Jeudi 8 février 2018

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Table ronde sur les mutilations sexuelles féminines

Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, Mesdames les présidentes, Mesdames et messieurs, je vous remercie d'être venus assister à cette table ronde que la délégation aux droits des femmes organise à l'occasion de la Journée internationale de la Tolérance zéro à l'égard des mutilations génitales féminines, deux jours après la date du 6 février retenue par l'ONU.

Comme vous pouvez l'imaginer, le sujet des violences faites aux femmes est, pour la délégation aux droits des femmes du Sénat que j'ai l'honneur de présider, une préoccupation majeure.

Cette année, en lien avec l'actualité et avec l'annonce d'un projet de loi portant spécifiquement sur ces questions, c'est même pour nous « le » sujet : nous y consacrons toutes nos réunions depuis la rentrée parlementaire.

Entre toutes les violences faites aux femmes, la question des mutilations sexuelles occupe une place particulière, car elle touche à la fois aux droits fondamentaux des femmes et à ceux des enfants.

Dès notre réunion de rentrée, deux de nos membres ont souhaité que la délégation consacre un temps spécifique aux mutilations génitales féminines : je dois dire que leur proposition a été validée à l'unanimité.

Cette suggestion s'explique par le parcours des sénatrices qui ont porté ce projet : Marta de Cidrac, qui est élue de Saint-Germain-en-Laye, où se trouve le Women Safe où opère le Docteur Pierre Foldès ; nous l'avons d'ailleurs rencontré lundi.

Quant à Maryvonne Blondin, notre autre co-rapporteure, elle est très impliquée dans l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) et veille toujours à faire le lien entre nos travaux et les débats de Strasbourg auxquels elle assiste régulièrement. Or l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a consacré aux mutilations sexuelles différents travaux et a, par le biais d'une résolution, exprimé une opposition claire à ces pratiques, comme d'ailleurs le Parlement européen.

Nous avons donc jugé souhaitable que notre assemblée imprime, elle aussi, sa marque dans un combat dont les enjeux semblent aujourd'hui renouvelés, puisque le danger des mutilations dans notre pays pèse désormais pour une large part sur les adolescentes et moins, semble-t-il, sur les fillettes.

Mais nos invités en parleront mieux que moi.

Pour faire le point sur ces questions, nous avons ce matin auprès de nous des intervenants divers, acteurs de terrain, que je remercie de s'être rendus disponibles pour cette réunion. Vous avez toutes et tous le déroulé de cette réunion avec la liste des intervenants : il est donc inutile de vous les présenter.

Je demande au public présent à nos côtés de bien vouloir, comme c'est la règle dans cette assemblée pour garantir la sérénité et la fluidité de nos débats, conserver une attitude neutre et s'abstenir non seulement d'applaudir à chaque intervention (je sais que ce sera difficile) mais aussi de marquer d'éventuels désaccords (je serais étonnée qu'il y en ait). Il y aura, je l'espère, un temps d'échanges à la fin pour permettre d'intervenir à celles et ceux qui le souhaiteraient.

Pour que chacun de nos intervenants puisse s'exprimer dans les meilleures conditions, je leur demande de bien vouloir respecter le temps de parole de dix minutes qui leur a été imparti. J'ai bien conscience, Mesdames, Monsieur, qu'un temps de parole limité peut vous paraître frustrant, mais c'est malheureusement nécessaire ce matin. Merci à vous d'accepter de vous plier à cette règle !

Sans plus tarder, je donne la parole à Maryvonne Blondin, co-rapporteure.

Mme Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - Comme vous l'avez dit, Madame la présidente, ma participation aux travaux du Conseil de l'Europe, mais aussi mes rencontres avec ces associations qui luttent contre l'excision dans chaque département, tout cela m'a conduite à suggérer que notre délégation s'intéresse aux mutilations sexuelles féminines.

Il faut vraiment souligner l'importance de la Convention d'Istanbul de lutte contre la violence à l'égard des femmes, adoptée en 2011 dans le cadre du Conseil de l'Europe (ratifiée par la France en 2014), et qui de manière pionnière comporte un article très clair pour engager les États à interdire en tant que telles les mutilations génitales féminines et en faire des infractions pénales.

Finalement, quand on regarde l'évolution de l'arsenal juridique international, on a beaucoup tardé à interdire les mutilations sexuelles féminines. La convention de 1989 sur les droits de l'enfant, par exemple, ne pose pas le problème de manière aussi claire et se borne à encourager les États à prendre les « mesures appropriées pour abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants ».

Dès 2001, l'APCE a adopté une résolution qui qualifie les mutilations génitales féminines de tortures, et qui condamne aussi d'autres pratiques qui leur sont liées : les mariages forcés et précoces et les « tests de virginité ».

Plus récemment, en 2016, une autre résolution a fait le lien entre la question des mutilations sexuelles féminines et celle des réfugiés. Signe des temps, parmi les enjeux de la protection des femmes contre ces pratiques, il y a la formation à la détection des mutilations - ou au repérage des femmes menacées d'excision - pour tous les travailleurs sociaux en contact avec des demandeurs d'asile.

Ce texte du Conseil de l'Europe rappelle aussi, et il me paraissait nécessaire de le souligner ici ce matin, qu'aucune tradition culturelle ou religieuse ne permet de justifier ces pratiques.

Il m'a donc paru important aussi que Sénat français exprime aussi clairement son opposition aux mutilations sexuelles féminines. Tel est l'objet du rapport d'information que nous avons initié, avec ma collègue Marta de Cidrac, avec le soutien de notre présidente Annick Billon.

Lundi, une visite de notre délégation au Women Safe de Saint-Germain-en-Laye, sur laquelle reviendra Marta de Cidrac, nous invitait à faire preuve d'humilité par rapport aux résultats de la lutte contre les mutilations génitales féminines.

Les statistiques peuvent en effet donner l'impression d'une baisse de ce que les spécialistes appellent la « prévalence », mais derrière ces chiffres, il y a des femmes dont toute la vie va être affectée par ça.

L'excision est une violence faite aux femmes qui ne se limite pas aux pays qui la pratiquent mais qui a des conséquences mondiales.

Elle concerne donc tous les parlementaires, hommes et femmes, quelles que soient nos appartenances politiques. J'espère que cette réunion donnera un signal fort de l'opposition du Sénat français à cette violence.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, chère collègue. J'invite notre autre rapporteure, Marta de Cidrac, sénatrice, à s'exprimer.

Mme Marta de Cidrac, co-rapporteure. - Merci, Madame la présidente.

Je souhaite revenir sur cette visite que la présidente nous a permis d'organiser au Women safe de Saint-Germain-en-Laye, lundi dernier. Dans ce lieu, nous avons rencontré des femmes qui ont vécu des violences, notamment des excisions. Nous nous sommes réunies autour d'un groupe de parole pour les entendre. Nous avons pu nous rendre compte que pour les victimes de mutilations, la chirurgie réparatrice initiée par le Docteur Foldès n'est qu'un aspect d'un processus de reconstruction qui ne peut qu'être long et complexe. D'autres accompagnements - psychologique, juridique - doivent aussi être mis en place. C'est le sens du Women Safe.

Pour certaines des femmes que nous avons rencontrées, c'est une nouvelle vie qui commence grâce à l'opération, une « renaissance ». Une jeune femme qui participait au groupe de parole auquel nous avons pu assister lundi disait que la date de son opération était sa « deuxième date de naissance ».

Mais pour d'autres victimes, plusieurs traumatismes peuvent s'ajouter à celui de l'excision : un mariage forcé (qui implique des viols répétés), des grossesses précoces, une rupture familiale, l'errance dans des territoires en guerre, l'émigration, puis le dénuement et l'isolement social et culturel dans un pays étranger...

Ces parcours soulignent la nécessité d'une prise en charge globale des femmes, avec pour la plupart la nécessité d'un accompagnement psychologique, qui peut prendre beaucoup de temps.

Ce qui frappe aussi, quand on écoute les femmes accueillies au Women Safe, c'est combien leurs témoignages forcent à l'humilité : personne ne peut inciter une victime de mutilation à se faire opérer, c'est la décision de la femme, et sa décision seule, qui est en jeu. Cela montre bien que pousser la porte d'un organisme comme Women Safe ne se réduit pas à une démarche médicale : c'est en fait le début d'un parcours qui engage toute une vie.

Une autre chose doit absolument être martelée : c'est la force et le courage qu'il faut à ces femmes pour parler de ce qu'elles ont subi, parce que cela touche au plus intime de leur personne, cela touche à leur identité de femme, de mère et de fille, et aussi parce que les personnes que nous avons en face de nous ne viennent pas de cultures où ces sujets peuvent être abordés facilement. Dans ce domaine, le non-dit est très présent.

Mais finalement, on s'aperçoit qu'il y a beaucoup de points communs entre ces victimes et les victimes des autres violences faites aux femmes (violences conjugales, violences sexuelles). Les auditions auxquelles nous procédons depuis la rentrée à la délégation l'illustrent chaque semaine. Parmi ces points communs, je citerai :

- le traumatisme profond qu'impliquent ces violences et leur effet profondément destructeur sur les victimes ;

- la difficulté de libérer la parole, a fortiori quand ces violences mettent en cause la responsabilité des proches ;

- la nécessité d'une prise en charge globale pour les victimes, médicale mais aussi psychologique, sociale et juridique.

Je vous remercie.

Mme Annick Billon, présidente. - Certes, la chirurgie réparatrice existe et certaines ont dit qu'elle avait été pour elles une renaissance, mais bien souvent l'excision est accompagnée d'autres violences. Il ne faut donc pas croire que la chirurgie va solder tous les problèmes. Le Docteur Foldès confirmait que l'excision était une violence en elle-même, mais aussi que toutes les femmes qui la subissaient étaient également victimes d'autres types de violences. Celles-ci ne peuvent être réparées que dans le temps, et à la suite d'un travail psychologique.

