Mercredi 20 juin 2012

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Élection du rapporteur général et constitution du bureau

La commission procède à l'élection du rapporteur général et à la désignation de membres de son bureau.

M. Philippe Marini, président. - La commission reprend aujourd'hui ses travaux, qui n'ont jamais complètement cessé à travers les activités des uns et des autres. Ce matin, nous procédons tout d'abord à l'élection du rapporteur général, le mandat de sénateur de Nicole Bricq ayant expiré ce dimanche 17 juin 2012 à zéro heure, ce qui est une triste et heureuse nouvelle à la fois. Particulièrement à la veille de l'examen d'un projet de loi de finances rectificative, il convient que notre commission soit parfaitement opérationnelle.

Je vous rappelle qu'en application de l'article 13 du règlement du Sénat, le rapporteur général est élu dans les mêmes conditions que le président de la commission, au scrutin secret, à la majorité absolue des suffrages exprimés aux deux premiers tours, à la majorité relative au troisième tour.

J'ai reçu la candidature de François Marc. Y a-t-il d'autres candidatures ? Je n'en vois pas. Il n'y a pas non plus de déclarations ou de demandes d'informations. En ce qui concerne le groupe UMP, je signale que nous avons considéré qu'il n'y avait pas lieu de prendre part au vote.

Je déclare le scrutin ouvert.

Il est procédé au scrutin

M. Philippe Marini, président. - J'appelle, comme scrutateurs au dépouillement, Frédérique Espagnac et François Trucy.

Les scrutateurs procèdent au dépouillement

M. Philippe Marini, président. - Les résultats du scrutin sont les suivants :

Nombre de votants : 27

Bulletins blancs ou nuls : 2

Suffrages exprimés : 25

François Marc a obtenu 25 voix.

Je proclame François Marc rapporteur général de la commission des finances et l'invite à venir à mes côtés pour prendre la place qui lui revient. (Applaudissements).

M. François Marc, rapporteur général. - Je souhaite remercier tous ceux qui se sont prononcés sur mon nom. Je remercie l'ensemble de la commission d'avoir considéré que l'équilibre politique du Sénat devait conduire à l'élection d'un rapporteur général issu de la majorité sénatoriale. Cette fonction ne sera pas de tout repos, étant donné les enjeux sur lesquels la commission des finances devra être active et attentive.

Les engagements politiques ayant conduit aux résultats électoraux des derniers mois et des derniers jours devront être tenus, ce à quoi nous serons attentifs dès l'examen du projet de loi de finances rectificative du mois prochain. La commission des finances se démarque par une culture forte sur toutes les facettes de la sphère financière et de la gestion budgétaire, et cette spécificité devra être maintenue. En particulier, il conviendra de répondre à l'inquiétude des collectivités territoriales sur leurs perspectives financières.

Je veillerai à ce que ce travail soit effectué de façon attentive, en lien avec les rapporteurs spéciaux. Je remercie à nouveau mes collègues pour cette élection. (Applaudissements)

M. Philippe Marini, président. - Vous avez insisté à juste titre sur la culture de la commission des finances, qui perdure au-delà des orientations majoritaires. Un important travail nous attend en effet, étant donné la situation de nos finances publiques. Dans ce cadre, il est légitime et utile que nous puissions, au-delà de nos divergences politiques, débattre et travailler ensemble.

En cette occasion, je souhaite également rendre hommage à Nicole Bricq. Avec sa personnalité particulière et son caractère parfois rugueux, elle est une femme d'engagement qui a accompli, en tant que rapporteure générale, un travail intense et utile, même si elle n'a pas battu le record de longévité dans la fonction.

Le second point à l'ordre du jour concerne la constitution du bureau de la commission des finances, pour lequel il convient de procéder à certains ajustements. François Marc avait en effet jusqu'à présent la qualité de premier vice-président de la commission des finances.

Par ailleurs, j'ai reçu de Gérard Miquel un courrier en date du 13 juin dernier, par lequel il m'informe de sa démission de ses fonctions de vice-président de la commission.

En application des dispositions de l'article 13 précité du règlement du Sénat, il revient au groupe socialiste d'établir la liste de ses candidats aux fonctions de vice-présidents, pour le remplacement de MM. Marc et Miquel.

A ce titre, j'ai reçu de François Rebsamen, président du groupe socialiste, un courrier également en date du 13 juin 2012, par lequel il m'indique, je le cite, que « Messieurs François Marc et Gérard Miquel seront remplacés dans leurs fonctions de vice-présidents de la commission par Monsieur Jean-Pierre Caffet et Madame Frédérique Espagnac, Madame Michèle André devenant première vice-présidente. »

« Madame Espagnac n'étant donc plus secrétaire de la commission, c'est Monsieur Jean Germain qui la remplacera dans cette fonction. »

Il est donné acte de ces indications.

M. Jean-Pierre Caffet et Mme Frédérique Espagnac sont désignés en qualité de vice-président, en remplacement de MM. François Marc et Gérard Miquel. M. Jean Germain est désigné en qualité de secrétaire, en remplacement de Mme Frédérique Espagnac.

M. Philippe Marini, président. - Ces désignations étant faites, je vous propose d'établir comme suit la liste des vice-présidents et des secrétaires de la commission des finances, en respectant les principes retenus en octobre dernier pour l'ordre des membres du bureau, à savoir l'ordre alphabétique, sauf exception à la demande des groupes :

Vice-Présidents :

- Mme Michèle André, première vice-présidente

- Mme Marie-France Beaufils

- M. Jean-Pierre Caffet

- M. Yvon Collin

- M. Jean-Claude Frécon

- Mme Fabienne Keller

- Mme Frédérique Espagnac

- M. Albéric de Montgolfier

- M. Aymeri de Montesquiou

- M. Roland du Luart

Secrétaires :

- M. Philippe Dallier

- M. Jean Germain

- M. Claude Haut

- M. François Trucy

Table ronde sur les enjeux du développement du système bancaire parallèle

La commission procède ensuite à l'audition conjointe de MM. Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor, Edouard Vieillefond, secrétaire général adjoint de l'Autorité des marchés financiers (AMF) en charge de la direction de la régulation et des affaires internationales, Emmanuel Boussard, fondateur de Boussard et Gavaudan Gestion, Eric Wohleber, directeur général de BlackRock, Laurent Gueunier, directeur de la division finance structurée d'AXA IM Paris, Thierry Varène, délégué auprès du directeur général pour la grande clientèle de BNP Paribas, et Olivier Garnier, économiste en chef de la Société générale, dans le cadre d'une table ronde sur les enjeux du développement du système bancaire parallèle (« shadow banking »).

