Mercredi 28 mai 2014

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

La réunion est ouverte à 10 h 05.

Accès à la formation à l'heure du numérique - Table ronde

La commission organise une table ronde sur l'accès à la formation à l'heure du numérique. Sont entendus :

- Mme Catherine Mongenet, responsable du programme « France Université Numérique » (FUN) au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

- Mme Clara Danon, chef de projet de la mission du numérique pour l'enseignement supérieur au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

- M. Thierry Danquigny, directeur du service enseignement et multimédia (SEMM) de l'université Lille-I ;

- M. Bertrand Bonte, directeur « Développement et métiers » à la direction des formations, de l'international et des partenariats de l'Institut Mines-Télécom.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - C'est une banalité que de dire que le numérique envahit peu à peu tous les domaines de l'activité humaine. Mais qu'en est-il en matière éducative ?

Jean-François Rouet, chercheur au centre de recherche sur la cognition et l'apprentissage, estime que « dans deux décennies, Internet sera sans doute accessible partout, mais son usage ne sera pas généralisé. L'éducation, telle que l'humanité l'a conçue depuis des millénaires, restera la technologie la plus puissante pour transmettre, acquérir et améliorer ses connaissances. »

Nous sommes donc réunis aujourd'hui, dans le cadre d'une table ronde, pour discuter du développement des cours en ligne destinés au grand public, c'est-à-dire de ce qu'on appelle désormais communément les MOOCs ou, par respect de la langue française, bien que le sens des deux acronymes ne soit pas tout à fait identique, les « CLOM », cours en ligne ouverts et massifs. Notre commission préfère le vocable de « nuage » à celui de « cloud », c'est pourquoi je prends ici cette précaution linguistique. Nous assistons, depuis presque deux ans, à une véritable révolution numérique dans le secteur de l'enseignement avec de fortes implications en termes de démocratisation de l'accès de la jeunesse aux formations supérieures, non seulement en Europe et aux États-Unis mais également au sein des pays émergents, par exemple en Afrique.

La France s'est récemment dotée d'un programme national de soutien au développement de son offre de MOOCs, dénommé « France Université Numérique » (FUN), afin de mettre en place un campus virtuel francophone capable d'assurer le rayonnement intellectuel, scientifique et linguistique de notre système d'enseignement supérieur.

Notre table ronde a donc pour premier objet de mieux comprendre ce qui se cache derrière le terme de MOOCs. C'est pourquoi nous visionnerons, en introduction, un court film documentaire réalisé par la direction de la communication du Sénat sur la conception par l'École Centrale de Paris d'un MOOC consacré au développement durable, qui a rencontré un fort succès tant en France qu'à l'étranger.

Puis nous aurons le plaisir d'entendre nos invités réagir à cette présentation et, le cas échéant, la compléter en nous expliquant en quoi le MOOC peut constituer un outil complémentaire à l'enseignement en présentiel et en quoi les campus virtuels peuvent être le prolongement des universités physiques. Il leur reviendra également de nous exposer ce qu'ils considèrent être les limites des MOOCs, notamment en termes d'interactions pédagogiques et de valeur ajoutée de la formation en ligne. Dans le prolongement du dernier numéro de la revue Le Débat qui se penche sur le thème de « l'ouverture de l'université par le numérique », il sera intéressant d'identifier les principales contraintes pédagogiques, techniques et financières qui pèsent sur l'essor des MOOCs. Face à la multiplication des plateformes de distribution des MOOCs, pour certaines payantes, nous devrons, en outre, nous interroger sur leur vocation véritable : s'agit-il d'une véritable avancée pédagogique, notamment en termes d'accès à la connaissance, ou d'un leurre dont les promoteurs sont avant tout animés de préoccupations économiques, autrement dit trouver de nouvelles sources de financement pour des établissements d'enseignement supérieur en difficulté ?

Mme Catherine Mongenet, responsable du programme « France Université Numérique » (FUN) au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - C'est dans le cadre de l'agenda numérique pour l'enseignement supérieur élaboré par Mme Fioraso l'an dernier, structuré en dix-huit actions allant de l'amélioration des infrastructures à la transformation des formations, et de l'initiative « France Université Numérique » que nous avons décidé de lancer une plateforme numérique d'hébergement de MOOCs. Des établissements qui avaient commencé à en produire, s'interrogeaient sur leur mode de diffusion. Aux États-Unis, précurseurs en la matière, deux plateformes existaient : Coursera, créée par Stanford et edX, initiée par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et Harvard. Certains établissements français étaient prêts à y publier leurs MOOCs, d'autres éprouvaient des craintes sur la confidentialité des données des étudiants qui y seraient hébergées. Dans l'écosystème universitaire français qui s'intéressait aux MOOCs, se manifestait le souci de disposer d'une plateforme mutualisée, pour des raisons de coûts et d'efficacité, qui soit hébergée en France.

