AFFAIRES SOCIALES

Table des matières


Mardi 30 mars 1999

- Présidence de M. Jean Delaneau, président -

Travail - Développement de l'actionnariat salarié - Audition de MM. Georges Repeczky, Paul Maillard, Maurice Aumage et Claude Cambus, membres du Conseil supérieur de la participation

La commission a tout d'abord entendu M. Georges Repeczky, vice-président du Conseil supérieur de la participation, accompagné de MM. Paul Maillard, Maurice Aumage et Claude Cambus, membres de ce conseil au titre des personnalités qualifiées et, respectivement rapporteurs des groupes de travail " épargne salariale et épargne retraite ", " participation " et " intéressement " du Conseil supérieur de la participation.

M. Jean Delaneau, président
, a rappelé qu'à l'initiative de M. Jean Chérioux, représentant du Sénat au Conseil supérieur de la participation, la commission avait souhaité faire le point sur le développement de l'actionnariat salarié.

M. Jean Chérioux, constatant que l'actionnariat salarié connaissait un nouvel élan depuis les privatisations, a souligné que celui-ci constituait l'une des formes de la participation des salariés dans l'entreprise. Il a remercié le président Jean Delaneau d'avoir bien voulu organiser ces auditions, qui s'insèrent dans une démarche de suivi de l'application de la loi du 25 juillet 1994 relative à l'amélioration de la participation des salariés dans l'entreprise. Il a souligné, par ailleurs, l'insuffisance des données statistiques disponibles dans ce domaine.

M. Georges Repeczky a d'abord rappelé que le Conseil supérieur de la participation avait été institué par la loi du 25 juillet 1994. Il a indiqué que le Conseil avait mis en place, dès son installation, trois groupes de travail, le premier sur la participation au sens large, le deuxième sur l'intéressement et le dernier sur le rôle que pourrait jouer l'épargne salariale en matière d'épargne retraite.

M. Claude Cambus a précisé que le groupe de travail " intéressement " avait procédé à une série d'auditions de dirigeants d'entreprises et de partenaires sociaux, afin d'évaluer la portée des accords d'intéressement. Il a indiqué que, dans les grandes entreprises, l'intéressement apparaissait avant tout comme un outil de la politique salariale parmi d'autres, alors que, dans les petites entreprises, l'intéressement répondait plus à l'esprit initial de la législation sur la participation, étant un véritable moyen de partage des bénéfices. Il a également rappelé que le groupe de travail " intéressement " avait été saisi d'une demande d'étude afin d'examiner en quoi l'intéressement pouvait faciliter la négociation sur la réduction du temps de travail, mais que le groupe avait exprimé un avis très réservé.

M. Maurice Aumage a insisté sur l'importance croissante de l'actionnariat salarié et sur la meilleure représentation des actionnaires salariés dans les organes délibérants des entreprises. Observant que les privatisations de 1987 n'avaient pas permis aux actionnaires salariés de siéger dans le conseil d'administration, il a constaté que ceux-ci étaient l'objet d'une plus grande considération depuis 1993, cette tendance s'étant accentuée depuis quelques mois. Il a jugé que ce mouvement s'expliquait par le souci des entreprises de se constituer un actionnariat stable, face à celui constitué par les fonds de pension étrangers que les entreprises jugeaient très volatile.

Il a cependant observé que certains obstacles subsistaient, freinant un développement plus rapide de l'actionnariat salarié. Il a d'abord insisté sur le manque de transparence des informations existantes sur l'actionnariat salarié en précisant qu'aucun organisme ne centralisait les données relatives à la part du capital social des sociétés françaises détenues par leurs salariés. Il a également remarqué que la représentation des actionnaires salariés dans les organes délibérants restait encore limitée, les administrateurs salariés étant bien plus des représentants syndicaux que des représentants des actionnaires.

M. Paul Maillard a ensuite présenté les conclusions des travaux du groupe " épargne salariale et épargne retraite ". Il a estimé que l'épargne salariale pouvait constituer un moyen efficace de financement d'une retraite surcomplémentaire. A cet égard, il a précisé que le groupe de travail s'était montré favorable à la constitution d'un plan d'épargne salariale à long terme qui reprendrait les caractéristiques des dispositifs actuels d'épargne salariale, la différence principale étant que la durée minimale d'immobilisation des sommes versées pourrait être portée à dix ans au lieu de cinq. Il a rappelé que le groupe de travail considérait que ce plan d'épargne salariale à long terme ne devrait pas se substituer au plan d'épargne entreprise, dans la mesure où les règles de gestion des fonds étaient largement fonction de leur durée d'immobilisation et de leur destination. Il a ainsi indiqué que le principe de prudence ne permettait pas qu'une épargne constituée dans le but de la retraite soit investie totalement en actions.

M. Claude Cambus a ensuite présenté les conclusions d'une étude sur les effets de l'actionnariat salarié dans l'entreprise. Il a indiqué que l'actionnariat salarié issu d'une épargne volontaire était plus stable et plus durable que l'actionnariat salarié réalisé dans le cadre des mécanismes de participation.

M. Georges Repeczky a enfin dressé un bilan quantitatif des différents mécanismes de participation. Il a ainsi indiqué qu'en 1997, près de 5 millions de salariés s'étaient vu attribuer près de 30 milliards de francs au titre de la participation ou de l'intéressement. Il a observé que l'intéressement progressait sensiblement plus vite que la participation, celle-ci semblant être arrivée à maturité. Il a constaté que les plans d'épargne d'entreprise (PEE) avaient reçu, en 1996, 10,5 milliards de francs, soit un montant moyen de l'ordre de 9.500 francs par salarié ou l'équivalent de 2,8 % de la masse salariale des entreprises concernées. Il a également insisté sur la rapide progression de l'encours des fonds communs de placement d'entreprise (FCPE), celui-ci étant passé de 117 milliards de francs en 1993 à 185 milliards de francs en 1997.

M. Jean Chérioux s'est interrogé sur les moyens d'évaluer la part de l'actionnariat salarié, qu'il soit direct ou indirect, observant que la loi du 25 juillet 1994 faisait obligation aux sociétés de publier dans leurs rapports annuels l'état de la participation des salariés au capital social.