J'invite dès à présent à intervenir Isabelle Gillette-Faye, présidente de l'association Excision, parlons-en !, qui va nous parler de l'action en réseau pour mettre fin à l'excision.

Mme Isabelle Gillette-Faye, présidente de l'association Excision, parlons-en ! - Merci, Madame la présidente, Mesdames les sénatrices et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, beaucoup d'entre vous me connaissent avec ma « casquette » de directrice générale de la Fédération nationale Gams, mais j'en ai une autre, celle de présidente de l'association Excision, parlons-en !, dont Madame Moïra Sauvage, présente dans cette salle, a été la présidente pendant de nombreuses années. Elle m'a cédé la place il y a une petite année.

Pour entrer dans le vif du sujet, il y a la question de la prévalence. Dans les violences faites aux femmes, aux petites filles et aux adolescentes, on met toujours à part les mutilations sexuelles féminines. Or comme cela a été souligné, ces femmes peuvent être victimes de multiples violences.

En général, quand on pense « mutilations sexuelles féminines », on pense avant tout au continent africain, pour lequel nous avons des données chiffrées. Pour les autres régions du monde, nous souffrons d'un manque d'analyse quantitative de la réalité de ces pratiques. De ce fait, pour être objectif, il faut considérer que les mutilations sexuelles féminines sont certes pratiquées sur le continent africain - pas dans tous les pays, régions et ethnies - mais qu'elles sont aussi très présentes en Asie, notamment en Indonésie, dans le sud de la Thaïlande, au nord de l'Inde, ainsi qu'au Moyen-Orient. Il ne faut pas non plus oublier que les diasporas sont présentes dans un certain nombre de pays européens et occidentaux. Par conséquent, la réalité est beaucoup plus générale qu'on ne l'imagine.

Concrètement en France, 60 000 femmes ont subi des mutilations sexuelles féminines, ainsi que 11 % de leurs filles. Trois enfants sur dix sont menacées d'excision. Nous pointons surtout les adolescentes, car un gros travail a été fait en protection maternelle et infantile sur les enfants de zéro à six ans. À cette occasion, nous avons observé un décalage de l'âge à l'excision. Aujourd'hui, tous les âges sont concernés, mais aussi les plus de six ans, puisque les contrôles médicaux systématiques sont moindres, passé cet âge.

Nous avons créé le réseau Excision, parlons-en ! car nous nous sommes rendu compte que certes, il existait des associations spécialisées telles que le Gams pour lutter contre l'excision, mais qu'il y avait d'autres acteurs à associer à notre réflexion. En termes d'expertise, nous avons dans notre conseil d'administration un certain nombre d'avocats et d'avocates, de même que des professionnels de santé. L'association compte aussi des femmes issues de l'immigration, qui ont pu subir ce type de pratique. Par conséquent, l'expertise est à la fois théorique et « pratico-pratique ».

Par ailleurs, nous essayons de mener des actions de communication, de sensibilisation et de plaidoyer, d'où notre intérêt pour cette réunion. Partant du constat que je viens d'évoquer concernant les adolescents, filles et garçons, nous avons lancé l'an dernier une campagne de prévention inédite à leur attention, avec trois supports : une affiche pour les panneaux de bus, une vidéo sur Youtube et un site Internet : Alerte excision. L'idée est de toucher le plus directement possible cette population jeune, notamment en lui dédiant un site Internet spécifique. Le vocabulaire y est travaillé, ainsi que les schémas que les jeunes peuvent retrouver. Un numéro d'appel est communiqué.

En 2018, nous poursuivons la campagne que nous avons lancée le 5 février dernier avec La Maison des femmes de Saint-Denis et le Docteur Ghada Hatem, qui s'exprimera tout à l'heure. Cette campagne sera déployée jusqu'au 15 juillet 2018. Notre objectif est de tripler le nombre de jeunes impliqués dans la campagne et de toucher, grâce au Planning familial, les jeunes filles les plus à risque. Il nous semblait aussi important d'inviter les garçons, qui sont des futurs pères de famille et frères de jeunes victimes. Nous espérons, grâce à cette campagne, sensibiliser deux fois plus de personnes, avec l'outil totalement innovant qu'est le chat. Cet outil est porté par l'association En avant toutes ! qui a créé il y a deux ans le premier chat dédié aux jeunes filles et jeunes femmes victimes de violences, notamment dans le couple. Leur champ de compétence et d'expertise vient d'être élargi à la thématique des mutilations sexuelles féminines.

Cela étant, puisque l'association Excision parlons-en ! travaille en réseau, il faut souligner que ce travail a été collectif et qu'il a permis de réunir un grand nombre d'associations. J'en profite au passage pour remercier la sénatrice Laurence Cohen, qui nous a soutenus dans cette campagne à destination des adolescents et des adolescentes. Le travail a consisté en une mise en commun de nos expériences et de nos expertises, avec différents tests dans des classes, notamment en Seine-Saint-Denis. En revanche, ce travail n'est possible que s'il s'appuie sur une meilleure connaissance par les professionnels, notamment ceux qui entourent ces femmes et peuvent jouer un rôle de prévention.

Au niveau européen, nous avons travaillé avec une plateforme d'information en ligne1(*). Sur ce site, vous trouverez des outils disponibles pour les professionnels, qu'il s'agisse des travailleurs sociaux ou des professionnels de la justice et de la police. En termes de plaidoyer, le site propose également des arguments que vous pouvez employer en tant qu'acteur institutionnel.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, Madame la présidente. De nouveaux sénateurs nous ont rejoints, je leur souhaite la bienvenue. Je salue aussi la présence d'Hélène Conway-Mouret et de Michelle Meunier, qui malheureusement ne font plus partie de la délégation, mais qui ont souhaité s'associer à cette table ronde. Je les en remercie.

Pour votre information, mesdames et messieurs, sachez que cette délégation compte aussi bien des femmes que des hommes, qui se mobilisent pour les droits des femmes et pour l'égalité hommes femmes. Bienvenue à Ernestine Ronai également, co-présidente de la commission « Violences de genre » au Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh), présente à cette tribune et à Véronique Séhier, présidente du Planning familial, qui nous a rejoints et que je remercie de sa présence dans cette salle.

Avant de donner la parole à Diaryatou Bah, qui a publié un témoignage très émouvant, intitulé On m'a volé mon enfance, je voudrais dire que lundi, quand nous avons assisté, dans les locaux de Women Safe, à un groupe de parole de femmes qui ont subi des mutilations, je ne pensais pas entendre des choses aussi terribles. Je ne peux qu'imaginer à quel point cela peut être difficile, pour une victime, de parler en public de choses aussi intimes. J'exprime donc toute mon admiration à Diaryatou Bah pour le courage qu'implique le fait de s'adresser à nous ce matin.

Diaryatou Bah, nous vous écoutons avec beaucoup d'intérêt.

Mme Diaryatou Bah, auteure de On m'a volé mon enfance. - Je témoignerai de la difficulté de dénoncer les coutumes et traditions, mais également d'être militante et de porter la voix de toutes ces personnes qui ne pourront être là pour s'exprimer. Il n'est pas facile de bousculer les lignes dans nos familles. Mon livre est paru en 2006. Dans mon histoire, j'ai tenté d'expliquer quelles étaient les coutumes, les traditions et la pratique de l'excision. Je suis originaire d'une grande famille de Guinée. Mon père a quatre femmes et trente-deux enfants. À l'âge de quatre ans, j'ai habité chez ma grand-mère, qui m'a élevée jusqu'à mes dix ans. J'explique souvent le quotidien des femmes de ce village, ainsi que leur courage. C'est elles qui portent l'éducation et les coutumes. Ce faisant, elles répètent ce qu'elles ont vécu, et cela se reproduit de génération en génération. Ma grand-mère a été mariée deux fois. Chez nous, les hommes peuvent répudier les femmes quand ils le veulent. L'excision fait aussi partie de ce phénomène de contrôle des femmes dans leur sexualité. Un homme peut prendre quatre ou cinq femmes, et les répudier quand il n'en veut plus. Puis il peut en épouser d'autres et ainsi de suite. Je vous raconte cela pour que vous compreniez le contexte familial, ainsi que la pression qui pèse sur les femmes pour faire plaisir aux hommes. C'est très important de le souligner et de le dire.

Ma mère a été mariée, elle aussi, à l'âge de douze ans avec mon père, qui avait appris le Coran chez mes grands-parents. Ils lui ont alors donné ma mère en mariage. Je suis née deux ans après ma soeur. Ma mère, qui ne pouvait pas nous élever en même temps, m'a confiée à ma grand-mère.

Comme toutes les petites filles de mon village, j'ai été excisée à l'âge de huit ans. J'en entendais parler. J'entendais des filles revenir en criant et pleurant, sans pouvoir marcher, mais je ne me posais pas de question. Je savais que j'allais être excisée. Ma grand-mère repoussait souvent la date. Peut-être avait-elle peur de quelque chose, mais sans me le dire. À l'âge de huit ans, on m'a demandé d'accompagner dans la nature une dame qui était venue voir ma grand-mère. Je ne savais pas ce qui m'arrivait. On m'avait juste vêtue d'un pagne rouge. Quand je suis arrivée, d'autres femmes m'attendaient. Je me suis retrouvée par terre avec ces femmes. Elles m'ont tenu les pieds et les mains. On m'a excisée avec un couteau qui avait déjà servi pour d'autres filles. Cette dame passait de village en village, et était payée avec des sacs de riz. Comme je le dis souvent, le cri que j'ai poussé ce jour-là résonne encore en moi, c'est un cri que je ne pourrai jamais oublier, et je pense que c'est le cri que des milliers de femmes dans le monde ont poussé ou poussent encore lors de l'excision. La douleur était telle que je ne pouvais même pas me relever. C'est ma grand-mère qui me tenait pour que je puisse marcher. Je marchais avec les pieds écartés. J'ai été soignée avec de l'eau chaude pendant un mois, et avec les « médicaments » de la nature : il n'y avait pas de médecin, il n'y avait rien. Ensuite, une cérémonie a eu lieu, au cours de laquelle des chants et danses ont retenti. Pour eux, le rituel qui se répétait de fillette en fillette avait été accompli.

