Jeudi 26 novembre 2015

- Présidence de M. Roger Karoutchi, président -

Audition de Jean-Michel Naulot, ancien banquier, ancien membre du Collège de l'Autorité des marchés financiers

M. Roger Karoutchi, président. - Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir, en votre nom, Jean-Michel Naulot, ancien banquier d'affaires éminent, ancien membre du Collège de l'Autorité des marchés financiers (AMF), que j'ai moi-même eu plaisir à croiser dans une vie antérieure.

Nous devons sa présence parmi nous ce matin à Pierre-Yves Collombat, qui a souhaité engager une réflexion prospective sur l'avenir et les risques du système financier et bancaire. Une réflexion qui se veut donc dynamique, pas statique, pour ne pas risquer d'empiéter sur les compétences de la commission des finances. Cela fait en effet des années que l'on parle de la crise financière et des errements du système, sans que, pour autant, on en ait la maîtrise ou, au moins, une vision suffisamment claire.

Partant de ce constat, le travail que Pierre-Yves Collombat s'est proposé d'engager s'annonce dense et nous serons amenés à débattre des conclusions qu'il aura tirées. Je ne suis pas persuadé que celles-ci feront consensus au sein des membres de la délégation, mais au moins disposerons-nous d'une base de réflexion sérieuse et approfondie sur le sujet.

De par ses responsabilités successives, Jean-Michel Naulot a exercé des fonctions à la fois de gestion et de contrôle, d'opérateur et de contrôleur. Voilà deux ans, il a publié un livre qui a fait sensation venant de quelqu'un d'aguerri au milieu financier. Son titre est loin d'être rassurant : Crise financière. Pourquoi les gouvernements ne font rien. C'est peut-être ce qui a tout de suite attiré l'oeil de Pierre-Yves Collombat, lui qui a toujours l'esprit critique aiguisé. Je lui laisse d'ailleurs immédiatement la parole.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Je tiens d'abord à vous remercier, monsieur le président, d'avoir accepté ma suggestion de recherche prospective. Je dois dire, monsieur Naulot, que j'ai lu votre ouvrage avec beaucoup de plaisir. Vous avez réellement fait un effort de clarté, ce qui n'est pas si courant dans ce genre de publication.

Je voudrais partir d'une de vos citations, qui résume assez bien le sujet et le problème. Vous écrivez ainsi, aux pages 64 et 65 de votre ouvrage : « Le risque systémique n'a rien de commun aujourd'hui à ce qu'il était au siècle dernier. L'écart est à peu près le même que celui qui existe entre la guerre conventionnelle et la guerre nucléaire. La finance mondiale est devenue une énorme centrale nucléaire bâtie en dehors de toutes normes de sécurité. Pour au moins trois raisons : l'interconnexion des opérations, la masse des capitaux, la dangerosité du combustible. » Voilà un bon point de départ pour notre réflexion ! Je suis d'ailleurs preneur d'éléments chiffrés sur cette masse des capitaux, en particulier les différentes catégories qui la composent, et le rôle que jouent les produits dérivés.

M. Jean-Michel Naulot, ancien banquier, ancien membre du Collège de l'Autorité des marchés financiers. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre accueil et de l'intérêt que vous portez à mes travaux. Je commencerai par dire que je suis loin d'être un « ultra ». Initialement, d'ailleurs, j'avais choisi comme sous-titre à mon livre : Pourquoi les gouvernements font si peu. Mais l'éditeur n'a pas trouvé cela assez vendeur et s'est décidé pour Pourquoi les gouvernements ne font rien.

Je tiens à le souligner, j'ai pris énormément de plaisir à exercer, pendant trente-sept années, le métier de banquier d'affaires, au sein d'établissements français : Indosuez, le Crédit agricole, Natixis. Je l'ai fait avec passion, aux côtés, pour l'essentiel, de groupes du CAC 40. Le fait d'apporter son assistance à des groupes d'une telle envergure, particulièrement dans les périodes de crise, vous donne le sentiment d'être réellement utile.

Je me suis, par exemple, beaucoup occupé de PSA Peugeot-Citroën. Au cours de l'été 2008, PSA était entouré de vingt-six ou vingt-huit banques, je ne me souviens plus exactement. Six mois plus tard, en janvier 2009, on n'en comptait plus que quatre et demi, pour être très précis, et uniquement des banques françaises. C'est dire la violence des réactions, dans le monde de la finance, quand les difficultés surgissent. En pareil cas, on ne peut plus compter que sur très peu d'amis. Cela n'a pas eu beaucoup d'écho à l'époque mais, pendant la crise de 2000-2003, ce ne sont pas moins de cinq ou six groupes du CAC 40 qui ont failli faire faillite. Idem en 2007-2009.

L'un des aspects du métier de banquier d'affaires que j'ai particulièrement apprécié, c'est ce que les Anglo-Saxons appellent le team spirit. Cet esprit d'équipe, on le retrouve aussi un peu en politique, quand tout le monde s'entend bien.