En réponse, M. Paul Maillard a précisé que les flux étaient difficilement quantifiables. Il a ainsi indiqué qu'entre 1 % et 1,5 % de la réserve spéciale de participation était directement investi en actions de l'entreprise. Il a également affirmé que 55 % de cette réserve étaient placés dans les FCPE, cette proportion s'accroissant régulièrement, mais qu'il était impossible de savoir comment les FCPE investissaient ces sommes. Il a souligné toutefois que la commission des opérations de bourse (COB) estimait qu'au 31 décembre 1997, 40 % des 185 milliards de francs d'encours gérés par les FCPE étaient investis dans les titres de l'entreprise.

Il a également confirmé qu'il n'existait pas de statistiques mesurant la part de l'actionnariat salarié dans le capital social des entreprises, la COB n'étant compétente qu'en cas d'appel public à l'épargne. Il a estimé que ces difficultés statistiques étaient particulièrement avérées pour les sociétés non cotées.

M. Georges Repeczky a souhaité que le Conseil supérieur de la participation puisse mieux apprécier le poids de l'actionnariat salarié.

M. Claude Cambus a donné quelques exemples de la part du capital social détenue par les salariés dans quelques sociétés, indiquant que celle-ci atteignait 9 % à la Société générale, 6,3 % chez Bouygues et 5 % chez Elf.

M. Maurice Aumage est ensuite revenu sur les difficultés de représentation et d'expression des actionnaires salariés. Il a souligné que les associations d'actionnaires salariés qui s'étaient créées dans les entreprises connaissaient des difficultés de positionnement, tant vis-à-vis des chefs d'entreprise que des organisations syndicales de salariés. Il a cependant observé que ces difficultés étaient très variables selon les entreprises.

M. Guy Fischer s'est interrogé sur le profil du salarié actionnaire et sur la fonction de représentation exercée par les associations d'actionnaires salariés.

M. Georges Repeczky a souligné que la plupart des salariés, quels que soient leur statut ou leur rémunération, avaient acquis des actions de leurs entreprises lors des récentes opérations d'ouverture de capital. Il a ainsi indiqué que plus de 70 % des salariés de France Télécom étaient devenus actionnaires de leur entreprise lors de l'ouverture du capital. Il a toutefois observé que les cadres étaient surreprésentés parmi les actionnaires salariés, car ils avaient une capacité d'épargne supérieure.

M. Maurice Aumage a constaté que les retraités étaient fréquemment sollicités lors de telles opérations. S'agissant des associations d'actionnaires salariés, il a déclaré qu'elles n'étaient pas en compétition avec les organisations syndicales, mais que leurs fonctions étaient complémentaires.

M. Paul Maillard a observé que le développement de l'actionnariat salarié n'était pas, à la différence des stocks options, un phénomène élitiste. Il a souligné que l'abondement de l'entreprise favorisait au contraire les salariés aux revenus les plus faibles.

Mme Gisèle Printz s'est interrogée sur les conséquences d'une faillite de l'entreprise pour l'actionnaire salarié.

En réponse, M. Maurice Aumage a indiqué que le risque pesant sur le salarié renforçait la nécessité d'une meilleure information des actionnaires salariés et de leur participation accrue aux processus de décision dans l'ensemble.

M. Jean Chérioux s'est interrogé sur l'information et les conditions de participation des actionnaires salariés.

En réponse, M. Paul Maillard a indiqué que les FPCE exerçaient les droits de vote, la nature du vote étant fixée par le conseil de surveillance des FCPE.

M. Maurice Aumage a estimé qu'il était nécessaire de légiférer pour assurer une réelle indépendance des représentants des salariés actionnaires.

M. Georges Repeczky a regretté que la participation des représentants salariés à la gestion de l'entreprise restât limitée. S'appuyant sur l'exemple de Thomson-CSF, il a jugé que la présence d'un tel représentant au sein des organes délibérants devrait s'accompagner d'une présence au sein des organes exécutifs.

Travail - Développement de l'actionnariat salarié - Audition de M. Serge Cimmati, président de la Fédération française des associations d'actionnaires salariés et anciens salariés et de M. Jacques Ansquer, vice-président de l'Assemblée libre des minoritaires des AGF - salariés mandataires et tous porteurs (ALMA-SMP)

La commission a ensuite entendu M. Serge Cimmati, président de la Fédération française des associations d'actionnaires salariés et anciens salariés, accompagné deM. Jacques Ansquer, vice-président de l'Assemblée libre des minoritaires des AGF - salariés mandataires et tous porteurs (ALMA-SMP).

M. Serge Cimmati, président,
a rappelé que la Fédération des actionnaires salariés, créée en 1993, fédérait 15 associations d'actionnaires salariés regroupant 450.000 des 700.000 actionnaires salariés. Il a estimé que l'actionnariat salarié, qu'il soit direct ou indirect, se montait globalement à environ 200 milliards de francs de capitalisation boursière.

Revenant sur l'origine de ce phénomène, il a souligné qu'il s'était développé d'abord par le biais des différents mécanismes de participation financière des salariés, mais que les privatisations avaient accéléré ce mouvement.

Abordant la question de l'information des actionnaires salariés, il a déploré son insuffisance. Il a déclaré, à ce propos, que la Fédération des actionnaires salariés étudiait la possibilité de créer une base de données sur l'actionnariat salarié.

Il a en outre constaté que la représentation des salariés actionnaires relevait de régimes très hétérogènes selon les entreprises, insistant sur la reconnaissance souvent difficile de la fonction de représentation exercée par les associations. Il a ainsi cité l'exemple de France Télécom chez qui le représentant de l'association bénéficiait du statut de délégué détaché mais, a contrario, il a observé que, dans bien des cas, les associations n'étaient l'objet d'aucune reconnaissance officielle par l'entreprise, ce qui contribuait à les fragiliser.

M. Serge Cimmati s'est déclaré favorable à la création d'un observatoire de l'actionnariat salarié. Il a estimé que la fédération avait les moyens de participer à un tel observatoire, rappelant que celle-ci réfléchissait notamment à la mise en place d'un indice de l'actionnariat salarié. A cet égard, il a indiqué que cet indice mettait en évidence une forte corrélation entre la performance boursière de l'entreprise et la part du capital social détenue par les salariés.

