Jeudi 17 mars 2016

- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -

« Finances locales à l'horizon 2017 : perspectives » - Présentation du tome III du rapport d'information

M. Jean-Marie Bockel, président. - Le troisième tome de ce rapport était très attendu, mais le travail de notre délégation a été perturbé par le remaniement. Deux rendez-vous ont été pris séparément avec le ministre et la secrétaire d'État, après concertation entre eux, transformés en un rendez-vous commun. Nous auditionnerons aussi notre ancien collègue Jean-Vincent Placé, désormais secrétaire d'État chargé de la Réforme de l'État et de la Simplification. Le jeudi 31 mars 2016, nous organiserons une table-ronde sur la création de communes nouvelles et nous auditionnerons M. Jean-Michel Baylet et Mme Estelle Grelier.

M. Antoine Lefèvre. - Très bien ! Il est bon que ces auditions soient jumelées.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous auditionnerons aussi les rédacteurs du rapport de l'Institut Montaigne intitulé « Décentralisation : sortons de la confusion », dont les auteurs sont MM. Carrez et Balligand. Le 28 avril, le rapport sur les communes nouvelles vous sera présenté.

Je vous remercie d'être tous présents pour la présentation du troisième tome du rapport de nos collègues Philipe Dallier, Charles Guené et Jacques Mézard, consacré à l'évolution des finances locales à l'horizon 2017. Pour rappel, cette mission vous avait été confiée au moment même où le Gouvernement mettait en place un système de contribution des collectivités territoriales au redressement des comptes publics.

Dans votre premier rapport, vous avez souligné l'ampleur du problème en présentant la dure réalité budgétaire de nos collectivités et ce fameux « effet de ciseau » qui les affecte, amplifié par une baisse de 11 milliards de dotation qui crée une impasse financière tant en termes de fonctionnement que d'investissement.

Dans votre deuxième rapport, vous vous êtes intéressés à la perception des élus locaux. Inquiets, ils vous ont fait part d'un sentiment d'impuissance et d'iniquité en matière budgétaire avec un risque fort pesant sur l'avenir des investissements publics, pourtant essentiels à la relance de notre économie. Ils vous ont alerté sur la soutenabilité financière et sur le besoin urgent d'une réforme des finances locales.

C'est ainsi que vous avez souhaité continuer votre étude en vous intéressant dans un troisième tome à ce que pourrait être cette réforme des finances locales souhaitée désormais par nombre d'élus. Vous avez voulu, à juste titre, prendre en compte l'actualité législative et vous avez souhaité avoir une analyse plus précise de la façon dont la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF), alors en préparation.

Comme pour les deux premiers rapports, vous avez missionné un cabinet d'études sur ce sujet délicat, cabinet que nous avons pu entendre en janvier dernier. C'est sur la base de cette étude que vous nous présentez aujourd'hui votre rapport.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je vous remercie pour cette introduction. Nous travaillons depuis plusieurs mois sur les conséquences des baisses de dotations aux collectivités territoriales. Il s'agit d'un tel prélèvement qu'il nous semblait utile d'analyser ses effets sur chaque strate de collectivité territoriale. Nous approchons de 2017, et la réforme de la DGF est en cours : nous n'avons pas cru pouvoir faire abstraction de ce changement. La situation devient de plus en plus difficile pour les collectivités territoriales, avec parfois des cas dramatiques de communes en grande difficulté, souvent - mais pas uniquement - en zone rurale. Certains maires se trouvent désarmés face à l'effet de ciseau.

Quelle méthode avons-nous suivie ? Il nous a paru difficile de travailler à l'aveugle sur des propositions ou des solutions en faisant abstraction du débat sur la DGF. Cela n'aurait pas été logique, et surtout n'aurait pas été compris par les élus locaux qui étaient intéressés en premier lieu par les simulations liées aux impacts de la réforme. Nous avons donc demandé au cabinet Klopfer de regarder avec attention aussi bien les apports intéressants que les perspectives inquiétantes de cette réforme.