M. Roger Karoutchi, président. - Cela dépend...

M. Yannick Vaugrenard. - ...et ne dure jamais longtemps !

M. Jean-Michel Naulot. - À partir de la fin de 2003, j'ai eu la chance d'intégrer le Collège de l'Autorité des marchés financiers. L'occasion m'en fut donnée par le président de l'Assemblée nationale de l'époque, Jean-Louis Debré, qui me connaissait bien et avait pu mesurer mon scepticisme au sujet de la finance au cours des années précédentes. J'y ai accompli deux mandats absolument passionnants, au sein d'équipes remarquables. À partir du printemps 2007, j'ai présidé la commission des marchés financiers, qui est une commission de place. Cela m'a donné un écho très intéressant de ce qu'il se passait réellement sur la place financière, indépendamment des contacts que j'avais par ailleurs.

Je compte, parmi mes vieux amis, Michel Barnier, qui fut commissaire au marché intérieur et aux services financiers. J'ai beaucoup discuté de ces sujets avec lui, suivant de très près ce qu'il se passait à Bruxelles. J'ai quitté l'AMF à la fin de l'année 2013. C'est au cours de ma dernière année de mandat que j'ai écrit ce livre. Libéré d'un devoir de réserve encore plus contraignant que celui que j'avais connu comme banquier, retrouvant avec un très grand plaisir une totale liberté d'expression, je me suis efforcé de bannir la langue de bois pour dresser, à destination notamment des jeunes et des étudiants, un tableau aussi fidèle et complet que possible, balayant l'ensemble des sujets liés à la finance, les thématiques actuelles, les grands chantiers en cours, les problèmes récurrents.

Ce livre n'est aucunement un règlement de comptes à l'égard du monde de la finance. Il exprime bien au contraire une angoisse qui me taraude depuis de longues années. En 1995, j'avais publié une tribune dans Le Figaro, pour alerter sur le fait que l'on était en train de construire un « gigantesque casino mondial de la finance ». Avec le recul, aujourd'hui, je me dis vraiment que, à l'époque, je ne faisais que dénoncer l'épaisseur du trait, tant les problèmes actuels n'ont rien à voir, par leur gravité, avec ceux de 1995. Ils se sont même amplifiés depuis 2007.

La crise de 2007 mérite d'ailleurs que j'en dise un mot car les éléments qui la caractérisent sont aujourd'hui encore très présents. J'ai grandement ressenti le fait que celle-ci n'avait pas du tout été anticipée. Prenez les déclarations faites à l'époque par les analystes financiers, les dirigeants de banques, les responsables politiques.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Celles de la ministre de l'économie de l'époque, Christine Lagarde, sont restées célèbres !

M. Jean-Michel Naulot. - Absolument.

Le VIX, qui est l'indice de volatilité du marché financier américain, reflète le niveau de stress des investisseurs. Au mois de juin 2007, c'est-à-dire deux mois avant ce fameux 9 août 2007 qui marqua le début de la crise systémique - j'étais alors de permanence à l'AMF et chacun sentait le sol trembler sous ses pieds -, cet indice se situait à son plus bas historique, c'est-à-dire un peu au-dessous de son niveau actuel. Un an plus tard, il sera à son plus haut. À l'évidence, les marchés ne jouaient plus leur rôle d'anticipation des risques.

Deuxième élément étonnant : au printemps 2007, les marchés connaissaient une situation de surliquidité. Comme aujourd'hui. N'écoutez pas ceux qui vous disent qu'il y a un problème de liquidités dans les marchés, de distribution de crédit. Les multinationales n'ont actuellement aucun problème de financement, les marges, pour les mieux notées d'entre elles, sont du même ordre que celles du printemps 2007. Abondance de liquidités, donc. Or le lendemain, même pas le surlendemain, de la faillite de Lehman Brothers, le monde a fait face à une pénurie de liquidités : tout s'est arrêté. Au cours des trois mois suivants, tout nouveau crédit se décidait au niveau du président, et encore, à l'arraché.

Cet élément est important. Comment expliquer ce paradoxe d'une pénurie brutale de liquidités alors que le système financier connaissait un excès de liquidités ? En réalité, c'est cette surabondance de liquidités qui l'a fragilisé, car, dès lors que les possibilités de rendements se raréfient, on cherche à placer les liquidités là où elles subsistent, c'est-à-dire, généralement, dans des activités à risque. Comme le disait un de mes amis de conviction libérale, « quand l'argent ne coûte rien, on ne peut faire que des bêtises ».

Troisième élément : la transmission de la crise financière à l'économie dite « réelle », comme en 2001-2003 du reste, mais de manière beaucoup plus intense. Tout est allé extrêmement vite. Il ne se passait pas quinze jours sans que les prévisions de profits des groupes faites par les analystes financiers soient réajustées à la baisse.

Compte tenu de la situation actuelle, mon discours n'est pas franchement optimiste. Les analogies que j'ai pu établir entre la crise de 1929, celle de 2007 et la situation actuelle me conduisent à penser que les signes caractéristiques d'une crise systémique restent prégnants aujourd'hui : une dette élevée, des liquidités abondantes, un retard dans la régulation. Le problème est de savoir quand la bulle va éclater ; comme aurait dit Keynes, il ne manque qu'une petite aiguille pour venir la crever.