M. Philippe Marini, président. - Nous abordons un sujet mystérieux : il existerait donc un système bancaire parallèle ? Depuis le début des crises financières, l'attention des responsables au plus haut niveau, national et international, a été attirée sur le développement dans la sphère financière d'entités, de statuts juridiques divers, pratiquant des activités proches de la banque sans être soumises à la réglementation bancaire. Les Anglo-saxons parlent de shadow banking, ce que l'on pourrait traduire par « banque de l'ombre », n'était la connotation négative. Ce « système bancaire parallèle » regroupe un ensemble diffus, varié, mal connu, de structures juridiques et d'activités économiques. Selon le Conseil de stabilité financière, il représenterait 25 % à 30 % du secteur financier mondial, et près de 45 000 milliards d'euros d'actifs financiers en 2010. Cette proportion tend à croître, particulièrement en Europe. Paradoxalement, la densification des contraintes issues de la réglementation bancaire pousserait hors des banques un certain nombre d'activités. Les besoins de financement ou de couverture qui ne pourraient plus être satisfaits par les banques le seraient par des fonds d'investissement, des assurances, des fonds alternatifs, des véhicules de titrisation non soumis à la réglementation bancaire.

Or, ces entités entretiennent des liens quotidiens et multiformes avec les banques. Ainsi, au lieu de réduire le risque systémique associé à l'activité des grandes banques, ce système bancaire parallèle conduit à poser la question de l'accumulation et de la diffusion des risques systémiques au sein des économies. Ainsi, la titrisation sur les marchés anglo-saxons a probablement induit la crise financière : les subprimes et leur refinancement relèvent de cette logique non bancaire. La crise a, à son tour, induit un resserrement des règles bancaires, du fait des conséquences de la défaillance de banques - Lehmann et ses frères sont passés par là. La réglementation bancaire devenant de plus en plus astreignante, on s'évade de plus en plus, et la titrisation se développe... Espérons que l'on ne va pas revenir à la case départ ! Il y va de l'efficacité de la réglementation bancaire française et internationale.

Quelles sont les activités concernées, les avantages et les risques pour les banques et pour l'économie réelle ? Si les banques peinent à prêter, si les capitaux propres se font plus rares, si les effets des multiplicateurs sont plus faibles, il faudra bien trouver du crédit quelque part pour satisfaire les besoins de l'économie réelle...

M. Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor. - Votre présentation, monsieur le Président, résume parfaitement la situation. La France a souligné que l'on ne pouvait se contenter de renforcer la régulation du secteur bancaire sans réguler les activités de nature bancaire d'entités non régulées, ou moins régulées, que l'on regroupe sous le terme de shadow banking. Le Conseil de stabilité financière s'est saisi du sujet, et le G 20, lors du sommet de Cannes, a reconnu qu'il fallait traiter du secteur bancaire parallèle. Le Conseil de stabilité financière a défini cette activité autour de quatre caractéristiques : la transformation de maturité, la transformation de liquidité, le transfert de risque de crédit, le recours à un levier excessif.

Des options de régulation et de supervision sont sur la table, et la négociation est en cours au niveau international. Première option : réguler la relation entre le secteur bancaire traditionnel et le secteur parallèle. Ces entités se sont souvent développées aux marges du secteur traditionnel, en accord avec les banques. Cela suppose de limiter leur interaction avec celles-ci, de limiter certaines expositions ; pour les entités qui ne vivent que par leur sponsor bancaire, cela suppose une reconsolidation de ces entités dans la banque.

M. Philippe Marini, président. - Qu'entendez-vous par « sponsor » ?

M. Hervé de Villeroché. - Le soutien implicite de la banque à l'entité parallèle, qu'il s'agisse de l'utilisation de sa marque, de son réseau de distribution, ou d'un soutien en liquidités ; cela mérite d'être clarifié. Juridiquement, les investisseurs pourraient-ils se réclamer de ce soutien si l'entité parallèle se trouvait en difficulté ? Si oui, il faut consolider cette entité dans une approche prudentielle globale entre la banque et l'entité parallèle.

Parmi les autres pistes ouvertes : la régulation des fonds monétaires, la régulation des fonds alternatifs lorsqu'ils interviennent dans des activités de crédit, la titrisation, le prêt-emprunt de titres, le rôle des agences de notation dans l'évaluation des produits proposés. Les travaux sont en cours au niveau international ; la Commission européenne a publié un livre vert récemment ; une réglementation communautaire devrait voir le jour dans les prochains mois. C'est une excellente initiative.

M. Philippe Marini, président. - S'agira-t-il d'un règlement ? D'une directive ?

M. Hervé de Villeroché. - À ce stade, je l'ignore. La Commission recourt de plus en plus à des règlements en matière financière. Une initiative européenne est en tout cas indispensable, car je doute que l'on obtienne un consensus international, tant le rôle du système bancaire parallèle varie d'une juridiction à l'autre.

Autre sujet, les fonds monétaires dits à valeur liquidative constante : ce sont des OPCVM monétaires dont la valeur liquidative ne change pas, et dont les surplus sont en permanence redistribués aux investisseurs. En cas de pertes, si le risque est mal appréhendé par le gestionnaire, on peut craindre un retrait massif des investisseurs et une vente de l'actif correspondant dans des conditions de marché dégradées. Ce fut le cas aux États-Unis en 2008-2009, amenant le Trésor américain à garantir la valeur liquidative de ces fonds. Ce système donne l'illusion d'un produit monétaire mais n'est pas assis sur une capacité d'accès à une banque centrale ou sur des fonds propres ! Il y a là matière à règlementation ; il faut clarifier le risque que prennent les investisseurs, qui ne sont pas protégés. Le terme même de « fonds monétaire » me gêne.

Il y a d'autres grands chantiers : outre le risque de levier excessif qui peut être généré par les prêts-emprunts de titres, il faut aussi réguler la réutilisation du collatéral dans le prêt-emprunt de titres. Ce sont des sujets techniques, mais qui peuvent comporter des risques s'ils sont mal appréhendés. D'où la nécessité de réglementer.

