Mercredi 25 janvier 2017

- Présidence conjointe de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et de Jean-Pierre Masseret, commission des affaires étrangères -

La réunion est ouverte 8 h 35

Audition de Mme Nicole Fontaine, ancienne présidente du Parlement européen, M. Jean-Luc Sauron, professeur associé, Université Paris Dauphine, et M. François Lafond, Institut Jean Lecanuet

M. Jean Bizet, président. - Je souhaite en votre nom à tous la bienvenue à Mme Nicole fontaine, ancienne présidente du Parlement européen, Jean-Luc Sauron, Professeur associé à l'université Paris-Dauphine, et M. François Lafond, de l'Institut Jean Lecanuet.

Merci d'avoir accepté de venir rencontrer le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et sur la refondation de l'Union européenne, que le président du Sénat, Gérard Larcher a demandé à la commissions des affaires étrangères et de la défense et à la commission des affaires européennes de constituer.

Le récent discours de Mme Theresa May a apporté une clarification sur la position britannique dans le sens d'une rupture très nette avec l'Union européenne. La Cour suprême a par ailleurs confirmé que la notification de la décision de se retirer de l'Union devra au préalable faire l'objet d'un acte du Parlement. L'Écosse, le pays de Galles et l'Irlande du Nord ne seront pas concernés, ce qui posera sans doute évidemment quelques problèmes.

Quelle est l'analyse des uns et des autres sur la situation au Royaume-Uni et sur la négociation à venir ?

Au-delà, comment voyez-vous les nouvelles relations que l'Union européenne pourrait entretenir avec le Royaume-Uni, une fois le retrait acté ?

Notre groupe de suivi réfléchit par ailleurs aux conditions d'une relance du projet européen. Nous voulons une Europe qui s'affirme comme une puissance stratégique, et qui se recentre sur quelques priorités où sa plus-value est évidente.

La subsidiarité doit être plus affirmée. On sent que les peuples ont un besoin d'informations. Les parlements nationaux doivent donc jouer un rôle plus effectif dans la prise de décisions. Quelle est votre appréciation?

Nous sommes convaincus que le moteur franco-allemand doit bien évidemment jouer un rôle essentiel pour relancer l'Union européenne à partir de projets concrets dans des domaines comme le numérique - à propos duquel l'ambassadeur d'Allemagne en France, M. Meyer-Landrut, nous avait glissé quelques messages à l'oreille - ou l'énergie. On ne peut en effet moderniser et réindustrialiser l'Europe sans une énergie bon marché.

Quelle est par ailleurs votre appréciation sur le fonctionnement actuel des institutions européennes ? On évoque souvent une fusion des fonctions de président du Conseil européen et de président de la Commission européenne. Quelle est votre analyse ? On n'entend pas suffisamment les Européens, au moment où M. Trump et M. Poutine ne se privent pas de dire quelle Europe ils désirent. Or, on sait très bien qu'ils souhaitent une Europe divisée, amoindrie et affaiblie.

Je cède à présent la parole à Jean-Pierre Masseret.

M. Jean-Pierre Masseret, président. - Madame la présidente, messieurs les professeurs, le président Bizet a parfaitement défini le cadre de notre réflexion, celui de l'après Brexit. Comment cela va-t-il se passer ? On sait ce que ne veut pas Mme May, mais un certain flou persiste derrière sa déclaration. Que signifie une participation partielle au marché unique ? Beaucoup de questions demeurent. On aimerait donc connaître vos réflexions sur le sujet.

S'agissant de la refondation de l'Union européenne, Jean Bizet a indiqué l'importance que nous attachons au couple franco-allemand. Comment celui-ci peut-il reprendre la main ? Il est trop effacé depuis quelques années pour redynamiser le projet européen.

Sur quoi bâtir précisément la refondation ? Les valeurs, les politiques partagées, une analyse entre les partenaires sur ce que sont le XXIe siècle et la nouvelle civilisation numérique, les enjeux technologiques et scientifiques, les rapports de force qui sont en train de s'organiser dans la géopolitique constituent les questions, parmi d'autres, sur lesquelles nous aimerions connaître votre position.

M. Jean Bizet, président. - Madame la présidente, vous avez la parole.

Mme Nicole Fontaine, ancienne présidente du Parlement européen. - Mesdames et messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous féliciter de cette initiative que vous avez prise en créant ce groupe de suivi du Brexit. C'est une excellente idée.

Je vous remercie de la confiance que vous nous faites en nous invitant à être entendus. Je n'ai jamais oublié que, présidente du Parlement européen, le Sénat m'avait invitée à m'exprimer dans l'hémicycle. C'était à l'époque une première pour une personnalité étrangère. J'en ai gardé un souvenir très fort et nos liens sont restés très étroits depuis.

Le 14 juin, j'ai publié un ouvrage en collaboration avec le journaliste François Poulet-Mathis, qui a suivi les institutions européennes durant de nombreuses années, et avec les étudiants de l'École supérieure de commerce de Paris (ESCP Europe), grande école de commerce où je suis professeur affilié.

Le titre de ce livre - Brexit, une chance ? Repenser l'Europe - a pu surprendre. Pourquoi cette réflexion ? Je suis partie du constat que l'Europe était hélas très malade. Chacun connaît mes convictions européennes profondes, mais il est vrai que depuis plusieurs années, l'Europe connaît une lente descente aux enfers.

Il est important de se pencher sur le constat, car ceci va nous amener à voir quels remèdes existent pour refonder l'Europe.

Le procès en technocratie a été extrêmement prégnant et va le rester. Je prends un exemple assez récent : le fait que la Commission européenne menace la France d'infraction parce qu'elle voudrait appliquer le Smic aux transporteurs routiers est intolérable pour les citoyens, surtout dans le contexte de crise que nous connaissons. Ce n'est qu'un exemple. On pourrait en donner beaucoup d'autres.

Le fait est que l'Europe a été très souvent utilisée comme une sorte de bouc émissaire. On doit d'ailleurs tous balayer devant notre porte, car on a eu tendance à utiliser l'Europe lorsque les choses étaient difficiles et à ne pas toujours mettre ses bienfaits en exergue.

Une dérive excessivement libérale a également heurté les citoyens, car l'Union européenne a donné l'impression de subir la mondialisation au lieu de la maîtriser. Là aussi, c'était une erreur de considérer que la politique de libre concurrence était une fin en soi, alors que ce n'était qu'un moyen de parvenir à créer cet espace de prospérité que nous avions promis à nos concitoyens.

J'évoquerai aussi les attentes déçues, en particulier pour les Britanniques.

Finalement, on s'aperçoit que l'Europe est inachevée. Avons-nous une politique sociale européenne, une politique de défense européenne, une harmonisation fiscale, une politique industrielle commune, une politique extérieure commune ? Non, tout cela constitue un grand manque.

Les citoyens se sont finalement détachés de l'Europe parce qu'ils ont eu le sentiment qu'elle était plus une contrainte qu'un bienfait. Ils ont été profondément déçus. Or, la déception provoque un rejet. Cette désaffection est aujourd'hui extrêmement profonde.

Pourquoi ces manques ? Il serait certes excessif de faire rejeter la responsabilité de ces lacunes sur les Britanniques. Les Britanniques sont entrés en 1973 dans la Communauté économique européenne uniquement pour bénéficier des avantages du grand marché unique.

Ils le disaient d'ailleurs clairement, et ils sont entrés sur une méprise volontairement assumée. À chaque fois que nous souhaitions aller plus loin en matière d'intégration européenne, dans les domaines où les citoyens l'attendaient, les Britanniques refusaient, et pouvaient même nous empêcher d'avancer.

On leur a accordé ce qu'on a appelé pudiquement des opting-out mais, d'opting-out en opting-out, on est arrivé à une situation malsaine.

On a également assisté à un dénigrement des institutions européennes dans les milieux britanniques, notamment dans les médias. Tout ceci explique qu'on en soit arrivé au Brexit.

Si les Britanniques étaient restés dans l'Union européenne, au vu des concessions très importantes accordées à David Cameron, j'ai le sentiment que l'Europe aurait pu disparaître. On aurait eu un maintien du statu quo, tout le monde aurait été soulagé et rien n'aurait finalement changé. Or, on avait accordé à David Cameron un droit de regard sur le fonctionnement de la zone euro. Bien sûr, le Président de République était très heureux d'avoir évité le droit de veto - cela aurait été un comble ! - mais un tel droit de regard nous interdisait une intégration plus forte des pays de la zone euro, alors que chacun convient aujourd'hui que c'est nécessaire.

Où en est-on de l'état des lieux ? Mme May a clarifié partiellement les choses dans son récent discours. Elle a surtout dit ce qu'elle ne voulait pas. Elle a indiqué qu'elle ne voulait aucune contribution financière, ni la libre entrée des Européens. Si l'on considère que les quatre libertés sont indissociables, c'est évidemment un point de crispation.

Elle a également dit qu'elle ne voulait pas de la tutelle de la Cour de justice de l'Union européenne ni d'un nouvel accord d'accès au marché unique, ce qui a été interprété comme un Brexit dur.

En réalité, il s'agit d'un Brexit à la britannique : Mme May se réserve le droit de négocier secteur industriel par secteur industriel, ce qui serait d'une gravité extrême pour nous.

Elle a surtout beaucoup insisté - et il faut être extrêmement vigilant à ce sujet - sur les accords qu'elle souhaitait conclure avec les autres pays tiers, comme l'Australie, l'Inde, les pays du Commonwealth, les États-Unis. Mme May sait parfaitement que de tels accords mettent des années avant d'entrer en vigueur. Quand bien même elle ne l'aurait pas su, Ivan Rogers, ambassadeur de Grande-Bretagne auprès de l'Union européenne, qui a démissionné depuis, le lui avait rappelé dans une note datant de décembre dernier, dans laquelle il lui faisait remarquer que cela prendrait des années.

C'est pourquoi Mme May demande une période de transition, qui lui permettrait de conforter ces autres accords et de se présenter ensuite en position de force devant les responsables de l'Union européenne.

Il faut donc être extrêmement vigilant, d'autant que nous savons combien les Britanniques sont habiles. Au Parlement européen, ils étaient particulièrement expérimentés. Il ne faut pas se faire d'illusion : la partie sera extrêmement difficile.

La Cour suprême a en effet confirmé la nécessité de consulter le Parlement britannique. C'est la moindre des choses, mais ceux qui étaient contre le Brexit espéraient beaucoup que la Cour suprême dise que le Parlement écossais et le Parlement irlandais devaient également être consultés. Cela n'a pas été le cas. On peut donc supposer que les prétentions de Mme May seront cadrées plus fermement.

Que faire aujourd'hui ? Il est tout d'abord essentiel d'avoir le courage de reconnaître nos erreurs, partir de l'attente des citoyens et identifier les secteurs prioritaires dans lesquels nous devons aller plus vite et plus loin.

Certains estiment qu'il faut rapatrier au plan national des compétences qui ont été confiées à l'Union européenne. C'est vite dit. Encore faut-il déterminer dans quel domaine les citoyens ont besoin de davantage d'Europe, et ceux dans lesquels il faut moins de technocratie.

Il faut identifier très clairement ces secteurs et envisager de nouvelles architectures. Il ne faut pas se faire d'illusions : nous ne pourrons, à travers les coopérations renforcées prévues dans le traité de Lisbonne, aller plus loin dans la politique de défense ou l'harmonisation fiscale.

Vous avez évoqué la nécessité de resserrer le couple franco-allemand. Il est vrai que nous avons des divergences. On les connaît bien. Il faut que nous en parlions très franchement. J'ai le sentiment que l'on a toujours envie que ce couple perdure. Nous ressentons surtout, des deux côtés du Rhin, une certaine responsabilité quant au devenir de l'Europe. Mme Merkel, qui est une femme de devoir, en est certainement consciente. Beaucoup d'autres Allemands le sont aussi.

Ce dont l'Europe a le plus souffert, c'est de son déficit démocratique. J'avoue que le Parlement européen ne l'a pas suffisamment comblé. J'ai été pour ma part durant de longues années vice-présidente du Parlement européen chargée des relations avec les parlements nationaux. Nous avons fait des efforts mutuels pour coopérer à cette construction européenne. Cela n'a pas été suffisant. C'est une des grandes carences que l'on peut déplorer.

Aujourd'hui, il est indispensable que les décisions soient prises en étroite association avec les parlements nationaux. Même si nous avons la chance de bénéficier de la compétence de Michel Barnier, chargé par Jean-Claude Juncker de suivre la question de la mise en oeuvre du Brexit, ce n'est pas suffisant. N'oubliez pas que le Tafta s'est négocié avec les États-Unis dans une opacité totale, même à l'égard du Parlement européen.

Le Parlement européen entend « être dans la boucle », suivant une expression consacrée, ainsi qu'il vient de le préciser clairement dans l'accord conclu entre le Parti populaire européen (PPE) et le groupe libéral pour l'élection d'Antonio Tajani. Ce n'est pas suffisant.

Nous avons réussi, pour élaborer la charte des droits fondamentaux, à mettre en place une convention comprenant des membres des représentations des parlements nationaux, du Parlement européen, de la Commission européenne, et du Conseil européen. On a oeuvré en étroite liaison avec la société civile, en menant de très nombreuses auditions. Le courant passait très bien. Ce fut une réussite.

Nous avons fait la même chose pour l'élaboration du projet de traité constitutionnel. Ce n'est pas parce qu'il a été rejeté par la France en mai 2005 qu'il faut pour autant rejeter la méthode, qui était excellente, je pense.

Sous cette forme ou sous une autre je ne saurais que trop vous suggérez de prendre l'initiative d'une structure permanente de suivi dans laquelle les parlements nationaux auraient toute leur place. Ce serait extrêmement utile, efficace, et surtout démocratique.

Les citoyens ont besoin des démocraties. Ils reprochent à l'Europe de ne pas avoir été suffisamment démocratique et de ne pas les avoir assez associés.

Relancer l'Europe - surtout avec l'arrivée de M. Trump au pouvoir - est une impérieuse nécessité, chacun en a maintenant conscience. Nous avons d'énormes chantiers devant nous. Il faut les ouvrir avec les citoyens. C'est à travers vous que cette entreprise doit s'effectuer.

M. Jean Bizet, président. - Merci, madame la présidente. La parole est à M. Sauron.

M. Jean-Luc Sauron, Professeur associé, Université Paris Dauphine. - J'interviendrai sur deux thèmes, tout d'abord celui de la portée et le sens du Brexit, puis je ferai des propositions au sujet de la relance.

