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Mercredi 23 septembre 2009

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Institutions européennes

Audition de M. Pierre Lellouche,
Secrétaire d'État chargé des affaires européennes

M. Hubert Haenel. - Monsieur le Ministre, je suis heureux de vous accueillir pour votre première rencontre avec la commission des affaires européennes du Sénat. Chargé des affaires européennes au sein du Gouvernement, vous êtes l'interlocuteur naturel de notre commission et nous aurons, dans les mois à venir, de multiples occasions de travailler ensemble.

Vous arrivez à ce poste à un moment où les nuages semblent en voie de s'estomper dans le paysage européen. La désignation de José Manuel Barroso pour un second mandat de président de la Commission européenne a été approuvée par le Parlement européen. Et elle a été approuvée par une majorité, supérieure à la majorité absolue de membres du Parlement européen, qui rend cette désignation incontestable. Par ailleurs, le Parlement allemand a adopté les lois d'accompagnement du traité de Lisbonne, ouvrant la voie à la ratification de ce traité par l'Allemagne. Enfin, les sondages portant sur le référendum du 2 octobre permettent - avec toute la prudence nécessaire - d'être raisonnablement optimiste.

C'est dans ce contexte que s'inscriront tous les travaux à mener et toutes les décisions à prendre dans les prochains mois. Car les sujets sont nombreux et de toute première importance : préparation de la mise en oeuvre du traité de Lisbonne, avec notamment la conception du service européen d'action extérieure ; réforme du système financier avec la mise en place d'une régulation efficace ; préparation de la conférence de Copenhague ; sans oublier bien sûr les décisions que les États membres seront amenés à prendre à propos de l'élargissement.

Nous sommes impatients, Monsieur le Ministre, de vous entendre sur tous ces sujets.

M. Pierre Lellouche. - C'est un honneur d'être ici pour la première fois en tant que membre du Gouvernement. J'ai effectivement la volonté de travailler en symbiose étroite avec le Parlement. C'est ainsi que j'invite chaque parlementaire qui le souhaite à m'accompagner lors de mes déplacements dans les vingt-six autres États membres ou dans les pays voisins.

Je suis convaincu que l'Europe est aujourd'hui à un tournant de son histoire. La chute du mur de Berlin a été suivie d'une phase de transition qui s'achève et la question qui se pose désormais pour l'Union européenne est de savoir si elle va être spectatrice des évolutions du monde ou si elle va pouvoir s'affirmer comme un pôle de puissance. Pour reprendre les mots du Président de la République, « l'Europe veut-elle faire ou subir le XXIe siècle? ».

De manière significative, alors qu'il recevait en juillet une délégation de hauts dignitaires chinois pour la première rencontre stratégique sino-américaine, le président des États-Unis a affirmé que le XXIe siècle serait sino-américain. On peut alors s'interroger : allons-nous nous résigner à passer d'un condominium américano-soviétique à un G2 entre la Chine et les États-Unis ? Pour ma part, je ne le crois pas. C'est pourquoi l'Europe doit réagir. Mais je mesure l'ampleur du défi qui l'attend. Il est vrai que l'on peut être sceptique sur ses capacités de réaction au regard de son passé récent. Occupée à « courir » derrière ses institutions depuis 20 ans, elle n'a pas été capable de jouer un rôle majeur sur la scène internationale. A titre d'exemple, je rappellerai que le budget communautaire de la défense des vingt-sept États membres de l'Union européenne ne représente que 40 % de celui des États-Unis.

L'Europe a également perdu le soutien des opinions publiques : je n'oublie pas qu'aux dernières élections européennes, 60 % des Français et des Allemands n'ont pas participé au vote. Mais la crise nous oblige à regarder la réalité en face et des raisons d'espérer existent. La première nécessité pour l'Europe, c'est une volonté politique car quand l'Europe veut, elle peut. Et cette volonté politique, elle existe aujourd'hui, bien illustrée par le déroulement de la présidence française de l'Union européenne.