M. Philippe Marini, président. - Pour 45 000 milliards d'euros, on peut faire un peu de technique !

Monsieur Garnier, comment est né un secteur aussi considérable ? Existe-t-il depuis longtemps ? Quelles sont les conséquences en termes de stratégie des banques ? Quid du lien entre secteur bancaire régulé et activités non régulées au titre des banques ? La Société générale pratique-t-elle le sponsorship ?

M. Olivier Garnier, économiste en chef de la Société générale. - Je vais tenter d'être le banquier de la transparence et de la clarté ! Il faut distinguer deux sujets : d'une part la désintermédiation, c'est-à-dire le financement de l'économie par les « non-banques » ; d'autre part, le système bancaire parallèle.

Toute institution financière non bancaire n'est pas nécessairement une banque parallèle. Le système bancaire parallèle fait du crédit, de la transformation de maturité, produit un actif un peu équivalent du dépôt bancaire. Le facteur demande a beaucoup joué, notamment aux Etats-Unis : étant donnée la pénurie d'actifs liquides à investir, le marché s'est mis à en produire, notamment via la titrisation. Les investisseurs à long terme - fonds de pension, caisses de retraites, assureurs, hedge funds - ne sont pas des banques parallèles.

En France, contrairement aux États-Unis, ce sont les banques qui financent pour l'essentiel les entreprises. Les banques françaises font beaucoup de crédit à l'économie mais collectent assez peu de dépôts, en raison des spécificités de notre marché de l'épargne : livret A, fonds monétaires et assurance vie. Le doublement du plafond du livret A et la suppression du prélèvement libératoire, récemment annoncés, vont renforcer cette tendance : au moment où la réglementation incite les banques à rééquilibrer le poids des dépôts par rapport aux crédits, la collecte de dépôts bancaires et la distribution de crédit deviennent plus difficiles.

Il va donc falloir développer les financements non bancaires. Les ménages, qui produisent l'épargne, recherchent des investissements peu risqués et liquides, alors que le financement de l'économie exige des financements à long terme, peu liquides et risqués. Si les banques se retirent, il y aura soit une contraction de l'investissement, soit un développement de la partie non bancaire. Cela pose la question du développement de l'épargne à long terme, et surtout celle du transfert du risque.

En matière de réglementation, il y a deux écueils à éviter. Le premier, bien identifié, serait de faire coexister un secteur très régulé et un secteur qui ne le serait pas du tout, entraînant des arbitrages réglementaires et des distorsions de concurrence. Mais veillons également à ne pas imposer une réglementation trop uniforme. La finance a besoin d'éco-diversité, d'investisseurs aux comportements différents, qui ne soient pas tous pro-cycliques et court-termistes. La situation actuelle est paradoxale : la réglementation qui pèse sur les assurances les pousse à faire du crédit ; inversement, les banques se mettent à prendre des risques de marché à long terme !

M. Philippe Marini, président. - Les assureurs peuvent jouer un rôle dans le domaine du crédit aux entreprises. M. Gueunier, vous dirigez la division finance structurée d'Axa Investment Managers. Faites-vous du crédit ? Pourquoi le groupe Axa a-t-il choisi cette stratégie ? Quelles sont les conséquences pour les entreprises ? Axa devient-elle une banque parallèle ?

M. Laurent Gueunier, directeur de la division finance structurée d'Axa IM Paris. - Je suis gérant d'actifs ; Axa IM est une filiale d'Axa, qui n'est pas toutefois notre seul client.

M. Philippe Marini, président. - Vous êtes filiale à 100 % d'Axa. Quel est votre rôle ?

M. Laurent Gueunier. - En France, le financement des entreprises passe à 75-80 % par les banques, à 20-25 % par les marchés financiers, via les obligations et la titrisation. En Allemagne, le financement des entreprises est très intermédié ; il l'est moins en Grande-Bretagne. La titrisation est une technique financière de transfert d'actifs à des investisseurs qui ne pourraient y accéder autrement : c'est un simple vecteur. La crise des subprimes est imputable à la mauvaise qualité des actifs et au manque d'information, pas à la titrisation stricto sensu.

M. Philippe Marini, président. - La titrisation a tout de même amplifié la crise !

M. Laurent Gueunier. - Certes, mais cela reste une technique de transfert. Un label privé européen est en cours de création pour garantir la qualité des actifs.

Aux Etats-Unis, les banques ne financent les entreprises qu'à hauteur de 20 % ; pour 80 %, leur financement provient de techniques diverses, notamment de placements privés traditionnels, destinés à des institutionnels.

M. Philippe Marini, président. - Que place-t-on ? Des obligations, des titres ?

M. Laurent Gueunier. - Des créances.

Les situations sont donc très différentes : une même réglementation n'aurait pas le même impact sur le financement des entreprises en France et aux États-Unis ! La désintermédiation conduit à réduire la part du financement bancaire dans le financement des entreprises. Nous constatons un appétit des institutionnels pour le marché obligataire, peu développé en Europe, d'autant qu'ils se sont désengagés du marché actions. La gestion d'actifs vise à orienter et investir l'épargne des institutionnels et des ménages. Si les grandes entreprises n'ont pas de mal à se financer sur les marchés financiers, d'autres sont à la peine, d'autant qu'elles ont vécu le traumatisme de 2008, lorsque le financement s'est asséché. Elles cherchent donc à diversifier leurs financements. Cela crée une convergence d'intérêts entre les banques, qui veulent que leurs clients parviennent à se financer, les investisseurs et les entreprises. Le gérant d'actifs coordonne le tout. Nous n'avons pas vocation à nous substituer aux banques. Nous investissons l'argent du client dans une créance d'entreprise : il n'y a pas d'emprunt, pas de transformation de maturité.

M. Philippe Marini, président. - Rien que de très classique.

M. Laurent Gueunier. - Oui. Seule change la forme des créances. Je récuse donc le terme de shadow banking : les sommes ne sont pas empruntées, la démarche est plutôt vertueuse. Les institutionnels acceptent des maturités plus importantes et sont là pour rester. Les institutionnels comme les gérants d'actifs sont régulés. La France est leader mondial dans la gestion d'actifs, avec 80 000 emplois. Cette industrie est une des clés de la croissance des entreprises.