Aujourd'hui, comme en 1929 et 2007, la dette privée atteint des niveaux très élevés. Or peu de monde en parle, il n'est question que de la dette publique. Les pays vertueux en matière de dette publique sont souvent ceux, Allemagne à part, qui affichent une dette privée très élevée : Canada, Australie, Pays-Bas, Danemark. Un regard sur le passé montre que c'est souvent la dette privée qui provoque les crises, comme en 1929, comme en 2007. Le niveau de dette publique en zone euro, avant la crise de 2007, avant celle de 2010, était extrêmement raisonnable. En 2007, la dette publique française ne représentait que 64 % du PIB.

De nos jours, le niveau de la dette, publique comme privée, atteint des sommets. Contrairement à ce que prétendent certains journaux, la dette publique des États-Unis est très importante : si l'on ajoute à la dette fédérale, 105 % du PIB, la dette des collectivités locales et celle des États, le total monte à près de 125 %. La dette globale, publique et privée, est considérable. La situation est analogue au Royaume-Uni et au Japon, qui bat tous les records. Le niveau de la dette dans la zone euro est historique, inédit. Voilà qui est tout de même extrêmement préoccupant.

Deuxième phénomène inquiétant : l'abondance de liquidités. Ne l'oublions pas, les banques privées créent de la monnaie à l'instar des banques centrales. De 2000 à 2007, le régulateur prudentiel a poussé les banques à créer énormément de monnaie. À l'époque, 90 % de la création monétaire venaient des banques. D'où un effet de levier massif. Récemment, les modalités de calcul des ratios prudentiels des banques ont été durcies. Celles-ci créent beaucoup moins de monnaie.

En ce qui concerne la « monnaie banque centrale », la base monétaire, elle peut prendre trois directions. Soit l'économie réelle, via les banques. Soit la Banque centrale européenne (BCE). Je lisais ce matin un article sur le site de L'Agefi selon lequel la BCE devrait probablement annoncer un durcissement de son taux, négatif, auquel elle rémunère les réserves déposées par les banques. Ce taux, actuellement fixé à -0,2 %, passerait à -0,4 %, voire -0,5 %. On commence vraiment à marcher sur la tête ! L'objectif est d'empêcher les banques d'aller placer leurs liquidités à la BCE. Lorsque la monnaie ne va qu'un tout petit peu vers l'économie réelle et moins à la BCE, elle va dans la troisième direction que sont les actifs financiers - financement des hedge funds, etc. C'est ce qui se produit depuis quelques années.

Troisième et dernière caractéristique de la période récente : le retard dans la régulation. C'est le point essentiel de mon livre, ce qui m'a mis dans une franche colère ces dernières années. Par rapport à la feuille de route fixée lors du G20 qui s'est tenu le 2 avril 2009, l'Europe a fait à peu près le tiers du chemin - hommage en soit rendu à mon ami Michel Barnier, qui s'est battu courageusement -, les États-Unis, le quart. J'étais admiratif de ce que faisait Obama au cours de sa première année de mandat, mais j'ai rapidement déchanté : tout s'est arrêté avec le vote de la loi Dodd-Frank en juillet 2010 et les transpositions qui ont suivi.

Finalement, l'un des points les plus inquiétants, c'est l'influence des lobbies financiers, que j'ai vu constamment à l'oeuvre, notamment à Bruxelles, et qui freine les velléités d'action des gouvernements et des parlementaires européens. Ils sont cependant dans leur rôle et exercent, pour certains, leur mission avec beaucoup d'habileté.

Fort de mon expérience de régulateur, j'ai résumé les neuf manières d'exercer ce « travail de conviction » auprès de l'autorité politique.

Premièrement : pratiquer la connivence. Ce que j'appelle le « lobbying mondain » : invitation à déjeuner, en week-end ; au début, on ne parle jamais de finance, le sujet n'est abordé que très progressivement. C'est la raison pour laquelle, lorsqu'il a été nommé, j'avais conseillé à Michel Barnier de refuser toute invitation dès le départ, et c'est ce qu'il a fait.

Deuxièmement : profiter du déséquilibre des rapports de force. Il se trouve que les régulateurs britanniques sont deux à trois fois plus nombreux que leurs homologues allemands ou français au sein des différents groupes de travail et autres task forces. En plus, on y parle l'anglais, donc vous comprendrez qu'ils excellent dans l'art de la sémantique, toujours prompts à proposer, ici, un changement de mot, là, un ajout de virgule. C'est un véritable travail d'orfèvre et, reconnaissons-le, ils sont d'une compétence redoutable.

Troisièmement : gagner du temps. Systématiquement, les lobbyistes s'attachent à retarder la sortie des textes en posant toutes sortes de questions. Michel Barnier avait pour habitude d'appeler cela « le temps de la démocratie ». Je lui préférais la formule « le temps des lobbies ».