Je veux souligner aussi que, sans les impulsions données par le couple franco-allemand, il n'y aurait pas de réunion du G20 pour penser la réforme du système financier mondial. Cette « martingale gagnante » peut se décomposer de la manière suivante : une initiative du Président de la République, assortie de propositions concrètes, qui porte le sujet des rémunérations dans les banques au coeur de l'actualité. Puis, un soutien à cette proposition apporté par la chancelière allemande et le Premier ministre britannique, concrétisé par une lettre commune adressée le 3 septembre au président du conseil européen. Enfin, une déclaration adoptée par les vingt-sept à l'issue du Conseil européen du 17 septembre qui a repris, presque mot pour mot, le texte de la lettre commune et a défini une position européenne. Cette position vise à élargir à l'ensemble des pays du G20 des règles de transparence et de responsabilité, en particulier en encadrant le versement des bonus dans le secteur bancaire. Nous souhaitons en effet interdire les bonus garantis, étaler le versement des bonus dans le temps et mettre en place un système de bonus-malus. C'est une question de morale, mais aussi de stabilité du système financier.

Mais l'Europe a également un rôle pionnier dans la réforme en cours du Fonds monétaire international. Nous devons aussi faire appliquer au niveau mondial les normes prudentielles de Bâle II, déjà adoptées par l'Union européenne. L'objectif est de déterminer des ratios entre les fonds propres et l'exposition aux risques, non seulement pour l'institution mère, mais également pour ses filiales. En complément, une réforme des normes comptables est nécessaire.

Enfin, nous allons poursuivre la lutte contre les paradis fiscaux, qui semblait impossible lorsque Nicolas Sarkozy l'a engagée il y a moins d'un an. Le secret bancaire est désormais remis en cause dans de nombreux pays désireux d'être effacés des listes de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

L'Europe doit également mettre un terme à ses débats institutionnels internes pour pouvoir se préoccuper des sujets qui intéressent les citoyens, à savoir leur sécurité, leur bien-être ou leur environnement, et leur redonner envie d'Europe. Depuis vingt ans, nous n'avons cessé de chercher la bonne boîte à outils institutionnelle capable de faire fonctionner l'Europe élargie, ce qui explique la désaffection des opinions publiques. Il y a eu 50 % d'abstentionnistes de plus lors des dernières élections européennes que lors de la première élection du Parlement européen, il y a 30 ans.

Mais il y a des signes positifs : le président Barroso a été réélu par le Parlement européen avec une majorité de 382 voix, soit plus que les majorités requises par les traités de Nice ou de Lisbonne, ce qui lui donne une légitimité incontestée et va permettre l'installation prochaine de la nouvelle Commission.

Je souhaite par ailleurs l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Ce traité va donner une légitimité démocratique renforcée, non seulement au Parlement européen, mais aussi aux parlements nationaux, dans le cadre d'une coopération nouvelle avec le pouvoir exécutif. L'Allemagne vient d'adopter les lois devant accompagner la ratification du traité et nous attendons maintenant le résultat du référendum irlandais du 2 octobre, dont l'issue est incertaine. Au delà, les présidents polonais et tchèque devront signer les lois de ratification du traité.

Toutefois, une chose est certaine : l'Europe fonctionnera avec le traité de Nice ou le traité de Lisbonne, mais la question institutionnelle sera close à la fin de l'année.

Tourner la page institutionnelle, c'est également mettre fin au débat sur les frontières de l'Europe. L'Europe a accueilli les anciens pays du bloc de l'est en 2004 et 2007 et il est temps maintenant d'achever les derniers élargissements consécutifs à la fin de la guerre froide dans les Balkans. L'Islande, qui vient de déposer son dossier de candidature à l'adhésion, pourrait aussi prétendre à cette dernière, à condition qu'elle assainisse son système financier. La France souhaite avoir une approche exigeante de la politique d'élargissement, d'autant plus que notre Constitution prévoit désormais que tout nouveau traité d'adhésion doit en principe être soumis à référendum.

Quant à notre position sur la Turquie, elle n'a pas varié. Comme l'a précisé le Président de la République, nous voulons une Turquie avec l'Europe mais pas dans l'Europe.

Nous souhaitons conforter notre relation d'amitié bilatérale avec ce grand partenaire stratégique et nous sommes favorables à des liens plus forts entre la Turquie et l'Europe. C'est pourquoi nous acceptons de discuter avec ce pays sur les trente chapitres compatibles avec une issue alternative à l'adhésion.

