Mercredi 22 novembre 2017

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9h40

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Défense » - Programme 146 « Équipement des forces » - Examen du rapport pour avis

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, nous examinons ce matin les crédits de la mission « Défense » dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2018. La parole est, pour commencer, aux rapporteurs du programme 146 « Équipement des forces ».

M. Cédric Perrin, co-rapporteur. - Le projet de budget de la défense pour 2018 intervient à un moment « charnière », entre la fin de la programmation militaire actuelle et celle qui est en préparation. C'est le dernier avant la prochaine loi de programmation militaire (LPM).

Ce budget se présente au premier abord, suivant les termes de la ministre des armées, comme « un budget de remontée en puissance ». C'est vrai : tous les indicateurs semblent orientés à la hausse.

Ce budget doit s'élever l'année prochaine à 34,4 milliards d'euros en crédits de paiement, toutes ressources incluses (notamment les recettes de cessions), hors pensions : c'est une augmentation de 1,7 milliard par rapport à la prévision initiale pour 2017. C'est aussi 1,7 milliard de plus que dans la prévision pour 2018 de la LPM actualisée en 2015. L'effort de défense nationale passerait ainsi de 1,77 % du PIB cette année à 1,82 % l'an prochain.

La mission « Défense » elle-même, avec 34,2 milliards d'euros, enregistre une hausse de 1,76 milliard. Sans donner le détail des chiffres, je signalerai notamment que les efforts d'investissement et d'équipement sont en nette augmentation, en particulier dans le programme 146 d'équipement des forces ; ainsi se trouve assurée, a priori, la poursuite des programmes d'armement prévus par la LPM.

Les autres rapporteurs pourront signaler les efforts, réels, prévus en faveur du soutien à l'innovation, du rehaussement de l'activité touchant à la préparation opérationnelle, des recrutements - recrutements qui doivent donner lieu à une augmentation nette des effectifs de 500 équivalents temps plein, l'année prochaine ; les efforts pour la protection des hommes et des emprises, pour l'entretien des infrastructures ; ou encore le début de l'application du plan « familles et conditions de vie des militaires », présenté à la fin du mois dernier.

Néanmoins, à l'analyse, la hausse budgétaire se révèle comme un « trompe-l'oeil » : 90 % de l'augmentation prévue pour la mission « Défense » sont en fait consommés d'avance.

En effet, d'abord, cette augmentation sera en partie absorbée par l'aggravation du report de charges, à hauteur de 420 millions d'euros, qui résulte des mesures prises par le ministère des armées pour faire face à l'annulation de crédits intervenue en juillet dernier - une annulation, je le rappelle, de 850 millions d'euros, intégralement pris sur le programme 146 ; j'y reviendrai.

De plus, la hausse prévue sera entamée de 200 millions d'euros par la première étape d'un « resoclage » budgétaire des dépenses d'opérations extérieures décidé par le Gouvernement. La provision pour surcoûts d'OPEX sera ainsi de 650 millions l'an prochain, et non de 450 comme c'était le cas depuis 2014, conformément à la LPM. En pratique, à cet égard, le Gouvernement procède à un transfert de charge, de l'interministériel vers le ministère de la défense, puisque, jusqu'à présent, les surcoûts d'OPEX qui excédaient les 450 millions prévus en loi de finances initiale étaient pris en charge par la solidarité interministérielle, comme le prévoyait la LPM.

D'autre part, près d'un milliard d'euros - 996 millions exactement - sont requis en 2018 pour le financement de mesures arrêtées en 2016 qui n'avaient pas été inscrites, de fait, dans la LPM actualisée en 2015 - il s'agit de recrutements, d'amélioration des conditions du personnel, d'acquisition d'équipements pour la force opérationnelle terrestre... On doit certes donner acte au Gouvernement actuel de trouver une issue à cette « impasse » budgétaire du précédent Gouvernement, mais la situation réduit fortement l'intérêt de la hausse budgétaire affichée pour l'an prochain.

De la sorte, le projet de loi de finances pour 2018 stabilise les moyens de la défense davantage qu'il ne les accroît.

En outre, il faut souligner que les conditions d'entrée dans la gestion de ce budget 2018 restent subordonnées à la régulation de la fin de l'exercice 2017.

Sont en cause, en premier lieu, les surcoûts nets d'opérations extérieures et intérieures encore à couvrir aujourd'hui : ils représentent un montant de 365 millions d'euros, le reste ayant déjà fait l'objet d'ouverture de crédits en cours d'année. En ce domaine, un équilibre satisfaisant a été trouvé par le projet de loi de finances rectificative de fin d'année, déposé la semaine dernière à l'Assemblée nationale, et le projet de décret d'avance qui lui est associé. En effet, comme le Général Lecointre, chef d'état-major des armées, l'a indiqué devant notre commission la semaine dernière, le financement sera réalisé par la solidarité ministérielle à hauteur de 313 millions, et la couverture du solde (52 millions) sera assurée grâce à l'excédent de crédits de masse salariale du ministère des armées.

Aucune annulation de crédits n'est prévu, dans ce projet de collectif budgétaire, sur les programmes de la mission « Défense ». Il faut s'en féliciter ; mais il convient encore de s'assurer qu'aucun ré-arbitrage de dernière minute ne vienne remettre en cause ce schéma !

Cependant, 700 millions d'euros de crédits se trouvent encore « gelés » sur le programme 146, à titre de réserve de précaution. La situation interdit à la DGA l'exécution normale de ses paiements. Dans la mesure où ces crédits ne sont pas annulés dans le projet de collectif budgétaire, on peut raisonnablement penser qu'ils finiront par être débloqués. Souhaitons-le ! La ministre des armées semble confiante. Mais quand le « dégel » interviendra-t-il ? La décision semble à la main de Bercy.

Déjà, sous les hypothèses les plus favorables incluant ce « dégel » des 700 millions avant la fin de l'année, le report de charges de la mission « Défense », de l'exercice 2017 sur l'exercice 2018, pourrait atteindre un niveau historiquement élevé : au moins 3,5 milliards d'euros. C'est dire l'importance des risques d'entrave auxquels se trouve exposée la remontée en puissance annoncée par le Gouvernement...

La situation est d'autant plus préoccupante que l'exécution du budget 2018 conditionnera l'entrée dans la prochaine période de programmation militaire, à compter de 2019. Je laisserai à Hélène Conway-Mouret le soin de présenter en détail cet aspect.

En ce qui touche plus spécifiquement l'équipement des forces, je voudrais d'abord dire un mot des conséquences de l'annulation des 850 millions d'euros décidée en juillet dernier sur le programme 146.

Pour faire face à cette annulation, le ministère des armées a dû mobiliser la trésorerie de certaines organisations internationales - l'OCCAr, notamment -, auxquelles il ne versera pas cette année les contributions françaises initialement prévues.

Le ministère a dû, également, renégocier certains contrats avec l'industrie. Ces renégociations portent sur les études du standard F4 du Rafale, la première tranche conditionnelle de rénovation des Mirage 2000D, et la chaîne logistique des frégates de taille intermédiaire.

Surtout, le décalage de plusieurs livraisons d'équipements a été organisé. Cela concerne le pod de détection de missile des Rafale Marine, les radars des avions légers de surveillance et de reconnaissance, la charge utile de renseignement d'origine électromagnétique des drones Reaper, certains tourelleaux des véhicules blindés multi-rôles lourds Griffon, ainsi qu'un hélicoptère de manoeuvre Caracal. Les décalages sont de l'ordre de quelques mois, sans incidence a priori sur la protection des soldats ni sur le fonctionnement des entreprises concernées, mais ils entraînent quand même un retard pour les armées.

Pour ce qui concerne 2018, le programme 146 est doté de 10,4 milliards d'euros en crédits de paiement et 13,7 milliards d'euros en autorisation d'engagement, toutes ressources incluses. Par rapport à la prévision initiale pour 2017, c'est une augmentation de 2 % des crédits de paiement et de 35 % des autorisations d'engagement - une hausse remarquable. Néanmoins, il faudra d'emblée que le programme couvre son report de charges issu de l'exécution 2017. Ce report est attendu à environ 1,7 milliard d'euros, sous les meilleures hypothèses, notamment le dégel des 700 millions d'euros que j'évoquais tout à l'heure. Ce niveau de report serait constant, comparé au report constaté fin 2016.

L'année 2018 sera marquée par de nombreuses livraisons et commandes d'équipements, structurantes pour nos forces. Nous ne citerons pas tout de ce qui pourrait constituer une « liste à la Prévert » ! Je me concentrerai pour ma part sur deux sujets ; Hélène Conway-Mouret complètera mon propos.

Premièrement, le programme Scorpion. Dans ce cadre, les trois premiers véhicules blindés multi-rôles (VBMR) lourds Griffon seront livrés l'année prochaine, qui donnera également lieu à la commande de 50 chars Leclerc rénovés et de 20 nouveaux VBMR Griffon. Je rappelle que les 319 premiers Griffon et les 20 premiers engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar (qui seront livrés à partir de 2020) ont été commandés au mois d'avril dernier.

Ce programme répond à un besoin prioritaire : les véhicules de l'armée de terre engagés en opérations ne sont réellement protégés, actuellement, qu'à 40 %. En particulier, les VAB, conçus dans les années 1970, ne sont plus au niveau des exigences actuelles en la matière et, sur-sollicités, usés, ils ne sont pas disponibles pour plus de la moitié du parc.

Aussi, nous préconisons l'accélération, autant que possible, du calendrier visant les véhicules du programme Scorpion, en particulier les VBMR Griffon. Je souscris en effet au raisonnement d'optimisation économique et opérationnelle du Général Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre : pour un coût similaire, mieux vaut accélérer l'arrivée du Griffon dans les forces que de chercher à reconstruire des VAB dont le niveau de protection, l'action tactique et l'autonomie sont bien inférieurs ! À titre indicatif, la rénovation complète d'un VAB représente un coût de l'ordre de 1,4 million d'euros, et l'acquisition d'un Griffon un coût de 1,5 million.

Les entreprises concernées nous ont confirmé qu'au plan industriel, une accélération des cadences de production des Griffon serait possible à compter de 2020. Cette accélération doit donc être inscrite dans la trajectoire capacitaire associée à la prochaine LPM.

Deuxième point à signaler : deux nouveaux avions de transport A400M seront livrés l'année prochaine.

Je rappelle que, du fait des difficultés annoncées par Airbus au début de l'année 2015, sur 15 avions devant avoir été livrés à l'armée de l'air d'ici à 2019 (dont onze actuellement en service, deux d'ici la fin de l'année 2017 et, donc, deux autres en 2018), huit appareils seront au standard initial, essentiellement logistique. En effet, le plan d'action industriel prévoit la livraison progressive, jusqu'en 2020, des capacités tactiques attendues, c'est-à-dire l'extraction de charges lourdes par la rampe arrière, le parachutage simultané par les portes latérales, l'autoprotection contre des missiles sol-air à très courte portée, le ravitaillement en vol d'hélicoptères et l'atterrissage sur terrain sommaire. Les premiers A400M dotés de capacités tactiques minimales (aérolargage, autoprotection, atterrissage sur terrain sommaire) sont livrés depuis 2016.

