Mardi 1er décembre 2009

- Présidence de M. Jacques Mézard, vice-président -

Audition de M. Christian Descheemaeker, président de la septième chambre de la Cour des comptes, président de la formation interjuridictions, de M. André Barbé, conseiller maître, et de Mme Sylvie Esparre, conseillère référendaire

M. Alain Lambert, président, étant retenu en séance publique, M. Jacques Mézard, vice-président, a ouvert la séance en annonçant quelques modifications de l'ordre du jour de la délégation en raison du calendrier d'examen par le Sénat de la réforme des collectivités territoriales. Il a notamment indiqué que :

- le débat d'orientation de la commission des lois sur l'ensemble de la réforme aurait lieu le mercredi 2 décembre à 15 heures 30 ;

- un débat thématique sur la révision des valeurs locatives serait organisé par la délégation le mardi 12 janvier 2010 à 18 heures ;

- la table ronde de la délégation sur la péréquation aurait lieu le mercredi 10 février 2010.

Puis, M. Jacques Mézard, président, a accueilli M. Christian Descheemaeker, président de la septième chambre de la Cour des comptes, M. André Barbé, conseiller-maître, et Mme Sylvie Esparre, conseillère référendaire, venus présenter le rapport thématique de la Cour des comptes « La conduite par l'Etat de la décentralisation », adopté en avril 2009 et rendu public en octobre 2009.

En introduction, M. Christian Descheemaeker a rappelé que ce rapport constituait la synthèse de travaux antérieurs menés par la Cour des comptes, mais aussi par des chambres régionales des comptes, sur différents sujets touchant à la décentralisation.

Il a constaté tout d'abord que le débat sur la décentralisation s'était focalisé sur les compétences au détriment d'une réflexion sur l'organisation institutionnelle. De même, sur le volet financier, il a considéré que le débat sur l'autonomie fiscale avait pris le pas sur le thème de la péréquation, comme l'avait fait la question de la compensation des transferts au détriment d'une réflexion sur l'amélioration de la gestion.

M. André Barbé a ensuite présenté plus en détail les principales conclusions du rapport. Evoquant tout d'abord les différentes vagues de décentralisation, il a considéré que la réforme de 1981 avait été avant tout une réforme institutionnelle ambitieuse avec un véritable transfert de pouvoirs au bénéfice des collectivités élues, alors que les vagues successives suivantes s'étaient plus apparentées à de simples exercices de réorganisation administrative. La réforme constitutionnelle de 2003 avait pourtant remis à l'honneur l'aspect politique et institutionnel de la décentralisation, mais la loi d'août 2004 en était restée au renforcement « classique » des socles existants sans utiliser pleinement les nouveaux outils (chefs de filat, expérimentations, délégations de compétences entre collectivités) qui auraient pu permettre d'aller plus loin. Par ailleurs, la décentralisation sociale (transferts de l'APA, du RMI, de la PCH notamment) n'entrant pas dans le champ de la loi de 2004 et répondant à des règles de compensation spécifiques, aucune vision institutionnelle d'ensemble n'a pu émerger.

Au sujet de la compensation financière, M. André Barbé a estimé que la règle édictée par la réforme constitutionnelle de 2003 conduisait à l'« emboîtement » de deux obligations reposant sur l'Etat et difficiles à concilier : l'obligation d'assurer une compensation intégrale et l'obligation de ne pas dégrader le ratio d'autonomie financière de chaque niveau de collectivité. L'Etat a réussi à respecter ce jeu serré de contraintes par le transfert de fractions d'impositions nationales (à l'exception notable du champ social, qui demeure compensé sur la base de prévisions de dépenses avec un effet de ciseaux notable, notamment sur les prestations pour les personnes âgées et les personnes handicapées).

