Mardi 16 octobre 2012

- Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente -

Audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

La délégation procède à l'audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je suis particulièrement heureuse, Madame la Ministre, de vous accueillir ce matin, en mon nom propre et en celui de mes collègues de la délégation, pour cette audition qui va nous permettre de procéder ensemble à un premier tour d'horizon sur les problématiques qui relèvent de votre responsabilité.

Je tiens tout d'abord à rappeler notre satisfaction d'avoir - enfin - pour interlocutrice une ministre à part entière, nommément en charge de cette politique.

La nomination d'un ou d'une ministre spécialement chargé(e) des droits des femmes a été, vous le savez, au cours de ces dernières années, une demande récurrente de notre délégation, comme de l'ensemble du mouvement associatif féministe. Votre nomination, qui plus est au sein du premier gouvernement paritaire de la République, nous a donc paru, d'emblée, très encourageante et j'avais tenu à la saluer, au nom de notre délégation, dans un communiqué de presse du 21 mai 2012.

Vous vous êtes attachée, dès les premiers mois de votre prise de responsabilités, à donner une nouvelle impulsion à cette politique, en consolidant ses bases institutionnelles : nomination dans chaque ministère de hauts fonctionnaires à l'égalité des droits, rénovation du Comité interministériel aux droits des femmes qui ne s'était plus réuni depuis 2000 et se réunira dorénavant au moins deux fois par an, rénovation en cours de l'Observatoire de la parité.

Au cours de la discussion parlementaire de la nouvelle loi relative au harcèlement sexuel, vous vous êtes, en outre, engagée à créer un Observatoire national des violences envers les femmes que les défenseurs des droits des femmes réclamaient depuis plusieurs années. Je souhaiterais, Madame la Ministre, que vous puissiez nous éclairer sur la façon dont ces dispositifs nouveaux s'agenceront, et un état de vos réflexions quant à la forme que prendront l'Observatoire de la parité et l'Observatoire des violences.

S'agissant de la lutte contre les violences envers les femmes, mes collègues et moi-même seront très intéressés par les précisions que vous pourrez nous donner sur les modalités de réalisation d'une nouvelle enquête sur les violences envers les femmes que nous appelons de nos voeux, ainsi que sur les conditions d'application de la loi du 9 juillet 2010. Vous avez déjà, le 2 octobre 2012, donné certaines explications en séance publique à notre collègue Roland Courteau, mais je souhaiterais que nous puissions revenir sur la façon de remédier aux difficultés de mise en oeuvre des ordonnances de protection, sur la façon d'améliorer la possibilité d'hébergement des femmes victimes de violences et sur les choix que vous opérez en matière de dispositifs de prévention, notamment grâce à des téléphones portables. Sur ce thème des violences envers les femmes, je voudrais vous exprimer, Madame la Ministre, l'émoi que le jugement récent dans l'affaire des viols collectifs de Créteil a suscité dans tout le pays. J'ai participé au rassemblement d'hier et j'y ai senti beaucoup de colère.

En matière d'égalité professionnelle, et plus généralement d'accès des femmes au travail, nous avons le sentiment que beaucoup reste à faire. Les auditions que nous conduisons depuis le début de l'année sur ce thème nous l'ont confirmé : la dynamique de l'égalité marque le pas depuis les années 1990 et un fossé se creuse entre les femmes hautement qualifiées qui accèdent au marché du travail dans des conditions correctes quoique inférieures à celles des hommes, et les femmes peu qualifiées qui sont confrontées, de plus en plus, à la précarité et à la pauvreté. Nous avons reçu la semaine dernière, les principales organisations syndicales et nous souhaitons recueillir vos analyses et les conclusions que vous tirez à votre tour de la grande conférence sociale dont vous avez animé la quatrième table-ronde, consacrée à l'égalité professionnelle.

La parité politique est, vous le savez, au coeur de nos préoccupations et notre délégation lui a consacré un rapport en juin 2010, à l'occasion de la réforme territoriale et du mode de scrutin pénalisant envisagé pour l'élection du conseiller territorial. Au lendemain des États-généraux de la démocratie territoriale, pouvez-vous nous présenter les pistes que le Gouvernement explore pour améliorer la place des femmes dans les mandats nationaux et locaux.

L'accès à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) restent aussi une des préoccupations constantes de notre délégation : il faut donner aux femmes la possibilité de choisir la contraception la plus adaptée à leurs besoins et leur permettre d'accéder à l'IVG dans des délais raisonnables sur l'ensemble du territoire.

Enfin, puisque nous entrons dans la période où le Parlement va aborder la discussion du projet de loi de finances, je souhaiterais que vous puissiez nous dire un mot des moyens financiers et humains dévolus à votre administration. J'ai noté que les crédits du programme 137 affectés au Service des droits des femmes enregistraient une hausse de près de 15 % - 14,8 % pour être précis -, ce qui me paraît encourageant.

Peut-être pourrez-vous nous donner des précisions sur les orientations qui guideront l'utilisation des 6,3 millions d'euros inscrits dans la nouvelle action 14 intitulée « actions de soutien et d'expérimentation ».

J'ai noté que, s'agissant des subventions versées aux associations qui sont les partenaires traditionnels de votre ministère, le « bleu » budgétaire ne fournissait pas, cette année, toutes les précisions habituelles car de nombreuses conventions pluriannuelles étaient en cours de renégociation. Nous savons la qualité du travail effectué sur le terrain par ces partenaires précieux de l'action publique et, même si certains réajustements sont certainement nécessaires dans le cadre de la nouvelle impulsion que vous donnez, j'espère qu'elles pourront en 2013 bénéficier d'un effort soutenu de l'État.

Enfin, j'ai relevé que le projet de budget prévoit cinq créations de postes dans l'administration centrale, ce qui me paraît positif, mais je souhaiterais qu'une attention soit portée également aux services déconcentrés chez lesquels des tensions nous ont été fréquemment rapportées ces dernières années, notamment à l'occasion des fins de contrats de personnels mis à disposition à titre gratuit par d'autres administrations.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte parole du Gouvernement. - Je suis heureuse d'être parmi vous après quelques mois d'activité dans ce ministère. Je sais que sa création a suscité un certain nombre d'espoirs. Son programme de travail est fortement alimenté, aussi, par vos réflexions et votre engagement.

Une illustration récente de votre contribution est, bien entendu, le travail que nous avons réalisé en commun suite à l'abrogation du délit de harcèlement sexuel. J'ai bien conscience que les choses se sont faites dans la précipitation, mais je tiens de nouveau à saluer la qualité de ce travail qui a permis, en un temps record, de faire adopter la loi du 6 août 2012. Même si on ne retient pas toujours cette loi quand on fait le bilan des premiers mois d'activité du Gouvernement, je pense que d'avoir initié notre mandature par l'adoption d'un texte qui condamne les violences sexistes est un signal fort pour aborder les questions liées aux violences dans les années qui viennent.

Si vous le voulez bien, je vous propose de faire un point d'étape de mon action et de la mise en oeuvre de mes priorités à la tête du ministère, cinq mois jour pour jour après la nomination du premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

Depuis cinq mois, nous avons remis les droits des femmes au rang des politiques publiques : nous avons réinstallé un ministère des droits des femmes ; comme je viens de l'évoquer, nous avons fait voter la loi sur le harcèlement sexuel ; nous avons mis la question de l'égalité professionnelle femmes-hommes au coeur de la grande conférence sociale qui s'est tenue en juillet 2012 et nous avons, à cette occasion, défini une feuille de route en commun avec les partenaires sociaux.

A cet égard, je tiens à rappeler que les partenaires sociaux n'avaient plus négocié sur le sujet de l'égalité professionnelle depuis 2004.

Tout prochainement, nous tiendrons le comité interministériel des droits des femmes dont vous avez rappelé, Madame la Présidente, qu'il ne s'était plus réuni depuis douze ans. Il doit se traduire par quelques mesures immédiates et fortes pour les droits des femmes et l'égalité entre les sexes. Il définira également, pour chaque ministère, une feuille de route et permettra de prendre en compte la question de l'égalité dans l'ensemble des dimensions de l'action de l'État.

Pour préparer cette évolution, nous avons dû assez profondément repenser les méthodes de travail du Gouvernement. Ces derniers mois, mes collègues ont remobilisé leurs ministères sur ces questions d'égalité. Ils m'ont fait des propositions dans un cadre que nous avons structuré et que je souhaite désormais permanent : des conférences de l'égalité se sont tenues tout au long du mois de septembre ; au cours de ces réunions contradictoires, chaque ministère a été invité à repenser sa contribution à la politique de l'égalité. Nous conduisons ces réunions à la façon des conférences budgétaires. Parfois, le ministère aux droits des femmes se trouve en désaccord avec d'autres ministères : dans ce cas, les décisions sont soumises à l'arbitrage du Premier ministre.

Mes collègues ministres se sont impliqués personnellement dans ce travail, y compris, pour la quasi-totalité d'entre eux, en s'inscrivant à des séances de sensibilisation sur les stéréotypes de genre que nous avons proposés en lien avec l'Association nationale des directeurs de ressources humaines. Outre cette sensibilité personnelle, ils ont désigné auprès d'eux, comme cela leur a été demandé par le Premier ministre, un haut fonctionnaire à l'égalité des droits et chargé l'un de leurs conseillers, au sein de leur cabinet, d'une fonction de référent. Après quelques semaines de travail, nous pouvons donc dire que nous sommes en train de constituer un véritable réseau pérenne et mobilisé, au delà du seul ministère aux droits des femmes.

Je pense que, d'une certaine façon, on peut donc parler d'une forme de « révolution souterraine », celle de l'institutionnalisation du réflexe - je dirais même de l'obsession - de l'égalité dans toutes les procédures de travail de l'État.

Au 1er janvier 2013, s'appliquera la loi dite « Sauvadet », prescrivant une représentation équilibrée dans les emplois de cadres dirigeants de la fonction publique, notamment. Sur ce sujet, nous avons déjà progressé : nous avons atteint 16 % de femmes dans les nominations depuis le mois de mai. Même si, me direz-vous, c'est encore trop peu, il est important de savoir que des bilans très réguliers pourront être réalisés après l'entrée en vigueur de la loi, ceci afin de maintenir la pression sur chaque administration, de la même façon que nous rappelons l'objectif en Conseil des ministres. A cet égard, nous avons obtenu des nominations de hauts fonctionnaires strictement paritaires lors du Conseil des ministres du 3 octobre 2012.

Un autre exemple de l'institutionnalisation du réflexe de l'égalité est la systématisation des études d'impact : depuis la circulaire du Premier ministre du 20 août 2012, le principe a été, désormais, retenu d'accompagner les études d'impact des projets de loi d'un volet permettant d'apprécier l'apport du texte au regard de l'égalité entre les femmes et les hommes. Ce qui est intéressant, c'est que ces études seront mises en ligne sur le site internet du ministère des droits des femmes pour en faire une procédure ouverte au « grand public » et faire en sorte qu'elle s'améliore.

Pour l'élaboration de ces études d'impact, notre ministère interviendra en soutien des autres ministères ayant la responsabilité des textes. Dans le budget 2013, une enveloppe budgétaire est spécialement prévue pour permettre la mise en place une équipe dédiée au sein du Service des droits des femmes, mais nous travaillons également avec des institutions indépendantes, notamment l'Institut des politiques publiques de l'École d'économie de Paris et le laboratoire PRESAGE de l'Institut d'études politiques, pour établir chaque année des évaluations exhaustives des effets sexués des grands textes financiers.

Mon rôle, bien sûr, est de créer un travail collectif avec l'ensemble de mes collègues pour pousser plus loin les possibilités d'action du Gouvernement en matière d'égalité.

Je pense en particulier à la question de la parité politique, à laquelle je vous sais particulièrement sensibles. C'est un sujet sur lequel nous travaillons en lien étroit avec le ministère de l'Intérieur. Le Président de la République, vous le savez, a pris des engagements concernant les élections locales. Je me suis, pour ma part, entretenue avec Lionel Jospin sur ces questions dans le cadre de la mission qui lui a été confiée. En ce qui concerne les élections cantonales, on se dirige vers un mécanisme de scrutin binominal, dans le cadre de cantons redécoupés.