M. Philippe Marini, président. - Quel est l'ordre de grandeur des créances, obligataires ou autres, que détiennent les fonds que vous gérez ?

M. Laurent Gueunier. - Ce sont presque uniquement de créances obligataires. Le marché a un fort potentiel de développement.

M. Philippe Marini, président. - Quel volume d'émissions pouvez-vous absorber ?

M. Laurent Gueunier. - Il est difficile de faire des prévisions : c'est l'accès aux actifs qui pose problème, pas l'appétit des investisseurs. En Europe, le refinancement sous forme de prêt entreprise est évalué à 200 milliards d'euros par an sur les cinq prochaines années. Les banques auront du mal à y répondre seules, à cause de la nouvelle réglementation. Aux États-Unis, le marché du placement privé sur les entreprises est de l'ordre de 50 milliards de dollars par an.

M. Philippe Marini, président. - Pour Axa, cette activité représenterait donc quelques centaines de millions d'euros d'actifs ?

M. Laurent Gueunier. - Nous espérons plus, mais nous ne sommes pas à l'abri d'une évolution inattendue. En Grande-Bretagne, une initiative similaire de financement en partenariat s'est soudainement retrouvée en concurrence des banques, qui ont fermé l'accès aux créances, ralentissant considérablement le processus... Cependant, si l'on se dirige vers un marché à l'américaine sur ce créneau, nous pouvons espérer un ordre de grandeur de quelques milliards.

M. Philippe Marini, président. - Monsieur Wohleber, qu'est-ce que BlackRock ? Quel type de fonds gérez-vous ?

M. Eric Wohleber, directeur général de BlackRock France. - BlackRock est peu connue, bien qu'il s'agisse de la plus grosse société de gestion au monde : nous gérons 3 600 milliards de dollars, soit 2 900 milliards d'euros. Créée il y a environ vingt ans à New York, elle a grandi pendant la crise en rachetant la gestion de banques en difficulté, notamment tout l'asset management de Merrill Lynch en 2006, puis la gestion de la banque Barclays en 2009. Son seul métier est la gestion de capitaux pour compte de tiers.

M. Philippe Marini, président. - Les crises vous sont donc très bénéfiques !

M. Eric Wohleber. - Elles peuvent être utiles au sens où, comme le dit Warren Buffet, c'est quand la mer se retire que l'on voit ceux qui nageaient sans maillot de bain.

Une société de gestion obéit à certaines régulations. Je dirige la succursale française de BlackRock. Notre objectif est d'offrir des solutions de gestion à des investisseurs, pour la plupart institutionnels, comme les caisses de retraites américaines ou, en France, le Fonds de réserve des retraites ou l'Agirc-Arrco. Nous développons toute une palette de solutions, des plus simples aux plus complexes. À un bout du spectre, des solutions indicielles sur le CAC 40, qui réplique sa performance ; au milieu, des produits qui créent de la valeur ajoutée, puis des produits plus complexes, comme des Sicav intégrant du levier ; à l'autre extrémité, de la gestion alternative, des solutions totalement décorrélées des indices. Le CAC 40 est passé de 6 900 points en 2000 à 3 100 aujourd'hui : on comprend que les institutionnels demandent autre chose. L'Église d'Angleterre a ainsi annoncé qu'elle portait son exposition de gestion alternative de 5 % à 10 % ; ce ne sont pourtant pas des aventuriers !

M. Philippe Marini, président. - Et l'Église grecque ?

M. Eric Wohleber. - BlackRock apporte des conseils aux banques grecques...

La gestion alternative représente 2 000 milliards de dollars, tous opérateurs confondus, soit 5 % des 42 000 milliards que pèse la gestion collective dans le monde. BlackRock gère 110 milliards en gestion alternative, c'est-à-dire en stratégie de hedge fund, de matières premières, etc. Les institutionnels acceptent de déléguer une partie de leur gestion, sachant que le véhicule est complètement réglementé, puisqu'il s'agit d'un mandat, d'une SICAV ou d'un FCP.

M. Philippe Marini, président. - Quel rapport avec le shadow banking ?

M. Eric Wohleber. - Nous ne sommes pas dans le domaine du shadow banking : il y a un mandat de gestion, un contrat passé entre BlackRock et, par exemple, le FRR, rien n'est dans l'ombre. Dans le domaine de la gestion collective, il y a ségrégation des actifs : les actifs du client n'apparaissent pas dans le bilan de BlackRock, mais sont conservés chez un dépositaire - pour le FRR, auprès de la Caisse des dépôts. Il ne s'agit donc pas de banking. L'asset management gère des capitaux pour le compte de clients. Les hedge funds sont détenus par des institutionnels qui disposent de consultants et d'analystes de haut vol.

M. Philippe Marini, président. - Boussard et Gavaudan Gestion est-il un hedge fund, un fonds alternatif ? Pouvez-vous nous apporter un éclairage complémentaire, monsieur Boussard ? Vous reconnaissez-vous dans le terme mystérieux de shadow banking ?

M. Emmanuel Boussard, fondateur de Boussard et Gavaudan Gestion. - Nous sommes un petit hedge fund indépendant, une abeille dans la ruche, sans dimension systémique, qui gère 1,2 milliard d'euros. J'ai du mal à me reconnaître dans la définition du shadow banking. Comme les fonds traditionnels, les hedge funds sont soumis à une stricte régulation de la part de l'Autorité des marchés financiers (AMF), à l'exception du levier, qui est gouverné par le contrat de souscription entre les investisseurs institutionnels et le fonds. Ce levier est obtenu à travers le département des banques appelé le prime brokerage.

M. Philippe Marini, président. - Il n'y a pas possibilité de dire cela en français ?

M. Emmanuel Boussard. - Ce à quoi cela s'apparente le plus serait le mont-de-piété. C'est du prêt sur gage, le plus vieux métier du monde - dans la banque ! Pour obtenir du levier, je dois passer par le département de prime brokerage d'une banque, en lui apportant un actif.

M. Philippe Marini, président. - C'est une pension livrée, une garantie ?

M. Emmanuel Boussard. - On me demande un montant de fonds propres qui dépend de la qualité de risque et de liquidité de cet actif. Ce montant, qui protège la banque, est doublement régulé.

