Mercredi 19 avril 2017

- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -

Les nouvelles technologies au service de la modernisation des territoires - Présentation du rapport d'information de MM. Jacques Mézard et Philippe Mouiller

M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous examinons aujourd'hui le rôle des nouvelles technologies sur la modernisation des territoires. Évoquer la fin du cumul des mandats est une chose, la vivre en est une autre ; c'est un véritable choc. La prise de distance s'effectue très vite. Notre délégation jouera donc un rôle important de lien avec la réalité du terrain.

Nous connaissons le discours convenu sur les nouvelles technologies grâce auxquelles les territoires auraient un développement harmonieux. En réalité, les villes moyennes concentrent les compétences, les forces vives, les capitaux et les innovations. C'est un sujet crucial.

M. Jacques Mézard, co-rapporteur. - À l'occasion d'une réunion de notre délégation, j'avais souhaité que nous puissions étudier les nombreuses innovations technologiques portées par des collectivités territoriales très diverses. Cette capacité d'innovation est trop souvent méconnue, alors que de nombreuses initiatives réussissent ; les associations d'élus ne la mettent pas suffisamment en exergue.

Cette intelligence territoriale s'exerce dans des domaines divers : l'aménagement numérique, l'énergie, le transport et la mobilité, la gestion des déchets, la santé ou encore la sécurité. Les collectivités ont compris qu'investir dans les nouvelles technologies était devenu une condition de modernisation des territoires. Ces nouvelles technologies sont particulièrement présentes dans certains territoires, et malheureusement absentes dans d'autres, en situation de fragilité accélérée. Elles seront un enjeu pour les mois et les années à venir. Les territoires intelligents sont cruciaux pour les collectivités, qui doivent réussir à réaliser leurs projets.

Le numérique est certes important mais ce n'est pas le seul exemple qui bouleverse nos politiques publiques : services en ligne dématérialisés, éclairage public intelligent, collecte de données pour gérer en temps réel la production et la consommation d'énergie, capteurs pour mesurer la qualité de l'air, offre de transports collectifs au plus près des besoins des usagers, stationnement intelligent, collecte des déchets intelligente, plateformes numériques de participation citoyenne, services de télémédecine, surveillance des risques d'incendies par drones, vidéo-protection... La liste est longue et loin d'être exhaustive.

Ces nouveaux usages ne sont pas sans conséquences. Certes, ils obligent les collectivités à s'adapter et à se moderniser. On observe un besoin évident de créer de nouveaux liens avec le terrain. Mais ces nouveaux usages sont surtout une source d'économie et une réponse à nos difficultés budgétaires. Lorsqu'une municipalité choisit d'installer un détecteur de présence dans les vestiaires des bâtiments sportifs communaux, elle peut optimiser l'utilisation du chauffage ou des lumières et réduire sa facture énergétique. Nous assistons à une phase de transition. L'utilisation de ces innovations s'accélérera, voire explosera dans les prochaines années ; nous aurons demain des ordinateurs quantiques !

Nous avons souhaité, avec Philippe Mouiller, présenter des exemples concrets de bonnes pratiques locales qui témoignent de la diversité de nos territoires et de leur capacité d'innovation. Nous croyons à la pédagogie par l'exemple. Mettre en valeur de bonnes pratiques pour encourager la diffusion des innovations nous parait bien plus pertinent que de proposer toujours plus de normes. Notre délégation devrait régulièrement faire le point sur ces capacités d'innovation technologique dans les collectivités, et promouvoir ses travaux.

M. Philippe Mouiller, co-rapporteur. - Nos collectivités sont de véritables incubateurs de l'innovation. On oublie souvent qu'avant les réseaux d'information et de communication numérique, elles ont porté le développement des réseaux d'eau, d'énergie ou de transport. Oui, la transformation durable de notre société et de notre économie ne pourra se faire qu'avec l'appui des collectivités territoriales. Développer les nouvelles technologies est certes un objectif économique : les gisements d'emplois sont considérables et nous avons sur notre territoire des entreprises locales particulièrement performantes. Nos start-up sont parmi les meilleures au monde et méritent d'être encouragées. Mais développer les nouvelles technologies est aussi un objectif social et écologique. La liste des avantages liés à la révolution numérique est longue : une gestion plus économe des ressources, des services publics plus performants, une empreinte écologique moins lourde, un entreprenariat local plus dynamique. Surtout, en favorisant le déploiement de nouvelles technologies, les collectivités rendent un meilleur service public et simplifient la vie quotidienne des usagers.