Il faut voir la crise britannique comme un laboratoire pour l'ensemble de l'Europe.

Mon analyse du Brexit s'établit à travers quatre éléments.

Il s'agit en premier lieu d'une profonde crise de la démocratie. Les analyses sous-estiment ce qui se passe aujourd'hui au niveau de la démocratie britannique, qui a toujours constitué une sorte de modèle d'un parlementarisme extrêmement serein et opérationnel.

Le référendum a totalement fait exploser le champ politique britannique. La majorité, à la Chambre des communes, est contre le Brexit mais a quand même voté pour, la population s'étant exprimé en ce sens.

Les Britanniques n'ont pas le monopole de la crise démocratique : je rappelle qu'en 2005, le Parlement français a validé la Constitution européenne, qui a disparue le 29 mai 2005 !

J'ai été très frappé par le caractère vindicatif d'un certain nombre de groupes de citoyens britanniques qui, par le biais de la presse, se livrent à des attaques extrêmement surprenantes au sujet du pouvoir juridictionnel britannique.

Le discours des Brexiters repose sur la question de savoir pourquoi on consulte les juges et le Parlement, alors même que le peuple s'est prononcé.

Si l'on considère les « démocratures » des pays de l'est de l'Europe - Pologne, Hongrie - ou encore la Turquie, le premier point d'achoppement porte sur la question des juges. On fait d'abord disparaître les juges, puis on s'installe dans un pouvoir parlementaire domestiqué. Ce sont des points de convergence. La Grande-Bretagne, de manière caricaturale, représente pour moi la crise de la démocratie.

Le second élément qu'il est selon moi intéressant de considérer concerne la dislocation des États, conséquence de soixante années d'Union européenne - et je suis pourtant un Européen attentif et sincère.

Tout le travail de l'Union européenne a consisté à affaiblir le pouvoir des États en faveur des autorités subétatiques et des opérateurs économiques. En effet, dans un marché fermé, l'État est légitime à réguler ou à mettre en concurrence des opérateurs nationaux, alors que la méfiance s'installe immédiatement dans un marché ouvert comme l'Union européenne, l'État national pouvant intervenir au profit de ses acteurs. Il ne faut donc surtout pas qu'il se trouve « dans la boucle ».

Je peux, à partir de textes européens récents, vous démontrer que l'État disparaît des modes de régulation économique. J'y reviendrai à propos du numérique.

En Grande-Bretagne, il existe des tensions en Écosse, en Irlande du Nord ou au Pays de Galles. On est vraiment dans un phénomène de désunion, et cela ne s'arrête pas au cas britannique.

Je vous rappelle qu'en mars prochain, la Catalogne réalise un référendum d'autonomie et d'indépendance à marche forcée, sans tenir compte du pouvoir constitutionnalo-juridique espagnol.

J'espère ne froisser personne, mais je suis sidéré par le fait que la circonscription territoriale unique du pays basque français ait immédiatement enclenché une jonction avec le pays basque espagnol. Il existe certainement des raisons valables à cela, mais lorsqu'on structure soi-même la division du pays, il ne faut pas s'étonner que les gens s'en emparent. C'est donc une tendance lourde.

Troisième critique : l'affaire britannique entre en résonance avec une nouvelle géopolitique. Gordon Brown, à la fin de son mandat, se demandait clairement quelle était la bonne porte d'entrée dans la mondialisation. S'agissait-il d'un espace d'États-nations ou la nation ?

Il y a quelque chose de très fort et très ancien dans ce débat, dans lequel nous entrons également en France à l'occasion de l'élection présidentielle, même si c'est à mots couverts : quelle est la meilleure structure opérationnelle pour peser sur l'économie ?

Quand on entend la Grande-Bretagne, qui n'est pas née le 23 juin dernier, dire qu'elle rêve de devenir la Singapour européenne, il y a là de quoi se taper la tête contre les murs - mais cela ne dérange visiblement personne !

Sans être un gaulliste effréné, je pense que la France a une autre perspective que d'être une sorte de structure opérationnelle optimale de la mondialisation - sauf à habiter dans de petites cases de six mètres carrés, très plaisantes. Je fais ici référence à un reportage récent diffusé à la télévision. Je pensais que cela n'existait que dans l'Union soviétique des années 1930, mais je vois que la cuisine commune des appartements collectifs connaît un regain d'intérêt sur le marché libéral singapourien. C'est sidérant !

On nous explique que, grâce au Brexit, la Grande-Bretagne reprend en main le contrôle de sa législation. Encore faudrait-il qu'ils sortent ! Après Bruxelles, ils ont choisi Washington. C'est assez pitoyable !

Je rappelle que plus de la moitié des projets de loi sont des projets de ratification ou d'autorisation d'accords internationaux. C'est en quelque sorte un phénomène de « tchernobylisation » du droit : la frontière arrêterait les influences juridiques, comme elle a arrêté la radioactivité en son temps.

Bien plus grave, nous sommes dans une période de sortie à marche forcée des structures d'après-guerre. Vladimir Poutine s'inscrit dans un très ancien courant anti-occidentaliste. C'est son droit. Il ne cherche pas d'alliés en Europe, mais à satelliser les autres pays. Il en va de même de Donald Trump.

On est là dans la sortie de l'après-guerre, avec l'idée que le national et le rapport de force priment sur le collectif. Ceci est extrêmement grave.

Enfin, on peut se demander si les dirigeants politiques sont bien conscients des réalités.

Je trouve sidérant que Mme May parle des frontières. Je ne comprends pas ce qu'elle veut dire lorsqu'elle affirme vouloir se soustraire aux arrêts de la Cour de justice. Il n'y a aucun souci : à partir du moment où ils sortent de l'union douanière, il n'y a plus de Cour de justice. Il n'y a d'ailleurs plus rien du tout ! Ce n'est donc pas la peine de se demander s'ils restent ou non dans le marché intérieur. S'ils veulent reprendre la main pour négocier avec qui ils veulent, ils doivent sortir du champ. C'est juridiquement mécanique. Il n'y a pas de solution intermédiaire.

Quelque chose est en train de se produire. J'insiste, car c'est une question qui apparaît en filigrane dans le débat français à propos du fait de sortir de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Si l'on sort de la CEDH, on sort mécaniquement de l'Union européenne. Il faut donc réfléchir à ce que l'on fait. En effet, la CEDH est un prérequis pour intégrer l'Union européenne.

Ceci a été mis en place lors de l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale en 2004. Je vous garantis le résultat. Plutôt que sortir de la CEDH, peut-être faudrait-il donc l'investir. C'est un autre problème, mais cela demande une stratégie et une administration qui fonctionnent.

La seconde partie de mon intervention porte sur la relance.

J'ai publié en octobre dernier un ouvrage intitulé Faites l'Europe, pas la guerre. Cet ouvrage a été écrit après le Brexit. La Grande-Bretagne s'éloigne de l'Europe. C'est pour moi un très grand regret, car je suis très attaché à ce pays eu égard à son combat durant la Seconde Guerre mondiale, mais le premier problème à traiter est celui de la refondation de la démocratie française.

La première des crises n'est pas celle de la démocratie européenne, mais celle de la démocratie nationale. Après deux mille ans de judéo-christianisme, le débat politique qui a lieu dans le cadre de l'élection présidentielle française reste très moyen et bien peu émouvant. En Italie, Beppe Grillo représente 35 % à 40 % du corps électoral.

Le dirigeant politique européen relève aujourd'hui plus de l'animateur radiophonique sympathique que d'autre chose. Il y a un vrai problème de reconstruction qui, dans chacun de nos États, ne se résoudra pas par le haut.

Je partage l'avis de Mme la présidente : les parlementaires nationaux ont un rôle majeur à jouer, parce qu'ils sont également acteurs de la démocratie européenne. Cela demande toutefois une réorganisation de l'administration nationale, tant politique qu'administrative.

Il existe en France un problème fondamental : le responsable de la politique européenne - le Président de la République - n'est pas responsable politiquement. C'est une plaisanterie ! Mme Merkel, lorsqu'elle se rend à un Conseil européen, deux jours avant, participe à un débat au Bundestag. Celui est très agité, mais elle détient un mandat, même s'il n'est pas impératif.

Fait étrange, ce débat est public mais n'affaiblit pas la position de la Chancelière au Conseil européen. En France, on dit qu'il ne faut surtout pas que les autres sachent quoi que ce soit, comme s'ils ne s'attendaient pas à ce que l'on va dire.

J'ai été durant sept et demi agent français dans les négociations européennes : au bout d'un moment, on sait parfaitement ce que va dire l'autre. C'est un domaine où il n'y a pas de secret.

Au moment de la signature du traité d'Amsterdam, j'étais conseiller juridique au secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI). Le secrétaire général de l'époque me convoque un jour en me disant que le Quai d'Orsay m'accuse de miner les négociations du traité. Heureusement le ridicule ne tue pas, sinon l'ambassadeur en serait mort ! On m'a en effet indiqué que je diffusais les documents aux ministères.

Je suis allé sur Internet et j'ai démontré au secrétaire général que les Britanniques diffusaient la totalité des documents en cours de négociation sur Internet et téléphonaient dans notre dos aux ministères pour leur demander ce qu'ils en pensaient. J'avais donc diffusé les documents pour obtenir une position unique et un seul discours afin de faciliter les choses.

L'Europe doit quitter le domaine diplomatique et secret pour entrer dans le domaine du politique. C'est une maladie bien française. Il faut refondre l'appareil et le « dédiplomatiser ».

On doit impérativement expliquer que le responsable de la politique européenne, en France, est le Premier ministre, qui doit ensuite, devant les chambres, défendre sa politique.

Que le Président de la République doive garder un rôle stratégique est une évidence, mais si on veut une politique démocratiquement définie, il faut changer le capitaine.

Autre point, qui n'est pas un simple détail : il faut tout rendre lisible. Toutes les positions doivent être détaillées, afin que chacun puisse demander des comptes aux parlementaires dans ce domaine.

Il faut également mieux associer les collectivités territoriales. Un grand nombre de textes dont elles ont seules la responsabilité s'appliquent à leur propre cas. Ce n'est pas une simple réunion collégiale qui permet de savoir ce qui se passe à leur sujet.

J'ai autrefois travaillé dans le cadre des groupes d'études et de mobilisation (GEM) initiés par Mme Édith Cresson, qui associait des professionnels, des administratifs et des universitaires.

Ceci permettait une meilleure circulation de l'information. On canalisait les lobbys et on facilitait ainsi leurs relations avec l'administration, quelques ministères étant sensibles à certains groupes industriels.

C'est pour moi un préalable s'agissant de la démocratie sur le plan national.

Pour ce qui est du volet européen, il faut oublier les grandes conférences internationales telles qu'elles pouvaient avoir lieu au XIXe siècle. Elles passent d'abord aux 20 heures, puis à 20 heures 20, et enfin deux minutes dans un flash.

Il faut tirer les conséquences du Brexit. Je vois trois structures possibles pour ce faire, l'une associant la France et l'Allemagne, une autre regroupant la France, l'Allemagne et la Pologne, et une dernière réunissant la France, l'Allemagne et le Benelux - sans l'Italie, je m'en explique dans mon livre, où une carte démontre que ce pays n'est pas intégré au groupe économique Rhin-Rhône.

Ceci est compatible avec le droit de l'Union européenne. Il ne s'agit pas de sortir de l'Union européenne ni de créer de nouvelles structures, mais de redynamiser l'Union européenne économiquement, à partir de noyaux politiquement resserrés.

M. Jean Bizet, président. - Vous prônez donc une coopération renforcée ?

M. Jean-Luc Sauron. - Non. Il s'agit d'une mécanique simple, qui démarre classiquement, où les Français et les Allemands gouvernent avec les mêmes intitulés ministériels.

Cela fera des malheureux chez nous, car nous avons moitié plus de ministres que les Allemands, mais on ne travaille bien qu'avec des structures homothétiques : chaque ministère ne peut alors que s'entendre avec son homologue - en dehors des sujets spécifiques.

Il faut ensuite réaliser un programme législatif sur deux ou trois thèmes, sur lesquels travaillent les deux groupes parlementaires. On sort donc des législations communes sur des thématiques choisies. Si vous stabilisez 50 % du PIB européen, vous relancez celui-ci en totalité ! Ce travail est majeur. Je pense qu'il faut absolument s'appuyer là-dessus.

La troisième possibilité repose sur des politiques sectorielles, avec des États qui ont des objectifs déterminés.

Je prendrai trois exemples.

Tout d'abord, pour qu'il existe une politique industrielle européenne, madame la présidente, il faut un arbitre pour compenser économiquement les secteurs régionaux des pays lésés par la création d'une activité économique à tel ou tel endroit.

On ne peut donc avoir de projets industriels que face à un exécutif qui a la capacité d'imposer ici quelque chose et de le compenser ailleurs. On ne peut le faire à vingt-sept membres. Faisons-le donc à deux ou trois, sur des projets industriels spécifiques. Croyez-moi : les industriels français et allemands ne demandent qu'à travailler dans certains secteurs.

Prenons l'exemple de la défense. Il est aujourd'hui impossible d'avoir une défense européenne. C'est ce que le général de Gaulle appelait, en 1954, l'armée « Frankenstein ». En effet, il faut qu'un gouvernement soit politiquement assez fort pour envoyer ses hommes se faire tuer. Aucun État européen ne pourra y parvenir.

Que faire ? Dans mon ouvrage, je propose deux solutions. Il existe aujourd'hui deux armées en Europe, pas plus. Une véritable armée, c'est une armée qui se bat sur les théâtres d'opérations. Il n'y a que les Français et les Britanniques qui sont confrontés à cette situation. De manière cynique, on peut dire que ce que font les Russes en Syrie est destiné à remonter le niveau de leur armée, qui n'a guère brillé en Géorgie. Il faut une guerre pour qu'il existe une véritable armée. C'est horrible à reconnaître, mais c'est ainsi.

Soit la France fait appel à un mercenariat financier, soit elle recourt à un mercenariat humain. Si on ne veut pas que n'importe quel Européen intègre l'armée française pour se battre, il faut partager le fardeau financier. La France ne s'est pas engagée en Afrique pour vivre une aventure postcoloniale. Il peut y avoir une discussion européenne sur les objectifs, mais seul un gouvernement identifié peut décider d'envoyer des troupes et de faire tuer des hommes. Il peut être binational, mais certainement pas davantage.