M. Jacques Ansquer a souligné que la fédération réfléchissait également à l'élaboration d'un code de bonne conduite du management de l'entreprise vis-à-vis des actionnaires salariés, qu'il s'agisse de leur information ou de leur représentation. Il a jugé urgent d'aboutir à l'élaboration de statistiques fiables dans la mesure où la période de blocage des actions investies dans les plans d'épargne d'entreprises à la suite des privatisations touchait actuellement à sa fin.

M. Serge Cimmati a ensuite évoqué la question de la représentation des actionnaires salariés au sein des organes délibérants des entreprises. Il a indiqué que seul le tiers des entreprises couvertes par sa fédération avait un représentant des actionnaires salariés au conseil d'administration ; il a salué le cas spécifique de Thomson-CSF, société dans laquelle le représentant des actionnaires salariés au conseil d'administration siège en outre au comité stratégique de ce conseil. Il a regretté que les associations n'aient qu'un siège consultatif au sein des conseils de surveillance des FCPE. Il a en outre affirmé que la fédération souhaitait restituer aux salariés actionnaires les droits de vote détenus par les FCPE, dans un souci de transparence.

M. Jacques Ansquer a insisté sur le rôle pédagogique joué par les associations, rappelant que les salariés actionnaires n'avaient bien souvent initialement qu'une faible culture financière, ceux-ci n'étant devenus actionnaires que récemment, à l'occasion des privatisations. Il a estimé que les entreprises se montraient de plus en plus favorables à l'actionnariat salarié pour une double raison : la garantie de la stabilité de leur actionnariat et la maîtrise des revendications salariales.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard s'est interrogée sur les conditions d'adhésion des salariés actionnaires aux associations, sur les relations de celles-ci avec les syndicats et sur les conséquences du développement de l'actionnariat salarié pour le fonctionnement de l'entreprise.

M. Jean Chérioux a évoqué la question des entreprises non cotées et il s'est interrogé sur les possibilités d'essor de l'actionnariat salarié chez ces dernières.

En réponse aux intervenants, M. Serge Cimmati a constaté qu'il ne disposait d'aucune information sur les sociétés non cotées. Il a précisé qu'il n'existait aucune obligation, pour les salariés, d'adhérer à une association. Il a, à cet égard, rappelé que les associations les plus représentatives avaient entre 1.500 et 2.000 adhérents et que celles-ci se constituaient librement. Il a déclaré que l'objectif de la fédération était non seulement de favoriser la diffusion de l'actionnariat salarié, mais aussi d'augmenter le nombre d'associations et de salariés actionnaires adhérant à ces associations.

S'agissant des relations avec les organisations syndicales, il a observé que celles-ci s'étaient longtemps désintéressées de l'actionnariat salarié mais que cette situation évoluait progressivement. Il a toutefois estimé que la position des syndicats sur ce sujet restait relativement ambiguë, ceux-ci craignant sans doute de voir émerger un nouveau pouvoir dans l'entreprise.

Il a enfin considéré que l'actionnariat salarié contribuait à modifier les mentalités et les comportements dans l'entreprise, les salariés actionnaires ayant tendance à s'impliquer plus directement dans leurs fonctions et dans la vie de l'entreprise.

Santé publique - Soins palliatifs et accompagnement - Audition de M. Donat Decisier, rapporteur du Conseil économique et social, sur l'accompagnement des personnes en fin de vie

Puis la commission a procédé à l'audition de M. Donat Decisier, rapporteur du Conseil économique et social, sur l'accompagnement des personnes en fin de vie.

M. Lucien Neuwirth, rapporteur de la proposition de loi n° 223 (1998-1999) tendant à favoriser le développement des soins palliatifs et de l'accompagnement, a félicité le rapporteur du Conseil économique et social pour la qualité de l'avis sur l'accompagnement des personnes en fin de vie adopté par cette assemblée le 24 février dernier. Il a estimé que cet avis était étroitement complémentaire du rapport d'information sur les soins palliatifs et l'accompagnement adopté par la commission des affaires sociales le 10 février. Il s'est réjoui que ces deux documents aient été adoptés à l'unanimité dans les deux assemblées devant lesquelles ils avaient été présentés.

M. Lucien Neuwirth, rapporteur, a demandé à M. Donat Decisier quelles étaient les principales causes de l'insuffisant développement des soins palliatifs en France et quels enseignements pouvaient être tirés des expériences menées en Aveyron, qui ont été particulièrement étudiées par le Conseil économique et social.

Annonçant son intention de proposer, le lendemain, à la commission de compléter la proposition de loi par la création d'un congé d'accompagnement, l'élargissement des missions de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) à l'élaboration de normes de qualité en matière de soins palliatifs et d'accompagnement et la prise en charge des dépenses de coordination de l'action des bénévoles par l'assurance maladie, M. Lucien Neuwirth, rapporteur, a demandé à M. Donat Decisier s'il était favorable à une telle initiative.

M. Donat Decisier a remercié les sénateurs pour l'intérêt qu'ils portaient aux avis du Conseil économique et social. Il a d'abord dressé un état des lieux en matière de soins palliatifs et d'accompagnement, qui devraient concerner 150.000 personnes chaque année. Il a attribué l'insuffisant développement des soins palliatifs en France aux retards pris dans la lutte contre la douleur, en voie d'être comblés, et à de nombreuses contraintes juridiques, administratives et financières. A cet égard, il a cité les difficultés résultant du fait que la circulaire de 1986 prévoyait le développement des soins palliatifs à moyens constants, la pénalisation de l'activité de soins palliatifs par le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), les lacunes de la formation et de la culture médicales et enfin, l'absence d'une réelle volonté politique comparable à celle qui s'était manifestée en Belgique et surtout en Catalogne. Il a regretté qu'aucune autorité du ministère de la santé ne se soit rendue en Angleterre ou en Catalogne.