Or, le 1er juin 2013, le consortium à but non lucratif qui avait créé edX a mis son code en open source. Après avis d'une trentaine d'experts de la communauté universitaire, nous avons rapidement décidé de l'utiliser et le projet, validé mi-juin par le cabinet de Mme Fioraso, a été lancé le 12 juillet 2013. Grâce au concours de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), du Centre informatique national de l'enseignement supérieur (CINES) qui accueille la plateforme sur ses serveurs à Montpellier et du réseau national de télécommunications pour la technologie l'enseignement et la recherche (RENATER) qui nous a permis d'avoir la bande passante suffisante, il a été mené à terme pendant l'été, et la plateforme a été ouverte en octobre 2013.

Dix établissements - cinq écoles d'ingénieurs et cinq universités - avaient déjà préparé 25 MOOCs. Il y en a aujourd'hui 36, provenant de 16 établissements d'enseignement supérieur français, et portant sur des domaines aussi variés que l'environnement, la santé, le droit, l'ingénierie ou les sciences humaines et sociales. Deux MOOCs portés par l'université de Nanterre, l'un de philosophie et l'autre sur l'histoire de la Grande Guerre, remportent un franc succès. Sciences Po a publié deux MOOCs, sur les humanités scientifiques et les relations internationales. Tous les MOOCs de FUN sont en français à l'exception d'un, en anglais, produit par Sciences Po pour toucher un public plus large. Certains MOOCs sont issus d'une collaboration internationale : ainsi celui sur la santé publique, qui intéresse particulièrement les pays du Sud, a-t-il été élaboré dans le cadre d'un partenariat entre Paris-V et l'université de la Charité à Berlin.

Un MOOC comprend des vidéos de courte durée, suivies en règle générale de questionnaires à choix multiples (QCM) qui permettent à l'apprenant de vérifier qu'il maîtrise bien les concepts. Les apprenants peuvent échanger questions et informations entre eux ou avec les tuteurs et les animateurs qui travaillent avec l'équipe enseignante sur un forum virtuel. Certains MOOCs offrent un Wiki, ou espace de production collaborative entre apprenants. Certains MOOCs organisent des moments de rencontre virtuelle synchrone (« live events ») avec le professeur qui sont très prisées des internautes, même si tous ne peuvent y participer, notamment en raison des décalages horaires. Certaines de ces rencontres peuvent être enregistrées, et réécoutées à la demande. Certains MOOCs peuvent donner lieu à une importante activité de travail personnel ou collectif en dehors des QCM qui fait l'objet d'une évaluation entre pairs. Le grand nombre d'inscrits rendant impossible une correction de tous les travaux par le professeur, l'évaluation entre pairs devient la norme.

Lorsque l'internaute suit le MOOC jusqu'au bout et répond à tous les quizz, il peut recevoir une attestation. Certaines équipes pédagogiques, comme celle qui a réalisé le MOOC de philosophie à Nanterre, ont décidé de ne pas en délivrer. D'autres donnent un document attestant que l'apprenant a suivi le MOOC avec succès. Cette attestation ne mentionne toutefois que l'identité déclarée par l'internaute, qui peut s'être inscrit sous un pseudonyme. L'attestation n'a que la valeur qu'on veut bien lui donner. L'obtention de véritables certificats, souhaitée par certains, se heurte pour l'instant au problème du contrôle de l'identité et des conditions d'examen. Néanmoins, nous faisons des expérimentations en la matière, notamment avec l'Institut Mines-Télécom.

Les 36 MOOCs offerts sur notre plateforme ont suscité environ 300 000 inscriptions, correspondant à quelque 160 000 internautes différents, dont 53 % d'hommes ; le public d'apprenants va des mineurs aux retraités : 14 % des inscrits ont entre 18 et 25 ans, 64 % de 25 à 50 ans. La plupart sont très diplômés et souvent déjà salariés ou en situation professionnelle : 44 % ont un master, 52 % ont un master ou un doctorat, 16 % ont une licence, 11 % un diplôme universitaire de technologie (DUT) et 12 % sont bacheliers. Seuls 3 % n'ont que le brevet ou aucun diplôme. La proportion d'inscrits issus de pays africains - essentiellement du Maghreb ou d'Afrique subsaharienne francophone - est de 12,3 % et augmente chaque mois.