Il faut également se poser la question, même si on n'en est pas là, de savoir comment créer une armée européenne avec une arme nucléaire nationale.

L'idée - qui remonte à la fin du mandat de Jacques Chirac - selon laquelle l'Allemagne faisait partie d'un territoire sur lequel le Président de la République pouvait engager l'arme nucléaire m'a personnellement toujours interrogé. Peut-être ai-je été formé à une époque trop gaullienne pour l'admettre. Je vous renvoie à ce sujet aux écrits du général Gallois.

M. Jean Bizet, président. - La parole est à François Lafond.

M. François Lafond, Institut Jean Lecanuet. - Je vous remercie pour cette invitation.

Il est d'autant plus difficile pour moi d'intervenir devant vous pour la première fois que je le fais après deux Européens convaincus, qui viennent d'exprimer des idées avec lesquelles je suis très souvent en accord.

Je partage l'avis d'Hubert Védrine au sujet du Brexit : je pense que celui-ci n'aura pas lieu, pour toute une série de raisons. J'ai travaillé trois ans au Royaume-Uni. Je pense que l'intérêt national britannique, qui a guidé la politique européenne du Royaume-Uni depuis le début, va finir par faire son oeuvre, et que la démocratie représentative s'opposera à la démocratie directe.

Le premier élément de ce renversement de tendance réside dans le discours de Mme May, qui annonce qu'il y aura bien un vote à Westminster une fois l'accord obtenu, la Cour suprême estimant même que ce vote doit intervenir avant. Or, en l'état actuel des choses le Parlement est contre le Brexit...

M. Jean Bizet, président. - Vous pensez que les parlementaires britanniques vont s'opposer à l'avis de la population ?

M. François Lafond. - Je pense que Mme May sera obligée de reconnaître qu'il n'existe pas d'accord préservant les intérêts britanniques. Elle ne parviendra pas à proposer à son propre peuple une solution comme celle qui avait été envisagée au départ. Dès lors, elle devra démissionner et convoquer de nouvelles élections. Le peuple britannique s'apercevra que son intérêt est de demeurer dans l'Union européenne, faute de quoi la situation du Royaume-Uni sera bien plus compliquée. On commence déjà à en ressentir les premières conséquences économiques.

Nous ne pouvons toutefois préjuger de l'activation de l'article 50, du début des négociations, ni de la manière dont les choses vont se dérouler tant que l'unité européenne demeure ce qu'elle est.

Ce qu'il faudrait, c'est distinguer les négociations du Brexit de la refondation de l'Union européenne, en prenant en compte le vote britannique, qui constitue également un élément important pour nous.

Que doit-on faire à vingt-sept ? Tout d'abord, il faut établir un diagnostic plus serré sur le fait de savoir comment on en est arrivé à une situation telle que celle que nous connaissons.

Pendant longtemps, certaines questions existentielles de l'Union européenne n'ont pas obtenu de réponse de la part des gouvernements nationaux ni des institutions.

On a longtemps privilégié le modèle fédéral. On s'aperçoit maintenant qu'il n'existe plus. Les juristes appellent cela un modèle sui generis. Vers quoi se dirige-t-on concrètement ?

On a caché cette absence de finalité juridique et politico-institutionnelle grâce à de grands projets, comme le marché intérieur. On s'est collectivement mobilisé en faveur de l'objectif de 1992. On est ensuite passé à l'euro. Les peuples et les gouvernements étaient tous tendus vers un même objectif. Puis, on a abordé l'élargissement. Depuis dix ans, nous n'avons plus de modèle, et nos gouvernements n'ont plus d'idée mobilisatrice.

Il faut donc essayer de trouver un objectif commun. L'union plus étroite qui figure dans le traité, que les Britanniques ont refusé et qui a constitué un élément de leur campagne, n'est plus suffisante.

En deuxième lieu, il va bien falloir, à un moment ou à un autre, préciser aux peuples où l'on va s'arrêter en matière de frontières et d'élargissement. J'étais cet été en Géorgie pour une conférence. Les Géorgiens sont persuadés que l'étape suivant le partenariat oriental qu'on est en train d'élaborer est celle de l'adhésion.

Personne ne dit le contraire. Le commissaire présent n'a pas dit que ce pays ne serait jamais membre de l'Union européenne. On continue à leur faire miroiter ce qu'on a fait miroiter à la Turquie. Pendant vingt ans, on leur a demandé de faire des réformes pour devoir un jour membre de l'Union européenne, et la Turquie ne le sera jamais !

Il faut donc être clair s'agissant des frontières.

En troisième lieu, en matière de ressources propres, parler d'un budget de l'Union européenne de 1 % constitue une fumisterie. La France a joué un rôle dans ce domaine en parlant, lors des dernières négociations, en 2013, d'un maximum de 1 %.

Or, ce budget est dépassé. On consacre encore 35 % à la politique agricole commune (PAC) ou aux ressources naturelles, 30 % à la politique de solidarité et aux fonds structurels, et 30 % à tout le reste - compétitivité, économie, jeunesse, etc. C'est un problème de distribution.

En quatrième lieu, les citoyens ne comprennent pas comment fonctionne l'Europe. On a une Union européenne à vingt-huit, une zone euro à dix-neuf, une zone Schengen à vingt-six. On confond le Conseil de l'Europe avec le Conseil européen. Il faut essayer de mettre de l'ordre dans ces structures et les simplifier.

Vous avez, monsieur le président, mentionné l'unification possible entre le président du Conseil européen et celui de la Commission européenne. Allons-y ! Simplifions les choses !

De la même façon - je sais qu'Hubert Védrine n'est pas d'accord - c'est un ministre qui est en charge de la zone euro et non un président. Celui-ci pourrait être en même temps vice-président de la Commission européenne, comme l'a proposé l'administration française. Il faut simplifier les structures si l'on veut sauver l'Union européenne.

Outre les questions existentielles qui n'ont pas reçu de réponses, certaines pratiques nationales ont connu une certaine déviance. La France a sa part de responsabilités en la matière. Lorsqu'on fixe des règles et qu'on est le premier à ne pas les respecter, qu'il s'agisse des 3 %, ou des règles communes, on devient fatalement moins crédible vis-à-vis de ses partenaires. Les petits pays qu'on a obligés à respecter des règles économiques très strictes ne comprennent pas pourquoi les grands pays décident de s'y soustraire sans que cela n'entraîne de conséquences. Cette politique à double vitesse a donc miné l'unité de l'ensemble.

Il existe également des doutes quant au fonctionnement actuel des institutions. J'évoquerai trois points auxquels il faut réfléchir.

Le premier concerne le rôle de la Commission européenne. Au départ, il s'agissait d'un organe administratif technique. Puis, avec l'idée de fédéralisme, on a estimé qu'elle devrait prendre la forme d'un gouvernement. On a donc politisé son rôle, ce à quoi nos amis allemands sont défavorables.

La Commission européenne doit-elle demeurer un organe technocratique tourné vers l'intérêt général communautaire ou se politiser pour devenir une sorte de gouvernement ?

Le deuxième sujet concerne le Parlement européen. Pendant longtemps, il a fonctionné de façon coopérative : 80 % de la législation passait par un accord entre les démocrates et les conservateurs. Les États membres ne comprennent pas que Bruxelles soit d'accord sur la plupart des politiques, alors que les principaux partis s'y opposent.

Ceci alimente le caractère antieuropéen de partis politiques comme le Front national, qui considèrent qu'on trouve à Bruxelles une sorte d'élite qui prend des décisions sans rapport véritable avec les souhaits de l'opinion publique.

Au lieu de politiser la Commission européenne, ne conviendrait-il pas de politiser davantage le Parlement européen et faire en sorte qu'il existe de véritables majorités, avec un système électoral s'orientant soit à droite, soit à gauche, et qui prenne ses responsabilités ? Le cadre institutionnel serait différent et l'on reviendrait peut-être aux origines, avec une Commission européenne indépendante, qui joue le rôle de force de propositions. On oublie trop souvent de dire que la Commission européenne n'a aucun pouvoir en elle-même.

Ma troisième interrogation porte sur le fonctionnement institutionnel et la déviance des parlements nationaux et du Parlement européen.

Il existe une sorte d'incompréhension entre les deux légitimités et une absence de volonté de travailler ensemble. Les parlementaires européens considèrent qu'ils ne sont pas comme les parlementaires nationaux et vice versa.

Il était par exemple prévu, dans les propositions concernant la zone euro, d'essayer de démocratiser le fonctionnement et de mettre en place une commission au sein du Parlement européen pour disposer d'un interlocuteur. Pourquoi ne pas inclure dans cette structure des parlementaires nationaux ? On regrouperait ainsi dix-neuf pays et deux types de parlementaires, qui pourraient pour la première fois travailler ensemble sur un même agenda. Cela permettrait d'en finir avec un antagonisme latent.

Je suis entièrement d'accord avec Mme Fontaine : je crois que l'idée de conférence d'Hubert Védrine est quelque peu ambiguë ou paradoxale. D'un côté, il estime que les peuples ont décroché mais, de l'autre, pour sauver la situation, il veut provoquer une réunion entre membres des gouvernements.

Il faut mettre en place une convention, utiliser le 25 mars 2017 et le soixantième anniversaire du traité de Rome pour impliquer nos partenaires européens, lancer cet exercice durant une année, avec la même composition que précédemment - parlementaires nationaux et européens, représentent des États membres ainsi que quelques représentants des institutions européennes. Il ne faut pas réclamer de nouveaux textes, mais faire un screening très précis de ce qui fonctionne et ne fonctionne pas au niveau européen, afin de savoir comment simplifier la machine et rattacher les citoyens à cette construction.

Certaines compétences - je rejoins là Hubert Védrine - actuellement exercées au niveau européen pourraient être dénationalisées. Il faut donner des gages aux opinions publiques, en leur proposant un nouveau deal et en utilisant le principe de subsidiarité de façon positive. On utilise souvent la subsidiarité pour ramener les choses au niveau national. On peut aussi faire remonter les choses au niveau supranational. C'est le principe de la subsidiarité.

L'échéancier pourrait être d'une année, ce qui permettrait de dépolitiser les campagnes électorales que nous allons vivre. Si on n'arrive pas à découpler la question européenne des campagnes électorales aux Pays-Bas, en France et en Allemagne, on va avoir des difficultés à faire accepter cette idée. Cela permettrait à tous les candidats de laisser agir la convention. On dépassionnerait un peu le débat, et on donnerait ainsi du temps aux gouvernements. La France ou l'Allemagne, qui constituent les moteurs de l'Europe, pourraient instrumentaliser cette convention.

Le second objectif serait non de produire un texte, mais de proposer des scénarios, ce qui laisse la possibilité de choisir. Le Conseil européen et les gouvernements auront ensuite la main pour faire ce qu'ils veulent. C'est un travail de pédagogie, un travail citoyen. Tout le monde serait impliqué. Cela peut se faire de façon transparente, ce qui permettrait de décrisper la question européenne, à propos de laquelle on dit beaucoup de bêtises.

Certaines réformes sont faciles à mettre en oeuvre. La tâche de cette convention serait de déblayer le terrain, afin de permettre ensuite aux États membres de décider de la solution à adopter.

M. Jean Bizet, président. - Merci beaucoup.

M. Jean-Pierre Masseret, président. - Tous ces propos sont très intéressants. Ils complètent nos analyses. Il faut que l'on passe ensuite tout cela au tamis, pour essayer d'adopter une position, mais on voit bien qu'il existe des points de convergence - mais aussi de divergence - sur la façon de refonder l'Union européenne.

C'est de mon point de vue la question principale. Le Brexit aura lieu, mais la refondation et le projet politique européen sont indispensables si l'on veut éviter les dérives populistes, nationalistes, et tous les dangers liés à cette évolution.

Les années 2016 et 2020 auront-elles la même importance pour « matricer » le XXIe siècle que les années 1916 et 1920 pour le XXe siècle ? On est en effet à la fin d'une période issue de la Seconde Guerre mondiale. Il faut réinventer quelque chose. Si les politiques ne prennent pas leurs responsabilités, on va au-devant de grandes difficultés.

On a aujourd'hui tous la même préoccupation : comment assurer la paix, la sécurité, et le progrès du continent européen ?

M. Jean Bizet, président. - La parole est aux commissaires.

M. Yves Pozzo di Borgo. - J'ai appuyé lors du débat budgétaire l'idée que l'on coupe le Quai d'Orsay en deux, avec un ministre d'État puissant, et que l'on s'installe dans l'îlot Saint-Germain. Cela rejoint votre remarque.

Je ne sais si ce sera suffisant, mais ce serait un signe fort.

Mme Gisèle Jourda. - Merci pour la clarté de vos propos et pour avoir dit qu'il fallait parfois reconnaître ses erreurs.

J'interviendrai à propos de la réactivité européenne. Le fait que la mise en oeuvre du PNR nécessite deux ans, alors que plane une menace immédiate, génère des interrogations fortes.

Je ne reviendrai pas sur la clarification qu'il faut à l'Europe sur le plan institutionnel. Je suis très inquiète d'entendre les positions affichées par Donald Trump et de voir ce qui se passe avec Wladimir Poutine : que va devenir notre espace européen ?

Je souhaiterais revenir sur le sujet de la défense. Je crois plus que jamais que l'Europe est un espace géopolitique extrêmement intéressant qui dérange tout le monde, qu'il s'agisse du Royaume-Uni ou des États-Unis.

Les États sont certes souverains en matière de défense, mais cela n'exclut pas une politique de coalition.

Avec Yves Pozzo di Borgo, nous avons travaillé sur la politique de sécurité et de défense. La politique européenne dispose dans ce domaine d'outils qui n'ont jamais été activés.

On va créer un fonds européen de défense à la suite d'une proposition du couple franco-allemand. Qu'est-ce que cela va devenir ? Le dernier Conseil européen n'en a même pas parlé !

Les jeunes s'interrogent beaucoup à ce sujet. Grâce au programme Erasmus, l'Europe est pour eux une réalité. Vous l'avez dit, nous quittons une époque pour entrer dans une nouvelle ère. Si le couple franco-allemand est essentiel, il ne constitue pas non plus la seule réponse.

M. François Lafond. - Il existe une Agence européenne de la défense dont les Britanniques ont bloqué le budget durant cinq ans.