Après l'excision, c'est le mariage qui attend les filles, mariage forcé, ou mariage arrangé. En ce qui me concerne, je dis souvent que c'est un mariage forcé car à douze ans, une fille ne connaît pas la vie. Elle sait encore moins ce que sont l'amour ou le mariage.

Ma grand-mère est décédée lorsque j'avais dix ans. Je suis alors retournée à Conakry, dans cette grande famille où je n'avais pas ma place. Ma mère, qui était la quatrième épouse, avait presque le même âge que les enfants de mon père. Elle était perçue comme une bonne dans cette famille. Elle lavait les assiettes des autres femmes, et toutes ces sortes de choses. J'ai commencé l'école à l'âge de dix ans, et ce jusqu'à l'âge de quatorze ans. L'étape suivante était celle du mariage, ce qui suppose, et c'est encore plus important, la virginité de l'épouse. Il ne faut pas parler à un homme, pas coucher avec un homme, mais nous les femmes, nous ne savons pas pourquoi. La sexualité est tue. Dans nos pays, on excise les petites filles car on ne verbalise rien. On pense que l'excision permettra de contrôler le corps et la sexualité des femmes, alors que seule l'éducation peut faire cet office.

À l'âge de treize ans et demi, un homme a demandé ma main à mes parents en expliquant qu'il travaillait en Europe, et qu'il comptait m'y m'emmener. Il disait que s'il m'épousait, tout irait bien pour ma famille. Ma mère, qui avait subi tant de violences dans cette famille, a considéré qu'elle avait là l'occasion de soustraire sa fille au même sort. Elle pensait qu'en Europe, tout irait mieux. Elle ne pensait pas que j'allais vivre avec le mal.

Je suis arrivée en Hollande avec un visa de tourisme. Cet homme n'était pas là, mais appelait de temps en temps. Nous avons fait le mariage religieux. Cet homme avait quarante-cinq ans, j'en avais quatorze. J'ai subi un viol, puisque je ne connaissais rien à la sexualité. Je n'entrerai pas dans les détails. J'ai fait trois fausses couches, dont l'une à quatre mois. Je ne savais même pas que j'étais enceinte. J'ai perdu un enfant à la naissance. Je ne parlais pas la langue, je n'avais pas de papiers. J'étais clandestine. Cet homme me mentait, me battait et m'enfermait de jour en jour dans un quotidien de violence.

Je suis venue en France avec cet homme, que j'ai quitté à l'âge de dix-sept ans et demi grâce à une émission de télévision. Je comprenais un peu le français, même si je ne savais ni lire ni écrire. J'ai vu des femmes, notamment une jeune femme d'origine marocaine, qui expliquait comment elle avait pu sortir de cette vie. Elle a donné les noms des associations et indiqué qu'il y avait des assistantes sociales. Je suis passée tous les jours devant la mairie des Lilas, mais je ne savais pas que c'était la mairie. Ensuite, j'y suis allée grâce à ma voisine, qui m'a expliqué qu'il existait des associations là-bas, à la mairie. Je suis donc allée chercher de l'aide auprès des assistantes sociales.

Par la suite, mon parcours a été de longue haleine. J'ai dû, comme d'autres victimes, revenir sur mon passé et en parler partout. J'ai dû raconter mon histoire à plusieurs reprises, ce qui est le plus difficile si on n'a pas fait de travail sur soi-même. Pourtant, on peut ne pas en vouloir aux parents. Ce sont les coutumes et les traditions qu'il faut incriminer. Il faut attaquer le mal à la racine ! Nous nous heurtons dans ce combat au relativisme culturel, qui explique que tout ceci est normal, puisque c'est culturel. Le tout est mélangé à la religion, ce qui nous aide encore moins. Tout le monde a appris avec l'imam, qui nous dit que si nous continuons à pratiquer ces coutumes, nous irons au paradis. Il dit que c'est comme cela, et pas autrement...

Aujourd'hui, après être sortie de tout ce parcours, après avoir achevé ma reconstruction et retrouvé mon identité, qui avait été falsifiée, j'ai dû subir une opération pour perdre du poids. J'ai pesé plus de 150 kilos. Il a fallu que je puisse refaire confiance aux hommes pour avoir un enfant. Aujourd'hui, j'ai une petite fille. C'est aussi pour elle que je me bats contre l'excision. Je veux qu'elle connaisse son origine et son identité, qu'elle retourne en Guinée, mais je sais aussi que j'aurai un combat à mener pour qu'elle ne soit pas excisée. Je milite dans différentes associations pour continuer ce combat, notamment le Gams, Excision parlons-en ! et Ni putes ni soumises. Je m'identifie à toutes les femmes présentes dans cette salle, mes soeurs de combat, qui m'ont transmis le flambeau. Je veux rendre tout ce qu'on m'a donné. C'est pour cela que j'en parle aujourd'hui. Je ne cesserai pas de parler, pour que l'excision cesse. Avec Excision parlons-en !, je participerai dans les lycées et les collèges à la campagne dont a parlé Isabelle Gillette-Faye. Nous allons essayer de sensibiliser chacun afin que les petites filles ne soient plus excisées.

Dans ce combat, je vous invite toutes et tous à nous rejoindre. Nous devons briser les tabous et mettre enfin un terme à l'excision !

Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour ce témoignage très émouvant. Ce cri qui résonne en vous, cette violence dont vous avez été la victime, vous les avez transformés en énergie positive au service d'une cause et des autres femmes. Bravo pour votre engagement et merci pour votre témoignage qui nous a évidemment bouleversés.

Je me tourne vers Ghada Hatem, qui va nous parler de l'expérience de La Maison des femmes de Saint-Denis et de l'importance d'une approche pluridisciplinaire pour accueillir et accompagner les victimes de mutilations génitales.

Docteur, vous avez la parole.

Docteur Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne, fondatrice de La Maison des femmes de Saint-Denis. - Merci de m'avoir invitée à présenter le travail que nous menons dans cette maison qui a ouvert ses portes il y a dix-huit mois. Grâce à Sylvie Epelboin, qui a longuement travaillé sur le terrain au Sénégal, j'ai compris que rien n'était simple. Elle m'a notamment expliqué que les petites filles qu'elle voyait pleurer étaient celles dont ce n'était pas encore le tour d'être excisées. Cette idée de rite initiatique est tellement ancrée dans la tête des petites filles qu'elles pensent être impures si elles n'en passent pas par là. Ces petites filles pleurent le jour où la cérémonie ne les concerne pas. J'ai gardé cette idée dans ma pratique, car je pense qu'on ne peut pas simplifier cette histoire pour en faire uniquement un sujet lié à la barbarie.

Nous ne pouvons cependant pas nous contenter de dire qu'il s'agit d'histoires de religion, de communautés et de particularismes. À La Maison des femmes, nous accompagnons les femmes pour lutter contre l'excision, tout en respectant leurs origines et leur culture, et leurs rites. Ce n'est pas très facile. Je vais vous raconter ce qui s'est passé dans le dernier groupe de parole.

Des photos sont projetées à l'écran.

Vous voyez ici quelques photos d'une magnifique exposition de Stéphanie Sinclair, qui s'intitulait Too young to wed - Trop jeune pour se marier, et qui abordait aussi la question de l'excision. On y voit que même dans des écoles en Indonésie, la classe est préparée pour la cérémonie de l'excision.

Accueillir ces femmes - je crois que vous en avez eu l'expérience lorsque vous vous êtes rendus au Women Safe, qui fait un travail tout à fait semblable - c'est être confronté à des thématiques très imbriquées. Chez nous, les femmes nous racontent l'excision, le viol, le mariage forcé, la honte d'être différente, la douleur, l'absence de désir et de plaisir, l'exode, les crimes de guerre... Nos patientes, sauf lorsqu'elles sont nées en France, ont vécu tout cela. Lorsqu'elles sont traumatisées, il nous faut faire la part des choses entre ce qui relève de l'excision et ce qui relève du reste. Dans ce contexte, nous pensons que l'opération n'est pas toujours la chose la plus importante. Bien sûr, parfois c'est évident. Si une femme a mal à chaque fois qu'elle fait l'amour, si son vagin est complètement fermé, il n'est pas nécessaire de réfléchir pendant des heures sur l'opportunité d'une opération. En revanche, quand elles nous parlent de difficultés dans leur sexualité, de psycho-traumatismes très évidents, de questions d'ordre identitaire, de la difficulté d'être une femme d'origine africaine dans un pays d'Europe où les hommes n'ont pas le même regard, de la façon de faire l'amour avec un conjoint d'origine différente... Toutes ces questions, qui impactent leur sexualité, ne sont pas nécessairement liées au clitoris lui-même. C'est pourquoi nous devons les aider, en faisant la part des choses entre l'ensemble de ces problématiques.

Comment aborder le sujet de l'excision avec un jeune et avec un moins jeune ? Nous devons être très vigilants quant à la manière de mettre la lumière sur cet acte. Évidemment, il ne faut jamais dire « ce n'est pas grave », ni dire à une jeune fille « ne t'inquiète pas, je n'en parlerai à personne, cela va s'arranger ». Et il ne faut surtout pas lui dire : « tes parents sont des barbares ».