Il a regretté que dans certains domaines de compétences, la décentralisation ait abouti à rendre plus complexe le paysage institutionnel, citant, à titre d'exemple, la gestion des personnels techniciens, ouvriers et de services (TOS) de l'enseignement secondaire répartie entre les départements et les régions, celle des services d'information et d'orientation ou encore celle des infrastructures aéroportuaires.

S'agissant des effectifs des collectivités territoriales, Mme Sylvie Esparre a précisé que l'objectif de la Cour des comptes était de discerner l'augmentation qui résultait de la décentralisation de celle issue du développement propre des collectivités. La Cour des comptes, a-t-elle relevé, a constaté que la progression des effectifs dans les communes et les intercommunalités était forte, alors que ces deux niveaux n'avaient pas bénéficié de transferts de compétences significatifs entre 1982 et 2004. Elle a rappelé que la croissance des effectifs avait été évaluée à 28,3 % dans les départements et à 900 % dans les régions, pendant cette période. Elle a cependant observé que la forte progression des effectifs des régions n'était pas significative, ces dernières n'étant devenues des collectivités territoriales qu'en 1986.

M. Jacques Mézard, président, a considéré comme indiscutables les évaluations de la Cour des comptes, qui avait estimé à 33 % la croissance des effectifs des collectivités territoriales et à 350 000 fonctionnaires l'augmentation de la fonction publique d'État, entre 1982 et 2006. Il a cependant observé que le rapport proposait une approche exclusivement critique de la décentralisation. Ainsi a-t-il souhaité connaître les recommandations de la Cour des comptes destinées à améliorer le processus de décentralisation.

M. Jean-Claude Peyronnet a estimé que les lois de décentralisation de 2003-2004 ne pouvaient expliquer à elles seules l'augmentation des effectifs des groupements de communes, mais qu'il fallait aussi prendre en compte les lois de décentralisation des années 1980, ainsi que la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite loi Chevènement. Par ailleurs, il a souligné que le développement de l'intercommunalité s'était accompagné de la création de services nouveaux à la population, notamment en matière de collecte des déchets ou de développement des transports, nécessitant le recrutement de personnels.

M. Jacques Mézard, président, a remarqué que ce constat s'appliquait également aux communes dont les effectifs ont augmenté de 220 000 agents ces dernières années.

M. Christian Descheemaeker a précisé que la Cour des comptes n'avait pas occulté, dans ses conclusions, l'amélioration des services liée au développement de l'intercommunalité. Mais il a indiqué que la Cour des comptes s'était interrogée sur le coût de l'intercommunalité, en constatant que la superposition de nouvelles structures ne semblait pas toujours justifiée, dans le domaine touristique par exemple. Il a cependant salué le rôle positif de la décentralisation dans la rénovation et la modernisation des lycées, tout en relevant que les tribunaux judiciaires, auparavant de la compétence des collectivités territoriales, n'étaient pas en bon état lors de leur transfert à l'État.

M. André Barbé a rappelé que le conseil général était le chef de file en matière d'aide et d'action sociales, mais a observé que les communes et les intercommunalités conservaient une compétence en la matière, du fait de leur proximité avec les citoyens. Il a relevé que les conseils généraux, chargés de la réalisation d'un schéma départemental de l'action sociale, devaient ainsi négocier avec une multiplicité de partenaires : centres communaux d'action sociale, centres intercommunaux d'action sociale, notamment. Il a estimé que la superposition d'échelons territoriaux dans un même domaine de compétence avait certes permis une amélioration des services rendus aux usagers, mais avait conduit à des doublons qui n'étaient pas toujours justifiés.

M. Dominique Braye a rappelé que le principe de subsidiarité permettait d'exercer les compétences au plus près des citoyens. Il a observé que ce principe était à la base du développement de l'intercommunalité depuis 1999, en permettant de rapprocher l'action publique des citoyens, d'améliorer la qualité du service rendu et d'optimiser les coûts. Il a cependant relevé que les élus locaux ne disposaient pas toujours des moyens nécessaires pour assumer leurs compétences. Ainsi, il a estimé que le statut de la fonction publique territoriale n'apportait pas la souplesse nécessaire pour assurer les meilleurs services, en ne permettant pas la correspondance des profils des personnels aux compétences demandées. La seule solution pour les élus était d'attendre le départ à la retraite de leurs agents pour permettre une meilleure adéquation des personnels aux postes.