Je ne sais s'ils resteront dans cette agence après leur sortie de l'Union européenne, mais celle-ci pourrait être communautarisée. Les personnels sont prêts. On pourrait ainsi envisager de développer des programmes industriels.

La Commission européenne a lancé des initiatives parce qu'elle peut le faire en termes statutaires, dans le cadre du marché intérieur.

On pourrait installer cette agence au sein du service européen d'action extérieure. Mme Mogherini a pris une série d'initiatives à l'issue du Brexit dans le domaine de la défense. Ceci constituerait un embryon d'administration en charge de ces questions de défense.

Mme Gisèle Jourda. - Avec Yves Pozzo di Borgo, nous avions déposé une proposition de résolution, qui a été acceptée par notre commission, qui allait en ce sens, mais ma question visait également l'OTAN.

Quelle place l'Europe peut-elle avoir aux côtés de celle-ci ?

Mme Nicole Fontaine. - Je pense que le Brexit se fera. Si tel n'était pas le cas, ce serait un déni de démocratie. Or, dans un pays comme la Grande-Bretagne, ce serait très mal perçu.

Peut-être vais-je vous choquer, mais lorsque le peuple français, en mai 2005, a rejeté le traité constitutionnel et que, quelques mois après, on l'a fait passer par la voie parlementaire, cela a produit des ravages, notamment chez les jeunes. Les gens ont eu l'impression qu'on se moquait d'eux.

M. Jean Bizet, président. - Techniquement, c'était très bien, mais les effets collatéraux ont été effectivement été épouvantables.

Mme Nicole Fontaine. - Je ne pense pas que les Britanniques commettront cette erreur.

J'ajoute à l'attention de M. Sauron que la dimension méditerranéenne de l'Union européenne est importante.

Le grand risque serait que les Britanniques essayent de nous diviser. Faites passer le message à travers les groupes d'amitié du Sénat, qui sont extrêmement solides et structurés. Il faut rester unis et affronter ensemble à la fois le Brexit et la refondation de l'Europe. C'est essentiel.

Vous avez raison, madame la sénatrice, de dire que la réactivité européenne a cruellement manqué. La distance entre la prise de décision et l'application des textes, comme au sujet du PNR, ne peut être comprise.

Je dénoncerai aussi le manque d'anticipation. Il faut aider les institutions européennes à anticiper. Un exemple concret a fait beaucoup de mal - et continue à en faire. Il s'agit de la fameuse directive sur le détachement des travailleurs, adoptée en 1996. On savait que, tôt ou tard, les douze pays de l'Europe centrale et orientale viendraient nous rejoindre. On aurait dû prévoir que cette directive poserait problème.

Certes, on n'avait pas anticipé la crise, mais on traîne aujourd'hui cette directive comme un boulet. Elle porte en elle les germes de dumping social. Le Parlement européen essaye de la réformer, mais on n'y arrive pas, tout simplement parce qu'on n'a pas prévu les choses.

La guerre d'Irak et les crises migratoires ont également été désastreuses. On ne les a pas non plus anticipées. Tony Blair a soutenu Georges W. Bush, et huit pays ont écrit un courrier de soutien à M. Bush, alors qu'ils venaient juste d'entrer dans l'Union européenne !

Aujourd'hui, le Proche-Orient est en charpie parce que l'Union européenne n'a pas su prévoir les choses.

Je suis heureuse que M. Lafond soutienne l'idée de convention. J'aimerais qu'elle voie le jour. Les parlementaires nationaux et européens doivent se retrouver de façon permanente pour dialoguer, confronter leurs idées, et avancer en restant unis.

M. Jean-Luc Sauron. - Je n'ai pas abandonné nos amis méditerranéens, orientaux ou même nordiques. Il faut impérativement redémarrer le moteur. On ne le peut pas à vingt-sept, mais seulement à deux ou trois. On a ensuite le choix.

Les conseils européens sont d'une vacuité absolument délirante ! Le seul objectif d'un Conseil européen, c'est la conférence de presse ! Il faut donc redémarrer dans un petit espace politiquement cohérent.

En deuxième lieu, ce que dit Mme la sénatrice à propos de l'espace politique européen est au coeur de la crise politique dans tous les États. Il existe un fossé entre la parole politique et sa mise en oeuvre. Après le débat intervient l'adoption, l'entrée en vigueur, les décrets, puis une autre législature vient tout remettre en cause.

La communication autour des textes politiques donne à nos concitoyens l'impression qu'il existe de grands discours mais que rien ne se passe. Il faudrait se concentrer sur le « service après-vente » des textes et vérifier qu'ils s'exécutent.

Dans mon ouvrage, j'indique qu'il faut beaucoup moins produire de normes, puisque certaines sont déjà réglées au niveau européen. Il faut arrêter de doublonner. C'est une mauvaise utilisation des compétences des uns et des autres. La démarche majeure, c'est la mise en oeuvre de l'appareil national.

En matière numérique, il faut impérativement, à travers le couple franco-allemand, établir des règles de fonctionnement. Elles seront ensuite généralisées dans les vingt-sept pays membres de l'Union européenne.

Il faut absolument envisager, au niveau de la coopération ou d'un État seul, si c'est possible, des modes de fonctionnement plus efficaces. Le droit de l'Union européenne, ce n'est pas du syncrétisme : c'est le plus opérationnel qui se diffuse.

Par ailleurs, le sénateur Pozzo di Borgo a parlé d'une modification de la gestion des affaires européennes. Interrogez-vous un jour sur le mode de gestion des aides d'État en France : qui les contrôle, qui suit le circuit ? On gagnerait largement à n'avoir qu'une structure unique.

Il y a une vraie réflexion à mener sur l'efficacité de l'appareil administratif. Seul un État fort et économiquement développé permet de faire entendre sa voix en Europe. Tant que la France n'est pas à un niveau économiquement dynamique, elle n'a pas le droit à la parole.

M. Jean Bizet, président. - J'ai relevé une ou deux idées majeures dans les interventions de chacun.

M. Lafond a estimé que, compte tenu de la très grande complexité du Brexit, le « détricotage » de tous les contrats commerciaux internationaux ne se ferait pas, théorie exprimée par M. Védrine, que nous avons auditionné il y a peu.

On le souhaiterait tous, mais le Brexit doit être vécu comme un électrochoc, aussi cruel soit-il pour nos amis Britanniques, qui sont entrés dans l'Union européenne en 1973 et n'ont jamais changé d'optique. Il faut donc s'y préparer.

Deuxièmement - et cela va dans le sens du travail que nous a confié le président Larcher - je suis d'accord avec M. Lafond lorsqu'il préconise une convention qui, à l'occasion du soixantième anniversaire du traité de Rome, repose les fondamentaux. C'est la raison de nos travaux. Merci d'y contribuer.

On entend peu de chose, dans le cadre de la campagne électorale, à propos de la problématique européenne. Je pense qu'il faudrait externaliser cette question en chargeant, au moment du soixantième anniversaire du traité de Rome, une convention de réécrire et de repenser l'Europe. Cela ne peut se concevoir qu'avec des États forts. La France n'est pas pour l'heure dans une telle posture. Il faut donc repenser tout cela.

Enfin, je suis d'accord avec la proposition de M. Sauron, que nous avions expérimentée au Sénat il y a quelques années, qui consiste à faire en sorte que les débats au Parlement puissent être plus fréquents pour définir des mandats de toute nature qui puissent être « déclinés » au niveau communautaire.

C'est ce que nous avions tenté, lorsque le président Larcher était à la tête de la commission des affaires économiques, avec les traités commerciaux internationaux. Cela avait assez bien fonctionné. Un débat avait eu lieu au Parlement. On avait copié en cela ce qui se faisait dans les pays d'Europe du Nord. L'idée n'a toutefois pas prospéré.

Aujourd'hui, on en arrive au cas atypique de la Wallonie. C'est complètement ridicule. Cela donne une image déplorable de l'Union européenne. Nous passons pour un nain économique vis-à-vis des États-continents avec lesquels on discute. Je crois qu'il faudrait décliner cette approche dans tous les domaines.

On a initié des débats réguliers entre les parlementaires nationaux et européens. Ils sont les bienvenus en permanence. On a même connu quelques productions co-législatives, notamment dans le domaine de la PAC. Nous avions rédigé certains amendements, mais c'était exceptionnel et ponctuel. Il faudrait que ce soit plus fréquent. En tant que parlementaires nationaux, on peut faire passer des messages dans nos départements respectifs.

Mme Nicole Fontaine. - La COSAC reste très académique.

M. Jean Bizet, président. - En effet. Elle est nécessaire, mais pas suffisante.

L'un d'entre vous a dit que nous étions en train de clore la période d'après-guerre. Cela paraît fantastique, voire terriblement inquiétant. Aujourd'hui, je ne vois pas de leader en Europe, sur le plan national, capable d'écrire cette nouvelle page. Nous avons besoin d'hommes forts, c'est triste à dire.

Un article paru dans un journal du soir considérait que nous ne sommes plus en démocratie mais en ochlocratie : nous nous laissons désormais guider par l'émotion des foules. Il n'existe rien de plus dangereux !

Il nous faudra nous pencher davantage sur deux sujets.

Nous devons recevoir prochainement Mario Monti. Tant qu'on n'aura pas trouvé des ressources propres pour l'Union européenne, on ne pourra mener une véritable politique européenne. Un budget de 1 %, est ridicule - alors qu'on a de grandes politiques à mettre en oeuvre.

Par ailleurs, Jean-Paul Émorine et Didier Marie ont beaucoup travaillé sur le concept du fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS). Il existe beaucoup d'argent privé et peu d'argent public. Le Normand que je suis trouve génial de sortir l'argent privé avec une caution de fonds publics, logiquement jamais décaissés.

Je pense qu'il va falloir qu'on vive avec ce nouveau concept et qu'on le décline dans beaucoup de domaines. Tout cela ne pourra toutefois prendre corps que si l'Europe voit son budget multiplié par deux ou trois. J'attends avec impatience d'entendre ce que pourra nous proposer M. Monti.

S'il nous propose une taxe sur les transactions financières, on risque de tourner autour de concepts totalement désuets.

Mme Nicole Fontaine. - Je suis ô combien d'accord, mais compte tenu - et je le dis avec infiniment de regret - de la profonde désaffection des peuples à l'égard de la construction européenne, leur annoncer que l'on va doubler le budget reviendrait à mettre la charrue avant les boeufs ! Il faut réenchanter l'Europe, retrouver le coeur des citoyens, montrer que notre continent peut être efficace, et présent là où ils l'attendent. C'est un appel que je vous lance : c'est le plus important.

Depuis le Brexit, je donne deux à trois conférences par semaine à l'invitation de beaucoup d'universités. C'est très nouveau. J'ai toujours été invitée par des mouvements européens, des associations, des collectivités territoriales. À présent s'y ajoutent les universités. Les jeunes s'intéressent vraiment au sujet. Ils en attendent beaucoup, mais sont en même temps très exigeants.

M. Jean Bizet, président. - Cette attente est synonyme d'une profonde inquiétude de la jeunesse.

Mme Nicole Fontaine. - Je suis très frappée par le fait que la nécessité de repenser l'Europe, de la relancer ou de la refonder, fait son chemin depuis quelques semaines de façon très forte.

Ainsi, le journaliste Nicolas Domenach, il y a quelques mois, n'avait pas de mots assez durs à propos l'Europe. Il y a trois jours, sur RTL, je l'ai entendu dire qu'il fallait à présent repenser l'Europe, qu'on n'avait pas le choix, et qu'il s'agissait d'une priorité. C'est un changement total de braquet.

M. Jean Bizet, président. - Le Brexit est un électrochoc : il faut l'utiliser.

Mme Nicole Fontaine. - En effet. Donald Trump en est un autre - OTAN, etc. Peut-on laisser la Russie, l'Iran et Donald Trump régir le monde ? C'est hallucinant ! On n'a donc plus le choix.

Il y a quelques semaines encore, on n'y croyait à peine. On assiste à présent à une accélération. Il faut que les politiques prennent les choses en main.

La réunion est close à 10 h 05

- Présidence conjointe de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et de Xavier Pintat, vice-président de la commission des affaires étrangères -

La réunion est ouverte 14 h 35

Audition de S. Exc. Lord Edward Llewellyn, ambassadeur du Royaume-Uni en France

M. Jean Bizet, président. - Nous sommes très heureux de vous recevoir aujourd'hui au Sénat. Avec ce groupe de suivi, nous souhaitons nous montrer vigilants sur le processus de retrait du Royaume-Uni, décision que nous regrettons tous. Le récent discours de Mme May a clarifié la position britannique, dans le sens d'une rupture très nette avec l'Union européenne. La Cour Suprême à par ailleurs confirmé hier que la notification de la décision de se retirer de l'Union devrait au préalable faire l'objet d'un Act of Parliament.

Nous écouterons avec intérêt vos précisions sur la position du Royaume-Uni, sur la procédure de l'article 50 et sur la négociation à venir. Vous étiez aux côtés de M. David Cameron lorsque ce référendum a été décidé.

Comment voyez-vous les relations que le Royaume-Uni pourrait avoir avec l'Union européenne, une fois le retrait acté ? Il semble bien que la Première Ministre souhaite un nouveau traité mais elle ne souhaite pas entrer à nouveau dans le marché unique. Cela mérite quelques clarifications.

Nos préoccupations portent aussi sur l'impact de la décision britannique sur plusieurs secteurs économiques qui échangent beaucoup avec votre pays. Quelle est votre analyse ?

La question des places financières est également centrale. La localisation des activités des chambres de compensation est un enjeu important. On imagine mal qu'elles puissent rester en Grande-Bretagne.

Nous sommes aussi fréquemment interrogés sur les perspectives pour les ressortissants européens résidant au Royaume-Uni et réciproquement pour les Britanniques installés sur le continent. Comment cette question évoluera-t-elle ?

M. Xavier Pintat, président. - Je vous prie tout d'abord d'excuser le président Raffarin qui m'a chargé de le représenter.

Je vous remercie de venir nous parler, une semaine après le discours de Mme May sur le Brexit. Très attendu, il laisse quelques points d'interrogation. Nous espérons que vous nous aiderez à les éclaircir.

