OBSERVATIONS SUR LE FONDS DE RÉSERVE DES RETRAITES Á L'ATTENTION DU CONSEIL D'ORIENTATION DES RETRAITES


Alain VASSELLE, sénateur de l'Oise, rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale pour l'Assurance Vieillesse, membre du Conseil d'orientation des retraites


SUR L'ABSENCE DE TRANSPARENCE QUI CARACTÉRISE LE DÉBAT SUR LE FONDS DE RÉSERVE ET L'AVENIR DES RETRAITES

Les notes remises par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité d'une part, et par le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie d'autre part font apparaître que le Parlement, les partenaires sociaux et le Conseil d'orientation des retraites sont tenus dans l'ignorance d'un certain nombre de débats et de choix.

La volonté exprimée par le Gouvernement d'un " diagnostic partagé " et d'une concertation approfondie sur l'avenir des retraites apparaît ainsi biaisée, alors même qu'elle justifie à ses yeux l'immobilisme actuel.

1. Des hypothèses manipulées

Selon le Premier ministre, le fonds de réserve des retraites a pour objectif d'accumuler 1.000 milliards de francs à l'horizon 2020, cette somme correspondant à la moitié des déficits des régimes de retraites entre 2020 et 2040. Cette prévision repose notamment sur l'hypothèse d'un taux de chômage ramené progressivement à 4,5 %.

Il ressort des notes communiquées par le ministère de l'Economie et des Finances que le Gouvernement a jugé opportun de privilégier des hypothèses macro-économiques optimistes " pour montrer aux partenaires sociaux que le retour de la croissance ne suffira pas à lui seul à dissiper les problèmes financiers futurs du système de retraite ".

Mais, partant d'un souci de " pédagogie " passablement ambigu à l'égard des partenaires sociaux, le Gouvernement en est venu rapidement à vouloir convaincre l'opinion publique qu'avec le fonds de réserve, la moitié du chemin était fait pour garantir l'avenir des retraites.

Or, comme le constate l'administration, " un scénario macro-économique aussi favorable aboutit (...) à afficher des montants importants pour certaines ressources affectées et donc à augmenter sans doute de manière exagérée le montant des excédents qui seraient effectivement disponibles pour le fonds de réserve ".

Un tel scénario non seulement gonfle les recettes disponibles pour le fonds de réserve, mais minore également les dépenses auxquelles les régimes de retraites auront à faire face.

Compte tenu du rôle prédominant, voire exclusif, que joue le fonds de réserve dans la politique actuelle des retraites, il importe que le Conseil d'orientation ne se limite pas à une projection des recettes et dépenses de ce fonds fondée sur des hypothèses " pédagogiques " mais demande l'établissement de scenarii reposant sur des bases réalistes.

2. La question du niveau de vie des retraités

Par lettre en date du 27 mai 1997 adressée au Président de l'Union française des retraités, le Premier ministre s'était engagé sur " l'alignement de l'évolution des pensions de retraites sur celle des salaires ".

Or toutes les projections relatives au fonds de réserve reposent sur une stricte indexation des pensions sur les prix, c'est-à-dire sur une dégradation du niveau de vie relatif des retraités.

Pour autant, comme en témoigne la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, le Gouvernement ne se prive pas d'accorder des " coups de pouce " aux retraites sans pour autant corriger les projections du fonds de réserve (cf. point 7 ci-dessous).

En ce qui concerne le minimum vieillesse, les hypothèses retenues par les administrations varient d'une indexation sur les prix à une indexation sur les prix plus 1 %. Une telle évaluation, qui gonfle les excédents du fonds de solidarité vieillesse, induit une dégradation relative du pouvoir d'achat de ce minimum social.

Il convient que la question de la revalorisation des pensions et du minimum vieillesse de même que ses conséquences chiffrées sur les perspectives du fonds de réserve soient rapidement clarifiées au sein du Conseil d'orientation des retraites où siègent les représentants des partenaires sociaux.

3. Les régimes exclus du fonds de réserve des retraites

Il ressort de la déclaration du Premier ministre du 21 mars 2000 que les sommes du fonds de réserve sont pour l'instant destinées au régime général et aux régimes alignés. Toutefois, le Premier ministre a ouvert la possibilité que les régimes publics et spéciaux en deviennent bénéficiaires sous la condition que ceux-ci acceptent des réformes.

Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, pour sa part, ne souhaitait pas initialement l'inclusion des régimes spéciaux et de fonctionnaires dans les régimes bénéficiaires du fonds de réserve.