Alors que les simulations de la DGCL - que nous n'avons obtenues qu'à force de persévérance - s'arrêtaient parfois, dans un premier temps, à l'année 2016, nous avons souhaité que celles du cabinet Klopfer aillent jusqu'en 2019, afin d'avoir une meilleure visibilité sur l'impact à moyen terme de la réforme, et qu'elles puissent présenter également une vision sur le long terme avec le lissage dans le temps qui a pour conséquence que certaines collectivités se retrouvent coincées dans un tunnel de baisse ou de hausse des dotations pendant plus de vingt ans - parfois jusqu'à 45 ans.

Un récent sondage publié par le Courrier des maires montre que les élus locaux sont 47 % à souhaiter une simplification de l'architecture de la DGF, 38 % à demander que la péréquation soit renforcée en faveur des territoires les moins riches, 36 % à estimer qu'il faut renforcer la prise en compte du revenu par habitant comme clé de répartition, 28 % à désirer que soient mieux favorisés les territoires ruraux, 26 % à réclamer la fin des effets de seuil, et 21 % à penser qu'il faut favoriser les collectivités concernées par la politique de la ville.

L'étude du cabinet Klopfer et nos auditions ont montré qu'une partie de la réforme proposée allait dans le bon sens par rapport à ces souhaits des élus : l'architecture de la DGF était simplifiée, la réforme supprimait ou lissait les effets de seuil et renforçait certains effets péréquateurs.

Toutefois, elle ne répondait pas à d'autres inquiétudes formulées par les élus et, notamment, n'offrait pas toutes les garanties de soutenabilité permettant aux collectivités de faire face à la baisse des dotations. Dans certains cas, elle aurait pu aboutir à des situations difficiles. Ainsi, les communes rurales de moins de 500 habitants pouvaient parfois être perdantes sur le long terme, réalité que les simulations à court terme ne décelaient pas. Les territoires multipolaires - pourtant nombreux - n'étaient pas pris en compte par une dotation de centralité siphonnée par la commune la plus peuplée, qui n'est d'ailleurs pas forcément celle qui supporte les charges de centralité. Pensez à ces communes résidentielles en banlieue de centres urbains peu peuplés. La réforme ne proposait aucune augmentation notable de la prise en compte du revenu par habitant comme clé de répartition. Les collectivités urbaines ne voyaient pas forcément leur politique de la ville récompensée, puisque le stock de dotation de solidarité urbaine (DSU) était toujours figé et le logement social, peu reconnu. Si l'effet péréquateur existait, il était réparti de manière inégale en fonction des collectivités. Aucune étude d'impact n'avait été réalisée afin de vérifier la soutenabilité de la réforme pour les communes les plus défavorisées. Il serait bon de faire un rapport sur ces études d'impact... Enfin, le lissage dans le temps, bien compréhensible, semblait parfois excessivement long puisque certaines collectivités pouvaient rester dans le tunnel pendant 45 ans.

Nous militons tous pour une réforme de la DGF. Pour l'heure, elle compense davantage les ressources passées que les charges actuelles des communes et des intercommunalités. Et sa réforme est devenue d'autant plus urgente que la répartition de la contribution au redressement des comptes publics ponctionne considérablement les budgets des collectivités, sans prendre en compte leur potentiel fiscal, en s'effectuant uniquement sur les recettes réelles de fonctionnement pour le bloc communal.

Toutefois, nous nous sommes opposés à la réforme qui nous était proposée. S'il doit y avoir un effort contributif au redressement des comptes publics, celui-ci doit être équilibré, justifié et partagé. Une réforme d'ensemble devra être concertée, équitable et soutenable. La concertation doit avoir lieu avec l'ensemble des parlementaires et notamment avec le Sénat, qui représente tous les territoires, comme l'indique la Constitution. Si la concertation inclut nécessairement les associations d'élus, celles-ci auront forcément tendance - volontairement ou involontairement - à défendre leur strate de collectivités territoriales. C'est leur rôle et c'est normal. En revanche, en tant que Haute Assemblée représentant l'ensemble des territoires de la République, nous avons une approche plus globale des problématiques affectant nos territoires, qu'ils soient urbains ou ruraux, communaux, intercommunaux, départementaux ou régionaux. Je me réjouis à ce titre de la volonté annoncée du Gouvernement de nous associer pleinement aux prochains débats.