Le Général Lanata, chef d'état-major de l'armée de l'air, nous l'a assez clairement dit lors de son audition : l'A400M sera un bon appareil lorsque l'on aura corrigé ses erreurs de jeunesse, mais il faut qu'Airbus travaille pour qu'il atteigne ses capacités opérationnelles ! Airbus en est bien conscient. On a le sentiment, en effet, que les choses s'améliorent.

Incidemment, je mentionne que le premier avion-ravitailleur MRTT sera livré l'année prochaine, tandis que seront commandés les trois derniers des 12 MRTT prévus par la LPM 2014-2019. Compte tenu de l'enjeu majeur qui est en cause, notamment pour les forces nucléaires, la question d'une accélération du calendrier des livraisons des MRTT se pose. L'industriel serait en capacité d'y procéder à partir de 2021. Le choix devra être arrêté dans la prochaine LPM.

Pour le reste, je vais laisser la parole à Hélène Conway-Mouret. D'ores et déjà, j'émets une appréciation positive sur les crédits inscrits au programme 146 dans le PLF 2018 et j'indique que le vote des crédits de la mission « Défense » dans son ensemble me paraît envisageable si - et seulement si - le Gouvernement annonce un dégel effectif des 700 millions d'euros encore bloqués pour 2017. Nous pourrions donc donner sur le projet de budget pour l'année prochaine un avis favorable sous la condition expresse de ce dégel.

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure. - On ne peut pas évoquer le budget de la défense prévu pour 2018, le dernier avant la prochaine LPM, sans se projeter, déjà, dans cette future programmation militaire.

La future LPM se trouve d'ores et déjà contrainte par la trajectoire fixée par le projet de loi de programmation des finances publiques, texte adopté en première lecture par le Sénat le 9 novembre dernier, et qui attend à présent la réunion d'une CMP.

Ce projet de loi décrit pour la mission « Défense » une progression a priori significative : hors pensions, après la hausse de 1,76 milliard d'euros prévue pour 2018, ce seraient 1,7 milliard supplémentaire en 2018 puis à nouveau en 2019. Et la ministre des armées a précisé que l'augmentation se poursuivrait au même rythme jusqu'en 2022. Entre 2018 et 2022, 190 milliards d'euros seraient ainsi consacrés à la défense.

Cette programmation financière s'inscrit dans l'objectif d'affecter l'équivalent de 2 % du PIB à la défense en 2025, suivant un engagement du Président de la République pendant la campagne de son élection.

On peut certes se féliciter d'une orientation positive pour l'ensemble de notre outil de défense. Mais on doit aussi rappeler que notre commission, dans son rapport d'information sur les moyens de la défense, au printemps dernier, avait évalué les besoins d'accroissement des moyens des armées, pour faire face à leurs missions, à 2 milliards d'euros par an, dès 2018. Cette trajectoire devait permettre de régénérer, dans un premier temps, les forces conventionnelles, avant de moderniser, dans un second temps, les forces nucléaires. Ce qu'annonce aujourd'hui le Gouvernement s'avère sensiblement en-deçà, en termes de montants comme de calendrier.

En outre, en prévoyant que les crédits de la mission « Défense » soient portés à 41 milliards d'euros en 2022, la programmation envisagée reporterait à la prochaine législature, et concentrerait sur trois années, de 2023 à 2025, plus de la moitié de l'effort à accomplir pour atteindre, à l'horizon fixé, un budget représentant 2 % du PIB, c'est-à-dire 50 milliard d'euros. Le doute semble permis quant à la soutenabilité d'une hausse si rapide, prévue en fin de période !

Par ailleurs, deux séries d'éléments paraissent dès à présent risquer de contrarier, peu ou prou, l'effort annoncé.

Les premières difficultés tiennent au financement des surcoûts d'opérations.

D'une part, comme l'a signalé Cédric Perrin, le Gouvernement a décidé un « resoclage » budgétaire des surcoûts d'OPEX. La mesure serait progressive : la provision pour OPEX, fixée à 450 millions d'euros depuis 2014 conformément à la LPM, passera à 650 millions l'année prochaine puis augmenterait encore de 200 millions en 2019 et de 250 millions en 2020, pour atteindre alors 1,1 milliard d'euros.

De fait, les surcoûts d'OPEX réels n'ont jamais été inférieurs, depuis 2013, à 1,1 milliard d'euros. Au nom du principe de sincérité budgétaire, la Cour des comptes, notamment, avait préconisé une inscription de crédits pour OPEX en loi de finances initiale qui soit, à tout le moins, plus réaliste.

Cependant, il s'agit en pratique d'un transfert de la charge d'OPEX, de l'interministériel vers le ministère de la défense, dans la mesure où, jusqu'à présent, les surcoûts d'OPEX dépassant la provision initiale de 450 millions étaient pris en charge par la solidarité interministérielle, comme le prévoyait la LPM. Donc, à périmètre « 2017 » constant, et toutes choses égales par ailleurs, la hausse de la mission « Défense » figurant dans le projet de loi de programmation des finances publiques doit être ramenée à 1,5 milliard d'euros en 2018 et en 2019, et à 1,45 milliard en 2020. On peut s'interroger sur la suffisance de cette programmation budgétaire, au regard des besoins des armées. Et on peut redouter, par conséquent, les impasses financières auxquelles risque de se trouver acculée la LPM en préparation...

D'ailleurs, la trajectoire sur laquelle le Président de la République s'était engagé pour affecter à la défense 2 % du PIB en 2025 avait été tracée, de façon expresse, « hors surcoûts OPEX » : ce n'est pas le cas dans la programmation actuelle du Gouvernement.

Au demeurant, nous souscrivons aux propos du Général Lecointre, chef d'état-major des armées : dans le financement de ces surcoûts, le maintien d'un complément interministériel est important pour montrer que ce ne sont pas les armées qui décident de leurs engagements.

D'autre part, une relative incertitude pèse sur les modalités de financement, à l'avenir, des surcoûts d'opérations intérieures.

Je rappelle que la LPM actuelle ne comporte pas, pour ces OPINT, des dispositions équivalentes à celles qui visent les OPEX ; l'initiative que notre commission avait prise en ce sens, en 2015, n'a pas prospérée à l'Assemblée nationale. Les régulations budgétaires de fin 2015 et fin 2016, certes, ont établi un précédent favorable pour la défense, en assurant la couverture des surcoûts d'OPINT par la solidarité interministérielle, comme tend à le faire, à nouveau, le projet de collectif de la fin 2017. Mais, en dehors de cette pratique répétée, il n'y a pas de règle.

Le Général Lecointre, que j'ai interrogé ici même la semaine dernière, a affirmé que - je le cite - « le financement des OPINT relève des mêmes modalités de financement que les OPEX ». Le recours à la solidarité interministérielle serait donc maintenu pour l'avenir. C'est essentiel, alors notamment que l'opération « Sentinelle », même révisée dans son mode opératoire, se trouve pérennisée. Le cas échéant, il nous faudra veiller à inscrire la règle du financement interministériel dans la prochaine LPM, afin d'éviter un financement par la défense qui, par définition, limiterait d'autant les hausses budgétaires annuelles prévues.

Une seconde série de difficultés pour la prochaine LPM tient aux capacités d'investissement de la défense.

À cet égard, le premier problème est lié à l'accroissement des engagements non couverts par des paiements.

En effet, parmi les mesures prises par le ministère des armées afin de faire face à l'annulation de 850 millions d'euros sur le programme 146 en juillet dernier, et comme Cédric Perrin l'a mentionné, les trésoreries de certaines organisations internationales ont été mises à contribution. Concrètement, les versements prévus en 2017 pour l'OCCAr et la Nahena ont été annulés et reportés à 2019, les besoins étant couverts jusques là. Plus de 400 millions d'euros ont ainsi été économisés pour 2017, mais c'est une simple mesure de « cavalerie budgétaire » : in fine, les versements à l'OCCAr et à la Nahena devront bel et bien être effectués.

L'opération n'aggrave pas le report de charges, au sens comptable de la notion, c'est-à-dire la somme des paiements dus l'année n mais différés à l'année n+1. En revanche, elle vient alimenter les « restes à payer », c'est-à-dire les engagements passés mais non encore couverts par des paiements. Or ces restes à payer, fin 2016, s'élevaient déjà à près de 36 milliards d'euros pour le programme 146, et à plus de 50 milliards pour l'ensemble des programmes de la mission « Défense » (soit près de la moitié du total des restes à payer de l'État).

Ces montants extrêmement importants sont bien sûr inquiétants, parce qu'ils mettent en cause la soutenabilité même des engagements et, par voie de conséquence, celle de la trajectoire financière de la programmation militaire en préparation pour les années 2019 et suivantes.

Un second problème, pour le maintien des capacités de la défense à investir, résulte de la nouvelle règle de stabilisation des restes à payer, que tend à introduire à partir de 2018, pour l'ensemble des missions de l'État, l'article 14 du projet de loi de programmation des finances publiques. Ces engagements non encore couverts par des paiements devraient ainsi être contenus, sur la période 2018-2022, à leur niveau de fin 2017 ; en d'autres termes, chaque année, le montant des engagements ne devrait plus excéder celui des crédits de paiement ouverts.

Cette disposition pourrait entraîner des effets particulièrement handicapants pour la défense, dans un moment annoncé comme celui de la « remontée en puissance » des moyens. En effet, la Cour des comptes estime que le modèle d'armée défini à l'horizon 2025 appelle, d'ici là, des dépenses d'équipement neuf à hauteur de 10 milliards d'euros. Il s'agit des besoins de la dissuasion - notamment, à partir de 2020, le programme de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération, nécessaire à la modernisation de la composante océanique -, mais aussi d'autres grands besoins, par exemple le renouvellement du porte-avions.

Or ces investissements sont effectués sur des marchés d'équipement par nature pluriannuels, qui impliquent nécessairement un décalage entre les engagements requis par les commandes et les paiements auxquels donnent lieu les livraisons.

Pour éviter la paralysie du ministère des armées, deux amendements identiques ont été adoptés par le Sénat, à l'initiative notamment de la quasi-totalité des rapporteurs pour avis sur la mission « Défense » et du président de notre commission, et avec l'avis favorable de la commission des finances. Ces amendements soustraient, à la règle du plafonnement des restes à payer de l'État, les investissements qui entrent dans le périmètre de la LPM. Espérons qu'ils survivent à la CMP qui doit se réunir !

C'est un enjeu essentiel pour la défense : il s'agit ainsi de sécuriser la trajectoire prévisionnelle des investissements de la LPM actuelle et de la LPM future. C'est aussi un enjeu économique et technologique : l'industrie de défense représente pour la France plus de 1 000 entreprises et 200 000 emplois directs et indirects qui, parce qu'ils répondent à des besoins de souveraineté, dépendent directement de la commande publique. Je rappelle que les crédits d'investissement de la défense représentent le premier budget d'investissement de l'État : plus de 80 % des crédits d'investissement prévus dans le PLF 2018.