Je pense aussi à la question internationale : avec le ministre des Affaires étrangères, nous avons défini devant nos ambassadeurs lors de la dernière conférence qui les a réunis à Paris, les lignes directrices d'une véritable « diplomatie des droits des femmes ». Nous devons être plus offensifs pour soutenir, au niveau européen, les initiatives porteuses de progrès - comme, par exemple, l'initiative de la commissaire Viviane Reding concernant l'institution de quotas de femmes dans les conseils d'administration des grandes entreprises européennes - mais aussi pour défendre, au niveau international, les engagements de Pékin contre une forme de relativisme culturel que l'on a vue à l'oeuvre ces dernières années, et qui menace les droits des femmes et, notamment, le droit à l'avortement.

Pour mettre en oeuvre ces nouvelles politiques, le Premier ministre a souhaité que nous disposions des moyens d'agir.

Dans un contexte budgétaire très contraint, le budget de mon ministère est inscrit au rang des priorités du Gouvernement et voit ses crédits progresser dès 2013 de 15 %, avec 23,3 millions d'euros. Au delà du programme 137, je pourrai disposer des moyens du service d'information gouvernemental (SIG) pour conduire des actions de communication et de sensibilisation ainsi que des campagnes d'information. Je pourrai aussi compter sur une enveloppe de 12 millions d'euros de crédits du Fonds structurel européen (FSE) pour mener des expérimentations avec les régions et les partenaires sociaux, en particulier sur la problématique égalité professionnelle.

S'agissant de moyens humains, le plafond d'emploi des personnels affectés à la politique des droits des femmes est porté de 184 à 189 emplois (équivalent temps plein travaillé, ETPT). Les cinq postes ainsi créés au service des droits des femmes et de l'égalité, auront vocation à soutenir l'animation du réseau ainsi qu'à permettre la création d'un fonds d'expérimentation sociale et la mise en place des études d'impact. Quant aux moyens des services déconcentrés, ils seront maintenus, y compris lorsqu'ils sont constitués d'emplois mis à disposition.

Pour utiliser au mieux ces moyens qui, même en augmentation, restent limités, nous devons mettre l'accent sur des expérimentations qui, parce qu'elles seront évaluées, auront de véritables effets de levier. Dans le domaine de l'égalité professionnelle, par exemple, à côté des négociations initiées le 21 septembre 2012 par les partenaires sociaux et portant notamment sur les questions de temps partiel et de la conciliation vie personnelle / vie professionnelle, nous travaillons avec huit régions que nous avons désignées comme « région d'excellence » pour tenter d'apporter des réponses à des questions que nous estimons structurelles, tels les programmes d'accompagnement des femmes en congé parental long, afin de les aider à retrouver un emploi à l'issue de celui-ci.

De manière générale, je veux aussi et surtout nouer davantage de liens avec les collectivités territoriales et avec leurs élus.

La plupart des préfets ont signé des plans régionaux stratégiques en faveur de l'égalité ; il n'a pas été possible, partout, de travailler avec les collectivités. Je souhaite que cela soit plus systématique, comme nous avons commencé à le faire en matière d'égalité professionnelle ou, de manière encore exploratoire, en matière de contraception. Il y a une quinzaine de jours, j'ai réuni neuf régions expérimentales pour faire un point sur les effets du dispositif de « pass contraception » et, peut-être, avancer vers leur généralisation.

Nous devons plus structurellement travailler avec les élus chargés des droits des femmes dans les collectivités, et faire davantage connaître les actions innovantes sur le territoire : cela suppose de mieux connaître les actions des collectivités en la matière. C'est pourquoi, je proposerai au Premier ministre de désigner prochainement un parlementaire en mission sur le sujet « collectivités locales et égalité entre les sexes ».

J'en viens maintenant aux politiques que je défends.

Lorsque je fais le point sur ce que doit être la mission d'un ministère aux droits des femmes, redevenu de plein exercice après presque trente ans d'absence, j'ai le sentiment ambivalent d'avoir à la fois beaucoup de travail, car il reste beaucoup à faire dans de nombreux domaines et, paradoxalement, lorsque j'examine les textes, il me semble que les lois sont déjà très étoffées. Ce sentiment me conforte dans l'idée que nous devons construire aujourd'hui la troisième génération de droits des femmes : après la conquête des droits civiques reconnus à la Libération - le droit de vote, le droit d'ouvrir un compte sans l'aval de son mari... - puis, dans les années 1970, la reconnaissance des droits économiques et sociaux ou, en 1980, les droits liés à la condition de femme - la contraception, l'avortement... -, il nous faut aujourd'hui travailler à l'obtention de droits porteurs d'égalité réelle.

Le problème, aujourd'hui, c'est que les textes ne sont pas appliqués et sont même remis en cause dans les faits. Le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) butte sur la fermeture des centres et la difficulté de trouver un nombre suffisant de médecins qui acceptent de pratiquer ces actes. En matière d'égalité professionnelle, vous connaissez la situation...

Je crois que l'ineffectivité de la loi tient au fait qu'on a insuffisamment travaillé sur les mentalités. Il faut bousculer les représentations et s'attaquer aux stéréotypes sexués partout : dans la famille, à l'école, dans l'administration, au Parlement, dans l'entreprise...

Si les lois ne sont pas suffisamment appliquées, c'est parce que l'on n'a pas suffisamment avancé sur les mentalités et la lutte contre les stéréotypes. Ainsi, avec Vincent Peillon, nous travaillons à l'introduction d'une formation ludique à l'égalité dès la maternelle, à la mise en place, dans la formation des enseignants, de modules consacrés à la déconstruction des stéréotypes, à l'occasion de la nouvelle loi sur l'école. Par ailleurs, nous souhaitons que l'éducation à la sexualité fasse réellement l'objet d'un enseignement à l'école, de la maternelle à la terminale, comme il est prévu dans la loi de 2001. Enfin, il faut travailler sur l'orientation pour casser la ségrégation sexuée de certaines filières professionnelles.

L'école est donc un vecteur essentiel. Mais les stéréotypes et les représentations sexistes sévissent aussi dans le sport et les activités associatives et également dans les médias et la publicité. Nous avons commencé à travailler sur ces sujets. Ils ont des conséquences concrètes à plus ou moins long terme : les violences sexistes, la faible ambition scolaire des jeunes filles, leur moindre présence dans les filières scientifiques ou très sélectives et, plus tard, dans la vie professionnelle, leur moindre présence dans les emplois supérieurs.

La lutte contre les stéréotypes sexués doit donc, pour moi, être au coeur du comité interministériel.

Pour diffuser de manière active un discours positif sur le sujet, j'ai demandé à des jeunes du service civique de nous accompagner, pour s'investir dans des actions de sensibilisation et de formation sur les stéréotypes, notamment auprès des établissements scolaires, mais aussi dans les centres sportifs avec, comme feuille de route, la déconstruction des stéréotypes et l'apprentissage de l'égalité.

La deuxième priorité, c'est l'égalité professionnelle, qui a été, comme je vous le disais, au centre des discussions de la grande conférence sociale. Lors de cette conférence, un diagnostic commun aux organisations syndicales, patronales et à nous-mêmes, représentants de l'État, a pu être établi, concernant le « triangle de faiblesses » qui conduit aujourd'hui à reléguer systématiquement au second plan, dans l'ordre des priorités, l'égalité entre femmes et hommes dans l'entreprise. La première faiblesse, c'est celle de l'État, qui adopte des lois mais ne veille pas à leur application. La seconde, c'est celle des organisations syndicales, qui sont toutes d'accord pour considérer le sujet comme essentiel, mais omettent de l'inscrire parmi les sujets prioritaires dans la négociation. A cet égard, nous devons aussi nous intéresser à la représentation des femmes dans les organisations représentatives du personnel... La troisième faiblesse, ce sont les entreprises elles-mêmes, et notamment les petites et moyennes entreprises (PME) et le tissu économique intermédiaire, qui voient dans les inégalités entre femmes et hommes un problème de la société toute entière qui les dépasse. C'est sur ces trois leviers que nous voulons agir pour que les choses changent.

S'agissant de l'État, nous avons effectivement adopté des lois en faveur de l'égalité professionnelle, mais nous les avons accompagnées, notamment en 2010, de dispositifs de contrôle des entreprises tellement complexes qu'ils n'ont pas pu être appliqués. Même si la sanction est lourde - jusqu'à 1 % de la masse salariale - les entreprises, nous le savons bien, sont rarement contrôlées et jamais sanctionnées. Nous allons, par conséquent, revoir le dispositif de contrôle. Aujourd'hui, il faut qu'un inspecteur du travail constate sur place une carence - que ce soit l'absence de rapport de situation comparée, de plan d'action ou d'accord négocié -. Or, nous le savons bien, le manque d'effectif au sein de l'inspection du travail et le fait que l'égalité professionnelle ne soit pas un sujet prioritaire pour ce corps d'inspection rendent la méthode aléatoire.

Par conséquent, nous souhaitons remplacer ce dispositif de contrôle sur place par un contrôle sur pièces. Ainsi, le nouveau décret d'application de l'article 99 de la loi sur les retraites, qui devrait paraître à la fin du mois d'octobre, prévoira l'obligation pour les entreprises d'envoyer leurs accords négociés ou leurs plans d'action aux Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTES), pour que les services déconcentrés puissent en vérifier l'existence ainsi que le contenu des accords. En cas de constat de carence, les sanctions tomberont.

Même si les situations seront examinées au cas par cas pour évaluer le montant de la sanction financière, je pense que le fait de rendre le couperet de la sanction plus tangible aura nécessairement un effet - d'abord préventif - sur la politique d'égalité des entreprises.

S'agissant des 26 % d'écarts salariaux entre les femmes et les hommes, nous savons bien que seulement 9 % environ relèvent de la discrimination pure, à qualification et caractéristiques d'emplois équivalents.

Or, ce qui me préoccupe, c'est ce qui correspond à ce que j'appellerai les « angles morts » de l'égalité professionnelle : la surreprésentation des femmes parmi les travailleurs à temps partiel et la concentration de l'emploi féminin dans certaines filières souvent plus précaires, puisque la moitié des femmes actives travaillent dans 11 filières de métiers sur 87...

Enfin, le troisième « angle mort » des politiques publiques en faveur de l'égalité concerne l'articulation des temps entre la vie personnelle et la vie professionnelle.

Le soupçon de la maternité pèse toujours sur les femmes et explique leur moindre accès aux promotions et aux responsabilités.

Par ailleurs, le congé parental de trois ans pris à 97 % par les femmes, contribue à les éloigner du marché du travail. Cela pose aussi la question de l'investissement des hommes dans leur parentalité. Or, l'égalité professionnelle et le partage des tâches égal au sein du foyer sont étroitement imbriqués.

Ces trois « angles morts » de l'égalité que je viens d'évoquer - temps partiel, filière des métiers et articulation des temps de vie - font précisément l'objet de la négociation des partenaires sociaux, qui a débuté le 21 septembre 2012, et dont les conclusions devraient être rendues le 8 mars 2013.

L'objectif des partenaires sociaux est de trouver un meilleur équilibre sur ces sujets. Comment protéger les salariés à temps partiel ? Comment aménager le congé parental : faut-il le réduire ou imposer qu'il soit partagé entre les deux parents, par exemple ?

S'agissant de l'égalité professionnelle, nous avons décidé de travailler avec certaines branches professionnelles dans lesquelles les femmes subissent des conditions de travail particulièrement difficiles, comme l'a notamment décrit Florence Aubenas dans « Le quai de Ouistreham », récit emblématique de la précarité féminine au travail. Nous avons, à cet égard, décidé de monter une « conférence de progrès » avec la branche « propreté » qui nous permettra, au cours d'une journée de travail, de réfléchir notamment aux horaires de travail : trop hachurés, on doit pouvoir en améliorer l'amplitude et la prévisibilité.

A cet égard, il me semble que les collectivités locales « employeurs » doivent donner l'exemple, comme certaines s'y sont déjà engagées.