Entre marché unique et application des quatre libertés de circulation indissociables, le Royaume-Uni a choisi. Quelle seront les propositions du Gouvernement britannique pour la négociation du futur accord avec l'Union européenne ? Sera-ce sur le modèle turc, suisse ? Il est paradoxal de constater que le Royaume-Uni va quitter le marché unique mais va quand même conserver des coopérations politiques très fortes dans la défense et la lutte contre le terrorisme. Comment traiter les droits des ressortissants de l'Union européenne si la Cour de justice européenne ne peut garantir l'édifice qui les protège ? J'espère que vous pourrez dissiper le flou qui demeure.

La décision de la Cour Suprême hier oblige à passer devant le Parlement britannique. Or, un rapport de la Chambre des Lords demande le maintien de l'accès au marché unique dans le secteur des services financiers. Comment le Gouvernement va-t-il maîtriser cette phase parlementaire et dans quels délais ?

Enfin, la probable visite de Mme May à Washington donne le signal du retour au « grand large » : d'après la formule de Winston Churchill. Ne craignez-vous pas que cette relation « spéciale » le soit davantage pour Londres que pour Washington ?

Lord Llewellyn, ambassadeur du Royaume-Uni en France. - Merci pour cet accueil très chaleureux. Je suis content de pouvoir témoigner devant vous aujourd'hui.

C'est un grand honneur et un privilège d'être en poste à Paris en tant qu'ambassadeur. Bien évidemment, la période actuelle est importante pour les relations entre nos deux pays.

La France a toujours joué un rôle majeur dans ma vie professionnelle ainsi que personnelle. Les affaires étrangères ont marqué ma carrière. Avant d'assumer mes fonctions de directeur de cabinet de David Cameron à Downing Street pendant six ans, j'ai passé treize ans à l'étranger. Cinq ans à Hong Kong avec notre dernier gouverneur, Chris Patten, avant la rétrocession, puis trois ans à Bruxelles et aussi cinq ans à Sarajevo, en Bosnie, où j'ai travaillé au sein de la mission chargée de la mise en oeuvre des accord de Dayton.

Lorsque je suis arrivé en France en tant qu'ambassadeur britannique, j'ai posé le pied à Calais à 7 heures du matin et j'ai été accueilli par un policier français avec lequel j'avais travaillé en Bosnie il y a onze ans. Cela m'a rappelé combien nos pays sont liés et combien nous travaillons ensemble partout dans le monde pour la paix et la sécurité.

La relation qui unit nos deux pays est forte : j'ai pu le mesurer dès la première semaine de ma prise de fonction début novembre : j'ai assisté à la cérémonie marquant le centenaire de la fin de la bataille de la Somme, où tant de combattants britanniques et français ont perdu la vie. Mon arrière grand-oncle a combattu comme soldat britannique et l'arrière-grand-père de ma femme comme soldat français. J'ai aussi participé à l'émouvante commémoration du premier anniversaire de l'attentat du Bataclan. Ces cérémonies m'ont rappelé à quel point nos deux pays ont toujours su s'entraider dans les moments difficiles : aujourd'hui, comme il y a cent ans, nous continuons à veiller les uns sur les autres.

Ma mission en tant qu'ambassadeur comporte plusieurs priorités : la relation entre la France et le Royaume-Uni sera, bien sûr, ma première priorité. Tout en faisant mon maximum pour que les nouvelles relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne soient un succès pour tous, je veux aussi oeuvrer à l'approfondissent de nos relations bilatérales dans de nombreux domaines.

J'en viens à la position du Royaume-Uni à l'occasion du Brexit. Avant d'entrer dans les discussions techniques, je suis conscient de l'émotion suscitée par le résultat du référendum ici comme ailleurs. La Première Ministre britannique, Theresa May, a prononcé un discours majeur sur le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne, la semaine dernière. Ce discours présente notre vision du futur partenariat entre le Royaume-Uni et l'Union. Il s'agit en effet de notre plan pour le Brexit. La Première Ministre a annoncé aujourd'hui que le Gouvernement britannique va publier un livre blanc sur cette question. Les points principaux développés par Mme May sont les suivants : nous quittons l'Union européenne mais nous ne quittons pas l'Europe. Nous allons rester des partenaires fidèles, fiables, volontaires et des amis proches de nos voisins avec qui nous partageons tant de valeurs et tant d'intérêts communs. Je sais que les raisons du vote de mes concitoyens n'ont pas toujours été très bien comprises. Ce choix peut s'expliquer par leur volonté de voir les décisions qui concernent leur vie prises par des élus qu'ils ont choisis et dont ils se sentent proches. Le vote sur le Brexit reflète l'attachement de notre pays à notre démocratie et surtout à notre Parlement à Westminster.

Nous avons entendu les positions des dirigeants des pays européens sur l'indivisibilité des quatre libertés relatives au marché unique. C'est pourquoi nous proposons un accord de libre-échange audacieux, ambitieux qui supprime autant que possible les freins au commerce des biens et des services. Nous voulons donner aux entreprises européennes et britanniques un maximum de liberté pour commercer ensemble. Même si nous voulons contrôler le mouvement des personnes entre le Royaume-Uni et le reste de l'Europe, nous continuerons à accueillir nos amis européens. Comme vous le savez, notre priorité est de parvenir à un accord dès que possible afin de garantir mutuellement les droits des Britanniques vivant dans les États membres de l'Union européenne et les citoyens des États membres vivant au Royaume-Uni. Dans notre intérêt commun, nous voulons que le changement qui va s'opérer soit aussi fluide et ordonné que possible. Nous souhaitons conclure un accord sur notre futur partenariat d'ici la fin des deux ans prévus par l'article 50.

Nous proposons un partenariat fort, ambitieux, positif et constructif, afin de remplacer la relation institutionnelle que nous quittons. Ce partenariat devra être bénéfique aux deux parties et dépassera les seules questions économiques. Nous souhaitons que notre coopération continue dans d'autres secteurs clés, tels que la défense, la sécurité et la recherche. Nous ne voulons pas déstabiliser le marché unique ni l'Union européenne. Au contraire, nous voulons que l'Union et ses États membres soient prospères. Nous voulons que les relations entre le Royaume-Uni et la France restent très proches. Nous partageons en effet des valeurs identiques. En outre, nous sommes des voisins très proches et nous avons un héritage commun. Enfin, nous sommes deux pays nucléaires, tant dans le domaine civil que militaire. Nos objectifs sont semblables et nous faisons face aux mêmes défis. Nous avons bien sûr eu nos rivalités et nos différences au cours de l'histoire, mais notre relation se fonde sur un profond respect mutuel. Il est donc clair que notre partenariat devra continuer à s'approfondir dans de multiples domaines.

En matière de défense, tout d'abord. Depuis la signature des accords de Lancaster House il y a six ans, dont je suis très fier, notre coopération n'a cessé de s'approfondir à tel point qu'un pilote britannique pilote un avion militaire français et un pilote français pilote un avion britannique ! Nous coopérons sur de nombreux théâtres d'opérations extérieures, comme au Mali ou en Irak. En tant que membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, nos deux pays ont une responsabilité particulière sur la scène internationale. Lors de mes années à Downing Street, j'ai ainsi pu mesurer l'étendue de notre coopération en matière de sécurité, notamment face à la menace terroriste, mais aussi dans le cadre de la lutte contre la radicalisation. Le monde est dangereux, et nous devons accroître encore notre coopération. En matière de science, de recherche et de technologie, j'ai vu de mes propres yeux de nombreux exemples de coopérations. La semaine dernière, j'ai ainsi visité l'institut Laue-Langevin à Grenoble, centre de recherche sur les neutrons fondé sur une coopération franco-britannique-allemande. Nous y avons célébré 50 ans de coopération scientifique réussie.

Notre coopération en matière énergétique est également essentielle. Nous avons ainsi récemment signé un accord pour la construction d'un EPR à Hinkley Point par EDF qui engage le Royaume-Uni non par pour deux ou trois ans, mais pour 60 ans ! C'est une coopération sur le très long terme.

Je lancerai prochainement avec ma collègue ambassadrice de France à Londres un programme d'échange de haut niveau intitulé Young Leaders, visant à encourager des relations directes entre jeunes professionnels issus de divers secteurs des deux côtés de la Manche.

Pour toutes ces raisons, je suis très optimiste quant à nos futures relations. Nous avons hâte de continuer notre travail constructif alors que nous entrons dans une période importante. Nous allons écrire ensemble un nouveau chapitre sur le futur des relations entre nos deux pays et avec l'Union européenne.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Ce matin, nous avons reçu dans le cadre de ce groupe de travail, Mme Nicole Fontaine, MM. Jean-Luc Sauron et François Lafond. Ce dernier, de la fondation Jean Lecanuet, a jugé que le Brexit pourrait ne pas aller à son terme. Il estime en effet que les forces anti-Brexit in fine l'emporteront. Il est vrai que lorsque nous nous étions rendus en Grande-Bretagne, nous avions rencontré des Lords qui commençaient à regretter le Brexit. Pensez-vous que, dans deux ans, la Grande-Bretagne reviendra sur son choix de quitter l'Union européenne ?

Mme Fabienne Keller. - Nous sommes très heureux que vous représentiez votre pays, très heureux que vous preniez le temps d'échanger avec nous et que vous nous assuriez des bons sentiments du Royaume-Uni à l'égard de la France et de l'Union européenne.

J'ai écouté avec intérêt le discours de Mme May et j'ai été ravie que la nouvelle chaîne d'information, France Info, le diffuse. Mme May ne veut pas que le Royaume-Uni reste dans le marché unique d'aujourd'hui, mais elle ne veut pas non plus appliquer un modèle qui existe déjà. Comment concevez-vous cette nouvelle zone de libre-échange ?

Quelles seraient les règles de circulation pour les 27 au Royaume-Uni et qu'attendez-vous pour les Britanniques qui viendraient sur le continent ?

L'article 50 devrait être enclenché en mars : c'est dommage que cela tombe le même mois que l'anniversaire du traité de Rome. Sur le fond, cette négociation va être compliquée car un État se retrouve face à 27 autres, fédérés par l'Union européenne. Comment pourront se dérouler ces négociations ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Merci de venir débattre de ce sujet qui nous concerne au premier chef. J'ai été témoin de votre implication sur les questions de défense puisque le Conseil franco-britannique auquel j'appartiens avait organisé une conférence franco-britannique de défense au lendemain de votre arrivée. Merci de nous avoir accueillis dans votre ambassade.

Quelle est la perception britannique de l'Otan ? Le président Trump a eu des propos défavorables à l'Otan, même si le général James Mattis, ministre de la défense, la défend.

Nous avons bâti et renforcé l'Union européenne sur notre défense commune. Les Britanniques et les Français ont toujours une position de pointe sur cette question.

À l'époque de Mary Stuart, il y avait une citoyenneté partagée entre les Français et les Ecossais. Comment bâtir une approche commune des droits pour nos concitoyens respectifs ?

Enfin, Gerry Adams a clairement dit que le Brexit pourrait marquer la fin des accords de paix du Good Friday Agreement. Qu'en pensez-vous ?

Lord Llewellyn. - Le Brexit va-t-il avoir lieu ? Le peuple britannique a tranché, après un long débat. Le pays va maintenant mettre en oeuvre cette décision, et faire de son mieux pour trouver un accord qui marche à la fois pour le Royaume-Uni et pour ses partenaires de l'Union européenne. Le 7 décembre, les membres de la Chambre des Communes se sont prononcés par 448 voix contre 75, c'est-à-dire avec une majorité de 373 voix, en faveur du déclanchement de l'article 50. Ne pensez donc pas que la décision du peuple ne sera pas respectée. La Première Ministre et le Gouvernement ont été très clairs. Les sondages suggèrent que si un nouveau referendum était organisé aujourd'hui, le résultat serait identique.

Nous voulons conclure un accord de libre-échange entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Nous souhaitons un accord aussi ambitieux que possible car plus le commerce se développera, plus il y aura d'emplois et de richesses et plus le niveau de vie s'élèvera des deux cotés de la Manche.

L'article 50 sera déclenché avant la fin mars. Comme l'a dit la Première Ministre hier, ce jugement de la Cour Suprême d'hier ne devrait pas avoir de conséquence sur le calendrier prévu.

Durant cette période de négociation, nous maintiendrons des relations étroites avec nos partenaires. Nous devrons continuer à travailler pour répondre aux défis posés par la crise migratoire en Méditerranée. Nous avons des navires en mer, des agents en Italie et en Grèce qui travaillent dans les hot spots. Partout en Europe, le Royaume-Uni reste et restera engagé. Nous sommes et serons vos voisins, vos alliés et vos amis.

Nous avons toujours soutenu l'Alliance Atlantique, pierre angulaire de notre sécurité commune. Actuellement, la situation sécuritaire est plus précaire que nous ne le souhaiterions. Pour cette raison, nous devons continuer à travailler ensemble et renforcer l'Otan. Le Royaume-Uni a déjà atteint la cible de 2 % du PIB et la France est en passe d'y parvenir. Il est important que nous encouragions nos alliés à augmenter leurs dépenses en matière de défense.

Comme l'a dit Mme May dans son discours, et encore à la Chambre des Communes aujourd'hui, nous souhaitons résoudre la question de nos ressortissants respectifs aussi rapidement que possible. Nous voulions que, dès avant Noël, les droits des ressortissants des États membres vivant au Royaume-Uni soient garantis, ainsi que ceux des ressortissants britanniques vivant dans les autres États membres. Mais ce n'était pas le cas de tous les autres États membres. En tout cas, ce sera l'une de nos priorités lorsque les négociations débuteront.

Le Gouvernement britannique et le Gouvernement irlandais veulent maintenir la paix. En ce qui concerne la zone de libre circulation entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande, nous privilégierons une solution pragmatique : cette zone de libre circulation date d'avant notre appartenance à l'Union européenne, et il devrait donc être possible de parvenir à un accord.

Mme Colette Mélot. - Comme il est encore temps de formuler des voeux, je souhaite que votre séjour à Paris soit le plus fructueux possible. Cette période est déterminante pour nos relations.

Je voudrais revenir sur le sujet de nos ressortissants respectifs, en particulier les travailleurs et les étudiants. Nous devrons résoudre la question de la réciprocité de la protection sociale. Comment les étudiants qui séjournent au Royaume-Uni dans le cadre du programme Erasmus seront-ils protégés ? Quels seront leurs droits ?