Mme Clara Danon, chef de projet de la mission du numérique pour l'enseignement supérieur au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - La mission du numérique pour l'enseignement supérieur aide les établissements à développer leurs usages du numérique, entre autres pour la formation. Les dix-huit actions prévues par l'agenda numérique couvrent en effet un champ plus large que les MOOCs. Si ceux-ci ont fait l'objet, en raison de leur caractère emblématique, d'une sorte d'opération commando l'été dernier, il reste à les intégrer dans nos offres de formation. Nous développons des formations d'accompagnement pour les enseignants concernés, nous soutenons la recherche en « e-éducation » et aidons les établissements à élaborer leur stratégie, nationale et internationale, d'emploi du numérique au service de leurs objectifs éducatifs et sociaux, notamment pour l'orientation, la réussite étudiante et l'insertion. Nous parlons plus souvent de MOOC parce l'acronyme de cours en ligne ouvert à tous est CLOT. Paradoxal, pour une action d'ouverture...

M. André Gattolin. - Il y a l'acronyme CLOM !

Mme Clara Danon. - La formation en ligne existe depuis longtemps. Les MOOCs ont fait l'objet d'une grande publicité. Ils sont gratuits et très accessibles, puisqu'aucun prérequis n'est exigé, et sont souples dans le suivi. Ils durent en général entre six et douze semaines, et font la part belle au travail collaboratif et à l'évaluation par les pairs. Mais quid de leur modèle économique ? Ils peuvent constituer un produit d'appel pour un établissement. Plusieurs écoles ou universités peuvent aussi élaborer un MOOC pour mettre en commun des connaissances de base. D'autres pourront faire payer des services additionnels comme la certification. Plus probablement, l'avenir est à l'hybridation des formations, qui alterneront entre cours présentiel et formation en ligne, car le besoin de se rencontrer demeurera - il paraît même qu'un groupe de participants a décidé de continuer à se retrouver sur le réseau LinkedIn après l'achèvement d'un MOOC.

Les MOOCs sont-ils vraiment révolutionnaires ? Ils ouvrent en tout cas massivement l'accès à l'enseignement, et suscitent un enthousiasme, notamment au sein d'un certain nombre d'équipes enseignantes, sur lequel nous devons nous appuyer pour transformer l'enseignement supérieur et la formation y compris pour l'enseignement en présentiel.

M. Thierry Danquigny, directeur du service enseignement et multimédia (SEMM) de l'université Lille-I. - Je dirige le service enseignement et multimédia de l'Université Lille-I, en charge du développement des technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement (TICE). Nous produisons et diffusons des ressources numériques et des dispositifs multimédias, comme des plateformes ou de l'enrichissement vidéo, pour les enseignants ou en réponse à des appels à projet. Nous avons ainsi mis en place Lille 1.Pod ou des travaux pratiques virtuels (SEMM Labs). Nous étudions aussi les usages du numérique et accompagnons les enseignants dans son utilisation et le soutien aux étudiants.

Enseignant spécialisé en TICE et e-learning, je donne en master 2 des cours d'ingénierie pédagogique multimédia à la fois en présentiel et à distance. Je mesure ainsi les différences dans l'appropriation du cours et dans le style d'enseignement. Une personne est chargée de notre contribution à la plateforme edX, et Lille-I propose des MOOCs, notamment un MOOC de cryptographie sur la plateforme de MOOCs « Canvas » », le MOOC « QuidQuam ? » sur FUN, ou un MOOC pour préparer à la certification Internet.

Les MOOCs arrivent dans un environnement que le numérique a déjà structuré. De nombreux métiers - arts graphiques, audiovisuel, scénarisation - se sont développés depuis la création en France, en 2004, des universités numériques thématiques (UNT) en réaction aux premiers MOOCs initiés aux États-Unis en 2001-2002 avec OpenCourseWare. Dans la Petite fabrique de l'innovation à l'Université, Brigitte Albero dresse ainsi le portrait de quatre pionniers de l'université numérique. Ces UNT ont permis de créer un réservoir de ressources numériques disponibles pour les MOOCs. Notre MOOC de cryptographie utilise des ressources, notamment des vidéos d'arithmétique, financées par des appels à projet antérieurs, comme Unisciel, sans lesquelles le coût aurait été bien supérieur à 30 000 euros, somme évoquée dans le film que nous avons vu en introduction à notre table ronde. Le MOOC QuidQuam ? comporte une soixantaine de vidéos de vulgarisation scientifique qui ont chacune requis entre dix et quinze jours de travail. Heureusement, certaines ont rescénarisé des éléments existants.

Un MOOC est-il plus motivant qu'un cours présentiel ? Il crée un événement : le suivre, c'est rejoindre une aventure. Un suspense pédagogique s'instaure entre les cours, l'appétence étant renforcée par ce teasing (« annonce aguichante »), par une bande annonce en quelque sorte...