- Présidence de M. Jacques Mézard, vice-président -

M. Philippe Dallier, rapporteur. - Nous sommes assez largement d'accord pour dénoncer la baisse des dotations et la première proposition de réforme de la DGF. Mais il est difficile d'élaborer d'autres critères. La commission des finances a d'ailleurs mis en place un groupe de travail sur ce sujet, qui formulera des propositions.

Nous avons voulu organiser notre travail autour de la notion de soutenabilité. Il est clair qu'une baisse de 12,5 milliards d'euros des dotations sur quatre exercices budgétaires ne pouvait manquer d'avoir des conséquences. Il faut réformer la DGF, mais de manière soutenable et équitable. On nous parle de 45 ans ; c'est beaucoup trop, même si, pour être soutenable, la réforme doit être étalée dans le temps. Il faut trouver une voie moyenne. La dernière tranche de l'effort contributif, de 3,6 milliards d'euros, pourrait être scindée sur deux années, en 2017 et 2018, pour lisser ses effets.

Nous souhaitons qu'il soit mieux tenu compte des charges réelles des collectivités. Pour l'heure, seules les recettes de fonctionnement ont été prises en considération, sans tenir compte des dépenses nécessaires, comme celles induites par la réforme des rythmes scolaires.

Pour les plus petites communes, il serait bon d'intégrer la notion de charges minimales : il est difficile d'aller en-deçà d'un tiers temps pour le secrétariat d'une commune, et d'ailleurs la loi ne le permet pas. Nous devons aussi assurer une meilleure répartition entre centre-bourgs et pôles ruraux. La dotation de centralité avec un rapport élevé à la puissance 5 n'est pas tenable et ne se justifie pas au regard des simulations effectuées avec des puissances plus faibles. Nous souhaitons une prise en compte plus équitable de la répartition des compétences entre communes et intercommunalités. Celle-ci s'effectue à l'heure actuelle sur la base du coefficient d'intégration fiscale, simple à calculer mais générant des effets d'aubaine.

Plus généralement, il faut un meilleur accompagnement des réformes, notamment territoriales, qui se sont accumulées ces dernières années. Cet accompagnement pourrait s'effectuer avec des aides ciblées, notamment par le biais d'une dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) moins frileuse sur ses conditions d'attribution et surtout sur ses taux : chaque collectivité territoriale ayant ses difficultés budgétaires, les subventions croisées fondent comme neige au soleil.

Certains points resteront à trancher, qui dépassent le simple cadre communal. Quarante départements ne pourront boucler leur budget en 2017. Dans le Nord, le budget de l'an dernier ne comportait que onze mois de dépenses de RSA. Cette année, ce n'est plus que dix. Les mécanismes de péréquation et de secours n'apportent que trois jours de paiement du RSA, ce n'est pas à l'échelle du problème. Renationalisation ou adaptation : le débat est lancé. À mon avis, la recentralisation est la seule solution.

De plus, certains points essentiels ne seront pas abordés par les prochaines discussions sur la seule DGF alors qu'ils auront un impact déterminant. Sur les valeurs locatives, une expérimentation faite dans quatre départements donne de bons résultats. Il faut que les services ne soient pas noyés par les appels... La stabilité des normes est aussi indispensable.

Enfin, de nombreuses incertitudes persistent concernant les métropoles, en particulier celle du Grand Paris, où la notion de centralité n'a aucun sens : la ville de Paris absorberait tout et les 134 communes qui l'entourent n'auraient rien ! Faut-il, pour autant, s'en tenir à une répartition par habitant ? La métropole du Grand Paris compte certaines des communes les plus riches de France, et aussi des plus pauvres. Et la péréquation ne suffirait pas.