Nous avons construit un parcours de soins qui commence avec la détection. Cette entrée dans le parcours peut se faire à la maternité, lorsque la femme vient accoucher et que la sage-femme lui indique que son sexe a été excisé. Chacun trouve ses propres mots pour en parler à la femme concernée de la façon la moins traumatisante possible.

Parfois, les femmes qui viennent à La Maison des femmes nous sont adressées par des associations (Gams, Excision parlons-en !, associations d'aide aux migrants...) et parfois aussi par les urgences.

Leur premier contact peut être, selon les cas, le psychologue, le sexologue, le chirurgien ou la sage-femme. Nous sommes tous formés et coordonnés pour que, quelle que soit la porte d'entrée, la patiente se retrouve dans un parcours.

De plus en plus souvent, la première entrée est le groupe de parole. Lorsqu'une femme nous contacte en expliquant son désarroi d'être excisée, nous l'adressons au groupe de parole, qui est très précieux. Nous avons commencé avec trois femmes, et aujourd'hui elles sont trente. Nous ne savons plus où les asseoir ! Certaines, au début, ne parlent pas, puis finissent par se décider. Lors du dernier groupe de parole, j'ai demandé à un ami anthropologue spécialiste de l'Afrique subsaharienne d'être présent pour m'aider à comprendre les propos de ces femmes. Je suis un « docteur blanc », je suis spécialiste de réparation mais je ne connais pas bien l'Afrique. Or il n'est pas toujours facile de parler de sexualité avec des femmes originaires d'Afrique. Je vous donne juste un exemple. À un moment, j'ai parlé de masturbation, et je voyais que mon ami me regardait d'un air curieux. Brutalement, les femmes se sont mises à s'esclaffer dans leur coin. Il m'a parlé du « mari de la nuit »... On ne peut parler de ces choses que de façon imagée. J'ai trouvé que le double regard soignant-anthropologue était passionnant dans ces groupes de parole.

Pour certaines femmes, les groupes de parole peuvent être douloureux car ils les remettent à chaque fois dans leurs histoires. Il arrive qu'elles quittent le groupe, qu'elles reviennent après s'être fait opérer ou qu'elles ne reviennent pas. Nous respectons cela.

Après le groupe de parole, les psychologues et les sexologues jouent toujours un rôle essentiel. Même lorsque l'excision a été faite alors que les femmes étaient des bébés, le traumatisme reste. Le sexologue est nécessaire car les femmes ont souvent beaucoup d'idées préconçues sur la sexualité. Elles pensent qu'elles ne sont pas normales et que la chirurgie va tout réparer. Elles croient que même si elles n'ont pas choisi leur mari et qu'elles le détestent, elles auront envie de faire l'amour. Notre rôle est aussi de leur expliquer qu'on peut avoir un clitoris, détester son mari et ne jamais avoir d'orgasme. Ce ne sont pas des sujets faciles à aborder en consultation. Nous nous y sommes formés petit à petit.

Lorsque le bénéfice de la chirurgie n'est pas évident, nous nous réunissons - chirurgien, sexologue, psychologue - pour discuter du cas de la patiente et de l'opportunité, pour elle, d'une opération. Nous nous demandons si l'opération ne va pas risquer de la décevoir. Seules 30 à 50 % des patientes sont opérées. Par la suite, nous les revoyons. Si ces femmes sont dans des parcours migratoires ou souhaitent quitter leur mari, nous les adressons à des juristes bénévoles, à une assistante sociale et même à un policier présent une fois par semaine pour les aider dans leurs démarches. Cette prise en charge globale les aide à sortir de leur situation.

Je vous communique ici des paroles de ces femmes, que les psychologues nous rapportent : « Je suis tellement fière d'avoir pris cette décision », « Je suis très courageuse », « Avant j'avais honte d'aller chez le gynécologue » Pour ces femmes, c'est extraordinaire. Les propos les plus fréquents sont « Je suis une femme à part entière ». Il y a aussi toutes ces améliorations de la fonction urinaire, après l'opération. Une fois qu'elles sont opérées, c'est magique pour ces femmes, elles retrouvent un jet urinaire tout droit, comme nous toutes.

Par ailleurs, nous avons aussi décidé d'éduquer les maris. À ce titre, je raconterai encore une anecdote. Une femme du groupe de parole indiquait n'être pas excisée, car elle provenait d'une ethnie qui ne pratiquait pas l'excision. Or dans la famille de son mari, l'excision avait cours, de sorte que sa belle-mère la harcelait tous les jours pour que leur fille soit excisée. Cette femme était terrorisée car elle partait en vacances le mois suivant. J'ai demandé à cette femme de revenir avec son mari, auquel j'ai fait un cours d'anatomie et décrit les complications liées à l'excision. Il ne m'a rien dit, puis il est parti. Un mois après, au retour de vacances, sa femme est venue me remercier. Elle m'a dit : « Il a pris vos flyers, il a réuni le village, il a fait le même cours que vous. Et il a conclu : « Le premier qui touche à ma fille, je le tue ». Donc ça peut marcher !

Nous parlons aussi de sexualité et d'excision aux adolescents dans les classes, et allons à la rencontre des associations de quartier. Autour de nous, 80 % des jeunes filles sont originaires d'Afrique subsaharienne. Nous pensons que la dimension de prévention et de plaidoyer et le fait d'oser parler de ces sujets sont est aussi essentiels que l'opération.

[Des photos sont projetées.]

Je vous communique ici des photos montrant des femmes aux ateliers maquillage et de retour à l'emploi organisés par La Maison des femmes. Vous voyez ici une jeune femme, qui est notre plus beau succès. Lorsque je l'ai rencontrée, elle dormait dans la rue et se lavait dans le ruisseau. Elle avait tout quitté en laissant ses enfants, parce que son mari était violent. Nous l'avons opérée. L'avocate a plaidé sa cause, et elle a obtenu son droit d'asile. Elle travaille aujourd'hui en CDI. Elle est méconnaissable !

Mme Annick Billon, présidente. - En effet, les groupes de parole sont essentiels et permettent de créer une dynamique pour exprimer la violence. Nous avons pu le constater pendant notre visite au Women Safe. L'accompagnement pluridisciplinaire dont vous parlez est nécessaire pour traiter ces femmes, qui ont subi un traumatisme physique et psychologique. Nous l'avons compris, l'excision n'est pas seulement une mutilation physique. Pour autant, elle a des conséquences lourdes après les grossesses et lors des rapports sexuels. Lors de notre déplacement au Women Safe, une jeune femme a même témoigné qu'avant l'opération, elle était incontinente...

Il est important qu'un homme participe à ce combat et je suis particulièrement heureuse d'accueillir ce matin le Docteur Morissanda Kouyaté, expert auprès des Nations-Unies et directeur exécutif du Comité interafricain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants.

Merci d'être là, Monsieur, pour renforcer la dimension internationale de nos échanges.

L'ONU a inscrit parmi ses objectifs l'élimination, à l'échéance de 2030, des mutilations génitales féminines.

Sachant que ces pratiques existent dans trente pays, et que l'on compte environ 200 millions de victimes dans le monde, dont 44 millions ont moins de quinze ans, pensez-vous possible d'atteindre cet objectif dans ce délai, finalement assez court ?

Je vous laisse sans plus tarder la parole.

Docteur Morissanda Kouyaté, expert auprès des Nations-Unies, directeur exécutif du Comité interafricain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants. - Merci, Madame la présidente. Permettez-moi tout d'abord de remercier sincèrement le Sénat français à travers vous, car il n'est pas évident de se retrouver dans des instances aussi élevées pour parler de mutilations génitales féminines. Pourtant, cela devrait être cela partout ailleurs. Je voudrais aussi vous remercier de m'avoir fait connaître la salle Napoléon et la salle Clemenceau. J'espère un jour avoir l'honneur de vous convier à Addis-Abeba, dans la salle Mandela.

Nous célébrons aujourd'hui le 6 février. Je suis très heureux d'être le directeur exécutif du Comité interafricain, créé en 1984 à Dakar, qui regroupe aujourd'hui vingt-neuf pays africains et dix-neuf pays non africains, dont le Japon, la France, l'Europe en général, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis, le Canada... C'est une fierté de voir qu'en 2003, le Comité a organisé à Addis-Abeba la Conférence Zéro tolérance pour les mutilations génitales féminines, à l'issue de laquelle nous avions demandé aux premières dames d'Afrique et à l'ONU de proclamer le 6 février Journée internationale Tolérance Zéro à l'égard des mutilations génitales féminines.

Aujourd'hui, nous sommes très heureux que tous les 6 février, le monde vibre contre les mutilations génitales féminines. Nous souhaiterions que ces pratiques cessent le plus tôt possible, mais l'ONU a estimé l'objectif à l'horizon 2030. Je vais y revenir.

Le combat contre les mutilations génitales féminines nous emmène sur un terrain extrêmement difficile, un terrain miné, dans lequel les mots ont leur sens. Les mutilations génitales n'ont rien à voir avec la culture : couper les filles, leur enlever leurs organes génitaux avec des couteaux ou les instruments improvisés qui tombent sous la main des exciseuses, cela ne pourra jamais être culturel. La culture est éminemment positive, ce sont des valeurs qu'un peuple ou un groupe d'individus cultivent et peuvent même transmettre au reste du monde. L'excision ne relève donc pas de la culture, mais plutôt de la tradition. C'est justement derrière des mots comme culture que se cachent ceux qui ne veulent pas que les mutilations génitales féminines cessent. Pour eux, supprimer l'excision reviendrait à les déculturer, les acculturer, changer leur culture. L'Occident voudrait, d'après eux, changer la culture des africains ! Mais ce débat est un piège ! D'abord, l'excision n'est qu'une tradition : il y a de mauvaises traditions en Afrique comme ailleurs, en France, en Europe ou aux États-Unis. Pour nous, les mutilations génitales féminines sont une mauvaise tradition. Cela ne concerne pas que l'Afrique, car l'excision existe aussi en Indonésie, au Kurdistan ou au Yémen. Il faut considérer les mutilations comme une pure et vraie violation des droits humains des femmes et des filles. À ce titre, la lutte contre ces pratiques n'appartient pas à un pays ou à un continent, mais à l'humanité !