Brièvement, quelques mots sur l'avancement de certains programmes d'armement, en fonction des développements prévus pour 2018, en complément de ce qu'a exposé Cédric Perrin.

L'année prochaine seront livrés, notamment, 8 000 fusils d'assaut HK 416 F de nouvelle génération, « arme individuelle future » destinée à remplacer le FAMAS. Mais les opérations seront longues : il restera encore près de 95 700 nouveaux fusils à commander et de 103 700 à livrer ! Ces livraisons ont en effet été étalées de 2017 jusqu'à 2028, sur un rythme d'environ 10 000 fusils par an.

L'année prochaine, par ailleurs, seront livrés à l'armée de l'air trois avions Rafale neufs. Il s'agit de la fin de la livraison de six avions qui avait été décalée, en 2016, afin d'honorer la commande de l'Égypte ; les trois premiers ont été livrés en 2017. Cette réalisation permettra de respecter, en volume à défaut du calendrier, la prévision de la LPM en matière de Rafale, et de donner corps avant la fin 2018 à un second escadron nucléaire Rafale, en remplacement des Mirage 2000N.

J'ajoute que le développement du standard F4 du Rafale devrait être lancé fin 2018. L'objectif, notamment, est de disposer d'une flotte dont tous les appareils auraient, à terme, le même standard, ce qui faciliterait le soutien logistique et la formation des pilotes.

Il convient aussi de rappeler que le conseil des ministres franco-allemand qui s'est tenu le 13 juillet dernier, à Paris, a annoncé une coopération en vue d'un nouveau système de combat aérien. La France et l'Allemagne ont en effet convenu de développer un système pour remplacer, sur le long terme, leurs flottes actuelles de Rafale et d'Eurofighter ; une feuille de route conjointe en la matière est prévue d'ici mi-2018. Cette annonce est intervenue dans un contexte où le Royaume-Uni a décidé d'acquérir des avions F-35, produits par le groupe américain Lockheed Martin, ce qui semble de fait entraver une éventuelle coopération franco-britannique pour la réalisation du successeur du Rafale... alors même que Londres est engagé avec Paris, depuis 2014, dans un projet de recherche pour le futur système de combat aérien.

Je noterai pour finir la commande, l'an prochain, d'un cinquième sous-marin d'attaque (SNA) Barracuda. La livraison du premier sous-marin de la série est aujourd'hui prévue pour 2020, la livraison du second en 2021. Il s'agira d'un retard de plus de deux ans par rapport aux prévisions initiales, imputable à un problème de qualité du travail industriel. Naval Group nous a confirmé que les problèmes rencontrés, en dernière analyse, relèvent de la difficulté de reconstituer les savoir-faire propres au domaine nucléaire sur le site de Cherbourg.

Pour conclure, j'indique que j'émets, moi aussi, une appréciation positive sur les crédits inscrits au programme 146 dans le PLF 2018, avec la même réserve que mon collègue, tenant à la condition que l'on pourrait mettre à notre votre de la mission « Défense ».

M. Christian Cambon, président. - Merci, chers collègues, pour cette présentation. Place aux questions.

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Merci aux rapporteurs pour leur exposé très précis.

Nos visites sur le terrain, dans les bases militaires, nous permettent de mesurer la vétusté de certains des matériels dont disposent les soldats déployés en opération, qui représente pour eux un danger. On se croirait parfois en présence de véhicules de collection ! La nécessité du renouvellement de ces équipements est une évidence.

Cependant, les prix qui ont été évoqués tout à l'heure par Cédric Perrin me semblent vertigineux, pour un parc somme toute limité. Ma question sera volontairement un peu naïve : comment le choix des entreprises fournissant ces armements et assurant leur entretien est-il réalisé ? Y a-t-il vraiment mise en concurrence ? J'espère que l'on privilégie les entreprises nationales ou européennes.

Par ailleurs, qu'il me soit permis d'avoir une pensée particulière pour les militaires argentins actuellement bloqués dans un sous-marins dont on reste sans nouvelles.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Merci beaucoup aux rapporteurs pour leur travail. Ont-ils pu avoir des informations sur le contrat signé par le ministère des armées avec Microsoft Irlande, en dépit des recommandations des experts et sans appel d'offres à ma connaissance ? J'aimerais en connaître le montant, alors que les questions précises que j'ai posées n'ont pour l'heure abouti qu'à des réponses vagues.

Des emplois sont en jeu, et j'aurais préféré que ce contrat soit passé conformément aux procédures d'appel d'offres et avec une entreprise nationale. La souveraineté numérique constitue en effet un enjeu extrêmement important pour notre pays.

Du reste, des appels d'offres en faveur de logiciels libres de droits ont été lancés déjà : la gendarmerie, pour sa part, s'est engagée dans cette voie.

M. Cédric Perrin, co-rapporteur. - Pour répondre à Sylvie Goy-Chavent, les matériels militaires sont chers, en effet. Au demeurant, le coût de 1,4 million d'euros que j'ai cité pour la rénovation d'un VAB doit s'entendre pour un réaménagement complet du véhicule ; le prix varie selon ce que l'on fait exactement. Mais nous sommes comptables des deniers publics : ne vaut-il pas mieux acheter, pour 100 000 euros de plus, un Griffon neuf, mieux protégé, qui sera plus longtemps opérationnel ? Je le pense. Les décisions de l'armée de terre tendant à renouveler les équipements plutôt qu'à les rétrofiter me semblent donc judicieuses.

Ce que je dis là des VAB et des Griffon vaut également pour les fusils d'assaut : il est économiquement plus rationnel d'acheter le nouveau HK 416 F que de maintenir en condition opérationnelle, à un coût élevé, les vieux FAMAS. Même raisonnement si l'on considère les véhicules P4 : rénover ces derniers ne coûte pas beaucoup moins cher que l'acquisition des nouveaux VT4.

J'ajoute que les coûts des équipements de l'armée de terre, en général, sont moins élevés que ceux des avions de l'armée de l'air ou des bâtiments de la marine nationale.

Les contrats correspondants sont bien sûr très encadrés. À cet égard, la DGA procède dans les règles, avec des appels d'offres le cas échéant, tout en favorisant l'industrie nationale dans la mesure du possible. Je crois d'ailleurs qu'il existe, aujourd'hui, une volonté du délégué général pour l'armement et de la ministre des armées de mieux organiser le fonctionnement de la DGA. Cela dit, venant d'une circonscription de construction automobile, je ne comprends pas que les Allemands, en respectant leurs appels d'offres, arrivent à acheter du matériel Mercédès, alors que les VT4 français que j'évoquais à l'instant, par exemple, ont une base Ford !

La préservation de notre base industrielle et technologique de défense est évidemment un sujet majeur. Tout un écosystème est en cause, et sa physionomie s'avère évolutive. Par exemple, aujourd'hui, c'est largement dans le champ civil que surgit l'innovation, qui trouve à s'appliquer dans les domaines militaires, et non l'inverse comme dans un passé encore récent ; l'adaptation à la défense de ces technologies civiles entraîne naturellement un coût spécifique.

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure. - Choqués par la vétusté de certains équipements de nos armées, soyons aussi admiratifs de leur longévité !

Le marché de l'armement reste un marché assez restreint : il n'y a pas pléthore d'entreprises produisant les matériels dont nous parlons. D'où la récurrence des mêmes prestataires, d'un programme à l'autre... Par ailleurs, ces programmes sont parfois fragmentés : on peut ainsi se trouver en présence de véhicules Griffon achevés, auxquels manque cependant leur tourelleau, dont la livraison a été décalée.

En ce qui concerne la question de Joëlle Garriaud-Maylam, question qu'il est en effet important que le Parlement soulève, nous n'avons pas d'informations.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Défense » - Programme 212 « Soutien de la politique de défense » - Examen du rapport pour avis

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons maintenant les crédits du programme 212 « Soutien de la politique de défense » de la mission « Défense » dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2018. La parole est aux rapporteurs.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Je commencerai par évoquer l'évolution des crédits de personnel du ministère des armées pour 2018 avant de mettre l'accent sur quelques sujets de préoccupation concernant les ressources humaines.

Pour 2018, les crédits de titre 2 inscrits au programme 212 (qui regroupent l'ensemble des crédits de personnel du ministère de la défense) s'établissent à 20,37 milliards d'euros, en augmentation de 3,24 % (+ 607,9 millions d'euros) par rapport à 2017.

Cette augmentation de la masse salariale recouvre, pour 216,2 millions d'euros, une augmentation des dépenses de rémunération qui traduit à la fois la poursuite de la hausse des effectifs conformément aux engagements pris en 2015-2016 et un effort en faveur de la condition du personnel. Néanmoins, il convient de souligner que les crédits initialement destinés à la mise en oeuvre de la deuxième annuité du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) - qui revalorise les grilles indiciaires de la fonction publique - serviront en 2018 au financement de la compensation de CSG pour les personnels du ministère de la défense, le ministre de l'action et des comptes publics ayant annoncé en octobre dernier la suspension pour une durée d'un an de l'application de ce protocole par mesure d'économie.

En ce qui concerne les effectifs, le PLF pour 2018 prévoit une création nette de 518 emplois équivalent temps plein (ETP), dont 500 au profit du ministère des armées et 18 au profit du service industriel de l'aéronautique (SIAé). Ces renforts seront affectés à la sécurité du territoire, à la cyberdéfense, aux services de renseignement et à la protection des emprises militaires.

Ce solde positif en matière d'effectifs ne doit pas masquer, comme chaque année, les nombreuses créations et suppressions de postes qui accompagnent la transformation de nos armées. De même qu'il ne doit pas occulter l'important flux annuel d'arrivées et de départs, nécessaire au renouvellement et à la vitalité de nos forces et qui constitue le fil conducteur de la manoeuvre RH. Il faut noter la poursuite de la baisse, dans le projet de budget pour 2018, des crédits destinés aux aides au départ (-35 millions d'euros), les économies dégagées permettant de financer d'autres postes de dépenses.

C'est le cas, par exemple, de l'enveloppe destinée aux réserves qui augmentera de 50,8 millions d'euros pour s'établir à 177,4 millions d'euros, afin de prendre en charge quelque 40 000 engagements à servir ainsi que les mesures incitatives décidées récemment.

Les autres postes en augmentation sont les crédits destinés aux pensions (+283,7 millions d'euros), qui progressent mécaniquement, et ceux destinés aux OPEX (+75 millions d'euros, soit une enveloppe de titre 2 portée à 245 millions d'euros) dans un effort de « sincérisation » du budget des armées. L'enveloppe destinée aux opérations intérieures (OPINT) est reconduite, quant à elle, à son montant de l'année dernière, soit 41 millions d'euros.

