COMMISSIONS MIXTES PARITAIRES

Mardi 17 novembre 2015

- Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente -

La réunion est ouverte à 18 h 30.

Commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de M. le Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 s'est réunie à l'Assemblée nationale le mardi 17 novembre 2015.

La commission mixte paritaire procède à la désignation de son bureau, qui est ainsi constitué :

- Mme Catherine Lemorton, députée, présidente,

- M. Jean-Noël Cardoux, sénateur, vice-président.

Puis ont été désignés :

- M. Gérard Bapt, rapporteur pour l'Assemblée nationale,

- M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur pour le Sénat.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen du texte.

Mme Catherine Lemorton, députée, présidente. - Comme lors de toutes les commissions mixtes paritaires, nous sommes réunis pour trouver un compromis entre nos deux assemblées. Toutefois, les nombreux points de désaccord entre nous me font craindre que nous ne puissions parvenir à un texte commun. Je n'en citerai que deux : le mécanisme de la contribution due au titre des médicaments contre l'hépatite C et l'assujettissement des non-résidents aux prélèvements sociaux sur le capital.

M. Jean-Noël Cardoux, sénateur, vice-président. - J'ai écouté avec attention les propos de la présidente. Je crains de partager sa prévision sur l'issue de nos travaux. Le débat sur le projet de loi s'est bien passé au Sénat, aux dires de la ministre. Un travail de fond a été accompli dans le respect mutuel et la courtoisie. La moitié des articles ont été adoptés conforme. 12 articles ont été supprimés dont ceux fixant les objectifs de recettes et de dépenses.

14 articles additionnels ont été adoptés par le Sénat sur des sujets qui pourraient, en dépit d'un dialogue constructif, faire obstacle à un accord entre nos deux assemblées.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur pour le Sénat. - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2016 s'inscrit dans la continuité des nouvelles orientations prises l'an dernier. Le Sénat partage l'analyse selon laquelle notre pays a largement épuisé les marges d'augmentation des prélèvements obligatoires. Une maîtrise accrue des dépenses s'impose. Dès lors, il a approuvé de nombreuses dispositions de ce PLFSS tout en marquant ses divergences avec certains choix qui fondent la gestion de la sécurité sociale depuis 2012.

Les deux articles relatifs à la mise en oeuvre du pacte de responsabilité ont ainsi été adoptés conformes de même que 46 autres articles. Au total, le Sénat a ainsi adopté conformes plus de la moitié des articles du texte transmis par l'Assemblée nationale. Il marque aussi son accord avec la protection maladie universelle, autre mesure phare de ce texte, que nous aurions adoptée conforme si elle n'avait nécessité quelques travaux de coordination.

Sur la troisième partie, relative aux recettes pour 2016, le Sénat a réaffirmé des positions constantes sur les particuliers-employeurs, les dividendes versés aux dirigeants de SARL ou encore la nature spécifique, récemment rappelée par le Conseil constitutionnel, des cotisations sociales. Il a ainsi supprimé l'article 7 bis sur l'assujettissement au premier euro des indemnités de rupture du contrat de travail.

Sur l'accès à la complémentaire-santé des plus de 65 ans et des personnes sous contrats atypiques, le Sénat partage le constat posé et les objectifs poursuivis sans approuver la solution retenue. Il a supprimé l'article 21 et modifié l'article 22. Tous les groupes, sauf un, ont souhaité la suppression de l'article 21. Cette large majorité transpartisane démontre que la mesure proposée a suscité beaucoup d'interrogations et que nous n'avons pas été convaincus par la solution proposée par le Gouvernement.

Toutefois, nous ne sommes pas hostiles aux objectifs poursuivis, et nous l'avons montré en adoptant l'amendement de la commission des finances sur l'élargissement des conditions d'accès à l'aide à la complémentaire santé (ACS).

Nous ne sommes pas hostiles non plus à la couverture des salariés en contrats courts ou travaillant un faible nombre d'heures par une complémentaire santé adaptée à leur situation. La mise en place d'un fonds, préconisée par le rapport Libault, pouvait être intéressante. Nous regrettons que le Gouvernement n'ait pas proposé cette solution aux partenaires sociaux.

Sur la mise en conformité de notre droit suite à l'arrêt De Ruyter, nous partageons là encore l'objectif mais pas la solution proposée, qui nous paraît fragile. Elle maintient une affectation de prélèvements sociaux sur les revenus du capital à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), malgré l'interdit explicite formulé par l'arrêt tandis que la distinction, par le règlement de 1971, entre prestations contributives et non contributives, sur laquelle repose la solution proposée, ne nous semble pas si claire. En séance, le Sénat a supprimé l'assujettissement des non-résidents à ces prélèvements.

Sur les articles 15 et 30, le Sénat a souhaité préserver le rôle du Parlement. Comme l'an dernier il a souhaité que tout recours au Fonds de solidarité vieillesse, dont les déficits persistent, ait un fondement législatif. Il a estimé que l'information du Parlement sur les perspectives pluriannuelles n'était pas assurée dans les conditions détaillées prévues par la loi organique dans la mesure où l'annexe B ne comporte rien sur l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) après 2016, ni sur les moyens que le Gouvernement entend mettre en oeuvre pour aboutir aux tableaux qu'il propose.