Nous avons souhaité, sans parti pris idéologique, répertorier des projets innovants actuellement déployés en espérant que ces pépites technologiques pourront inspirer les décideurs publics locaux de demain. Les exemples présentés doivent être pris pour ce qu'ils sont : des projets territorialisés. Il ne s'agit pas d'imposer les mêmes solutions partout. Les dynamiques de modernisation sont diverses, variables selon les histoires, les ressources, et surtout suivant ceux qui les initient et les portent dans les territoires. Nous faisons confiance à l'intelligence territoriale, selon la formule consacrée dans notre délégation. Nous les avons classés par grandes thématiques en reprenant la méthode originale de la contribution de notre délégation aux travaux de la Conférence de Paris sur le climat (COP 21) : l'accès à l'information, l'énergie, les transports, la gestion des déchets, la simplification administrative, la santé et l'aide aux personnes âgées, la sécurité. Dans tous ces domaines, les nouvelles technologies peuvent améliorer l'exercice des politiques publiques. Ces innovations accompagnent déjà une révolution quasi civilisationnelle vers des territoires connectés, intelligents, plus respectueux de l'environnement et offrant toujours plus de services à nos concitoyens.

En reliant les innovations portées dans chacun de ces domaines, nous pourrons surtout tracer les lignes de la ville du futur. À quoi ressembleront ces territoires de demain ?

M. Jacques Mézard, co-rapporteur. - Vous trouverez dans le rapport toute une palette d'innovations. Les territoires de demain seront d'abord des territoires connectés qui, grâce aux technologies de l'information et de la communication, seront interactifs. Ils pourront ainsi gérer en temps réel une série de services : stationnement, transport, énergie, tourisme, santé, sécurité, consommation, etc. Encore faut-il que chacun dispose de réseaux et d'une bonne couverture numérique. Hélas, la fracture numérique persiste dans notre pays. De nombreux élus sont exaspérés par l'insuffisance de la couverture numérique, en matière de téléphonie mobile ou de fibre. Certains territoires ont même régressé, ce qui a été très mal vécu par nos concitoyens. La France est à la quarantième place en matière de couverture téléphonique mobile. Les opérateurs ne sont pas toujours au rendez-vous - malgré un bénéfice de 2,7 milliards d'euros pour Orange en 2016 : on peut être en bonne santé financière sans pour autant assurer une bonne couverture territoriale... Les opérateurs arguent de difficultés techniques, mais en réalité c'est la rentabilité commerciale qui prime. L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) reconnaît que les zones blanches sont trop nombreuses, et beaucoup de nos concitoyens manifestent leur impatience d'être couverts ou raccordés.

Nous saluons les initiatives des collectivités qui, face à des opérateurs n'ayant aucune intention d'investir, assurent elles-mêmes l'aménagement numérique du territoire et l'accès au très haut débit. C'est le cas du syndicat mixte fibre numérique dans le Pas-de-Calais, du syndicat intercommunal d'énergie et de communication de l'Ain, du syndicat mixte de la Manche, auxquels se sont associées des collectivités territoriales pour assurer la couverture numérique, y compris dans les territoires les plus reculés.

Désormais, les infrastructures numériques sont une des conditions d'attractivité d'un territoire. Avec l'un des réseaux les plus performants qui soient, Singapour est la référence mondiale. C'est pour cela que Paris investit massivement dans le déploiement du wi-fi public ; Meyrargues, dans les Bouches-du-Rhône, est la première ville à expérimenter un réseau « li-fi », technologie qui utilise les infrastructures d'éclairage public existantes - les lampadaires - équipées de diodes électroluminescentes (LED) pour transmettre, par la lumière, des données numériques sur les smartphones. Nous avons essayé de repérer les exemples pouvant être utilement dupliqués, et ce rapport se veut une mine d'informations.