Je voudrais revenir sur le thème de la fidélisation, fréquemment évoqué au cours de nos auditions. Le dernier rapport du Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) avait aussi mis l'accent sur ce sujet en indiquant- il s'agit du résultat d'un sondage - que 62 % des militaires envisageraient de quitter l'institution pour changer d'activité si l'occasion se présentait. Certes, les statistiques du ministère ne démontrent pas d'aggravation récente de la tendance en termes de résiliation ou de non-renouvellement de contrats. Il faut pourtant admettre que la question se pose et qu'elle a des implications, un trop fort turn over ne permettant pas d'amortir les coûts de recrutement et de formation, sans compter le chômage, auquel les militaires ont droit à partir de six mois de service. Il s'agit d'un problème récurrent et bien connu dans l'armée de terre, qui cherche à fidéliser ses militaires du rang, mais qui se rencontre aussi dans les autres armées. Suractivité, éloignement du domicile, contrainte des mutations, découragement face au manque de moyens...sont quelques-unes des raisons pouvant expliquer cette « évaporation ». Parfois, c'est le caractère routinier et astreignant de l'activité qui est en cause, comme chez les fusiliers marins et les fusiliers commandos de l'air, dont les taux de renouvellement des contrats s'établissent respectivement à 50 % et 30 %. Enfin, il y a la concurrence du secteur privé et l'attractivité de ses salaires pour des métiers tels que contrôleurs aériens, officiers mécaniciens, avionneurs, atomiciens, spécialistes des systèmes d'information... On le voit, les causes sont multiples et appellent des réponses variées selon les situations.

L'amélioration de la condition du personnel, auquel contribue le plan Familles présenté cet automne - avec des mesures en faveur de la conciliation vie professionnelle/vie privée, le soutien apporté aux conjoints, l'accompagnement de la mobilité, notamment la prévisibilité des mutations, est aussi une partie de la réponse à cet enjeu qui, au fond, est celui de l'attractivité de nos armées. Mais il ne faut pas se méprendre. Celles-ci sont et resteront majoritairement contractuelles du fait de leur impératif de jeunesse et de flexibilité. A elles de trouver le bon curseur et de définir, en fonction des besoins et des métiers, la durée adaptée des contrats. On a vu, par exemple que l'armée de terre avait récemment développé le recours aux contrats de deux ans pour faciliter le recrutement de militaires du rang, dont l'arrivée à échéance pose la question de la fidélisation.

Pour finir, je souhaite mettre l'accent sur deux points d'attention pour l'année à venir :

Le premier concerne la question de la transposition de aux militaires de la directive européenne sur le temps de travail. L'encadrement du temps de travail est difficilement compatible avec les spécificités du statut militaire et notamment le principe de libre disposition de la force armée. Je dirai même que c'est une idée en contradiction totale avec l'obligation de disponibilité et l'esprit d'engagement qui caractérisent le métier des armes. Alors que l'échéance pour transposer la directive approche, nous nous inquiétons légitimement de cette perspective. Le président de la République a déclaré récemment qu'il n'était pas envisageable d'appliquer la directive aux militaires. Lors de son audition, la ministre des armées a évoqué devant nous la négociation d'exemptions. S'agit-il de distinguer entre des activités - notamment les opérations et les entrainements - qui seraient exclues du champ d'application et d'autres qui seraient concernées? Nous espérons, en tous cas, qu'une solution réaliste et ne mettant pas en cause les fondements de la fonction militaire sera trouvée prochainement.

Le second point concerne le dossier des rémunérations, qui est lourd d'enjeux pour les personnels de la défense. Ceux-ci pâtiront en 2018 du report de l'application du protocole PPCR que j'ai déjà évoqué. Or, la transposition de ce protocole était très attendue par les militaires dans la mesure où elle devait permettre un rattrapage indiciaire par rapport au personnel civil. Nous espérons donc qu'il ne s'agit que d'une mesure temporaire.

Les militaires pourraient être aussi impactés par le chantier de la simplification des primes, qui est une priorité pour la DRH-MD, compte tenu du maquis - pas moins de 170 primes - que ce régime représente. Il devra être conduit avec précaution et en tenant compte des autres réformes pouvant avoir des implications, comme celle des retraites.

Enfin, il faudra être particulièrement vigilant sur la bascule entre Louvois et source Solde qui s'étalera entre 2018 et 2020 et interférera, par conséquent, avec la mise en place de la retenue à la source. Il s'agit de deux rendez-vous à haut risque pour les personnels militaires chez qui le traumatisme des dysfonctionnements de Louvois est encore bien présent. Nous serons par conséquent très vigilants à l'égard de ce dossier. Je cède maintenant la parole à mon collègue Gilbert Roger

M. Gilbert Roger, co-rapporteur. - Le programme 212 hors titre 2 regroupe les fonctions transverses de direction et de soutien mutualisés au profit du ministère des armées, correspondant aux missions portées par le secrétariat général de l'administration dans les domaines de l'immobilier, des systèmes d'information, de l'action sociale et de la communication. L'architecture budgétaire est complexe : le programme 212 ne regroupe pas l'ensemble des soutiens aux armées. Une partie de ceux-ci relève en effet du programme 178, notamment le soutien des forces par les bases de défense, hors infrastructures, et le service du commissariat aux armées.

Ceci étant précisé, les crédits du programme 212, hors titre 2, s'élèvent en PLF 2018 à 2,6 milliards d'euros en crédits de paiement et 2,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement, soit une hausse significative de 19 %.

Le rattrapage est donc important en crédits de paiement, mais aussi en autorisations d'engagement, ce qui crée des obligations pour l'avenir. Nous devrons veiller à ce que les trajectoires budgétaires de la LPM permettent au minimum de tenir ces engagements.

L'augmentation des crédits est principalement liée aux besoins de la politique immobilière, qui représente 2,1 milliards d'euros en AE, soit +23% et 1,7 milliards d'euros en CP, soit +30%. Ces ressources représentent 68 % du programme 212 hors titre 2. Elles doivent être complétées par les recettes des cessions immobilières, qui ont été estimées, avec un certain optimisme, à 200 millions d'euros pour 2017, et sont évaluées à 140 millions d'euros en 2018.

Ces montants, qui transitent par un compte d'affectation spéciale, dépendent en fait du calendrier de réalisation des cessions et surtout du prix effectif de vente des immeubles, obéré par la loi Duflot de 2013 qui entraîne d'importantes moins-values pour la défense. Nous avions tenté de limiter l'impact de cette loi, en plafonnant la décote à 30 %, mais l'Assemblée nationale est revenue sur ce plafond. Entre 2014 et 2016, les moins-values pour la défense se sont élevées à 24,3 millions d'euros, sur huit opérations effectuées en province, avec des taux de décote allant de 27 % à 100 %.

A Paris, la caserne Reuilly a été cédée avec une décote de 20 millions d'euros, en application d'un régime juridique antérieur à la loi Duflot. L'Hôtel de l'Artillerie a été cédé de gré à gré pour 87 millions d'euros à la Fondation Nationale des Sciences politiques, mais aurait sans doute pu rapporter bien davantage. La partie centrale de l'îlot Saint-Germain où seront réalisés des logements sociaux, subit une décote très importante. Ce bien aurait pu être vendu pour plus de 80 millions d'euros mais ne le sera que pour 29 millions d'euros, sur lesquels le ministère s'engage à payer 2 millions d'euros de désamiantage. Le ministère des armées n'a négocié, en contrepartie, que 50 logements sociaux réservés au personnel militaire, sur un total de 250, ce qui est insuffisant.

Reste la cession à venir du bâtiment de l'hôpital du Val de Grâce. Le bâtiment vaut plus de 100 millions d'euros. Des services publics ont émis le souhait de le récupérer. Ne serait-il pas plus sage de laisser le Val de Grâce au ministère des armées, afin de lui assurer des surfaces immobilières conséquentes à l'intérieur de Paris ? Si la cession se fait néanmoins, nous devrons veiller, en tout état de cause, à ce que le compte d'affectation spéciale soit bien alimenté du prix de cette cession.

J'ajoute que les militaires de l'opération Sentinelle, actuellement hébergés dans ces bâtiments parisiens, seront relogés dans de nouveaux casernements au Fort de l'Est et au Fort de Nogent. Plus généralement, pour répondre aux besoins d'hébergement en Ile de France, un plan de construction de 400 places a été lancé.

J'en viens maintenant aux dépenses de la politique immobilière.

Il s'agit, tout d'abord, de crédits pour les programmes majeurs d'infrastructure, essentiellement les grands programmes d'armement. Ils s'élèvent à 400 millions d'euros, en hausse de 7 %, afin d'accueillir le sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda dans le port de Toulon, pour les besoins, par ailleurs, du MRTT et du véhicule Scorpion et pour la rénovation électrique des ports de Brest et Toulon, toujours en cours.

La dissuasion nucléaire bénéficie d'investissements d'un montant de 114 millions d'euros, en augmentation de 32 %.

364 millions d'euros (+ 30 %) sont consacrés aux investissements générés par la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre et par les besoins accrus de sécurité-protection. Celle-ci fait l'objet d'un plan particulier, destiné à répondre aux intrusions et tentatives d'intrusion.

Les dépenses liées à la condition de vie du personnel (hébergement, restauration, bureaux) augmentent de 130 %.

Le logement familial est doté de 62 millions d'euros, en augmentation de 76 % ; ce montant prend en compte le « plan Familles » à hauteur de 15 millions d'euros, afin de développer l'offre de logements sociaux, en particulier dans les zones très tendues.

Cette augmentation significative des crédits immobiliers est une bonne nouvelle. Souvenons-nous toutefois de l'ampleur des besoins, estimés au total à 2,5 milliards d'euros pour les six prochaines années. Depuis le plan Vivien, il y a vingt ans, les plans d'amélioration des conditions de vie du personnel se sont succédé... Nous devrons veiller à ce que l'augmentation soit, cette fois, inscrite dans la durée, sans déformation de l'effort, en exécution, au profit des grands programmes d'armement.

Se pose également la question de la capacité du service des infrastructures de la défense, et tous les autres maillons de la politique immobilière, à absorber le surcroît d'activité que ce changement de cap suppose.

Concernant les systèmes d'information, d'administration et de gestion, les crédits sont en augmentation de 17 % en AE, pour les besoins du projet « Source Solde », mais en diminution de 6 % en CP, ce qui pourrait être une bonne nouvelle, si l'on considère qu'une partie de ces crédits est dédiée au MCO de Louvois. Mais les coûts de maintenance du logiciel restent élevés, environ 18 millions d'euros par an.

Louvois est « sous contrôle », nous a dit le secrétaire général de l'administration. 97 % des soldes ne nécessitent pas de corrections. 83 % des indus versés ont été notifiés et 64 % ont été recouvrés.

La nouvelle application, « Source Solde », à laquelle seront consacrés 21 millions d'euros l'an prochain, est actuellement dans une cruciale phase de test, dont les résultats, en cours d'analyse, ne nous ont pas encore été communiqués. « Source Solde » doit être déployée à partir de 2018 dans la marine. Parallèlement - ce qui paraît quelque peu périlleux - un chantier de révision de la politique de rémunération des militaires a été engagé. Cette rémunération est actuellement constituée de plus de 170 indemnités et primes.