Je suis heureux de voir que la parole se libère ici en France, même si c'est un peu tard. En ce qui nous concerne, nous avons toujours libéré la parole dès lors qu'il s'agit de mutilations génitales féminines. Il faut le dire.

Par ailleurs, je félicite la France d'avoir tenu le flambeau de la lutte contre les mutilations génitales féminines hors Afrique, et d'avoir eu le courage de tenir le premier procès pénal sur le sujet, alors qu'il n'y en avait pas encore en Afrique. C'était une grande avancée. Je voudrais profiter de l'occasion de cette réunion pour saluer les autorités françaises, au travers du Sénat français. Toutefois, la lutte est encore longue pour parvenir à éradiquer les MGF.

À cet égard, le Comité africain a défini cinq axes stratégiques :

- la sensibilisation ;

- le plaidoyer ;

- la communication ;

- l'adoption de lois proscrivant les mutilations génitales féminines : c'est la seule arme efficace contre les parents et les collatéraux qui peuvent être acteurs de cette violence ;

- la prise en charge des femmes ayant déjà subi des mutilations génitales féminines : à cet égard, je salue le travail important accompli par le Dr Foldès.

Toutefois, au nom du Comité interafricain, je dirai qu'il faut être prudent avec les mots. Le mot « réparation », à mon avis, diminue la femme. On a l'impression qu'elle se voit assimilée à un objet, comme si elle était une voiture à réparer.

Le Comité interafricain est très heureux d'avoir tenu le flambeau des résolutions régionales et internationales. Notre siège se trouvant à Addis-Abeba, nous sommes tout d'abord allés devant l'Union africaine pour les appeler à s'engager dans cette lutte. Nous avons rappelé que les mutilations génitales féminines faisaient l'objet de condamnations en France, en Norvège et aux États-Unis, mais qu'il appartenait d'abord à l'Afrique de montrer le chemin. Les chefs d'État africains nous en entendus, car ils ont adopté la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qui a été complétée par un protocole relatif aux droits des femmes, conclu à Maputo en 2003. C'est l'un des documents les plus avancés dans le domaine de la protection des droits des femmes.

Sur proposition du Comité interafricain, nous sommes allés encore plus loin. Nous avons demandé à l'Union africaine de présenter la résolution des Nations-Unies contre les mutilations génitales féminines. Nous aurons ainsi des lois nationales, régionales et internationales. Le 20 décembre 2012, nous sommes parvenus à l'adoption de la résolution 67-1462(*) qui proscrit les mutilations génitales au niveau international.

Toutefois, les résolutions ne suffisent pas si elles ne sont pas appliquées. Il faut que les résolutions sortent du « politiquement correct » pour être contraignantes. C'est pourquoi je propose que non seulement les textes soient révisés au niveau international, mais également qu'ils soient contraignants.

En 1984, nous avons affirmé notre volonté de mettre fin aux mutilations génitales féminines. En 2000, on recensait 32 millions de filles excisées ; nous avons de ce fait sensibilisé les Nations-Unies à la nécessité d'éradiquer ce fléau des mutilations génitales féminines dans le cadre de la définition des Objectifs du millénaire pour le développement. En 2015, 30 millions de filles de plus avaient été excisées, de sorte que les Nations-Unies ont reporté à 2030 l'objectif de l'élimination de ces pratiques. Encore quinze autres années ! Cela signifie que 30 millions de filles seront encore excisées d'ici là. Si on continue comme cela, en 2030, on reportera encore cet objectif à 2045. Cela ne finira jamais !

En définitive, il faut avant tout appliquer les textes. Je vous remercie.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup pour ce témoignage. Je suis d'accord pour dire qu'il est question de traditions, et non de culture. Il s'agit aussi, vous avez raison, de faire appliquer la loi, qui interdit l'excision. Pourtant si des centres tels que Women Safe pratiquent cinquante opérations par mois de chirurgie réparatrice ou de reconstruction, cela signifie que l'on est encore loin de la disparition de ces pratiques. Vous l'avez dit, il n'est en aucun cas question de réparer une voiture, bien évidemment. Il s'agit d'un terme technique du vocabulaire médical.

Je vous remercie pour vos paroles, qui montrent que l'ONU s'engage fermement contre les mutilations.

Il semble que la France soit le premier pays d'accueil et d'asile pour des femmes et des filles victimes de mutilations ou menacées par ces pratiques. Il nous a donc paru important d'inviter à cette table ronde l'association France terre d'asile. Nous écoutons Fatiha Mlati, directrice de l'intégration, qui a été une interlocutrice très appréciée de la délégation, il y a deux ans, dans le cadre d'un rapport sur les femmes victimes de la traite des êtres humains.

Mme Fatiha Mlati, directrice de l'intégration, coordonnatrice de la question du genre de France terre d'asile, membre de la Commission d'orientation de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF). - Je vous remercie, Madame la présidente. Je voudrais commencer mon intervention en rappelant quelques chiffres relatifs aux demandes d'asile. Notre pays est le premier à protéger les personnes qui sont potentiellement victimes d'excision. Cela fait plusieurs années que nous le constatons.

Vous le savez, nous assistons à une croissance des demandes d'asile en général, aussi bien en France qu'en Europe. En 2016, notre pays se classait au 3ème rang des pays d'accueil européens, avec un peu plus de 85 000 demandes. En 2017, nous avons franchi le cap des 100 000 demandes. Nous ne disposons pas encore des statistiques détaillées, car le rapport de l'OFPRA ne sera disponible qu'à la fin du mois d'avril 2018.

Ce cadre étant précisé, nous savons qu'en janvier 2017, 6 200 jeunes filles étaient protégées par la France au titre de l'excision, contre 4 007 en janvier 2015. La fourchette est de 4 000 à 6 000 demandeuses d'asile chaque année au titre de l'excision, avec une augmentation de la protection qui leur est apportée.

Autre point important à noter, on constate depuis quelques années une baisse de la proportion de femmes parmi les demandeurs d'asile ; elles représentent environ un tiers des demandes (33 %). Parallèlement, on observe une hausse de l'âge moyen, qui se situe autour de 31 ans. S'agissant des femmes cependant, on relève une augmentation des demandes d'asile de la part de primo-demandeuses âgées de zéro à vingt-quatre ans, directement liée à l'augmentation du nombre de demandes liées à l'excision.

Je voudrais maintenant insister sur les pistes d'amélioration de notre législation depuis la dernière loi, votée en 20153(*). Si la volonté de prendre à bras le corps le sujet des mutilations sexuelles féminines au niveau mondial remonte à 1984, je rappelle que la France a été le premier pays à criminaliser ces pratiques en 1985. De plus, en 2012, la jurisprudence du Conseil d'État a établi que l'excision était un motif à part entière justifiant une demande de protection. De même, en avril 2013, un droit au séjour a été accordé aux parents dont les filles sont protégées au titre de l'excision.

Avant même l'apport de la loi de 2015, je voudrais rappeler toutes les avancées permises par la Commission européenne dans la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, à travers plusieurs directives contraignantes pour les États membres. Ces textes ont notamment permis de reconnaître l'excision comme un motif légitime de protection dans le cadre du traitement des demandes d'asile.

Enfin, je note que les débats politiques qui ont eu lieu au cours des dernières années sur la question du genre, de manière parfois très polémique, ont eu le mérite de mettre à distance le relativisme culturel et de recentrer véritablement ce débat sur la question des droits de l'Homme et des droits universels.

Voilà quelques rappels que je souhaitais faire en guise de préambule.

J'en viens maintenant à la présentation des principaux apports de la loi de 2015. Je tiens à saluer avant tout le travail formidable accompli par l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) à cet égard. En effet, l'Office a créé dès 2013 un groupe de travail sur la prise en charge de la vulnérabilité des demandeurs d'asile. Par la suite, un groupe de référents a été mis en place de manière permanente. Ce groupe de travail a permis d'identifier les bonnes pratiques à diffuser et a mis en lumière la nécessité de traiter, au sein de la question de la vulnérabilité, celle des violences contre les femmes, dont l'excision.

Dans la continuité de ces travaux, la loi de 2015 a introduit un mécanisme d'évaluation des motifs de vulnérabilité des demandeurs d'asile, diligenté par un agent de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) dès le début de la procédure de demande d'asile. Dans ce cadre, l'OFII doit transmettre l'information à l'OFPRA afin que celui-ci détermine les modalités d'examen particulières de cette demande au vu de ces vulnérabilités. La loi de 2015 a donc mis en place une prise en compte vraiment très spécifique de cette problématique par les différents acteurs habilités à intervenir sur la demande d'asile.

De surcroît, la loi de 2015 prévoit une visite médicale obligatoire en amont de la procédure de demande d'asile, avec l'objectif d'obtenir un certificat médical de non-excision, dont la mise en oeuvre est encadrée par un arrêté du 23 août 20174(*). De plus, la réforme de la demande d'asile a permis la présence d'un tiers lors de l'entretien par l'OFPRA, ce qui est très important. En parallèle, des rappels réguliers ont été adressés aux préfets pour faciliter l'accès au droit au séjour des parents des jeunes filles concernées par le risque d'excision.

