salariés, tout en observant que la loi du 24 juillet 1994 pouvait aussi favoriser la désignation de mandataires. Il a estimé que ces systèmes permettaient d'éviter l'éparpillement des votes et d'organiser l'actionnariat salarié pour lui donner un réel poids dans la prise de décision. S'agissant enfin des organismes dirigeants, il a indiqué qu'une enquête de la DARES concluait que plus des deux tiers des sociétés ayant un actionnariat salarié supérieur à 5 % du capital comptaient un administrateur représentant les salariés actionnaires.

Constatant que l'actionnariat salarié était plus développé en France que dans le reste de l'Europe continentale, M. Jean Chérioux a néanmoins estimé que le développement actuel de l'actionnariat salarié pouvait se heurter à certains obstacles susceptibles de ralentir sa progression. Ainsi, il a rappelé que celui-ci restait en retrait par rapport aux Etats-Unis où 18 % des salariés détiennent des actions de leur entreprise. Il a considéré que les privatisations qui ont très largement contribué à l'essor de l'actionnariat salarié auront nécessairement un terme lorsque toutes les entreprises privatisables auront été privatisées. Il a également souligné le risque de dilution progressif de l'actionnariat salarié. De la même manière, il a observé que les PEE, qui sont actuellement le principal support de l'actionnariat salarié, n'étaient que peu mis en place dans les petites et moyennes entreprises (PME), rappelant qu'en 1997, seules 8.700 entreprises dotées d'un accord d'intéressement ou de participation avaient un PEE. Par ailleurs, il a estimé que les dispositions de la loi du 25 juillet 1994 tendant à favoriser la représentation des salariés actionnaires au conseil d'administration des sociétés étaient encore imparfaitement appliquées. Enfin, il a considéré que le droit actuellement applicable restait complexe et parfois inadapté.

C'est pourquoi M. Jean Chérioux a estimé nécessaire de proposer des mesures nouvelles capables d'accompagner le mouvement actuel. Il a jugé que ces mesures devaient reposer sur une idée centrale, celle de l'incitation, considérant que ce n'était pas en instaurant par la loi de nouvelles obligations que l'actionnariat se développera et qu'il était nécessaire que l'actionnariat reste une démarche volontaire et définie par voie contractuelle.

Il a précisé que ces mesures nouvelles devaient en conséquence s'articuler autour de cinq grands principes : le développement de l'actionnariat salarié doit se faire par voie contractuelle ; l'actionnariat salarié doit être aussi stable et durable que possible, il doit donc en conséquence être fidélisé ; l'actionnariat salarié ne peut être efficace que s'il est organisé, l'actionnariat exercé individuellement ne permettant pas aux salariés d'influer directement sur les décisions de l'entreprise ; l'actionnariat salarié doit se traduire par une participation réelle du salarié aux décisions et surtout aux décisions les plus importantes qui engagent le destin de l'entreprise ; l'actionnariat salarié doit enfin être adapté aux spécificités des entreprises car il ne s'agit pas d'imposer un modèle unique d'actionnariat mais d'ouvrir des voies différentes et souples.

Il a alors indiqué qu'il faisait 28 propositions, ces propositions étant de nature et d'importance diverses, une vingtaine d'entre elles nécessitant un ajustement législatif.

Il a d'abord estimé nécessaire d'encourager plus encore les opérations d'actionnariat salarié dans les entreprises. A cet égard, il a proposé de reprendre les dispositions de la proposition de loi présentée par M. Edouard Balladur à l'Assemblée nationale en mai dernier, visant à réserver aux salariés, à des conditions préférentielles, 5 % des actions émises lors d'une augmentation de capital, M. Jean Chérioux jugeant cependant que ces dispositions pouvaient être enrichies d'un certain nombre de mesures allant dans le sens de la souplesse et de la contractualisation, et notamment d'une modulation, par voie contractuelle, des aides des entreprises en fonction de la durée d'immobilisation des actions afin de permettre une plus grande stabilité de l'actionnariat salarié. Il a aussi jugé souhaitable de relancer les plans d'actionnariat prévus par la loi du 27 décembre 1973 en alignant leur régime fiscal et social sur celui des PEE, ces plans d'actionnariat pouvant constituer une solution adaptée à certaines entreprises. Il a également proposé, pour favoriser l'actionnariat dans les PME, de permettre une décote sur l'évaluation de l'action pour les sociétés non cotées. Il a enfin estimé qu'il serait opportun d'assimiler les actions de l'entreprise détenues par les salariés à un " bien professionnel ", cette assimilation entraînant une exonération d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