A l'inverse, le ministère de l'Economie et des Finances met en garde contre les risques " d'inconstitutionnalité " qu'il y aurait à réserver aux seuls régime général et régimes alignés l'accès aux sommes disponibles dans le fonds de réserve, dès lors que les ressources alimentant ce dernier sont très largement universelles (excédents du FSV, produits de la taxe de 2 % sur les revenus du patrimoine ou des licences UMTS, etc.).

En outre, si l'éventuelle inclusion des régimes aujourd'hui exclus est subordonnée à leur réforme, condition n'ayant pourtant manifestement pas de base juridique, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité indique que " si les régimes publics devaient devenir bénéficiaires du fonds avec un certain décalage temporel, il serait nécessaire que les sommes précédemment encaissées par le fonds restent cantonnées au bénéfice du régime général et des régimes alignés ". Le temps joue donc contre ces régimes publics.

Le Conseil d'orientation des retraites doit se saisir de cette question qui affecte la crédibilité du fonds de réserve, l'équité de son fonctionnement et sa cohérence juridique, mais qui représente également un enjeu financier considérable puisque la somme de 1.000 milliards de francs ne saurait à l'évidence suffire pour l'ensemble des régimes de retraites.

4. L'ostracisme à l'égard des partenaires sociaux

La constitution d'un établissement public est la seule voie permettant de garantir la transparence juridique et l'efficacité financière du fonds de réserve.

Réclamé par le Parlement à plusieurs reprises, annoncé par le Gouvernement mais jamais confirmé, le projet d'un statut pour le fonds de réserve est pourtant toujours au point mort.

Il ressort des notes communiquées par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité que l'une des raisons de ce retard semble être le souhait de " limiter au maximum l'implication des partenaires sociaux (...) sur les grandes orientations du fonds ".

Le Conseil d'orientation des retraites semble être l'instance la mieux à même de débattre rapidement de la question du fonctionnement du fonds de réserve et du rôle que doivent, dans le respect de la transparence souhaitée par le Premier ministre, y jouer les partenaires sociaux.

SUR LES PERSPECTIVES FINANCIÈRES DU FONDS DE RÉSERVE DES RETRAITES

Il ressort en second lieu des documents communiqués à la fois par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité et par le ministère de l'Economie et des Finances que le plan de financement annoncé par le Premier ministre le 21 mars 2000, et confirmé le 8 mars 2001 par Mme Elisabeth Guigou (réponse au questionnaire du rapporteur de la commission des Affaires sociales) ne présente plus aucune cohérence économique et financière.

5. Un important retard sur le plan du financement initial

Le plan de financement initial prévoyait une alimentation annuelle du fonds de réserve de l'ordre de 30 à 35 milliards de francs par an.

En effet, examinant les hypothèses avancées par le Premier ministre lors de sa conférence de presse du 21 mars 2001, le Conseil d'orientation des retraites, le 27 septembre 2000, a constaté que " à raison d'un abondement annuel de 30 à 35 milliards de francs (...) les réserves cumulées atteindront 1.000 milliards de francs en 2020 ".

Or, le FSV, qui assure la gestion du fonds de réserve, constate que ce dernier disposera fin 2001, en l'état actuel des choses, de 38,7 milliards de francs soit un total inférieur de 30 milliards aux montants nécessaires et de près de 20 milliards de francs inférieurs aux prévisions des recettes de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.

Il semble dès lors urgent que le Conseil d'orientation puisse faire des propositions afin que le retard pris sur le plan de financement puisse être comblé.

6. Le détournement systématique des excédents du FSV

A plusieurs reprises, le ministère de l'Economie et des Finances a alerté le Gouvernement sur la dégradation des ressources du fonds de réserve résultant des ponctions sur les excédents du FSV qui l'alimentent.

a) En faveur du financement des 35 heures

Dès janvier 2000 (note du 14 janvier 2000), le ministère de l'Economie et des Finances constatait qu'à partir de 2002, le FSV serait privé au profit du fonds de financement des 35 heures de la totalité des droits sur les alcools -soit 12 milliards par an- et qu'" à l'horizon 2020, le FSV (aura) donc contribué pour 244 milliards de francs au financement de la RTT (montant cumulé hors intérêts) ".

Or, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 procède à une série de réaffectations supplémentaires des ressources du FSV au profit des 35 heures. En sus des droits sur les alcools, le FSV cède, pour un total de 7 milliards de francs en 2001, une partie de la CSG qui lui est affectée.