Enfin, s'agissant des entreprises, je pense que le renforcement de l'effectivité de la sanction pour les entreprises de plus de cinquante salariés doit être concilié avec un accompagnement ciblé des petites et moyennes entreprises (PME) qui n'ont pas les mêmes moyens ni les mêmes outils que les premières.

Nous avons donc sélectionné quinze grandes entreprises dont les pratiques sont exemplaires en matière d'égalité professionnelle et prévu de passer avec elles des conventions par lesquelles elles s'engagent à mener un travail spécifique avec les PME qui travaillent en amont et en aval de leur activité et qui consistera, notamment, à fournir des outils et des méthodes permettant d'atteindre l'égalité professionnelle. Nous constatons en effet que les petites entreprises manquent de temps pour établir une stratégie efficace de rattrapage des inégalités qui perdure dans leurs organisations. La mobilisation des entreprises exemplaires doit les aider à faire des choix et établir des priorités.

J'en viens maintenant à la question des violences. Je suis très sensible à la décision de la Cour d'assises du Val-de-Marne, mais je ne commenterai pas une décision de justice. Peut-être cette décision aura-t-elle au moins une vertu, celle d'éveiller les consciences. On sait qu'aujourd'hui moins d'une femme sur dix, victime d'un viol, dépose plainte et encore ces chiffres sont-ils sous-estimés ! J'en déduis qu'il existe aujourd'hui un dysfonctionnement dans l'accompagnement judiciaire des victimes : le dépôt de plainte est souvent vécu comme une nouvelle violence et la longueur des procédures est effarante : sept ans pour instruire et juger cette affaire !

D'ores et déjà ce procès a suscité une réponse de l'État puisque la chancellerie a décidé de multiplier les bureaux d'aide aux victimes sur le territoire. En effet, il est choquant qu'il ait fallu six ans aux victimes pour déposer plainte, comme si personne n'avait été en mesure d'écouter leur souffrance et de les accompagner à ce moment crucial. A cet égard, le soutien aux associations est essentiel. Celles-ci remplissent des missions de quasi service public pour des coûts moindres que si ces missions étaient effectuées par les services de l'État car elles s'appuient largement sur l'investissement de bénévoles. J'estime donc que nous devons leur donner les moyens de poursuivre ces actions indispensables aux femmes.

Pour en revenir au texte de loi sur le harcèlement sexuel, et ainsi que nous nous y étions engagés, la campagne de communication sur ce sujet aura bien lieu, en novembre prochain, en amont de la Journée mondiale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes.

Nous souhaitons investir cette journée de manière particulière cette année, notamment en proposant des grandes sessions de formations pluridisciplinaires, dispensées dans de grands amphithéâtres à des représentantes des professions médicales, judiciaires, de police... que nous avons réunies pour l'occasion.

Je vous confirme également la mise en place de l'Observatoire national des violences faites aux femmes ainsi que le renouvellement de l'enquête nationale sur les violences envers les femmes (ENVEF).

Comme je m'y étais engagée, j'ai commencé d'évaluer les nouveaux dispositifs définis par la loi du 9 juillet 2010. Lors d'un déplacement à Montpellier, j'ai été heureusement surprise de constater que certains départements avaient largement avancé sur le sujet et pas seulement celui de Seine-Saint-Denis. Il nous manque aujourd'hui un dispositif national qui, prenant acte du bon fonctionnent du téléphone d'urgence, conduirait à sa généralisation ou qui, relevant les difficultés soulevées par le bracelet électronique, déciderait d'arrêter l'expérience. A Montpellier, par exemple, des assistants sociaux sont présents dans tous les commissariats et les postes de gendarmerie. C'est un soutien précieux pour les femmes qui viennent déposer plainte et qui, à ce titre, mériterait sans doute d'essaimer.

La création de l'ordonnance de protection a été, dans son principe, largement saluée, mais sa montée en charge reste difficile : moins de 700 ordonnances ont été délivrées, ce qui représente une ordonnance de protection pour vingt condamnations pénales de violences conjugales. Plus d'un tiers des tribunaux de grande instance n'ont, à ce jour, rendu aucune ordonnance de protection, témoignant d'une application très inégale. La Seine-Saint-Denis concentre à elle seule près d'un tiers des ordonnances délivrées et ceci ne signifie pas qu'il y a plus de violences en Seine-Saint-Denis, comme j'ai pu parfois l'entendre. A l'évidence l'appropriation de ce dispositif par les juges civils et les avocats est insuffisante et ce n'est pas satisfaisant.

En la matière, la loi peut être améliorée. Au sein du comité interministériel, il faudra aborder un certain nombre de questions : quel doit être le juge compétent, le juge civil ou le juge pénal ; quel doit être le délai de délivrance de l'ordonnance qui est une mesure d'urgence, et quelle doit être la durée de la protection qu'elle instaure ; enfin, faut-il en étendre le champ d'application aux autres formes de violences et, notamment, au viol ?

La prise en charge des victimes de violences suppose l'hébergement des femmes qui subissent des violences, en particulier lorsque la règle de l'éviction du conjoint n'a pu être appliquée. Elle requiert de disposer de davantage d'appartements disponibles. Nous travaillons à ce sujet avec Cécile Duflot. La mise en oeuvre de l'article 19 de la loi du 9 juillet 2010 qui prévoyait des conventions avec les bailleurs pour réserver des appartements aux femmes victimes dépend de la volonté des collectivités. Il faut encourager les collectivités à s'engager sur ce dispositif.

Les femmes victimes de violences doivent faire l'objet d'un traitement prioritaire en matière d'hébergement d'urgence, être traitées prioritairement. Ce traitement suppose à la fois une bonne gestion des priorités au niveau départemental, et une bonne articulation entre les associations spécialisées et les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) le 115. Nous sommes en train d'y travailler.

Quant aux attributions de logements sociaux, le projet de loi annoncé par Cécile Duflot pour le premier semestre 2013 sera l'occasion de reprendre la question des priorités dans le choix de leurs bénéficiaires et de remettre de la lisibilité, en particulier au profit des femmes victimes de violences.

Le droit des femmes à disposer de leurs corps constitue notre quatrième priorité. En ce domaine, nous devons avoir une voix forte au plan international, mais aussi être exemplaires au plan intérieur.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 prévoit le remboursement à 100 % des IVG. Nous avons aussi décidé une revalorisation de l'acte, de façon à remédier au problème du faible nombre de médecins qui acceptent de le pratiquer. Cela ne doit pas nous dispenser d'une réflexion sur l'accessibilité géographique des centres d'IVG et sur l'amélioration de leur fonctionnement.

L'organisation de la prise en charge de l'IVG doit être améliorée, en particulier lors de la période estivale, ce qui nous a conduits, cet été, à adresser une circulaire aux agences régionales de santé (ARS) pour les sensibiliser sur le sujet. Nous souhaitons généraliser la démarche sur l'ensemble de l'année, en liaison avec Marisol Touraine, ministre de la santé et des affaires sociales. Parmi les engagements annoncés pendant la campagne, il nous reste à concrétiser le remboursement à 100 % des contraceptifs et la garantie de l'anonymat pour les mineurs. Pour tenir cet engagement, nous devrons repenser notre stratégie de santé publique en matière de contraception car on constate aujourd'hui un recul rapide de l'accès à la contraception des mineurs.

Il faut savoir en outre que 72 % des IVG sont pratiquées sur des femmes sous contraception.

De nombreuses régions ont expérimenté des dispositifs « contraception » et de nombreux conseils régionaux se sont mobilisés sur cette question à travers des dispositifs de « pass contraception ». Même si leurs représentants m'ont indiqué que les messages qui doivent accompagner ces dispositifs avaient encore du mal à atteindre les jeunes, je crois qu'ils répondent à un véritable besoin, ce qui nous incite plutôt à les généraliser ; par ailleurs, nous devons renforcer l'éducation à la sexualité à l'école.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Merci pour votre dynamisme. Nous vous accompagnerons dans cette troisième phase de l'émancipation des femmes et nous resterons attentives aux moyens, notamment humains, qu'il faudra mobiliser pour en assurer le succès.

Mme  Christiane Demontès. - Madame la Ministre, votre exposé sur les mesures que vous avez déjà initiées est tonifiant.

Je souhaite insister sur les moyens nécessaires à la pérennisation des actions et des structures existantes et j'en donnerai deux illustrations.

Dans mon département, un centre d'information féminin (CIF) assure l'écoute, l'accueil et l'hébergement de femmes victimes de violences. Nous nous sommes rendu compte de la nécessité d'étendre aux enfants la prise en charge psychologique, dans la mesure où ils sont aussi les victimes, directes ou indirectes, de ces violences. Mais la prise en charge financière de cette action s'est révélée très difficile et n'a, finalement, pu être assurée qu'en l'imputant sur les crédits de la politique de la ville, alors que les violences faites aux femmes ne concernent évidemment pas que les territoires qui relèvent de la politique de la ville. Comment conforter, à l'avenir, le financement de ces actions qui ont fait la preuve de leur intérêt ?

Je souhaitais aussi attirer votre attention sur la nécessité d'assurer le financement pérenne des centres de planification, tel le Mouvement français pour le Planning familial, qui jouent un rôle essentiel dans l'éducation et l'information des jeunes femmes et des mères. Nous nous sommes régulièrement battus ces dernières années, lors de l'examen du projet de loi de finances, pour obtenir le maintien à niveau de leur financement.

M. Alain Fouché. - Vous nous avez indiqué votre intention de créer dans les départements des « référents », distincts des déléguées régionales et des chargées de mission départementales qui existent déjà. Quelles seront leurs missions, leur périmètre d'action et l'étendue de leurs attributions, notamment vis-à-vis d'autres représentants de l'État au niveau local, comme le préfet ?

Mme Laurence Cohen. - Sur le sujet de l'égalité professionnelle, vous avez évoqué un certain nombre de problèmes ainsi que les mesures pour y remédier. L'emploi féminin souffre de la généralisation du temps partiel et de la précarité. Or, les emplois à temps partiel sont soumis à de telles exigences de productivité que leur contenu effectif est souvent comparable à celui d'un temps plein et qu'ils ne peuvent en aucun cas constituer une réponse à l'articulation des temps de vie.

Après en avoir parlé avec des avocats, je crois qu'il conviendrait de donner une plus large publicité aux jugements sanctionnant le non-respect des droits des femmes, car ceux-ci peuvent jouer un rôle d'exemplarité en incitant d'autres femmes à aller en justice et en dissuadant les entreprises de persévérer dans de mauvaises pratiques. Votre ministère pourrait-il oeuvrer en ce sens ?

Des enquêtes récentes semblent montrer un moindre usage de la contraception orale dont le remboursement n'avait pourtant été obtenu qu'à l'issue des luttes acharnées pendant les années 1970. De pseudo-études scientifiques qui soulignent une dangerosité de certaines pilules au delà de simples effets secondaires ne contribuent-elles pas à cette désaffection ?

Le préservatif étant plus utilisé comme moyen de protection contre les maladies sexuellement transmissibles (MST) que comme moyen de contraception, dès lors, cette seconde fonction peut s'en trouver oubliée, laissant les femmes à la merci d'une grossesse non désirée lorsqu'elles décident de ne plus utiliser de préservatif. Un travail conjoint avec le ministère de la Santé ne peut-il pas être conduit sur cette question ?

Vous avez évoqué la possibilité de favoriser la parité politique en instituant un scrutin binominal homme-femme aux élections cantonales. Cela me semble mériter un débat car, par delà l'intérêt de ce principe, je crains que, dans une société machiste comme la nôtre, les deux candidats, homme et femme, même s'ils sont élus au cours d'un même scrutin, ne soient pas, par la suite, traités de la même façon dans le partage de responsabilités.

Même si ce mode de scrutin diffère du ticket « titulaire-suppléant » ou plus exactement « suppléante », je crains que cette fausse bonne idée n'aboutisse encore à cantonner les femmes à un rôle supplétif.

Mme Bernadette Bourzai. - Pourriez-vous nous indiquer où en est le projet de ratification par la France de la convention d'Istanbul qui entrera d'autant plus vite en vigueur qu'un grand nombre de pays membres du Conseil de l'Europe l'auront signée ?