D'une manière générale, le Sénat a souhaité alerter sur le maintien de déficits très élevés, en particulier pour l'assurance maladie, au regard des efforts demandés aux ménages et aux entreprises ces dernières années. Les branches famille et vieillesse ne connaissent un redressement qu'en raison des efforts demandés aux assurés alors que la branche-maladie continue d'alimenter la dette. Ce n'est qu'au prix d'une action plus résolue sur les dépenses que nous pourrons envisager un redressement des comptes sociaux. Le Sénat a traduit les conséquences de ce constat sur l'ensemble des tableaux d'équilibre.

Sur les retraites, l'annexe B fait apparaître un retour du déficit de la branche dès 2019, en dépit des très importantes hausses de cotisations, sous l'effet de l'allongement de l'espérance de vie et de l'arrivée à l'âge de la retraite de classes d'âge nombreuses.

Nos compatriotes savent qu'une nouvelle réforme est inévitable et la différer ne fait qu'altérer leur confiance dans la pérennité du système. C'est pourquoi, en cohérence avec l'accord trouvé par les partenaires sociaux sur les retraites complémentaires, le Sénat a adopté un article additionnel décalant progressivement l'âge légal de la retraite à 63 ans.

Sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), le Sénat n'approuve pas la ponction injustifiée sur les cotisations au profit de la branche maladie.

Sur le volet assurance maladie, le Sénat considère qu'il faut aller plus loin dans la maîtrise des dépenses, faute de quoi elles seront reportées sur les générations à venir qui auront pourtant à faire face à leurs propres défis. Nous avons par contre adopté les mesures allant dans le bon sens comme l'article 44 qui prévoit la pérennisation de l'expérimentation conduite par l'Agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire sur l'organisation de la permanence des soins ambulatoires et sa possible extension à toute ARS volontaire.

Sur la branche famille enfin, les comptes ne se redressent qu'au prix de l'effort demandé à certaines familles, une stratégie que nous désapprouvons. Nous devons investir dans le soutien à la parentalité, à la petite enfance et à la jeunesse.

Je pense que cette question des équilibres généraux suffirait à nous empêcher d'élaborer un texte commun malgré de réelles convergences sur d'autres sujets. Il s'agit là d'un désaccord politique de fond.

Pour la deuxième année consécutive, la discordance des majorités entre nos deux assemblées a néanmoins rendu possible certaines convergences et je dois dire, qu'en dépit de nos différences d'analyses, le climat dans lequel s'est déroulé ce débat a été aussi serein que constructif.

Il n'en demeure pas moins que des désaccords de fond subsistent et me paraissent de nature à empêcher l'élaboration d'un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.

M. Gérard Bapt, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - J'entends avec satisfaction que le Sénat a adopté les deux dispositions du pacte de responsabilité inscrites dans le projet de loi, d'autant que nous percevons les premiers signes positifs de son effet sur l'emploi, la croissance, la compétitivité et le financement de la sécurité sociale.

L'Assemblée nationale a introduit 31 articles additionnels et supprimé l'un des 61 articles du projet de loi initial. Le Sénat a adopté 48 articles dans les mêmes termes que l'Assemblée, en confirmant notamment la suppression de l'article 10. Il a parallèlement adopté 14 articles additionnels, portant ainsi à 58 le nombre d'articles restant en discussion, qui se répartissent ainsi : 12 suppressions d'articles adoptés par l'Assemblée, 8 modifications de seule forme et 38 modifications de fond.

Le seul inventaire des articles supprimés devrait suffire à constater l'échec de notre commission mixte paritaire, puisque le Sénat a notamment rejeté les articles d'équilibre clôturant la troisième partie, et conditionnant l'ensemble des recettes et des dépenses pour 2016.

On peut considérer qu'adopter, même en les modifiant, les articles de recettes de la troisième partie et les articles de dépenses de la quatrième, tout en refusant le cadre général dans lequel ils s'inscrivent, et en ne proposant aucune alternative, est une astuce de procédure. Il s'agit, dans ce cas de figure, d'une discussion théorique.

Le Sénat a par ailleurs décidé de laisser en navette 8 articles pour de simples corrections matérielles.

Je pourrais aussi signaler, au rang des désaccords majeurs sur la partie dont je suis rapporteur, la suppression par le Sénat de l'article 12, dont l'objectif est pourtant de simplifier le quotidien des professions libérales.

Il s'agit en effet de réduire le nombre de leurs interlocuteurs, en transférant aux Urssaf le recouvrement des cotisations maladie, jusque-là assuré par des organismes conventionnés, pour le compte du régime social des indépendants (RSI). Il n'y aurait plus que 2 interlocuteurs au lieu de 3.

Je regrette la suppression, par amendement à l'article 15, de l'assujettissement des non-résidents aux prélèvements sociaux sur le capital, décidé par notre majorité en 2012. Nous estimons que l'équité exige de taxer ceux qui pourraient profiter de prestations à l'avenir, s'ils revenaient en France. Vous considérez que la distinction entre prestations contributives et non contributives est juridiquement fragile. Nous soutenons le Gouvernement qui l'assume.

Je regrette aussi la suppression de l'article 19, qui visait à garantir l'affiliation au régime général des gens de mer salariés qui sont employés à bord d'un navire qui pratique le cabotage dans les eaux territoriales françaises ou qui résident en France de manière stable et régulière et qui sont employés à bord d'un navire qui bat pavillon d'un État étranger.

S'agissant de l'assurance maladie, je regrette la suppression, à l'article 4, du mécanisme de la contribution due au titre des médicaments contre l'hépatite C, car ce mécanisme est un garde-fou nécessaire pour prémunir l'assurance maladie contre le développement exponentiel des dépenses liées à des traitements efficaces, dont des médecins et des associations de lutte contre le Sida demandent la prise en charge alors qu'ils sont très onéreux. Il m'apparaît contradictoire de supprimer cet article et de regretter qu'il n'y ait pas davantage de réductions de dépenses.