Les territoires de demain seront aussi des territoires à haute efficacité énergétique. Grâce aux nouvelles technologies, ils seront plus économes en énergies fossiles, moins émetteurs de gaz à effet de serre, plus ouverts aux énergies renouvelables. Grâce au numérique, les réseaux d'énergie deviendront surtout plus intelligents. Les smart grid (réseaux intelligents) permettent déjà, grâce à des milliers de capteurs faisant remonter des millions d'informations - ce qu'on appelle le big data - un pilotage optimal en temps réel de la production et de la consommation d'énergie. Ainsi, des maisons intelligentes peuvent produire plus d'énergie qu'elles n'en consomment.

À Issy-les-Moulineaux, la domotique a été mise au service de l'ajustement des consommations énergétiques dans certains logements. À Rennes, un programme expérimental est déployé à l'échelle d'un quartier pour garantir, grâce à la collecte de données, l'autoconsommation et l'ajustement en temps réel de la production et de la consommation d'électricité photovoltaïque. La collecte de données devient un levier majeur d'économies d'énergie et de nombreuses municipalités, à l'image du Chesnay, dans les Yvelines, l'utilisent pour réduire la consommation dans les bâtiments publics. Les collectivités investissent de plus en plus le terrain de l'éclairage public. À Chartres, l'utilisation d'une solution intelligente d'éclairage public, dite smart lighting, également utilisée par la ville de Los Angeles, et reposant sur un bouquet de technologies innovantes - luminaires LED, détecteurs de présence, télégestion - a réduit les consommations énergétiques.

Les territoires de demain encourageront la mobilité durable. Comme le disait notre collègue Louis Nègre, président du Groupement des autorités responsables de transport (Gart), la période du tout-voiture est révolue. Nos villes doivent répondre au problème de la congestion urbaine et aux externalités qu'elle engendre en matière d'environnement ou de santé. Nous développerons les transports publics de demain grâce aux nouvelles technologies avec des transports qui, comme à Saint Etienne, s'appuieront sur des applications délivrant une information multimodale, offrant à l'usager la liberté de choisir le mode de déplacement optimal mais également d'acheter ses titres de transport en ligne et de les valider.

Les applications mobiles pourront être mobilisées, comme à Calais, pour gérer le stationnement grâce à l'échange d'informations. Concrètement, l'application permet aux utilisateurs, en fonction de leur profil, d'être guidés vers des places libres ou vers les rues où la probabilité de trouver une place est la plus forte, diminuant ainsi les temps de recherche de places de stationnement, la congestion et les rejets de dioxyde de carbone.

Les transports de demain seront plus propres, à l'image des transports publics fonctionnant à l'hydrogène déployés depuis un an par la métropole de Nantes. Ils reposeront aussi, et de plus en plus, sur des véhicules autonomes, à l'image du bus sans chauffeur expérimenté depuis cette année par la métropole du Grand Lyon dans le quartier Confluence. Aujourd'hui, la plupart des acteurs du marché de la conduite autonome sont américains (Google, Apple, Tesla,...), et il faut encourager nos entreprises françaises à investir dans ces secteurs.

Les expériences étrangères peuvent nous inspirer. Ainsi, Amsterdam teste un stationnement intelligent basé sur des flash cars, voitures équipées de caméras à reconnaissance de plaques d'immatriculation qui détectent instantanément les véhicules n'ayant pas payé leur stationnement. Plus de mille plaques sont vérifiées par heure, sans intervention d'agents à pied. À Rotterdam, un système de lissage des pics de trafic par points fluidifie la circulation urbaine. Grâce à un boitier embarqué qui géolocalise leur véhicule et analyse leurs habitudes de circulation, les automobilistes sont incités financièrement à ne pas utiliser leur voiture aux heures de pointe, avec comme conséquence une réduction de 8% du trafic. Mais la révolution des smart cities ne s'arrête pas au domaine des transports...

Les territoires de demain mobiliseront les nouvelles technologies au service de la collecte, du tri et du traitement des déchets. À l'image des autres filières industrielles, le secteur du traitement des déchets, qui représente un coût important pour les collectivités, entre lui aussi dans l'ère numérique. Désormais, le tri est optique et non plus manuel, sur des tapis évoluant à une vitesse considérable. C'est un changement de technologie et de façon de travailler. Grenoble teste les bacs intelligents dotés de capteurs mesurant le taux de remplissage des bennes à ordures afin d'optimiser la collecte. Rationaliser le parcours des camions grâce à ces conteneurs connectés réduit le temps de collecte des déchets et diminue le nombre de kilomètres parcourus par les camions-bennes, offrant à la ville des économies substantielles. À Paris, dans le quartier des Batignolles, la collecte est automatisée via un réseau pneumatique souterrain d'aspiration des déchets. Silencieux et propre, ce système a fait disparaitre les camions-bennes dédiés au ramassage des déchets en porte à porte.