Quatrièmement : détourner de leur objet les études d'impact. Avant la mise en oeuvre de tout texte réglementaire, aux États-Unis comme en Europe, est lancée une étude d'impact, une consultation de place. Normalement, cette consultation doit permettre au régulateur de vérifier qu'il n'a pas fait d'erreurs dans son texte. Mais naturellement les lobbies utilisent cette procédure pour tenter de remettre en cause l'essentiel.

Pour ne pas avoir à appliquer un texte, il n'y a rien de mieux que de le dénaturer en le complexifiant au maximum. Au début de son premier mandat, le président Obama avait chargé l'un de ses conseillers, Paul Volcker, de préparer un texte sur l'interdiction du prop trading, la spéculation pour compte propre des banques. Après son examen par le Congrès, il était passé de trente-neuf pages à trois cents pages. Paul Volcker avait donné cette explication : « Il fallait répondre aux questions posées par les lobbyistes. Et après, avait-il ajouté, ils disent que c'est trop compliqué, qu'ils ne peuvent pas l'appliquer ».

Cinquièmement : faire preuve d'une innovation financière sans limites. Le phénomène s'est accéléré depuis 2007, par exemple dans le domaine du trading à haute fréquence. J'ai en mémoire un exemple particulièrement parlant : l'AMF avait refusé d'accorder son agrément à un fonds collectif lancé par une très grande banque de la place, qu'elle jugeait illisible, trop complexe et risqué pour les investisseurs ; trois semaines après, elle l'a vu revenir sous l'appellation EMTN - Euro Medium Term Note -, c'est-à-dire une obligation structurée échappant à toute réglementation. Voilà le jeu auquel se livrent parfois les professionnels et qui rend notre métier difficile.

Sixièmement : se prévaloir de la transparence. Il faut se méfier de ceux qui ne cessent de plaider en faveur de l'éthique, de la transparence, car c'est souvent un moyen détourné pour ne pas agir sur l'essentiel. Les Anglo-Saxons sont très férus de transparence.

Septièmement : avancer le risque d'une atteinte à la liquidité du marché. C'est le refrain entonné, dans neuf cas sur dix, pour freiner toute velléité de réforme. Cela a commencé en 2009-2010 avec le problème des ventes à découvert.

Huitièmement : défendre le market making quel que soit le sujet de la réforme. Il faut le savoir, la qualification de market maker - être contrepartie des activités clientèle - ouvre la voie à toutes sortes de dérogations réglementaires.

Neuvièmement : préserver la compétitivité de place. Ce qui m'a le plus marqué au cours de mes dix années à l'AMF, c'est le fait que, sur chaque projet de réforme des structures bancaires et des marchés financiers, les professionnels, mais aussi les gouvernements, brandissent le risque de porter atteinte à la compétitivité des banques.

Je le dis très modestement, je m'étais fixé une ligne rouge à ne pas franchir : la compétitivité de place doit passer après la prise en compte du risque systémique. C'était pour moi essentiel. Je me dois, par exemple, de rappeler que quatre banques françaises détiennent aujourd'hui l'équivalent de quarante fois le PIB français en encours notionnels de produits dérivés dans leur hors-bilan. D'aucuns rétorquent que, si les banques françaises ne le font pas, les banques américaines vont le faire. C'est ce type de raisonnement qui tue toute évolution de la réglementation.

La douzaine de chantiers sur lesquels travaillent les régulateurs depuis la crise représentent un travail considérable. Je vais donc me contenter de les citer. Il y a bien sûr la réforme des banques, qui comprend elle-même plusieurs chantiers. De nouvelles règles prudentielles visent notamment à augmenter les ratios de fonds propres. C'est une simple remise à niveau après les excès des années 2000. La mise en place progressive de l'union bancaire s'articule autour de trois volets que sont la supervision, la résolution et la garantie des dépôts. On peut relever que cette dernière s'élève, en France, à 100 000 euros au lieu de 250 000 dollars aux États-Unis. La Commission européenne propose de mutualiser cette garantie. Il a été décidé de mettre à contribution, en cas de difficultés d'une banque, les dépôts supérieurs à cette garantie de 100 000 euros, soit un seuil relativement bas.

Pour ce qui concerne la réforme des structures bancaires, actuellement en discussion au Parlement et au Conseil européens, ma conviction est faite : il faut interdire le prop trading - opérations pour compte propre des banques systémiques - et acter la séparation des activités les plus risquées. Je crains que cela n'aboutisse pas.

Les hedge funds, tout comme le trading à haute fréquence et les produits dérivés, nous exposent à un risque qui peut être systémique. Le problème de la liquidité des chambres de compensation en cas de crise n'est toujours pas réglé. Pour la régulation des marchés de matières premières, des réformes simples auraient pu être décidées. On a préféré multiplier les dérogations. En 2007-2008, tous les prix suivaient la même courbe de variation, on se demande pourquoi : multiplication par deux, division par trois en très peu de temps. Lorsqu'il était ministre de l'agriculture avant de devenir commissaire européen, Michel Barnier m'avait dit vouloir s'atteler en priorité aux conditions de fonctionnement des marchés de matières premières. Aujourd'hui, le bilan est malheureusement très décevant tant les lobbies ont été actifs.