Il a, dans un deuxième temps, jugé nécessaire de favoriser la représentation et la participation aux décisions des salariés actionnaires. Estimant difficile de reconnaître un statut spécifique aux associations d'actionnaires salariés, il a proposé de modifier la loi du 25 juillet 1994, afin que les salariés actionnaires puissent présenter d'eux-mêmes, en cas de non-respect des obligations légales, une motion tendant à modifier les statuts lors de la plus prochaine assemblée ordinaire, afin de permettre la représentation des salariés actionnaires au conseil d'administration. Il a également jugé nécessaire de garantir que les salariés actionnaires soient majoritaires dans les conseils de surveillance des FCPE dès lors que ceux-ci détiennent 5 % du capital de l'entreprise. Il a enfin considéré qu'il fallait assurer une réelle participation des salariés actionnaires aux décisions qui engagent le plus la vie de l'entreprise, en favorisant l'émergence des mandataires, notamment lorsque l'assemblée générale doit se prononcer sur une fusion ou une offre publique d'achat.

Dans un troisième temps, M. Jean Chérioux a estimé qu'il fallait assurer une meilleure protection des salariés actionnaires, même si l'action était par nature un investissement risqué. A cet égard, il a souhaité renforcer la transparence des FCPE et assurer une réelle formation des salariés membres des conseils de surveillance de ces fonds.

Dans un quatrième temps, il a considéré qu'il était nécessaire de moderniser les autres dispositifs de participation financière, ceux-ci constituant en effet le principal vecteur de l'actionnariat salarié. Ainsi, il a jugé prioritaire de mieux impliquer les PME en proposant notamment la création de PEE " inter-entreprises " et une meilleure consultation des salariés des PME sur l'opportunité d'une installation d'un dispositif d'épargne salariale dans l'entreprise. Il a également estimé souhaitable de revoir, afin de tenir compte du mouvement de baisse des taux, la rémunération des comptes courants bloqués fixée depuis 1987 à un niveau élevé. Par ailleurs, M. Jean Chérioux a constaté que les ménages cherchaient de plus en plus à se constituer une épargne longue, en particulier pour servir de complément aux retraites servies par les régimes par répartition. A cet égard, il a observé que de nombreuses entreprises avaient mis en place des plans d'épargne à long terme. Il a jugé souhaitable d'accompagner ce mouvement, par voie contractuelle, en permettant, grâce à une exonération totale ou partielle de contribution sociale généralisée (CSG), de contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et de prélèvement social, le transfert de l'épargne salariale, dès lors qu'elle représente une certaine durée d'immobilisation, vers un organisme de gestion servant une rente viagère aux salariés partant en retraite.

Dans un cinquième temps, il a jugé indispensable de proposer de nouvelles formes d'actionnariat salarié adaptées aux spécificités des entreprises. Ainsi, il a suggéré de revoir le régime fiscal et social des stock-options, en prévoyant un régime plus favorable à la double condition que la distribution d'options soit généralisée à l'ensemble du personnel en fonction des rémunérations et que les actions soient conservées, une fois l'option levée, un certain temps afin que l'actionnariat soit réel et non pas virtuel. Il a également suggéré de relancer les reprises d'entreprises par les salariés (RES) qui peuvent dans certains cas apporter une réponse pertinente aux difficultés de transmission d'entreprise.

Enfin, il a estimé nécessaire d'améliorer l'information statistique disponible sur l'actionnariat salarié jugeant celle-ci disparate, lacunaire et tardive. Il a considéré que le Conseil supérieur de la participation pouvait utilement y contribuer, notamment s'il se rapprochait de l'INSEE ou de la Commission des opérations de bourse (COB).

En conclusion, M. Jean Chérioux a insisté sur l'évolution de nos économies sous l'action de la mondialisation. Il a estimé que l'avenir des entreprises et de leurs salariés ne pouvait dépendre uniquement de préoccupations strictement financières et a jugé indispensable d'associer le personnel non seulement aux résultats de l'entreprise, mais aussi en lui permettant de se prononcer sur le sort de l'emploi et le destin de l'entreprise. Il a considéré que c'était là l'ambition de l'actionnariat salarié.