À Moissy-Cramayel, en Seine-et-Marne, les camions-bennes sont équipés depuis près de deux ans de bras robotisés pour collecter les poubelles, avec à la clé une amélioration des conditions de travail des éboueurs et des économies. Les solutions automatisées de ramassage des poubelles sont expérimentées depuis plusieurs années aux États-Unis, en Australie ou encore en Italie, où la ville de Peccioli, en Toscane, a mis en service des robots-poubelles dans les rues étroites impraticables pour les camions-bennes. Mobiles, ils sont propulsés électriquement et programmés pour se repérer grâce à un système GPS. Ils sont appelés par smartphone par les usagers et assurent le ramassage des ordures devant chaque habitation.

La révolution numérique du secteur des déchets concerne aussi le tri. Ainsi, dans le centre de tri télé-opéré de la ville d'Amiens, les opérateurs trient les déchets sans les toucher, grâce à des écrans tactiles, ce qui optimise la performance et améliore les conditions de travail.

M. Philippe Mouiller, co-rapporteur. - La collectivité de demain facilitera la vie administrative des usagers. Partout, nos concitoyens réclament des rapports plus simples et plus fluides avec l'administration. Ils veulent des services plus efficaces, plus disponibles et moins chers. Nous, responsables de collectivités, y avons aussi intérêt.

C'est en particulier grâce à l'outil numérique que les administrations se modernisent. Les collectivités sont souvent bien accompagnées dans la transition numérique : par exemple, le syndicat intercommunal Alpes-Méditerranée met à disposition de ses membres une chaîne complète d'outils de dématérialisation. L'administration en ligne est un levier de simplification. La communauté d'agglomération de Saint-Omer propose ainsi une plateforme complète de services et de démarches en ligne qui facilitent la vie quotidienne des usagers. De plus en plus de collectivités se lancent dans des démarches similaires. Dans la communauté de communes de Parthenay-Gâtine, dans les Deux-Sèvres, une large palette de services est offerte depuis 2015 aux usagers grâce à une Carte de vie quotidienne. Les administrés peuvent accéder à de nombreux services et les payer : restauration scolaire, crèche, médiathèque, ludothèque, piscine, déchèterie, salles de sport, salle polyvalente, bâtiments administratifs. En matière de simplification administrative quotidienne, on peut désormais compter sur les technologies numériques pour fournir de l'information fiable, rapide, disponible en temps réel et actualisée. C'est cela, la ville connectée.

Je m'arrêterai un instant sur l'exemple de l'Estonie, pays modèle en matière d'administration numérique. Cet État, de la taille d'une région française, est devenu une référence mondiale dans la dématérialisation des services publics. J'ai vu comment fonctionne concrètement leur carte d'identité électronique, l'ID-kaart, obligatoire à partir de 15 ans, et qui sert notamment de document d'identité, de carte électorale, de carte d'assurance maladie, de permis de conduire et de titre d'abonnement aux transports publics. C'est le principal outil des Estoniens pour payer leurs impôts, leurs contraventions, leurs frais de stationnement, pour réaliser des prescriptions médicales - avec 8 millions d'e-ordonnances par an -, pour établir un contrat de travail - avec 4 millions de signatures par mois -, et même pour voter : l'Estonie a été le premier pays à introduire le vote électronique pour un scrutin local en 2005 puis national en 2007. Au total, 99 services publics étatiques sont accessibles par internet et sur les appareils mobiles. Tout peut être fait à distance - hormis se marier, divorcer ou procéder à une opération immobilière. Toutes les personnes rencontrées étaient unanimes : cette carte a simplifié la vie quotidienne des usagers et encouragé les affaires.