Mme Catherine Génisson. - Je souhaite revenir sur les services déconcentrés du ministère des droits des femmes. Les déléguées régionales aux droits des femmes seront-elles placées au niveau des préfets de région ? Il me semble qu'il faudrait renouer avec cette organisation administrative, instituée naguère par la loi Roudy, qui avait l'avantage de permettre aux déléguées régionales de donner des consignes à l'ensemble des services de l'État.

Le sujet prégnant de l'hébergement des hommes et des femmes dans un contexte de violences conjugales a conduit à une expérimentation de la région Nord-Pas-de-Calais : héberger temporairement les hommes violents pour les aider à surmonter leurs pulsions dans la perspective d'un retour, à terme, en ménage.

Le temps partiel subi fait l'objet de discussions entre les partenaires sociaux mais il me semble nécessaire de les appuyer par des dispositions législatives.

Chacun s'accorde à dire que le congé parental est une trappe à pauvreté et un facteur d'exclusion de la femme, d'autant qu'il est souvent pris par des femmes à bas niveau de qualifications.

Le partage du congé parental entre les deux parents me paraît une bonne solution, mais celle-ci ne fonctionnera que dans un contexte d'égalité salariale car, dès lors que les revenus sont inégaux au sein du couple, les choix sont vite faits.

Je suis surprise par le chiffre que vous avez cité sur la proportion de femmes ayant recours à une IVG alors qu'elles étaient sous contraception. Celui-ci peut-il s'expliquer en partie par une mauvaise utilisation des pilules micro-dosées dont la prise nécessite un accompagnement médical ? Je crois qu'il faudrait revenir sur le sujet de la contraception des jeunes filles.

S'agissant des élections cantonales, je crois que la loi devrait aussi instaurer la parité dans la composition des exécutifs départementaux, comme c'est déjà le cas dans les exécutifs des régions ou des communes de plus de 3 500 habitants ; cela constituerait une importante avancée démocratique.

Mme Gisèle Printz. - Quels sont les moyens affectés aux déléguées régionales aux droits des femmes pour accomplir leurs missions et de quelle autorité hiérarchique relèvent-elles ?

J'aimerais que le Planning familial accroisse sa participation, au sein des établissements scolaires, à des opérations de sensibilisation des jeunes filles et jeunes hommes.

J'attire votre attention sur les contenus de certaines publicités sur lesquels il conviendrait de se montrer plus vigilant.

Je souhaite relayer auprès de vous des interrogations dont on m'a fait part : est-il envisagé de revenir sur la suppression de la majoration du quotient familial d'une demi-part accordée aux personnes vivant seules, notamment veufs et veuves, et ayant élevé des enfants ainsi que sur la suppression de l'allocation équivalent retraite (AER) ? Ces deux mesures pénaliseraient tout particulièrement les femmes seules.

Mme Françoise Laborde. - Je salue la création du ministère des droits des femmes ainsi que le dynamisme avec lequel vous vous y impliquez.

Je voudrais témoigner de l'insuffisance des moyens humains affectés aux services des droits des femmes, par exemple en région Midi-Pyrénées ; alors que celle-ci regroupe huit départements, ces services ne sont représentés que par une personne.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je vous donne la parole, Madame la Ministre, pour répondre à ces questions.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. - Je recevais hier le président du comité éthique de l'Autorité de régulation de la publicité. Bien qu'il soit fier du travail accompli par son comité, il a convenu que celui-ci n'analyse les publicités que sous l'angle d'une éventuelle atteinte à la dignité humaine mais jamais sous l'angle des stéréotypes. Or, des publicités ne portant aucunement atteinte à la dignité des femmes peuvent néanmoins véhiculer des stéréotypes. Aussi, les travaux que nous engageons avec différentes entités de régulation, l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) visent à trouver des angles d'analyse pour que les images véhiculées par les média ne confortent plus les stéréotypes. C'est une tâche difficile qu'il faut concilier avec la liberté des créateurs, mais qui est nécessaire pour changer les mentalités.

Mme Gisèle Printz. - Les hommes accomplissant des tâches ménagères ne sont guère présentés à leur avantage dans les publicités.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. - Votre remarque est à rapprocher d'une enquête norvégienne qui a montré que les couples au sein desquels les hommes étaient le plus investis dans les tâches ménagères étaient les plus susceptibles de divorcer. Les médias en ont tiré des conclusions hâtives. Or, cela s'explique tout simplement parce que la participation des hommes au travail domestique est plus souvent l'apanage des couples modernes dans lesquels les femmes ont davantage les moyens de leur indépendance. La présentation de cette étude par les médias en dit cependant long sur le manque de conscientisation de la société sur le sujet.

Je tiens à rassurer Mme Christiane Demontès sur le sujet des établissements d'information, de consultation et de conseil familial (EICCF) auquel nous sommes, Marisol Touraine et moi-même, sensibilisées ; je maintiendrai les moyens affectés au Planning familial et la ministre des affaires sociales et de la santé s'est engagée à maintenir en 2013 aux EICCF le même budget qu'en 2012.

Je vous annonce aussi qu'une convention sera très prochainement signée entre le Planning familial et le ministère de l'Éducation nationale, ouvrant la porte des établissements scolaires aux associations afin d'y développer l'éducation à la sexualité.

J'ai veillé à sanctuariser les moyens affectés aux droits des femmes au niveau déconcentré pour maintenir l'effectif des déléguées régionales et des chargées de mission départementales. Au-delà de leur nombre, je tiens surtout à renforcer leur rôle en soutenant leurs actions. En effet, ces dernières années, les déléguées régionales et les chargées de mission départementales travaillaient certes en synergie avec des acteurs locaux mais dans un relatif isolement. Mon soutien vise à favoriser leur mise en réseau, tant au niveau local que national, pour favoriser le partage d'expérience. Depuis la création du ministère, elles ont déjà été réunies trois fois.

Le soutien à leurs actions passe aussi par le rappel aux préfets des priorités reconnues à la politique publique des droits des femmes ; sur l'invitation du ministre de l'intérieur, je viendrai le rappeler lors de la prochaine réunion des préfets.

J'interviendrai aussi courant novembre devant l'Assemblée des recteurs pour leur rappeler l'attention que je porte à certains sujets éducatifs.

Comme je l'ai déjà annoncé devant le Sénat, je souhaite accélérer le processus de ratification de la convention d'Istanbul ; il reste cependant à lever les réserves auxquelles la chancellerie avait, sous le précédent gouvernement, suspendu le dépôt de notre instrument de ratification ; elles devraient l'être lors d'un prochain comité interministériel et la ratification pourrait donc intervenir cet automne.

La réforme de l'encadrement du temps partiel subi ne peut résulter de la seule négociation collective, mais il faut laisser aux partenaires sociaux le temps de la discussion. Elle appelle des mesures législatives et M. François Hollande s'était d'ailleurs engagé, pendant la campagne, à sanctionner les entreprises qui abusent du temps partiel subi.

Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à des solutions satisfaisantes, l'État prendra ses responsabilités ; cela vaut aussi pour les négociations actuellement menées sur la sécurisation de l'emploi ou le contrat de génération.

Lorsque nous serons parvenus à obtenir une réelle égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, le salaire des femmes ne sera plus considéré comme un salaire d'appoint au sein du couple ; dès lors, le choix du conjoint optant pour un congé parental, dont l'indemnisation demeure très faible, de l'ordre de 500 euros par mois, ne répondra plus à une simple logique économique.

C'est au niveau des administrations centrales qu'a été désigné, dans chaque ministère, un haut fonctionnaire référent égalité hommes-femmes. Les conférences de l'égalité initiées par mon ministère ont cependant amené d'autres ministères, dont celui du logement, à proposer de nommer aussi des référents égalité hommes-femmes dans chaque département. Cette volonté des ministères de donner une traduction locale à la notion de référent égalité hommes-femmes me paraît positive, à condition bien sûr de ne pas empiéter sur les prérogatives des déléguées régionales et des chargées de mission départementales.

Votre proposition de donner de la publicité à certains jugements exemplaires en matière d'égalité et de respect des droits des femmes me semble fort intéressante car elle constitue un formidable levier de conscientisation de la société ; cela vaut en matière d'égalité professionnelle, et vaudrait aussi en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.

J'ai l'impression que vous êtes assez partagés sur le mécanisme du scrutin binominal pourtant recommandé par votre délégation dans un rapport signé par votre précédente présidente, Michèle André. J'entends vos inquiétudes sur les rôles respectifs des hommes et des femmes au sein de ces binômes. Mais je crois que nous devons aller de l'avant tant le retard à rattraper en matière de parité parmi les conseillers généraux et les maires est considérable. Il est donc nécessaire de prendre des mesures résolues pour changer les choses.

En outre, mon expérience de conseillère générale me pousse à considérer la légitimité conférée par l'élection comme un gage d'égalité dans les fonctions au sein du conseil général. Je retiens votre remarque sur l'intérêt d'étendre aux exécutifs des conseils généraux les dispositions garantissant la parité dans les exécutifs régionaux et municipaux. Enfin, je ferai examiner la question de la demi-part fiscale des veuves.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Madame la Ministre, je vous remercie.

Jeudi 18 octobre 2012

- Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente -

Femmes et travail - Table ronde sur la profession de médecin

La délégation auditionne tout d'abord, dans le cadre d'une première table ronde, des représentantes de la profession de médecin : le Dr. Irène Kahn-Bensaude, membre du Conseil de l'ordre des médecins, le Dr. Cécile Renson, présidente de l'Association française des femmes médecins (AFFM), le Dr. Christine Bertin-Belot, représentante du Pôle femmes du Syndicat des médecins libéraux (SML) et Mme Frédérique Martz, responsable de la communication du SML, ainsi que Mme Nathalie Lapeyre, maîtresse de conférences en sociologie à l'Université de Toulouse II.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Dans le cadre de nos auditions sur notre thème annuel de réflexion « Femmes et travail », je suis heureuse d'accueillir ce matin un certain nombre de représentantes éminentes de la profession de médecin.

Les auditions que nous avons réalisées jusqu'à présent portaient principalement sur le travail salarié que les femmes ont investi massivement depuis une trentaine d'années.

Mais ce n'est évidemment pas l'unique forme que prend l'emploi et, en particulier, l'emploi féminin, et il m'a semblé utile que nous consacrions également des auditions à la question des femmes dans les professions libérales ou indépendantes, d'autant que certaines d'entre elles - c'est le cas de la profession de médecin ainsi que des professions juridiques que nous rencontrerons en seconde partie de matinée - sont fortement féminisées.

Je ne doute pas que nous y retrouvions les mêmes phénomènes que nous avons pu déplorer dans le monde du salariat, mais sans doute ceux-ci prennent-ils une forme particulière dans le cas de l'exercice de la profession de médecin, que ce soit en milieu hospitalier ou en médecine de ville, et suivant d'ailleurs que celle-ci est exercée en milieu urbain ou périurbain, ou en milieu rural.

Le questionnaire qui vous a été adressé recense, à titre d'aide-mémoire, quelques-uns des thèmes sur lesquels nous souhaiterions recueillir votre point de vue.

Mme Irène Kahn-Bensaude, membre du Conseil national de l'ordre des médecins. - Commençons par quelques chiffres, fournis par la géographe de la santé du Conseil national. Parmi les 260 000 médecins inscrits à l'Ordre, le nombre de femmes est passé de 38 % en 2008 à 42 % en 2012, et devrait dépasser les 50 % en 2015. Entre 2008 et 2012, la part de femmes médecins exerçant en libéral a augmenté de 4,4 %, tandis que la part de femmes salariées augmentait de 10,7 %. Preuve que les femmes médecins se dirigent de plus en plus vers le salariat. La distinction n'est toutefois pas toujours si nette : les médecins hospitaliers sont salariés, et les médecins libéraux occupent souvent un poste salarié en sus.