Il a ensuite souligné l'importance du partage de certaines compétences entre plusieurs échelons territoriaux, prenant l'exemple de la politique de la ville, qui est une compétence obligatoire des communautés urbaines souvent partagée, dans les faits, avec les communes, compte tenu de leur proximité et de leur connaissance du terrain, ce qui représente un atout essentiel. Il a, par ailleurs, considéré qu'il n'était pas possible de mettre en oeuvre des politiques uniformes dans des territoires aux problématiques diverses. Il s'est enfin interrogé sur les économies qui pourraient découler de la réorganisation des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS).

M. Pierre-Yves Collombat a rappelé que le Gouvernement avait évalué à 20 milliards d'euros les économies qu'entraînerait la spécialisation des compétences entre les départements et les régions. Il a souhaité savoir si la Cour des comptes pouvait valider cette estimation. Puis il a interrogé les auteurs du rapport sur les économies d'échelle qui pourraient être engendrées par la réforme de l'organisation territoriale, au titre du regroupement de collectivités territoriales, d'une part, ou de la création des conseillers territoriaux, d'autre part.

M. Christian Descheemaeker a indiqué que la Cour des comptes n'avait pas expertisé les économies prévues dans le cadre de la réforme territoriale. Ensuite, il a relevé que les économies d'échelle, conformément à un principe économique connu, se matérialisaient sous la forme d'une courbe en cloche, et qu'il était difficile de déterminer le niveau optimal de ces dernières.

Mme Sylvie Esparre a rappelé que la Cour des comptes avait considéré que dans divers domaines, des économies pouvaient naître de la spécialisation d'un échelon local. Par exemple, la Cour des comptes a observé que la spécialisation de l'ensemble de l'enseignement secondaire au niveau du département ou de la région permettrait de réaliser des économies de gestion, ce constat étant également valable pour les transports et les aéroports.

M. André Barbé a relevé que la décentralisation ne s'appréciait pas uniquement en termes de meilleure organisation et de rationalisation budgétaire et financière, mais qu'il fallait également prendre en compte la clarification des compétences et la lisibilité des responsabilités locales.

M. Yves Daudigny a rappelé que l'augmentation des effectifs dans les intercommunalités s'expliquait par la création ou l'évolution de services imposés par la loi ou par les besoins des citoyens, tels que la collecte des ordures ménagères, la création d'écoles intercommunales de musique en zone rurale ou la livraison de repas à domicile, qui ont nécessité le recrutement de personnels. Il a ensuite jugé que le transfert des collèges et lycées à un même niveau de collectivités n'entraînerait aucune rationalité de gestion : en effet, a-t-il estimé, le transfert des collèges aux régions aboutirait à la naissance d'une administration régionale pléthorique, éloignée des besoins des usagers. Par ailleurs, il a jugé que le transfert des personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) aux conseils généraux et aux conseils régionaux n'avait été réalisé que partiellement, dans la mesure où les intendants des collèges demeuraient des fonctionnaires de l'État, engendrant ainsi une complexité accrue de la chaîne de décision dans les établissements scolaires avec la signature d'une convention entre le président du conseil général et le proviseur, supérieur hiérarchique de l'intendant dirigeant les agents du conseil général. Il a souhaité savoir si l'amélioration des relations entre l'État et les collectivités territoriales ne résiderait pas dans l'éclaircissement de leurs compétences respectives.