Malgré ces avancées, il reste encore des points d'amélioration. Cela concerne notamment la mise en oeuvre de l'arrêté du 23 août 2017 sur l'examen médical. Ainsi, nos structures d'accueil, qui sont présentes sur tout le territoire et qui gèrent un peu plus de 4 000  places d'accueil de demandeurs d'asile, nous font part de problèmes dans certains territoires où les demandeurs d'asile rencontrent des difficultés pour obtenir des rendez-vous. Il peut aussi y avoir une trop grande distance entre le lieu où est hébergée la personne et les endroits où elle peut accéder à un médecin formé pour pratiquer cet examen. Plus généralement, on constate aussi le manque de formation des praticiens. Enfin, dans certains territoires, les travailleurs sociaux qui accompagnent les familles dans l'accès à l'examen médical se heurtent purement et simplement au refus de la part de certains médecins de pratiquer cet examen médical, avec l'accord de l'antenne locale du Conseil de l'ordre des médecins - au motif qu'ils ne considèrent pas cet examen comme un acte de soin.

Par ailleurs, en ce qui concerne l'accompagnement des familles, les travailleurs sociaux doutent parfois de la sincérité des pères quant au fait de bannir définitivement l'excision des pratiques familiales. Cet aspect-là est vraiment très important et doit être pris en compte. Plus généralement, cela fait plusieurs années que France terre d'asile demande aux acteurs de l'asile et gestionnaires d'établissement des lignes directrices très claires en ce qui concerne la promotion de l'égalité femmes-hommes. En effet, il est primordial de conduire un travail d'ordre pédagogique auprès des demandeurs d'asile pour amener vers un partage de nos valeurs l'ensemble des personnes susceptibles de résider dans notre pays.

Au-delà, nous constatons des inégalités territoriales dans la prise en charge des demandeurs d'asile. Il faut dire que beaucoup d'actions sont concentrées sur la région Ile-de-France et que certains territoires sont moins bien dotés. Il en va ainsi de la prise en charge de l'accompagnement psychologique ou de la reconstruction des victimes.

De surcroît, les gestionnaires de centres attirent notre attention sur la nécessité de traiter la question des déboutés avec, là encore, des différences préoccupantes selon les territoires. Concrètement, aujourd'hui, les familles des jeunes filles menacées d'excision peuvent se voir accorder trois statuts. Première hypothèse : la petite fille est protégée et ses parents obtiennent directement une carte de résidents de dix ans. Deuxième possibilité : les parents obtiennent un titre de séjour annuel. Troisième formule : on leur délivre un premier récépissé, mais ils sont considérés d'abord comme déboutés et sans droit au séjour. Or ces différences peuvent avoir un impact important sur l'avenir et la vie de ces familles. En effet, quand les parents sont déboutés, cela signifie qu'ils n'ont aucuns droits sociaux et que les structures d'accueil ne peuvent pas leur offrir un logement pérenne. De plus, les pratiques en matière de titre de séjour pour les parents sont parfois différenciées selon les territoires. C'est un élément important sur lequel il faut travailler.

Par ailleurs, il faut faire en sorte de mettre en place un système de prise en charge globale des demandeurs d'asile garantissant un accès équitable aux procédures. Vous le savez, il y a une pression très importante au regard des flux. Actuellement, on distingue dans les faits deux voies de prise en charge des demandeurs d'asile qui sont équivalentes en volume (environ 80 000 places) : d'un côté, celle du CADA (Centre d'accueil pour demandeur d'asile), qui offre une prestation complète et spécialisée aux demandeurs d'asile et leur garantit un accès à la procédure à la fois juste et équitable. De l'autre, un dispositif ad hoc au sein duquel les prestations concernent essentiellement l'hébergement, et très modérément l'accompagnement. Bien évidemment, toutes les personnes dites vulnérables, notamment celles concernées par l'excision, pâtissent de cette situation qui engendre une inégalité de traitement.

Enfin, il reste des tensions au niveau du premier accueil - tout le monde le sait - notamment à Paris, où les files d'attente sont importantes. Normalement, la procédure d'enregistrement des demandes d'asile devrait être effectuée dans un délai de trois jours, même si, en période de tension, on tolère des délais pouvant aller jusqu'à dix jours. Mais en pratique, les délais d'enregistrement peuvent aller jusqu'à un, voire trois mois, comme par exemple en Seine-Maritime l'année dernière. Or ces délais ne sont pas sans conséquences sur le traitement des demandes d'asile.

Telles sont les principales difficultés dont je voulais vous faire part, même si je veux conclure sur une note plus optimiste : je pense que le travail initié pour consolider notre politique d'asile et mieux protéger les victimes de mutilations sexuelles féminines va se poursuivre. Je citerai à cet égard l'amélioration du pré-accueil, à travers l'émergence des nouvelles structures que sont les centres d'accueil et d'orientation qui permettront, nous l'espérons, une meilleure évaluation de la vulnérabilité des demandeurs d'asile, et donc aussi une meilleure orientation.

Nous espérons aussi, et c'est un point abordé dans l'excellent rapport du HCE|fh publié en décembre 20175(*), que les bonnes pratiques qui ont émergé à travers le travail fait par l'OFPRA pourront prospérer au sein de l'OFII qui intervient au coeur du dispositif.

Autre perspective encourageante, le futur projet de loi « asile et immigration » annoncé par le Gouvernement stabilise le droit au séjour des parents en leur permettant l'accès au titre de séjour pluriannuel. En outre, il crée pour la première fois une passerelle directe entre l'OFPRA et les médecins. Selon moi, cela constitue une avancée majeure.

Pour terminer, je voudrais rappeler qu'il y a 48 heures, s'est tenu au Parlement européen un débat sur les mutilations sexuelles féminines. À cette occasion, les députés européens ont appelé l'ensemble des États parties du Conseil de l'Europe à ratifier la Convention d'Istanbul, texte majeur en ce qui concerne la lutte contre les violences faites aux femmes. Certes, cette convention a pu entrer en vigueur, compte tenu du nombre d'États qui l'ont ratifiée. Néanmoins, une ratification par l'ensemble des États parties constituerait indéniablement un beau symbole.

Mme Annick Billon, présidente. - Le droit d'asile évolue, mais nous voyons que les parcours sont encore difficiles. Merci d'avoir fait écho à nos propres constats : la disparité dans les territoires d'une part, et l'hétérogénéité de traitement dans les violences faites aux femmes selon les territoires d'autre part.

Notre dernière intervenante est Ernestine Ronai, que notre délégation connaît bien, et qui est venue évoquer ce matin un aspect essentiel de la prévention : la formation des professionnels.

Mme Ernestine Ronai, co-présidente de la commission « Violences de genre » du HCE|fh. - Je vous remercie, Madame la présidente. Avant toute chose, je souhaiterais souligner que la France s'attache depuis plusieurs années à parler de « mutilations sexuelles féminines » plutôt que de « mutilations génitales féminines ». Cette différence n'est pas seulement sémantique, elle a du sens. En effet, c'est bien le sexe de la femme qu'on atteint lorsqu'on mutile une femme. À l'échelle internationale, on parle en général de mutilations génitales féminines, en mettant notamment l'accent sur le fait que ces mutilations ont des conséquences au moment de l'accouchement et des rapports sexuels - comme l'a très bien dit Ghada Hatem.

Pour autant, il me paraît vraiment important de parler de « mutilations sexuelles féminines » ; je souhaite que la France conserve cette originalité et puisse, pourquoi pas, l'exporter aux autres pays, car je pense que cela aiderait toutes les femmes. Il faut rendre visible ce dont on parle, parce que même dans le cas de l'infibulation, c'est bien de sexe qu'il est question. Le sens profond de la mutilation sexuelle féminine est l'appropriation du corps des femmes par les hommes. Elle est particulièrement violente, avec l'idée que le plaisir est un privilège masculin et que l'homme doit être sûr des origines de sa progéniture. Car c'est aussi cela le sujet. Voilà ce que je voulais dire en préambule.

Sur la question de la formation des professionnels, puisque c'est le thème sur lequel je suis invitée à intervenir ce matin, je dirai d'abord que le Haut Conseil à l'Égalité est très attaché à ce que la lutte contre les mutilations sexuelles féminines passe par une politique publique. Dans ce cadre, la question de la formation est très importante. Vous l'avez dit, un médecin non formé ne voit rien, ne s'intéresse pas au sujet. Une sage-femme, non formée, n'est pas nécessairement en mesure de constater qu'une femme a été mutilée. Or cela aura des conséquences pour la vie de la femme, mais au-delà, aussi, pour la petite fille qui va naître.

A qui s'adressent nos formations ? Bien sûr aux médecins, sages-femmes et infirmières, mais aussi aux professionnels de l'éducation. Lorsqu'elle était ministre de l'Éducation, Najat Vallaud-Belkacem avait publié à plusieurs reprises des circulaires pour demander que l'on parle des mutilations sexuelles féminines dans les écoles. Enfin, la formation concerne aussi les travailleurs sociaux, les magistrats et les forces de l'ordre.

Dans le cadre de la formation que je dirige à l'École nationale de la magistrature (ENM) sur les violences sexuelles, nous avons introduit un module sur les mutilations. Au cours de la dernière session, le parquet de Paris a mentionné six signalements sur un an à ce titre. Ce chiffre semble peu élevé au regard de la population à risque.

Pour autant, cela ne veut pas dire qu'il ne se passe rien car tout le travail accompli, notamment par La Maison des femmes que nous a présentée Ghada Hatem, ne passe pas forcément par le signalement. Je pense par exemple aux médecins de PMI, qui sont particulièrement formés à ce problème en Seine-Saint-Denis et qui font oeuvre de prévention avec les femmes par rapport aux petites filles, en leur expliquant ce que sont les mutilations sexuelles féminines et leurs conséquences. La formation va permettre la prévention des mutilations, car si les professionnels sont attentifs au repérage des mutilations, ils pourront sensibiliser les parents, surtout la mère.