Mme Christine Bertin-Belot, représentante de Pôle Femme du Syndicat des médecins libéraux (SML). - Pas moins de 70 % des nouveaux inscrits à l'Ordre sont salariés.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Il s'agit très souvent de jeunes chefs de clinique, obligés de s'inscrire à l'Ordre, qui seront salariés pendant quatre ans. Au bout de cinq ans, 30 % d'entre eux s'installent en libéral. Il est donc normal qu'il y ait peu de médecins libéraux parmi les nouveaux inscrits.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Observe-t-on une différence entre zones urbaines et rurales ?

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Le nouvel atlas de démographie médicale sort aujourd'hui.

Mme Christine Bertin-Belot. - Auparavant, les jeunes médecins mettaient en moyenne huit ans avant de s'installer en libéral, aujourd'hui cinq ans nous dit Mme Kahn-Bensaude ; c'est une bonne nouvelle.

Mme Nathalie Lapeyre, maîtresse de conférences en sociologie à l'Université de Toulouse II. - Ces données sont-elles sexuées ?

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Non. Le nouvel atlas sera plus précis.

Mme Christine Bertin-Belot. - Selon la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), on comptait, en 2010, 31 % de femmes médecins en libéral, contre 69 % d'hommes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - La féminisation s'accompagne de la recherche d'un exercice plus sécurisant.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - C'est pourquoi les femmes médecins souhaitent le plus souvent s'installer en groupe.

Mme Nathalie Lapeyre. - Cela fait dix ans que je me penche sur la féminisation des professions. On observe depuis cinq à dix ans une fracture générationnelle chez les médecins. Les jeunes médecins, hommes et femmes, partagent désormais les mêmes aspirations de vie. Le dialogue avec leurs aînés est d'ailleurs parfois difficile... C'est l'effet de la féminisation de la profession, qui est ancienne, mais aussi de celle du marché du travail en général : les conjointes des jeunes médecins hommes sont des femmes diplômées du supérieur, cadres, qui leur imposent de réduire leur temps de travail pour que leur activité professionnelle reste vivable pour le couple. Cette aspiration n'est toutefois pas toujours facile à réaliser, pour des questions de démographie médicale, surtout dans certaines spécialités... La féminisation du monde du travail est une véritable lame de fond.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Les hommes se féminisent !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - L'arrivée des femmes dans une profession en transforme les conditions d'exercice.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - On a surtout dit qu'elle la paupérisait !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Les femmes portent d'autres exigences que les hommes, car elles doivent concilier beaucoup de choses.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Un mot sur les déserts médicaux. Les femmes médecins sont en général mariées à des hommes de niveau socioculturel élevé. Là où il n'y a pas d'école, et surtout pas de travail pour le conjoint, elles ne peuvent s'installer. L'aménagement du territoire est primordial.

Mme Christine Bertin-Belot. - Il faudrait aussi inciter les médecins à se déplacer pour aller travailler.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - C'est ce que prône le Conseil de l'Ordre : on peut très bien faire 40 kilomètres pour se rendre dans son cabinet.

Mme Christine Bertin-Belot. - C'est une solution particulièrement adaptée pour des exercices à temps partiel ou aménagé.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Le temps partiel est-il répandu chez les femmes médecins ?

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Il faut rappeler qu'un mi-temps, pour un médecin, c'est 35 heures !

Mme Christine Bertin-Belot. - Le temps de travail moyen des femmes médecins est de 50 heures par semaine, contre 55 pour les hommes. Si elles souhaitent travailler à mi-temps, les femmes ont intérêt à se regrouper, afin de pouvoir se remplacer mutuellement et se partager la permanence des soins, qui est chronophage.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - L'articulation entre activité professionnelle et vie personnelle n'est pas facile, j'imagine.

Mme Christine Bertin-Belot. - Avec la féminisation de la profession, c'est un sujet crucial. L'exercice à temps partiel en libéral ne permet pas aux femmes médecins de vivre, étant donné le poids des charges et des cotisations.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Celles-ci peuvent représenter 70 % du revenu.

Mme Christine Bertin-Belot. - L'exercice à temps partiel en libéral n'est viable que lorsque le conjoint travaille et qu'il s'agit d'un revenu d'appoint. C'est pour cette raison que les jeunes femmes ne sont que 9 % à s'installer en libéral. Et les choses ne vont qu'empirer avec ce qui se prépare en ce moment... On tire sur le libéral depuis si longtemps que les jeunes médecins ont fini par le fuir !

Mme Cécile Renson, présidente de l'Association française des femmes médecins (AFFM). - Les femmes se tournent de plus en plus vers les remplacements, elles gagnent mieux leur vie ainsi : 75 % des remplaçants sont des femmes. Mais les hommes suivent leur exemple...

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Pas moins de dix mille médecins remplaçants sont inscrits à l'Ordre.

Mme Cécile Renson. - Des femmes, mais de plus en plus d'hommes aussi !

Mme Christine Bertin-Belot. - En 2012, on compte 42 % de médecins femmes ; en libéral, elles sont seulement 31 %. Elles représentent 32,4 % des spécialistes, 30,5 % des généralistes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Les femmes médecins choisissent-elles certaines spécialités plus que d'autres ?

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Le choix de la spécialité dépend du classement à l'examen national classant, qui a remplacé l'ancien internat. Les mieux classés peuvent choisir leur spécialité, les derniers prennent ce qui reste.

Mme Christine Bertin-Belot. - Beaucoup de femmes écartent délibérément certaines spécialités, notamment celles qui supposent beaucoup de gardes. Au 1er janvier 2010, la spécialité la plus choisie était la médecine générale : 69 % d'hommes, 31 % de femmes.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Choix réel ou par défaut. C'est la spécialité qui offre le plus de postes.

Mme Christine Bertin-Belot. - Ensuite vient la chirurgie : 95 % d'hommes, 5 % de femmes.

Mme Cécile Renson. - Avec des différences entre spécialités chirurgicales. Il y a très peu de candidates en chirurgie orthopédique, par exemple.

Mme Christine Bertin-Belot. - Troisième dans l'ordre des spécialités les plus choisies : la radiologie, avec 75 % d'hommes et 25 % de femmes. Puis viennent la spécialité en pathologie cardiovasculaire, avec 85 % d'hommes pour 15 % de femmes ; en psychiatrie, avec 61 % d'hommes pour 39 % de femmes ; en ophtalmologie, avec 58 % d'hommes et 42 % de femmes ; en gynécologie-obstétrique, avec 64 % d'hommes et 36 % de femmes.

Les jeunes médecins qui s'installent choisissent en priorité la médecine générale, puis les spécialités suivantes, dans l'ordre, pour les hommes : chirurgie, anesthésie, radiologie, pathologie cardiovasculaire, psychiatrie, et enfin gynécologie-obstétrique ; pour les femmes : psychiatrie, radiologie, pédiatrie, gynécologie-obstétrique, dermatologie, ophtalmologie. Ces choix sont aussi fonction du nombre de postes ouverts chaque année. En anatomie pathologique, par exemple, il y en a eu l'an dernier deux pour toute la France !

Mme Cécile Renson. - Quand l'anesthésie-réanimation était une nouvelle spécialité, elle attirait essentiellement des femmes. Mais vu l'importance des gardes, elle est désormais essentiellement masculine...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente. - Quid de l'accès aux postes à responsabilité ? Quelle est la proportion de femmes parmi les chefs de service ?

Mme Nathalie Lapeyre. - Une enquête quantitative montre que les professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PUPH) sont à 80 % des hommes. Mais il y a 50 % de femmes chez les simples praticiens hospitaliers (PH).

Mme Christine Bertin-Belot. - Chez les chefs de pôle, il y a une écrasante majorité d'hommes.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Il y a dix ans, le pourcentage de femmes était de 7 %.

Mme Cécile Renson. - Rose-Marie Van Lerberghe, ancienne directrice de l'AP-HP, avait coutume de dire que le féminin de PUPH, c'est PH !

Mme Christine Bertin-Belot. - Les femmes sont aussi victimes d'une contre-sélection due à l'âge auquel on parvient au clinicat : 29 ans, c'est l'âge moyen de la première grossesse. À compétence égale - ou inégale, d'ailleurs - un chef de service est plus enclin à donner un poste de chef de clinique à un homme.

Mme Cécile Renson. - La maternité pose de vrais problèmes aux femmes médecins. Jusqu'en 1982, elles n'avaient droit à aucune indemnité, aucune allocation.

Mme Christine Bertin-Belot. - Depuis 2006, la situation s'est nettement améliorée.

Mme Cécile Renson. - Les indemnités journalières ne permettent pas de payer un remplaçant. En libéral, c'est un vrai problème.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Pendant le congé maternité, les frais continuent de courir : loyer du cabinet, secrétaire, etc.

Mme Nathalie Lapeyre. - Le poids des charges fixes entraîne un clivage entre femmes médecins en fonction de leur activité. Par rapport à l'ensemble des femmes salariées, les médecins prennent en moyenne trois fois moins de congés maternité et pathologiques. L'avancée de 2006 a été importante sur le plan symbolique. On peut distinguer trois profils. Pour les femmes médecins qui ont une activité très réduite, les indemnités journalières, environ 2 000 euros par mois, couvrent tout juste les charges fixes du cabinet. Pour celles qui ont une activité moyenne, la situation se corse...

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Le montant de l'indemnité journalière s'élève à 49,81 euros par jour.

Mme Cécile Renson. - A condition de s'arrêter six semaines avant la naissance.

Mme Nathalie Lapeyre. - Pour elles, avoir un enfant représente un investissement, il faut anticiper la maternité en mettant de l'argent de côté, bref, acheter un droit social. « J'ai payé mes enfants », m'a dit une femme médecin. Le coût est individualisé. Une jeune anesthésiste m'a indiqué que sa grossesse lui avait coûté 40 000 euros, car il lui a fallu alléger sa charge de travail. Le problème se pose encore plus cruellement dans les spécialités en déficit démographique.

Mme Christine Bertin-Belot. - Il est dès lors indispensable de contracter une assurance complémentaire.

Mme Cécile Renson. - En effet, la caisse autonome de retraite des médecins ne verse rien avant le quatre-vingt-dixième jour.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - En libéral, on ne perçoit pas d'indemnité journalière de la sécurité sociale pour les arrêts maladie. Le temps de latence de la CARMF est de 90 jours. Nous poussons donc les médecins libéraux à prendre une prévoyance maladie et maternité.

Mme Christine Bertin-Belot. - Nous demandons qu'en cas de grossesse pathologique, les femmes médecins en libéral soient prises en charge au premier jour, et non, comme aujourd'hui, au quatre-vingt-onzième. La garantie complémentaire individuelle a un coût. La différence de traitement actuelle a des conséquences gravissimes, car une grossesse pathologique peut mettre en péril un cabinet libéral. Une centaine de femmes sont concernées chaque année ; c'est peu, mais pour elles, l'enjeu est crucial. Or cela ne grèverait pas les comptes de la sécurité sociale.

Si le régime général des médecins est aligné depuis 2006 sur celui des salariés, en termes de durée et d'indemnisation du congé, il en va tout autrement dans le régime social des indépendants (RSI), auquel adhèrent la plupart des médecins libéraux en secteur à honoraires libres. Le congé minimum de maternité est ainsi de huit semaines dans le régime général, contre six semaines dans le RSI ; le congé maximal, de seize semaines dans le régime général, contre dix dans le RSI. Pour des jumeaux, il est de trente-quatre semaines dans le régime général, contre quinze dans le RSI. Pour des triplés, quarante-six semaines dans le régime général, quinze toujours dans le RSI.

Or, les femmes médecins en secteur 2 ont souvent une activité relativement faible, notamment dans les médecines à expertises particulières où les consultations sont longues. Pour des triplés - j'ai récemment vu le cas - le cumul des indemnités forfaitaires s'élève à 18 560 euros dans le régime général, contre 8 100 euros dans le RSI... A l'heure où l'on sonne la charge contre le secteur à honoraires libres, il est bon de rappeler certaines réalités !

Et pour les cotisations, c'est le pompon ! Le revenu moyen d'une femme médecin est de 51 000 euros par an environ. Pour un quart d'entre elles, il est de moins de 25 000 euros par an. Comment payer des cotisations retraite qui s'élèvent à 8 000 euros par an au minimum ? Sans un conjoint correctement rémunéré, la situation des médecins libéraux à faible revenu n'est pas vivable.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Il est éclairant de voir que des professions que l'on pourrait croire épargnées rencontrent elles aussi de vrais problèmes, les mêmes qu'ailleurs.