M. Philippe Marini, président. - La banque demandera donc que la valeur des actifs qui lui sont apportés soit largement surdimensionnée par rapport au crédit qu'elle envisage de faire ?

M. Emmanuel Boussard. - Absolument pas. Le prime broker ne s'intéresse pas à la valeur de l'actif, mais seulement à sa valeur liquidative, c'est-à-dire le prix auquel il pourrait le vendre. Des ajustements, des appels de marge, sont quotidiennement réalisés en fonction des fluctuations sur le marché. Le prêteur est donc doublement protégé par cette valeur de liquidation et par le coussin de fonds propres.

M. Philippe Marini, président. - Si l'on se désintéresse de la valeur réelle des actifs, c'est quand même qu'il y a quelque chose de pourri dans le royaume !

M. Emmanuel Boussard. - On ne se pose pas la question de la valeur, mais la question du prix. Quand un particulier achète un appartement, c'est bien qu'il considère que sa valeur est supérieure à son prix.

M. Philippe Marini, président. - Un appartement n'est pas une abstraction.

M. Emmanuel Boussard. - Prenons l'exemple d'une obligation de Danone à cinq ans, notée A-. Mon prime broker me demande 9 % de fonds propres en face de l'obligation. La banque, elle, se finance auprès de la Banque centrale européenne, qui lui demande 5 % de fonds propres. Il y a donc double régulation, à la fois par la demande de fonds propres exigée par la BCE mais aussi par le risk manager de la banque, mon prime broker, qui demande, en sus, un coussin de sécurité correspondant au temps qu'il faudra pour exiger un appel de marge immédiat si l'obligation venait à baisser. Le levier est donc doublement régulé.

M. Philippe Marini, président. - M. Varène, quels liens la BNP entretient-elle avec le secteur bancaire parallèle ? Estimez-vous comme M. Boussard que les risques sont correctement mesurés et gérés ?

M. Thierry Varène, délégué auprès du directeur général pour la grande clientèle de BNP Paribas. - Nous avons en effet des liens d'interconnexion avec le secteur bancaire parallèle, c'est-à-dire des contreparties comme des OPCVM, des fonds d'investissement, du capital-risque. Ce sont des liens de prestation : nous plaçons des fonds auprès d'acteurs qui, la plupart du temps, ne sont pas des banques.

M. Philippe Marini , président. - Dans ses activités de conseil, la BNP joue-t-elle un rôle d'origination de ces créances ? De conseil ? Quels sont les différents rôles de la banque, économiquement parlant et indépendamment de ses statuts ?

M. Thierry Varène. - Nous sommes là pour financer des entreprises. Même si la nouvelle réglementation de Bâle 3 nous invite à désintermédier un peu plus, en Europe et en France, l'intermédiation reste extrêmement importante, en particulier pour les petites entreprises. Pensez que seulement 800 entreprises européennes sont notées, contre 8 000 aux États-Unis.

En Europe, nous avons également un sérieux problème de fonds propres, faute d'actionnaire institutionnel important autre que les États. Comment alors financer l'innovation, les infrastructures ? La BNP prête 67 milliards d'euros aux entreprises françaises. En 2010 et 2011 et au cours du premier trimestre 2012, nos crédits à l'économie réelle ont augmenté de 4 %. Le financement de l'économie reste donc essentiel pour nous. Ce financement doit donc être maintenu, tout en préservant une capacité bénéficiaire élevée et en mettant 75 % de nos résultats en réserve.

La désintermédiation n'implique pas la disparition des banques, car dans l'intermédiation elles jouent un rôle de conseil auprès des entreprises. Elles ont donc une double activité : financer et désintermédier.

Le secteur parallèle ? On constate un déséquilibre entre le financement long à l'économie, qui atteint 19 000 milliards d'euros, et l'épargne longue, qui n'en est qu'à 9 000. Le marché ne peut faire face à un tel écart. Le secteur parallèle peut donc jouer un rôle utile, à condition d'être régulé pour protéger les intérêts des consommateurs et d'être plus transparent. Nous avons une activité de prime brokerage aux États-Unis ; nous devons nous assurer que les risques sont raisonnables et donc nous préoccuper de la valeur de l'actif sous-jacent.

M. Philippe Marini, président. - L'AMF considère-t-elle que tout va bien, que tout cela est normal ? Les activités évoquées vous inquiètent-elles ? Sont-elles dans votre champ de compétences ? Quelles en sont les failles ? Nous suggérez-vous des pistes d'amélioration, et à quel niveau, national, européen, international ?

M. Édouard Vieillefond, secrétaire général adjoint de l'Autorité des marchés financiers (AMF) en charge de la direction de la régulation et des affaires internationales. - Le système financier est très éclaté et complexe. Nous parlons de choses non régulées, comme le shadow banking, qui était surtout un phénomène américain avant la crise : en Europe occidentale il était peu développé car le périmètre de la régulation y est beaucoup plus large qu'aux États-Unis, où certaines activités n'étaient pas régulées du tout.

M. Philippe Marini, président. - Dexia en est mort... parmi d'autres.

M. Édouard Vieillefond. - On est là dans le mal régulé.

Les priorités du Conseil de la stabilité financière, reprises dans le livre vert de la Commission européenne, sont les bonnes. Sa première préoccupation est l'absence de régulation dans certains domaines et le lien entre les banques et ces entités non régulées. Ce lien prend la forme d'un sponsorship ou d'un problème de consolidation. En effet, il y a deux façons de faire du shadow banking : soit on est en dehors de toute réglementation, ce qui n'est pas possible en France mais l'était massivement aux Etats-Unis, soit on passe par une consolidation défaillante.

M. Philippe Marini, président. - Et en Grande-Bretagne ?

M. Édouard Vieillefond. - Le degré de régulation en Grande-Bretagne est intermédiaire entre les États-Unis et l'Europe. Prenons l'exemple de la réglementation des prêts aux particuliers : elle est très exigeante en France, où la banque regarde certes la valeur de la maison mais surtout les revenus, et donc la solvabilité, de l'emprunteur. Ce n'est le cas ni aux États-Unis, ni au Royaume-Uni.