La vision du devenir géopolitique de l'Union européenne que nous défendons est la suivante : une Europe à vingt-sept ou trente États dont l'euro serait le coeur ; des relations stratégiques établies avec la Russie et la Turquie ; une politique active de co-développement en faveur de l'Afrique, qui comptera 2 milliards d'habitants en 2030-2035 ; et une alliance redéfinie avec les États-Unis. L'Union pour la Méditerranée et le partenariat oriental sont des projets issus de cette vision.

Car la volonté politique de l'Europe, pour être crédible, doit s'incarner dans des projets lui permettant de peser dans les affaires du XXIe siècle. Dans le domaine économique et financier, j''ai déjà évoqué le sommet de Pittsburgh. Mais je dois aussi mentionner la mise en oeuvre des décisions du Conseil européen de juin relatives à la supervision financière. Aujourd'hui, la Commission présente de nouvelles propositions législatives appelées « paquet supervision financière », qui doit instituer un conseil européen des risques systémiques et transformer en autorités dotées de pouvoirs contraignants les trois comités rassemblant à l'heure actuelle les superviseurs nationaux intervenant dans le domaine financier. De là, l'Europe doit adopter une stratégie de sortie de crise. En France, cette stratégie va être illustrée par le grand emprunt, qui va donner lieu à un débat public pour définir les priorités de l'avenir au cours de l'automne. Il faut également maîtriser nos finances publiques. Par ailleurs, il nous faut définir une véritable politique industrielle européenne soutenant les petites et moyennes entreprises et garantissant le développement des « technologies vertes » et la mise en place d'une économie « décarbonée ».

Notre deuxième domaine d'action est le climat. L'enjeu de la conférence de Copenhague qui aura lieu en décembre est tout simplement de savoir si nous allons pouvoir sauver la planète. Il s'agit d'obtenir une réduction d'au moins 50 % des émissions mondiales de CO2 en 2050 en prenant 1990 comme année de référence. Cela impose des changements profonds de comportements et l'Europe, qui ne représente que 14 % des émissions mondiales de CO2, s'est engagée unilatéralement à réduire ses émissions de 20 %, et de 30 % si les autres pays fournissaient un effort similaire. Il reste moins de trois mois avant la conférence. Les négociations sont très difficiles mais nous souhaitons convaincre nos partenaires avec un système « à deux mains ». D'une part, nous voulons décourager la concurrence déloyale. Un courrier commun du Président de la République et de la chancelière allemande au secrétaire général des Nations unies a présenté un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Europe à l'encontre des pays qui refuseraient de prendre tout engagement chiffré pour réduire leurs émissions de CO2. Mais, d'autre part, l'Europe souhaite faire preuve de générosité en prévoyant 100 milliards d'euros pour permettre aux pays émergents d'adapter leurs économies au défi climatique.

L'énergie constitue notre troisième sujet de préoccupation. Je me réjouis d'abord de la « communautarisation » de la politique énergétique si le traité de Lisbonne est adopté car il ne faut pas oublier que l'Europe, à travers la Communauté européenne du charbon et de l'acier et Euratom, s'est constituée autour de cette politique. Il existe aujourd'hui de grandes différences au sein de l'Union européenne au regard de l'utilisation de l'énergie nucléaire et des énergies renouvelables. De même, le degré de dépendance des États membres par rapport au gaz russe varie de 0 dans la péninsule ibérique à 50% pour la Pologne. Il faut donc développer une solidarité énergétique entre les États membres afin d'éviter le retour de crises telles que celle que nous avons connue avec la Russie. La Commission européenne a émis récemment des propositions intéressantes dans ce dossier.

Le quatrième dossier majeur est la sécurité européenne. En la matière, depuis les accords de Saint-Malo en 1998, peu de choses ont bougé. Je veux insister sur la création d'un service européen pour l'action extérieure par le traité de Lisbonne, qui constitue pour moi la principale avancée du traité et dont la « force de frappe » constituera le premier service diplomatique du monde.

Depuis son retour dans le commandement intégré de l'organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), la France n'est plus soupçonnée par ses partenaires de vouloir affaiblir cette dernière lorsqu'elle réclame le renforcement de l'Europe de la défense. De plus, avec l'État-major basé à Bruxelles, les moyens institutionnels existent. Mais l'Europe, qui représente 500 millions d'habitants et le premier PNB de la planète, a aussi besoin de se doter de capacités militaires supplémentaires. Et sur ce point, si l'on fait exception de l'opération maritime de l'Union européenne dans le golfe d'Aden, intitulée Atalante, qui est un succès, la situation est préoccupante. Il n'y a jamais eu aussi peu de programmes de coopération industrielle entre Européens. Je pense donc que la rédaction d'un livre blanc européen de la défense est nécessaire pour définir les projets communs et faciliter la mise en place d'un marché européen des produits de défense.