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous ne sommes pas des intégristes ! Cette commission a été présidée par Maurice Schumann puis par Jacques Legendre, grand défenseur de la francophonie...

M. Thierry Danquigny. - Un MOOC n'a pas vocation à être l'équivalent d'un cours en amphithéâtre, ou à le remplacer. La formule n'existe que depuis 2008, lorsque Siemens a initié les premiers MOOCs connectivistes : nous en sommes encore au stade de l'expérimentation. Pour l'heure, ils ne sont qu'une partie d'un système plus riche, déjà façonné par le numérique. Malgré les pressions internationales pour leur développement, nous devons favoriser leur usage raisonné dans un cadre hybride.

M. Bertrand Bonte, directeur « Développement et métiers » à la direction des formations, de l'international et des partenariats de l'Institut Mines-Télécom. -L'enseignement en ligne existe depuis longtemps dans le cadre des écoles d'ingénieurs, notamment pour la formation continue. C'est son ouverture qui a rendu son usage massif. La multiplication par cent ou mille du nombre des apprenants change la donne : comment un professeur pourrait-il traiter dix mille messages ?

Établissement public dépendant du ministère du redressement productif, l'Institut Mines-Télécom regroupe treize écoles d'ingénieurs. Après que Jean-Marc Gilliot a proposé il y a trois ans un premier MOOC « ITyPA » (Internet : tout y est pour apprendre »), l'ensemble du groupe a réfléchi à une stratégie commune, qui s'est traduite par un programme de transformation numérique partagé par les treize écoles d'ingénieurs et l'école de management d'Évry, car tous les directeurs sont convaincus que les MOOCs transformeront en profondeur les modalités de formation. À l'ouverture de la plateforme FUN, nous avions déjà trois MOOCs. L'un, consacré aux principes des réseaux de données, a suscité près de 8 000 inscriptions, mais seulement 2  400 personnes ont effectivement commencé à le suivre. En effet, la majorité des apprenants sont déjà formés. Les 20 % qui avaient un niveau bac + 2 ont eu un peu de mal, mais ceux qui étaient en entreprise se sont accrochés, beaucoup plus que les étudiants.

Le coût d'un MOOC est plus proche de 100 000 euros que de 30 000 euros, si l'on prend en compte l'ensemble des charges. Comment l'amortir ? Je ne vois guère que la formation continue diplômante - cette piste reste à explorer.

Pour les étudiants, le cours en amphithéâtre apparaît dépassé, comme le montrent les taux d'absentéisme. La souplesse horaire offerte par les MOOCs convient sans doute mieux.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Les MOOCs n'ont-ils pas lieu à date et heure fixe ? Peuvent-ils être visionnés à la demande ?

M. Bertrand Bonte. - Il convient de distinguer les cours que l'apprenant visionne quand il le désire, des classes virtuelles, données par exemple entre 14 et 15 heures sur le fuseau horaire parisien, qui peuvent certes être enregistrées mais ne permettant donc plus l'interaction.

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - Le colloque organisé par la Conférence des présidents d'université (CPU) la semaine dernière l'a montré, l'enseignement supérieur français doit s'emparer de ces nouvelles technologies qui envahissent tous les champs. Cela pose néanmoins de nombreuses questions. L'accessibilité d'abord : ces offres ne sont certes pas réservées, mais captées par les diplômés, habitués à se former eux-mêmes. Elles peuvent être utiles aussi à la formation tout au long de la vie et, pour les pays émergents, elles aident alors à préparer les futurs étudiants que nous voulons accueillir en France. Elles peuvent ouvrir la voie à de nouvelles méthodes pédagogiques pour les enseignants, face à des apprenants qui n'ont plus le même comportement à l'égard des diffuseurs de connaissance. Un chercheur disait ainsi : lorsqu'autrefois je faisais un cours sur la machine de Turing, la connaissance sortait de ma bouche pour toucher les étudiants ; ces derniers ont peu à peu commencé à contester mes propos ; aujourd'hui ils savent déjà de quoi il s'agit et me posent des questions sur les extensions éventuelles. Cela angoisse certains enseignants.

Le nuage garde la mémoire de tout ce qui se passe sur le réseau : nous saurons plus tard quels étudiants ont donné les bonnes réponses à un questionnaire tout de suite, ceux qui ont mis du temps pour répondre et ceux qui ne répondent jamais, non sans conséquences éventuelles sur leur future carrière. Qui détiendra ces données personnelles et comment seront-elles protégées ? Merci d'avoir précisé la différence entre les cours en ligne dispensés à des étudiants des quatre coins du monde mais dans un cercle privé, et les MOOCs, accessibles à tous. Le coût que vous annoncez entraîne des interrogations, même si cela constitue un produit d'appel et que le retour sur investissement, trop récent pour être mesuré, est probablement positif.

