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Jeudi 4 septembre 2003

- Présidence de M. Nicolas About, président -

Mission d'information commune sur les conséquences de la canicule - Echange de vues

La commission a procédé à un échange de vues sur la création d'une éventuelle mission d'information commune à plusieurs commissions portant sur les conséquences de la canicule et sur la définition du sujet d'étude qu'il conviendrait de lui assigner.

M. Nicolas About, président, a indiqué au préalable que l'objet de cette mission d'information devait, à ses yeux, dépasser le drame de la canicule et envisager, plus largement, les différentes situations de crise ayant des conséquences sur la santé publique afin de déterminer les mesures de toute nature à mettre en oeuvre pour y faire face.

Il a ensuite fait part de plusieurs réflexions. Il a observé que, jamais encore, un débat de santé publique ne s'était déroulé au Parlement français, alors même que la France avait déjà traversé de nombreuses situations de crise, notamment celles du sang contaminé ou du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Il a d'ailleurs souligné que d'autre événements, inondations ou accidents, avaient également requis des interventions urgentes. Il a estimé, dans le cas particulier de la canicule, que la notion de responsabilité était diffuse et multiple. Il a jugé que la recherche de ces mêmes responsabilités ne pouvait pas s'arrêter à l'Etat, comme une partie de la presse l'avait présenté.

Rappelant que la moitié des décès était survenue à domicile et l'autre moitié dans des établissements, il a souligné, en effet, que la réponse la plus appropriée à toute situation de crise résidait dans l'intervention des acteurs de proximité, mieux à même de juger de l'opportunité des mesures à prendre. Il s'est félicité, à ce titre, de la réaction de nombreux responsables qui, dans les hôpitaux, et sans attendre d'instructions particulières, ont pris l'initiative de déclencher le plan d'urgence ou de faire arroser les murs de leur établissement par les pompiers pour en diminuer la température intérieure.

Il a suggéré que, si cette mission d'information devait être constituée, il serait judicieux qu'elle ait pour objet non seulement d'établir un bilan et de vérifier les données publiées sur la situation de canicule, mais aussi d'effectuer des comparaisons avec celles des pays voisins, afin d'apprécier quels enseignements il était possible de tirer de ce drame et de prévoir les mesures de prévention et de gestion utiles.

M. Alain Gournac a tout d'abord précisé qu'il partageait entièrement l'état d'esprit du président About. Il a souligné qu'il avait visité un grand nombre d'hôpitaux et de structures d'hébergement et rencontré cent soixante-sept personnes âgées. Il a rappelé qu'il avait souhaité réagir très rapidement et que, dans cet esprit, il avait demandé une réunion de la commission des affaires sociales pour en débattre.

Il a félicité le personnel des structures de santé pour leur dévouement et la qualité de leur travail, d'autant que ces efforts avaient été fournis dans une période rendue difficile à la fois par les vacances et les trente-cinq heures.

Il a jugé que la future mission d'information devait non seulement englober une approche des problèmes sanitaires, mais aller au-delà en élaborant un état des lieux de la vieillesse, de la dépendance et de la solitude dans notre pays. Il a par ailleurs estimé que cette crise mettait en évidence la nécessité d'une meilleure coordination des actions en direction des personnes âgées. Il a souligné que les conséquences de la canicule ne se limitaient pas au nombre élevé de victimes déjà connues mais comprenaient également toutes les personnes qui en sont restées affaiblies.

M. Francis Giraud a indiqué avoir ressenti avec force ces événements et s'être efforcé de réfléchir aux solutions possibles. Il a indiqué que cette réflexion comprenait en fait une double dimension : le corps de l'homme à tous les âges de la vie, d'une part, et l'approche sanitaire, d'autre part. Il s'est interrogé, à la lumière de ces drames humains, sur la notion même de société de progrès en France aujourd'hui.

Il a précisé que son analyse se limitait aux seuls aspects sanitaires. Revenant sur le problème de la recherche des responsabilités, il a insisté sur la nécessité de dépasser les analyses simplistes. Il a estimé que l'ensemble des intervenants, tant au niveau national que local, avait une part de responsabilité. Il a jugé que cette notion tendait au demeurant à se diluer et que les élus locaux, comme les membres du corps médical, savaient bien la difficulté d'en examiner les contours précis. Il a rappelé qu'un médecin pouvait voir sa responsabilité engagée, y compris dans le domaine pénal, et ce même en son absence de son lieu de travail.