Enfin, le grand défi de l'Europe est le contrôle de l'immigration. Les pays méditerranéens de l'Union européenne sont particulièrement exposés à des flux difficiles à contrôler. Ainsi, l'an dernier, la Grèce a arrêté 150 000 clandestins. La Turquie est aujourd'hui la principale voie de transit de ces clandestins.

Il faut donc travailler à harmoniser les législations nationales, en particulier dans le domaine du droit d'asile, et améliorer la surveillance maritime ainsi que la coopération avec les États de départ des migrants en renforçant les moyens de l'agence FRONTEX. Un plan d'action garantissant ce renforcement a été présenté par mon collègue Éric Besson au conseil JAI du 21 septembre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour mener à bien ces projets, la méthode que je veux suivre repose sur le levier franco-allemand, qui est plus nécessaire que jamais. D'autres partenariats sont importants, mais seule la coopération franco-allemande, telle que celle qui a prévalu sur la réponse à la crise financière, peut entraîner l'Europe pour que cette dernière puisse faire entendre sa voix sur la scène mondiale.

Après 1945, la réconciliation franco-allemande a contribué à la reconstruction d'une « demi-Europe ». Avec la chute du mur de Berlin, la France, comme l'Allemagne, ont cherché leur place dans le monde de l'après guerre froide. Maintenant, il faut passer de la réconciliation à l'unité entre nos deux pays. Cette dernière doit se traduire par des évènements symboliques forts. Hier, je me suis rendu au vingt-cinquième anniversaire de la poignée de mains entre le Président Mitterrand et le chancelier Kohl à Verdun. Mais elle suppose aussi des projets communs. C'est pourquoi, dès ma nomination, j'ai lancé un exercice interministériel sur un « nouvel agenda franco-allemand pour l'Europe », afin que l'on puisse présenter dès le mois d'octobre des propositions concrètes au nouveau gouvernement allemand.

Par ailleurs, je souhaite être transparent sur les affaires européennes. Transparent sur les contentieux actuels de notre pays avec l'Union européenne. Je n'ai pas oublié que nos producteurs de fruits et légumes vont devoir rembourser les aides d'État qu'ils avaient obtenues, et je souhaite pouvoir régler en amont des conflits similaires.

J'ai donc demandé à mes services de me faire un point sur les autres contentieux en cours et je ne manquerai pas de vous informer prochainement sur ce point.

Je veux aussi être transparent sur le coût de l'Europe pour notre pays. Le Premier ministre a eu le courage d'annoncer publiquement que nous sommes désormais le premier contributeur net ex aequo avec un solde de 5 milliards d'euros. Simultanément, avec 1,5 milliard d'euros non consommés, la France est « championne d'Europe » de la sous-consommation des fonds structurels. J'ai donc chargé le président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, Pierre Lequiller, et une députée européenne, Sophie Briard-Auconie, de déterminer les causes de cette sous-consommation. Une mission d'inspection a par ailleurs été instituée à ma demande par mon collègue Michel Mercier.

A la suite d'une intervention du président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, je souhaite par ailleurs élaborer une stratégie nationale pour aider nos régions frontalières à régler les problèmes rencontrés du fait de leur situation spécifique.

Je veux constituer avec le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et la délégation française au Parlement européen « une véritable équipe de France », qui devra veiller à ce que l'Europe soit un « multiplicateur d'influences » pour notre pays. A cet égard, je compte favoriser la mise en place d'un forum regroupant les 270 députés européens francophones du Parlement européen.

Je ferai tout pour que Strasbourg soit confortée en tant que capitale européenne, étant également attentif aux travaux du Conseil de l'Europe.

Vous êtes par ailleurs conviés aux "matinées de l'Europe", ces petits-déjeuners de travail que j'organise deux fois par mois sur les grandes questions européennes au Quai d'Orsay.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je considère que la coopération avec les assemblées parlementaires est très utile, plus encore depuis la réforme constitutionnelle qui a accru leur rôle européen et en particulier avec le Sénat, cette chambre qui dispose du temps nécessaire à la réflexion.