Je terminerai en évoquant les politiques de ressources humaines, dont les crédits augmentent de 7 %. Les crédits alloués aux reconversions sont stables à 37 millions d'euros. Le taux de succès de ces reconversions, à un horizon d'un an, y compris les reclassements dans une administration, est de 70 %. Dans le cadre du « plan Familles », l'action sociale bénéficie d'un abondement de 5 millions d'euros, qui doit permettre notamment d'améliorer les services de garde d'enfants et d'accroître les aides à la mobilité et au logement.

Ce budget connaît donc une augmentation significative, qui justifie notre avis favorable. Au-delà des annonces, nous devrons toutefois rester attentifs à l'exécution budgétaire, et à l'inscription de ces nouvelles orientations dans la durée.

M. Christian Cambon, président. - Il faudra que nos rapporteurs soient attentifs à deux sujets : d'une part, le passage de Louvois à Source Solde, même si nous avons reçu des engagements formels de la part de la ministre, et d'autre part la dimension immobilière de la politique de défense. Quand on voit que l'enveloppe destinée à l'amélioration du logement n'est que de 15 millions d'euros, alors que la tour centrale de l'îlot Saint Germain, estimée à 80 millions d'euros, va être vendue 29 millions d'euros à la Ville de Paris, cela ne manque pas de nous interpeler. Par ailleurs, la vente de l'hôpital du Val de Grâce prive désormais la défense de toute réserve immobilière dans Paris intra-muros alors que, dans le même temps, on peine à loger les soldats de Sentinelle en Ile-de-France, même si des progrès ont été enregistrés sur ce volet.

M. Gilbert Roger, co-rapporteur. - A ce propos, on nous a indiqué lors d'une récente audition que les conditions de logement en Ile-de-France avaient été considérablement améliorées et que plus aucun soldat de Sentinelle ne dormait désormais sur un lit de camp, sauf cas de figure d'un besoin temporaire d'intervention, notamment en province. Par ailleurs, les soldats sont en principe logés à une distance plus raisonnable du site sur lequel ils travaillent.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci pour cet excellent rapport. Concernant la fidélisation, n'y a-t-il pas un vrai problème d'attractivité vis-à-vis du niveau de rémunération qu'offre le secteur privé pour des métiers très spécialisés comme dans l'armée de l'air ? Du fait de cette concurrence, mais aussi des déflations subies ces dernières années, n'est-on pas arrivé aujourd'hui, s'agissant de personnels qualifiés, à une situation critique qui ne permet pas l'accomplissement de leur mission dans de bonnes conditions ?

M. Yannick Vaugrenard. - Les problèmes de fidélisation conduisent aussi à s'interroger sur l'accompagnement offert aux conjoints lors des mutations. Ne faudrait-il pas impliquer davantage la fonction publique et les grandes entreprises pour faciliter la mobilité géographique des militaires ?

M. Michel Boutant. - Puisque l'on évoque les rémunérations des militaires, j'aimerais avoir des éclaircissements sur les conditions - notamment de rémunération - dans lesquelles les officiers généraux de deuxième section siègent souvent dans les conseils d'administration des entreprises d'armement, ou peuvent exercer une activité professionnelle alors qu'ils sont retraités. En effet, beaucoup de professions : artisans, agriculteurs, salariés, sont plus limités dans leurs activités pour pouvoir prétendre à la totalité de leur retraite.

Mme Christine Prunaud. - Pourriez-vous revenir sur le chiffre de 32 % d'augmentation des investissements pour les infrastructures de la dissuasion nucléaire ?

M. Robert del Picchia. - Louvois continue à coûter de l'argent, année après année. On ne peut qu'espérer que Source-Solde vienne prendre une relève satisfaisante. Concernant les primes que touchent les militaires, il va de soi que la complexité des primes est presque caricaturale et plaide pour une remise à plat de l'ensemble. Concernant les déboires liés à Louvois, nous avons tous en tête des exemples de familles de militaires qui se plaignaient que leurs conjoints n'étaient pas payés depuis des mois. Mais il faudrait, pour être exact, souligner que ceux-ci percevaient quand même une partie de leur solde et que d'autres, dans le même temps, percevaient des sommes supérieures à leur dû, ce qui a posé d'importantes difficultés quand il leur a fallu les rembourser. Concernant la fidélisation des personnels qualifiés, ce sont les salaires supérieurs proposés par le secteur privé qui sont en cause. Enfin, s'agissant des ventes immobilières, j'observe que, même si on ne peut que la déplorer, la vente des emprises à l'étranger du ministère des affaires étrangères, au moins, rapporte de l'argent, ce qui est moins le cas de la vente des emprises de la défense à Paris.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont- Concernant la politique immobilière, on peut certes regretter la vente et le prix de cession de l'îlot Saint Germain mais en province aussi, les collectivités publiques ont pu acquérir des anciennes friches militaires à des prix en dessous du marché. En outre, cette vente permettra davantage de mixité sociale dans un quartier qui en a peu.

Concernant les ressources humaines, j'avais interpelé Mme la ministre lors de son audition sur le faible taux de féminisation des armées, qu'elle avait elle-même regretté. Si des annonces ont été faites, il ne me semble pas vraiment en voir la traduction dans les faits. Je pense pour ma part que les armées doivent prendre le problème à la racine et mener une action transversale de concert avec l'éducation nationale et les universités. Il faut sans doute aussi faire évoluer un certain nombre de procédures internes de manière à permettre à de jeunes femmes, qui pourraient sûrement s'épanouir dans cette sphère, de concilier plus facilement les contraintes de la vie militaire avec celles de la vie familiale.

M. Christian Cambon, président. - Concernant l'îlot Saint-Germain, le problème est aussi que le nombre de logements qui a été négocié pour les militaires - 50 sur 250 - est très inférieur aux besoins des armées, avec une pénurie massive qui fait que les collectivités territoriales d'Ile-de-France ne cessent d'être sollicitées. La conversion en logements de la partie centrale de ce bâtiment aurait dû servir au logement des militaires.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - La question de la fidélisation recouvre des enjeux hétérogènes. S'agissant des militaires du rang, les contrats de deux ans ont été multipliés, ce qui entraîne aujourd'hui de fait des départs, certains pouvant être déçus par la réalité du métier. Un équilibre doit être trouvé grâce à une durée de contrats adaptée, qui permette d'amortir les coûts de formation et de recrutement et d'éviter des coûts importants de chômage.

S'agissant des experts, officiers spécialistes d'un domaine, la question se pose en effet pour les aviateurs, mais aussi pour les sous-mariniers. Le départ de professionnels spécialistes des bâtiments nucléaires est très préjudiciable à la marine. Leur sens des responsabilités et du travail d'équipe est remarquable. Ils n'ont aucune difficulté à être recruté dans le secteur privé. Mais ces mouvements de personnel peuvent aussi être bénéfiques aux armées car ils permettent de transmettre des savoirs et de répondre au souhait des militaires, après plusieurs années d'exercice de métiers difficiles. C'est pourquoi il me paraît nécessaire de travailler sur des parcours, des partenariats dans l'intérêt de tous, permettant de rajeunir les armées tout en constituant des réserves et en facilitant les déroulements de carrière souhaités. Les défis de la fidélisation peuvent être relevés.

M. Gilbert Roger, co-rapporteur. - Les territoires où sont implantées des unités doivent demeurer dynamiques pour que la mobilité ne soit pas trop défavorable aux militaires et à leurs familles. Les difficultés à trouver de l'emploi pour le conjoint, l'éloignement des établissements scolaires sont autant de facteurs de fragilisation de la fidélisation. Les unités ont intérêt à faire vivre les territoires dont elles dépendent, en favorisant des approvisionnements en circuits courts.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - L'accompagnement des conjoints est une question complexe qui soulève de nombreuses difficultés y compris au plan interministériel. Les ministères ont leurs propres contraintes. La situation des conjoints enseignants, par exemple, pourrait être mieux prise en compte, mais le ministère de l'éducation nationale dispose de ses propres procédures de mutation, à partir d'un barème de points, dont il est difficile de faire abstraction.

Par ailleurs, les implantations militaires ne sont pas particulièrement cohérentes avec les autres implantations administratives. Sur un territoire donné, il peut y avoir un déséquilibre important entre le poids des unités militaires et celui des autres administrations. L'accompagnement des conjoints ne donne donc pas toujours les résultats espérés, sauf bien sûr lorsque le conjoint est lui-même militaire.

S'agissant des généraux de deuxième section, le sujet mérite d'être éclairci.

M. Christian Cambon, président. - Les généraux ne sont pas mis « à la retraite »...

M. Jean-Marc Todeschini. - Sauf sanction disciplinaire !

M. Christian Cambon, président. - Certes. L'existence d'une deuxième section est une particularité. Mais ils sont souvent déchargés de leurs fonctions d'active à un âge assez jeune. Il faut prendre en compte le profil global des carrières de ces officiers, sur toute leur carrière.

M. Michel Boutant. - Notre commission doit s'intéresser à cette question en amont de la prochaine LPM, pour que nous puissions en débattre en toute connaissance de cause. Par rapport à d'autres professions, je considère cette situation comme anormale.

M. Gilbert Roger, co-rapporteur. - Les ventes immobilières doivent répondre à des objectifs contradictoires. Le ministère souhaiterait vendre au prix le plus haut, mais les acheteurs font parfois face à des contraintes importantes, et les mutations dans les territoires peuvent se faire à des prix très bas, jusqu'à l'euro symbolique. Ce n'est toutefois pas le cas pour l'îlot Saint-Germain. Paris intra-muros doit rester habitée et ne pas devenir un musée. Mais je regrette que seuls 50 logements aient été réservés au personnel militaire car nous avons besoin de loger des militaires dans la capitale.

M. Ladislas Poniatowski. - La question des carrières des généraux de deuxième section dans le privé doit être abordée avec discernement. Le Parlement a certes droit à la transparence. Mais nous ne sommes pas là face à un danger, au contraire : nous avons intérêt à ce que d'éminents spécialistes continuent après leur vie militaire à suivre, notamment dans des entreprises, le devenir des opérations d'armement. L'Arabie Saoudite a récemment embauché un officier allemand, qui a pris la tête du nouvel organisme d'achat d'armements créé dans ce pays. N'aurions-nous pas préféré que ce fût un Français ? Ne soyons pas naïfs. Le nombre de connaisseurs de ces questions est restreint. Que d'éminents spécialistes de nos armées poursuivent une activité auprès de nos entreprises d'armement ne me choque pas. Cela me rassure plutôt. N'abordons pas ce sujet de façon a priori méfiante et critique, ce qui serait dangereux.

L'armement est un domaine grave, important, avec des enjeux éthiques et économiques majeurs. Oui à la transparence, mais soyons réfléchis.