M. Philippe Marini, président. - Ni chez les Irlandais, et cela nous coûte cher !

M. Édouard Vieillefond. - Le deuxième aspect, celui des fonds d'investissement, est plus complexe : certains n'appartiennent pas au shadow banking, ni ne sont systémiques, d'autres le sont. Les fonds monétaires entrent clairement dans la catégorie du shadow banking. Les fonds monétaires à valeur liquidative constante, qui pourraient bientôt exister en France comme aux États-Unis ou au Luxembourg, comportent un risque systémique et devraient être transformés en fonds à valeur liquidative variable.

M. Philippe Marini, président. - Si de tels fonds existent au Luxembourg, pays qui intéresse particulièrement la commission des finances, tout souscripteur français peut y aller de plein droit - et les risques seront partagés.

M. Édouard Vieillefond. - Tout à fait. Il s'agit de fonds OPCVM. Pour les interdire, la seule solution consiste en une réglementation mondiale, ou du moins européenne.

M. Philippe Marini, président. - Peut-on atteindre cet objectif en passant sur le ventre du Luxembourg ?

M. Édouard Vieillefond. - L'Irlande aussi y est opposée.

M. Philippe Marini, président. - Nous la subventionnons, sans aucune conditionnalité, du reste. Le Luxembourg n'est pas en faillite et nous ne le subventionnons pas.

M. Édouard Vieillefond. - Il n'y a pas besoin de conditionnalité, puisque tout dépendra des recommandations de l'Organisation internationale des commissions de valeur (OICV) sur les fonds monétaires à valeur constante, qui doivent paraître en octobre. Le débat est également très vif aux États-Unis.

M. Philippe Marini, président. - Sommes-nous tributaires de la décision des États-Unis ? S'ils interdisent, nous interdisons et s'ils ne font rien, nous ne faisons rien ?

M. Édouard Vieillefond. - Ce n'est pas tout ou rien. Si les États-Unis basculent du bon côté, tant mieux, nous irons vers cette interdiction. Sinon, nous devrons traiter cette différence de régulation. Nous avons en Europe la liberté de décider différemment des États-Unis et de mettre en place certaines barrières. Le Conseil de la stabilité financière tranchera ces questions en fin d'année.

On peut faire du shadow banking sans être systémique, et réciproquement. La question est complexe, et soulève des débats, par exemple sur les hedge funds. Il faut une approche multicritère, voir comment les fonds sont interconnectés, distinguer entre la gestion d'actions et celle de dettes, se demander au moins si elles ne devraient pas être traitées différemment.

Nous manquons plutôt de titrisation ; l'offre existe mais les fonds ne sont pas à la hauteur, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis. Nous voulons promouvoir une bonne titrisation, transparente. Dans la crise des subprimes, c'est la transparence qui a manqué. Le problème n'était pas le fait que certaines obligations étaient pourries mais le fait que les investisseurs l'ignoraient.

Enfin, deux chantiers s'ouvrent au niveau européen et international : la gestion du collatéral, qui devient la troisième contrainte des banques, et qu'il va falloir réguler, et, deuxième chantier, l'harmonisation européenne et internationale du droit du titre.

M. Philippe Marini, président. - C'est une question de concept juridique, un grand enjeu de compétitivité du droit romano-germanique.

M. Édouard Vieillefond. - Les règles françaises diffèrent des règles anglo-saxonnes et cette différence est aussi une source de shadow banking et de risque systémique.

M. Philippe Marini, président. - Nous devons être intransigeants et ne pas donner dans le défaitisme parce que le marché est fondé sur des bases juridiques anglo-saxonnes depuis plusieurs siècles.

M. François Marc, rapporteur général. - Nous voilà partiellement éclairés sur le shadow banking, domaine dans lequel on voit bien que les uns et les autres ne se reconnaissent pas. On voit deux logiques s'affronter, celle de la maximisation du résultat, et celle de la régulation, de la transparence et de la protection du consommateur. Depuis la crise de 2007-2008, on essaie d'introduire des règles, mais la logique de maximisation perdure.

La réglementation bancaire renforce le modèle de désintermédiation. Mais la régulation internationale a-t-elle répondu aux vraies questions ? L'arsenal européen comporte de nombreuses réglementations financières. Quelles en sont les lacunes ? L'Europe est-elle un bon élève ? Que devons-nous attendre des travaux du CSF ? En ce qui concerne les entités systémiques, quelles mesures seraient à prendre en cas de défaillance d'un de ces acteurs ?

Je m'interroge également sur les paradis fiscaux : est-ce qu'ils ne facilitent pas les activités de shadow banking ? Certains pays européens ont-ils des stratégies comparables à celles des paradis fiscaux, et qui reviendraient à « dérouler un tapis rouge » aux activités de shadow banking ?

Enfin, peut-on voir un lien de causalité entre le développement d'un système bancaire parallèle et l'encadrement de plus en plus drastique des rémunérations dans les banques ?

M. Hervé de Villeroché. - La place du shadow banking est d'autant plus grande que la désintermédiation est forte. Celle-ci donne à ceux qui ont besoin de financement un accès direct au marché. C'est évidemment plus facile quand les marchés de capitaux sont plus développés. La désintermédiation peut augmenter en Europe, mais ce n'est pas encore tout à fait fiable vu l'insuffisance de capitaux. Le secteur bancaire doit rester important car il assure un financement plus stable.

Nous sommes optimistes sur les travaux du Conseil de stabilité financière, même si la communauté internationale ne fait pas toujours preuve de bonne volonté et qu'ils n'aboutissent pas forcément sur une réglementation. Ce sont des travaux de qualité : avant, nous n'avions rien sur ces questions.

Le risque systémique peut venir de petites entités, de type fonds monétaires, et aussi d'entités non bancaires qui sont systémiques par leur taille. Imaginons - pour les besoins du raisonnement ! - un choc de confiance concernant BlackRock : le risque de vente d'actifs serait très important.

Je ne fais pas de lien entre les paradis fiscaux et le shadow banking. L'arbitrage réglementaire joue davantage que l'arbitrage fiscal.

De fait, il y a moindre régulation des opérateurs de marché pour les hedge funds que pour les banques. De ce fait, l'encadrement croissant des rémunérations dans les banques peut, en effet, inciter ceux qui recherchent des rémunérations élevées à se placer hors des banques.