Il a considéré que la mission d'information, dont la commission des affaires sociales avait à débattre la création, pouvait s'orienter dans deux directions possibles : ou bien reproduire la même démarche qu'à l'Assemblée nationale ou bien encore, rechercher une contribution originale et performante.

M. Nicolas About, président, a rappelé qu'il avait été saisi à la fois par MM. Alain Gournac et Francis Giraud à titre personnel, par les membres du groupe communiste républicain et citoyen et par M. Josselin de Rohan, pour le groupe union pour un mouvement populaire, des suites à donner sur le plan parlementaire à la crise de la canicule. Il a insisté sur son choix de ne pas réunir immédiatement la commission des affaires sociales afin de ne pas ajouter la précipitation au drame. Il a jugé que la mission d'information que le Sénat envisageait de constituer ne devait reproduire ni la commission d'enquête, ni la mission d'information de quinze jours dont l'Assemblée nationale a déjà décidé la création, afin d'apporter des éléments complémentaires à la réflexion.

M. Jean Chérioux a exprimé son accord avec l'analyse générale développée par M. Nicolas About, président. Il a souhaité que l'on puisse travailler dans la sérénité et écarté d'emblée la logique de recherche de bouc-émissaires. En effet, il convient aussi, dans la compréhension des événements de l'été, de tenir compte de l'augmentation de la durée de vie de la population française. Ainsi, il a rapporté l'exemple d'une maison de retraite du XVe arrondissement de Paris dans laquelle sont survenus, en août, plusieurs décès. Il a observé qu'entre la canicule de 1976 et celle de 2003, l'âge moyen des pensionnaires avait augmenté de plus de quinze ans et que la vague de chaleur avait ainsi touché des personnes déjà très affaiblies.

Il a également fait valoir que la disparition du gardiennage dans les grandes villes avait contribué à dissoudre les liens sociaux et empêché l'intervention facile des secours. Il a par ailleurs estimé que les médias avaient injustement stigmatisé les personnes ayant placé leurs proches dans des établissements hospitaliers pendant les vacances, alors même qu'elles s'en occupent tout le reste de l'année. Il a souligné que le repos des personnes qui aident leurs familles était indispensable et que les personnes âgées se trouvant dans les hôpitaux au moment de la vague de chaleur s'étaient finalement trouvées dans une situation plus favorable que les personnes isolées.

Il a partagé le souci d'élargir le débat évoqué par M. Nicolas About, président.

M. Nicolas About, président, est intervenu pour rappeler que les victimes de la canicule comprenaient non seulement les personnes âgées mais aussi, plus généralement, les personnes fragiles, et notamment les handicapés restés chez eux parfois sans assistance.

Mme Michelle Demessine a fait observer que le groupe communiste républicain et citoyen avait réagi dès le 20 août en demandant une réunion de la commission des affaires sociales. Elle a rappelé que son groupe avait également pris l'initiative, dès le 27 août, de demander la constitution d'une commission d'enquête et la convocation du Parlement en session extraordinaire.

Elle a déploré cette crise sans précédent en constatant qu'elle avait laissé les Français frappés d'effroi. Elle s'est demandé comment cette catastrophe avait pu se dérouler, tout en soulignant que nos concitoyens attendaient, sur ce point, des réponses. Elle a déclaré que cette crise était révélatrice de la situation des personnes en situation de fragilité et du risque inhérent à une « politique sanitaire à flux tendus ».

Elle s'est associée à l'hommage rendu aux personnels médicaux et para-médicaux, tout en précisant qu'il convenait également d'écouter leur propre expérience et analyse des faits. A ce titre, elle a relevé que les services des urgences avaient déjà, avant les vacances, attiré l'attention sur la situation précaire de leurs conditions de travail.

S'agissant de la prestation spécifique dépendance (PSD) et de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), elle a indiqué que le groupe communiste républicain et citoyen réclamait depuis longtemps des moyens financiers plus importants. Elle a également déploré les discours tendant à renvoyer une part de la responsabilité du bilan de la canicule aux familles. Elle a jugé que la plupart de celles-ci faisait face avec coeur à des situations humaines difficiles. Elle a considéré qu'il convenait ainsi de prendre en compte l'évolution de la société dans les domaines du développement du travail féminin, de la fragilisation des structures familiales et de la multiplication des cas de personnes très âgées ayant elles-mêmes des enfants âgés qui ne peuvent donc réellement leur prêter assistance.