M. Jean-Marie Bockel. - Les carrières militaires françaises reposent sur un turnover élevé, encouragé par l'évolution du format des armées, qui amène à des départs à la retraite jeune. En Allemagne, les officiers généraux restent jusqu'à 64 ans. C'est un autre modèle. Nous devons avoir un regard éclairé sur ce sujet, souvent traité de façon injuste dans les médias : notre regard doit être large et complet.

M. Michel Boutant. - Nous avons besoin d'échanger sur cette question.

M. Christian Cambon, président. - C'est dans cet esprit, pour l'information des membres de la commission, qu'un débat peut légitimement intervenir. J'y veillerai.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Défense » - Programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » - Examen du rapport pour avis

M. Christian Cambon, président. - Nous passons à l'examen des crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ».

M. Pascal Allizard, co-rapporteur. - Le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » est doté pour 2018 de 1,4 milliard d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, soit 3 % des crédits prévus pour la mission « Défense » l'année prochaine. Ce programme est en effet modeste par le volume financier, mais il constitue le coeur de la fonction « connaissance et anticipation » de notre outil de défense, et donc de la préparation de son avenir.

Par rapport à la prévision pour 2017, on note une augmentation de 4,5 % en crédits de paiement (+ 60 millions d'euros), mais une diminution de près de 6 % en autorisations d'engagement (- 89 millions). Cette évolution globale est liée aux différents cycles d'investissements en cause ; elle masque des évolutions différentes dans le détail des actions du programme.

Ces crédits pour 2018 devront couvrir le report de charges du programme, issu de l'exécution budgétaire 2017. Ce report est estimé à 205 millions d'euros, sous la condition, bien sûr, du maintien en fin d'année de l'ensemble des crédits prévus, ce que tend à confirmer le projet de loi de finances rectificatives déposé à l'Assemblée nationale. Il s'agirait d'une baisse de 13 % par rapport au report de charges de fin 2016.

Les priorités du programme 144 sont, conformément au Livre blanc de 2013 et à la loi de programmation militaire en vigueur, d'une part, la réaffirmation du rôle central du renseignement - dont parlera, tout à l'heure, Michel Boutant, d'autre part, la consolidation des efforts de recherche de défense et le maintien de la capacité d'influence de la France ; ce sera l'objet de mes propos.

Je commencerai par ce qui concerne la recherche de défense.

Les études amont font l'objet pour 2018 d'une prévision de 723 millions d'euros en crédits de paiement. C'est plus de la moitié des crédits du programme 144. Ce montant est stable par rapport à la prévision pour 2017 ; il reste en ligne avec l'objectif fixé en matière d'études amont par la LPM actuelle, soit 730 millions d'euros en moyenne annuelle sur la période 2014-2019.

En prenant en compte les exécutions passées et les prévisions pour 2017 et 2018, le budget effectivement consacré aux études amont s'avère en moyenne de 727 millions d'euros par an depuis 2014.

À la suite du rapport d'information sur les moyens de la défense nationale adopté en mai dernier par notre commission, les rapporteurs que nous sommes appellent de leurs voeux le rehaussement, dans la prochaine LPM, de ce budget, à hauteur d'un milliard d'euros en moyenne annuelle : il s'agit d'assurer une préparation adéquate de l'avenir de notre défense. La ministre des armées, que nous avons interrogée ici même, nous a assuré de son ambition en ce sens ; il nous reviendra donc de veiller à la mise en oeuvre !

L'analyse stratégique, de son côté, doit bénéficier en 2018 de plus de 9 millions d'euros, soit un doublement des autorisations d'engagement et une hausse de 50 % des crédits de paiement. Cette évolution traduit, au plan budgétaire, la réforme du dispositif de soutien à la recherche stratégique appliquée depuis 2015.

Le ministère de la défense, en effet, pour donner plus de prévisibilité et donc améliorer le pilotage des études, a mis en place des contrats-cadres et a accru les études de type « observatoire ». Il a également développé des relations plus étroites avec l'université. L'ensemble vise à remédier à la relative fragilité de notre recherche stratégique, comparée notamment aux « war studies » anglo-saxonnes.

Tous programmes confondus, le budget consacré à la recherche et développement (R&D) de défense devrait atteindre, en 2018, 4,7 milliards d'euros. C'est une baisse de 5 % par rapport à 2017, mais cela reste supérieur de près de 30 % à l'enveloppe moyenne sur la période 2014-2016. Malgré les contraintes financières, la France est ainsi le pays d'Europe qui consacre le plus gros effort budgétaire à sa R&D de défense : cette R&D constitue 11 % de notre budget de défense en 2017.

À cet égard, il faut saluer la création - officiellement annoncée la semaine dernière - de « Definvest », fonds d'investissement pour soutenir le développement des PME stratégiques pour la défense. Ce nouvel outil, lancé en partenariat avec BPI France, vient compléter les dispositifs de soutien à l'innovation déjà mis en oeuvre par la DGA.

Dans ce contexte globalement positif, on reste préoccupé par la situation de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) - situation qui s'améliore, mais avec une certaine lenteur.

Certes, la gouvernance de l'ONERA se trouve à présent entièrement rénovée. En particulier, le contrat d'objectifs et de performance de l'établissement, longtemps attendu, a été signé en décembre 2016, et une réorganisation interne est effective depuis mars dernier. Sur ce plan, les critiques que la Cour des comptes avait formulées en 2015 apparaissent levées.

Cependant, une stratégie reste à arrêter pour les infrastructures. Un plan général de rénovation est nécessaire pour maintenir au meilleur niveau le parc des souffleries de l'ONERA - pièce maîtresse de nos grands moyens technologiques -, et ceci au-delà des travaux urgents de consolidation conduits, depuis deux ans, pour la soufflerie du site de Modane (travaux entrepris, d'ailleurs sous « l'aiguillon » de notre commission). D'autre part, il reste à organiser une rationalisation des implantations franciliennes de l'ONERA, aujourd'hui présent à Palaiseau, Meudon et Châtillon. Dans ces deux dossiers majeurs pour le bon fonctionnement de l'établissement, les arbitrages financiers demeurent en attente.

Par ailleurs, la situation financière de l'ONERA s'avère encore fragile, indépendamment du maintien, assuré jusqu'en 2019, de la subvention de l'État au niveau actuel. Au demeurant, cette subvention, fixée à 105 millions d'euros, ne représente que les deux tiers de la masse salariale de l'Office. L'évolution des prévisions de prises de commandes de l'industrie confirme que, pour développer ses ressources propres, l'ONERA doit poursuive l'adaptation de son offre aux besoins industriels et s'efforcer de mieux valoriser sa recherche.

Notre commission doit marquer son attachement à la pérennité de cet outil essentiel pour la filière aéronautique et spatiale, qui contribue à faire de la France un des très grands acteurs mondiaux du domaine. Compte tenu notamment de la structure actuelle du marché sur lequel s'inscrit l'ONERA, on peut être inquiet de voir le pilotage de cet établissement déterminé, peu ou prou, par les économies. L'ONERA s'expose ainsi à un risque de perte d'attractivité pour recruter et fidéliser son personnel ; or il s'agit là, précisément, de sa richesse vive.

J'en viens pour finir, rapidement, aux crédits du programme 144 dédiés à la capacité d'influence internationale de la France. Ces crédits financent notamment le fonctionnement du réseau de nos attachés de défense en ambassade.

Pour l'ensemble des actions de coopération et de diplomatie en cause, que pilote la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), près de 43 millions d'euros sont prévus en 2018. 60 % de ces crédits (26 millions d'euros) tiennent à l'aide versée à la République de Djibouti, au titre de l'implantation des forces françaises, en application du traité bilatéral de 2011. C'est l'occasion d'appeler à ne pas laisser notre influence décroître dans cette zone stratégique, alors que la Chine dispose aujourd'hui à Djibouti de sa première base militaire à l'étranger.

On notera également que le programme 144 porte les crédits de la contribution française au budget de l'Agence européenne de défense (AED), soit 5,2 millions d'euros l'an prochain. Cette prévision couvre l'augmentation de budget de l'Agence décidée la semaine dernière par l'Union européenne, orientation que soutenait la France et que justifie, notamment, le rôle que l'AED est appelée à jouer dans la mise en oeuvre du nouveau Fonds européen de défense.

Sous le bénéfice de ces observations, et avant de laisser, pour la suite, la parole à Michel Boutant, j'indique d'ores et déjà que j'émets une appréciation positive sur les crédits inscrits au programme 144 dans le projet de loi de finances pour 2018.

M. Michel Boutant, co-rapporteur. - La revue stratégique de la défense a exposé clairement les menaces auxquelles notre pays est confronté. Dans un monde plus incertain et plus dangereux, la France doit poursuivre ses efforts dans le domaine du renseignement, car celui-ci est une condition clef de son autonomie stratégique. Le projet de loi de finances pour 2018 s'inscrit dans ces objectifs pour ce qui concerne les crédits inscrits au programme 144, poursuivant ainsi les efforts engagés depuis plusieurs années. Je formulerai trois observations.

Première observation : ce programme porte les crédits hors titre 2 alloués aux services de renseignement relevant du ministère des armées, c'est-à-dire la DGSE et la DRSD (direction du renseignement et de la sécurité de la défense). Ceux de la DRM qui dépend de l'État-Major des Armées figurent au programme 178.

J'inclurai également dans mon analyse les crédits de titre 2, qui figurent au programme 212, car on ne peut comprendre l'évolution des crédits du programme 144 sans prendre en compte l'accroissement des effectifs.

Seconde observation : hors titre 2, les crédits attribués à la DGSE constituent la masse la plus importante, 295,6 millions d'euros dont 251 destinés aux investissements. Les crédits de la DRSD ne représentent que 13,9 millions d'euros.

Les crédits de paiements sont en hausse sous l'effet conjugué de l'augmentation des crédits de fonctionnement liée à l'intensification de l'activité opérationnelle des services notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et à l'étranger (+ 8% pour la DGSE à 45,6 millions d'euros et +11,8 % pour la DRSD à 3,2 millions d'euros) et de celle des investissements, conséquence de la consommation progressive des importantes autorisations d'engagement antérieures finançant les programmes d'investissements techniques et les travaux d'infrastructures de la DGSE (+23,9 % / 251 millions d'euros), ceux de la DRSD étant stables (+0,5 % à 10,7 millions d'euros). En autorisations d'engagement, à l'inverse, les crédits diminuent légèrement, conséquence du ralentissement cyclique des investissements de la DGSE.

La DGSE s'est engagée depuis 2015 sur un programme immobilier de l'ordre de 150 millions d'euros pour accueillir sur ses sites des effectifs plus nombreux et héberger ces moyens techniques de recueil, d'exploitation, et de cyberdéfense. Elle prépare un nouveau schéma directeur et elle a, comme l'avait encouragée votre commission, mis en place un véritable service des affaires immobilières et procéder au recrutement d'experts pour professionnaliser ces fonctions.

La DRSD bénéficie, elle, jusqu'en 2019 d'un programme de l'ordre de 9,2 millions d'euros inscrit au programme 212 et envisage pour la prochaine LPM un regroupement de ses infrastructures.