Mme Sylvie Esparre a indiqué qu'il ne revenait pas à la Cour des comptes d'apprécier l'importance des effectifs des collectivités territoriales et que l'objectif du rapport avait été de mesurer l'impact de la décentralisation. Elle a rappelé que le constat de la Cour des comptes portait sur l'augmentation des effectifs des communes à due proportion de celui des intercommunalités, alors que des transferts de compétences des premières vers les secondes avaient été réalisés en application des lois n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale et n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

M. André Barbé a précisé que la Cour des comptes avait distingué la décentralisation issue de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales de la « décentralisation sociale ». S'agissant de la décentralisation issue de la loi de 2004, il a constaté que les compensations financières étaient très encadrées, celles-ci étant calculées sur la base des dépenses de l'État, soit dans les trois ans, soit l'antépénultième année précédant le transfert. Par ailleurs, il a rappelé que la Constitution prévoyait que l'extension des compétences des collectivités territoriales ou le changement de normes par l'État dans les domaines transférés devaient être compensés. Quant à la « décentralisation sociale », il a observé qu'elle portait sur des prestations sur lesquelles les conseils généraux ne disposaient d'aucun pouvoir de réglementation. Il a estimé qu'il n'était pas certain que les Français soient prêts à accepter que ces derniers aient un pouvoir de modulation des prestations d'aide sociale, aboutissant ainsi à une application différenciée des prestations d'un département à l'autre.

M. Yves Détraigne a souhaité savoir si la Cour des comptes avait distingué, d'une part, les obligations nouvelles imposées par la loi aux collectivités territoriales, comme ce fut le cas avec les lois n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques et n° 92-646 du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets ainsi qu'aux installations classées pour la protection de l'environnement et, d'autre part, les attentes des citoyens qui, en milieu rural, souhaitent disposer des mêmes services qu'en milieu urbain (restauration scolaire, accueil périscolaire, accessibilité).

M. Christian Descheemaeker a souligné que la Cour des comptes n'avait pas analysé les corrélations existant entre les évolutions des effectifs de la fonction publique territoriale et les charges nouvelles assumées par les collectivités territoriales.

Il a reconnu que certains transferts de personnels, comme les parcs de l'équipement, avaient été faits tardivement.

Il a indiqué que, compte tenu du fait que la décentralisation était un processus étalé sur vingt ans, la Cour des comptes n'était pas en mesure de comparer le coût des services assurés aujourd'hui par les collectivités territoriales par rapport aux dépenses affectées précédemment par l'Etat à ces services. Ce calcul était d'autant plus complexe que le contenu des services avait beaucoup évolué.

Il a précisé que l'étude de la Cour des comptes avait pour ambition de proposer des comparaisons sur l'évolution des effectifs de l'Etat et des collectivités territoriales, et non de dénoncer des augmentations d'effectifs injustifiées.

Il a souligné en outre que ce n'étaient pas toujours les fonctionnaires qui assuraient les missions de service public, et que des sociétés de services intervenaient également, par exemple dans le domaine de l'enlèvement des déchets.

Il a indiqué que des rapports consacrés à la gestion des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et des déchets étaient actuellement en préparation à la Cour des comptes.

M. Jacques Mézard, président, s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles la Cour des comptes mettait en cause les compétences des conseils généraux en matière d'élaboration du plan départemental d'élimination des déchets.

M. André Barbé a rappelé que le processus de décentralisation avait pour objectif de favoriser la proximité, de rationaliser et de simplifier l'action publique. Or, la Cour des comptes a constaté que les schémas institutionnels des politiques de traitement des déchets ou d'aides au logement constituaient des contre-exemples par rapport à cette volonté de simplification de l'action publique.

Avant 2004, les préfets, les communes et les EPCI étaient les principaux acteurs du traitement des déchets. Les autres niveaux n'intervenaient que pour la prise en charge de certains déchets spécifiques. La Cour des comptes a estimé que le transfert de l'élaboration et du suivi des plans départementaux d'élimination des déchets ménagers du préfet de département au président du conseil général était une source de complexité. L'élaboration de ce schéma constitue, en effet, la seule attribution de cette collectivité dans le domaine de la collecte et du traitement des déchets, alors que l'Etat est compétent pour l'instruction, l'autorisation et le contrôle des équipements, et les communes ou leurs groupements pour la gestion opérationnelle.