Mme Christine Bertin-Belot. - À force de nous charger la barque, la situation est de pire en pire !

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Il ne faut pas sous-estimer le poids des charges. Sur une consultation à 23 euros, le médecin ne perçoit que 10 euros.

Mme Cécile Renson. - Après la naissance du premier enfant, le temps de travail d'une femme médecin baisse de 16 %, et se réduit d'un cran à chaque nouvel enfant.

Mme Christine Bertin-Belot. - Sociologiquement, les médecins, hommes et femmes, font davantage d'enfants que les cadres de même niveau. Moi-même, j'en ai quatre. Difficile de faire tourner en même temps un cabinet libéral tout en présidant une union régionale !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je vous crois volontiers ! Quel est le poids des charges ? A quoi tiennent les différences de rémunérations entre hommes et femmes ?

Mme Christine Bertin-Belot. - En libéral, le revenu moyen des femmes est en moyenne inférieur de 38 % à celui des hommes. Je l'ai dit, 25 % des femmes en libéral ont un revenu annuel inférieur à 25 000 euros. Les cotisations fixes et forfaitaires ont un impact sur le résultat, la cotisation au régime de retraite étant la dépense la plus lourde. Un médecin ayant des revenus libéraux de 20 000 euros, ce qui est bas, paiera 5 647 euros par an s'il exerce en secteur 1 et 8 407 euros en secteur 2.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Sans compter les autres charges et cotisations sociales.

Mme Christine Bertin-Belot. - Globalement, les cotisations représentent environ 50 % du revenu annuel. Un médecin libéral qui aurait un revenu annuel de 300 000 euros - ce qui ne me paraît pas excessif, compte tenu de la durée des études, du temps de travail et du niveau de responsabilité - paiera 18 500 euros en secteur 1, 21 259 euros en secteur 2. Plus les revenus sont bas, plus le poids des charges est monstrueux.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Je précise que l'on parle ici du revenu avant charges et impôts, qui absorberont 60 à 70 % du total...

Mme Christine Bertin-Belot. - Je parle de revenu déclaré. Sur 20 000 euros, le poids des cotisations CARMF représente 28 % en secteur 1 et 42 % en secteur 2 ; sur un revenu de 300 000 euros, il est de 6 % en secteur 1, de 7 % en secteur 2.

Mme Catherine Génisson. - La sécurité sociale est quand même ce qui permet à la communauté médicale de vivre !

Mme Christine Bertin-Belot. - Quand 40 % de votre revenu passe en cotisation retraite, vous constituez certes votre retraite, mais comment faites-vous pour vivre entre temps ?

Mme Catherine Génisson. - C'est un vrai sujet.

Mme Christine Bertin-Belot. - Le poids total des cotisations sociales et de retraite varie selon le régime. Dans le régime CNAM, pour un revenu de 20 000 euros, il est de 40 % en secteur 1, mais de 70 % en secteur 2. C'est pourquoi les médecins exerçant en secteur 2 sont au RSI, régime qui offre des prestations moins intéressantes, mais où les cotisations représentent « seulement » 57 % du revenu. Pour un revenu de 300 000 euros, le poids des cotisations avec la CNAM est de 17 % en secteur 1 et de 33 % en secteur 2, contre 24 % au RSI.

Mme Catherine Génisson. - Dans le secteur 1, le principe de la convention signifie que la sécurité sociale prend en charge une partie des cotisations sociales.

Mme Christine Bertin-Belot. - C'est pourquoi j'ai pris soin de distinguer secteur 1 et secteur 2.

Mme Catherine Génisson. - Quelle est la part de cotisations sociales prise en charge par la sécurité sociale en secteur 1 ?

Mme Christine Bertin-Belot. - La caisse nationale prend en charge les deux-tiers de l'avantage social vieillesse (ASV), qui est l'un des régimes de nos caisses de retraite et représente environ 40 % de notre retraite. Elle prend en charge les deux-tiers de 40 % des cotisations retraite des médecins en secteur 1 - en contrepartie d'une non-revalorisation des honoraires.

Mme Catherine Génisson. - Il y a une revalorisation à la marge.

Mme Christine Bertin-Belot. - Elle n'est même pas indexée sur l'indice du coût de la vie.

Mme Catherine Génisson. - La CARMF joue en quelque sort le rôle d'une complémentaire.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Absolument pas, c'est notre caisse de retraite ! La Caisse d'assurance maladie ne nous verse rien !

Mme Catherine Génisson. - La situation est pire pour les médecins hospitaliers, qui ont la même base de retraite, plus l'Ircantec.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Pour mon mi-temps hospitalier, je touche une retraite de 94 euros par mois - de quoi payer mon essence. Les hospitaliers ont une convention spéciale en sus de l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (IRCANTEC).

Mme Catherine Génisson. - Pour ne percevoir qu'un revenu de 25 000 euros par an, il faut que le temps de travail soit très court, à peine un mi-temps.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Pour un médecin, un mi-temps, c'est 35 heures ! Vous le savez, étant médecin vous-même.

Mme Catherine Génisson. - La distorsion des revenus montre bien que le temps de travail de ces femmes médecins est moindre.

Mme Christine Bertin-Belot. - Forcément. Ce sont nous qui faisons les enfants. Les femmes médecins qui sont aussi mères sont obligées de limiter leur temps de travail. J'ai moi-même travaillé à mi-temps... un mi-temps de libéral. Le revenu est faible, et très lourdement impacté par les charges.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Des médecins, que l'on pensait protégées, souffrent des mêmes problèmes que des femmes très déqualifiées. Pour contourner les difficultés, les femmes optent de plus en plus pour le regroupement en cabinet.

Mme Cécile Renson. - Pour assurer les obligations touchant la permanence des soins, les femmes médecins généralistes sont obligées de payer une nounou sans savoir si elles-mêmes seront rémunérées.

Mme Catherine Génisson. - C'est un sujet de responsabilité collective. Il y a un gros problème d'organisation, on voit dans quel état d'encombrement sont les services d'urgence.

Mme Cécile Renson. - La solution n'est pas nécessairement la réquisition. En Bretagne, mes adhérentes se plaignent avant tout de la charge que représente la permanence des soins.

Mme Catherine Génisson. - Quelle solution pour les femmes ?

Mme Cécile Renson. - Quitter le libéral !

Mme Catherine Génisson. - N'est-il pas plus intéressant de préserver le secteur libéral, en salariant une partie de l'activité ?

Mme Cécile Renson. - C'est la formule que beaucoup choisissent.

Mme Catherine Génisson. - Sans revenir sur le paiement à l'acte, je note que certaines pathologies relèvent plutôt d'un parcours de soins. La forfaitisation de la prise en charge ne serait-elle pas une solution adaptée ?

Mme Cécile Renson. - Elle peut l'être, à dose homéopathique.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Il y a un problème global de moyens, d'organisation de l'offre de soins, d'articulation entre le public et le privé. Si la médecine de ville est débordée, c'est que les services hospitaliers ont été réduits partout sur le territoire.

Dernière question : les femmes médecins sont-elles confrontées à la violence, au harcèlement, aux comportements sexistes ?

Mme Nathalie Lapeyre. - D'après l'enquête que j'ai déjà citée, 58 % des femmes médecins interrogées déclarent avoir été victimes de sous-entendus sexistes, de gestes déplacés, d'avances verbales ; 30 %, de sexisme pendant leur grossesse. Le fait d'être une femme multiplie par cinq le risque d'être victime de sexisme au cours de sa carrière, le plus souvent de la part d'un pair ou d'un supérieur hiérarchique.

Mme Cécile Renson. - Dans le milieu hospitalier, les internes se plaignent de harcèlement au moment de leur grossesse.

Mme Nathalie Lapeyre. - La féminisation d'une profession n'empêche pas le sexisme. Paradoxalement, plus la féminisation est ancienne, plus le machisme est ancré ! Les ingénieures de l'aéronautique que j'ai interrogées, à Toulouse, n'y sont pas confrontées, alors qu'en 2012, les femmes médecins entendent toujours des remarques sur leur utérus, sur leur comportement hystérique... Beaucoup de femmes médecins souffrent, au point de songer à quitter leur profession, car la discrimination peut aller très loin, qu'il s'agisse de l'ambiance quotidienne ou du déroulement de la carrière - le « plafond de verre » est résistant.

Mme Christine Bertin-Belot. - C'est surtout vrai dans le milieu hospitalier. En 1962, il n'y avait que 10 % de femmes médecins. Autant dire que parmi les internes, nous n'étions pas nombreuses ! Lors des gardes de nuit, il semblait tout naturel aux confrères de nous inviter, au sortir du bloc, à les rejoindre en salle de garde pour un moment de détente...

Mme Nathalie Lapeyre. - Les jeunes filles internes s'en plaignent pareillement aujourd'hui !

Mme Catherine Génisson. - Quid des problèmes de violence dans l'exercice de la profession ?

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Le Conseil national de l'Ordre a créé un Observatoire de la sécurité, en liaison avec le ministère de la justice. Les statistiques, qui reposent sur des déclarations, sont aisément consultables. Il s'agit souvent d'agressions verbales, mais aussi physiques. Nous nous portons partie civile dans des affaires pénales.

Mme Catherine Génisson. - C'est un argument avancé, à juste titre, par certaines pour refuser d'exercer à certaines heures, dans certains lieux...

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Par des hommes aussi ! A Paris, travailler pour SOS Médecins n'est pas sans risque. Les problèmes ne sont pas qu'en milieu rural, loin de là !

Mme Catherine Génisson. - Voilà qui plaide pour un service public après minuit.

Mme Christine Bertin-Belot. - Une autre forme de violence, insidieuse, est le vol de travaux de recherche, notamment en chirurgie. Les femmes écrivent les articles mais se retrouvent en dernière place des signataires, ce qui leur nuit pour le classement aux concours hospitaliers... Cette pratique, apparemment très répandue, peut aussi expliquer qu'il y ait si peu de femmes nommées chef de service.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Sur les 177 membres de l'Académie nationale de chirurgie, il y a trois femmes. Au Conseil national de l'Ordre, elles sont quatre sur soixante.

Mme Christine Bertin-Belot. - Sur les 27 présidents d'unions régionales des professionnels de santé, nous sommes six.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Dans les présidences départementales de l'Ordre, nous sommes sept... sur 103.

Mme Cécile Renson. - Et parmi les doyens des 47 facultés de médecine, il y avait en 2007 une seule femme.

Mme Catherine Génisson. - La situation est calamiteuse, non seulement dans l'entreprise mais dans le public...

Mme Christine Bertin-Belot. - Les internes sont victimes de discrimination si leur congé maternité tombe à un mauvais moment : si elles sont absentes pendant deux mois sur un stage de six mois, celui-ci est perdu. Soit. Mais elles sont en outre automatiquement rétrogradées à la dernière place du concours national. Cette affaire a d'ailleurs été portée devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Mme Catherine Génisson. - Comment est-ce possible ? Cela doit pouvoir se régler !

Mme Christine Bertin-Belot. - Xavier Bertrand nous a écoutées, il avait l'intention de faire quelque chose, mais il n'en a pas eu le temps.

Mme Cécile Renson. - Cela fait partie des revendications des internes.

Mme Frédérique Martz, responsable de la communication du Syndicat des médecins libéraux (SML). - Les hommes sont également concernés car le congé maladie a les mêmes conséquences. Le texte est imprécis et le Conseil d'État a été saisi, mais la demande a été formulée entre les deux tours de l'élection présidentielle.

Mme Christine Bertin-Belot. - Cela figure dans l'article R.6153-20 du code de la santé publique modifié par le décret du 8 octobre 2010 : « lorsque, au cours d'un semestre, un interne interrompt ses fonctions pendant plus de deux mois (...) le stage n'est pas validé. Un stage semestriel qui, soit en application de ces dispositions, soit par décision des autorités universitaires compétentes, n'a pas été validé, est comptabilisé au titre de la durée maximale pour effectuer la formation du troisième cycle. Il entraîne l'accomplissement d'un stage semestriel supplémentaire ».