Elle a salué la récente déclaration de Mme Marie-George Buffet proposant la création d'un véritable service public pour les personnes âgées et les personnes handicapées. Elle a également rappelé la position du groupe communiste républicain et citoyen qui réclame, depuis 1995, la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale.

Revenant sur les propositions de M. Nicolas About, président, relatives aux contours de la mission d'information, elle a déclaré que le groupe communiste républicain et citoyen demandait, d'une façon générale, la constitution d'une commission d'enquête dans l'une ou l'autre des deux assemblées. Elle a dès lors précisé que si l'Assemblée nationale créait effectivement une commission d'enquête, elle approuverait la mise en place d'une mission d'information au Sénat. Elle a ajouté que l'objet de cette dernière devrait comprendre, à tout le moins, le bilan, tant national que départemental, de la canicule et procéder à un large inventaire des problèmes de santé publique rencontrés.

M. Guy Fischer a déclaré avoir ressenti le chiffre de 11.435 victimes comme une véritable catastrophe sanitaire et ce, alors même que la France se félicite, depuis des décennies, de disposer d'un système de protection sociale développé. Il a estimé que ce bilan était révélateur d'une réalité que l'on ne voulait pas voir. Mais il s'est élevé contre l'utilisation abusive de l'argument, caricatural à ses yeux, tiré de l'application de la règle des trente-cinq heures évoqué précédemment par M. Alain Gournac.

M. Alain Gournac a alors contesté l'interprétation faite par M. Guy Fischer de ses propos, affirmant n'avoir pas voulu imputer à cette réglementation l'intégralité de la responsabilité du bilan de la canicule.

M. Guy Fischer a jugé choquante la culpabilisation des familles et a rendu hommage au rôle essentiel joué par l'hôpital et, en particulier, par les centres hospitaliers universitaires, lors de cette crise sanitaire.

Il a fait part de son inquiétude quant à la suppression, au cours des dernières années, de nombreuses structures hospitalières de proximité. Il s'est inquiété de la perspective de voir se créer de véritables déserts médicaux et para-médicaux, en particulier près des zones urbaines sensibles. Il a souligné la nécessité de connaître le nombre de places destinées aux personnes âgées dépendantes qui ont été créées au cours des dix dernières années dans notre pays.

Il a demandé à M. Nicolas About, président, d'apporter des précisions quant aux modalités de création et de fonctionnement de la mission d'information envisagée par le Sénat. Il s'est interrogé en particulier sur le caractère public des travaux futurs en soulignant qu'il fallait faire preuve de prudence dans ce débat déjà très médiatisé.

M. Gilbert Chabroux a déclaré partager la préoccupation de M. Jean Chérioux sur la nécessité de préserver la sérénité du débat mais s'est dit contraint à réagir aux déclarations tendant à imputer une part de responsabilité aux trente-cinq heures. Il a également estimé que certains intervenants de la majorité avaient fait preuve d'irritation ou d'un certain embarras. Il a observé que le débat public avait conduit à mettre en cause la direction générale de la santé, ainsi que l'institut de veille sanitaire. Il a considéré qu'il convenait de bien analyser les causes et les effets de la crise de cet été afin qu'une telle situation ne se reproduise pas.

M. Nicolas About, président, a estimé que les trente-cinq heures n'expliquaient certes pas tout et qu'il n'était pas davantage possible d'imputer, à la réforme de l'APA entrée en vigueur le 1er avril 2003, la responsabilité du décès de personnes déjà très affaiblies. Il a fait mention des propos plus mesurés de M. Bernard Kouchner et a ajouté que, si la canicule s'était produite il y a trois ans, elle aurait certainement produit des effets identiques.

Il a affirmé qu'il convenait d'éviter l'erreur consistant à rentrer dans des polémiques stériles. Il a insisté sur la nécessité, pour la mission d'information du Sénat, d'aller au-delà des analyses que produira l'Assemblée nationale dans le cadre de ses réflexions sur le bilan de la canicule.