La simplicité du dispositif a été le leitmotiv des présentations qui nous en ont été faites : il n'y a qu'un seul point d'accès, une seule page qui héberge les 600 services accessibles ; les usagers ne fournissent aux administrations leurs informations personnelles qu'une seule fois, à charge pour les administrations de se transmettre les données, en informant toujours l'usager ; les personnes qui n'ont pas internet accèdent aux services grâce à des points d'accès mobiles sur le territoire - même si 88% des habitations sont couvertes en très haut débit, il y a des aires de wi-fi gratuit dans tout le pays. On nous a vanté une réussite, qui coûte certes 50 millions d'euros par an en fonctionnement et qui mobilise mille personnes. Mais les résultats semblent positifs : les opérations électorales sont 2,5 fois moins chères qu'avant ; le taux de recouvrement des impôts et des taxes est le plus élevé au monde ; il y a un tiers de moins de file d'attente dans les hôpitaux. Au total, la e-administration aurait permis une économie de 2% du PIB.

Reste la question importante de la cyber-sécurité. En 2007, le pays a subi une cyber-attaque, sans doute en provenance de la Russie. Les autorités développent donc des systèmes de secours avec des serveurs extérieurs de stockage de données. J'ai pu visiter l'agence en charge de la sécurité du système : sa responsable nous indiquait que désormais, en cas d'attaque, 70% des services ne seraient pas impactés. Du fait de cette avance technologique, l'OTAN a implanté ses bases de recherche sur la e-sécurité en Estonie.

Les technologies numériques constituent, enfin, une opportunité de développement de la participation citoyenne. D'une part, elles encouragent l'émergence de services publics plus collaboratifs, basés sur le partage et l'échange d'informations. La métropole de Montpellier a ainsi lancé, l'année dernière, une plateforme open data destinée à ouvrir aux citoyens des données publiques en matière de transports, d'aménagement du territoire, de culture ou encore d'administration locale, afin d'améliorer leur vie quotidienne.

D'autre part, les nouvelles technologies encouragent l'émergence d'une agora numérique au service de la démocratie de proximité. Loin de se substituer aux élus locaux, dont la légitimité n'est pas remise en cause par nos concitoyens, ces outils de participation constituent une des réponses à la désaffection du politique qui touche notre démocratie. La ville de Mulhouse a ainsi créé en 2015 une plateforme numérique de participation citoyenne au service de la démocratie locale.

Les nouvelles technologies concerneront aussi la santé et l'aide aux personnes âgées dans la ville de demain. La révolution du secteur de la santé a déjà commencé. Même si l'essor de la télémédecine est encore timide, c'est un formidable espoir pour répondre au défi des déserts médicaux. Nos voisins norvégiens l'expérimentent depuis plus de quinze ans, pour offrir aux populations des territoires les plus reculés des services de diagnostic et de soins à distance. En France, comme on nous l'a hélas confirmé, l'État et la Sécurité sociale ne l'ont pas encouragé, sans doute par peur d'un débordement des coûts liés aux téléconsultations. Heureusement, des collectivités se lancent dans des expérimentations locales. Dans la région Languedoc-Roussillon, une plateforme de télé-expertise et de téléconsultation a été déployée pour une prise en charge plus rapide des accidents vasculaires cérébraux dans les déserts médicaux.

Les innovations ne se limitent pas aux outils de prise en charge médicale. Le centre hospitalier-universitaire (CHU) de Toulouse expérimente une application smartphone permettant aux patients de bénéficier à distance de nombreux services : demande d'informations, contacts en cas d'urgence, prise de rendez-vous. La métropole de Nice a construit un « quartier général de la santé connectée » pour sensibiliser les entreprises, les experts, les praticiens et les patients à l'utilisation des outils numériques, en particulier la domotique, au service de l'accompagnement de la perte d'autonomie et du bien-vieillir.

Autre démarche originale, la ville de Grenoble teste un système de micro-capteurs embarqués sur les tramways pour mesurer la qualité de l'air. Les innovations technologiques des villes intelligentes peuvent ainsi être mises au service de la santé des citoyens.