Il a rappelé que le XIXe siècle avait été celui de l'affrontement entre le capital et le travail, que le XXe siècle avait été celui de la normalisation des rapports sociaux avec l'essor des politiques contractuelles et la découverte des solidarités au sein de l'entreprise à travers la participation. Il a jugé que le XXIe siècle devait être celui de l'association du capital et du travail grâce à la détention d'une partie du capital par les salariés. Il a estimé que c'était la seule voie permettant aux entreprises de notre pays de ne pas sombrer dans l'anonymat des rapports sociaux et de ne pas succomber à la domination de groupes financiers internationaux.

M. Guy Fischer, après s'être dit impressionné par l'exposé de M. Jean Chérioux, a considéré que l'actionnariat salarié, malgré son développement, restait encore un phénomène marginal. Il a néanmoins constaté un changement progressif dans les mentalités, observant, à ce propos, un début d'évolution dans la position des grandes confédérations syndicales. Il a estimé que certaines des propositions de M. Jean Chérioux semblaient intéressantes, mais il a souligné que l'actionnariat salarié restait un placement risqué. Il a enfin rappelé que l'actionnariat n'était pas la seule forme de redistribution des richesses créées dans l'entreprise.

M. Lucien Neuwirth, après avoir félicité M. Jean Chérioux pour la qualité de son intervention, s'est déclaré en accord avec ses analyses et celles de M. Guy Fischer. Il a souligné que le conflit entre une société de plus en plus régie par des rapports marchands et la place de plus en plus restreinte de la dimension humaine tendait à s'exacerber. Il a indiqué que la participation et l'actionnariat salarié pouvaient atténuer ce conflit. Il a estimé que les propositions de M. Jean Chérioux constituaient des hypothèses de travail intéressantes dans lesquelles il fallait s'engager mais qu'il ne fallait néanmoins pas sous-estimer les obstacles.

M. André Jourdain s'est interrogé sur les causes du faible développement des PEE dans les PME.

M. Marcel Lesbros a rappelé que l'idée d'une association entre capital et travail était une idée vieille et généreuse, aux racines chrétiennes, garantissant le respect de la dignité humaine. Il a estimé nécessaire de poursuivre dans ce sens. Il a cependant considéré que la faiblesse principale de l'actionnariat salarié était le risque de perte en capital pour le salarié. Il s'est interrogé sur l'opportunité de constituer un groupe de travail pour prolonger les travaux de M. Jean Chérioux.

M. Francis Giraud s'est déclaré en accord avec les propositions de M. Jean Chérioux. Il s'est interrogé sur la suite que celui-ci comptait leur réserver.

Mme Gisèle Printz s'est déclarée sensible à certaines propositions de M. Jean Chérioux.

En réponse aux différents intervenants, M. Jean Chérioux a précisé qu'il comptait déposer prochainement une proposition de loi reprenant les propositions à valeur législative. Il a indiqué à M. Marcel Lesbros que le rapport d'information, si la commission décidait de sa publication, comporterait le compte rendu des nombreuses auditions auquel il avait procédé, de même que de celles qui s'étaient déroulées devant la commission.

Il a également considéré que le risque de fluctuation de l'action constituait la principale menace pesant sur l'actionnariat salarié. Il a précisé qu'il faisait des propositions pour mieux encadrer ce risque. Ainsi, il a indiqué qu'il souhaitait développer l'actionnariat dans les sociétés non cotées, qui ne connaissent pas, par définition, de fluctuations de la valeur de leurs titres, et qu'il proposait d'entourer la gestion des FCPE de certaines garanties. Il a ajouté que la décote constituait une garantie pour le salarié face au risque de baisse du cours de l'action. En revanche, il a souligné que les plans d'épargne à long terme ne pouvaient pas se fonder, à l'évidence, sur les seules actions de l'entreprise.

Il a estimé que le faible développement des PEE dans les PME s'expliquait à la fois par leur caractère non obligatoire et par la complexité de leur mise en oeuvre. Il a rappelé à ce propos qu'il proposait de créer des PEE " inter-entreprises " afin de favoriser leur diffusion dans les PME.

Rappelant l'évolution de la participation depuis 40 ans, il a souligné que le développement de l'actionnariat salarié n'était pas forcément une utopie. Il a estimé que l'actionnariat salarié ne devait pas être considéré comme une alternative à la négociation collective. Il a insisté sur l'importance de l'organisation de l'actionnariat salarié, estimant que celui-ci pouvait jouer un rôle réel lorsqu'il atteignait 5 à 10 % du capital de l'entreprise. Il a enfin affirmé que l'objectif de ses propositions était essentiellement de faciliter les choses.

La commission a ensuite approuvé les conclusions de M. Jean Chérioux et a décidé de les publier sous la forme d'un rapport d'information.