Je déplore enfin la suppression des articles 54 et 55, respectivement relatifs aux objectifs de dépenses de l'assurance maladie et à l'Ondam. Ces suppressions sont d'autant plus regrettables que l'Ondam est fixé à un niveau historiquement bas. Il me souvient que le Sénat avait adopté le même taux de progression pour 2015. Je ne comprends pas comment, ce qui était raisonnable l'an dernier ne l'est plus cette année.

Suivant sa logique de rejet des grands équilibres proposés par le texte, le Sénat a par ailleurs supprimé les articles 36 et 38 fixant les objectifs de dépenses des branches vieillesse et AT MP, ainsi que l'article 56 fixant les prévisions de charges du Fonds de solidarité vieillesse.

S'agissant de la branche vieillesse, je désapprouve bien sûr le choix fait par le Sénat de relever progressivement l'âge légal de départ à la retraite à 63 ans, à compter du 1er janvier 2019 et pour les générations nées après le 1er janvier 1957, dans la mesure où la branche a une perspective raisonnable de retour à l'équilibre. Bien que les partenaires sociaux soient compétents en ce domaine, j'estime que le Parlement ne doit pas être lié par leurs recommandations.

En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à constater dès à présent que notre commission est dans l'incapacité d'aboutir à une rédaction commune.

Mme Catherine Lemorton, députée, présidente. - Je voudrais insister sur l'article 40 de ce projet de loi de financement, qui a été adopté conforme par le Sénat. Cet article va être appliqué avant d'être adopté puisque dans un communiqué daté d'aujourd'hui, Marisol Touraine a annoncé que ce dispositif, qui permet la prise en charge des frais de santé et des indemnités journalières des victimes des actes de terrorisme, serait appliqué par anticipation.

M. Dominique Tian, député. - Je m'exprimerai au nom du groupe Les Républicains. Au préalable, je souhaitais excuser notre collègue Jean-Pierre Door, spécialiste de ces sujets, qui a été retenu par d'autres obligations.

Pour notre groupe, ce PLFSS est un PLFSS de renoncement, c'est un « mauvais » PLFSS. La Cour des comptes l'a elle-même précisé puisque la baisse du déficit ralentira encore nettement en 2015 et le retour à l'équilibre, que le Gouvernement nous promettait rapide, est reporté à 2020  dans le meilleur des cas.

Plusieurs mesures nous interpellent, par exemple les allégements de charges adoptés dans le cadre du projet de loi de financement rectificatif pour 2014, qui ne seront pas plus compensés en 2016 qu'ils ne l'ont été en 2015. Le Gouvernement transfère par ailleurs une partie de la dette de l'Acoss à la Cades ; dans ce cadre, les 30 milliards d'euros non financés sont un « cadeau » que vous laisserez à vos successeurs.

Le déficit de l'assurance maladie ne cesse de se creuser, chacun en est conscient et aucune réforme de structure n'est envisagée. Cette année encore, la moitié des économies demandées dans le cadre du PLFSS porte sur le secteur du médicament, à hauteur de 1,7 milliard d'euros. Nous sommes nombreux à penser que l'avenir de l'industrie du médicament en France est menacé.

Nous avons noté avec satisfaction les améliorations très nettes apportées au Sénat. Je pense notamment à la suppression de l'abaissement du seuil d'assujettissement aux cotisations sociales pour les indemnités de rupture - il n'est pas normal que les indemnités de rupture soient taxées de manière déraisonnable.

Nous étions aussi sensibles à la réduction de la généralisation de la déduction forfaitaire à 1,50 euro pour les particuliers employeurs puisqu'il s'agissait d'une mesure intéressante pour lutter contre le travail non déclaré.

Nous avions également noté l'exonération partielle de cotisations vieillesse pour les médecins retraités, à laquelle nous tenons beaucoup puisque c'est le moyen pour eux d'exercer à nouveau une activité professionnelle.

Les mesures votées en faveur des jeunes agriculteurs nous paraissaient également utiles, de même que la suppression de la mise en concurrence des contrats pour les plus de 65 ans et le relèvement du plafond de l'aide à la complémentaire santé (ACS) pour les personnes de 65 ans et plus.

Il nous paraissait également important que la prime de naissance soit versée avant la naissance de l'enfant. Enfin, le relèvement de l'âge légal de la retraite à 63 ans nous paraît être une mesure intéressante si l'on veut sauver notre système de retraites.

Une dernière mesure à laquelle nous tenons beaucoup, parce qu'elle est symbolique, c'est la restauration de jours de carence pour la fonction publique hospitalière. Malheureusement, l'absentéisme hospitalier est en train d'exploser et nous assistons à la catastrophe annoncée avec le recours systématique à des médecins intérimaires. Une lettre des directeurs d'hôpitaux publics au Président de la République le suppliait de restaurer ces jours de carence pour réaliser entre 80 et 100 millions d'euros d'économies.

Pour résumer, la copie du Sénat nous paraît infiniment meilleure que celle de l'Assemblée nationale.

M. Gilles Lurton, député. - Je partage les propos de mon collègue Dominique Tian. M. Bapt nous rappelait à l'instant qu'un nombre important d'articles ont été adoptés au Sénat sans être modifiés. Pour les articles ayant fait l'objet de modifications, nous partageons une grande partie des améliorations apportées au Sénat.