Dans le cadre de la prévention, la loi est tout à fait importante. Cela a été dit avant moi. J'ai beaucoup apprécié ce rappel de M. Kouyaté.

La Convention d'Istanbul a été citée, et je vais vous lire ici l'article dédié aux mutilations sexuelles féminines : « Les parties veillent à ce que la culture, la coutume, la religion, la tradition ou le prétendu honneur ne soit pas considérés comme justifiant des actes de violences couverts par le champ d'application de la présente convention ».

La France ayant ratifié cette convention, elle sera évaluée sur sa mise en oeuvre. L'application de la loi, y compris dans sa dimension répressive, fait aussi partie, comme je le disais à l'instant, de la prévention. À cet égard, M. Kouyaté a évoqué très justement le premier procès qui a eu lieu en France : ce procès et ceux qui ont suivi en cours d'assises ont justement permis de fixer les interdits auprès des populations à risque, en montrant que la loi n'est pas que théorique. Même si cela n'est pas suffisant, c'est très important et cela facilite ensuite la réflexion sur le sujet.

Une étude récente de l'Institut national d'études démographiques (INED) montre un lien entre la durée du séjour en France et le recours à ces pratiques. Plus les personnes sont installées en France depuis longtemps, plus elles s'approprient notre législation et nos valeurs et moins elles font exciser leurs filles.

Je voudrais également parler du repérage, qui est développé dans les guides élaborés à l'attention des professionnels, que je vous présenterai ensuite. Quels doivent être les signaux d'alerte qui doivent inciter à s'inquiéter pour une enfant ou une jeune femme ? Le questionnement est très important. Certes, l'examen par un médecin compte, mais il y a aussi la façon de poser les questions, de chercher des indices. Les mutilations ne transparaissent pas sur le visage des personnes. Il faut donc faire comprendre aux personnes menacées qu'il existe des lieux où elles peuvent en parler, avec des médecins, des assistantes sociales ou des infirmières scolaires.

Je voudrais vous faire part de mon expérience personnelle à cet égard. J'ai été psychologue scolaire pendant plusieurs années. Je me souviens d'une petite fille de CM2 qui n'allait pas très bien en classe et qui m'avait donc été adressée. Elle devait partir au Mali pour les vacances et m'avait fait part de son inquiétude. Je lui ai demandé pourquoi. Elle a répondu : « Je ne sais pas, mais tout le monde parle autour de moi, j'ai peur ». Alors j'ai fait un signalement. Les policiers ont interrogé la famille et cela a permis que cette petite fille revienne entière. Les policiers avaient expliqué à la famille que l'excision est interdite et condamnable en France et que la petite serait examinée à son retour.

On voit bien ici comment le fait d'informer et de former permet d'être véritablement efficace.

Autre sujet, la question de la protection des jeunes adultes nées en France. Je m'adresse ici aux législateurs et aux législatrices que vous êtes. En France, les mineures sont protégées, mais c'est plus compliqué pour les majeures. En Seine-Saint-Denis, nous avons mis en place un protocole qui permet aux jeunes de bénéficier d'un « contrat jeune majeur », ce qui reste une exception au niveau national. En effet, actuellement, ce contrat n'est valable que si le jeune a déjà été protégé dans le cadre de sa minorité. Il constitue donc un prolongement de cette protection après la majorité. En revanche, si vous n'avez jamais été protégé dans votre minorité par l'Aide sociale à l'enfance (ASE), on vous interdit l'accès à ce contrat. Je trouve vraiment dommage que la législation, pour ces cas particuliers, ne prenne pas en compte la gravité du sujet. La loi devrait permettre la protection des jeunes majeures dans ce cadre.

J'ai été très intéressée par l'intervention de Fatiha Mlati sur la question des examens médicaux. Actuellement, un médecin ayant un diplôme universitaire (DU) de médecine légale peut pratiquer cet examen, qui sera valable pour l'OFPRA. Cela suppose de former les médecins dans les unités médico-judiciaires (UMJ), mais aussi de prévoir la rémunération d'heures supplémentaires. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, ces examens concernent 900 personnes, donc cela nécessite quelques moyens supplémentaires. Je vous demande d'y penser lorsque vous examinerez la prochaine loi de finances !

Je souhaiterais aussi vous présenter rapidement deux outils de lutte contre les mutilations sexuelles féminines. Le premier a été créé par la Direction générale de la santé (DGS), révisé avec la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), structure née en 2013 dont l'un des objectifs est la formation des professionnels. Il s'agit d'un guide à destination des médecins et sages-femmes intitulé Le praticien face aux mutilations sexuelles féminines.

Le deuxième outil, également créé par la MIPROF, avec le concours du Gams6(*), de la Commission pour l'abolition des mutilations sexuelles (Cams) et des associations référentes est un kit de formation sur le repérage et la prise en charge des mineures confrontées aux mutilations sexuelles féminines, qui se compose d'un court-métrage et d'un livret d'accompagnement7(*) (kit « BILAKORO »).

Vous pouvez trouver ces outils sur le site Internet stop-violences-femmes.gouv.fr.

J'ai été très intéressée par l'intervention de M. Kouyaté. Vous avez évoqué les différentes échéances successivement définies par l'ONU, et vous avez raison d'attirer notre attention là-dessus. Les mutilations sexuelles féminines sont un sujet grave auquel il faut s'atteler. C'est le cas de la France et des gouvernements français qui se sont succédé (et j'espère que cela va continuer). Cela me donne l'occasion de saluer Laurence Rossignol, l'une des ministres avec laquelle j'ai eu le plaisir de travailler et qui a été très attentive à toutes ces questions, notamment en lien avec la protection de l'enfance.

Pour conclure, je reprendrai ma citation favorite de Simone de Beauvoir : « La fatalité ne triomphe que si l'on y croit ». En France, dans le monde, en Afrique, un peu partout, ceux qui ne croient pas à la fatalité des mutilations sexuelles féminines se mobilisent, et ensemble nous parviendrons à les faire reculer !

Mme Annick Billon, présidente. - Je salue moi aussi l'arrivée de Laurence Rossignol, sénatrice et ancienne ministre.

C'est entendu, nous veillerons dans nos publications à recourir au terme « mutilations sexuelles féminines ». Vous avez souligné la nécessité de mettre en oeuvre des politiques publiques dédiées et significatives et de mener des actions de formation, pour que toutes les femmes puissent être accueillies et accompagnées de la même manière. Vous avez indiqué avec raison que la répression fait partie de la prévention.

Je pense que mes collègues - du moins ceux qui n'ont pas rejoint la salle des séances et qui sont toujours parmi nous - souhaiteront réagir et poser des questions à nos intervenants.

Nous avons encore quelques instants, avant de libérer cette salle, pour donner la parole au public que je remercie encore de sa présence.

Qui souhaite poser des questions aux intervenants ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je remercie la délégation d'avoir pris l'initiative de ce travail.

Je m'adresse à Diaryatou Bah : c'est grâce à un témoignage comme le vôtre que j'avais travaillé il y a cinq ans à la mise en place dans nos consulats d'un module de sensibilisation pour les agents consulaires, qui ne savaient pas jusqu'alors comment traiter le cas d'une jeune femme se présentant dans un consulat, souvent privée par sa famille de ses papiers d'identité. Ne sachant comment l'aider, ces agents la renvoient dans sa famille... Aujourd'hui, il y a un protocole de réception pour ces personnes vulnérables. Nous avons aussi mis en place une vraie chaîne humaine avec l'aide d'associations, tant dans les pays à risque qu'en France, où elles peuvent aider les victimes qui ont été rapatriées. Cinq ans plus tard, j'en garde encore une grande frustration. Des milliers de signalements sont effectués au Royaume-Uni par les consulats, alors que les consulats français ne recensent que quelques dizaines de signalements. Il ne peut pas y avoir autant de jeunes femmes qui se présentent dans les consulats britanniques et si peu dans les consulats français. Avez-vous un retour de la part des personnes qui se présentent dans les consulats français ?

Docteur Kouyaté, vous avez raison sur le fait que le problème doit être traité au niveau international. J'ai cependant une autre préoccupation. Si la loi a changé en France, notamment sur le mariage forcé, il semble qu'un recul soit intervenu à cet égard dans certains pays africains, notamment au Mali. Avez-vous l'impression de telles régressions dans certains pays, où la loi va à l'opposé de ce que nous souhaitons ?

Mme Laurence Rossignol. - Étant donné la qualité des intervenants ici présents, je pense que tout ce qui devait être dit sur les mutilations sexuelles féminines l'a été. Pour ma part, j'ai été frappée par une étude publiée cette semaine qui révèle que le nombre de mutilations, en France, ne baisse pas, plus particulièrement le nombre d'excisions pratiquées pendant les vacances.

Je serai quelque peu polémique. Dans les milieux féministes, il existe aujourd'hui des débats compliqués sur la place des « accommodements raisonnables » par rapport à la culture et à la religion. Je vois émerger des personnalités nouvelles avec lesquelles je ne partage pas un certain nombre d'idées, mais qui pour autant se disent féministes. Je n'ai pas vocation à dire qui est féministe et qui ne l'est pas, mais je considère à tout le moins qu'être féministe, c'est porter des revendications qui rassemblent les féministes. Je souhaiterais que ces personnalités nouvelles, qui prennent en compte le féminisme dit « intersectionnel », s'engagent davantage dans la lutte contre les mutilations sexuelles. Elles ont une audience auprès des jeunes filles et des familles, elles portent quelque chose. Or je suis un peu désolée que ce soit nous, les « vieilles féministes blanches », qui portions ce combat, alors que d'autres personnalités pourraient aussi le soutenir. C'est dommage. Je les interpelle par votre intermédiaire et celui de la salle. Rokhaya Diallo, viens avec nous ! Mets ta notoriété dans ce combat. Je te lance un appel à ce titre !