Un rapide calcul permet de convenir qu'en sus des 244 milliards de francs prélevés au titre des droits sur les alcools, la reprise sur les ressources du FSV d'une part de produit de CSG s'élève sur vingt ans à environ 167 milliards de francs.

Au total, c'est bien un montant d'environ 411 milliards de francs, hors intérêts financiers, qui est prélevé sur les recettes du FSV au profit du financement des 35 heures.

Le manque à gagner s'accroît des intérêts financiers que le fonds de réserve aurait dû percevoir pour ces sommes. On peut estimer, pour une somme de 411 milliards, dans l'hypothèse retenue par le Premier ministre d'un rendement de 4 % par an, ces intérêts à 166 milliards de francs cumulés.

Au total, les prélèvements sur les ressources du FSV en faveur des 35 heures se traduisent, pour le fonds de réserve, par une perte de recettes de 577 milliards de francs intérêts compris.

b) Le financement de la dépendance

En février 2001, le ministère de l'Economie et des Finances met en garde contre les risques de captation des excédents du FSV lié au financement de la nouvelle allocation personnalisée d'autonomie (APA).

Selon le Gouvernement, la part de CSG prélevée sur le FSV pour financer la dépendance s'élèvera à 5 milliards de francs en 2002. Sur la période 2002-2020, le montant de ce nouveau prélèvement sur le FSV au titre de l'APA s'élèvera à 115 milliards de francs hors intérêts financiers.

Là encore, la perte de recettes que cette ponction engendre est accrue par les produits financiers que le fonds de réserve ne pourra pas percevoir, soit environ 43 milliards de francs. La perte de recettes s'établit donc au total à 158 milliards de francs.

c) Le remboursement de la dette de l'Etat à l'égard des régimes AGIRC ARRCO

Le Gouvernement a mis à la charge du même FSV sa dette à l'égard des régimes AGIRC/ARRCO pour 14 milliards de francs (20 milliards de francs intérêts financiers compris sous les mêmes hypothèses).

Ainsi, (cf. tableau joint), le total des ponctions sur les excédents du FSV, hors intérêts financiers, peut être estimé en 2020 à plus de 540 milliards de francs, auquel il faut rajouter un manque à gagner correspondant à des produits financiers de l'ordre de 215 milliards de francs que le fonds de réserve aurait dû percevoir, soit 755 milliards de francs au total.

Il est donc urgent que le Conseil d'orientation des retraites se penche sur le montant des excédents du FSV qui sera in fine affecté au fonds de réserve des retraites. Dans le plan de financement présenté par le Premier ministre, l'alimentation du fonds de réserve repose en effet très largement sur ces excédents et les produits financiers que ceux-ci seraient susceptibles de générer d'ici 2020.

7. La mobilisation des excédents de la branche famille

Afin de reconstituer partiellement les excédents du FSV, le Gouvernement a procédé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 à une redéfinition de ses missions.

Du fait du transfert progressif sur sept ans à la branche famille de la charge des majorations de pensions pour enfants, le FSV est soulagé d'une dépense que la CNAF estime elle-même à plus de 20 milliards de francs par an à terme.

Un rapide calcul permet d'évaluer entre 2001 et 2020 à un montant de 375 milliards de francs la somme ainsi économisée par le FSV mais qui sera déboursée par la CNAF.

Ainsi, cette somme, qui ne compense qu'une partie des ponctions constatées par le ministère des Finances, reconstitue donc partiellement les excédents du FSV. Toutefois, ils ne sauraient être assimilés aux excédents du FSV, tels qu'ils étaient entendus par le Premier ministre le 21 mars 2000, mais représentent en réalité la confiscation des excédents de la CNAF.

En conséquence, il serait urgent que le Conseil d'orientation des retraites se penche sur les conséquences du changement de périmètre des missions du FSV sur le niveau des excédents mobilisables.

8. L'incertitude des licences UMTS

Le ministère de l'Economie et des Finances constate que les produits attendus au titre des licences UMTS devaient atteindre initialement 160 milliards de francs, mais que " chaque licence non attribuée dégrade le financement du fonds de réserve de 55 milliards de francs " (soit 110 milliards pour deux licences non attribuées).

Il est vrai que le produit de l'attribution des licences UMTS n'était pas compris dans le plan de financement initial du fonds de réserve. Mais la constatation faite par le ministère des Finances (note du 2 février 2001) qu'" il existe d'autres incertitudes certainement plus importantes (que la non-attribution des licences UMTS) sur les sommes qui pourront être in fine accumulées au sein du FRR : captation des excédents de la CNAVTS et du FSV à d'autres fins (FOREC, dépendance...) " n'est guère rassurante.