M. Jean Arthuis. - A travers le shadow banking, nous découvrons que les banques n'ont pas le monopole du financement de l'économie et des sphères publiques. Au fond, toutes nos déconvenues ne proviennent-elles pas d'un manque de vigilance des investisseurs et des pouvoirs publics ? Je pense à la Grèce, à l'Irlande... Comment revenir à une plus grande vigilance, comment s'affranchir des agences de notations, exiger des investisseurs une plus grande responsabilité ? Les régulateurs doivent être humbles et ne pas laisser se concentrer à l'excès les opérateurs à risque systémique. Une vraie gouvernance européenne est-elle la solution ? Le temps n'est-il pas venu pour l'Eurogroupe d'avoir un ministre des finances à temps plein et qui ne soit pas soupçonné de conflits d'intérêts avec son propre ministère, dans lequel il fait preuve d'une grande imagination ? De même, une direction générale du trésor européen serait la bienvenue.

M. Joël Bourdin. - Comme M. Vieillefond, je regrette que la titrisation ne soit pas plus répandue. Comment pourrait-on la valoriser ?

Je m'interroge sur les fonds de matières premières, qui génèrent des mouvements de capitaux considérables. Ceux-ci se déroulent-ils dans un cadre régulé ou dans le secteur parallèle ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je reste sur ma faim quant à la définition du shadow banking. J'ai bien compris que c'est la traduction du fait que les banques ne peuvent pas financer la totalité de l'économie. La vraie question c'est que ces entités peuvent échapper à la régulation de Bâle 3. Je ne vois pas l'intérêt de la classification des acteurs comme faisant ou non partie du shadow banking. Le seul vrai sujet est celui de la régulation. Faut-il ou non réguler telle ou telle activité en fonction des risques, notamment systémiques, qu'elle comporte ?

A ce stade, l'expression de shadow banking me paraît totalement théorique. Ce n'est pas du tout un système en soi. Elle n'a pas de réalité concrète. Fondamentalement, en faire partie ou pas, quelles conséquences en tirez-vous ? A mon avis, aucune, même si j'aimerais être contredite.

M. Jean Germain. - La réglementation bancaire plus contraignante de Bâle 3 risque de développer le secteur bancaire parallèle, comme la prohibition a encouragé la vente d'alcool sous le manteau. La traduction de shadow est elle-même un enjeu : avec « caché » ou « parallèle », on ne dit pas la même chose.

Je me souviens du ratio Cook et du lancement de la titrisation par Pierre Bérégovoy... Quand le Crédit lyonnais s'est écroulé, il n'avait rien d'une banque parallèle, c'était une grande banque dirigée par la fine fleur de l'administration, comme d'ailleurs Dexia. Le vrai problème, c'est celui de la transparence. Comme le dit Jean Arthuis, le capitalisme c'est le risque, mais le risque ce n'est pas flouer tout le monde. Il faut une régulation qui n'étrangle pas le secteur parallèle, dont nous avons besoin - parallèle qui ne doit pas systématiquement être synonyme de risqué. Entre l'hypothèque sur la maison de la grand-mère et les subprimes, la marge est grande.

L'économie réelle doit pouvoir se financer directement sur le marché obligataire. Le rôle de ce marché est important : 20 % en Europe, beaucoup plus aux États-Unis. Si l'on compte uniquement sur des banques financées à 1 % par la BCE, et qui octroient des crédits autour de 5 %, alors qu'aux États-Unis une entreprise trouvera sur le marché obligataire à se financer à 3,5 %, il ne faut pas s'étonner d'être à la peine. Laissons le syndrome louis-quatorzien de la meilleure administration du monde !

Pour le reste je partage l'analyse de Jean Arthuis : on peut réguler le capitalisme sur le plan économique et, du point de vue politique, imposer une certaine moralisation. Il y a une différence entre ce qui est spéculation et ce qui ne l'est pas.

M. Richard Yung. - Le shadow banking recouvre des activités très différentes ; certaines sont bien identifiées mais il existe aussi une palette de produits de plus en plus sophistiqués. A-t-on toute l'information nécessaire à leur sujet ? Comment la régulation va-t-elle évoluer ? Faut-il appliquer à ces activités les mêmes règles qu'au secteur bancaire, comme semble le suggérer la Commission européenne ?

M. Philippe Marini, président. - L'AMF contrôle les marchés financiers et l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) les banques et les assurances ; travaillent-elles de concert ? Comment vivent-elles leur complémentarité ?

M. Hervé de Villeroché. - A travers la proposition de Jean Arthuis d'une direction du trésor européenne, la question qui est posée est celle du degré d'intégration pour réguler ces activités. L'exemple du Luxembourg est parlant : seule une réglementation européenne de qualité réduira le risque. L'échelon européen est le plus pertinent. Autrement, l'arbitrage se développera, ici au Luxembourg, là en Irlande ou ailleurs.

La titrisation présente un intérêt certain mais il faut lui redonner de la crédibilité. Pour cela, deux conditions. La banque qui « origine » le crédit doit garder un intérêt dans l'opération de titrisation. A cet effet, un système de rétention de 5 % a été mis en place. On s'interroge d'ailleurs pour savoir si ce pourcentage est suffisant. Je crois également qu'il faut se contenter de produits simples et qu'on évite de la faire au carré. La relance de la titrisation passe par la simplification et la labellisation.

Quant aux prises en pension et au droit des titres, ils constituent un très grand enjeu mondial.

Plus on réglemente les banques, plus on crée de l'incitation à l'arbitrage réglementaire. On peut penser que l'accès des banques à une base de dépôts stables réduira le shadow banking. En revanche, si les banques ont un besoin de financement élevé sans disposer des ressources nécessaires, la tentation sera forte de céder les risques et pas forcément les meilleurs...

Suffirait-il d'appliquer au secteur parallèle les règles bancaires ? Oui, mais ce n'est pas toujours faisable car le fonctionnement des fonds n'est pas le même que celui des banques. Et l'imagination des financiers est sans limite.

M. Édouard Vieillefond. - Absence de réglementation bancaire ne signifie pas absence de toute règle. Il existe sur le marché d'autres approches, notamment ce qu'on appelle les règles de conduite qui jouent un rôle très important.