M. Charles Guené, rapporteur. - Comme l'ont rappelé mes collègues, notre travail devait prendre en compte l'actualité brûlante de la réforme de la DGF, qui ne répondait qu'en partie à nos attentes. Nous n'avons fait que tirer les conclusions que la Cour des comptes présentait dans son rapport en octobre dernier : « La nécessaire contribution des collectivités locales au redressement des comptes publics justifie une nouvelle gouvernance des finances publiques locales ». Il était devenu difficile de parler de la dure question de la répartition de la contribution au redressement des comptes publics en esquivant la question d'une réforme globale !

Le Comité des finances locales (CFL) a défini il y a presque un an quatre grands principes devant guider la réforme : une DGF plus juste, plus simple et plus lisible, à l'image des réalités de la gestion sociale, et une réforme soutenable.

La réforme allait dans le bon sens mais ne répondait pas aux objectifs fixés par le CFL, notamment ceux de la soutenabilité et de l'adéquation aux réalités de la gestion sociale. Si nous souhaitons une réforme simple et lisible, simplicité ne veut pas nécessairement dire facilité. Dans bien des cas, nous avons l'impression que certains choix se font uniquement sur la base du plus petit dénominateur commun, comme le choix de calculer la part consacrée au redressement des comptes publics en fonction des recettes de fonctionnement, alors que d'autres solutions plus innovantes, ou mixtes, auraient été possibles. Nos choix futurs exigeront un peu plus de courage politique car il y aura nécessairement des gagnants et des perdants, même dans une réforme plus équitable et plus soutenable. John Rawls a parlé des bienfaits du voile d'ignorance... De fait, les acteurs se positionnent moins en fonction de la réforme vue globalement que de ses effets possibles sur ce qui les concerne de près. C'est humain. Pour ma part, j'aurais été gagnant à la réforme proposée initialement. Mais j'ai tâché de me montrer objectif.

Cette réforme devra être plus péréquatrice. C'est une demande forte des élus. Elle doit cependant pouvoir prendre en compte l'ensemble des éléments de richesse disponibles des collectivités. Le potentiel fiscal, bien sûr, mais aussi les charges qui pèsent sur les collectivités.

Ainsi, il faut veiller à ce qu'il existe des systèmes d'accompagnement financier des réformes, que celles-ci soient territoriales ou normatives, comme celle de l'accessibilité des bâtiments publics. Le Parlement a tout son rôle à jouer et a déjà su faire avancer les choses. Ne serait-ce que dans la dernière loi de finances, nous avons obtenu la prolongation de l'accompagnement financier des communes nouvelles, ainsi que l'élargissement de l'assiette des dépenses éligibles au fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) pour l'entretien des bâtiments publics et de la voirie. C'est un travail qui dépasse la simple question de la DGF ou de la contribution au redressement des comptes publics, mais qui conditionne la soutenabilité de toute réforme impactant les collectivités.

De même, il sera indispensable d'évaluer l'impact des réformes sur l'équilibre des territoires. À ce titre, nous avions demandé au cabinet Klopfer de croiser les données communales et intercommunales pour voir si les équilibres territoriaux étaient respectés : nous avons été surpris de constater que les écarts - parfois très importants - analysés strate par strate entre perdants et gagnants, côté communes et côté intercommunalités, se compensaient souvent au niveau des territoires. L'objectif n'est pas de réclamer une territorialisation des dotations - il n'y a pas d'unanimité sur le sujet - mais de demander à ce qu'il y ait une analyse territorialisée des dotations. Il y aura forcément des communes ou des intercommunalités perdantes et d'autres gagnantes, mais il faudrait, in fine, que l'équilibre entre territoires soit respecté et que tous les territoires s'y retrouvent.