M. Donat Decisier a estimé que les moyens humains et matériels affectés aux équipes mobiles de soins palliatifs demeuraient insuffisants et a regretté leur fréquente absence de statut administratif clair, alors que ces équipes permettent, par leur action, la diffusion auprès de tous les services d'un établissement et de leurs personnels des idées et des pratiques des soins palliatifs. Il a également affirmé que le choix du retour à domicile devrait être offert aux patients en fin de vie ainsi qu'à leurs proches avec les mêmes critères de cohérence, de continuité des prises en charge, de sécurité, de qualité des soins et de l'accompagnement et d'égalité devant les charges financières. Il a malheureusement constaté que tel n'était pas du tout le cas aujourd'hui.

M. Donat Decisier a jugé intéressante l'expérience aveyronnaise : elle assure l'interface entre le domicile et l'hôpital, la coordination des intervenants grâce à une équipe pluridisciplinaire disponible 24 heures sur 24 et elle est financée par un forfait spécifique qui a été négocié avec la caisse primaire d'assurance maladie dans un cadre encore expérimental.

M. Donat Decisier a ensuite présenté les propositions formulées à l'unanimité par le Conseil économique et social.

Le premier axe de ces propositions est de développer les structures de soins palliatifs en milieu hospitalier et à domicile, qui passe par la fixation de normes de qualité, l'extension à tous les centres hospitaliers universitaires, généraux et assimilés d'un modèle normalisé d'équipes mobiles de soins palliatifs, le renforcement des unités de soins palliatifs existantes et la création de nouvelles unités. Il a estimé que leur présence systématique dans les centres hospitaliers et universitaires était indispensable. Pour le domicile, le Conseil économique et social préconise la mise en place, dans chaque département, d'un dispositif de coordination des divers intervenants et l'élaboration de normes d'accréditation et de certification.

Le second axe des propositions du Conseil économique et social vise à consolider le développement des soins palliatifs en mettant en place, d'abord, un dispositif financier adapté. Il encourage l'adoption d'une loi d'orientation et de programmation qui doit se traduire, dans un premier temps, par un réel investissement financier qui sera compensé par d'importantes économies réalisées à terme, une adaptation des modalités de prise en charge financière des soins palliatifs, tant à l'hôpital qu'à domicile. Il convient aussi d'intégrer, dans le cursus de tous les soignants, une formation à l'éthique et aux soins palliatifs, de soutenir les familles en mettant en place un congé d'accompagnement et d'encourager les bénévoles grâce au financement de la coordination de leur action par l'assurance maladie.

M. Guy Fischer a félicité M. Donat Decisier pour la qualité de son avis. Il a affirmé que le développement des soins palliatifs ne pourrait être réalisé si d'importants crédits n'étaient pas parallèlement engagés.

M. Lucien Neuwirth, rapporteur, a affirmé que les propositions qu'il ferait, le lendemain, à la commission lors de l'examen de son rapport, s'inspiraient très directement des propositions formulées par le Conseil économique et social. Il a, lui aussi, affirmé la nécessité qu'une véritable volonté politique de développer les soins palliatifs s'exprime à travers l'adoption d'une loi.

M. Donat Decisier a confirmé qu'un réel développement des soins palliatifs ne pourrait être obtenu par redéploiement et qu'un investissement financier important était nécessaire. Il a affirmé avec force que le développement des soins palliatifs était de nature, à moyen terme, à réaliser des économies pour l'assurance maladie qui compenseraient cet effort initial.

Mercredi 31 mars 1999

- Présidence de M. Jean Delaneau, président -

Santé publique - Soins palliatifs et accompagnement - Examen du rapport

La commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Lucien Neuwirth sur sa proposition de loi n° 223 (1998-1999) tendant à favoriser le développement des soins palliatifs et de l'accompagnement.

M. Lucien Neuwirth, rapporteur, a rappelé que, le 10 février 1999, dans le prolongement de ses travaux consacrés à la douleur engagés dès 1994, la commission avait adopté à l'unanimité un rapport d'information consacré aux soins palliatifs et à l'accompagnement.

Ce rapport, qui avait mis en évidence leur insuffisant développement dans notre pays, concluait à la nécessité de l'adoption rapide d'une loi.

A la suite de son adoption, les membres de la commission ont, collectivement, déposé une proposition de loi reprenant mot pour mot les conclusions du rapport.

M. Lucien Neuwirth, rapporteur, a aussi rappelé que, depuis le dépôt de cette proposition de loi, le 16 février 1999, le Conseil économique et social, au cours de sa séance du 24 février, avait adopté, lui aussi à l'unanimité, l'excellent rapport de M. Donat Decisier sur l'accompagnement des personnes en fin de vie qui concluait également à la nécessité de légiférer.

Il a affirmé que les ajouts qu'il proposerait d'adopter au texte initial de la proposition de loi constituaient la traduction des propositions de cette assemblée.

M. Lucien Neuwirth, rapporteur, a ensuite examiné les articles de la proposition de loi. Il a indiqué que son article premier proposait d'inscrire, dans la loi, une définition des soins palliatifs et la reconnaissance d'un " droit d'accès " aux soins palliatifs pour tous les malades qui en avaient besoin. Il a proposé de retenir cet article dans la rédaction de la proposition de loi.

Il a également proposé d'adopter dans leur rédaction initiale l'article 2, qui levait les obstacles législatifs s'opposant au développement des soins palliatifs dans les hôpitaux et les cliniques sur l'ensemble du territoire et l'article 3 qui visait à mettre en place des structures de soins, d'enseignement et de recherche dans les centres hospitaliers et universitaires.

A l'article 4, qui prévoit la prise en charge forfaitaire des frais de formation et d'encadrement des bénévoles par l'assurance maladie, il a proposé de suivre l'avis rendu par le Conseil économique et social qui avait souligné la nécessité d'une extension de cette prise en charge aux dépenses engagées pour la coordination de l'action des bénévoles. Il a aussi souhaité lever l'ambiguïté de la rédaction initiale en prévoyant l'automaticité de la prise en charge par l'assurance maladie.

M. Lucien Neuwirth, rapporteur, a proposé d'adopter dans leur rédaction initiale l'article 5, qui procède à un assouplissement de la législation sur l'hospitalisation à domicile, l'article 6 instituant la possibilité d'une prise en charge forfaitaire de l'assurance maladie pour les soins palliatifs à domicile et l'article 7 sur la prise en compte des soins palliatifs par le Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI).