Il a observé que le conseil général pouvait donc être considéré comme un acteur supplémentaire ne disposant ni de services spécialisés, ni de réels pouvoirs, qui intervenait désormais dans un circuit de décision déjà très complexe, long et délicat.

M. Dominique Braye a souligné les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales en matière de traitement des ordures ménagères. Il a précisé que ces difficultés étaient de deux ordres. Tout d'abord les collectivités territoriales ne disposaient pas d'une expertise technique pertinente, ce qui les conduisait à suivre des prescriptions techniques variables dans le temps, l'incinération des déchets avant les années 90, leur méthanisation dans les années 2000, ces prescriptions ayant des effets très forts en termes d'investissements publics. Ensuite, l'absence d'expertise technique laissait les collectivités territoriales dans une situation d'infériorité lorsqu'elles devaient négocier des marchés publics avec les principaux opérateurs privés du secteur.

Il a enfin rappelé qu'aucun programme de logement social ne pouvait s'équilibrer sans l'aide financière des collectivités territoriales.

M. Edmond Hervé a fait observer que le processus de décentralisation ne devait pas être analysé sous les seuls prismes du droit et des finances publiques.

Il a estimé que les élus devaient prendre en compte l'évolution des modes de décision intervenue au cours des vingt dernières années, évolution qui avait changé la nature de la décentralisation, cette dernière devant être analysée en termes de projet et non plus de simples transferts de compétences.

Il a relevé qu'il importait d'abord dans une organisation territoriale décentralisée d'assurer la qualité de la maîtrise d'ouvrage.

Il a souligné que la prise de décision qui, hier, était unilatérale, se trouvait bouleversée par la nécessité d'informer tous les acteurs concernés, par exemple avant la création d'une usine d'incinération ou de logements aidés.

Il a rappelé que les élus devaient faire face à une contestation territoriale, sous la forme d'une inflation des contentieux, qui obligeait les exécutifs locaux à s'entourer d'avis. En conséquence, le temps de la décision était devenu beaucoup plus long.

Revenant sur le problème de la lisibilité de l'action publique, il a observé que les dispositions portant réforme de la taxe professionnelle figurant dans le projet de loi de finances pour 2010 illustraient les difficultés du législateur à trouver la voie de la simplification des politiques locales.

Il a rappelé son opposition à la notion de blocs de compétences en soulignant que toute politique publique était transversale, et qu'en conséquence la recherche de partenariats avec d'autres niveaux de collectivités territoriales était indispensable.

Il a regretté que les élus locaux n'aient pas rendu publique leur propre évaluation de la politique de décentralisation.

Il a mis en garde contre les effets indésirables que pourrait provoquer la suppression des chambres régionales des comptes.

M. Jacques Mézard, président, a rappelé que durant la période analysée par le rapport, l'Etat n'avait pas conduit la politique de décentralisation dans des conditions optimales et avait notamment eu des difficultés à se retirer de certaines politiques décentralisées.

M. Christian Descheemaeker a souligné que le rapport de la Cour des comptes était critique sur les évolutions des effectifs de l'Etat au cours des dernières années.

Il a estimé que l'Etat avait pu développer plusieurs types de comportement en matière de rationalisation de ses services. Dans les domaines pour lesquels les transferts ont été rares, comme le domaine culturel, aucune rationalisation n'était apparue nécessaire. Dans d'autres domaines, comme l'équipement, l'Etat était paralysé par la crainte de la pression syndicale et la possible réaction de ses personnels. Enfin, l'Etat avait eu la tentation, pour suivre des politiques décentralisées qui l'intéressent encore, par exemple dans le domaine social, de conserver des personnels spécialisés malgré le transfert des compétences aux collectivités territoriales.