Pour ce qui concerne la branche famille, j'ai remarqué que dans leur grande majorité, les articles avaient été adoptés conformes, notamment en ce qui concerne la garantie contre les impayés de pension alimentaire, ce que nous considérons être une bonne chose et nous l'avions dit lors de la première lecture à l'Assemblée nationale. Par contre, le Sénat a supprimé l'objectif de dépenses de la branche famille pour 2016.

Parmi les points introduits au Sénat qui me paraissent importants, toujours en matière familiale, j'ai noté la garantie de versement de la prime à la naissance avant la naissance de l'enfant.

En ce qui concerne l'article 19 qui a été supprimé au Sénat, il s'agissait d'une mesure qui visait à répondre à une question que j'avais moi-même posée il y a quelques mois sur la protection sociale des marins résidant en France et naviguant sur des navires battant pavillon étranger. Or l'article 19 apporte une très mauvaise réponse à la question posée et les marins s'y opposent d'ailleurs catégoriquement. Tel qu'il est rédigé, cet article risque de poser un certain nombre de problèmes et il mériterait un examen approfondi. La sécurité sociale des marins relève de l'Établissement national des invalides de la marine (ENIM) et je ne vois pas pourquoi il serait fait exception à cette règle.

M. Yves Daudigny, sénateur. - Je n'entrerai pas dans le détail des différentes mesures, certaines dont nous pouvons nous féliciter qu'elles aient été adoptées dans les mêmes termes à l'Assemblée et au Sénat, d'autres sur lesquelles il existe des désaccords. Pour le groupe Socialiste et républicain du Sénat, ce PLFSS est un « bon » PLFSS. Il traduit le rétablissement des comptes sociaux et je m'étonne des remarques de certains de mes collègues qui ont par le passé - et pas seulement en période de crise - adopté des PLFSS avec des déficits bien supérieurs à ceux constatés aujourd'hui.

Les comptes établis aujourd'hui marquent une trajectoire de rétablissement qui permet d'espérer que notre système de sécurité sociale sera garanti pour nos enfants et pour nos petits-enfants. Ce n'était pas le cas il y a quelques années.

De nombreuses mesures sont à saluer dans ce PLFSS, notamment celles améliorant les droits des citoyens. La plus emblématique - qui n'est pourtant pas celle qui a fait le plus parler d'elle - est la mise en place de la protection universelle maladie, grâce à laquelle le statut d'ayant droit majeur est supprimé, et la condition de résidence sera appréciée au même titre que la condition d'exercice d'une activité professionnelle.

Ce PLFSS n'est pas « creux », il s'engage au contraire dans la voie de la restructuration et de la modernisation de notre système de santé. Il corrige des dispositifs qui ne sont plus adaptés ; cela concerne par exemple le régime des indépendants, mais également les soins de suite et de réadaptation (SSR), ainsi que de nombreuses mesures de prévention pour les jeunes ou pour les femmes.

Le président Milon indiquait cet après-midi que dans cette période tragique pour la France, les circonstances exigent plus que jamais que les élus se comportent avec responsabilité, avec respect mutuel et avec ambition pour l'ensemble de nos concitoyens. Malheureusement, il n'est pas possible aujourd'hui de traduire cette volonté dans la loi. Je regrette que sur un tel sujet qui concerne un bien précieux, la santé de nos concitoyens, nous ne soyons pas en mesure d'aboutir à des solutions qui font consensus.

Dans certains de nos pays voisins, comme l'Allemagne, les grandes familles politiques parviennent à trouver des compromis sur l'organisation des points fondamentaux de la société. Ce n'est pas le cas en France.

En conclusion, je réitère le jugement très positif porté par le groupe socialiste du Sénat sur ce PLFSS.

Mme Laurence Cohen, sénatrice. - La déception du groupe Communiste, républicain et citoyen est grande avec ce PLFSS. Nous trouvions déjà que le projet de loi initial était un « mauvais » PLFSS. Pourquoi ? Parce qu'il s'appuyait sur le pacte de responsabilité, que nous dénonçons. Le Gouvernement prévoyait beaucoup d'économies qui ne sont pas justifiées, au lieu de rechercher des recettes nouvelles. Ces économies étaient très inégalitaires compte tenu des 5,3 milliards d'euros d'allégements de cotisations sociales accordés aux entreprises.

Lorsque le texte est passé au Sénat, la majorité de droite a fait le choix de réduire encore davantage les recettes, à hauteur de 600 millions d'euros. Nous ne nous inscrivons pas dans cette logique. L'important est de chercher de nouvelles recettes pour ne pas asphyxier notre système de santé, qui s'appuie sur un service public de qualité.

Comme je l'ai déjà dit au Sénat, on ne peut que rendre hommage avec conviction aux personnels de santé qui se sont mobilisés sans compter et de manière tout à fait extraordinaire pour lutter contre les atrocités de vendredi dernier. Lorsque le plan blanc a été mis en route, les personnels hospitaliers se sont présentés spontanément, sans même attendre d'avoir été rappelés.

Mais ce PLFSS organise une réduction des dépenses de santé sur le dos des hôpitaux déjà touchés par un budget de rigueur, d'austérité même. Je suis choquée d'entendre encore ce soir la justification de l'exigence de ces trois jours de carence ; je trouve cela déplacé. Nous nous élevons contre cette mesure, comme contre le fait de demander toujours aux mêmes personnes, en l'occurrence aux personnes retraitées pour le relèvement de l'âge de la retraite, de faire des sacrifices.