M. Lucien Neuwirth, rapporteur, a expliqué que, dans sa rédaction initiale, l'article 8 se justifiait par des raisons tenant à la procédure de dépôt de la proposition de loi, mais qu'il n'était plus nécessaire à ce stade de son examen. Il a proposé de lui substituer un article tenant compte des recommandations du Conseil économique et social, qui étend à l'ensemble des établissements de santé publics et privés la mission de dispenser des soins palliatifs.

Il a également proposé d'ajouter un article 9 élargissant les missions de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) à l'élaboration de normes de qualité et d'évaluation des pratiques dans le domaine des soins palliatifs.

Il a enfin proposé de prévoir un article 10 créant un congé d'accompagnement. Il a précisé qu'il n'avait pas souhaité, dans l'attente de l'adoption de l'avis du Conseil économique et social, inscrire ce congé d'accompagnement dans la proposition de loi initiale.

M. Lucien Neuwirth, rapporteur, a précisé que, dans la rédaction qu'il proposait à la commission, le congé d'accompagnement n'était pas rémunéré par l'entreprise : aussi, il serait souhaitable que le Gouvernement prît l'initiative d'instituer une prestation de sécurité sociale ou de solidarité nationale, conformément aux voeux du Conseil économique et social.

En conclusion, M. Lucien Neuwirth, rapporteur, s'est déclaré convaincu qu'avec ces ajouts, le texte de la proposition de loi serait complet, équilibré et de nature à donner un élan considérable au développement des soins palliatifs en France.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a confirmé l'adhésion des membres de la commission appartenant au groupe socialiste à l'initiative législative prise par M. Lucien Neuwirth pour favoriser le développement des soins palliatifs. Elle a toutefois souligné la nécessité, pour les membres de la majorité sénatoriale, d'adapter en conséquence leur discours sur les dépenses d'assurance maladie, estimant inévitable l'engagement de crédits supplémentaires.

M. Guy Fischer a confirmé l'adhésion des membres du groupe communiste républicain et citoyen à la démarche législative de M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Il a cependant rappelé que les membres de son groupe demeureraient très attentifs à la question du financement de la réforme.

M. Louis Souvet a émis un doute quant à l'ampleur des économies susceptibles d'être réalisées grâce au développement des soins palliatifs à l'hôpital.

M. Jean Delaneau, président, lui a répondu que l'avis rendu par le Conseil économique et social avait confirmé que le développement des soins palliatifs en Catalogne avait entraîné une diminution de moitié des interventions hospitalières réalisées en urgence.

M. Lucien Neuwirth, rapporteur, a rappelé que, lors des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, la commission avait proposé la création d'une taxe de santé publique sur les tabacs dont le rendement aurait été suffisant pour financer un réel développement des soins palliatifs.

La commission a ensuite procédé à l'examen des articles.

Après les interventions de MM. Jean Delaneau, président, Francis Giraud, Marcel Lesbros, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Bernard Cazeau et Jean-Louis Lorrain, la commission a adopté l'article premier dans la rédaction de la proposition de loi initiale.

Elle a procédé de même pour les articles 2 et 3.

A l'article 4, la commission a suivi la proposition du rapporteur d'éviter toute ambiguïté quant à l'automaticité de la prise en charge des dépenses de formation des bénévoles des associations agréées et d'élargir cette dernière aux dépenses de coordination de l'action des bénévoles.

Sur proposition de M. Guy Fischer, approuvée par M. Lucien Neuwirth, rapporteur, elle a prévu que les conditions d'agrément des associations seraient fixées par décret en Conseil d'Etat.

Elle a adopté l'article 4 ainsi rédigé.

Elle a adopté l'article 5 dans la rédaction de la proposition de loi.

A l'article 6, sur proposition de M. Guy Fischer, elle a élargi aux professionnels de santé salariés des centres de santé le champ d'application du forfait que cet article institue. Elle a adopté l'article 6 ainsi rédigé.

Elle a adopté l'article 7 dans la rédaction de la proposition de loi.

Elle a accepté la proposition du rapporteur de substituer à la rédaction initiale de l'article 8, justifiée par des raisons de procédure, une disposition qui élargit aux établissements de santé privés la mission de dispenser des soins palliatifs.

Sur proposition du rapporteur, elle a adopté un article 9 qui étend les missions de l'ANAES en prévoyant qu'elle sera chargée d'élaborer des normes de qualité en matière de soins palliatifs et d'accompagnement.

Sur proposition du rapporteur, elle a également adopté un article 10 instituant un congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie.

La commission, à l'unanimité, a adopté les conclusions résultant de ses travaux.

Travail - Développement de l'actionnariat salarié - Audition de M. Frédéric Gagey, directeur de l'ingénierie financière, des participations et de la communication financière du groupe Air France, accompagné de Mme Catherine Guillouard, conseillère du directeur général adjoint chargé des ressources humaines

La commission a poursuivi son cycle d'auditions sur le développement de l'actionnariat des salariés.

Elle a tout d'abord entendu M. Frédéric Gagey, directeur de l'ingénierie financière, des participations et de la communication financière du groupe Air France, accompagné de Mme Catherine Guillouard, conseillère du directeur général adjoint chargé des ressources humaines.

M. Frédéric Gagey a considéré que le développement de l'actionnariat salarié correspondait au souci de mieux faire participer les salariés à l'activité de l'entreprise. Il a indiqué que le développement de l'actionnariat salarié pouvait s'opérer selon cinq modalités : à travers les opérations d'ouverture du capital des entreprises publiques, à travers le développement de l'épargne salariale, à travers le mécanisme spécifique d'échange salaires-actions, à travers les opérations de rachat d'entreprises par les salariés (RES) et à travers le mécanisme d'incitation que représentent les stock-options.

M. Frédéric Gagey a observé que l'actionnariat salarié représentait jusqu'à 1997 moins de 2 % du capital de la société, contre 11,8 % à la fin mars 1998. Il a indiqué que cette forte progression était due à deux opérations réalisées en 1998 : l'échange salaire-actions pour les pilotes et l'offre réservée aux salariés dans le cadre de l'ouverture du capital de la société. Il a remarqué que ces deux dispositifs avaient obtenu un grand succès du fait de conditions attractives (abondement de la compagnie, distribution d'actions gratuites, rabais) mais aussi de l'adhésion des salariés au projet de l'entreprise. Il a souligné que 72 % des salariés d'Air France étaient devenus actionnaires lors de cette opération ainsi que 40 % des salariés des filiales, 27 % des anciens salariés et des retraités et 47 % des salariés étrangers. Il a déclaré que la demande d'actions avait été égale à 2,5 fois l'offre et qu'elle avait porté à 95 % sur des formules à détention moyenne et longue.