Mme Catherine Génisson. - Jusqu'ici, c'est logique.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Pour le classement, l'interprétation est abusive...

Mme Catherine Génisson. - Rien n'est dit à ce sujet.

Mme Christine Bertin-Belot. - Les modalités d'attribution des stages amplifient l'impact de la rétrogradation, car les stages sont offerts en fonction du classement, mais toutes années confondues !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Nous regarderons le décret.

Mme Christine Bertin-Belot. - Dans certaines régions, des directeurs d'Agences régionales de santé (ARS) sont passés outre cette rétrogradation aberrante. Mais on ne peut en rester là.

Mme Cécile Renson. - Il faudrait revenir sur l'examen et le classement national.

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Ce serait la même chose avec un classement régional.

Mme Cécile Renson. - Un classement national est particulièrement pénalisant. Et les femmes obligées d'interrompre leurs études ne peuvent même pas, après leur grossesse, passer un certificat d'études cliniques spécial (CES).

Mme Irène Kahn-Bensaude. - Je crois que des passerelles sont actuellement étudiées.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Nous allons examiner de près ce décret. Je vous remercie de votre contribution au travail de notre délégation.

Femmes et travail - Table ronde sur les professions juridiques

La délégation auditionne ensuite, dans le cadre d'une seconde table ronde, des représentantes des professions juridiques : Mme Aurélie Berthet, avocat à la Cour, membre du Conseil national des Barreaux, Mme Mary-Daphné Fishelson, présidente de l'Association des femmes juristes, Mme Marie-Cécile Moreau, présidente de l'Association française des femmes des carrières juridiques, Mme Odile Lajoix, présidente de l'Association des juristes et entrepreneures, ainsi que Mme Caura Barszcz, journaliste, directeur de publication de Juristes associés.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Nous poursuivons nos auditions de la matinée sur « Femmes et travail », axées sur les professions libérales et indépendantes avec une table ronde consacrée aux professions juridiques.

Comme je le rappelais tout à l'heure, nous avons déjà procédé à un bon nombre d'auditions « généralistes » qui, par la force des choses, ont plutôt abordé la question du travail des femmes sous l'angle du salariat. Il nous a paru indispensable de compléter ce tour d'horizon par des séances consacrées aux professions libérales ou indépendantes.

On y retrouve certainement des phénomènes très proches de ceux dont on nous a parlé dans le monde du salariat ou de la fonction publique, mais je ne doute pas qu'ils puissent prendre, dans le cadre de vos professions, des formes particulières auxquelles nous devons êtes attentifs.

Je vous donne la parole.

Mme Mary-Daphné Fishelson, présidente de l'Association des femmes juristes (AFJ). - Sur les chiffres, le Conseil national des Barreaux (CNB) est le mieux placé car il collecte l'ensemble des données relatives aux avocats. Le dernier cahier statistique « Avocats : évolutions et tendances de la profession », paru en octobre 2011 est disponible sur le site internet du CNB. Les données sont établies au niveau national puis région par région.

Mme Aurélie Berthet, avocat à la Cour, membre du Conseil national des Barreaux. - En 2010, on comptait 26 481 femmes avocates et 25 277 hommes. La parité a été atteinte en 2008 ; aujourd'hui, les femmes sont majoritaires. Dans cinq régions elles sont encore au-dessous du seuil de 50 %, mais pour peu de temps. La féminisation de la profession vient après celle des magistrats. Aujourd'hui, les effectifs d'étudiants sont féminins à plus de 65 %.

Le revenu moyen des avocats après dix ans d'expérience est de 51 000 euros pour les femmes contre 100 000 euros pour les hommes. Chiffre frappant ! Certes les femmes travaillent moins. Les données de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) datent de 2001, mais elles montrent une tendance nette. Surtout, les femmes travaillent différemment : pas question pour elles de sacrifier leur samedi, qui est le jour des courses et des enfants, alors qu'un homme n'hésitera pas à se plonger dans ses dossiers. Les données sur les rythmes de vie font apparaître quatre à six heures de tâches domestiques par semaine pour les femmes, deux pour les hommes. Ce temps incompressible influe directement sur la durée du travail.

Les femmes travaillent aussi dans des secteurs moins rémunérateurs. Elles font plus d'aide juridictionnelle (AJ) et sont plus souvent en cabinet individuel, moins rémunérateur que l'association. Tout ceci ne justifie pas un écart de revenu du simple au double... Mais comme la profession se féminise, la tendance va forcément s'infléchir.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Justement, avez-vous noté des inflexions ?

Mme Aurélie Berthet. - Le « plafond de verre » perdure. L'homme est-il plus précieux parce qu'il se fait rare ? On trouve peu de femmes aux postes de direction des grands cabinets, mais l'évolution démographique, là encore, fera son oeuvre. Quant à la prétendue différence de rythme de travail entre Paris et la province, c'est un mythe.

Mme Marie-Cécile Moreau, présidente de l'Association française des femmes des carrières juridiques (AFCJ). - Les propos de Mme Berthet sont justes, mais j'apporterai une précision au nom de l'Association française des femmes des carrières juridiques (AFCJ). Les femmes avocates peuvent avoir des quotidiens très différents : l'exercice de la profession par chacune dépend de ses capacités, de sa vie personnelle, de son lieu de travail... Ces petites différences jouent un grand rôle dans l'évolution générale. Notre association, qui couvre toute la France et pas uniquement Paris, a le sentiment que si une évolution se produit, elle se fera grâce aux femmes. Mais c'est incontestable : 52 % de femmes dans la profession, cela va changer la donne.

Deuxième observation, sur les revenus. Les honoraires des avocats sont libres. Les femmes ne sont pas soumises à des barèmes ou des grilles....

Mme Aurélie Berthet. - Certaines avocates vivent très bien, d'autres très mal. Il y a des réussites exemplaires, des carrières qui mènent jusqu'à la tête du Fonds monétaire international (FMI) ! Bien sûr, les honoraires sont libres et les femmes l'ont compris. Elles n'occupent pas seulement les secteurs les moins rémunérateurs. Les chiffres édités chaque année par l'Association nationale d'assistance administrative et fiscale des avocats (ANAAFA) sont cependant significatifs, pour certaines structures de cabinets. Ainsi le revenu est vraiment différent selon que l'on exerce en cabinet individuel ou en association. Les statistiques de l'ANAAFA concernent 20 000 structures.

Mme Odile Lajoix, présidente de l'Association des juristes et entrepreneures (AJE). - L'avocature est une seule profession, mais qui recouvre différents métiers. Les parcours sont très influencés par l'origine sociale : l'avenir n'est pas le même pour la jeune avocate maghrébine que pour l'étudiante bourgeoise qui peut compter sur le réseau de ses parents. Dès le départ, les chances sont inégales. Il y a celle qui va intégrer un grand cabinet : si elle devient la pouliche d'un senior bien placé, elle pourra espérer prendre la tête d'un secteur important.

Il y a aussi un choix. Telle avocate ne fera que de l'aide juridictionnelle et travaillera trois après-midi par semaine, en estimant en retirer un revenu suffisant. Enfin, dans certaines niches, les honoraires sont plus importants, par exemple les fusions-acquisitions pour des clients grandes entreprises.

Puis, vers quarante, quarante-cinq ans, on peut devenir associée dans un cabinet, envisager de se présenter au conseil de l'Ordre, à la Caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), et tirer les fruits de ses sacrifices.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Combien de femmes y-a-t-il au conseil de l'Ordre ?

Mme Mary-Daphné Fishelson. - Peu se présentent. Donc, quand elles le font, elles sont assurées du succès.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Pourquoi ne se présentent-elles pas plus ?

Mme Mary-Daphné Fishelson. - Il y a plusieurs facteurs. Elles n'y pensent pas. Il leur faut aussi appartenir à un cabinet qui adhère à ce projet. J'ai été secrétaire du bâtonnier : quatre jours de travail par semaine, bénévole bien sûr. C'est très prenant. Si l'on ne veut pas trop rogner sur ses heures de travail au cabinet, on sacrifie inévitablement sa vie personnelle.

Dans tous les métiers, l'origine sociale a un impact. Ne caricaturons pas. L'école du barreau met tout le monde au même niveau. Avoir des parents clients d'un grand cabinet ou eux-mêmes avocats peut aider à trouver une première collaboration, c'est vrai. Mais les plus favorisés ne vont pas tous dans un grand cabinet. Ce choix implique d'être toujours au plafond des heures de collaboration, 1 800 à 2 000 heures de travail, et dans certaines spécialisations, on a moins de clientèle personnelle. Du reste, à travailler sur des grosses fusions, on perd le goût de s'occuper de la petite PME. Mais tout dépend des spécialisations.

Pour une femme, les choix ne sont pas faciles. Comment concilier la vie personnelle et la carrière ? La plupart des grands cabinets sont gérés depuis les États-Unis ou la Grande-Bretagne, en majorité par des hommes. Il est très difficile pour les femmes d'y devenir associées. Elles décident en général de partir pour des structures plus humaines, devenir leur propre maître. Si la profession est majoritairement féminine, les associés ne le sont pas. Dans les petits cabinets, la progression est plus facile.

Mais il est évident qu'à expérience et compétences égales, les femmes sont moins rémunérées - sinon au niveau des associés, du moins à celui de la collaboration. Et l'on retrouve cette problématique dans les autres professions libérales représentées dans notre association, huissiers, notaires...

Mme Caura Barszcz, journaliste. - Je me suis penchée sur le conseil d'administration des cabinets d'affaires - pas seulement anglo-saxons. Je constate que la profession se féminise : les femmes représentent 65 % des effectifs, 63 % des collaborations, elles occupent 76 % des postes administratifs dans les grands cabinets et sont 25,6 % à être associées, ratio plus élevé que dans d'autres professions libérales.

Qu'il existe un « plafond de verre », c'est certain, mais il est à la fois objectif et subjectif. Objectivement, le processus qui mène à l'association est devenu très lent : là où il fallait dans le passé cinq à sept années pour devenir associé, il en faut aujourd'hui dix à douze. Les interruptions de carrière des femmes jouent évidement en leur défaveur. En outre, la culture de certains cabinets est très machiste. On apprécie ses nombreuses collaboratrices, mais « associer une femme, c'est compliqué ». Au niveau des clients, ça ne l'est pas ! Ils sont de plus en plus nombreux à demander des statistiques sur la mixité, à choisir un cabinet en phase avec leur propre politique dans ce domaine. Les cabinets prennent conscience de cet enjeu à la fois éthique et économique. Ils s'aperçoivent aussi de la perte sur investissement que représente le départ d'une collaboratrice. Après cinq ou sept ans de formation et d'expérience, au moment même où elles peuvent gérer des dossiers de manière plus autonome, les femmes s'en vont, dans des cabinets plus petits, ou dans les entreprises.

En ce qui concerne les associées, elles sont 25 % dans les grands cabinets d'affaires, contre 16 % aux États-Unis : nous ne sommes pas si mal loties. Mais encore faut-il faire la différence entre l'association dite « en equity » - on détient des parts, des droits de vote... - et l'association « non equity », de deuxième rang. Or 39 % des femmes associées le sont dans cette catégorie.

Les femmes occupent des créneaux moins rémunérateurs, c'est vrai, mais de moins en moins : on les spécialisait volontiers en droit social, or celui-ci avec la crise économique devient central dans les cabinets.

Mais il y a les obstacles psychologiques. La profession d'avocat a été faite par et pour les hommes, et les femmes y sont considérées comme un mal nécessaire. Il faut faire avec. Cette attitude n'est plus tenable aujourd'hui ; le développement des cabinets passe par la féminisation. Les femmes sont appelées à prendre des responsabilités, mais encore faut-il qu'elles le veuillent. Il est vrai que le système du parrainage se passe plus naturellement avec les « poulains » qu'avec les « pouliches », pour reprendre le terme employé précédemment. Les cabinets sont cependant de plus en plus nombreux à se doter de programmes de promotion des femmes... L'évolution se fait par petites touches.