Enfin, le territoire de demain sera sans doute plus sûr. En quelques années seulement, le domaine de la sécurité a été bouleversé par les nouvelles technologies : le numérique, les drones, les caméras... Les applications au service de la protection des personnes et des biens se sont perfectionnées. Parallèlement, le besoin de sécurité de nos concitoyens n'a jamais été aussi fort, en particulier face au terrorisme. Confrontées à ce risque, de nombreuses collectivités territoriales ont vu leurs dépenses augmenter. Mais la protection de nos concitoyens concerne aussi d'autres types de risques, industriels ou environnementaux. Là encore, la sécurité passe de plus en plus par des solutions techniques assistant les moyens humains de surveillance et de contrôle, notamment à travers l'utilisation des outils numériques. La gendarmerie du Nord nous a détaillé l'expérimentation Néogend, déployée avec succès depuis 2015 : les gendarmes sont individuellement équipés de tablettes, de smartphones, de terminaux informatiques embarqués dans les véhicules pour réaliser leurs missions quotidiennes : interrogation des fichiers à distance, contrôles d'identité, établissement de procès-verbaux... Les forces sur le terrain bénéficient d'une information en temps réel et voient leur capacité d'intervention augmenter. Les collectivités pourraient s'en inspirer pour leurs forces de police municipale.

Autre outil ayant connu un essor rapide ces dernières années : la vidéo-protection. Dans de nombreuses municipalités, grandes villes comme Nice ou villes moyennes comme Charleville-Mézières, des caméras ont été déployées par les autorités pour lutter plus efficacement contre la délinquance.

Face aux risques naturels, les nouvelles technologies sont aussi des alliés précieux. Dans les Bouches-du-Rhône, la brigade des sapeurs-pompiers est désormais épaulée par des drones. Équipés de capteurs infrarouges, ils détectent précisément les départs de feu et permettent de délimiter plus aisément et plus finement le périmètre des incendies déclarés. À la suite des inondations meurtrières de 2002, la ville de Nîmes, dans le Gard, a mis en service un système de surveillance numérique des précipitations par collecte d'informations météorologiques, afin de mieux anticiper les risques d'inondation. Le niveau des cours d'eau est observé en temps réel, et les autorités locales peuvent décider rapidement.

De nombreux projets innovants existent dans le domaine de la sécurité, et les exemples étrangers ne manquent pas. La ville américaine de Sandpoint, dans l'Idaho, teste une route intelligente équipée de panneaux photovoltaïques et de lampes à diodes électroluminescentes, capable de faire fondre la neige et le verglas mais aussi d'informer en temps réel les automobilistes, par des messages lumineux diffusés par un éclairage LED, sur les obstacles et les dangers sur la route ou les risques d'accident. En France, la commune de Tourouvre-au-Perche, en Normandie, a inauguré en décembre dernier la première route solaire dans notre pays.

Les domaines d'application des nouvelles technologies semblent sans limites. Les exemples mis en lumière démontrent, s'il en était besoin, que les collectivités territoriales sont capables d'appréhender la modernité et qu'elles ne sont pas coupées du monde. Nos territoires sont autant de laboratoires où s'invente effectivement la ville du futur. Notre rapport mentionne les liens internet qui vous permettront d'aller chercher ces bonnes idées.

Attention, il ne s'agit pas de suivre aveuglement les nouvelles technologies : elles doivent être mises au service d'un projet de territoire, pour un territoire plus attractif, plus social, plus écologique. Leur développement doit prendre en compte un certain nombre de principes directeurs afin de réussir la transition vers la ville de demain.

Nous devons garantir la couverture numérique de tous les territoires. Il est inacceptable que subsistent dans notre pays des zones blanches ou des déserts numériques. L'intervention de l'État est indispensable pour contraindre les opérateurs à assurer un égal accès des usagers au numérique, quel que soit le territoire et pour veiller à la péréquation en faveur des territoires ruraux.

Il faut accompagner les populations dans la transition numérique. La précarité sociale se traduit souvent par une précarité numérique. L'indispensable démocratisation de ces outils suppose un accompagnement efficace des populations.

Avec l'essor du big data, la protection des données personnelles sera un enjeu majeur - je pense notamment aux données de santé. Cela nécessitera une politique globale de lutte contre le piratage.

Nous devrons soutenir les start-up innovantes. Les nouvelles technologies sont un formidable gisement d'emplois et beaucoup d'entreprises françaises sont positionnées sur des secteurs particulièrement innovants, méritant d'être encouragées par les pouvoirs publics.

M. Jacques Mézard, co-rapporteur. - Il faudra concevoir des projets collaboratifs. Les expérimentations doivent impliquer différents acteurs du territoire - entreprises, citoyens, partenaires académiques et institutionnels - et placer les usagers au coeur de la stratégie pour en mesurer les bénéfices directs.