Evoquant l'échange salaires-actions des pilotes, M. Frédéric Gagey a indiqué que cette formule avait été employée par de nombreuses autres compagnies aériennes (notamment aux USA), qu'elle permettait de mieux faire participer les pilotes à la vie de l'entreprise à travers une prise de participation, et qu'elle était l'occasion de nouer des relations contractuelles pour une durée de trois ou quatre ans sur les grands sujets intéressant la direction et les pilotes (évolution des salaires, externalisation, règles d'utilisation).

M. Frédéric Gagey a observé que l'accord global pluriannuel signé à Air France prévoyait outre des dispositions relatives à l'externalisation de certaines activités, à la productivité et à la formation de jeunes pilotes, une " convergence " des coûts des personnels navigants techniques. Cette " convergence " repose sur une réduction des rémunérations et un gel des augmentations pour une durée de sept ans, l'accord prévoyant toutefois un point d'étape à mi-parcours.

Il a indiqué que l'échange salaires-actions permettrait des économies de l'ordre de 450 millions de francs par an à la compagnie en régime de croisière.

M. Frédéric Gagey a estimé que l'actionnariat salarié permettait le développement d'un diagnostic commun sur la situation économique de la compagnie, une meilleure compréhension de la part des salariés des intérêts des actionnaires et de la part des actionnaires des demandes des salariés.

M. Jean Chérioux a souhaité savoir si les actionnaires salariés bénéficiaient de modalités d'information spécifiques.

M. Alain Gournac s'est interrogé sur les dispositions adoptés pour favoriser l'actionnariat des anciens salariés.

M. Guy Fischer a souhaité savoir si la lente adhésion à l'actionnariat salarié était due aux conflits sociaux dans la compagnie ou à un changement progressif des mentalités des salariés.

M. André Jourdain a souhaité connaître la répartition des actionnaires salariés en fonction de leur niveau de revenus.

M. Marcel Lesbros a demandé si les actions étaient nominatives ou au porteur.

En réponse aux questions des intervenants, M. Frédéric Gagey a observé qu'il était difficile de développer des relations spécifiques avec des actionnaires salariés du fait de l'obligation d'un traitement égalitaire des différents actionnaires. Il a considéré par ailleurs que les informations données aux salariés actionnaires ne devaient pas se substituer au dialogue social et que les clubs d'actionnaires ne pouvaient remplacer le comité d'entreprise. Il a estimé que la lente adhésion au programme de développement de l'actionnariat des salariés n'avait pas de lien avec les conflits à Air France.

Mme Catherine Guillouard a déclaré que les titres proposés étaient nominatifs, sans exclure la possibilité, pour l'avenir, d'une transformation en titres au porteur dans le cadre du développement des comptes titres individuels. Elle a observé que la compagnie avait réalisé un guide spécial adapté à destination des retraités et des anciens salariés et qu'une antenne spécifique de souscription avait été ouverte à Paris. Elle a souligné également que la compagnie avait coopéré avec les principales associations d'anciens salariés.

Elle a remarqué que les taux de souscription avaient été très importants dans les catégories de salariés ouvriers et que 80 % des agents de maîtrise au sol étaient devenus actionnaires. Elle a estimé qu'il pourrait être intéressant de favoriser la sortie des fonds investis dans la participation en actions.

Travail - Développement de l'actionnariat salarié - Audition de M. Jean-François Colin, directeur général adjoint, directeur des ressources humaines de Vivendi, accompagné de M. Pierre Laederich, chargé de mission, responsable du secteur épargne

Puis la commission a entendu M. Jean-François Colin, directeur général adjoint, directeur des ressources humaines de Vivendi, accompagné de M. Pierre Laederich, chargé de mission, responsable du secteur épargne.

Dans son propos liminaire, M. Jean-François Colin a rappelé que le groupe Vivendi comprenait actuellement 230.000 salariés (150.000 en France et 80.000 hors de France) et que son chiffre d'affaires était supérieur à 200 milliards de francs (100 milliards dans l'environnement, 40 milliards dans la communication et 60 milliards dans la construction et l'immobilier).

Il a déclaré que l'intéressement des salariés au fruit du développement de l'entreprise revêtait une grande importance pour la compagnie et les salariés. Il a observé notamment que les salariés avaient constaté que les montants des sommes qu'ils percevaient du fait de l'intéressement étaient devenues supérieures aux hausses de salaire annuelles.

Il a remarqué que le groupe Vivendi souhaitait que ces salariés deviennent son premier actionnaire et que, dans cette perspective, il avait mis en place depuis trois ans un plan d'épargne du groupe (PEG) concernant toutes les filiales et permettant aux salariés d'acquérir des actions avec une décote de 20 %. Il a estimé que cette politique poursuivait trois objectifs principaux : une meilleure association des salariés aux performances de l'entreprise, un renforcement de la cohésion du groupe et le développement d'un actionnariat stable. Il a déclaré que 45.000 salariés étaient devenus actionnaires pour un montant de 2,5 % du capital. Il a remarqué que l'année 1998 avait été excellente, 1,1 milliard de francs ayant été collecté au titre de l'épargne salariale. Il a toutefois estimé qu'il était possible de progresser en renforçant l'attractivité des mécanismes d'actionnariat salarié pour les salariés modestes et moyens disposant de capacités d'épargne limitées et réticents face au risque d'un investissement boursier.