Emploi - Réduction négociée du temps de travail - Auditions

Au cours d'une deuxième séance tenue dans l'après-midi, sous la présidence de M. Jacques Bimbenet, vice-président, puis de M. Jean Delaneau, président, la commission a engagé son programme d'auditions sur le projet de loi n° 1786 (rectifié) (AN) relatif à la réduction négociée du temps de travail.

M. Jacques Bimbenet, vice-président a rappelé que M. Louis Souvet, rapporteur de la loi du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, avait présenté le 30 juin dernier à la commission un premier bilan d'application de cette loi ; qu'à l'issue de cette communication, la commission avait pressenti M. Louis Souvet pour rapporter le second projet de loi qui a été adopté en conseil des ministres le 28 juillet 1999, afin qu'il puisse commencer ses travaux dès la mi-septembre.

M Jacques Bimbenet, vice-président, a indiqué que naturellement cette nomination serait confirmée lorsque le texte du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, serait transmis au Sénat, probablement le 19 octobre.

La commission a tout d'abord entendu M. Adrien Bedossa, vice-président de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL).

Dans son propos liminaire, M. Adrien Bedossa a rappelé que l'UNAPL comprenait 296.000 adhérents employant 1,5 million de salariés. Il a souligné que 50 % de ces entreprises comprenaient moins de dix salariés et 80 % moins de vingt salariés. Dans ces conditions, et compte tenu du délai supplémentaire accordé aux entreprises de moins de vingt salariés pour mettre en place la réduction du temps de travail, il a expliqué que les entreprises du secteur libéral avaient temporisé, sans refuser a priori de discuter de la réduction du temps de travail dans une perspective d'accroissement de la flexibilité.

M. Adrien Bedossa a déclaré que l'UNAPL avait souhaité quatre mesures incitatives qui permettraient aux professions libérales de créer davantage d'emplois.

Il lui a semblé tout d'abord que des dispositions particulières relatives aux groupements d'employeurs devaient être adoptées. Il a cité, à ce propos, une expérience dans le Languedoc faisant apparaître la possibilité de créer 22 emplois équivalents temps plein.

De même, il a souhaité que soit créé un " chèque premier emploi " considérant qu'il faciliterait les embauches.

Ensuite, il a estimé qu'il convenait que le statut de collaborateurs libéraux ne fasse plus l'objet, de la part des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), d'une requalification en contrat de salariés, comme c'est le cas actuellement, avec pour conséquence de freiner le mouvement des recrutements.

Enfin, il a estimé que la question de la qualification des personnels était cruciale pour les petites entreprises du secteur libéral, et qu'il était par conséquent nécessaire de consacrer la 36e heure hebdomadaire à la formation continue. Cette heure, payée par l'entreprise, pourrait ainsi être comptabilisée de manière à constituer un capital formation, majoré par l'entreprise, afin de permettre aux salariés de disposer, par exemple, d'un droit à la formation de six mois tous les dix ans.

M. Adrien Bedossa a observé que ces revendications n'avaient pas été reprises dans le projet de loi et, qu'en conséquence, les entreprises du secteur restaient très attentistes voire réticentes à s'engager dans un processus d'anticipation de la réduction du temps de travail. Il a rappelé que depuis vingt ans, le secteur des professions libérales avait créé des emplois à un rythme de 3 à 3,4 % par an, sans attendre la loi du 13 juin 1998.

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur, qui lui demandait si le projet de loi avait repris les dispositions des accords de branche signés par les employeurs du secteur libéral, M. Adrien Bedossa a déclaré que cela n'avait pas été le cas, notamment pour les dispositions spécifiques relatives à la formation continue.

Concernant le bilan du mandatement dans le cadre de la loi Aubry, M. Adrien Bedossa a répondu à M. Louis Souvet, rapporteur, que cette disposition n'était pas sans rappeler le délégué de site que voulaient créer les lois Auroux. Il a observé que le recours à un salarié mandaté extérieur à l'entreprise se heurtait à des réticences de la part des employeurs et du personnel.

M. Louis Souvet, rapporteur, l'ayant interrogé sur les dispositions prévoyant qu'un accord doit être signé par un ou plusieurs syndicats majoritaires dans l'entreprise, M. Adrien Bedossa a déclaré que ces accords n'avaient aucun sens dans une entreprise ne comportant que quelques salariés. Il a rappelé que la négociation collective répondait à des règles particulières dans ces petites entreprises, comme le dialogue direct et l'absence de formalisme.