M. Jean Bizet. - Merci pour vos propos très complets, Monsieur le ministre. Et merci également d'avoir attiré l'attention du Sénat sur le problème de la sous-consommation des fonds structurels par les collectivités territoriales.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Monsieur le ministre, vous avez insisté sur la nécessité de conforter le couple franco-allemand. Cependant, avec la crise financière, n'assiste-t-on pas à un « décrochage » économique entre l'Allemagne qui devrait, malgré ses difficultés, respecter les critères de Maastricht et la France, qui ne devrait pas respecter ces critères ?

Je voudrais aussi vous interroger sur les relations entre l'Union européenne et la Russie, sur lesquelles j'avais rédigé un rapport il ya deux ans. J'avais alors constaté les pesanteurs de l'Europe vis-à-vis de la Russie. Ne serait-il pas temps pour l'Union européenne de changer de stratégie ?

Je souhaiterais par ailleurs que la France puisse présenter un candidat au poste de haut-représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères.

Enfin, je me suis rendu aux États-Unis cet été dans le cadre de l'Union de l'Europe occidentale et j'ai pu rencontrer des responsables d'EADS qui ont attiré mon attention sur le fait que, depuis la victoire de leur firme pour l'obtention du marché américain des avions ravitailleurs, pour un montant de 220 milliards d'euros, les autorités américaines étaient en train d'adapter leur législation afin de favoriser l'entreprise nationale Boeing. Face à cette situation, ne faudrait-il pas faire respecter les règles de l'organisation mondiale du commerce (OMC) ?

Mme Fabienne Keller. - Merci, Monsieur le Ministre, pour votre engagement stratégique en faveur de l'Europe et pour votre vision claire de la place de la France en Europe. Merci également pour votre défense de Strasbourg en tant que capitale européenne. A cet égard, je voudrais souligner que la Cour européenne des droits de l'homme, institution d'inspiration française, est très proche des préoccupations de nos citoyens en raison de ses décisions en matière de libertés. Ne serait-il pas souhaitable que, à la veille d'un changement de secrétaire général au Conseil de l'Europe, la France réaffirme sa présence au sein d'une institution qui paraît aujourd'hui dominée par la Russie.

Enfin, ne serait-il pas possible d'associer parlements nationaux et Parlement européen dans la réflexion sur le dispositif de la taxe carbone?

M. Aymeri de Montesquiou. - Monsieur le ministre, je constate que vos propos sur la solidarité énergétique européenne sont contredits par l'attitude de l'Allemagne, qui participe au projet de gazoduc Northstream qui évite volontairement le territoire polonais.

Je constate par ailleurs que, dans la crise énergétique entre la Russie et l'Europe, la Russie a respecté ses engagements, à la différence de l'Ukraine, où l'Union européenne a sans doute encouragé avec maladresse la révolution orange. N'avez-vous pas peur qu'un jour la Russie se tourne vers l'Extrême-Orient pour écouler sa production ?

L'évolution de la politique américaine, qui favorise désormais l'émergence d'un dialogue avec la Chine, ne me surprend pas. Pour que l'Union européenne soit écoutée par les États-Unis, il faudrait qu'elle fasse preuve d'indépendance, ce qui n'est pas le cas. Le Royaume-Uni peut être considéré comme le « cheval de Troie » des États-Unis en Europe et il faudrait maintenant qu'il choisisse s'il est ancré en Europe ou non. Vous avez indiqué que la "boîte à outils" institutionnelle de l'Europe était close mais il faudrait ajouter une disposition dans les traités permettant à l'Union européenne d'exclure un État qui ne souhaite plus avancer avec les autres.

M. Pierre Lellouche. - Avec un déficit égal à 4,5 % du PIB et une dette voisine de 80 % du PIB, la situation économique allemande est aujourd'hui difficile. Il n'y a par ailleurs aucune tension franco-allemande sur l'idée française d'un grand emprunt, les Allemands estimant que des investissements stratégiques sont aujourd'hui nécessaires. Il y a enfin un accord entre nos deux pays sur la maîtrise des finances publiques.