Dans cette perspective, M. Jean-François Colin a présenté le " plan d'épargne groupe à souscription exceptionnelle " (PEGASE) mis en place par le groupe Vivendi pour atteindre l'épargne moyenne et modeste, considérant que 75.000 salariés du groupe pourraient ainsi devenir actionnaires. Ce plan comprend trois niveaux de souscription (1.000, 2.000, 4.000 francs), payables de manière échelonnée et sans frais pendant 20 mois. Cet apport est aidé par l'entreprise à travers un abondement uniforme de 500 francs. Cette somme initiale (apport du salarié et abondement de l'entreprise) sert à financer une souscription d'actions pour dix fois son montant au moyen d'un prêt bancaire sans intérêt. L'opération proposée aux salariés est sans risque pour le salarié puisque l'entreprise garantit une rémunération de 5 % par an de la mise initiale en cas de baisse ou de stabilité du titre. Si l'action a dépassé cette rémunération, la plus-value est partagée entre le salarié actionnaire (60 %) et la banque conseil qui assure la prise en charge du risque (40 %). Dans ces conditions, M. Jean-François Colin a souligné que le salarié actionnaire avait, sans risque, la perspective d'un gain égal à six fois la hausse de l'action sur son apport personnel abondé.

M. Jean-François Colin a précisé que ce montage financier un peu complexe avait été mis en place avec une banque à la suite d'un appel d'offres, l'objectif ayant été de préserver au maximum le gain pour les salariés compte tenu de la prise en charge totale du risque par la banque. Il a observé que cette opération ne concernait que les salariés français compte tenu de la difficulté à concilier les différents systèmes fiscaux nationaux. Il a remarqué que les retraités pouvaient souscrire à cette opération s'ils avaient conservé un plan d'épargne d'entreprise.

M. Jean-François Colin a considéré que le développement de programmes tels que Pégase permettait de faire le lien entre épargne salariale et épargne retraite. Dans ce cadre, il a regretté que les difficultés techniques subsistent dans les modalités de succession des plans d'épargne quinquennaux ; les sommes pouvant être placées étant plafonnées à 25 % de la rémunération du salarié, le transfert d'un plan à l'autre réduit d'autant les possibilités de versements supplémentaires.

Il a considéré par ailleurs qu'il pourrait être utile de ménager la possibilité, pour l'entreprise, d'octroyer des primes de fidélité aux salariés qui ont conservé pendant plus de cinq ans leurs titres, afin de favoriser la constitution d'une épargne retraite.

M. Jean-François Colin a regretté enfin que l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) ait été tentée d'aligner un régime de la décote de 20 % accordée lors de la souscription sur celui de l'abondement par l'entreprise, entraînant ainsi le franchissement du seuil légal et la taxation de ces sommes dès lors considérées comme complément de rémunération.

Afin d'associer les salariés étrangers à cette politique d'actionnariat, M. Jean-François Colin a souhaité la mise en place d'une directive européenne sur l'épargne salariale harmonisant les régimes des différents états-membres.

Dans le cadre de l'aménagement du temps de travail, il a suggéré que le compte épargne temps puisse faire l'objet d'une " monétisation " pouvant donner lieu à une transformation en épargne salariale au bout de quatre ans. Il a déclaré que l'intéressement pouvait devoir être utilisé comme un mécanisme de compensation de la baisse du temps de travail.

M. Jean Chérioux a souhaité savoir quelles étaient les modalités d'information des actionnaires salariés et qui, du salarié ou du fonds commun de placement (FCP), conservait les droits de vote attachés aux actions.

M. Alain Gournac a estimé que la " monétisation " du compte épargne temps constituait une perspective particulièrement intéressante.

M. André Jourdain s'est interrogé sur les modalités d'application de ces dispositions aux petites et moyennes entreprises (PME).

En réponse aux intervenants, M. Jean-François Colin a déclaré que, outre les modalités normales d'information des actionnaires (lettres aux actionnaires, visite de sites...), de nombreuses réunions avaient été organisées dans le cadre du programme Pégase et que les salariés étaient représentés au sein de conseils de surveillance des FCP. Il a observé que les droits de vote étaient exercés par les FCP.

Travail - Développement de l'actionnariat salarié - Audition de M. Alexandre de Juniac, secrétaire général du groupe Thomson-CSF

Enfin, la commission a entendu M. Alexandre de Juniac, secrétaire général du groupe Thomson-CSF.

M. Alexandre de Juniac
a d'abord présenté les grandes lignes de la politique d'association des salariés au capital social de Thomson-CSF lors de la privatisation de l'entreprise en 1998. Il a précisé que cette politique avait concerné 57.700 ayants droit, dont 21 % de salariés d'autres pays européens et 14 % d'anciens salariés du groupe. Décrivant les différents mécanismes proposés aux salariés, il a insisté sur les conditions favorables des trois types d'offres (rabais de 20 % sur le prix des actions, abondement de l'entreprise, attribution d'actions gratuites, possibilité de paiement différé), précisant que les avantages étaient d'autant plus importants que la durée d'immobilisation était longue.

Dressant le bilan de cette opération, il a estimé que la souscription avait été très réussie, 41.000 ayants droit ayant acquis des actions. Il a indiqué que 75 % des salariés français, 59 % des salariés étrangers et 30 % des anciens salariés du groupe étaient devenus actionnaires. Observant que la demande de titres avait été supérieure à 2 fois l'offre, il a affirmé que la demande moyenne de souscription avait été de 25.000 francs pour un revenu mensuel moyen estimé à 19.000 francs, l'attribution moyenne ayant atteint 11.000 francs par souscripteur.

M. Alexandre de Juniac a souligné que Thomson-CSF avait cherché à associer fortement les salariés actionnaires aux organes dirigeants de la société. Il a ainsi indiqué qu'avait été créée, dès 1995, l'Association pour les actionnaires de Thomson (APAT) et que, depuis 1998, les statuts de Thomson-CSF avaient été modifiés pour prévoir qu'un administrateur salarié actionnaire siégeait au conseil d'administration.

Il a notamment insisté sur la légitimité de cet administrateur, celui-ci étant élu directement par les 35.000 électeurs salariés, cette procédure élective ayant permis de présenter six candidats, dont quatre étrangers, devant l'assemblée générale sans recommandation du conseil d'administration. Il a précisé que cet administrateur avait les mêmes attributions que tout administrateur et qu'il était de surcroît membre avec voix délibérative du comité stratégique du conseil d'administration qui regroupe les actionnaires industriels les plus importants.