En réponse à M. Louis Souvet, rapporteur, qui s'interrogeait sur l'éventuelle contradiction du projet de loi avec la directive européenne relative au travail à temps partiel, M. Adrien Bedossa a estimé que la nouvelle définition du travail à temps partiel était effectivement contradictoire avec le principe des 35 heures payées 39.

Il a ajouté que le pacte européen pour l'emploi privilégiait l'échange d'expériences et l'employabilité, deux concepts qui lui semblaient être étrangers à la démarche du Gouvernement.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a souhaité savoir combien de salariés étaient couverts par un accord sur la réduction du temps de travail dans le secteur des professions libérales. Elle a souhaité connaître la position de l'UNAPL sur les allégements de charges.

M. André Jourdain a observé que le projet de loi ne comportait aucune disposition relative au développement des groupements d'employeurs et au travail à temps partagé contrairement à ce que laissaient entendre les déclarations du Gouvernement.

M. Jacques Machet a souligné que le coût financier du projet de loi était estimé entre 80 et 100 milliards de francs et que les partenaires sociaux s'opposaient au principe d'une contribution à ce financement.

En réponse aux différentes questions des intervenants, M. Adrien Bedossa a déclaré que deux branches signataires d'accords sur la réduction du temps de travail, celle des experts comptables et celle des agents d'assurance, comprenaient respectivement 40.000 et 30.000 salariés. Il a déclaré qu'il n'y avait pas eu d'accord d'entreprise en expliquant ce phénomène par le lien très fort qui unissait les entreprises et la branche dans ce secteur.

Il a confirmé que les entreprises du secteur des professions libérales attendraient le plus possible avant de mettre en oeuvre la réduction du temps de travail.

M. Louis Souvet, rapporteur, a observé que l'expérience des accords signés et non repris dans le projet de loi invitait effectivement ces entreprises à adopter un comportement attentiste.

Evoquant les allégements de charges, M. Adrien Bedossa a fait part de son inquiétude que les entreprises de ce secteur soient exclues du bénéfice de ces aides.

Il a constaté qu'il y avait une très forte demande en faveur de dispositions particulières aux groupements d'employeurs, remarquant que nombre d'entreprises souhaitaient partager une secrétaire ou un informaticien.

En conclusion, M. Adrien Bedossa a déclaré qu'il ne comprenait pas pourquoi le volet emploi avait été abandonné dans le second texte relatif à la réduction du temps de travail.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard et M. Guy Fischer ont déclaré partager ce sentiment d'incompréhension.

Ensuite, la commission a entendu M. Michel Coquillion, secrétaire général adjoint de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC).

Dans son propos liminaire, M. Michel Coquillion a rappelé le regret de la CFTC que l'accord du 31 octobre 1995 sur l'aménagement du temps de travail pour l'emploi n'ait pas débouché sur une vraie démarche dans les branches et les entreprises en faveur de l'emploi. Il a constaté que c'est cet échec qui avait ouvert la voie à une démarche législative. Il a observé que la négociation sur les 35 heures était un exercice très difficile eu égard à son caractère transversal qui remet en cause des domaines aussi différents que la rémunération, l'organisation de l'entreprise, la formation ainsi que le régime des cadres.

Il a estimé que le succès de cette négociation reposait sur l'existence d'une volonté commune d'aboutir. Il a souligné que le contexte social était défavorable aux salariés pour trois raisons : les entreprises souhaitent que la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail soit réalisée à coût constant, les salariés, faiblement syndiqués et mobilisés, n'opposent pas de résistance déterminée aux revendications des employeurs, et la démarche juridique, qui laisse place à une négociation suivie d'une loi, a joué comme un " piège " obligeant le législateur soit à remettre en cause les accords signés soit à légaliser des déréglementations importantes.

M. Michel Coquillion a estimé que le défi majeur du second texte relatif à la réduction du temps de travail consistait à sortir de cette impasse juridique. Il a déclaré que la CFTC demandait la négociation d'un accord interprofessionnel validé par la loi sur tous les sujets qui, dans les accords de branche, pouvaient apparaître comme dérogatoires ou illicites. Il a considéré que cette négociation ne devait pas être renvoyée aux entreprises ou aux établissements sauf à rendre supplétives la loi, la négociation interprofessionnelle et la négociation de branche, ce à quoi la CFTC s'était opposée lors de la négociation du 31 octobre 1995.

M. Michel Coquillion a déclaré que le projet de loi proposé devait être fortement amélioré pour répondre aux exigences de la CFTC, notamment en matière d'emploi et de conciliation des temps de vie.