Troisième observation : cette évolution, significative, accompagne le renforcement des effectifs.

La DGSE bénéficie sur la période 2014-2019 de 822 créations d'emplois, 410 ont été réalisées. Le solde devrait s'échelonner à raison de 215 en 2018 et 197 en 2019. L'effort principal reste à conduire au cours de ces deux dernières années.

Hors service action, elle emploie plus de 5 255 agents. Le montant des crédits de titre 2 progressent en conséquence de 426,6 millions d'euros en 2017 à 445,5 pour 2018. Les tendances observées se poursuivent : la part des militaires continue son érosion, comme la progression du nombre des contractuels au sein des personnels civils et une tendance affirmée à recruter davantage de personnels officiers ou de catégorie A. Tendances que l'on retrouvera à la DRSD également.

La difficulté de recrutement et de maintien des personnes au sein du service, globalement surmontée à la DGSE, tient à la spécificité de certains profils recherchés et à la faiblesse des viviers. Deux missions d'audits ont été déclenchées en 2017 au sein du ministère des armées, et des mesures mises en oeuvre en matière de parcours professionnels, de mobilités interservices et d'échanges sur les questions RH.

Confrontée à l'évolution des métiers, à l'intensification des missions, et à l'accroissement sensible des effectifs à recruter, former et intégrer, la DGSE, - comme la DRSD, d'ailleurs,- devront professionnaliser les fonctions de soutiens et notamment leur DRH. Elles sont souvent les moins bien loties en raison de la priorité donnée au coeur opérationnel des services, mais leur modernisation est indispensable à la réussite de l'action de transformation à conduire et conditionne les succès à venir. Un nouveau mode de gouvernance et de pilotage de la fonction RH a été mis en place à la DGSE en mai dernier.

La DRSD connaît cette année encore un renforcement significatif de ses effectifs. Son plafond d'emplois est fixé à 1 525 pour 2018 (1 328 en 2017). Les crédits de paiement du titre 2 progressent de 15 % (105,5 millions d'euros en 2017 à 121,4 en 2018). La DRSD est confrontée à une véritable transformation de son organisation et de sa structure d'emplois. Elle doit gérer un turnover de ses effectifs de l'ordre de 12 %, leur montée en puissance, mais aussi l'évolution des métiers. Or par manque de visibilité, mais aussi de capacités à proposer des niveaux de rémunération suffisants et parce qu'elle est sous-dimensionnée dans ses fonctions de soutien, elle éprouve de sérieuses difficultés à assurer la montée en puissance de ces effectifs. Elle est en retard de 60 emplois sur son objectif cible de la fin d'année 2017. Nous estimons que la fonction RH devrait être confortée et des solutions apportées par le ministère des armées pour lui permettre de recruter dans de meilleures conditions. Des améliorations, notamment dans la suite des missions d'audit, sont en cours mais elles restent timides par rapport aux enjeux.

Ce renforcement des effectifs est bienvenu dans le domaine du renseignement mais aussi dans ses activités traditionnelles de sécurité et de protection. Les décisions prises suite aux attentats terroristes ont conduit à devoir gérer avec difficulté des demandes d'habilitation et d'avis de sécurité plus nombreux (+ 70 % depuis 2015). Le ratio d'instruction dans les délais qui avait chuté est remonté grâce à l'optimisation des processus et au renforcement des effectifs, notamment par l'appel à la réserve opérationnelle. En matière d'inspections de sites, le respect des programmes de visites, pour identifier leurs vulnérabilités, s'avère compliqué avec l'accroissement du nombre de sites à inspecter (+15 % en 2017). Le ratio s'est effondré en 2016 (62 %), à peine redressé en 2017 (70 %), la priorité donnée au point d'importance vitale a été néanmoins respectée. Le centre d'inspections a amorcé sa remontée en puissance par des recrutements et le recours à des réservistes, mais le temps de formation est long et les résultats se font attendre. Surtout, il faudrait que les préconisations soient effectivement mises en oeuvre, ce qui n'est pas toujours le cas dans les délais requis. Votre commission demande la mise en place d'un indicateur de performance spécifique. Espérons qu'elle sera enfin entendue.

Sous le bénéfice de ces observations, et pour ce qui concerne spécifiquement le programme 144, mon appréciation est favorable à l'adoption des crédits de la mission Défense.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Défense » - Programme 178 « Préparation et emploi des forces » - Examen du rapport pour avis

M. Jean-Marie Bockel, co-rapporteur pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, de manière liminaire, il est important de préciser que nous sommes globalement satisfaits de l'évolution des crédits du programme 178, même si nous sommes vigilants sur un certain nombre de points.

Les autorisations d'engagement progressent de 5,3 %, atteignant ainsi 8,817 milliards d'euros. Les crédits de paiement augmentent de 10,6 % par rapport à 2017 pour s'établir à 8,443 milliards d'euros. En valeur, l'augmentation de crédits de paiement est de 769,86 millions d'euros. Deux postes en bénéficient pour l'essentiel : les opérations extérieures (OPEX) et l'entretien programmé du matériel (EPM).

La hausse provient donc en partie du resoclage budgétaire des surcoûts des OPEX pour 125 millions d'euros, sur les 200 millions d'euros supplémentaires consacrés aux OPEX en 2018. La différence correspond aux 75 millions d'euros de titre 2 inscrits sur le programme 212. Ce premier « resoclage » budgétaire des surcoûts d'OPEX participe à la neutralisation de la hausse annoncée du budget de la Défense de 1,8 milliard d'euros pour 2018 et plus directement du programme 178. Nos rapporteurs du programme 146 vous en ont déjà parlé, il s'agit d'un mouvement de moyen terme qui devrait aboutir en 2020 à l'inscription sur l'ensemble de la mission « Défense » de 1,1 milliard d'euros au titre des OPEX. Cette perspective conduirait de fait à basculer le financement des OPEX de l'interministériel vers les armées seules, contrairement à ce qui était prévu pour cette période de programmation, grâce aux dispositions introduites dans la LPM à l'initiative de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat en 2013.

L'autre évolution expliquant l'accroissement des moyens du programme 178 est l'allocation de 450 millions d'euros supplémentaires en faveur de l'EPM. Grâce à cette augmentation, les crédits dédiés à l'EPM atteignent 3,78 milliards d'euros en 2018.

Cette allocation de moyens se répartit entre les armées :

- 1,5 milliard d'euros pour l'armée de l'air, soit 168 millions d'euros supplémentaires dédiés à la fois à l'effort de régénération des matériels anciens, à la mise en place de la formation modernisée et de l'entraînement différencié des équipages de chasse - la FOMEDEC - et à l'acquisition de systèmes sol-air moyenne portée terrestre par l'OCCAR (organisme conjoint de coopération en matière d'armement) ;

- 1,4 milliard d'euros pour la marine, soit 169 millions d'euros supplémentaires. L'augmentation est essentiellement liée à l'effort de régénération des matériels anciens décidés lors de l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) de juillet 2015 et au paiement des marchés d'entretien des sous-marins nucléaires d'attaque et des frégates ;

- enfin, 0,8 milliard pour l'armée de terre, soit 108 millions d'euros supplémentaires. Il s'agit là de mettre en oeuvre le nouveau modèle de maintenance des équipements terrestres appelé « MCO-T 2025 » reposant sur une externalisation de marché au profit des industriels et parallèlement une diminution des crédits du titre 2. C'est un vrai enjeu car le délestage d'activités de MCO vers le privé a été chiffré à près de 500 millions d'euros sur la période 2017-2022, montant qui ne tient pas compte de la surusure des équipements liés à la suractivité et la surintensité de leur exploitation en OPEX. Le financement de ce nouveau modèle de maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres était prévu sur 2017 et 2018 mais n'est absolument pas garanti au-delà. C'est là un lourd tribut qui pèse sur la prochaine LPM, auquel nous devrons être attentifs. C'est le capital opérationnel de notre armée qui est en jeu !

Déjà dans la loi de programmation en cours, l'enveloppe nécessaire pour le total des besoins de maintien en condition opérationnelle à couvrir serait plus proche des 800 millions d'euros que des 500 millions d'euros distribués entre 2016 et 2017 au titre de l'actualisation en 2015 de la LPM, soit 300 millions d'euros manquants. Il me semble qu'il y a un risque réel de découvrir sur la prochaine LPM que les économies espérées et utilisées pour construire les budgets pendant cette période de programmation, les fameux « coûts de facteurs », c'est-à-dire l'évolution des indices économiques, ont été trop largement évaluées et qu'aux 300 millions d'euros déjà manquants au titre de l'entretien programmé du matériel il faille en ajouter d'autres. Nous recommandons donc vivement au gouvernement d'évaluer la possibilité d'avancer les livraisons de matériels neufs lorsque cela revient moins cher que d'entretenir des parcs vieillissants. Je pense notamment au remplacement des VAB par les Scorpions, même si la capacité de l'industriel ne rend cette solution viable qu'à partir de 2020.

Je souhaite également attirer votre attention sur l'enjeu que représente la prise en compte du Soutien à l'exportation (SOUTEX) dans la prochaine LPM.

Pour la période de programmation actuelle nous étions dans une situation paradoxale ! L'exportation de nos armements était une condition sine qua non pour maintenir en activité la chaîne de production du Rafale à son minimum de 11 appareils par an, sans que le ministère de la défense n'ait à acquérir 40 appareils en plus des 26 prévus par la LPM.

Dans le même temps, nous n'avions pas prévu les crédits nécessaires au financement du SOUTEX par les armées. Les industriels remboursent la participation des militaires au SOUTEX : mais concrètement, ils ne remboursent ni les soldes, ni les frais d'amortissement du matériel. Seules les dépenses supplémentaires sont remboursées. Or elles ne comprennent pas les frais supplémentaires de maintien en condition opérationnelle des matériels vieillissants, utilisés plus longtemps pour permettre à l'industriel de prendre à nos armées les frégates ou les Rafale qu'il n'a pas encore produits et qu'il exporte ainsi. Le maintien en service actif du Montcalm et du Primauguet en témoigne ! De même le recrutement nécessaire à la DGA pour assurer le SOUTEX du formidable contrat du siècle signé pour l'achat des sous-marins par les Australiens n'est aucunement pris en charge par les industriels ou prévu par la LPM.

Enfin, nous n'avions pas étudié dans la LPM actuelle les modalités de retour attendu des opérations dites de SOUTEX une fois les objectifs d'exportation atteints et largement dépassés. La modulation à la baisse des coûts de l'EPM devrait pouvoir être programmée en LPM. La prochaine loi de programmation militaire ne doit pas faire l'économie d'une profonde réflexion sur ces enjeux !

Enfin, mes chers collègues, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 178.

Mme Christine Prunaud, co-rapporteur pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, j'ai, sur le projet de loi de finances pour 2018, quelques points d'inquiétude.