Quant aux relations entre l'Union européenne et la Russie en matière énergétique, elles ont pu être marquées par des incompréhensions, l'Union européenne défendant une position plus libérale et les Russes souhaitant des contrats à long terme. Il est urgent de fixer ces relations dans un cadre politique multilatéral. Mais, je ne crois pas que l'on puisse dire que l'Ukraine est seule responsable de la crise énergétique récente. Quant à l'alternative asiatique pour l'écoulement de la production énergétique russe, elle me semble peu plausible car elle nécessiterait des aménagements très coûteux, l'ensemble du réseau énergétique russe étant aujourd'hui tourné vers l'Europe.

La situation actuelle du parti conservateur au Royaume-Uni laisse effectivement supposer que, en cas de victoire de ce parti lors des prochaines élections générales, le Royaume uni pourrait entrer dans une période de repli.

Le choix de présenter un candidat français pour le poste de haut-représentant relève du Président de la République. Mais nous sommes, en accord avec Bernard Kouchner, favorables à ce que la France soutienne à ce poste un candidat, Français ou non, porteur d'une grande ambition.

Le contentieux des avions ravitailleurs de l'armée américaine s'inscrit dans le long conflit commercial opposant Boeing à Airbus. Le rapport de l'OMC relatif à ce dossier relève des problèmes dans les procédures suivies par les deux concurrents. Mais les États-Unis ne doivent pas déclencher des mesures de rétorsion car l'Union européenne pourrait faire de même pour les marchés d'armements de l'organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).

Je me battrai pour que Strasbourg conserve le siège du Parlement européen. Je serai d'ailleurs présent le 1er octobre au Conseil de l'Europe pour l'élection du nouveau secrétaire général et, après des années de négligence, je peux vous confirmer que la France sera vigilante pour faire entendre sa voix au sein de cette organisation.

Les pays qui se rallient au projet d'une taxe carbone « européenne » sont de plus en plus nombreux, mais je rappelle que l'institution d'une telle taxe nécessite l'accord unanime des États membres. L'idée d'une réflexion commune aux parlements nationaux et au Parlement européen sur ce thème est intéressante.

M. Simon Sutour. - Je suis heureux de vous entendre regretter la sous-consommation des fonds structurels par la France car j'avais moi-même souligné ce phénomène dans un rapport il y a un an. Cette sous-consommation peut s'expliquer, d'une part, par l'absence de culture de recherche des subventions européennes au sein des administrations locales françaises, et, d'autre part, par la complexité des procédures de demandes d'aides et de liquidation des subventions. Mais il importe d'y remédier rapidement.

M. Denis Badré. - En tant que rapporteur spécial des crédits pour l'Union européenne à la commission des finances, je veux souligner que si la France est désormais contributrice nette dans l'Union européenne, le montant de cette participation est faible au regard des déficits déjà accumulés par notre pays, puisque notre contribution européenne représente 1/8e du déficit. En résumé, le budget de l'Europe est trop faible et nos déficits sont trop lourds.

Le grand emprunt aurait eu du sens s'il avait été européen, mais le budget de l'Europe ne le permet pas. La structure de ce budget, dans lequel aujourd'hui les autorités ordonnant les dépenses ne sont pas les mêmes que celles qui perçoivent les recettes, doit être revue.

Par ailleurs, je fais partie de la délégation française à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et je vous confirme que c'est une assemblée un peu méprisée. Les Russes et les Turcs y sont en revanche très actifs. Je crois qu'il faut une nouvelle ambition pour la France dans cette institution qui peut être un lieu efficace de diplomatie interparlementaire, par exemple sur le Caucase ou le partenariat oriental...

Enfin, je veux rappeler qu'avant la chute du Mur de Berlin, il y a eu la voie balte en août 1989 et que nous venons de célébrer l'anniversaire de cette manifestation au cours de laquelle des millions de personnes se donnant la main sur plus de 600 kilomètres réclamèrent l'indépendance des pays baltes.

M. Richard Yung. - Monsieur le ministre, je me retrouve dans vos propos d'une Europe ambitieuse mais ce projet n'a de sens qu'avec une Europe politique puissante. Ainsi, avez-vous prévu des initiatives fortes pour renforcer le couple franco-allemand?

Vous avez évoqué les partenariats stratégiques avec d'autres États membres. Il y a le Royaume Uni, mais ce dernier est effectivement dans une situation préoccupante à l'heure actuelle, le parti conservateur étant devenu très eurosceptique. Quels sont les autres États qui pourraient être des partenaires privilégiés de la France?