Il a estimé que ce projet de loi ne remettait pas en cause les accords négociées dans les branches ou les entreprises, si ce n'était sur des dispositions non conformes au code du travail renvoyées à la négociation. Il a néanmoins regretté que des dispositions résultant d'un accord national interprofessionnel ou couvertes par la loi ou la jurisprudence aient été renvoyées à la négociation de branche ou d'entreprise.

M. Michel Coquillion a considéré que la CFTC avait eu gain de cause sur un certain nombre de dispositions du projet de loi, il a cité l'exclusion des jours fériés dans la comptabilisation des jours faisant l'objet d'une réduction du temps de travail, la réduction du contingent d'heures supplémentaires pour les entreprises qui ont recours à la modulation, le maintien du salaire pour les salariés au SMIC, l'amélioration du compte épargne temps et la reconduction du mandatement.

M. Michel Coquillion a estimé toutefois que le projet de loi présentait encore de graves lacunes sur des problèmes comme le temps de travail réel et les moyens de le contrôler, le maintien des salaires réels, la nature des embauches et l'accès aux négociations des 35 heures.

Il a observé que plusieurs points méritaient d'être précisés tels que le forfait cadre, la modulation unique, les contreparties des aides versées aux entreprises, le temps partiel et la nécessité d'un accord " majoritaire " pour bénéficier des allégements de charge.

En définitive, M. Michel Coquillion a considéré que ce projet de loi présentait des lacunes et des risques graves pour les employés concernés. Il a remarqué qu'une absence de contrôle de la durée du travail pourrait amener de nombreux salariés qui travaillaient 45, 50 ou plus de 60 heures actuellement payées 39 heures à faire à l'avenir le même nombre d'heures payées 35 heures.

Il s'est inquiété de ce que le texte légalise la dérive du temps de travail des cadres et que l'insuffisant encadrement de la modulation puisse ouvrir la porte à une précarisation totale de l'horaire de travail.

Il a constaté que le risque était grand que ce texte donne lieu à une baisse importante des revenus des salariés, une dégradation de leurs conditions de vie par la généralisation de l'annualisation, du travail du samedi et du dimanche, ainsi que par la légalisation de la dérive du forfait cadre, ceci alors même que les créations d'emplois pourraient être très faibles.

M. Michel Coquillion a estimé que faute d'une révision en profondeur du texte proposé, les effets attendus sur l'emploi ainsi que les conditions de vie des nombreux salariés pourraient été sacrifiés à l'idéologie.

Revenant sur les articles du projet de loi, il a estimé que la définition du temps de travail devait être mieux encadrée de manière à tenir compte des déplacements professionnels, des pauses et des astreintes.

Il a considéré, à propos de l'article 5, qu'il conviendrait de préciser les différentes catégories de cadres et de décompter précisément les heures supplémentaires dans le forfait.

Evoquant le compte épargne temps, il a déclaré qu'il devait être alimenté et vidé rapidement à travers par exemple le financement de formations. Il a souligné que la CFTC n'était pas hostile au coïnvestissement sous réserve qu'il respecte le principe du volontariat.

Il a insisté sur la nécessité d'un engagement en termes de création d'emplois de la part des entreprises qui recevront des aides financières.

En réponse à une question de M. Louis Souvet, rapporteur, sur la compatibilitédu projet de loi avec la directive européenne sur le temps partiel, M. Michel Coquillion a reconnu que le risque que des entreprises essaient d'embaucher des salariés à 34 heures payées 34 heures était réel, de même que le risque de contentieux pour ceux qui étaient déjà rémunérés sur la base de 35 heures.

Evoquant le mandatement et le référendum, M. Michel Coquillion a déclaré que le choix du référendum pour valider des accords constituait une erreur majeure de nature à remettre en cause l'existence même des syndicats minoritaires. Il a souligné que le dialogue social ne reposait pas sur la démocratie élective mais sur une présomption de représentativité.

Il a estimé que ce débat sur la représentativité syndicale n'avait pas sa place dans un texte relatif à la réduction du temps de travail.

M. André Jourdain, après avoir remarqué que les artisans ne trouvaient pas toujours les salariés qualifiés qu'ils recherchaient, a observé que le projet de loi ne définissait pas rigoureusement les délais de prévenance dans le cadre des changements d'horaires, ce qui pourrait avoir des conséquences dommageables pour les multisalariés.