M. Jacques Legendre. - Rassurons nos visiteurs : nous ne traquons pas les mots anglais. Peu importe si la classe est « affaires » ou « business » quand on monte dans un avion. Je suis préoccupé en revanche d'apprendre qu'un MOOC de Sciences Po soit exclusivement en anglais : cela les ouvre certes à un public international, mais cela les ferme à un public pas forcément à l'aise dans cette langue. C'est tout l'objet d'un des points que nous avons débattus à propos de la loi « Fioraso », pendant lequel nous avons réaffirmé que les cours devaient être en français, malgré les pressions diverses. Mais cela ne m'étonne guère de Sciences Po, qui a depuis longtemps oublié sa vocation et trahi son idéal.

Les MOOCs - qu'on les appelle ainsi ou autrement, les commissions de terminologie en décideront - sont un formidable instrument de démocratisation, à une époque où les universités, faute de moyens, reviennent sur les décentralisations, pour les premiers cycles universitaires notamment, des dernières décennies. Les médiathèques, développées dans un grand élan, devront être adaptées : elles pourraient bien être un moyen de mettre les MOOCs des universités et des grandes écoles à disposition d'un public plus large. C'est ce que nous faisons dès à présent chez moi, à Cambrai.

M. André Gattolin. - Le chiffre de 300 000 - ou plutôt de 160 000 - inscrits que vous citez ne m'étonne pas, pas plus que ce que vous dites des seniors, parce que cela reflète une partie des faiblesses de notre enseignement supérieur. J'enseigne à Paris-III en master professionnel ; intégrer une étudiante de 57 ans n'a pas été aisé ; la culture interne universitaire et étudiante ne le facilite pas. Nous ouvrons des cours du soir, mais ils deviennent des ghettos pour les seniors et ne sont pas toujours sanctionnés par un diplôme. Le numérique peut répondre à un besoin de formation tout au long de la vie ; il peut être utile à un public africain, pour lequel oeuvre l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) dans le développement des formations à distance. À la différence de la Grande-Bretagne, la France n'a pas construit d'universités dans ses anciennes colonies : leurs élites devaient venir se former à la Sorbonne, à un coût important, pour finalement ne plus repartir... Il faut voir comment le ministère des affaires étrangères traite l'AUF, dont le budget n'a été sauvé que grâce à l'intervention de parlementaires. La production de MOOCs est plus aisée dans les structures bénéficiant de moyens propres, Paris-III en est la preuve. Les droits d'auteur peuvent constituer un blocage : les universitaires, déjà payés, ne devraient pas en percevoir pour leurs publications universitaires - c'est en tout cas ma pratique. Il faudra définir les modalités de contrôle du savoir issu de ces formations. Les examens en ligne ne sont pas faciles à gérer : il faut accepter de se lever à deux heures du matin... Il reste beaucoup à faire.

Mme Colette Mélot. - La reconnaissance des apprentissages est très importante pour le développement de la formation continue en ligne qui peut dans certains cas être très coûteuse pour les entreprises ou les collectivités. Pourriez-vous en dire plus sur la plateforme européenne « OpenupEd » ouverte l'année dernière, à laquelle onze pays participent avec l'aide de la Commission ? J'imagine qu'il n'y a pas de rivalité entre les différents États membres ; mais il y en a peut-être avec les États-Unis ?

Mme Maryvonne Blondin. - Sachez qu'on peut aussi apprendre le breton, grâce au MOOC « Edubreizh » hébergé sur FUN, qui compte 3 300 inscrits : les langues régionales sont à la pointe du progrès ! Pourriez-vous nous en dire plus sur les classes inversées (« flipped classrooms ») ? Et le Centre national d'enseignement à distance (CNED) dans tout cela ? Il est payant alors que les MOOCs sont gratuits... Vous parlez d'écoles d'ingénieurs, mais pourquoi pas en médecine parce qu'on parle aussi de la télémédecine ?

M. Maurice Vincent. - Quelle est la part des cours en ligne disponibles ? Y a-t-il beaucoup de masters 2 en droit public ? Les MOOCs sont essentiels à la reconnaissance internationale, à la crédibilité de nos universités. Va-t-on vers un classement comme celui de Shanghai ? Le contexte semble concurrentiel. Dans un monde universitaire où l'implication des enseignants dans les activités pédagogiques n'est pas reconnue, et où, les promotions d'enseignants-chercheurs se font à 95 % sur la recherche, le développement des MOOCs pourrait être un enjeu pour améliorer la reconnaissance de l'investissement pédagogique des enseignants.