Lorsque j'entends que le Gouvernement a touché de manière trop forte les grandes entreprises, de quoi parle-t-on ? Je vais prendre l'exemple de Sanofi : des milliards d'euros de chiffre d'affaires sont réalisés et redistribués aux actionnaires, tandis que des milliers d'emplois sont supprimés. Lorsque l'on recherche de nouvelles recettes, il faut le faire avec justice et taxer les profits lorsqu'ils échappent à l'intérêt des populations.

Pour toutes ces raisons, mon groupe trouvait que le projet initial n'était pas satisfaisant, mais cela s'est aggravé lors de l'examen du texte au Sénat.

Peut-on considérer que ce PLFSS en est encore un, alors qu'une partie des articles consacrés aux recettes n'existe plus, et qu'il en est de même pour les dépenses ?

Mme Bérengère Poletti, députée. - Je regrette que nous ne soyons pas parvenus à trouver un terrain d'entente. Je partage l'approche de M. Dominique Tian sur l'équilibre des comptes. Le déficit de l'assurance maladie ne cesse de se creuser. Il s'élevait à 5,9 milliards d'euros en 2012, a atteint 7 milliards d'euros en 2015 et devrait s'élever à 7,5 milliards d'euros l'année prochaine.

S'agissant de la branche vieillesse, le Gouvernement prétend que la réforme de 2013 a permis de retrouver le chemin de l'équilibre, avec un déficit de - 0,6 milliard en 2015 et une prévision d'excédent en 2016. En vérité, la Commission des comptes de la sécurité sociale l'a reconnu, cette évolution est le fruit des réformes adoptées par la majorité précédente ; la fixation de l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans a diminué le nombre de départs à la retraite.

Par ailleurs, vous ne tenez pas compte du déficit du FSV qui se creuse : - 3,7 milliards d'euros en 2015, - 3,8 milliards d'euros en 2016.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur pour le Sénat. - A l'article 19, nous n'avons fait qu'écouter les syndicats de marins. Vous devriez vous pencher davantage sur ce sujet. Leur protection sociale ne doit pas être bâtie à l'encontre de l'emploi.

A l'article 4, au sujet du mécanisme W, je considère que ce type de dispositif est nécessaire, mais que la question du coût des traitements de l'hépatite C est désormais réglée Lorsque de nouvelles molécules apparaîtront, il faudra prévoir d'autres dispositifs de ce type.

En ce qui concerne les articles 54 et 55, nous avons voté contre les articles d'équilibre car nous considérons que nous pouvons faire davantage d'économies que ce qui est proposé. Nous savons que 28 % des actes et soins pris en charge sont inutiles ou redondants. Ce constat soulève la question de la liaison ville-hôpital. Le projet de loi de modernisation de notre système de santé apporte quelques réponses intéressantes, avec la numérisation des lettres de sortie. Nous considérons néanmoins que le projet de loi ne va pas assez loin.

M. Jean-Noël Cardoux, sénateur, vice-président. - Je remercie M. Yves Daudigny qui s'est fait écho des propos du président Milon prononcés à la tribune du Sénat. Chacun peut néanmoins les interpréter comme il l'entend.

Cette CMP va déboucher sur un échec.

Je souhaite simplement insister sur quelques points techniques. Je vous invite à considérer avec attention la question de la date de versement de la prime de naissance.

Sur l'article 12, relatif au RSI, je rappelle que nous avons été les premiers à produire un rapport sur cette question. Les mesures proposées par le projet de loi vont à l'encontre des attentes de très nombreux acteurs, et notamment du RSI. Le Conseil économique, social et environnemental et vos collègues députés qui ont travaillé sur ce sujet ne formulaient pas de proposition similaire. Je crains que nous jouions aux apprentis-sorciers dans ce domaine. Le système SNV2 de l'Acoss ne correspond pas aux besoins de collectes du RSI.

Il est parfois dangereux d'engager des réformes avant la mise en place des nouveaux outils informatiques. Les économies ne sont pas systématiquement au rendez-vous.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur pour le Sénat. - La suppression de l'article 21 ne signifie pas que nous ne partageons pas l'objectif d'offrir des mutuelles moins chères aux plus de 65 ans. Peut-être faudra-t-il le réécrire ou attendre le rapport de l'Igas ?

M. Gérard Bapt, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je rappelle que les dispositions de l'article 12 ne prendront effet qu'au 1er janvier 2018 au plus tard ; ce qui laisse suffisamment de temps pour se préparer. Nous allons regarder de plus près en commission la question de la protection sociale des marins. Sur l'article 21, nous avons déposé quelques amendements significatifs avec Mme Delaunay afin de rassurer les organismes mutualistes.

Il faut en effet que les complémentaires santé proposées aux personnes de plus de 65 ans soient moins chères. Nous pouvons discuter des modalités pour y parvenir.

Mme Catherine Lemorton, députée, présidente. - Je crois que nous partageons le constat de l'échec de cette CMP.

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.

La réunion est levée à 19 h 30.

Mercredi 18 novembre 2015

- Présidence de M. Guy Geoffroy, député, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées s'est réunie à l'Assemblée nationale le mercredi 18 novembre 2015.