M. Alain Gournac a souhaité connaître l'attitude qu'adopterait la CFTC si aucune modification n'était apportée au projet de loi.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard s'est demandée si le projet de loi répondait bien aux contraintes du dialogue social dans les PME. Elle a désiré connaître la position de la CFTC sur la possibilité, pour pallier les difficultés constatées à trouver des " négociateurs ", de se référer à une " logique de territoire ".

M. Guy Fischer a demandé à M. Coquillion si cette loi marquait un pas supplémentaire vers la déréglementation.

En réponse aux différents intervenants, M. Michel Coquillion a déclaré que l'adaptation de l'offre à la demande du travail illustrait un problème relatif aux formations. Il a estimé que plus de jeunes devraient s'orienter vers les métiers de l'artisanat.

Il a souligné que la CFTC était favorable au multisalariat, citant l'exemple du directeur des ressources humaines (DRH) que plusieurs PME pouvaient partager entre elles.

Il a confirmé que la CFTC se plaçait dans une optique de modification du projet de loi sans préciser quelle serait l'attitude de ce syndicat si ce texte n'était pas sensiblement modifié à l'issue du débat parlementaire.

Il a estimé que le concept de délégué de bassin d'emploi n'était pas très éloigné de celui de salarié mandaté.

Il a confirmé que le projet de loi légalisait certaines dispositions relatives à la flexibilité contenues dans les accords signés en réaffirmant que c'était là la conséquence de l'attitude des employeurs qui n'avaient pas souhaité venir sur le terrain de l'emploi.

Enfin, la commission a procédé à l'audition de M. Arnold Brum, chef du service des affaires sociales de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA).

Répondant aux questions de M. Louis Souvet, rapporteur, M. Arnold Brum a souhaité faire part des observations de la FNSEA sur le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

Il a déclaré que la notion de " durée collective de travail " évoquée aux articles 2, 11 et 12 du projet de loi n'était définie par aucun texte législatif et que la notion voisine d'horaire collectif n'était pas applicable à l'agriculture. Dans ces conditions, il s'est interrogé sur le fait de savoir si la décision de l'employeur de faire exécuter des heures supplémentaires constituait ou non une modification de l'horaire collectif.

Dans l'hypothèse où la réalisation des heures supplémentaires devait être considérée comme une modification d'horaire, il a observé que l'entreprise ne se trouverait plus dans la situation où la durée collective de travail est inférieure ou égale à la durée légale ; les quatre premières heures supplémentaires donneraient lieu alors à une bonification réduite de 15 % et à une contribution de 10 %. A l'inverse, a-t-il a souligné, si les heures supplémentaires n'étaient pas considérées comme une modification d'horaire, la bonification serait systématiquement de 25 %.

M. Arnold Brum a souligné que la FNSEA dénonçait, en tout état de cause, la création d'une contribution qui avait pour effet de priver le salarié de la juste rémunération de son travail.

Evoquant les articles 3, 4 et 11 prévoyant que la durée annuelle du travail ne pouvait dépasser 1.600 heures, M. Arnold Brum a observé que ce seuil ne tenait pas compte de trois faits : tous les jours fériés ne sont pas chômés, tous les salariés n'ont pas droit à cinq semaines de congés payés et tous les salariés qui ont droit à cinq semaines de congés ne les prennent pas forcément tous les ans. Il en a conclu que la règle de 1.600 heures pouvait donc conduire à qualifier d'heures supplémentaires les heures effectuées par un salarié qui n'aurait jamais travaillé plus de 35 heures par semaine en moyenne.

Il a estimé que la référence à 1.600 heures par an devait être supprimée, la notion de 35 heures en moyenne par semaine travaillée lui apparaissant comme suffisante.

Evoquant le titre du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail, il a constaté que c'était en réalité la réduction des charges patronales qui faisait l'objet d'une négociation et non la réduction de la durée du travail puisque l'accord des syndicats était indispensable pour obtenir les allégements de charges, même si la durée légale de 35 heures était respectée par l'entreprise.

M. Arnold Brum s'est interrogé sur le recours au référendum afin de sanctionner un accord conclu entre l'employeur et un salarié mandaté. Il a estimé que le risque de désaveu aurait pour conséquence une absence de recours à ce dispositif.

M. Arnold Brum a remarqué que la réduction du temps de travail dans les entreprises de moins de 50 salariés à travers un accord de branche pourrait connaître le même sort, cet accord ou cette convention devant fixer la durée du travail et préciser les modalités d'organisation et de décompte, autant de dispositions qui ne lui ont pas semblé relever du niveau de la branche.