Au sujet des honoraires, il y a souvent des objectifs, explicites ou non, dans les cabinets d'affaires. Les systèmes de rétrocessions, plus avantageux qu'ailleurs, n'incitent pas à développer sa propre clientèle. Mais les taux horaires demandés sont les mêmes pour les hommes que pour les femmes.

Mme Mary-Daphné Fishelson. - L'association des femmes pose un vrai problème économique, avec 1 200 jeunes qui arrivent sur le marché aujourd'hui. Je ne parle pas des cabinets d'affaires, qui sont surtout une spécificité parisienne. Quand nous avons débuté, nous étions sûres de devenir associées : ce n'est plus vrai aujourd'hui, même dans les cabinets d'une certaine importance.

Ainsi devenir associé dans le domaine des fusions-acquisitions ou du financement d'entreprises, par exemple, devient de plus en plus difficile, en raison des difficultés du secteur. Lors du choix, entre un homme et une femme, d'un associé, les hommes seront avantagés s'ils sont spécialisés dans un créneau considéré comme plus porteur.

Mme Caura Barszcz. - Mais même au sein d'un même créneau, le choix se portera plus facilement vers l'homme.

Mme Mary-Daphné Fishelson. - Dans les cabinets de taille moyenne, d'une centaine d'avocats, trente sont associés, les soixante-dix autres ne le seront jamais. Il y a un problème structurel, qui se pose de manière plus aigue pour les femmes, moins présentes en raison des maternités, avec des chiffres d'affaires qui diminuent légèrement pendant ces périodes.

Mme Caura Barszcz. - Et elles se positionnent moins pour accéder à l'association.

Mme Aurélie Berthet. - Il est évident que tout le monde ne peut pas devenir associé. Sur les rémunérations, les tarifs horaires facturés sont identiques entre hommes et femmes. Mais si les dossiers les plus prestigieux sont attribués aux hommes, leur rémunération sera supérieure.

Mme Odile Lajoix. - Au retour de maternité, les femmes se voient confier des dossiers moins importants. C'est un processus hypocrite et vicieux. 

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Un retour à la case départ !

Mme Aurélie Berthet. - C'est un vrai sujet.

Mme Caura Barszcz. - Il est faux de croire que les cabinets anglo-saxons comptent plus de femmes associées. Paris est un champion de la mixité. Il fait de ce point de vue mieux que la province. C'est pourquoi des actions positives sont menées en faveur des femmes, comme me l'a confié le responsable d'un grand cabinet américain, pour les déculpabiliser, les rassurer sur la possibilité de mener deux carrières, en accordant lors des évaluations annuelles des bonus aux femmes ayant des enfants.

Mme Aurélie Berthet. - Cela déculpabilise surtout les hommes.

Mme Caura Barszcz. - Les mentalités évoluent, mais les contraintes économiques demeurent. On avance à tâtons. Faute de pouvoir augmenter le nombre d'associés, on instaure des strates hiérarchiques intermédiaires. Mais cette problématique n'est pas propre aux femmes : il est désormais nécessaire d'aménager des carrières pour tenir compte du manque d'appétence des collaborateurs pour l'exercice des fonctions de direction, tout en les fidélisant et en leur assurant une carrière.

Mme Aurélie Berthet. - Sur cette difficulté d'accéder à l'association, il faut également citer l'intrusion de la vie privée dans la sphère du travail. Les femmes consacrent quatre à six heures par semaine aux tâches domestiques. C'est autant de moins pour se livrer au travail de réseautage. Pendant ce temps-là, les hommes, eux, se font connaître.

Mme Caura Barszcz. - Les hommes jeunes ont moins envie de devenir associés. C'est peut-être une chance pour les femmes...

Mme Aurélie Berthet. - En effet ! Je suis optimiste. Mais les femmes ont moins de temps à consacrer aux démarches liées à leur carrière.

Mme Odile Lajoix. - Nous souhaitons donner aux femmes, par la formation, les outils de gestion de leur carrière. Les consciences évoluent. Les grands cabinets anglo-saxons, introduits en bourse, soucieux de leur réputation dans les marchés financiers, se sont dotés de chartes pour promouvoir les femmes... La prise de conscience a conduit tel cabinet qui n'avait que des associés hommes à recruter deux associées à l'extérieur, tel autre à amplifier la promotion interne.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - On constate en effet des progrès, dans toutes les entreprises, même s'ils restent embryonnaires.

Mme Caura Barszcz. - J'ai participé à un groupe de travail sur la féminisation des professions juridiques mis en place par la Chancellerie. Les femmes sont un ferment de dynamisme : elles font bouger les lignes en matière de management, de relation avec les clients, de conception de la responsabilité sociétale. Les femmes aiment leur travail, mais restent prisonnières d'un carcan. Beaucoup d'entre elles parviennent à le briser, et nous devons aider les autres à faire de même. Car elles poussent les hommes à se repenser. Elles sont un catalyseur pour faire bouger les lignes !

Mme Marie-Cécile Moreau. - La situation des femmes est différente selon qu'elles sont avocates ou magistrates ; le dialogue au sein des professions juridiques est important et fournit des comparaisons et des leviers d'action utiles. L'AFCJ fait partie d'une fédération qui constitue un cadre d'échanges avec des femmes d'autres pays. Nous avons de nombreux points communs ! Le droit applicable est le droit français mais aussi le droit communautaire. Ne limitons pas la réflexion aux avocates, ni même aux professions libérales. Je songe aux magistrates. Pour toutes les professions juridiques, c'est le même combat.

Mme Mary-Daphné Fishelson. - L'association des femmes juristes compte aussi parmi ses membres des magistrates et des avocates. Or, leurs situations me paraissent différentes : les avocates travaillent pour un client. Leur absence, pour quelque raison que ce soit, peut être source de difficulté dans la relation avec leur client, celui-ci pouvant être amené à travailler avec un autre avocat. Cette situation est très mal vécue par les associés. De même, les collaboratrices qui travaillent au sein de petites structures, avec le même associé depuis longtemps, sont susceptibles de vivre avec un sentiment de culpabilité leur grossesse si celle-ci perturbe le fonctionnement du cabinet.

Mme Caura Barszcz. - Parfois la collaboration s'arrête là !

Mme Mary-Daphné Fishelson. - Les règles déontologiques ont hélas besoin d'être rappelées. Les textes fixent les modalités du congé de maternité, durée, rétrocessions d'honoraires, retour, etc. Dans la réalité, tout est fonction des cabinets, des dirigeants, de la réaction des clients, du déroulement de la grossesse, etc. Les gros cabinets surmonteront plus facilement l'absence simultanée de plusieurs collaboratrices. Dans un petit cabinet, cela peut constituer un frein, qui frappe surtout les femmes d'ailleurs, en dépit des garanties en vigueur.

Mme Aurélie Berthet. - Outre les textes, déjà précis, des mécanismes existent pour faciliter la gestion des situations. Le Barreau de Paris a mis en place une assurance maternité pour prendre en charge les honoraires de remplacement lors de l'absence de collaboratrices. Mais dans les faits, on voit des situations dramatiques de rupture du contrat de collaboration en réaction à l'annonce d'une grossesse. C'est l'équivalent du licenciement pour un salarié... moins les indemnités !

Mme Mary-Daphné Fishelson. - Je siège à la commission de règlement des difficultés d'exercice en collaboration : huit dossiers sur dix concernent des ruptures liées à la maternité, parfois à l'annonce de la grossesse, ou le jour du retour. Des sanctions sont prévues, mais elles ne sont pas financières. Les collaboratrices n'ont droit ni à des dommages et intérêts, ni à la réintégration.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - C'est une forme de précarité.

Mme Aurélie Berthet. - Ancienne présidente du syndicat l'Union des jeunes avocats, je confirme ce constat. Tel patron se hâte de jeter dehors sa collaboratrice enceinte en dépit de relations amicales nouées depuis des années... Nous encourageons les avocates concernées à réclamer devant les tribunaux des dommages et intérêts. Ceux-ci restent modérés, mais ils deviennent plus fréquents.

Mme Caura Barszcz. - La crainte de sanctions financières est le seul aiguillon du progrès.

Mme Aurélie Berthet. - Le machisme est partagé par les femmes devenues associées.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Elles reproduisent les schémas qu'elles ont subis.

Mme Caura Barszcz. - Les femmes sont les meilleures ennemies des femmes.

Mme Mary-Daphné Fishelson- En commission des difficultés de la collaboration, j'ai vu des associées s'indigner des absences d'une collaboratrice enceinte ou jeune mère, et clamer qu'elles-mêmes ont fait plusieurs enfants et les ont élevés tout en progressant professionnellement : elles oublient ce qu'est une grossesse difficile, elles ignorent le coût de la garde des enfants quand on a un petit salaire.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Tout est affaire de mentalité, de tolérance. Il faut révéler ces situations au grand public. Cela contribuerait à les faire reculer.

Mme Aurélie Berthet. - La profession aime à régler ses affaires en famille.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Mais cela pourrait devenir un critère de qualité pour les cabinets.

Mme Mary-Daphné Fishelson. - Ni le cabinet ni la collaboratrice n'auraient à gagner à une dénonciation...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Sans entrer dans des cas particuliers, je pense à des campagnes d'informations pour révéler les lignes de force qui rendent impossible aux femmes d'accéder à des postes de responsabilités.

La précarité n'est pas seulement liée au temps partiel, qui est une réalité variable selon les professions. Pour les médecins libéraux, par exemple, le temps partiel représente 35 heures. Il est temps de mettre fin aux archaïsmes.

Mme Odile Lajoix. - Selon la fondatrice de l'association « Moms à la barre », le risque d'être virée, pour une femme au retour de maternité, qui ne peut travailler plus de 60 heures par semaine, existe dans toutes les structures, y compris les grands cabinets. Souvent les femmes ne feront pas de recours car elles craignent d'être « blacklistées ». C'est la loi du silence !

Mme Aurélie Berthet. - Mais non ! On voit tous les jours des recours.

Mme Odile Lajoix. - Tant mieux ! Dans ce cas, je vous les adresserai.

Mme Aurélie Berthet. - Les avocates installées en individuel ont bien des difficultés pour tout concilier. On ne peut travailler ses dossiers avec les enfants sur les genoux. Or elles sont résolument ignorées des pouvoirs publics et en proie au préjugé selon lequel les avocats ont tous des revenus conséquents.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Il s'agit aussi d'une question d'aménagement du territoire, d'accès aux services publics. Le travail que réalisent, avec passion, les associations sur le terrain est remarquable. Il permet de faire connaître les situations de souffrance.

Mme Marie-Cécile Moreau. - Dans les cas de rupture en raison de grossesse, nous incitons les avocates à porter plainte. Elles ne doivent plus accepter de se laisser renvoyer sans motif pertinent.

Mme Odile Lajoix. - Les avocates peuvent souscrire une assurance contre la perte de collaboration.

Mme Aurélie Berthet. - Un mot sur les retraites. Les femmes quittent la profession plus tôt que les hommes et ont des revenus moindres, cotisant sur une base moins large : leur retraite est donc moindre que celle des hommes. En outre, alors que l'on compte huit actifs pour un retraité actuellement, quelle sera la pyramide des âges lorsque les femmes qui cotisent aujourd'hui prendront leur retraite dans quarante ans ? Le financement n'est pas assuré à cet horizon.

Mme Mary-Daphné Fishelson. - Le problème concerne aussi bien d'autres professions. L'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (AGIRC) et l'Association générale des institutions de retraite des cadres (ARRCO) seront en déficit dans quarante ans.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Parlons du harcèlement.

Mme Caura Barszcz. - Il concerne les deux sexes : les femmes ne sont pas en reste pour le harcèlement moral... Le Barreau de Paris a mis en place une commission où la mixité a été voulue, pour montrer que la question n'est pas « une histoire de nanas ». Sur ce sujet aussi, l'omerta règne. Un numéro de téléphone spécialisé a été créé. Nous espérons qu'il contribuera à libérer la parole.

Mme Odile Lajoix. - Mme le bâtonnier du Barreau de Paris a entrepris d'avancer sur cette question.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je vous remercie de tous ces éclairages, si importants pour notre réflexion et notre action.