Sur la titrisation, nous avons lancé, au sein de l'organisation internationale des commissions de valeur (OICV), un groupe de travail que je co-préside, avec deux chantiers. Le premier chantier concerne l'arbitrage réglementaire sur l'obligation de rétention d'une partie du risque dans le bilan des banques, qui était un des grands principes du G 20 et qui n'est pas bien appliqué aux États-Unis. Le second chantier concerne la transparence et la simplification des produits, à l'instar de ce qui se pratique en Europe pour les OPCVM. Nous essayons aussi de rassembler les différentes initiatives internationales de labellisation : l'idéal serait de converger vers un label international. Enfin, j'insiste sur le fait qu'en matière de titrisation, rien ne se fera sans règles prudentielles intelligentes.

Les matières premières ont constitué une grande priorité de la présidence française du G 20. L'OICV a formulé des recommandations, notamment que certains principes soient respectés, comme celui des limites de position. Le monde des dérivés rattachés à ces matières premières doit être bien régulé : nous y travaillons au niveau européen. Ce qui fait défaut, c'est une régulation des marchés au comptant. Enfin, l'interaction entre les matières premières, les marchés au comptant et les marchés financiers doit être mieux organisée.

Les informations dont nous disposons sont clairement insuffisantes, mais nous faisons beaucoup de progrès, notamment grâce à la directive AIFM issue d'un principe du G 20. Autre exemple, celui des dérivés : grâce au règlement Emir, nous allons avoir beaucoup plus d'informations. Bien sûr, il nous manque encore beaucoup d'éléments, sur la visibilité des prêts-emprunts de titres ou la gestion du collatéral notamment.

En ce qui concerne l'évolution de la régulation internationale, nous avons la possibilité, en cas de désaccord, de ne pas faire la même chose que nos partenaires. Au niveau européen, il y a en revanche une nécessité absolue de s'accorder, d'où l'importance du rôle de l'Autorité européenne des marchés financiers. On commence à avoir des normes techniques qui vont obliger les uns et les autres à jouer le jeu : c'est un progrès.

Enfin, nous travaillons effectivement avec l'ACP. Au niveau micro-prudentiel, nous avons un pôle commun pour la surveillance des produits financiers. Nous collaborons aussi beaucoup avec l'ACP et la Banque de France sur les risques systémiques et macro-prudentiels, de façon informelle et via le Conseil de régulation financière et du risque systémique (COREFRIS) qui rassemble notamment l'ACP, la Banque de France et l'AMF. La réponse que nous ferons à la Commission européenne sur l'évolution de la régulation sera un document rédigé en commun par le Trésor, l'ACP et la Banque de France.

M. Éric Wohleber. - Il est vain de chercher à faire la liste ce qui fait partie du shadow banking ou non. Il s'agit plutôt d'identifier les zones qui doivent être prises en considération : le prêt-emprunt de titres, la gestion du collatéral par exemple, qui joue un rôle fondamental. Nous avions prêté 3 milliards à Lehman Brothers ; nous avions un collatéral que nous avons vendu en huit heures, grâce à quoi nous n'avons pas eu de pertes.

Je regrette qu'on ait mis de côté la notion de contrôle des risques dans le débat : à mon avis, elle est centrale. Voulons-nous procéder aux investissements nécessaires pour avoir un contrôle des risques efficace ? Cela coûte cher...

M. Thierry Varène. - Les clients ont besoin d'avoir en face d'eux des institutions solides, c'est-à-dire adaptées à la nouvelle réglementation et qui aient des bases solides en matière de dépôt. Les banques françaises prêtent plus que ce qu'elles ont en dépôt : il faut donc être très attentif.

La question du risque systémique n'est pas simple. Prises une à une, les caisses d'épargne espagnoles, les cajas, ne sont pas systémiques ; toutes ensemble, elles le sont. C'est pourquoi une supervision européenne serait bienvenue à condition qu'elle ne différencie pas le cas des uns et des autres. Je pense notamment au cas de Northern Rock, qui n'était pas considéré comme systémique mais qui a coûté 300 milliards de livres au Royaume-Uni.

En ce qui concerne la désintermédiation, tout ce qui concourt à redonner des marges de manoeuvre à l'économie et à la croissance doit être entrepris. Lorsqu'on parle du rapport 80-20 entre financement intermédié et désintermédié, en réalité, il convient de garder à l'esprit que les banques ne sont pas exclues de la désintermédiation : elles y participent avec l'avantage d'une meilleure information que celle des intervenants non bancaires.

M. Olivier Garnier. - Il y a de la bonne et de la mauvaise désintermédiation : ce qui est déterminant est la qualité de l'origination. Notre préoccupation en tant que banques doit être de garder un rôle en la matière.

M. Germain évoquait les taux d'intérêts élevés pratiqués par les banques qui empruntent à la BCE au taux de 1 % : c'est à mon sens une idée trompeuse, car ces emprunts à la BCE, qui s'élèvent à 500 milliards, ne représentent qu'une très faible partie des prêts qu'elles consentent à l'économie. Sur les marchés, les banques se financent plus cher que les États.

M. Thierry Varène. - Elles mettent en face leurs meilleurs actifs éligibles, ce n'est donc pas un cadeau.

M. Philippe Marini, président. - C'est tout de même une façon de créer de la marge et de renforcer ses fonds propres.

M. Jean Arthuis. - Sans doute, mais les taux d'intérêt sur les titres à deux ans émis par les États sont inférieurs à 1 %.

M. Philippe Marini, président. - Une banque n'est pas cotée comme un Etat, peut-être à tort...

Nous pouvons conclure en disant que le système bancaire parallèle ne mérite aucun opprobre, qu'il répond à une fonction économique nécessaire, mais qu'il y a un besoin de transparence et de régulation à satisfaire. Concernant la collatéralisation, sur les fonds monétaires à valeur liquidative constante, la législation communautaire doit progresser. Il faut inciter l'exécutif et les collèges de régulation à pousser les feux dans ces domaines. N'oublions jamais qu'il vaut mieux avoir une connaissance réelle des actifs plutôt que de s'en remettre à des cotations artificielles et au pur jeu de la spéculation.

Le marché des obligations foncières, conçu en 1998, est un exemple de titrisation sécurisée, véritable innovation financière qui a donné naissance à un grand marché, sur lequel les acteurs français sont en pointe. Nous l'avons créé en pensant à l'audit, à la vérification des valeurs, au surdimensionnement des gages apportés, condition de la sécurité. Toujours les mêmes concepts !