M. David Assouline. -La révolution numérique a déjà commencé en France, mais si nous voulons rattraper notre retard, il nous faudra mettre les bouchées doubles. Comme souvent en la matière, l'effet positif de démocratisation se heurte à d'autres logiques, notamment celle qui consisterait à ne rechercher que des économies, les MOOCs remplaçant les cours en amphi. Soyons vigilants sans être pour autant frileux ! Le contact virtuel n'est pas contradictoire avec le contact physique, irremplaçable pour la pédagogie comme pour la vie démocratique et citoyenne. Certains ont accès à une formation plus poussée à travers Internet. Le plus remarquable est sans doute le caractère collaboratif de ces nouvelles méthodes, avec les forums, qui doit être renforcé. Chaque étudiant a un savoir qu'il peut apporter à un autre. Ce que nous obtenons alors ne se trouve pas en amphi, notamment l'ouverture internationale et interdisciplinaire - bien loin de nos universités où toutes les disciplines sont bien rangées. Je veux le dire aussi à la ministre : nous devons être innovants sur ces aspects collaboratifs et transdisciplinaires ; c'est là que nous aurons une vraie valeur ajoutée.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Cette nécessité du contact physique parle à l'ancien professeur de sciences naturelles que je suis. Les travaux pratiques en ligne, artificialisés, ne permettent pas le toucher, l'empathie avec le monde animal et végétal ; sans eux, nous évoluerions vers une société très bizarre.

M. Bertrand Bonte. - Les enjeux sont différents pour les apprenants, qu'il s'agisse d'étudiants en formation initiale utilisant le numérique pour des cours en amphi ou des classes inversées, et pour la formation continue, qu'il s'agisse d'apprentissage ou de mise à jour de leurs connaissances. Dans un cours sur les réseaux de données beaucoup étaient là pour remettre à jour leurs connaissances. Les titulaires d'un diplôme universitaire de technologie (DUT) réclament une valorisation de leur effort, à la différence des ingénieurs. Est-ce que l'entreprise est prête à les accompagner dans cet effort, en prenant en charge les coûts d'une certification ou en dégageant du temps horaire ?

Comment les apprenants s'approprient-ils l'outil ? Le MOOC sur les réseaux de données a été imposé à un groupe d'étudiants en substitut d'un cours présentiel, qui se sont parfois plaints de ne pas avoir un vrai professeur. L'étudiant en formation initiale qui, toute sa scolarité, a reçu passivement la connaissance d'un enseignant, peut-il changer à 18 ou 19 ans ? Nous ne savons pas ce qui se passera pour un public de masse. Les enseignants, pour un coût de 100 000 euros, ont fourni 2 000 heures de travail pour créer l'équivalent de 30 heures de présentiel, soit 2 crédits ECTS (European credit transfer and accumulation system) ; c'est énorme ! Ils étaient très satisfaits d'avoir produit un enseignement meilleur que chacun de leurs cours. Cependant pour se lancer dans un tel projet, il ne faut pas qu'ils courent après une promotion par leur recherche : les jours n'ont que 24 heures.

M. Thierry Danquigny. - Nous travaillons notamment avec la Centrafrique et la Guinée : nous rencontrons des problèmes de bande passante, de débit et des coupures de courant - c'est plus simple avec le Moyen-Orient. La seule solution que nous avons trouvée a été de privilégier l'audio. Nous avons tendance à envoyer les fichiers par compact disc (CD) - cela ne fonctionne que parce qu'il s'agit d'un cours en ligne avec un petit effectif et non d'un MOOC.

L'angoisse des enseignants face à des étudiants affûtés se retrouve partout, comme chez le vendeur confronté à un client plus averti que lui. Dans la configuration de la classe inversée, l'enseignant n'a plus l'avantage de la surprise dans son cours. L'enseignant n'est parfois même plus le seul expert. Pour l'avoir expérimentée, je sais que les étudiants ont du mal à s'y mettre : c'est un peu une double peine, ils doivent travailler avant, pendant, après, alors que dans un cours classique, ils travaillent pendant et ne sont pas obligés de travailler après... Cela ne fonctionne bien souvent que pour des masters.

La question du contrôle est un sujet de recherche : il y a certainement des thèses en cours sur ce sujet. Des sociétés fournissent aujourd'hui le service de contrôler à distance les étudiants par une webcam, ou encore la biométrie. Rémi Bachelet a utilisé un tel service à l'École centrale de Lille. Ce qui est beaucoup retenu actuellement est le contrôle par les pairs : des étudiants sont désignés pour corriger des copies, dans une correction collaborative, qui peut être supervisée. Les effectifs sont importants au début, mais il n'y a plus grand monde à la fin. Un MOOC a ainsi rassemblé 1 400 inscrits, dont seuls 800 se sont connectés, 400 ont suivi les cours et 200 ont obtenu la certification.