Nos trois rapports se sont pleinement inscrits dans la mission de notre délégation, qui consiste notamment à veiller au respect de la libre administration et de l'autonomie financière et fiscale de ces collectivités ainsi qu'à la compensation financière des transferts de compétences et de personnel. Nous avons à ce titre joué un rôle d'éclaireur - voire de lanceur d'alerte ! - pour l'ensemble des travaux du Sénat relatifs aux collectivités territoriales. Nous souhaitons que les éléments recueillis nourrissent la suite de nos débats au Sénat, et ce, en pleine coopération avec la commission des finances. En tant que co-rapporteur au nom de la commission des finances, je peux d'ores et déjà vous indiquer que le travail a commencé.

Nous en saurons plus après nos auditions de mars et d'avril mais le Gouvernement semble avoir pour objectif de reprendre ses consultations sur le sujet, notamment avec les associations d'élus, le CFL et les parlementaires.

Nous sommes plusieurs élus à avoir demandé une loi séparée sur le sujet. Le travail de la commission des finances a déjà commencé, de façon à ce que nous ne soyons pas de nouveau obligés d'analyser en l'espace de deux mois seulement une des réformes les plus importantes de ces dernières années en matière de finances locales. Nous souhaitons disposer de simulations dès le mois d'avril. L'objectif que nous nous sommes fixé avec M. Raynal est de prendre le sujet le plus en amont possible afin de disposer de bases solides de discussion.

Nous souhaitons éviter de revivre le rendez-vous manqué d'octobre dernier où une réforme, pourtant souhaitée presque par tous, n'a pas abouti car elle ne présentait pas de garanties en termes d'équité et de soutenabilité. Le travail continue donc désormais sur un autre terrain, mais je ne doute pas que la délégation y prendra toute sa part. Le plus grave serait que la complexité du sujet empêche toute évolution.

M. Philippe Mouiller. - Avez-vous l'impression d'être écoutés par le Gouvernement ? Estimez-vous que la méthode que vous proposez a des chances d'être adoptée ?

M. Charles Guené, rapporteur. - Même si le Gouvernement a essayé de reprendre la main lorsque Mme Lebranchu était ministre, ce travail est une initiative trans-partisane de notre commission des finances : si le Sénat a joué son rôle l'an dernier en bloquant une réforme inaboutie et quelque peu légère, il ne pouvait en faire autant cette année.

Nous avons bon espoir d'aboutir et de faire disparaître les pierres d'achoppement qui ont été mises au jour, sans nous interdire des révisions à un niveau assez élevé. Nous avons consulté trois cabinets pour ce travail très technique, que le Sénat, dans sa diversité, doit s'approprier progressivement. La décision politique finale ne nous appartient pas.

J'ai rencontré les ministres Estelle Grelier et Jean-Michel Baylet. Le second s'est montré assez prudent sur l'aboutissement de la réforme, alors que Mme Grelier était plutôt positive à cet égard.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous sommes passés d'une stratégie de passage en force, avec Mme Lebranchu, à une approche davantage fondée sur l'écoute, en conformité avec l'expérience et le parcours personnel de M. Baylet. Il reste à déterminer s'il aura la latitude nécessaire pour mettre en application ces orientations. Quant à Mme Grelier, si je m'en tiens à son blog, nos idées divergent...

M. Charles Guené, rapporteur. - Le Gouvernement a intérêt à ce qu'une solution technique soit trouvée, puisque la réforme ne peut être appliquée en l'état et qu'un report serait une reculade. Nous travaillons aussi en lien étroit avec l'Assemblée nationale, dont la perspective est proche de la nôtre. Le Comité des finances locales, traditionnellement acteur principal de cette réflexion, est un peu en retrait.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Les travaux des différents cabinets sollicités nous donneront des éléments techniques de simulation pour peser sur les orientations proposées par le Gouvernement et la Direction générale des collectivités locales.

M. Philippe Dallier, rapporteur. - Les délais très serrés, avec les échéances nationales de l'année prochaine, m'incitent au pessimisme.