Nous préconisons également d'expérimenter à différentes échelles territoriales. Les expérimentations en conditions réelles, à l'échelle d'une rue ou d'un quartier complet, permettent de faire la preuve par l'usage, de tester des solutions innovantes et de vérifier leur fiabilité technologique. Elles sont très nombreuses, même si nous ne les avons pas listées.

Il faudrait prévoir la compatibilité, à l'échelle nationale, des systèmes développés dans les territoires, et veiller à l'interopérabilité des technologies développées dans le cadre des futures expérimentations.

Nous devrons encourager les services publics dans la transition numérique. Les administrations - de l'État ou des collectivités territoriales - doivent donner l'exemple en se saisissant pleinement des outils numériques. Cela nécessite un même accès au numérique partout. Quand la loi a imposé la dématérialisation du Journal officiel, elle a oublié les communes non connectées qui, du coup, risquaient de ne plus rien recevoir ! Mon groupe avait dû déposer un amendement pour les prendre en compte.

Il ne reste plus maintenant qu'à passer des expérimentations à la généralisation, car ces territoires intelligents seront bâtis de façon pragmatique, à partir des besoins locaux. Nous pouvons compter pour cela sur l'intelligence territoriale.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci pour ce travail remarquable. Ces sujets méritent de faire l'objet d'une réflexion au long cours : notre délégation pourrait utilement s'y consacrer.

M. Georges Labazée. - Merci pour ce très intéressant rapport. Il serait utile de détailler les modalités de financement de certaines de ces expérimentations. Quelle part reste à la charge de l'usager, quelle part à la charge du contribuable ? Il serait précieux pour les élus de disposer d'éléments sur la capacité des collectivités de mener à bien un projet.

M. Éric Doligé. - À mon tour de féliciter les rapporteurs.

Une question technique d'abord : l'ID-kaart estonienne comporte-t-elle une photographie ? Un seul document pour traiter tous les sujets, un seul passage devant l'administration... Nous en sommes loin, ne serait-ce qu'au vu des difficultés que nous rencontrons avec nos listes électorales !

Pour mieux diffuser l'information, ne pourrait-on créer une sorte de « bourse » des expérimentations, un site qui permette à une collectivité ou à une entreprise de se renseigner sur les expérimentations existantes ?

M. Jean-Pierre Vial. - Félicitations aux rapporteurs pour ce travail qui s'imposait et qui devra s'inscrire dans la durée.

L'Estonie a-t-elle l'équivalent de notre Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ? Question déterminante, quand on sait les lourdeurs, pour ne pas dire les entraves que cette dernière met au déploiement de bien des technologies dans notre pays...

Pour avoir présidé pendant plus de vingt ans un parc technologique, j'ai vu combien les entreprises peuvent nous apprendre. Développer des applications, être dans la course, c'est leur quotidien ! J'avais mis en place un comité scientifique d'évaluation pour tester les différentes idées - je m'étonne de voir aujourd'hui primés des projets qui avaient été jugés peu pertinents par les industriels il y a cinq ans... Ces innovations ayant un coût, il est regrettable que les expériences, tant positives que négatives, ne soient pas mieux connues. À quand une évaluation pour mettre en avant les expérimentations réussies de bon sens économique ?

M. Alain Richard. - Choix judicieux que de vous rendre en Estonie, car ce pays a beaucoup à nous apprendre. Le président de la République estonienne a souvent été mon voisin de table lors des réunions du Parti socialiste européen : il a beau être littéraire de formation, c'est un vrai geek !

Ces sujets concernent les collectivités mais aussi les États : tous, et la France n'est pas en reste, développent des applications qui auront des retombées importantes. Notre délégation peut jouer un rôle, et je soutiens l'idée de M. Doligé d'un site de rencontre des innovateurs.

Reste la contrainte économique, surtout quand il s'agit de connecter une multitude de sites, répartis sur le territoire de la collectivité, à de gros flux de données. Les considérations de sécurité et de coût ne plaident pas pour une connexion aux réseaux des opérateurs. Ma commune ne fait que cinq kilomètres sur trois, mais 60% des données de vidéosurveillance transitent par voie hertzienne : ce n'est pas l'idéal ! Installer son propre réseau de fibre, comme semble le préconiser le rapport, représente un coût important, qu'il faudrait pouvoir évaluer.