M. Alexandre de Juniac a ensuite abordé la politique générale de participation du groupe Thomson-CSF. Il a indiqué que celle-ci représentait environ 100 millions de francs par an au titre de l'intéressement et de la participation depuis 1995 pour l'ensemble du groupe. Il a précisé que cette politique était très décentralisée, les accords étant négociés au niveau des filiales. Il a estimé que ce caractère décentralisé se justifiait par la nécessité pour les compléments de rémunération d'être évalués au plus près de l'activité des salariés. Il a rappelé qu'à l'inverse la politique d'actionnariat salarié était plus centralisée, celle-ci visant les titres de la holding cotée.

Présentant les différences entre les politiques d'actionnariat salarié et celles de participation aux résultats, il a souligné que l'actionnariat salarié relevait plus d'une logique financière que d'une logique de complément de rémunération ou d'épargne, estimant important que la contrainte des marchés financiers soit prise en compte dans la culture des salariés de groupe au même titre que la contrainte technique ou commerciale. Il a indiqué que l'actionnariat salarié représentait actuellement un montant de 427 millions de francs, soit la moitié des montants totaux issus de la participation et de l'intéressement qui s'élevaient à 860 millions de francs.

Il a insisté sur les fonctions de l'actionnariat salarié qu'il a estimé être doubles : la fidélisation des salariés de l'entreprise et la stabilisation de son actionnariat dans un contexte de volatilité croissante.

Il a précisé que les salariés actionnaires détiendraient 2,26 % du capital social du groupe (après attribution des actions gratuites) et que l'objectif pourrait être, à terme, d'atteindre 5 à 10 %.

S'agissant des possibilités d'amélioration du système, il a, au préalable, estimé qu'il était nécessaire de développer l'actionnariat salarié, celui-ci apportant une réponse à la pression croissante des marchés financiers. Mais il a également estimé que ce développement se heurtait actuellement à plusieurs difficultés.

Il a d'abord souligné l'existence de disparités entre le dispositif de privatisation, très généreux, et le dispositif de droit commun, indiquant que les nouvelles tranches d'ouverture du capital aux salariés seraient plus difficiles à placer et qu'il serait nécessaire de faire appel au système bancaire pour bénéficier d'un effet de levier. A ce propos, il a précisé que le coût total de l'opération d'association des salariés au capital social lors de la privatisation avait atteint 400 millions de francs, dont 320 à la charge de l'Etat.

Il a ensuite insisté sur la nécessité de simplifier le droit existant, estimant le système actuel peu lisible car issu d'un empilement de différentes lois.

Il a enfin présenté des voies d'élargissement de la politique de l'actionnariat salarié. Il a indiqué que la première voie passait par une meilleure ouverture internationale, insistant sur les difficultés rencontrées pour associer les salariés étrangers à ces opérations. Il a observé que les législations des différents pays européens divergeaient sensiblement, notamment en matière fiscale et sociale. Il a précisé que le groupe Thomson-CSF avait été obligé de compenser ces disparités par un abondement spécifique, notamment en faveur de certains salariés étrangers. Il a également remarqué que les salariés étrangers n'avaient pas accès aux plans d'épargne d'entreprise.

Il a considéré que l'actionnariat salarié pouvait être également conçu comme une forme d'extension du système des stock-options à l'ensemble des salariés et qu'il pouvait aussi servir au financement de retraites sur-complémentaires, observant que les jeunes recrutés par le groupe étaient particulièrement préoccupés par cette question.

M. Jean Chérioux s'est interrogé sur le caractère direct ou indirect de l'actionnariat salarié chez Thomson-CSF, sur la base juridique du processus de désignation de l'administrateur, sur les modalités d'information des salariés actionnaires et sur le rôle des associations les représentant.

En réponse, M. Alexandre de Juniac a précisé que cet actionnariat pouvait être direct ou indirect. Il a indiqué qu'aucune réglementation n'encadrait les modalités de désignation de cet administrateur, ces modalités ayant été fixées par le règlement intérieur du groupe après consultation des divers partenaires concernés mais les statuts de la société n'avaient pas été modifiés pour intégrer cette procédure.

S'agissant de l'information des salariés actionnaires, il a rappelé qu'elle était avant tout assurée par la direction de l'actionnariat salarié au sein du secrétariat général. Il a également indiqué que l'APAT existait toujours et que c'était un de ses membres qui était administrateur représentant les salariés actionnaires. Il a en revanche observé qu'à l'étranger, de simples " clubs d'actionnaires " étaient mis en place sans structure juridique particulière. Il a constaté que ces associations pouvaient parfois être perçues comme des relais s'ajoutant aux organisations syndicales.

M. Alain Gournac s'est interrogé sur la spécificité du groupe Thomson-CSF qui avait, à la différence d'autres groupes, étendu sa politique d'actionnariat aux salariés travaillant à l'étranger. Il s'est également interrogé sur les modalités d'association des anciens salariés à cette politique.

M. Alexandre de Juniac a déclaré que le groupe avait jugé nécessaire d'associer les salariés étrangers à sa politique d'actionnariat pour renforcer la culture de groupe, nécessaire contrepoids à une stratégie " multi-domestique ". S'agissant des anciens salariés, il a indiqué qu'ils relevaient du même régime que les salariés à une double différence : l'absence de droit de vote pour la désignation de l'administrateur et l'accès à seulement deux des trois formules de souscription au capital social proposées.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard s'est interrogée sur la position des organisations syndicales face au développement de l'actionnariat salarié.

M. Alexandre de Juniac a considéré que cette démarche n'était pas contestée par les organisations syndicales, celles-ci étant sans doute conscientes qu'il ne serait pas souhaitable de s'opposer à une démarche financièrement très favorable aux salariés. Il a également indiqué que les syndicats avaient présenté des candidats à l'élection de l'administrateur représentant les salariés actionnaires.

M. André Jourdain s'est interrogé sur les causes de la plus faible souscription d'actions par les ouvriers.

M. Alexandre de Juniac a rappelé que le taux de souscription des ouvriers avait atteint 45 %, résultat qu'il jugeait très correct. Il a estimé que la plus faible souscription de cette catégorie de personnel pouvait s'expliquer par des raisons financières même s'il lui semblait que des raisons culturelles pourraient également être avancées.