Vous avez parlé des Young leaders, mais encore faut-il que les jeunes entrepreneurs soient assurés d'une protection.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - N'oublions pas aussi que les études en Grande-Bretagne pour les Européens vont devenir beaucoup plus chères puisque le tarif auquel ils avaient droit va disparaître. Il est important de maintenir ces tarifs pour encore quelques années afin que ces étudiants puissent finir leurs études. Cet état de fait aura aussi des conséquences délétères sur les écoles britanniques elles-mêmes qui voient fondre leurs demandes d'admission, ce qui a des répercussions sur leurs prix de revient.

Dans le Financial times, j'ai lu un article en décembre selon lequel les revenus des fonds de pension ne pourraient plus être exportés hors de Grande-Bretagne pour les Européens. Est-ce exact ?

M. Jean Bizet, président. - Le langage diplomatique finit par se heurter à certaines réalités économiques.

Sur le plan constitutionnel, le référendum transgresse les règles britanniques ancestrales qui donnaient au Parlement un rôle déterminant. Dans ce cas précis, c'est le peuple qui s'est imposé au deux chambres, même si, au travers de la Cour Suprême, la Première Ministre devra consulter le Parlement.

Vous avez dit que vous souhaitiez libérer toutes les entraves qui freinent les entreprises britanniques. Mais il n'y a pas de droits de douane dans le marché unique. Avec un nouvel accord, il y aura forcément des droits de douane sous une forme ou sous une autre. En quoi la situation sera demain plus intéressante pour les Britanniques ? Voulez-vous en revenir à la convention de Stockholm de 1960, mais vous l'avez quittée pour entrer en 1973 dans l'Union européenne. Vous souhaitez un accord qui n'existe pas pour le moment : il ne s'agira donc pas d'un accord sur le modèle norvégien ou suisse.

Enfin, je suis ravi de voir que la Grande-Bretagne veut continuer à collaborer avec l'Union européenne. Mais l'Agence européenne de défense sur laquelle vous avez toujours été réticents, devra se mettre en place : elle va s'imposer à vous alors que vous ne souhaitiez pas la voir prendre forme.

J'avoue qu'au fur et à mesure que nous avançons, je n'ai pas le sentiment d'être plus éclairé.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Une résolution votée en juin par nos deux commissions indiquait bien que, quel que soit le résultat du référendum sur le Brexit, les coopérations sur la défense entre le Royaume-Uni et la France se poursuivraient.

Mme Éliane Giraud. - J'ai également participé à la commémoration de l'institut Langevin la semaine dernière. Nombre de chercheurs du monde entier sont venus y travailler.

Les relations entre deux pays, ce sont aussi des relations humaines.

Le voyage de Theresa May à Washington m'interroge. Les futures négociations commerciales vont-elles primer sur les relations politiques ? Nous sommes dans un monde en plein bouleversement politique et il serait dommageable que nos relations se réduisent à des accords commerciaux. Or, aux États-Unis, nous avons un président plus porté sur le commerce que sur les grands équilibres internationaux. Nous avons besoin d'y voir clair sur ce calendrier relationnel entre nos deux pays. Nous pouvons être un partenaire privilégié, mais nous pouvons aussi ne pas l'être, ce qui est loin d'être mon souhait, vous l'aurez compris.

M. Jean Bizet, président. - Des articles récents laissent penser que la Grande-Bretagne voudrait devenir une sorte de paradis fiscal, à l'instar de Singapour. Mais le Labour a dit qu'il ne voulait surtout pas s'engager dans cette voie. Nous souhaiterions vraiment y voir clair.

Lord Llewellyn. - Je vous rappelle que les négociations n'ont pas encore commencé. Ainsi, tout ce qui ressort des droits des travailleurs et des étudiants fera l'objet de discussions.

Avec le référendum, le peuple britannique a exigé que le Gouvernement dispose des moyens de dire qui va et qui vient au Royaume-Uni. Mais le référendum ne marque pas le repli sur soi de la Grande-Bretagne, car mon pays est ouvert et a toujours commercé en Europe et dans le monde. Cela fait partie de notre culture et de notre identité. Mais les Britanniques ont été clairs qu'ils ne veulent plus que les décisions de la Cour de Luxembourg ou du Parlement européen s'imposent à Westminster. En revanche, ils veulent continuer à accueillir les étudiants et les talents du monde entier. Laissons les négociations se dérouler.

Par ailleurs, le Gouvernement britannique a garanti aux étudiants des États membres candidatant à des études au Royaume-Uni pour l'année académique 2017-18 qu'ils continueront à être éligibles aux prêts et aux bourses dans les conditions actuelles, et ce pour la durée de leur scolarité. Pour la suite, cela fera partie des négociations.

En ce qui concerne la question de Madame la Sénatrice sur les fonds de pension, je tiens à préciser qu'une réunion se déroule aujourd'hui même entre les fonctionnaires du Trésor de nos deux pays pour parvenir à une solution. Mais je veux vraiment insister sur le fait que cela n'a strictement rien à voir avec le Brexit : cette décision a été prise en 2014 et il s'agit d'une question technique entre nos législations.

M. Bizet, la décision de recourir au référendum figurait dans le programme du Parti Conservateur. La loi sur l'organisation du référendum a été votée massivement par le Parlement britannique. Le Gouvernement avait clairement annoncé que le résultat du référendum serait respecté. La Cour Suprême a dit hier qu'il fallait un Act of Parliament, avant le déclanchement de l'article 50.

Pour l'avenir, nous voulons négocier un accord de libre-échange entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. La Première Ministre a été claire : elle a écouté et entendu le message des autres pays européens qui ont déclaré que les quatre libertés étaient indivisibles. Elle en a tiré les conséquences en déclarant que nous ne resterions pas dans le marché unique. Nous voulons en revanche conclure des accords de libre-échange avec d'autres pays dans le monde. Beaucoup de mes concitoyens ont estimé que notre appartenance à l'Union européenne a trop encadré et donc réduit nos liens commerciaux avec le reste du monde. Ils souhaitent donc que le Royaume-Uni soit en mesure de conclure de nouveaux accords.

M. Jean Bizet, président. - Vous pensez que le Royaume-Uni seul négociera mieux qu'à 28 ?

Lord Llewellyn. - Je décris ce qu'implique la décision du peuple britannique. C'était une des questions majeures lors du débat sur le référendum, et les Britanniques ont fait leur choix en toute connaissance de cause.

Le Royaume-Uni a des atouts forts : notre économie est très forte, nous avons un esprit d'entreprise reconnu et des liens partout dans le monde.

Mme May a dit la semaine dernière que nous voulions signer des accords de libre-échange avec d'autres pays dans le monde, ce qui n'était pas possible en restant dans l'Union européenne.

J'en viens à la défense : les accords de Lancaster House sont des accords bilatéraux, et la coopération entre nos deux pays est de plus en plus importante. C'est le cas dans la recherche, dans l'industrie mais aussi dans le domaine opérationnel entre nos deux forces armées. Nous allons déployer en Estonie, dans le cadre de l'Otan, 800 soldats britanniques aux cotés des 300 soldats français. Nous coopérons également au Mali, en Syrie et en Irak. De même, n'oublions pas que les dépenses militaires cumulées du Royaume-Uni et de la France représentent 50 % des dépenses européennes. Nous allons rester les deux puissances militaires d'Europe, avec les responsabilités que cela implique.

Les relations humaines sont évidemment importantes, madame la sénatrice. Les relations sont très étroites entre nos deux pays.

Nous voulons sceller un accord profitable à tout le monde : nous sommes optimistes car c'est dans l'intérêt de nos deux pays et de l'Union européenne toute entière, qu'il s'agisse des travailleurs ou des entreprises. Nous devrons continuer à travailler main dans la main sur le plan sécuritaire. Mme May a confirmé que le Royaume-Uni protégerait le droit des travailleurs. Avec de la bonne volonté, un esprit constructif et du donnant donnant, nous parviendrons à un bon accord.

M. Jean Bizet, président. - Merci pour cet échange, qui se poursuivra sans aucun doute. Vous serez bien sûr toujours le bienvenu.

M. Raffarin et moi-même emmenons une délégation dans quelques semaines à Londres et nous avons sollicité divers rendez-vous avec des ministres, mais nous n'avons pas reçu toutes les réponses. J'espère que vous nous y aiderez. Élu de Normandie, je sais ce que nous devons à nos amis d'Outre-Manche. Encore une fois, nous regrettons la décision du peuple britannique, mais il est dit que la décision des peuples est souveraine !

Europe croissance - Communication de MM. André Gattolin, Jean-Noël Guérini et Xavier Pintat

M. Jean Bizet, président. - L'Europe compétitive et créatrice d'emplois devra être l'un des axes forts de nos conclusions. Je remercie donc André Gattolin, Xavier Pintat et Jean-Noël Guérini d'avoir approfondi cette question.

Le chemin de la croissance et de l'emploi passe par un approfondissement du marché unique, l'harmonisation des marchés de capitaux, un marché unique du numérique et l'union de l'énergie. Ce peut être la vocation d'un petit groupe d'Etats déterminés, autour du couple franco-allemand, de construire une Europe plus compétitive en développant des actions communes dans ce sens et en progressant dans la convergence sociale et fiscale. L'Union européenne pourra appuyer efficacement leur démarche en poursuivant son soutien à l'investissement à travers un fonds Juncker de deuxième génération.

M. André Gattolin. - Le numérique est désormais tellement présent dans notre économie et notre société toute entière, qu'il n'est pas si facile de l'appréhender en quelques minutes. Je m'y essaie pourtant.

L'Europe, comme le reste du monde, est en pleine mutation numérique. La question qui se pose à elle, c'est comment ne pas subir ce bouleversement, mais bien en être un acteur des transformations économiques et un architecte de la société qui en sortira. Le numérique peut être un moteur pour la croissance sur notre continent !

Cette question se pose depuis plusieurs années déjà et a permis l'adoption en 2015 de la stratégie pour un marché unique numérique de l'Union européenne. Cette stratégie, si nous en avons dénoncé les limites dans le cadre des travaux que nous avons menés avec Colette Mélot, nous l'avons soutenue. Je pense qu'il faut que nous continuions à le faire pour permettre son achèvement. Je prends deux exemples très différents, mais qui illustrent les défis qui sont encore devant nous.

Le premier, c'est le statut de la donnée. La donnée est au centre de l'économie numérique. Elle en est le pétrole. Il y a la donnée personnelle, la donnée privée ou encore la donnée sociale. Or, elle n'est pas encore complètement encadrée juridiquement et surtout les conditions de sa circulation et de son usage ne sont pas assez définies. Il y a un régime européen de la donnée qui doit être renforcé, car on ne peut accepter que nos données partent aux États-Unis, où les grands groupes les exploitent et en tirent seuls le bénéfice.

Le second exemple, c'est la qualification des salariés. Le numérique transforme un grand nombre de métiers. Il faut accompagner ce changement. Et s'il détruit beaucoup d'emplois, il en créée aussi. Il y a et il y aura de nouveaux métiers. Il faut que l'ensemble des salariés européens soient formés à ce nouvel environnement. C'est une question de compétitivité pour notre économie et un enjeu pour des centaines de millions d'Européens.

Je pense aussi que l'internet mondial tend à se différencier d'une région du monde à une autre. Les États-Unis dominent bien sûr ce secteur, puisqu'ils en sont les initiateurs. Mais en réaction, la Chine et la Russie sont en train de régir différemment le fonctionnement d'internet à l'intérieur de leurs frontières. L'Union européenne doit, elle aussi, affirmer sa souveraineté en conformité avec ses valeurs démocratiques.

Elle doit tout d'abord édicter ses règles. Comme l'expliquait Benoît Potier quand nous l'avons auditionné, de par sa nouveauté, le numérique ne fait que peu l'objet de normes nationales. Alors, n'attendons pas et faisons le choix d'une régulation unifiée avec des normes et des standards européens !

Pour affirmer sa souveraineté, l'Europe doit aussi mieux protéger ses intérêts, ses entreprises et ses citoyens. J'évoque avec vous un aspect qui me tient à coeur, celui de la cybersécurité. On s'inquiète aujourd'hui de l'ingérence d'un État dans les élections d'un autre. Pour souligner le risque, je rappelle que plusieurs pays d'Europe tiendront chacun des élections majeures en 2017 : la France et l'Allemagne, bien sûr ; mais aussi les Pays-Bas et peut-être l'Espagne et l'Italie. Et si cet exemple est patent, il y a aussi ce qu'on dit moins. C'est-à-dire la cybercriminalité, les attaques contre les entreprises pour leur voler leurs idées, leurs brevets, parfois détourner des fonds et j'en passe. Je crains que nous ne soyons sur ce point encore trop candides. Et, sans tomber dans une forme de paranoïa, je pense qu'une véritable culture de la cybersécurité doit se développer en Europe.

Demain, nous emploierons des millions d'objets connectés. Imaginez qu'on puisse détourner une voiture connectée, arrêter un pacemaker à distance ou s'approprier les données de santé d'une personne. Qu'adviendrait-il ?

Enfin, mon troisième et dernier point concerne un projet industriel pour le numérique en Europe. Je pense que sur ce point, je rejoins les propositions de Jean-Noël Guérini sur la compétitivité. On ne développera pas de grands acteurs européens du numérique si nous n'en faisons pas plus en la matière.

L'intelligence, nous l'avons. La connaissance, nous l'avons. La créativité, nous l'avons. Des start-ups, nous en avons (la France avait le troisième contingent au sommet de Las Vegas derrière les États-Unis et la Chine). Mais elles ont du mal à grandir. Et quand elles y parviennent, elles sont rachetées par les leaders du marché, les américains. Résultat : les fameuses licornes, nous en avons peu ; et des poids lourds du secteur susceptibles de rivaliser avec les géants mondiaux, nous n'en avons aucun.

C'est pourquoi, la politique de la concurrence ne doit pas seulement se limiter à l'harmonisation du marché intérieur qui devient un self-service pour une partie de la planète et une prétendue défense du consommateur. Nous devons aussi favoriser le développement industriel. L'Union doit, soit développer des outils propres à soutenir l'objectif stratégique d'une industrie du numérique, soit autoriser les États à le faire.

Le poids et l'importance du budget européen sont très faibles et le plan Juncker présente certaines limites. Si le numérique est l'enjeu avec un grand « E », pourquoi ne pas prévoir que les États puissent pratiquer des aides d'État, ce qui n'est actuellement possible que dans le cadre de l'exception culturelle ? Pourquoi pas aussi envisager des crédits d'impôts sectoriels pour aider ces nouveaux acteurs économiques ? Le périmètre et le volume de ces aides pourraient être fixés par un accord entre l'Union et chaque État membre. Si l'Union européenne a un retard, c'est moins dans les usages de la technologie que dans les moyens mis pour développer cette économie, contrairement à ses concurrents.