Mme Françoise Gatel. - La réforme est nécessaire, mais je m'interroge sur la faisabilité du calendrier. Il convient de rappeler aux élus et à leurs associations que nous raisonnons à enveloppe constante, ce qui nous impose d'appliquer la maxime évangélique « Aide-toi, le ciel t'aidera ». Il faut bien prendre en compte le critère de l'effort fiscal mais la réforme ne saurait être dissociée d'une réforme des valeurs locatives qui devient urgente.

Au 31 mars, les périmètres des intercommunalités définitifs seront connus. Or les simulations de l'année dernière étaient fondées sur des périmètres établis avant les schémas départementaux. Philippe Dallier pourrait-il préciser l'apport du coefficient d'intégration fiscale à cet égard ? Les départements sont-ils le bras armé de l'État pour l'exécution des politiques nationales, ou sont-ils chargés de la solidarité et de l'équilibre des territoires ?

M. Philippe Dallier, rapporteur. - On a cherché à encourager les pratiques vertueuses de mutualisation au sein des intercommunalités. Dès 2006, dans un rapport pour l'Observatoire de la décentralisation, j'avais proposé de prendre comme critère un coefficient d'intégration fonctionnel, afin de mesurer ces mutualisations et de distinguer les efforts véritables de ce qui relève de l'optimisation...

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le CIF a été retenu non pas parce que c'était le meilleur système, mais parce que c'était le moins mauvais. Les autres n'ont jamais été expérimentés.

M. Charles Guené, rapporteur. - Le 31 mars, l'administration nous communiquera les périmètres des intercommunalités et mettra à notre disposition ses équipements pour procéder à des simulations. Les nouveaux périmètres modifieront entièrement le calcul des charges de centralité. La visibilité est meilleure que l'année dernière, où nous avions une réforme complexe prévue pour l'année suivante, sans atterrissage ni notion des gains et des pertes. Nous nous sommes d'abord attelés à la restauration de cette visibilité, en donnant à chacun une base de référence.

Le fait que l'enveloppe diminue ne facilite pas la lisibilité. La révision des valeurs relatives aura des conséquences très importantes en matière de péréquation ; elle modifiera les rapports entre territoires, surtout au niveau national. La durée d'application de la réforme est également problématique ; cinq à dix ans nous semblent plus appropriés que quarante-cinq ans.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Votre travail dépasse les postures partisanes et reflète bien notre position d'élus ayant pour ainsi dire les pieds dans la glaise... Je vous remercie également de donner acte à ce gouvernement d'avoir eu le courage politique de s'attaquer à ce dossier épineux. À nous de faire preuve d'un courage équivalent, même si nous connaissons l'écoute relative des gouvernements successifs vis-à-vis du Parlement...

Je souscris à la nécessité de l'intégration dans le calcul de la DGF des obligations imposées par les lois successives - l'accessibilité, les rythmes scolaires mais aussi la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a confié l'ingénierie locale aux départements.

Je suis également favorable à l'intégration de la notion d'effort fiscal dans la DETR. Il faudrait à mon avis - un avis assez isolé dans ma famille politique - en confier la gestion aux départements, dont les services pilotent déjà les aides aux communes et y ont intégré la notion d'effort fiscal.

Enfin, donner aux départements les moyens de jouer leur rôle en matière de solidarité implique des mesures radicales, telles que la recentralisation du RSA, dépourvu de toute plus-value locale.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - J'en conclus que vous vous félicitez du maintien des départements !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - C'est mon combat d'un quart de siècle !

M. Dominique de Legge. - Intégrer l'effort fiscal dans le calcul de la DGF, c'est prendre le risque que les communes augmentent les impôts pour obtenir un taux favorable. C'est une échelle de perroquet ! On ne récompense pas les communes qui pratiquent une politique fiscale modérée, et on limite la libre administration des collectivités.

M. Georges Labazée. - Habituées à solliciter le département, la région, l'État, certaines communes n'ont jamais consenti l'effort fiscal nécessaire auprès de leurs propres ressortissants, laissant s'ouvrir un « gap » tel qu'elles n'osent plus le combler. L'un de mes amis, André Labarrère, le regretté maire de Pau, augmentait chaque année les impôts locaux d'1 à 1,5 point. Son successeur, François Bayrou, a reconnu la bonne santé fiscale de la commune. Nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins.