Nous avons du retard sur les États-Unis, qui ont commencé dans les années 2000 ; les Américains se rendent compte maintenant du problème que représente le manque de contact physique. Si nous utilisons une telle technique en Afrique, c'est qu'il n'y a rien d'autre ! C`est mieux que rien. Mais ce qui est encore préférable, c'est des locaux, des enseignants formés sur place, une infrastructure. Le numérique n'efface pas la nécessité de mettre tout cela en place, avec le budget nécessaire, dans les pays concernés. L'AUF a critiqué les travaux pratiques virtuels pour cette raison : ils n'incitent pas les universités à s'équiper. En classe inversée, cela peut servir à préparer la manipulation qui sera faite ensuite sur de vraies machines et qui reste indispensable.

Mme Clara Danon. - La flexibilité du numérique favorise une personnalisation des parcours en formation initiale et continue. L'un des objectifs est la réussite des étudiants, qui sont tous différents, à travers des modules personnalisés. Son coût a deux composantes : l'accompagnement et la production, qui peut être mutualisée. Depuis 2004, un effort a été fait pour produire des ressources en accès libre à disposition des étudiants et des enseignants, qui peuvent réemployer ces briques réutilisables, comme des simulations par exemple, dans leurs cours. Des projets sont menés en médecine, tel un module produit en commun avec l'Afrique sur le sida. Des formules souples sont possibles. Un projet sur le vieillissement et la gériatrie fait l'objet de modules communs pour des catégories de public différents (médecins, infirmiers, aides-soignants, directeurs d'hôpitaux) avec des tutorats adaptés. Une convention entre l'AUF et FUN a été signée sur la problématique nouvelle des lieux de formation et d'évaluation : une réflexion est en effet menée dans les établissements sur de nouveaux espaces d'apprentissage, plus modulables, où l'on peut circuler et se brancher.

Le CNED s'est peu investi sur l'enseignement supérieur, sinon sur les brevets de technicien supérieur (BTS) et la préparation aux concours. La question est entière sur le caractère payant ou gratuit. La formation continue est un enjeu important : cela coûte cher à une entreprise d'envoyer un salarié en formation pendant cinq jours. Une hybridation peut être imaginée : une préparation en ligne précéderait une formation présentielle plus courte.

Faut-il un label de qualité, et qui peut le donner : experts ou usagers ? On peut imaginer que chaque catégorie attribue un nombre différent d'étoiles, comme au cinéma, encore faut-il préciser les critères d'évaluation. C'est important pour la concurrence internationale. Il faudra bien attirer des usagers extérieurs. Les enseignants ne sont pas valorisés sur des caractéristiques pédagogiques et encore moins sur leur appréhension du numérique. Votre exemple du breton montre que ces formations peuvent servir aux disciplines ayant peu de formateurs ou peu d'apprenants, en mettant en réseau et en démultipliant les possibilités, afin d'éviter que les établissements soient contraints de supprimer ces formations rares ou à faibles flux.

Mme Catherine Mongenet. - Sur l'utilisation des données, la communauté universitaire a les mêmes préoccupations que vous. C'est pourquoi notre déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) est limpide : hébergement à Montpellier et aucun usage commercial de ces données. En revanche, l'analyse des données d'apprentissage sera cruciale pour savoir comment enseigner et comment évaluer. FUN mène un travail important avec des chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'INRIA pour anonymiser les données et les mettre à disposition des chercheurs français pour enrichir notre compréhension des processus d'apprentissage.

La plateforme FUN est en français, mais nous savons que des internautes voudraient une interface dans leur langue. Le travail qu'a fait edX offre à l'utilisateur une interface dans sa langue. Les cours de santé publique sont dispensés en français, en allemand et en français. Il est envisagé que certains MOOCs soient traduits ; nous développons un partenariat avec des start-up qui rendent plus faciles la production de verbatim et le sous-titrage, dont de nombreux usagers, même francophones, peuvent avoir besoin.