M. Xavier Pintat. - Après André Gattolin, qui a évoqué le numérique, j'évoquerai pour ma part un autre secteur d'importance vitale tant pour l'économie que pour la sécurité de l'Europe : le secteur énergétique.

En effet, la refondation de l'Union européenne ne sera durable que si elle repose sur une économie forte. L' « Europe croissance » doit être fondée sur quelques piliers solides : l'Union de l'énergie est l'un de ces piliers.

Lancée, sur le fondement du traité de Lisbonne, par une communication de la Commission européenne du 25 février 2015, l'Union de l'énergie est la condition d'une Europe compétitive, indépendante de ses voisins, procurant un bénéfice directement perceptible au consommateur, tout en donnant corps aux objectifs climatiques que l'Union européenne s'est fixés, dans le cadre de l'accord de Paris.

L'Union de l'énergie doit apporter des réponses aux dysfonctionnements constatés du système électrique européen et permettre d'unifier des réglementations et marchés, actuellement encore cloisonnés, ce qui a d'importants coûts économiques, sociaux et environnementaux.

L'Union de l'énergie a aussi évidemment une dimension géostratégique.

En 2014, l'Union européenne a importé 53 % de sa consommation intérieure d'énergie.

Plus de 90 % du pétrole est importé, alors qu'il conserve un rôle stratégique pour les transports, l'industrie et la défense. Pour se fournir en gaz, l'Union dépend à près de 70 % de deux pays - la Russie et la Norvège.

Cette concentration des sources d'approvisionnement, auprès d'un nombre limité de partenaires, est un facteur de fragilité.

Les craintes concernant la sécurité de l'approvisionnement ont été renforcées par les conflits gaziers à répétition entre la Russie et l'Ukraine, depuis les années 2000, et leurs répercussions possibles dans les pays limitrophes.

C'est pourquoi une diversification des sources d'approvisionnement a paru souhaitable, notamment vers la Méditerranée, ainsi qu'un accroissement de la solidarité entre États membres, par multiplication des interconnexions.

L'Union de l'énergie était déjà un objectif ambitieux avant le Brexit. Demeure-t-elle réalisable sans le Royaume-Uni, l'un des principaux acteurs économiques et énergétiques de l'Europe ?

Le Royaume-Uni est l'un des principaux « hubs » énergétiques de l'Europe et il était, au moins jusqu'à récemment, l'un des plus engagés dans la réduction de ses émissions de CO2, avec des projets tels que le développement de l'éolien en mer, le remplacement du charbon par le gaz, et l'augmentation de la part du nucléaire dans la production électrique grâce notamment au projet Hinkley Point.

Selon les règles en vigueur, s'agissant des secteurs non couverts par le marché européen du carbone (transports, bâtiment, agriculture), les pays qui ont plus de PIB par habitant se voient attribuer des objectifs plus ambitieux que les autres, pour l'atteinte de l'objectif global de réduction de gaz à effet de serre dans ces secteurs (- 30 % en 2030).

Le départ du Royaume-Uni nécessitera donc un rééquilibrage douloureux entre États membres, sauf à revenir sur l'objectif global, ce qui constituerait un signal très négatif, alors que les incertitudes sur l'avenir de l'accord de Paris sont déjà grandes.

Mais surtout, le Brexit affaiblit considérablement le poids de l'Union européenne dans les négociations internationales, et notamment son rôle de leader dans le domaine climatique, pour lequel elle perd incontestablement une part de sa crédibilité.

Dans ce contexte, la solidarité européenne dans le domaine de l'énergie doit être sans failles.

Je voudrais simplement suggérer ici trois orientations.

En premier lieu, une réflexion globale sur la diplomatie énergétique européenne est nécessaire.

Les grands Etats font de cette diplomatie une composante essentielle de leur politique étrangère.

L'Union européenne, a malheureusement connu en la matière des orientations discordantes, par exemple lors de la mise en oeuvre du projet Southstream, finalement abandonné par la Russie, au profit d'un projet de gazoduc vers la Turquie.

La Commission européenne a dénoncé six accords bilatéraux conclus entre des États membres et la Russie, comme non conformes aux normes européennes.

Southstream a par ailleurs contribué à mettre en sommeil le projet européen Nabucco, qui devait permettre une diversification des sources d'énergie.

La question se pose aussi à propos du projet Nordstream 2, consistant à renforcer les capacités du gazoduc déjà existant entre la Russie et l'Allemagne et dont la Commission estime qu'il ne ferait qu'accroître des capacités de transport qu'elle juge déjà excessives.

Sur le fond, nous ne pouvons pas, dans le cadre du travail que nous menons, nous prononcer sur la pertinence de tel ou tel projet énergétique.

Mais, comme nous l'avons rappelé lors du vote de la résolution européenne, adoptée par le Sénat le 11 avril 2016, à l'initiative de la commission des affaires européennes, la Commission européenne doit agir dans le respect du principe de subsidiarité et, en l'espèce, du droit des États membres, garanti par les traités européens, à déterminer la structure générale de leur approvisionnement énergétique.

Il ne s'agit donc pas de donner tout pouvoir de contrôle à la Commission, mais d'inciter les États membres à mieux coordonner leurs initiatives dans le domaine énergétique, en particulier à l'international. C'est aussi un enjeu de puissance pour l'Europe.

En second lieu, l'Union européenne doit conserver son rôle moteur dans la lutte contre le changement climatique, en encourageant le développement de certaines technologies d'avenir.

Parmi l'ensemble des chantiers lancés par l'Union européenne - dont la réforme essentielle du système d'échanges de quotas d'émissions de gaz à effet de serre - l'accent devrait être mis sur le développement de certains secteurs d'avenir, dont le potentiel de croissance est important.

Je pense ici à toutes les technologies qui permettent d'accroître l'efficacité énergétique, au bénéfice du consommateur, notamment les réseaux électriques de distribution dits « intelligents » (smart grids), utilisant des technologies informatiques d'optimisation de la rencontre entre offre et demande, ou encore les dispositifs de stockage de l'énergie, qui nécessitent encore d'importants efforts de recherche & développement.

L'effort de coordination européenne dans ce domaine n'est toutefois pas à la hauteur de la concurrence internationale.

Nous risquons ainsi, comme dans le numérique, de ne pas pouvoir développer suffisamment rapidement des chaînes industrielles véritablement compétitives, nous laissant longtemps encore dépendants des technologies chinoises ou américaines.

Enfin, dans cette période difficile du Brexit, la poursuite d'une politique volontariste de l'Union européenne en direction d'une transition énergétique compétitive doit aller de pair avec suffisamment de circonspection dans les réformes qui touchent à certains grands équilibres politiques, économiques et sociaux. Tel devrait être le cas par exemple en ce qui concerne les tarifs réglementés de vente d'électricité pour les consommateurs résidentiels.

Là où les Etats ont estimé devoir les maintenir, ceux-ci protègent les citoyens-consommateurs contre des fluctuations de prix trop importantes dans ce domaine si sensible pour la vie quotidienne, et il conviendra de le garder bien présent à l'esprit.

Voilà, Messieurs les Présidents, mes chers collègues, les premières orientations qu'il me semblerait utile de privilégier dans ce nouveau contexte.

M. Jean-Noël Guérini. - Messieurs les présidents, mes chers collègues, au-delà du marché unique du numérique et de l'Union de l'énergie qui peuvent incarner une nouvelle ambition industrielle européenne, l'Union européenne doit se doter d'instruments au service de cette politique.

Trois leviers devraient aujourd'hui être actionnés : la concurrence, la fiscalité et l'investissement.

En ce qui concerne la concurrence, nous ne pouvons continuer sur la base schizophrénique actuelle, qui consiste à ouvrir toujours plus nos marchés et, dans le même temps, à empêcher la constitution de grands groupes européens.

André Gattolin a abordé, il y a quelques instants, la question du numérique. Jamais, compte-tenu des règles actuelles de la politique de la concurrence européenne, un Google européen n'aurait pu émerger. L'action de la Commission apparaît aujourd'hui contre-productive, quel que soit le secteur.

En matière agricole, un groupe de travail mis en place par la Commission est ainsi arrivé à un constat déjà partagé par la plupart des acteurs : la politique de la concurrence favorise à juste titre le consommateur mais empêche tout regroupement de producteurs.

Dans ces conditions, il s'agit de promouvoir une politique de la concurrence dynamique. Elle passe par une révision de la notion de marché pertinent. Le marché européen n'est pas isolé, il s'intègre au marché mondial. La politique de la concurrence doit être au service de la politique industrielle européenne et non lui porter préjudice. Elle doit faciliter l'émergence de champions européens.

Il paraît également opportun de demander une révision des critères d'examen par la Commission européenne des aides d'État :

- la concurrence internationale devra être prise en compte dans l'analyse préalable des éventuelles sanctions ;

- l'aide d'État devrait également être envisagée comme un levier pour l'investissement privé dans des secteurs à fort potentiels de croissance : je pense aux biotechnologies, au numérique, aux technologies « vertes », industrie 4.0... ;

- à l'image des dérogations en faveur des réformes structurelles et de l'investissement dans le Pacte de stabilité et de croissance, les aides d'État pourraient être autorisées si elles concourent directement aux objectifs industriels de l'Union européenne.

L'Union européenne s'est dotée, en 2008, d'un « Small business act » (SBA) en faveur des petites et moyennes entreprises. Mais l'ensemble tient plus d'une série de recommandations que de normes favorables aux PME, contrairement au Small business Act américain.

Il convient d'aller plus loin et d'envisager, comme le font les États-Unis, de réserver une partie de la commande publique des Etats membres à leurs petites et moyennes entreprises.

Rappelons que les entreprises employant moins de 250 personnes et dont le chiffre d'affaires n'excède pas 50 millions d'euros, représentent 99 % des entreprises européennes et emploient presque 70 % de la main d'oeuvre du secteur privé.

Le SBA européen doit par ailleurs être enrichi de dispositions facilitant l'accès aux financements, l'aide à l'exportation et le développement de guichets uniques.

Toute ambition industrielle passe également par un rapprochement des fiscalités. Un grand groupe européen ne pourra réellement se développer et tirer profit des potentialités offertes par plusieurs Etats membres que s'il peut s'appuyer sur une fiscalité à la fois favorable à l'investissement et harmonisée de part et d'autre de l'Union. Après une tentative avortée en 2011, la commission a publié le 26 octobre dernier une proposition de directive européenne tendant à uniformiser l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Cette approche doit également permettre de lutter contre la concurrence fiscale entre Etats membres et les phénomènes d'optimisation.

Une harmonisation progressive de la fiscalité des entreprises, du travail et du capital devrait être recherchée. Le couple franco-allemand peut faire, à cet égard, figure de laboratoire.

Le troisième moyen d'action concerne l'investissement.

La création du Fonds européen d'investissement stratégique par l'actuelle Commission constitue un premier pas. L'augmentation annoncée de sa capacité d'intervention va incontestablement dans le bon sens. Elle doit être doublée d'une vaste réflexion européenne sur la levée des obstacles réglementaires aux investissements.

Cela passe notamment par l'achèvement du projet d'Union des marchés de capitaux, en insistant sur l'utilisation de l'épargne individuelle, la mise en avant du financement durable en faveur de l'investissement dans les technologies vertes ou l'encouragement au développement des technologies financières ou FinTech, qu'il s'agisse du paiement ou de l'affacturage en ligne ou du financement participatif, avec la création d'un cadre européen adapté, assurant la protection des acteurs.

Au-delà de l'aide à certains secteurs, il apparaît indispensable que l'investissement public européen soit au service de la création de véritables écosystèmes, à l'image de la Silicon Valley.

Il s'agit d'y réunir grandes entreprises, start-up, universités, centres de recherche et financiers.

Ces écosystèmes devront, par la suite, être mis en réseau au niveau européen. Cette connexion pose la question d'un statut européen d'entreprise extraterritoriale. Elle devra être accompagnée d'une coordination des programmes de recherche entre les universités européennes.

M. Jean Bizet, président. - Je remercie nos trois rapporteurs pour ces contributions. Quelqu'un souhaite-t-il ajouter quelque chose ?

M. André Gattolin. - Je pense qu'il faut rester prudent vis-à-vis du plan Juncker. Certes, la première phase a bien marché et particulièrement pour la France. Mais si plusieurs projets ont été retenus, c'est parce qu'ils existaient déjà avant l'adoption du plan et qu'ils ont bénéficié d'un fort abondement de fonds de la part de la Banque européenne d'investissement. Pour les deuxième et troisième phases, cela pourrait être plus compliqué, en particulier pour la levée de fonds privés avec un effet de levier qui pourrait être moins efficace. Je crois que ce plan est important, mais il ne peut être un substitut à une véritable stratégie industrielle pour l'Union européenne.

M. Jean Bizet, président. - C'est vrai qu'il faudra que nous soyons inventifs, plus sélectifs et aussi plus prospectifs. Dans le domaine agricole, il y a des choses à faire et j'y travaille. Pour les start-ups, peut-être pourrions-nous nous appuyer sur les incubateurs qui sélectionnent déjà les plus prometteuses d'entre elles.

Merci pour ces propositions qui vont nourrir notre travail final.

La relation franco-allemande - Communication de MM. Claude Kern et Jean-Pierre Masseret

M. Jean Bizet, président. - Dès le lancement de nos travaux, nous avons souhaité réserver une place spécifique à la relation franco-allemande. Sans le moteur franco-allemand, l'Europe n'avance pas. Dans un monde où la fragmentation menace, c'est au couple franco-allemand, comme par le passé, de montrer la voie de l'unité européenne et de proposer des projets mobilisateurs.

Or aujourd'hui la relation paraît déséquilibrée au profit de l'Allemagne et les deux pays ont bien du mal à être à l'initiative ensemble. C'était donc tout l'intérêt du déplacement que nous avons effectué à Berlin d'échanger avec nos amis allemands, notamment avec le ministre des Finances M. Schäuble. Je remercie nos collègues Claude Kern et Jean-Pierre Masseret d'avoir approfondi la question pour nous faire des propositions concrètes. Nous entendrons aussi avec l'intérêt l'analyse avertie de notre collègue Jean-Marie Bockel qui a participé à notre déplacement.