Je suis très hésitant sur le tarif extérieur commun contre la concurrence déloyale. Je comprends vos motivations, mais pourquoi envisager cette taxe sur le carbone et non dans le domaine social ? Cette proposition ne risque-t-elle pas d'instaurer un nouveau protectionnisme européen ?

M. Pierre Fauchon. - Je partage votre analyse sur les problèmes actuels de l'Europe et sur la nécessité d'une volonté politique forte pour éviter son effacement.

Nous avions un devoir moral d'élargir l'Europe aux anciens pays d'Europe de l'est, mais les projets européens n'avancent que s'ils sont portés par un petit groupe d'États. Ainsi, l'interconnexion des casiers judiciaires, instituée à l'initiative de la France et de l'Allemagne, est aujourd'hui opérationnelle dans six pays. Seize États constituent aujourd'hui la zone euro et vingt-deux États membres participent à l'espace Schengen.

Ne faut-il donc pas favoriser ces coopérations spécialisées ?

M. Roland Ries. - Je vous remercie pour avoir exprimé clairement votre défense de Strasbourg en tant que siège du Parlement européen.

Je m'interroge, tout comme vous, sur le moyen de rapprocher les citoyens de l'Union européenne. Peut-être faudrait-il que le mode de désignation des institutions européennes soit plus démocratique et que les procédures soient plus participatives. Et Strasbourg, qui promeut également les droits de l'homme à travers la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, pourrait être le symbole de cette Europe plus proche des citoyens.

M. Michel Billout. - Je m'étonne que la réforme de la politique agricole commune (PAC) n'ait pas été mentionnée au rang de vos priorités. Par ailleurs, en tant que président du groupe d'amitié France-Hongrie du Sénat, je voudrais vous faire part de l'émoi des Hongrois à la suite d'un incident avec la Slovaquie cet été au cours duquel le président hongrois s'est vu refuser l'accès au territoire slovaque sans aucune réaction officielle de l'Union européenne. Trouvez-vous normal que l'Union européenne renvoie la Hongrie devant l'Organisation des nations unies pour régler cette difficulté ?

Mme Bernadette Bourzai. - Je suis très favorable à l'organisation d'un débat spécifique à la réforme de la PAC et je me contenterai donc de rappeler qu'il ne faut pas dissocier cette réforme de l'évolution de la politique régionale et de l'attribution des fonds structurels, afin que les régions les plus handicapées de notre pays puissent continuer à bénéficier d'une réelle politique d'aménagement du territoire.

M. Pierre Lellouche. - Je ne me prononcerai pas pour le moment sur les prochaines perspectives financières de l'Union européenne et sur l'évolution de la PAC car la renégociation d'ensemble commencera à la fin de l'année. Mais, comme vous-même, je souhaite que les aides aux régions les plus fragiles demeurent.

Dans le conflit frontalier entre la Croatie et la Slovénie, tout comme dans les tensions entre la Hongrie et la Slovaquie, il est préférable de laisser ces États régler leurs contentieux, plutôt que de poser l'Union européenne en arbitre externe au risque que celle-ci soit exposée à une surenchère de chaque partie. Les États qui intègrent l'Union européenne ne doivent pas y importer leurs anciens conflits liés à des problèmes territoriaux ou linguistiques, mais au contraire, se conformer à ses règles et à ses valeurs. C'est une position que je défendrai fermement auprès de nos partenaires.

Je partage vos propos sur le symbole démocratique fort que représente Strasbourg où je me rendrai prochainement à plusieurs reprises.

Je partage également les propos tenus sur les projets européens menés par des petits groupes de pays désirant aller plus loin que les autres. À l'heure actuelle, les États membres de l'Union européenne soutiennent le volontarisme franco-allemand car, depuis la crise financière, chacun a compris qu'il fallait que l'Europe puisse agir.

L'Espagne et la Pologne sont deux grands pays européens avec lesquels nous souhaitons conforter notre partenariat.

Le Président de la République a l'intention de demander la modification des règles de l'organisation internationale du travail (OIT) afin de lutter contre le « dumping social ».

Sur le problème de sous-consommation des fonds structurels, je serai heureux de prendre connaissance du rapport du sénateur Simon Sutour car son analyse peut nous être fort utile.

Enfin, je constate que l'idée d'un grand emprunt européen progresse.