Elle procède d'abord à la désignation de son bureau qui est ainsi constitué : M. Guy Geoffroy, député, président ; M. Jean-Pierre Vial, sénateur, vice-président ; Mme Maud Olivier, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale ; Mme Michelle Meunier, sénatrice, rapporteure pour le Sénat.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

M. Guy Geoffroy, député, président. - Malgré l'importance malheureusement inégalable de l'actualité de ces derniers jours, la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées reste un texte majeur, qui mériterait de faire l'objet du meilleur consensus possible parmi les représentants de la Nation que nous sommes. Ce texte a été adopté le 14 octobre 2015 en deuxième lecture par le Sénat, qui, d'un côté, a adopté conforme l'article 13 supprimant le délit de racolage, mais, d'un autre côté, a supprimé les articles 16 et 17 réprimant le recours à la prostitution. Il nous revient donc aujourd'hui de mesurer l'état du dialogue entre nos deux assemblées et de déterminer si, au-delà de nos divergences, nous sommes en mesure ou non de parvenir à un accord.

M. Jean-Pierre Vial, sénateur, vice-président. - Entre la première et la deuxième lecture, le dialogue entre l'Assemblée nationale et le Sénat a progressé, même si des désaccords importants demeurent. Dès la première lecture, nous avons cherché à rapprocher nos points de vue. Plus qu'un consensus, une conviction s'est dégagée : celle d'être saisis d'un texte important, fort, qui procède à une rupture avec les dispositions existant aujourd'hui. En deuxième lecture, nous avons approuvé l'ensemble des mesures d'accompagnement social des personnes prostituées, ainsi que la protection inspirée de celle accordée aux « repentis » - terme en l'occurrence inadéquat dans la mesure où l'on parle de victimes. En revanche, nos discussions n'ont pas abouti sur un point : un accord du Sénat aurait pu être possible à condition d'établir une symétrie entre, d'un côté, la pénalisation du client et, de l'autre, des mesures répressives se substituant au délit de racolage
- mesures à destination des forces de l'ordre, mais aussi des maires, pour ceux d'entre eux qui voudraient y recourir, sur tout ou partie du territoire de leur commune. En l'état actuel de nos discussions, malgré l'échange de réflexions et la recherche de rédactions communes, ce point est de nature à empêcher un accord global sur la proposition de loi.

Mme Maud Olivier, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Voilà maintenant plus de deux ans que la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées a été déposée sur le Bureau de notre assemblée. Après deux lectures dans chaque chambre et conformément à la procédure prévue au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, une commission mixte paritaire a été convoquée. À ce stade, neuf articles restent en discussion, parmi lesquels l'article 16, qui vise à pénaliser l'achat d'actes sexuels.

De toute évidence, les points qui nous rassemblent sont plus nombreux que ceux qui nous séparent. Cela n'est guère surprenant dans la mesure où nous sommes guidés par un certain nombre d'ambitions communes : renforcer la lutte contre l'exploitation sexuelle sous toutes ses formes, mettre en place une véritable politique publique d'accompagnement des personnes prostituées, améliorer les connaissances des jeunes générations quant aux réalités de la prostitution.

Plusieurs articles de la proposition de loi ont d'ores et déjà été adoptés dans des termes identiques ; d'autres sont encore en discussion, pour des raisons tenant plus à leur rédaction qu'à leur contenu. Je voudrais en évoquer brièvement quelques-uns, que je considère comme étant d'une importance particulière :

- l'article 1er, qui autorise le signalement, sur Internet, des contenus qui contreviendraient à la législation sur la traite des êtres humains ou le proxénétisme. À cet égard, nous savons que l'activité des réseaux d'exploitation sexuelle repose désormais, en grande partie, sur les facilités qu'offre internet pour mettre en relation « acheteurs » et « vendeurs » de services sexuels ;

- l'article 1er ter, qui vise à accorder une protection adéquate, inspirée de celle offerte aux « repentis », aux personnes prostituées victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme qui aident l'autorité judiciaire, par leurs témoignages, à démanteler les réseaux ;

- l'article 3, qui crée un parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle afin que les personnes prostituées, soutenues par les pouvoirs publics et le secteur associatif, puissent bénéficier d'un véritable accompagnement, encadré, solide et pérenne, pour parvenir à rompre avec l'activité prostitutionnelle ;

- l'article 3 bis, qui reconnaît aux personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution et, plus généralement, aux victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme le statut de public prioritaire pour l'accès aux logements sociaux ;

- l'article 4, qui met en place un fonds dédié à la prévention de la prostitution et à l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées, fonds qui devrait être abondé à hauteur de vingt millions d'euros par an conformément aux engagements du Gouvernement ;

- l'article 6, qui a pour objet de sécuriser la situation administrative des personnes prostituées étrangères victimes des réseaux, qu'elles collaborent ou non avec l'autorité judiciaire ;

- l'article 10, qui ouvre aux victimes de proxénétisme un droit à la réparation intégrale des dommages subis du fait de cette infraction, sans qu'il soit nécessaire d'apporter la preuve d'une incapacité permanente ou d'une incapacité totale de travail égale ou supérieure à un mois ;

- l'article 15, qui doit permettre d'améliorer, dans les établissements d'enseignement secondaire, l'information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps, phénomènes très largement méconnus des élèves.

Tous ces articles sont porteurs d'avancées considérables pour les personnes prostituées. Tous doivent en effet leur permettre, qu'elles soient françaises ou étrangères, d'être mieux protégées par la puissance publique et mieux accompagnées dans leur quête de rupture avec l'activité prostitutionnelle.