M. Claude Kern, rapporteur. - Avant que mon collègue Jean-Pierre Masseret ne revienne plus précisément sur les enseignements de la mission de notre groupe à Berlin des 15 et 16 janvier, je souhaiterais tenter de remettre en perspective le fameux « couple franco-allemand ».

Nous connaissons son acte de naissance emblématique, à savoir le Traité de l'Élysée signé le 22 janvier 1963 qui poursuivait trois objectifs : sceller la réconciliation franco-allemande, créer entre les deux pays une véritable amitié et favoriser la construction de l'Europe unie, qui est le véritable but des deux peuples.

Nous nous rappelons aussi des riches heures de ce couple qui a joué un rôle majeur dans les grandes avancées de la construction européenne : l'Acte unique européen, le Traité de Maastricht ou plus récemment, la mise en place de l'Union bancaire.

Nous nous plaisons à y repenser mais il faut avouer que depuis quelques années, il est aussi possible de s'interroger sur la réalité du couple franco-allemand au sein duquel les signes de déséquilibres se multiplient. Lors de crises récente - celle de la Grèce et puis celle des migrants - les décisions fondamentales semblaient prises par l'un des deux au sein du couple.

De façon plus structurelle, on constate aussi depuis dix ans une forte divergence entre nos deux économies en termes de croissance, de chômage, de compétitivité et d'équilibre financier.

Peut-on encore parler d'un couple franco-allemand ? Quel peut-être son rôle ? Ces questions se posent désormais. C'était d'ailleurs le thème d'un dîner réunissant un grand nombre d'eurodéputés des deux pays que nous avions organisé, lors du déplacement de notre groupe de suivi à Strasbourg le 21 novembre dernier.

Je ne m'appesantis pas davantage sur l'état des lieux car nous le connaissons et nos travaux visent surtout à réfléchir à la « refondation de l'Europe après le Brexit », c'est à dire à l'avenir.

Sur ce point, je souhaiterais partager avec vous plusieurs observations.

Tout d'abord, qu'on le déplore ou que l'on se félicite, il n'existe pas d'alternative au moteur franco-allemand pour l'Europe. Est-ce à dire qu'il est appelé à fonctionner de toutes façons et que nous n'avons pas de souci à nous faire ? Je ne crois pas. Bien au contraire, cela signifie que si le moteur franco-allemand est en panne, c'est l'Europe qui est menacée. Le poids de notre coresponsabilité est donc considérable.

Ensuite, je ne peux m'empêcher de rappeler ce qui fait l'importance vitale de ce couple franco-allemand pour l'Union. Il y a déjà, tout simplement, le poids de nos deux puissances cumulées qui font de la France-Allemagne le troisième bloc économique mondial derrière les États-Unis et la Chine. C'est une réalité qui est loin d'être négligeable au moment où l'on assiste à une forme de retour de l'équilibre des puissances entre des États-continents.

Mais, plus fondamentalement, si la France et l'Allemagne jouent ce rôle au sein de l'Union européenne ce n'est pas parce que ces deux pays seraient différents des 25 ou 26 autres. C'est au contraire parce qu'ils sont différents l'un de l'autre. Lorsqu'un compromis franco-allemand existe, il n'est en général pas trop loin d'un point de ralliement possible, d'une base de travail acceptable à la fois par, l'Europe dite « du nord » et l'Europe dite « du sud ». C'est une réalité qu'il nous faut sans cesse rappeler à nos partenaires. Car certains, en particulier parmi les nouveaux pays qui n'ont pas toujours l'expérience de ce moteur franco-allemand, peuvent en douter. Et puis, faisons aussi notre mea culpa en reconnaissant que parfois, les accords entre la France et l'Allemagne ont davantage consisté en un compromis entre deux intérêts nationaux plutôt que définis dans l'intérêt européen.

Un autre ressort du moteur est qu'en voyant la France et l'Allemagne faire l'effort de transcender leurs différences, les autres États membres sont encouragés à faire de même. Tel est le rôle d'entraînement du fameux moteur. Il en est ainsi depuis le début de la construction européenne, fondée sur la volonté de réconciliation entre les pays.

Enfin, si le moteur franco-allemand est essentiel, il ne doit néanmoins pas être exclusif. Il doit être ouvert sur d'autres partenaires sous différents formats : triangle de Weimar avec la Pologne, zone euro, espace Schengen, etc.

De même, le couple franco-allemand est sans doute le point de départ idéal pour nouer les fameuses coopérations renforcées pour faire avancer l'Europe dans certains domaines où il est difficile d'avancer à 27.

Quand je dis que le couple franco-allemand ne doit pas être exclusif, c'est que j'espère qu'il ne soit pas le seul moteur disponible pour faire décoller l'Europe. Le moteur franco-allemand est indispensable et sans doute irremplaçable. Cela ne signifie pas qu'il soit toujours suffisant !

Je cède la parole à Jean-Pierre Masseret qui rentre de Berlin en espérant qu'il nous apporte de bonnes nouvelles.

M. Jean-Pierre Masseret. - Je vais vous faire un rapide compte rendu des entretiens que nous avons eus à Berlin sur ces deux thèmes : le Brexit et la Refondation de l'Union européenne.

Sur le Brexit, il est clair que nos interlocuteurs allemands partagent nos vues. C'est-à-dire qu'il est nécessaire d'être ferme dans la négociation, qu'il n'est pas question que la situation de la Grande-Bretagne dans la période transitoire ou dans l'après Brexit soit plus favorable que lorsqu'elle était membre de l'Union européenne. Donc les quatre libertés ne sont pas négociables, il faudra tenir bon sur ce point.

Mais dans le même temps, nos interlocuteurs allemands lorsqu'ils abordent les questions de défense ou de sécurité, ou encore de diplomatie, rappellent que, dans ces domaines, la Grande-Bretagne est un vrai partenaire. On l'a vu tout à l'heure avec l'ambassadeur de Grande-Bretagne. On voit bien que dans la résolution des défis que représentent l'évolution de l'OTAN, la diplomatie, les relations avec la Russie, la situation en Syrie et en Irak, la Grande-Bretagne a un rôle à jouer ce qui peut lui permettre de peser sur les discussions et les négociations du Brexit. C'est un élément qui peut contribuer à diviser les 27 États membres, et on peut compter sur la Grande-Bretagne pour user de toutes les ressources possibles pour défendre au mieux ses intérêts. Il faut avoir cela présent à l'esprit : le couple franco-allemand partage une même vision du Brexit mais, dans la discussion, il lui faudra vraiment tenir bon et ne pas se laisser diviser lors de négociations sur des questions ponctuelles, sur l'un ou l'autre des sujets que je viens de mentionner.

Nous ressortons d'ailleurs des entretiens de Berlin avec la conviction que, pour l'Allemagne, l'intérêt premier est l'intégrité de l'Union européenne et l'union des 27 États membres. Il a même été dit que ceci primait sur les intérêts économiques de l'Allemagne, voire des autres pays membres. On entend là que des évolutions sont possibles, que des discussions peuvent être ouvertes pour maintenir la cohésion des 27 États membres.

Sur la Refondation, j'ai trouvé nos partenaires allemands probablement moins volontaristes que les Français. Nous sommes beaucoup plus volontaristes, nous avons des visions politiques que l'on souhaite voir traduire dans l'organisation du projet européen. Les Allemands m'ont semblé moins allants. Il nous a été répété systématiquement qu'avant d'envisager des évolutions ou une refondation de l'Union européenne il était nécessaire de respecter les règles actuelles, c'est-à-dire de respecter les limites encadrant le déficit et la dette publics. Wolfgang Schaüble, ministre de l'économie, l'a rappelé mais peut-être pas de la façon la plus ferme. Il a en effet reconnu lors de la discussion que les États membres n'étaient pas tous dans la même situation et qu'il y avait peut-être une marge de discussion, sans toutefois aller plus loin sur cette voie.

En tout cas, pour nos interlocuteurs, le couple franco-allemand est indispensable. Mais, comme notre collègue vient de nous le dire, le couple franco-allemand ne fonctionne plus. Il y a un effacement de la France. Or, l'Allemagne n'a pas forcément envie d'occuper un poste de leader, telle n'était pas son intention initiale. Dans ce contexte, l'effacement de la France porte préjudice au couple franco-allemand ; et nous attendons tous d'ailleurs qu'après les élections en France et en Allemagne en 2017 puisse s'établir un projet pour cinq ans porté par nos deux pays.

La rencontre avec les fondations allemandes, qui jouent des rôles importants dans ce pays a été très intéressante. Nous avons dressé le constat, partagé, que l'Union européenne était en perte de vitesse, qu'elle avait perdu la confiance des peuples, que les espérances étaient évanouies et que la légitimité même de l'Union européenne était contestée par les peuples et par des dispositions gouvernementales assez inquiétantes.

En termes de méthodologie, on nous a beaucoup parlé de la « politique des petits pas ». Si cette voie ne doit pas être négligée elle n'est pas suffisante. La politique européenne apporte de la valeur ajoutée à des politiques nationales, sans doute ! Mais pour ma part je pense qu'il faut avoir une vision plus générale. On ne peut pas se satisfaire d'aborder la Refondation de l'Union européenne par des « petits pas » un peu technocratiques. Il nous faut avoir une vision politique ! Et la France et l'Allemagne ont les moyens de poser le problème de la Refondation à partir des valeurs universelles de l'Europe. Il faut bien que l'Europe se distingue dans l'organisation du monde pour en être un acteur respecté et respectable, et ses valeurs sont précisément les instruments et les outils à partir desquels cela est possible.

Au-delà de ces « petits pas », une réflexion sur les enjeux du XXIe siècle m'apparaît nécessaire. Qu'est-ce que le monde du XXIe siècle ? À quoi ressemble le monde tel qu'il est en train de s'organiser ? Ce matin, nous entendions en audition Mme Nicole Fontaine, ancienne présidente du Parlement européen, et des professeurs. Nous sommes d'accord, je crois, pour dire que nous sommes en train de solder l'après-guerre et il s'agit d'organiser maintenant cette relation mondiale géopolitique nouvelle. C'est là que l'Union européenne doit avoir un projet fondé sur des valeurs intégrant les problématiques que nos collègues ont évoqué dans leur communication : la politique industrielle, la politique numérique, les problèmes de formation etc.

Il serait souhaitable qu'à l'automne prochain, la France et l'Allemagne soient capables de poser, ce qu'on appelle aujourd'hui, une feuille de route, fondée sur des valeurs, qui offre des perspectives, qui donne une vision non technocratique, une vision encourageante aux citoyens européens. On ne peut pas aujourd'hui faire l'impasse sur les approches « identité et souveraineté nationales » et sur la façon dont on fait aujourd'hui démonstration qu'à cette identité nationale, une identité européenne s'ajoute et qu'à une souveraineté nationale une souveraineté européenne vient s'ajouter, de façon à ce que les politiques nationales et les politiques européennes convergent et aillent dans le même sens !

M. Jean-Marie Bockel- Ce déplacement à Berlin était effectivement très intéressant. À titre personnel, je l'ai d'ailleurs mis en regard du déplacement effectué en décembre au titre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui nous avait permis d'aborder les enjeux de défense avec nos collègues du Bundestag. Lors de la réunion de décembre, qui a eu lieu avant les terribles attentats qui ont frappé Berlin, nos collègues allemands étaient dans l'état d'esprit visant à s'impliquer davantage sur les enjeux de défense, à renforcer notre partenariat dans le domaine de la sécurité. Lors de la réunion de janvier, il m'a semblé qu'il y avait en toile de fond la réflexion sur le différentiel économique entre la France et l'Allemagne qui évidemment freine les choses.

Pour autant, je m'attendais à ce que nous soit présentées des positions plus fermées sur le partenariat franco-allemand. Je travaille sur ce thème depuis déjà 35 ans, et depuis quelques temps il me semblait percevoir une moindre adhésion, une moindre croyance à cette démarche franco-allemande, au-delà même du différentiel économique que j'évoquais tout à l'heure. Les Allemands étaient sur d'autres tropismes, vers l'Europe centrale notamment. J'ai donc été presque surpris à Berlin d'avoir des interlocuteurs qui malgré les différences, malgré les freins, semblent de nouveau croire au moteur franco-allemand. Cela vaut d'ailleurs pour les interlocuteurs de haut niveau qui nous ont reçus mais aussi pour les parlementaires que l'on peut rencontrer dans d'autres enceintes.

Dans le cadre des auditions de notre groupe de suivi qui sont très denses, nous entendons parfois des propos inverses qui pouvaient laisser penser qu'on ne pouvait plus parler de couple franco-allemand. Rappelez-vous de l'audition d'Hubert Védrine. Ces propos sont souvent très intéressants mais peut-être pas toujours justes. Plusieurs fois, lors de nos entretiens à Berlin, je me suis dit que les raisonnements qui battaient en brèche le couple franco-allemand étaient mis à mal. Il est évident, que lorsque nous rencontrons nos interlocuteurs allemands, chacun envie de faire un pas vers l'autre. Wolfgang Schaüble a été formidable dans ce domaine, nous tendant des perches, prenant le temps de nous recevoir longuement. J'ai vraiment perçu comme un signal, comme une opportunité, comme l'ouverture d'une fenêtre pour une action franco-allemande. Cela me semble très important. C'est ce type de démarche qui peut contribuer à refonder l'Europe.

Par ailleurs, les fondations étaient là dans leur diversité politique et leurs discours étaient convergents en ce sens.

M. Jean-Pierre Masseret. - Un complément simplement. Je n'ai peut-être pas assez dit que la grande préoccupation des Allemands est la sécurité, l'immigration et le terrorisme. Cela a pris le pas pratiquement sur tous les enjeux, même économiques.

M. Jean-Marie Bockel. - Je partage tout à fait cette remarque.

M. Jean Bizet, président. - Nous avons effectivement ressenti à Berlin une certaine inflexion dans le discours de nos amis allemands. Bien sûr, le respect des règles actuelles reste essentiel mais la lutte contre le terrorisme devient une priorité et il est donné crédit à la France d'être toujours demeurée très engagée dans ce combat.

Nous avons aussi perçu que tout en reconnaissant l'importance des relations avec nous, l'Allemagne s'inscrivait aujourd'hui dans une relation sans doute moins exclusive.

La réunion est close à 16 h 45