M. Gilbert Chabroux a souligné que si les responsabilités étaient larges, il convenait d'analyser cette crise et d'en tirer des conséquences. Il a estimé qu'il fallait refuser le procédé de la culpabilisation en agissant, à l'inverse, de façon positive.

Il s'est interrogé sur les contours et sur l'objet de la mission d'information envisagée par le Sénat et a demandé à M. Nicolas About, président, des précisions sur l'intervention des commissions permanentes dans le processus de sa constitution.

Il a exprimé son accord pour que des questions transversales comme, par exemple, le rôle de la pollution, soient abordées lors des travaux de la future mission.

M. Roland Muzeau a estimé que le champ de l'étude qui sera menée devrait aussi prendre en compte le problème du manque de moyens financiers et ce, dans un contexte où le Gouvernement s'engage dans des baisses d'impôts qui ne peuvent que se traduire par des diminutions d'emplois publics.

Il a également souhaité voir analysés la pénurie de personnel médical et para-médical qualifié et le désengagement de l'enseignement public dans la formation du personnel soignant.

M. Michel Esneu a estimé que l'esprit de responsabilité posait un problème dans notre société, dans la mesure où se développaient des phénomènes comme l'individualisme et l'anonymat. Il s'est interrogé sur les effets de la pollution et s'est fait l'interprète du personnel hospitalier qui, avant même la canicule, dénonçait l'impact des trente-cinq heures sur la désorganisation du fonctionnement des structures de soins.

Il a souligné que, face à ce drame, les parlementaires n'avaient pas le droit de polémiquer et que le souci de transparence devait prévaloir.

Mme Françoise Henneron a relevé que le monde rural avait mieux su faire face à la canicule que les zones urbaines et ce, grâce à son réseau très dense de solidarités de proximité.

M. Nicolas About, président, a souligné qu'il ne fallait pas accuser les familles et rappelé que la responsabilité du bilan de la canicule était partagée entre l'ensemble des acteurs du drame.

S'agissant des modalités de constitution de la mission d'information, il a précisé que la durée envisagée pour ses travaux était de quatre à six mois afin de laisser le temps nécessaire à sa réflexion et que son effectif pourrait être de trente-cinq sénateurs environ, afin d'assurer une répartition équilibrée des groupes politiques et des commissions permanentes qui souhaiteraient s'associer à ses travaux. Sur l'effectif global, il conviendrait de prévoir une représentation de la commission des affaires sociales d'environ dix sénateurs, afin de tenir compte de son implication particulière dans le sujet d'étude proposé.

Il a ainsi proposé d'inclure, dans ce sujet, les réponses à apporter aux crises de toute nature, ayant des conséquences sur la santé publique, comme ont pu l'être par le passé, les tempêtes de 1999, les inondations du Gard, l'effondrement du barrage de Malpasset ou l'épidémie de SRAS.

M. Roland Muzeau a estimé que cette approche devrait permettre d'apprécier le niveau des moyens disponibles pour faire face à ce type de crises.

A MM. Alain Gournac, Gilbert Chabroux et Jean Chérioux, qui souhaitaient que les personnes âgées soient mentionnées expressément dans l'intitulé proposé, M. Nicolas About, président, a répondu que les travaux de la mission d'information traiteront nécessairement et, en priorité, de la situation des personnes âgées et, plus généralement, de l'ensemble des personnes fragiles.

Mme Michelle Demessine et M. Gilbert Chabroux ont souhaité qu'il soit expressément souligné que les travaux de la mission doivent déboucher sur des propositions concrètes permettant de faire face aux différentes situations de crise.

En réponse à la demande de plusieurs commissaires, M. Nicolas About, président, a suggéré que les propositions que cette mission sera amenée à formuler soient établies à partir d'une analyse détaillée des données et enseignements relatifs aux circonstances climatiques de l'été 2003.

En définitive, la commission a adopté, à l'unanimité, le principe de la constitution d'une mission d'information intercommission et retenu le libellé suivant comme objet de ses travaux : « Mission d'information, commune à plusieurs commissions, ayant pour objet de proposer, à partir de l'analyse des données et des enseignements relatifs aux circonstances climatiques de l'été 2003, les mesures à mettre en oeuvre pour prévenir et faire face aux situations de crise exigeant des réponses spécifiques en matière de santé publique ».