En revanche, nous n'avons pas réussi à nous mettre d'accord sur la question du statut qu'il convient d'accorder, dans la loi, aux personnes prostituées, d'une part, et aux clients de la prostitution, d'autre part. Car si l'article 13, qui supprime le délit de racolage public prévu à l'article 225-10-1 du code pénal, a été adopté dans des termes identiques par nos deux assemblées, l'article 16, qui crée une infraction de recours à l'achat d'actes sexuels, afin de décourager la demande, a été supprimé par le Sénat tant en première qu'en deuxième lecture.

Nous avons tenté de parvenir, au cours des dernières semaines, à une solution acceptable pour les deux assemblées. Nos collègues sénateurs étaient disposés à faire évoluer leur position sur la pénalisation du client, au prix toutefois d'un rétablissement partiel de la pénalisation des personnes prostituées - dès lors qu'elles auraient circulé ou stationné dans certaines zones délimitées par arrêté municipal. Il n'a donc pas été possible de parvenir à un accord, toute incrimination des personnes prostituées - quelle qu'en soit la forme - apparaissant à la fois inacceptable et incompatible avec l'idée selon laquelle celles-ci sont des victimes, pas des coupables.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour le Sénat. - Je salue d'abord l'initiative de nos collègues députés, à l'origine de cette proposition de loi, utile et forte, ainsi que la qualité du travail que nous avons pu mener sur ce texte. Son examen nous aura permis de réfléchir à ce que signifie aujourd'hui, concrètement, au regard de la réalité du terrain, l'engagement abolitionniste de la France. Celui-ci doit nous conduire à changer le regard sur la personne prostituée, afin qu'elle soit enfin reconnue comme victime.

Ce changement de regard - et de logique - s'accompagne nécessairement de la responsabilisation du client. J'ai tenu cette position avec constance tout au long de la discussion de ce texte, en défendant l'abrogation du délit de racolage et l'interdiction de l'achat d'un acte sexuel. Ces deux mesures, très complémentaires l'une de l'autre, forment, avec le renforcement de la lutte contre la traite des êtres humains et l'accompagnement des personnes prostituées, un tout cohérent permettant de lutter efficacement contre ce qui constitue une violence exercée, dans la très grande majorité des cas, par des hommes sur des femmes. Au terme des deux lectures, il apparaît que cette vision n'est pas partagée par une majorité de mes collègues. Mais beaucoup d'autres dispositions font consensus, en particulier le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle, les mesures de prévention destinées aux jeunes et le dispositif de protection des victimes des réseaux, lorsqu'elles apportent un témoignage utile à la manifestation de la vérité dans le cadre d'une enquête.

Pour autant, la pénalisation des clients de personnes prostituées a été rejetée par deux fois par le Sénat. Je le regrette, mais c'est ainsi. En dépit de l'adoption conforme par notre assemblée, en deuxième lecture, de l'article abrogeant le délit de racolage et malgré la modification de l'article 1er ter, qui constitue une avancée décisive en la matière, les craintes liées au maintien de l'ordre public et à la nécessité de donner aux forces de police des outils de remontée des réseaux demeurent prégnantes parmi les membres du Sénat.

Les discussions avec les présidents Jean-Pierre Vial et Guy Geoffroy ainsi qu'avec la rapporteure Maud Olivier ne nous ont pas permis d'aboutir à un texte susceptible de faire consensus entre nos deux assemblées et entre les différents groupes qui les composent. Nous sommes arrivés à une impasse. Si nous souhaitons réellement traiter les personnes prostituées comme des victimes à part entière, il n'est pas possible d'inscrire dans la loi un mécanisme de sanction à leur égard, dont le déclenchement serait lié à l'exercice de leur activité de prostitution.

C'est finalement toujours la même question qui reste posée : quel regard voulons-nous porter sur la personne prostituée et sur son client ? Je crains malheureusement que, malgré les tentatives de rapprochement, nos deux assemblées ne parviennent pas à dégager une position commune, ce que l'on ne peut que regretter. Il faudra bien trancher et permettre une fois pour toute à cette proposition de loi de terminer son parcours législatif, d'être enfin mise en application et de produire ses effets, tant attendus sur le terrain.

M. Guy Geoffroy, président. - Je souhaiterais compléter ces propos et en tirer les conséquences.

Peu de choses séparent la vision que l'Assemblée nationale et le Sénat ont de cette délicate et douloureuse problématique qu'est la prostitution.

Il n'existe que très peu de parlementaires qui souhaitent - et leur position reste honorable - que la prostitution soit envisagée sous l'angle de la réglementation, c'est-à-dire de l'autorisation. En ma qualité d'initiateur du travail parlementaire engagé il y a maintenant cinq ans et demi avec Mme Danielle Bousquet, je constate que nous n'étions pas tous, alors, dans le même état d'esprit. Nous avons tous avancé dans la même direction, en réussissant à convaincre l'opinion - et ceux qui l'alimentent et la façonnent - que ce sujet n'était pas tel qu'ils l'avaient envisagé. Je suis persuadé que, pour nos concitoyens, la prostitution n'est plus considérée comme ce mal nécessaire qu'il faut tolérer, voire organiser. Elle est désormais considérée comme l'un des fléaux les plus graves, les plus récurrents, les plus anciens, les plus dramatiques qui peuvent exister dans une société de droit et qu'il convient de combattre par tous les moyens.

Cette proposition de loi a pour objectif de lutter contre ce fléau.