M. Philippe Dallier, rapporteur. - Prenons en compte l'effort fiscal, mais après la révision des valeurs locatives. Les villes dont les charges sont importantes consentent un effort supérieur à la moyenne. Intellectuellement, cette démarche se comprend mais attention aux effets de bord. De plus, il n'est pas déshonorant, pour une commune, de chercher à limiter les taux d'imposition tout en maintenant la qualité des services publics...

M. Charles Guené, rapporteur. - La notion d'effort fiscal est une spécificité française, fondée sur la notion de libre administration. En Italie, les communes mal gérées sont contraintes, en guise de sanction, de prendre des mesures fiscales. Chez nous, la notion incitative de gestion vertueuse a un effet limité...

Prudence, car la visibilité reste faible tant que la révision des valeurs locatives n'a pas été menée à son terme. Les Italiens appliquent des standards pour chaque équipement public, mais de tels calculs seraient perçus ici comme une atteinte à la libre administration, parce que nous considérons que celle-ci commence avec l'autonomie fiscale.

Mme Caroline Cayeux. - Je gère une collectivité depuis quinze ans. La réforme de la DGF fait suite à la réforme de la taxe professionnelle, qui a déjà affecté nos finances. L'association que je préside, Villes de France, a mis en évidence un effet de ciseau de la réforme au détriment des villes moyennes. De surcroît, nous aurons à gérer l'augmentation du point d'indice de la fonction publique dès 2017 !

M. Philippe Dallier, rapporteur. - L'impact se fera sentir dès cette année...

Mme Caroline Cayeux. - Nous multiplions les mutualisations de compétences, mais les communes rurales ne sont pas toujours disposées à payer pour les compétences de la ville centre. C'est une dialectique difficile à gérer sur le plan politique, alors que les intercommunalités s'agrandissent sous la pression des commissions départementales de coopération intercommunale. Je ne vois pas le bout du tunnel - ou je ne le vois que trop bien. Aurons-nous assez d'influence pour inciter le Gouvernement à alléger le poids de ces mutualisations ? Pourquoi ne pas envisager un lissage dans le temps ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Laisser du temps au temps, en somme...

M. Jean-Marc Gabouty. - Je rejoins la position de Mme Perol-Dumont - dont j'ai été l'opposant au niveau départemental - quant à la territorialisation de la DETR. Toutefois, je ne crois pas qu'elle serait bénéfique partout.

Pour conduire des politiques publiques, il faut les inscrire dans la durée. Or chaque année, les périmètres, les règles financières, les dotations d'État sont modifiés, nous privant de la vision de moyen terme nécessaire à la fois aux collectivités et aux citoyens. Pour réaliser un investissement, une collectivité a besoin de connaître les charges de fonctionnement correspondant à une échéance de trois ans, voire cinq ans.

La réforme de la DGF doit s'accompagner d'une réflexion sur les dispositifs de péréquation et d'incitation. Ainsi, le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic) est une bonne idée, mais son fonctionnement n'est pas satisfaisant partout.

Le CIF a été conçu comme une incitation à la constitution des EPCI. La majorité des compétences ayant été transférées de manière autoritaire par les gouvernements successifs, la nécessité d'une incitation a disparu. On a même conduit des transferts de compétences sans s'interroger sur leur opportunité économique, pour se livrer ensuite à de véritables maquillages. Le CIF n'a plus de raison d'être. Il convient de prendre en compte l'ensemble des mécanismes dans la réforme de la DGF, pour éviter de revenir chaque année à des réformes qui affectent la gestion des collectivités.

M. Charles Guené, rapporteur. - Dès lors que l'on refuse la territorialisation et que l'on maintient le principe d'unanimité, un critère tel que le CIF reste indispensable. La réforme de la DGF reste toujours inaboutie parce que ses conséquences seraient trop lourdes pour certains.