La Mifid II est l'abréviation de la directive sur les marchés d'instruments financiers, sur laquelle la Commission travaille depuis 2010. La Mifid I, qui dérégulait complètement les marchés des actions, a été publiée en novembre 2007, alors que nous étions déjà en pleine crise. Au moment de sa prise de fonctions, en 2004, le commissaire Charlie McCreevy avait affirmé qu'au cours de son mandat il faudrait « faire un effort permanent pour s'assurer que les marchés ne sont pas trop régulés ». Ce fut un succès total... La Mifid II est censée entrer en application en janvier 2017, certains parlent même de janvier 2018. Huit années, cela illustre bien ce que j'appelais le « temps des lobbies ».

Je voudrais souligner l'ampleur prise par le phénomène du shadow banking. Il représenterait, selon le chiffre officiel que je rappelle dans mon livre, 25 % de la finance mondiale. Je pense que la vérité est plus proche du tiers, voire pas loin de la moitié. La semaine dernière, Benoît Coeuré a cité le chiffre de 38 %, ce qui m'a surpris de la part d'une autorité officielle, membre du directoire de la BCE.

Enfin, je ne peux manquer de souligner, même très brièvement, les dysfonctionnements du marché du carbone, sujet important en cette période de COP 21.

J'en viens aux questions de gouvernance.

En 2008-2009, les communiqués du G20 étaient à ce point remarquables que je les avais presque appris par coeur : d'une très grande précision, je sentais que chaque mot avait été soigneusement pesé. Un bémol, cependant, sur celui du 2 avril 2009. Le G20 avait prévu le contrôle, en matière de hedge funds, des gérants « et » des fonds. Au dernier moment, les Anglais ont fait remplacer « et » par « ou » ; résultat : seuls les gérants, tous basés à Londres, font l'objet de contrôles, et personne ne se penche sur les fonds, majoritairement situés dans les paradis fiscaux.

Cela étant, les textes étaient tout à la fois contraignants et d'une grande clarté, et traduisaient une réelle volonté politique. Je repense à cette période comme à un rayon de soleil dans une atmosphère fort pénible. Force est de constater, depuis, que les communiqués du G20 ne font plus référence aux questions financières. Le G20 se concentre sur les enjeux géopolitiques et a délégué son travail au Conseil de stabilité financière. La grande différence, c'est que ce dernier est composé essentiellement de représentants des banques centrales, même si les gouvernements sont présents. Il est aujourd'hui présidé par Mark Carney, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, le même qui, l'année dernière, s'était dit prêt à développer, si nécessaire, le shadow banking pour développer la place de Londres.

Je me suis posé la question : puisque le G20 ne joue plus son rôle, ne faudrait-il pas envisager la mise en place d'un organisme indépendant, qui puisse faire un rappel à l'ordre sur les chantiers en cours ?

Le Comité de Bâle réunit les experts des banques centrales autour de la régulation prudentielle. Les normes arrêtées sont ensuite validées au travers de directives. Ainsi, le 26 juin 2004, le Comité de Bâle a adopté un dispositif, dit de « pondération des risques », qui a révolutionné la régulation des banques et qui subsiste aujourd'hui. Aucun débat n'a eu lieu. La directive est entrée en application en 2006 et personne, en dehors des cercles d'experts, n'en discute aujourd'hui. Ne serait-il pas normal que le commissaire assiste aux réunions les plus importantes ? Michel Barnier avait exigé d'être présent à celles de l'autorité comptable internationale, l'IASB, même si elles étaient très techniques.

Le Comité européen des risques systémiques (CERS) constitue un outil de surveillance très important. Sa création avait été recommandée dans un rapport de 2008 rédigé par Jacques de Larosière. Il est chargé de faire de la prospective sur les risques. Une structure analogue existe aux États-Unis, disposant d'un effectif extrêmement restreint : quinze personnes, dont dix ont le droit de vote. Elle est présidée par le secrétaire américain au Trésor, autrement dit l'exécutif, entouré de Janet Yelen et des présidents des autorités de régulation.

En Europe, le CERS réunit une centaine de personnes. La BCE, par l'intermédiaire de Mario Draghi, en assure la présidence. Estimant qu'elle prévient déjà parfaitement tous les risques, elle cherche à réduire ce comité à sa plus simple expression. Là aussi, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, l'autorité politique est complètement absente. Ce Comité européen des risques systémiques devrait être présidé soit par le président du Conseil européen, soit par le commissaire aux marchés financiers, en tout cas par une autorité politique. Il faut une représentation plus importante de l'autorité politique, ne serait-ce que pour lui permettre d'en savoir davantage sur ce qu'il se passe réellement dans le monde de la finance.