Evoquant la nécessité dans certains cas de recourir au référendum dans les entreprises de moins de 11 salariés, il a considéré que l'obligation faite à un employeur d'un ou deux salariés d'obtenir leur approbation pour bénéficier des aides n'avait aucun sens compte tenu de la position de dépendance de ces salariés par rapport à l'employeur.

M. Arnold Brum a considéré que les modalités d'obtention des allégements de charges, compte tenu de leur complexité et de leur inadaptation aux petites et moyennes entreprises (PME), constitueraient un obstacle à la réduction négociée du temps de travail.

Il a déclaré que la FNSEA proposait que dans les entreprises de moins de 50 salariés, la réduction du temps de travail puisse être organisée selon les modalités prévues par une convention ou un accord de branche étendu comme cela était prévu par la loi du 13 juin 1998. Il a observé que cette disposition avait permis la conclusion d'un accord national dans le secteur de l'agriculture le 3 février 1999, étendu par un arrêté interministériel du 8 avril 1999. Il a constaté que cet accord prévoyait plusieurs modalités de réduction du temps de travail, obligeait les accords d'entreprise conclus avec des salariés mandatés à respecter ces modalités et permettait à l'employeur de choisir directement lesdites modalités de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail si l'entreprise avait moins de 11 salariés et si la négociation avec un salarié mandaté avait échoué.

M. Arnold Brum a redouté que le bénéfice de l'allégement de charges puisse être suspendu par simple décision de l'administration dès lors que les horaires de travail pratiqués dans l'entreprise étaient " incompatibles " avec les limites de 35 heures par semaine ou 1.600 heures par an, ou encore lorsque le salarié avait effectué un nombre d'heures supplémentaires dépassant le contingent fixé par décret.

Il a estimé que la suspension de l'allégement dans des conditions aussi peu précises faisait courir le risque d'arbitraire et n'encourageait pas les entreprises à négocier la réduction du temps de travail.

M. Arnold Brum a considéré que l'article 15 relatif à la modification du contrat de travail, s'il devait être voté en l'état, pourrait être la source d'innombrables litiges.

Il a observé que la décision de l'employeur d'appliquer la loi et de fixer l'horaire de travail à 35 heures, en l'absence d'accord d'entreprise, constituerait une modification du contrat de travail, de même que des modifications connexes relatives au temps de pause, au repos compensateur et à l'annualisation, même prévues par un accord d'entreprise.

Evoquant le principe selon lequel le licenciement d'un salarié serait réputé reposer sur une cause réelle et sérieuse si ce dernier refusait une modification de son contrat de travail consécutivement à la signature d'un accord, M. Arnold Brum a souligné que tout salarié ayant intérêt à quitter l'entreprise pourrait en conséquence prétendre avoir été licencié et obliger l'employeur à lui verser des indemnités de licenciement. A cette occasion, les salariés de plus de 57 ans pourraient même prétendre au bénéfice des allocations de chômage jusqu'à leur retraite.

Il a dénoncé le fait que le licenciement pourrait être considéré comme abusif et l'employeur condamné à des dommages et intérêts lorsque la durée du travail serait réduite en l'absence d'accord, alors même qu'il ne s'agirait pour l'employeur que d'appliquer la loi. Il a estimé que l'application dans l'entreprise d'un horaire égal à la durée légale du travail et les conséquences qui en résultaient sur la rémunération et l'organisation du temps de travail ne devaient pas constituer une modification du contrat de travail.

Evoquant l'article 16 relatif au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), il a rappelé qu'il était prévu qu'au 1er juillet 2005, le SMIC horaire aurait augmenté de façon à rendre la garantie mensuelle sans objet. Il en a conclu que d'ici cinq ans, le SMIC horaire devrait donc rattraper le 11,4 % de différentiel entre 152 heures et 169 heures, l'évolution de l'indice des prix entre 1999 et 2005 et la moitié de l'augmentation du pouvoir d'achat du " salaire mensuel de base ouvrier " (SMBO). Il a ainsi évalué à au moins 15 % l'augmentation du pouvoir d'achat du SMIC horaire en 2005 par rapport à 1999.

M. Arnold Brum a déclaré qu'il convenait, dans ces conditions, d'adopter des dispositions transitoires permettant d'amortir le choc de l'augmentation du SMIC. Il a suggéré que le SMIC horaire soit indexé sur le seul indice des prix pendant deux ans, que la garantie mensuelle soit indexée sur le seul indice des prix et que l'augmentation de 11,4 % du SMIC soit reportée au-delà du 1er juillet 2005.