Les péripéties dues aux licences UMTS, qui ne doivent pas être sous-estimées par le Conseil d'orientation des retraites, ne sauraient néanmoins occulter les difficultés bien supérieures engendrées par les ponctions opérées par le Gouvernement sur le FSV afin de financer les 35 heures et la dépendance.

9. L'effondrement des ressources attendues des excédents de la CNAVTS

En février 2001, le ministère de l'Economie et des Finances estime que " les excédents de la CNAVTS versés au fonds de réserve seraient moindres sur toute la période 2001-2004 d'environ 20 milliards de francs en cumulé. Cela est dû à des revalorisations récentes des pensions supérieures à celles qui avaient été retenues dans les projections sous-jacentes aux annonces du Premier ministre".

Or le plan de financement annoncé par le Premier ministre le 21 mars 2000 prévoyait qu'un montant de 100 milliards de francs, hors intérêts financiers, proviendrait des excédents de cette caisse.

Cette évaluation n'a pas été corrigée par Mme Elisabeth Guigou dans sa réponse le 8 mars 2001 au questionnaire du rapporteur de la commission des Affaires sociales.

Ce constat fait par le ministère de l'Economie et des Finances renforce encore l'urgence du débat sur les modalités de revalorisation des pensions et minimum vieillesse qui portent tant de conséquences à la fois pour les ressources du fonds de réserve, l'équilibre des régimes de retraites et le niveau de vie des retraités.

De fait, il importe que le Conseil d'orientation des retraites procède à une nouvelle évaluation du montant des excédents de la CNAVTS qui pourraient être in fine affectés au fonds de réserve.

10. La résorption pour le moins problématique du déficit des régimes de retraites d'ici à 2020

Si la CNAVTS devrait en théorie présenter des excédents jusqu'en 2007, excédents venant alimenter le fonds de réserve, elle affichera des déficits croissants à compter de cette date.

L'ensemble des administrations alerte de manière récurrente le Gouvernement sur la question centrale et urgente du financement de ces déficits qui ont été estimés en décembre 2000 par le FSV à 920 milliards de francs cumulés en 2020.

Cette somme est équivalente au montant de 1.000 milliards qu'afficherait à cette date le fonds de réserve des retraites.

De fait, les différents ministères évoquent plusieurs ressources possibles afin de remédier au déficit de la CNAVTS d'ici 2020, date du début des décaissements du fonds de réserve. Or, ces pistes ne semblent guère praticables ou sont déjà périmées.

Ainsi, les excédents de la branche famille ont déjà été affectés par le Gouvernement pour rétablir partiellement l'équilibre du FSV (cf. point 7). Cette ressource ne peut donc être mobilisée deux fois.

La prolongation envisagée de la perception de la CRDS ne saurait à l'évidence abonder le fonds de réserve avant l'extinction de la dette sociale prise en charge par la CADES, c'est-à-dire 2014.

Enfin, si le ministère de l'Emploi et de la Solidarité souhaite que soit examinée l'affectation des produits d'éventuelles privatisations d'entreprises publiques, le ministère de l'Economie et des finances fait valoir que ces produits sont déjà mobilisés par le besoin de recapitalisation du secteur public qui exigera " environ 20 milliards de francs par an au cours des prochaines années. Il observe au demeurant que la réalisation de ces actifs publics "peut-être entravée par des questions statutaires ou soumise à des aléas politiques ".

En conséquence, il est nécessaire que le Conseil d'orientation des retraites débatte des moyens susceptibles de combler les déficits des régimes de retraite avant même l'entrée en action du fonds de réserve en 2020.

Récapitulatif des prélèvements sur le FSV, dont les excédents

Nature des ponctions

Décomposition

Total

Financement des 35 heures

droits alcools

CSG

244

167

411

Allocation Personnalisée à l'Autonomie (APA)

115

115

Affectation de la dette AGIRC-ARRCO

14

14

Total des ponctions hors intérêts financiers

540

540

Manque à gagner causé par l'absence de perception d'intérêts financiers

Intérêts Financiers

35 heures

166

215

APA

43

AGIRC ARRCO

6

Total des prélèvements et du manque à gagner (intérêts financiers)

Total

755

755

Prélèvement et manque à gagner par type de ponctions

35 heures

APA

AGIRC ARRCO

Prélèvement

411

Prélèvement

115

Prélèvement

14

Intérêts
financiers

166

Intérêt
financiers

43

Intérêt
financiers

6

Total

577

Total

158

Total

20