Par ailleurs, vous avez certainement entendu parler du projet d'Union des marchés de capitaux (UMC). C'est l'objectif de la mandature en matière de régulation financière à Bruxelles. Là encore, la question de la gouvernance se pose : les gouvernements européens ont-ils véritablement eu leur mot à dire ? Y a-t-il eu débat ? La première fois que Jean-Claude Juncker l'a évoqué, c'était en juillet 2014, quatre mois avant que la nouvelle mandature soit en place. Juncker s'était auparavant occupé de la place luxembourgeoise. Pour l'épauler, il peut compter sur le Commissaire européen à la stabilité financière, aux services financiers et à l'Union des marchés de capitaux, qui n'est autre que Jonathan Hill, très lié tout de même à la City.

Tous deux ont décidé de réviser, si nécessaire, certains des textes établis par la mandature précédente, que je trouve déjà fort insuffisants. Pour leur projet d'UMC, ils souhaitent en fait s'inspirer du modèle anglo-saxon. Actuellement, en Europe, les trois quarts du financement viennent des banques et le reste du marché. L'idée est non pas d'inverser ce rapport, Juncker et Hill prônent un ratio de 60-40, mais de donner beaucoup plus d'importance aux marchés, par le développement de la titrisation, des placements privés, etc. De par mon expérience, je peux dire que l'évolution ne pourra être que marginale. En outre, il revient aux banques, qui connaissent les risques sur les contreparties, de faire leur métier, faute de quoi on affaiblit le système.

Dernière remarque à propos de la gouvernance : les trois institutions européennes qui arrêtent les textes législatifs dans le cadre du trilogue ne laissent que peu de place aux parlements nationaux. La persistance des risques financiers ne devrait-elle pas inciter les parlementaires à s'exprimer ?

Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, si j'ai comparé la finance mondiale à une « énorme centrale nucléaire bâtie en dehors de toutes normes de sécurité », c'est parce que j'ai ressenti les choses de cette façon en tant que banquier. Je suis convaincu que, avec quelques mesures simples, sur chacun des dossiers que j'évoquais, il est possible de corriger la situation actuelle. Ayons bien à l'esprit que les financements interbancaires ont cessé dès le lendemain de la faillite de Lehman Brothers. Je me répète, dès lors que la confiance disparaît et que les liquidités sont surabondantes, le système est fragilisé.

L'ensemble des produits dérivés, gérés par dix-huit grandes banques internationales, représente un montant de 720 000 milliards de dollars, auxquels il faut ajouter 80 000 milliards de dollars qui passent par les marchés organisés. Au total, cela fait 800 000 milliards de dollars, soit dix fois le PIB mondial. En 2007, les montants étaient exactement les mêmes. Ces produits dérivés sont échangés à 90 % entre établissements financiers : l'interconnexion, elle est là. Comment peut-on les considérer comme des instruments de couverture au service de l'économie réelle quand la part avec les entreprises ne s'élève qu'à 7 % ou 8 % ?

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Ma question va peut-être vous paraître quelque peu naïve mais arrêtons-nous un instant sur la notion même de liquidités. Chacun le sait, il y a la monnaie créée par les banques centrales et celle qui est fabriquée par les banques, notamment lorsqu'elles accordent des prêts. J'en suis arrivé à la conclusion que se fabriquent également ce que j'appellerais des « quasi-monnaies », c'est-à-dire des titres différents et des créances différentes qu'on s'échange finalement comme de la monnaie. Mais, comme leur liquidité est moindre, il arrive un moment où tout coagule et bloque le système. Est-ce que je me trompe ?

M. Jean-Michel Naulot. - C'est effectivement ce qu'il se passe en matière de shadow banking. Si tous les échanges et prêts de titres peuvent être comparés à de la monnaie, ils sont en fait beaucoup plus fragiles. Ceux-ci se sont développés de manière exponentielle depuis la précédente crise. La vente à découvert est déjà un exercice qui n'est pas évident : on vend un actif que l'on ne possède pas, qu'il faut emprunter ; on le rachète plus tard, souvent dans la journée. Les trois quarts des opérations se font intraday. Depuis 2008, les prêts de titres se sont développés de manière exponentielle.

Il est écrit en toutes lettres dans un rapport du FMI qui date de l'automne 2012 : « À un instant donné, un même titre peut être revendiqué par deux acteurs et demi. » D'après les estimations - il n'existe aucun relevé officiel -, ces « prêts-emprunts » de titres représenteraient autour de 20 000 milliards de dollars. Pour donner un ordre de grandeur, la finance internationale, c'est un peu plus de 300 000 milliards de dollars. Cette quasi-monnaie est d'une grande vulnérabilité.

Aux États-Unis, les ETF, qui sont des fonds indiciels cotés en bourse, représentent des encours de 3 000 milliards de dollars. C'est à peu près le montant des hedge funds, l'effet de levier en moins. À la différence des autres OPCVM, ils se caractérisent par le fait qu'il est possible d'en sortir à tout moment, un clic de souris suffit. Il se trouve que ces ETF prêtent l'intégralité de leurs titres. Vous imaginez bien ce qu'il pourrait se passer.