Mme Nelly Tocqueville. - Je félicite les rapporteurs pour ce travail qui témoigne de la capacité de nos territoires à innover, quelles que soient leurs dimensions. Maire d'une commune de 870 habitants membre d'une métropole de 500 000 habitants, je dois encore sortir devant la mairie pour espérer capter le réseau mobile...

Avez-vous identifié les secteurs qui ont connu des échecs, les raisons de ceux-ci et les remédiations envisagées ?

M. François Bonhomme. - Ce rapport alimente notre réflexion sur les conséquences de la numérisation, que l'on commence seulement à mesurer. Ainsi, on a retiré aux petites communes la délivrance de la carte nationale d'identité. Celle-ci serait désormais « à portée de clic », à en croire la communication officielle... En réalité, les administrés vont devoir faire plus de route pour déposer et retirer leur dossier !

Je sais l'appétence technologique des élus, mais attention au totem technologique ! L'enjeu n'est pas que technique : la suppression de toute médiation entraîne un bouleversement de nos représentations qui ne sera pas sans effet sur la délibération publique. Que penseraient la CNIL, la Cour européenne des droits de l'homme, le Conseil constitutionnel de l'ID-Kaart estonienne ? Que d'initiatives prises sans distance ni réflexion, à l'image des bornes numériques installées dans les mairies, qui gisent aujourd'hui au cimetière technologique ! Les pouvoirs publics sont bousculés par les évolutions, car les GAFA n'ont pas attendu les États pour développer les technologies. Il y a encore un gros effort à faire au niveau des collectivités.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Les premiers câblages, pris en charge par les départements, se sont traduits par des milliards d'euros d'emprunt - pour des technologies vite dépassées...

M. Jacques Mézard, co-rapporteur. - Le but de ce rapport était de valoriser la capacité d'innovation et d'expérimentation de nos collectivités, pas de dresser la liste des échecs. Il me parait souhaitable et utile que le Sénat, en tant que représentant des collectivités territoriales, mette en valeur leurs capacités positives. Il faut parfois en passer par des échecs pour surmonter les difficultés... D'accord pour un suivi - mais du point de vue des collectivités.

Nous pourrons fournir certains éléments sur le financement de tel ou tel projet, Monsieur Labazée, quand nous en disposons. Les financements sont diversifiés : subventions, concours du privé, notamment dans le secteur des déchets.

Monsieur Richard, j'ai moi-même installé un réseau de fibre optique dans ma communauté d'agglomération : l'opération était largement subventionnée mais je ne suis pas persuadé qu'elle offre un excellent rapport qualité-prix...

L'idée d'une bourse des expérimentations est très intéressante, Monsieur Doligé : il y a une mine de renseignements à partager, des expérimentations menées à différentes échelles. Il serait très valorisant pour les collectivités territoriales et pour le Sénat de creuser cette piste, d'autant que c'est un domaine qui permettrait une certaine réciprocité entre métropoles et territoires très ruraux.

M. Philippe Mouiller, co-rapporteur. - Ce rapport vise à rassembler des informations diffuses, à offrir une vision globale des expérimentations qui fonctionnent et qu'il faudrait évaluer et généraliser.

Oui, Monsieur Doligé, la photo figure bien sur l'ID-Kaart estonienne. Celle-ci est également obligatoire pour les étrangers résidant en Estonie. Avec cette carte, on crée une entreprise en trente minutes ! Mais cela fait vingt-cinq ans que l'Estonie a mis en place cette philosophie, dans un esprit de simplification, avec des outils adaptés aux territoires, une population formée... Le contrôle est assuré par l'Agence pour les systèmes d'information (RIA), l'équivalent estonien de la CNIL ; il porte surtout sur l'utilisation commerciale des données. L'accès à l'information, de la part de l'administration ou du médecin traitant, est soumis à autorisation, permanente ou accordée au cas par cas ; chaque fois que votre dossier est consulté, vous en êtes informé. Bref, un système et une culture sans doute difficiles à dupliquer chez nous, mais un bon exemple de gestion des services !

M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci. Nous allons réfléchir ensemble à la suite à donner à ce rapport d'information, en lien avec le président du Sénat. C'est un travail au long cours, à mettre en exergue.

Notre délégation poursuit ses travaux pendant la séquence électorale et se réunira à nouveau fin mai.