Il a indiqué qu'un changement d'attitude pouvait être constaté depuis 2006, les réductions d'effectifs et de structures pouvant être vérifiées, par exemple avec la fusion des directions départementales de l'équipement (DDE) et de l'agriculture (DDA).

M. Pierre-Yves Collombat a contesté la pertinence de cette rationalisation des services de l'Etat, la suppression des DDE ayant des effets négatifs pour les petites communes rurales.

M. Bruno Sido a souligné les difficultés financières éprouvées par les collectivités territoriales. Il a observé que l'augmentation des effectifs s'était produite partout, y compris dans les collectivités les mieux gérées, ce qui pouvait aussi s'expliquer par l'exercice de nouvelles compétences.

Il a observé les difficultés financières auxquelles se trouvaient confrontées les collectivités locales, notamment en raison de l'inertie budgétaire provoquée par la nécessité de reconduire une part importante des dépenses d'une année sur l'autre sans disposer d'un pouvoir de décision sur leur montant ou leur affectation.

Il a fait part de ses craintes quant aux risques que faisaient peser les dépenses sociales sur les comptes des conseils généraux.

M. Jean-Claude Peyronnet a regretté que les économies potentielles ne soient évoquées que sous l'angle de la réduction du nombre de fonctionnaires.

Il a souligné le rôle de conseil des DDE en milieu rural pour la préparation des marchés publics et l'entretien des réseaux routiers communaux et s'est interrogé sur les conséquences financières de leur suppression, les petites communes devant recruter des cabinets de conseils pour mener à bien ces tâches, ce qui avait pour effet d'entraîner des dépenses supplémentaires imputées sur le budget de ces collectivités territoriales.

M. Christian Descheemaeker a rappelé que l'existence des DDE était justifiée par la nécessité d'entretenir les routes nationales, la mission d'appui de ces services déconcentrés aux collectivités territoriales étant accessoire. Dès lors que les routes nationales avaient été transférées, il a estimé inéluctable la disparition des DDE.

M. Pierre-Yves Collombat a relevé que la réduction des effectifs des DDE avait débuté avant le transfert des routes nationales aux départements. Il a souhaité que les conseils généraux mettent en place l'ingénierie publique nécessaire pour pallier la suppression des services de l'Etat.

M. Jacques Mézard, président, a souligné que les collectivités territoriales avaient l'impression que l'Etat se désengageait dans de nombreux domaines, alors même que les effectifs de la fonction publique nationale avaient augmenté de 350 000 personnes. Il s'est par ailleurs demandé si la décentralisation pouvait conduire à la stabilisation ou à la diminution des dépenses publiques.

M. André Barbé a indiqué, en réponse à M. Edmond Hervé, qu'une répartition idéale des compétences entre collectivités territoriales, si elle pouvait exister, permettrait de rendre inutiles les financements croisés. Il a noté que les informations collectées par les chambres régionales des comptes sur la préparation des budgets pour 2010 montraient une forte tendance des conseils généraux à recentrer leurs dépenses sur leurs compétences obligatoires. Il a souligné que les financements croisés lui semblaient inadaptés dans les domaines dans lesquels les compétences avaient été décentralisées en faveur d'un niveau de collectivité territoriale unique. Il lui a semblé souhaitable qu'il y ait concordance et cohérence entre les compétences exercées, les financements mis en oeuvre ainsi que les responsabilités politiques et administratives.

M. Jacques Mézard, président, a indiqué qu'il présidait une communauté d'agglomération de 57 000 habitants qui n'exerçait aucune compétence dans le domaine universitaire ou dans le transport aéroportuaire des voyageurs, mais qu'à défaut des subventions que ce groupement avait versées, le territoire intercommunal n'aurait pu disposer ni d'un pôle universitaire, ni de lignes aériennes.