La taxe professionnelle a été réformée parce que l'État n'était plus en mesure d'en abonder la moitié ; c'était aussi un moyen d'abaisser le poids de la ressource économique et d'assurer une péréquation à l'échelle nationale, la concentration territoriale des richesses ayant augmenté depuis les années 70. On conçoit bien les contours que pourrait prendre une réforme globale, mais elle se heurterait à des intérêts locaux et à des habitudes.

M. Rémy Pointereau. - On reproche aux communes rurales de solliciter les autres collectivités pour éviter d'augmenter leurs impôts. Président de conseil général passé ensuite dans l'opposition, j'ai vu la nouvelle majorité mettre en place une indexation des subventions à l'effort fiscal, au taux d'endettement, aux kilomètres de voirie mis en place, tout cela aboutissant à un renforcement des inégalités : les communes qui avaient cherché à garantir leurs recettes sans augmenter les impôts ont été pénalisées. Un point d'impôt ne représente parfois pas plus de 500 euros dans les communes les plus petites. Ces dernières subissent les frais de décentralité en termes de dépenses de voirie, d'assainissement, d'acheminement de l'eau potable. Ne pénalisons pas la bonne gestion.

Mme Françoise Gatel. - C'est vrai !

M. Bernard Delcros. - Nous avons tout intérêt à disposer de nos propres simulations. Tout le monde veut une DGF plus juste, saine et lisible ; mais il sera difficile de préserver la justice dans une enveloppe globale en baisse.

Il est paradoxal de dénoncer la pression fiscale tout en récompensant l'augmentation des impôts locaux. L'effort fiscal doit être adapté au territoire, au revenu moyen, aux services publics assurés. Attention aux approches simplistes.

Je suis surpris que l'on ait calé le calcul de la dotation sur les recettes, sans tenir compte des charges et des services. Rien de plus injuste ! On pénalise les collectivités qui créent des services.

Pour certains départements ruraux en situation de perte démographique, le coût de gestion de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) est trois fois plus élevé que celui du RSA.

Nous sommes d'accord sur les charges de centralité, mais il faut faire évoluer l'ancien critère de centralité fondé sur la seule approche administrative, avec un chef-lieu de canton regroupant l'ensemble des services.

M. Philippe Dallier, rapporteur. - Si la réforme à venir repose sur les notions d'équité et de soutenabilité, je propose d'y ajouter la visibilité. Maire depuis vingt-et-un ans, je n'ai jamais subi une telle incertitude. Nous ne connaissons pas le montant de la DGF ; la Direction générale des finances publiques nous a demandé de diminuer, par précaution, de 2 % les bases de la taxe d'habitation qu'elle-même nous a communiquées ! Boucler un budget avec autant d'inconnues n'incite pas à investir. Essayons de trouver un accord avec l'État pour que les règles ne changent plus avant 2020.

Mme Françoise Gatel. - On répète à l'envi que l'impôt est citoyen. Encore faut-il qu'il soit pertinent et bien dosé. Il faut récompenser la vertu budgétaire. Je suis favorable à l'établissement de ratios de coût de service, nuancés par la taille des communes et la géographie du département. En revanche, la territorialisation de la DETR ne me semble pas être opportune : si la gestion en est confiée au département, celui-ci redevient un simple service de l'État. Nous parvenons, dans le système en vigueur, à mener des politiques pertinentes.

Oui à la stabilité et à la visibilité, mais exigeons de l'État des engagements. Il n'est pas possible de continuer à transférer des charges aux collectivités tout en augmentant la valeur du point des fonctionnaires.

M. Bernard Delcros. - On ne peut avancer en même temps sur tous les dossiers, de la péréquation à la DGF. Des communes dans une situation équivalente ne reçoivent pas la même dotation : voilà ce qu'il faut corriger en priorité.

M. Jacques Mézard, président - Je vous remercie. Il convient d'engager avec l'État une réflexion globale sur les dotations et les recettes fiscales.

La délégation approuve le tome III du rapport.