Les pensions funds, c'est-à-dire les fonds qui gèrent les retraites dans les pays anglo-saxons, sont un petit peu plus réglementés que les mutual funds, qui sont des fonds ordinaires. Mais tout cela est assez peu réglementé aux États-Unis, ce qui me fait craindre que la prochaine crise ne vienne de là. Voilà un point de vulnérabilité par rapport à l'Europe, où le système est beaucoup mieux sécurisé.

M. Yannick Vaugrenard. - Je vous remercie, monsieur Naulot, de toutes ces informations précises. Elles ont le mérite d'être d'une grande clarté et, pour certaines d'entre elles, viennent conforter ce que nous percevions déjà.

Parmi les chiffres que vous avez cités, j'en ai trouvé un particulièrement frappant : les banques françaises détiennent l'équivalent de quarante fois le PIB en produits dérivés et, à l'échelle de la planète, l'ensemble de ces produits représente 800 000 milliards de dollars, soit dix fois le PIB mondial. Autrement dit, la question, aujourd'hui, est de savoir non pas s'il y aura de nouveau une crise financière, mais quand elle aura lieu et d'où elle partira.

Voilà qui est tout de même assez préoccupant. J'entends bien la réponse qui vous a été faite à ce sujet. En même temps, il est compréhensible que les banques françaises hésitent à agir seules, car elles se feraient alors avoir, pour parler simplement. Il n'est pas envisageable que la France, ni l'Europe d'ailleurs, agisse seule et se décide, par exemple, à interdire le trading à haute fréquence ou la titrisation. Dès lors, pouvons-nous imaginer une forme de gouvernance mondiale de l'ensemble de ces activités liées à la finance et de moins en moins à l'économie réelle ? C'est à mes yeux la question centrale. Elle est éminemment politique. Mais, faute d'action en ce sens, on court à la catastrophe.

D'autre part, vous avez évoqué le Comité de Bâle. Que pensez-vous de Bâle III ? Souvent, les banques françaises se réfugient derrière les normes édictées dans le cadre de Bâle III pour ne pas prêter suffisamment, notamment aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire. Est-ce vraiment le cas ou ne s'agit-il que d'un prétexte ?

Par ailleurs, il a beaucoup été question de la crise pétrolière de 1974. N'oublions pas les aspects monétaires et ce fameux 15 août 1971, lorsque Nixon annonça la fin de la convertibilité du dollar en or. Cela a entraîné une instabilité monétaire. Pour éviter la spéculation actuelle, la solution pourrait-elle être d'instaurer la convertibilité du dollar ou des monnaies internationales, je ne sais, avec l'or ou d'autres matières premières ?

M. Jean-Michel Naulot. - Voilà trois énormes questions !

Bien sûr, je crois à une gouvernance mondiale et, d'abord, à une gouvernance européenne, même s'il convient de bien séparer les chantiers en cours. Dans le domaine de la régulation, rien ne pourra se faire sur le plan national. Les marchés de capitaux étant ouverts les uns sur les autres, il faut une gouvernance européenne, voire mondiale.

Si personne ne commence à donner l'exemple, on risque d'attendre longtemps. C'est exactement le cas de la taxe sur les transactions financières. Je comprends très bien que tous les banquiers s'y opposent. La problématique est pourtant tout simple : corriger l'hypertrophie de la finance.

J'ai été un praticien passionné des produits dérivés, et ce dès 1984. Cela peut donner le meilleur comme le pire. Je me souviens qu'à l'époque on a pu, par ce biais, couvrir les exportations de LVMH à Tokyo. Un outil très utile, donc. Le problème, c'est que toute innovation financière est aussitôt détournée de ce pour quoi elle a été conçue. Prenons l'exemple du marché des matières premières, dont l'accès était interdit aux banquiers à la suite de la crise de 1929. Goldman Sachs a convaincu le régulateur américain qu'il fallait y apporter de la liquidité ; aujourd'hui, 85 % des transactions sur les matières premières sont faites par des financiers.

Je suis heureux, monsieur le sénateur, que vous m'interrogiez sur Bâle III et le financement des PME, car le sujet est véritablement important. En juin 2004, je l'ai rappelé, le Comité de Bâle a introduit le système de la « pondération des risques », une vraie révolution dans l'allocation des financements. Ce dispositif, mis en place à l'occasion de Bâle II, est une véritable « boîte noire », comme je l'explique dans mon livre.

À partir de 2005-2006, je vais vous dire ce qu'il se passait puisque j'étais moi-même banquier. Je caricature à peine. Quand j'accordais un crédit de 100 millions à une multinationale du CAC 40 très bien notée, j'inscrivais dans la déclaration réglementaire 12 millions ou 15 millions au lieu de 100 millions. Pour une autre multinationale du CAC 40 moins bien notée, j'inscrivais 60 millions ou 65 millions. Comme il ne pouvait être question de multiplier la marge appliquée à l'entreprise moins bien notée par quatre, par cinq ou par six, la « calculette » du comité de crédit attribuait généralement le crédit à l'entreprise la mieux notée.