M. André Barbé a estimé que les cofinancements étaient justifiés dans les secteurs où les compétences étaient partagées et où une contractualisation avait été instaurée. Il a relevé que la Cour des comptes recommandait de ne pas recourir aux financements croisés dans les domaines où les compétences étaient réparties de façon claire et où une collectivité territoriale en avait l'exclusivité.

M. Dominique Braye a observé que les communes étaient très souvent sollicitées et devaient pallier les insuffisances de qualité des services publics. Il a reconnu que la prolifération des normes avait de très importantes répercussions financières pour les collectivités territoriales.

Enfin, il a remarqué que l'existence des financements croisés permettait aux départements de mettre en oeuvre une réelle péréquation entre les communes.

M. Yves Daudigny a regretté que les cofinancements soient mis en cause à l'occasion de la réforme territoriale. Il a indiqué que l'article 35 du projet de loi de réforme des collectivités territoriales prévoyait tout à la fois, d'une part, l'encadrement futur des cofinancements et l'exigence d'une implication significative du maître d'ouvrage concerné dans le financement d'une action locale et, d'autre part, le maintien de la possibilité pour les départements et les régions de soutenir les actions communales et intercommunales lorsqu'un intérêt local le justifierait. Il a soutenu que la mise en oeuvre de cofinancements permettait un enrichissement de l'action locale par la confrontation des perspectives et des stratégies locales.

M. Bruno Sido s'est déclaré favorable à la limitation du nombre parfois trop élevé des partenaires d'un même cofinancement.

Mme Marie-Thérèse Bruguière a observé que la participation d'une collectivité territoriale au financement de projets locaux d'une autre collectivité territoriale traduisait, dans certains cas, la solidarité entre élus locaux d'un même parti plutôt qu'une stratégie locale de développement.

M. Dominique Braye s'est demandé si des échanges d'expérience entre les magistrats de la Cour des comptes et les élus locaux ne permettraient pas d'améliorer la compréhension de leurs préoccupations et priorités respectives.

M. André Barbé a indiqué qu'il avait exercé pendant de nombreuses années les fonctions de directeur général des services d'un conseil général.

M. Yves Détraigne a relevé que, pour sa part, il avait été conseiller d'une chambre régionale des comptes.

M. Jacques Mézard, président, a souhaité savoir quelles pouvaient être les pistes permettant le renforcement de la péréquation.

M. André Barbé a estimé que la péréquation pourrait être favorisée si les collectivités territoriales acceptaient que la compensation financière, réalisée lors du transfert d'une compétence et d'une charge financière, soit estimée globalement, en comprenant la dotation et la péréquation. Dans le cas contraire, l'application du principe constitutionnel d'autonomie des collectivités territoriales conduisait à compenser les transferts à l'euro près, sans péréquation. Il a remarqué que la péréquation ne pouvait être mise en place que lorsque l'Etat acceptait d'augmenter la compensation prévue d'une dotation complémentaire, comme ce fut le cas lors du transfert du RMI.

M. Dominique Braye a rappelé que les travaux de M. Alain Guengant, professeur à l'Université de Rennes I, directeur de recherche au CNRS, démontraient que la péréquation était réalisée à 80 % à l'échelle intercommunale.

M. Jacques Mézard, président, s'est demandé si tous les transferts de compétence étaient intégralement compensés.

M. André Barbé a rappelé que, depuis 2003, la Constitution rendait la compensation obligatoire.

M. Dominique Braye a noté que l'Etat compensait à hauteur du financement qu'il fournissait avant le transfert, ce qui ne garantissait pas un niveau et une qualité de service rendu suffisants. Il a rappelé que pour pallier les carences de l'Etat, les collectivités territoriales devaient accroître l'effort financier, les revendications des citoyens étant mieux prises en compte dans la relation de proximité qu'ils entretiennent avec leurs collectivités territoriales.