Le programme 178 est au coeur de la mission défense puisqu'il porte les crédits de la préparation opérationnelle de nos armées, gage de notre réactivité, de notre efficacité et de la sécurité des personnels. Or l'activité opérationnelle reste inférieure aux objectifs fixés, de près de 10 %. L'indisponibilité des équipements aéronautiques, la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre (FOT), l'opération Sentinelle et les renoncements qu'elle a impliqués, ainsi que le nombre élevé d'OPEX expliquent en grande partie les difficultés des armées à atteindre le niveau de réalisation des activités et d'entraînement prévu.

L'amélioration attendue de la mise en place de régimes d'entraînement différencié tarde à se concrétiser. Le retard pris dans la mise en place de la formation modernisée et entraînement différencié des équipements de chasse (FOMEDEC), Sentinelle et la montée en puissance de la FOT ont empêché la pleine mise en oeuvre de l'entraînement différencié.

Autre point de vigilance, la trop lente remontée de la disponibilité technique opérationnelle (DTO). Mon collègue vous a parlé de l'enjeu que représente la prise en compte des besoins budgétaires dans la prochaine LPM, je voudrais, pour ma part, vous parler de ce qui me semble être une « fausse bonne solution » dans le domaine de la DTO.

La DTO des hélicoptères de l'armée de terre augmente de 10 % par rapport à 2017, mais elle ne permet encore de remplir que 58 à 66 % du contrat opérationnel selon la flotte concernée. Un taux aussi médiocre que celui des équipements de la marine dédiés aux fonctions de surveillance maritime. Engagement du personnel de maintenance dans l'opération « Sentinelle », vieillissement des parcs, déficit de régénération, actions de « rétrofit » qui augmentent l'encours chez l'industriel, la DTO des équipements de l'armée de terre est à la peine. Tout comme celle des équipements aéronautiques !

S'il faut soutenir les efforts et fixer un niveau de crédits compatible avec la réalité du contrat opérationnel réalisé et les conditions réelles d'utilisation des équipements en OPEX, la réorganisation de la chaîne complète de soutien prend du temps, et les résultats ne peuvent s'améliorer que progressivement. Les tentations de « table rase » ou d'externalisation totale ne nous semblent ni efficientes ni réalistes !

Le capital opérationnel de nos armées, humain et matériel, est soumis à rude épreuve. Il nous appartiendra d'être particulièrement vigilants pour tenter de le préserver dans le cadre de la prochaine LPM. Ayant assisté à une revue périodique de la flotte, à la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques - SIMMAD, nous sommes convaincus de l'engagement des services de soutien dans cette bataille de la restauration du niveau de DTO.

Dans le cadre de la préparation de cet avis budgétaire, nous avons examiné la situation des services de soutien, éternels sacrifiés du ministère. Pour rappel, ils ont subi de plein fouet la révision générale des politiques publiques, les efforts de déflations prévues par la présente LPM puis la remontée en puissance de la FOT, sans augmentation de leurs propres effectifs ni même arrêt de leur déflation.

Il est urgent, et indispensable de placer les services de soutien au coeur de la réflexion de la prochaine LPM pour éviter l'érosion de la capacité de projection de nos armées.

L'arrêt de la déflation des personnels a déjà été décidé pour le service du Commissariat des armées pour la fin de la période de programmation actuelle. Cette décision était indispensable vu les difficultés que connait ce service auquel on demande en plus de mettre en oeuvre 3 des 12 priorités du plan famille annoncé par la ministre.

La même décision doit impérativement être prise pour le service de santé des armées-SSA qui est au bord de la rupture. Depuis le début de l'actuelle LPM, le SSA a perdu 1 600 hommes soit 8 % de ses effectifs. Le service dispose de 700 médecins des forces, il lui en manque 100 ! Les personnels projetés effectuent 200 % du contrat opérationnel. Alors que les déficits de personnels sont déjà criants dans certaines spécialités telles que les chirurgiens orthopédistes ou les dentistes, la surprojection de ces personnels finit par les pousser à quitter le service. 10 % du contrat opérationnel du SSA en OPEX est d'ores et déjà assuré par des réservistes, et la directrice du SSA travaille activement à l'augmentation de leur nombre. Dans ces conditions, il est impératif que la déflation de 330 personnels prévus d'ici la fin de la LPM soit suspendue. Dans le cas contraire, il n'est pas impossible d'imaginer que la projection de personnels médicaux ne soit plus possible que la France perde ainsi sa capacité à se projeter ! Le SSA a prouvé sa capacité à fournir un effort de réforme très impressionnant, nous avons tous en mémoire notamment la fermeture de l'hôpital du Val-de-Grâce, nous devons prendre conscience qui ne peut guère fournir un effort supplémentaire dans l'état actuel de ses effectifs.

Pour toutes ces raisons, je recommande l'abstention sur l'adoption des crédits du programme 178 et de la mission défense.

M. Bruno Sido. - Je souhaiterais avoir des précisions sur ce que sont les surcoûts des OPEX ? Car après tout, les hommes sont là, les équipements existent et s'il n'y avait pas d'OPEX il y aurait tout de même des entraînements.

M. Jean-Marie Bockel. - Ces surcoûts sont liés en partie aux primes et à l'indemnité de sujétion pour services à l'étranger.

Il y a là, un autre sujet : il me semble que, sur l'imputation des crédits dédiés aux OPEX sur le programme 178, nous pouvons avoir un débat de fond. Une position consiste à considérer que nous devons aller vers un budget plus sincère et lisible et qu'on assume en inscrivant loi de finances initiales le coût des OPEX sur le budget de la défense, sous réserve bien sûr d'une urgence en cours d'année. L'autre position consiste à considérer que l'on inscrit un certain coût que l'on réévaluera au cours de l'exécution. Cette réévaluation dans le temps n'est pas anormale puisqu'elle permet de mettre en jeu la solidarité interministérielle dans un contexte de rigueur budgétaire et d'assurer ainsi la participation de tous les ministères à l'effort de financement des OPEX. Mon sentiment personnel est que la progression vers une plus grande clarté est une bonne chose.

M. Cédric Perrin. - On sait également que le matériel est beaucoup plus utilisé en OPEX qu'en entraînement ce qui entraîne des dépenses supplémentaires de MCO. Or, c'est un sujet de débat aujourd'hui, le budget de MCO est comptabilisé sur les crédits de la mission et non sur le surcoût des OPEX. Le surcoût des OPEX est constitué initialement des dépenses de projection de matériel, puis, par la suite, essentiellement du coût des ressources humaines.

M. Ladislas Poniatowski. - J'ai une question technique sur la projection des médecins qui vont dans les zones de combat, en OPEX. Les militaires trouvent un avantage financier à être en OPEX, suivant les périodes et les moments. Les médecins militaires sont-ils eux aussi demandeurs de déploiement ? Ont-ils eux aussi une prime ? Quel est leur statut lorsqu'ils sont déployés en OPEX ?

M. Jean-Marie Bockel. - Ils ont eux aussi bien sûr une surrémunération comme les autres militaires. Toutefois, lorsque nous avons été reçus à l'hôpital militaire de Percy Clamart, par la nouvelle directrice du SSA, avec son état-major et des personnels sur place, des chefs de service, les personnels soignants, le sentiment général qui s'est dégagé de ces auditions est que ces personnels sont sur-sollicités et le service au bord de la rupture. D'où d'ailleurs, comme le mentionnait ma collègue, l'appel aux réservistes. Les personnels du SSA montrent des signes d'épuisement qui nous inquiètent. La vraie question n'est pas celle des primes, mais c'est l'enjeu de la gestion de l'épuisement, de l'épuisement véritable d'une partie du personnel. Le contrecoup est d'ailleurs une augmentation du nombre de départs du service de santé des armées de personnes qui sont, par ailleurs, de très haut niveau et dont les compétences sont fort considérées dans un contexte de manque de personnel médical dans le civil.

M. Christian Cambon, président. - Je peux confirmer cette suractivité des médecins, j'ai dans mon département l'hôpital militaire de Bégin qui est en tension permanente. Je ne crois pas que la question du déploiement des personnels se pose en termes financiers. Ils sont appelés en déploiement, l'enjeu étant de faire face aux missions. Je pense qu'il sera utile de recevoir un jour le service de santé des armées devant la commission, ce qui sera aussi une manière de rendre hommage au travail extraordinaire qu'il accomplit.

Mme Christine Prunaud. - Je pense que cette audition serait une très bonne idée.

M. Jean-Marie Bockel. -... À laquelle je souscris pleinement.

M. Christian Cambon, président. - Nous allons maintenant procéder à un vote unique sur les quatre programmes de la mission « Défense ».

La commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, tout en considérant indispensable le déblocage rapide des 700 millions d'euros encore gelés sur le programme 146 pour l'exercice 2017, a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense », le groupe CRCE s'abstenant.

Mission d'information sur la « Réforme de l'expertise internationale-Expertise France » - Nomination de deux co-rapporteurs

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, je vous propose de désigner dès à présent les rapporteurs de la mission d'information consacrée à la réforme d'Expertise France. Il est en effet nécessaire de commencer ces travaux dès à présent car les modalités de l'élargissement d'Expertise France devraient être annoncées lors d'un Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) qui se tiendra en février 2018 : il faut absolument que la commission ait pris une position forte avant cette date afin de peser sur la décision qui sera prise.

Je vous propose de nommer Jean-Pierre Vial et Marie-Françoise Perol-Dumont pour cette mission, qui se situe en continuité avec les travaux qu'ils ont déjà effectués dans le cadre de leur avis sur la mission « Aide publique au développement » et qu'ils pourront donc mener à bien dans le court délai qui leur est imparti.

Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.

Questions diverses

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, pour votre information, le Bureau de la commission a décidé le 26 octobre dernier de vous proposer les missions suivantes en 2018 :

« La route de la soie » et « Expertise France » qui sont donc déjà lancées, de même que « Le service national universel », pour laquelle j'ai reçu des demandes de la part de Joëlle Garriaud-Maylam, Claude Haut, Hugues Saury, Jean-Pierre Grand, Gisèle Jourda, pour suivre les travaux : je demande donc aux deux co-rapporteurs Jean-Marie Bockel et Jean-Marc Todeschini de les inviter à suivre leurs auditions.

La commission se rendra également en 2018 auprès du dispositif Barkhane au Sahel, pour rendre visite aux forces armées et faire un bilan de cette opération, avant l'examen de la loi de programmation militaire, ainsi qu'à Djibouti, pour faire le point des pré-positionnements français, dont le format a été trop réduit ces dernières années, là encore pour préparer la loi de programmation militaire.

Une mission sera également lancée sur la Libye, pays instable à nos portes et qui concentre quasiment tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés : migrants, trafics, possible implantation des combattants djihadistes, nécessité d'une approche globale entre le miliaire, le politique et le développement, droits humains (avec la découverte de « marchés d'esclaves »).

Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.

Les rapporteurs et les missionnaires pour toutes ces missions seront désignés par notre commission le 20 décembre, après une ultime réunion du Bureau de la commission, le 12 décembre, pour pouvoir démarrer les travaux au plus vite.

La réunion est close à 12 h 10.