C'est de là que vient le pouvoir des agences de notation. Puisque, du jour au lendemain, les banques ont pu diviser le montant de leurs fonds propres réglementaires d'un tiers, de moitié, quelquefois davantage, le système a contribué à accélérer très fortement la création monétaire par les banques. Le régulateur prudentiel porte ainsi une responsabilité terrible dans la précédente crise.

Cette « boîte noire » a introduit un biais réglementaire dans l'allocation des ressources. Une PME, aujourd'hui, est de fait pénalisée. De plus, elle n'offre pas les mêmes promesses en termes de rentabilité sur les opérations annexes au crédit. Les banquiers appellent cela le side business. Si c'est un hedge fund qui sollicite un crédit, il aura la priorité, car ce crédit n'engage qu'une très faible consommation de fonds propres pour la banque en raison des garanties offertes via les titres empruntés.

C'est l'allocation des ressources qui est en jeu. Il faudrait que l'autorité politique, notamment les parlementaires, s'intéresse à ce système profondément inéquitable. La politique monétaire et celle de supervision microprudentielle ressortent du domaine des banques centrales, mais l'autorité politique ne peut se désintéresser de l'allocation des ressources, de la supervision macroprudentielle. À l'heure actuelle, les multinationales n'ont aucun problème de financement, les marges n'ont jamais été aussi faibles. Le problème est ailleurs. Jusqu'en 2005, avant qu'un banquier ne fasse crédit, il analysait la qualité des dirigeants, la stratégie, les ratios financiers. C'était tout simple. Aujourd'hui, les banquiers vous le diront, la « calculette », si elle ne prend pas toujours la décision, joue un rôle très important.

Ce nouveau système est allé tellement loin que le régulateur prudentiel a été obligé d'apporter un certain nombre de correctifs. Une pondération standardisée, pour les seules toutes petites PME, a été imposée. Je plaide pour un retour à une pondération standardisée globale, fixée par le régulateur et fort peu discriminante. Qu'il faille tenir compte du fait qu'une multinationale présente moins de risques qu'une petite entreprise, d'accord. Mais cela ne doit pas aboutir à de telles inégalités.

Pour en revenir à ce qu'il s'est passé en 1971-1973, je n'aurais pas la prétention de répondre ni bien ni complètement à votre question. Pour moi, le fait que les Américains aient décidé d'abandonner toute contrainte dans la gestion, toute discipline, c'est le « péché originel ». Le déficit commercial américain reste à des niveaux astronomiques.

Je suis membre d'un jury de thèse sur la création monétaire qui reprend notamment les idées de Jacques Rueff, lesquelles sont, à mon avis, d'une grande actualité sur la nécessité d'un retour à un ordre monétaire international. Mais il ne faut pas rêver. Dans les années trente, la France était à ce point plongée dans la crise qu'un retour à l'équilibre n'était pas possible. En 1935, Jacques Rueff qui conseillait Pierre Laval, alors chef du gouvernement, avait dénoncé les risques d'une « déflation sauvage ». Il l'avait lui-même reconnu : « Notre politique était rationnelle mais absurde. » Dans le monde actuel, la flexibilité complète des monnaies en permanence est la norme, il n'y a qu'en zone euro où des États souverains ont des parités fixes.

M. Henri Tandonnet. - Le pacte de stabilité rime-t-il encore à quelque chose au regard de ce que font les banques à côté ?

M. Jean-Michel Naulot. - C'est un peu le jeu des vases communicants. D'un côté, la banque centrale européenne finance allègrement les États. Je ne sais si c'est conforme à l'esprit ni même à la lettre des traités... De l'autre, les gouvernements européens s'efforcent de respecter des pactes de stabilité très rigoureux. J'ai le sentiment qu'on risque de le payer très cher d'ici peu de temps. Si l'Europe promouvait une politique d'investissement beaucoup plus agressive, tout serait mieux équilibré.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Pour résumer votre pensée, je dirais que la Fed ou la BCE jouent un rôle de pompier incendiaire. Mon intime conviction, la voici : le système est allé tellement loin, il est tellement bloqué politiquement que plus aucune régulation sérieuse n'est possible avant l'inéluctable catastrophe.

M. Jean-Michel Naulot. - Malheureusement, je partage votre conclusion. Les trains sont lancés, rien de plus ne se fera en matière de régulation financière. À la prochaine crise, on risque de prendre conscience des réformes à engager, mais comment fera-t-on dès lors qu'on ne pourra plus s'appuyer ni sur la politique budgétaire ni sur la politique monétaire ?

M. Roger Karoutchi, président. - Je vous remercie, monsieur Naulot, de tous ces éclairages. Nous l'avons tous compris, la situation est bien pire que ce que nous pouvions imaginer, même si aucun d'entre nous n'était globalement très optimiste. Nous vivons en quelque sorte sur un volcan, en apparence très tranquillement. Cela souligne d'autant plus l'intérêt du travail qu'engage Pierre-Yves Collombat. Nul doute que nous ne manquerons pas de vous contacter de nouveau.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Je rappellerai un proverbe moyen-oriental : « L'excès de malheurs fait rire. »

M. Roger Karoutchi, président. - Ce sera le mot de la fin !