FUN a signé une convention de partenariat avec l'AUF, qui accompagne la promotion dans le monde francophone des MOOCs français et expérimente la certification d'internautes inscrits sur des MOOCs des pays du Sud dans des campus numériques de l'AUF ; la cellule d'appui FUN accompagne des établissements des pays du Sud qui veulent se lancer dans des MOOCs et propose de les héberger. L'AUF a lancé il y a trois ou quatre mois un appel d'offres réservé aux pays du Sud : cinq ou six MOOCs seront financés par l'AUF et hébergés sur notre plateforme. Nous avons aussi des projets de MOOCs construits en commun par des universités françaises et des pays du Sud, tel celui de Marseille et Bamako sur le paludisme ou ceux de l'Académie des sciences co-construits avec des enseignants en biologie et en mathématiques sur place au niveau licence pour répondre aux problèmes de massification et de manque d'enseignants en Afrique.

Il ne faut pas voir les MOOCs et le numérique comme un vecteur d'économies, mais comme des outils qui changent les pratiques des enseignants. Certains professeurs sont géniaux en amphi : cela continuera. Mais la valeur ajoutée n'est pas toujours aussi évidente, comme lorsque 3 000 étudiants en première année de médecine suivent un cours, 300 avec le professeur, et le reste dans une demi-douzaine d'amphithéâtres différents grâce à la vidéo. Les étudiants iront sur le campus pour approfondir, pour mener à bien des études de cas ou des travaux collectifs. Ce n'est que quand on regarde l'élève qu'on sait qu'il a compris.

Les pratiques pédagogiques devront se transformer grâce au levier de la formation et de l'accompagnement. Le métier de professeur devient plus collectif qu'autrefois, et nécessite plus d'appuis au travers des services dédiés dans les établissements. C'est la raison d'être de l'action du plan Fioraso qui prévoit que 10 % des 1 000 emplois créés chaque année seront dédiés au numérique, soit 500 emplois sur le quinquennat. Un autre levier est la reconnaissance ; la direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle travaille dessus avec le conseil national des universités (CNU). L'opportunité, c'est que le numérique donne lieu à des productions visibles, évaluables comme le sont les productions de recherche, qui donnent une visibilité au-delà du cercle des étudiants.

Open education Europa est un portail agrégateur, qui rassemble des contenus hébergés sur des plateformes ; FUN est à la fois plateforme et portail agrégateur, pour mettre en valeur tous les MOOCs français quelle que soit la plateforme sur laquelle ils sont diffusés.

Certains internautes usagers du MOOC mis en place par le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) « Du manager au leader » aimeraient le valoriser au-delà de l'attestation qui leur est fournie dans le cadre de leur droit individuel à la formation (DIF). Le CNAM réfléchit donc à une certification.

Les MOOCs ne doivent pas être l'arbre qui cache la forêt. L'enjeu est la transformation des formations avec une part de numérique. Sont concernés aujourd'hui des licences et des masters, dont 200 sont intégralement en ligne.

M. Maurice Vincent. - Cela reste très marginal au regard du nombre total de formations.

Mme Catherine Mongenet. - Il est logique d'avoir 80 licences de mathématiques, avoir autant de MOOCs en mathématiques n'aurait pas de sens. Il reste vrai que l'ensemble des champs n'est pas couvert. Cela dépend des technologies, de l'appétence, de la volonté. Le ministère accompagne le mouvement pour une offre plus large et en particulier concernant la formation tout au long de la vie, qui intéresse beaucoup les employeurs. Au-delà des MOOCs, il ne faut pas rater cette transformation numérique pour se positionner dans le concert international des universités et mieux accompagner la réussite des étudiants.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Sachez que notre commission promeut la coopération, notamment dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ). Un rapport de notre collègue Jacques-Bernard Magner sera publié la semaine prochaine pour que les préconisations de la loi se concrétisent. À l'initiative de Mme Gillot, nous avons modifié la loi ESR relative à l'enseignement supérieur et à la recherche pour valoriser les sciences participatives et les interactions entre tous les publics, et la loi de refondation de l'école, notamment à son article 3 pour la formation à la coopération dès le plus jeune âge. Nous avons également fait la promotion du logiciel libre. Nous vous amenons des générations performantes sur le sujet.

Mme Catherine Mongenet. - Un MOOC intitulé « Enseigner et former avec le numérique » a été lancé il y quelques semaines par l'École normale supérieure (ENS) de Cachan et l'ENS Lyon, associant une demi-douzaine d'ÉSPÉ. Il se déclinera à la rentrée par quatres MOOCs complémentaires sur les problématiques de maths, de français, de formation d'adultes...

Mme Clara Danon. - Un autre est en préparation sur la formation à la culture numérique pour les cadres, qui pourront ainsi se former sans avouer qu'ils ne sont pas au point sur le sujet...

M. Thierry Danquigny. - Le MOOC permet souvent de se former en douce surtout qu'on peut s'inscrire sous un pseudonyme !

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie.

La réunion est levée à 12 h 10.