La responsabilité majeure est celle des proxénètes et des réseaux de traite des êtres humains. Plus personne, y compris dans les milieux les plus favorables à la prostitution, ne le nie. Au cours de nos auditions préliminaires à l'examen de la présente proposition de loi, nous avons entendu des associations favorables au « travail sexuel » reconnaître, loin des poncifs habituels, que le milieu de la prostitution était dangereux et qu'il ne protégeait pas contre le viol mais que le risque et la réalité du viol y étaient au contraire les plus importants.

Nous avons également progressé sur la question de la place de la personne prostituée. Alors que nous n'étions pas tous en phase sur un tel sujet, il n'y a plus beaucoup de parlementaires qui considèrent que les personnes prostituées sont coupables d'une infraction et, à ce titre-là, incriminables. Nous considérons tous que l'écrasante majorité des personnes prostituées - le pourcentage importe peu - sont des victimes d'un commerce inacceptable, la traite des êtres humains, et de toutes les violences qui le précèdent, l'accompagnent ou le suivent.

La question de la place du client a émergé et la réflexion est pratiquement aboutie entre nous. Il y a encore quelques temps, on évoquait la nécessité de la prostitution comme permettant de satisfaire le besoin irrépressible du client. Cette affirmation a fait long feu et c'est là la nouveauté de nos débats, qui ont permis de mettre fin à ce scandaleux poncif : la prostitution ne saurait être une réponse à un besoin irrépressible présumé chez les hommes. Il était ainsi indispensable que nous nous penchions sur la place du client, sans lequel il n'y a pas de prostitution. Sans client et sans proxénète, il n'y a pas matière à martyriser des personnes en vue de les mettre en situation de prostitution. La présente proposition de loi vise donc à demander au client de prendre conscience de sa place dans le phénomène prostitutionnel, à le responsabiliser et - comme en toute matière éducative - à permettre de nommer les choses en droit au cas où la simple éducation ne porterait pas ses fruits.

Sans trahir la pensée de nos collègues sénateurs, il me semble que nous sommes tous d'accord sur cette vision. Le président Jean-Pierre Vial m'a fait part de son souhait que notre commission mixte paritaire puisse aboutir en incluant les articles 16 et 17 instituant la pénalisation du client.

En quoi consistent les différences d'appréciation aujourd'hui ? Peu, c'est ce qui fait le regret ; beaucoup, c'est ce qui fait le constat. Peu, parce que nous sommes d'accord pour rappeler dans la loi que le maire, en tant que garant de la tranquillité et de l'ordre publics, peut solliciter le parquet pour la mise en oeuvre des dispositions de l'article 62 du code de procédure pénale. Nous, députés, pensions que cela répondrait à la crainte de nos collègues sénateurs que la suppression du délit de racolage ne prive les autorités d'un moyen d'action existant. Je constate avec regret que cette proposition ne permet pas d'aboutir. C'est le seul point qui nous empêche d'aboutir à un texte commun. Or, si nous arrivions à trouver une solution sur ce point, en complétant l'article 1er ter, réécrit par le Sénat à l'initiative de sa commission spéciale à la suite d'un travail mené par les parlementaires et le Gouvernement, nous savons que les sénateurs accepteraient de rétablir les articles 16 et 17 dans le sens que nous souhaitons.

Nous sommes face à deux hypothèses. La première serait de considérer qu'il existe parmi nous - et c'est le cas - une majorité pour adopter un texte et faire en sorte que la commission mixte paritaire aboutisse. La seconde serait de considérer que, malgré cette majorité avérée, il existe un risque important que le texte élaboré par notre commission ne soit pas adopté en termes identiques par les deux assemblées. Si le Sénat n'adoptait pas ce texte, l'impact dans l'opinion serait dommageable et, de plus, nous perdrions un temps précieux dans une période où l'ordre du jour est contraint puisque nous serions conduits à reprendre la navette plus tardivement qu'après un échec de la CMP. En tant qu'initiateur parmi d'autres de ce texte, je crains que sa destinée en soit dès lors endommagée.

Si nous renonçons à ce que les députés et certains sénateurs imposent à notre commission mixte paritaire la volonté de l'Assemblée nationale, nous repartirons pour une seule lecture dans chaque chambre et adopterons, à l'Assemblée nationale, un texte proche de celui qui aurait pu et dû être voté par la commission mixte paritaire et dont il reviendra à nos collègues sénateurs de décider s'il pourra leur convenir ; à défaut, l'Assemblée nationale aura le dernier mot, comme le prévoit la Constitution.

Cette solution permettra à chacune de nos assemblées d'être assurée du travail effectué, d'être consciente de notre volonté en toute bonne foi de rapprocher les points de vue, mais de comprendre également que nous ne pouvons pas aboutir à ce jour.

En mon nom et au nom du président Jean-Pierre Vial, je vous propose aujourd'hui - à regret mais plein d'espérance - de conclure que nous ne pouvons aboutir à un accord compte tenu du risque de voir le texte élaboré par notre commission mixte paritaire ne pas pouvoir être adopté par le Sénat. Je préfère renoncer aujourd'hui en espérant qu'à cet échec provisoire succède une réussite collective assumée. Nos deux rapporteures pourront ainsi faire état, dans leur rapport, de l'échec de nos travaux en concluant que la commission mixte paritaire a constaté qu'elle ne pouvait aboutir à un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi.

Soyez assurés que nous finirons par aboutir, que chacun sera respecté tant dans sa conviction que dans sa volonté, et que ce grand texte deviendra le plus rapidement possible une loi de la République française.

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

La réunion est levée à 17 h 05.