Docteur Morissanda Kouyaté. - Sur le sujet des mutilations sexuelles féminines, nous nous sommes battus pendant dix ans entre nous au lieu de nous battre sur le terrain. Les Nations-Unies, dans leur résolution de 2012, ont adopté le terme « mutilations génitales féminines ». C'est un faux débat que cette querelle terminologique, du moment que la lutte existe. N'entrons pas dans le débat sémantique.

Au Mali, la régression dont parlait Madame Conway-Mouret existe, mais il n'y a pas de loi sur les mutilations génitales féminines. Toutefois, la situation y est exceptionnelle. Dans ce pays envahi par des fous forcenés mutilant les gens au nom d'une religion qu'eux-mêmes ne connaissent pas, il y a en effet une régression. Cependant, dans beaucoup de pays tels que la Guinée, l'Éthiopie, la Côte-d'Ivoire, le Kenya, les choses avancent. En Gambie, la situation devrait s'améliorer. En 2017, le Président de l'Union africaine a fait de la lutte contre les mutilations génitales féminines la priorité.

Madame, ce sont des ignorants qui vous traitent de « vieille féministe blanche ». Nous avons besoin de nous lever ensemble pour lutter contre les violations des droits humains. Soyez fière, Madame, de votre parcours féministe.

En France, vous aimez les discussions à tout propos. En ce qui me concerne, je me sers du français lorsqu'il s'agit d'analyser un problème sous toutes ses facettes. Lorsqu'il s'agit d'aller droit au but, je me sers de l'anglais. Et d'un point de vue sentimental, je me sers de ma langue.

Mme Isabelle Gillette-Faye. - Depuis une quinzaine d'années en Angleterre, il existe des forces de police locales de lutte contre les mariages forcés, notamment grâce aux jeunes femmes indo-pakistanaises qui ont pris le problème à bras le corps. Ce combat a été entendu. Sur la question des mutilations sexuelles féminines, l'Angleterre travaille depuis environ cinq ans. La législation est devenue beaucoup plus ferme. Comme tous les autres pays européens, les Anglais se sont inspirés du modèle français. En effet, les experts français ont été auditionnés partout en Europe. Notre modèle, notamment de prévention via les centres de Protection maternelle et infantile (PMI) et les parcours départementaux, a été systématisé alors qu'en ce qui nous concerne, nous sommes toujours dans le cadre d'une application au cas par cas, selon les situations. Ce point a rendu les choses différentes, mais en France nous avons une vraie antériorité car nous travaillons sur le sujet depuis une quarantaine d'années. C'est donc notre modèle qui a servi aux autres pays européens.

Sur le code de la famille du Mali et sur la régression dont parle Madame Conway-Mouret, nous constatons des évolutions nouvelles et positives. L'âge moyen du mariage a augmenté. La scolarisation des filles a permis des avancées essentielles : c'est vraiment une bonne nouvelle. Il y a de moins en moins de mariages d'enfants, avec ou sans loi.

Bien sûr, au Niger, nous constatons encore que le taux est de 60 %, et nous nous désespérons que cela n'avance pas. En revanche, au Mali ce taux n'est que de 25 %, ce qui constitue une nette amélioration par rapport à la situation d'il y a dix ans, où on était plus proche des 50 %. Grâce à la scolarisation des filles, nous avons gagné la bataille du primaire, et nous devrons gagner celle du secondaire pour parvenir à les protéger en plus grand nombre.

En réponse à Madame Rossignol, sur la question de l'intersectionnalité, la situation est similaire à celle du mouvement féministe. Il y a différents courants chez les intersectionnalistes. Certains s'associent à la lutte contre les mutilations sexuelles féminines et contre toutes les violences faites aux femmes. Certains courants ont aussi une approche universaliste, d'autres, malheureusement, font la part belle au relativisme culturel. Je pense sur ce point que nous avons apporté la preuve, dans notre pays, qu'il était possible de combattre le relativisme culturel.

Mme Diaryatou Bah. - Quant à moi, je rêve que le mois de février dans son intégralité, au lieu d'une seule journée le 6 février, soit consacré à la réflexion sur l'excision au travers de discussions, de happenings sur les réseaux sociaux... La lutte doit dépasser les colloques et les tables rondes et inclure d'autres outils de prévention.

Mme Annick Billon, présidente. - Nous allons maintenant interrompre la captation vidéo et donner la parole à la salle.

Mme Michèle Vianès, présidente de l'association Regards de femmes. - Je remercie l'ensemble des intervenants, que je connais depuis longtemps. Regards de femmes avait déjà organisé un colloque en 2009 sur l'excision. À cet égard, je remercie vivement la délégation aux droits des femmes d'avoir réagi très vite pour inviter le Docteur Morissanda Kouyaté, dont j'ai tout récemment signalé la présence en France. Je tenais absolument à ce que sa parole soit entendue largement aujourd'hui.

Je souhaite indiquer également que je connais Diaryatou Bah depuis 2006, pour l'avoir rencontrée lors de plusieurs réunions. À l'époque, elle parlait de sa situation à la troisième personne. Aujourd'hui, vous l'avez entendue ! C'est un résultat très important pour nous, féministes universalistes. Lorsqu'Ernestine Ronai évoquait les mutilations « sexuelles » féminines, il faut insister sur le fait qu'un crime ou délit sexuel commis à l'étranger sur des personnes résidant en France peut être poursuivi en France à leur retour sur notre territoire.

Mme Véronique Séhier, présidente du Mouvement français pour le Planning familial. - J'ai été très intéressée par les propos tenus par Fatiha Mlati sur le traitement inégal en matière d'asile. Quels progrès pourrions-nous envisager pour aider les femmes et les petites filles déboutées du droit d'asile, et qui se trouvent dans des situations difficiles ?

Mme Fatiha Mlati. - Dans le cadre d'une protection pour le motif d'excision, la France peut se réjouir de ses résultats. Toutefois, le dispositif d'accueil est encore insuffisant. La loi de 2015 n'a pas anticipé la montée des flux des migrants. Aujourd'hui, les services de l'État ont juxtaposé un certain nombre de dispositifs, qui sont responsables de ces inégalités de traitement. Au-delà de l'excision, l'équité dans l'accès à la procédure demande a minima une transformation du dispositif ad hoc en dispositif CADA. Néanmoins, il est vrai que cette solution se heurte à des difficultés budgétaires. Cependant, les centres d'accueil, d'évaluation et d'orientation pourraient constituer une partie de la solution. Globalement, il y a un problème de gestion des flux et de prise en compte de toutes les populations vulnérables. Pour ma part, je reste optimiste, si l'on en croit les évolutions positives de l'OFPRA en quelques années.

Mme Ernestine Ronai. - L'une des pistes d'amélioration réside dans la formation des médecins, en particulier aux urgences. Nous pourrions nous donner pour objectif qu'au mois de février prochain, cette formation soit mise en place de manière effective. Les outils existent déjà.

Sur la politique de la France et sur le vocabulaire, il faut rappeler que Najat Vallaud-Belkacem était intervenue à l'Assemblée nationale sur les mutilations « sexuelles » et non « génitales ».

Mme Ghada Hatem. - Et puisque l'on est dans le champ sémantique, pour revenir aux réserves exprimées tout à l'heure par le Docteur Kouyaté, « réparer » est un terme psychique qui n'a rien à voir avec les voitures. Pour ma part, je suis attachée à ce mot, car il signifie que l'on prend tout en charge dans la personne, le corps et le psychisme.

Mme Françoise Morvan, présidente de la Coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF). - Je vous remercie toutes et tous, car j'ai encore appris des choses sur l'ensemble de ces sujets. En France, la lutte contre les mutilations sexuelles féminines relève des politiques publiques. Toutefois, il manque encore dans la loi l'obligation de signalement des médecins généralistes. Par ailleurs, j'attire l'attention sur l'appauvrissement de la médecine scolaire. Il faut toutefois que ces médecins se mettent, eux aussi, en position de repérage. On doit chercher à progresser en matière de repérage au niveau de la médecine scolaire, comme cela a été fait pour la PMI. Les campagnes de communication ne sont pas tout...

Mme Annick Billon, présidente. - Nous avons bien conscience de l'importance du rôle de la médecine scolaire sur ces sujets. Quant à la grande cause nationale de l'égalité femmes-hommes et de la lutte contre les violences faites aux femmes, elle doit également trouver des traductions budgétaires. On l'a vu, il existe des inégalités au niveau des territoires, liées à l'aide financière plus ou moins importante accordée aux associations.

Mme Catherine Rybus, présidente de l'association IGY. - Nous sommes des ostéopathes spécialisés traitant des femmes dans la sphère intime et sexuelle. Nous rencontrons des jeunes femmes victimes d'excision qui sont très angoissées par la perspective de l'accouchement. Nous les aidons à cheminer vers l'accouchement et à retrouver une vie sexuelle satisfaisante. Madame Ronai, pourriez-vous envisager de faire une place à la formation des ostéopathes et kinésithérapeutes ? Nous recevons des patientes adressées par les médecins pour de la « rééducation périnéale ». J'ai vingt-cinq jeunes ostéopathes qui travaillent dans notre association et qui seraient très intéressés par une telle formation.

Mme Ernestine Ronai. - La MIPROF travaille actuellement avec les kinésithérapeutes. Sans doute y a-t-il moyen d'inclure aussi les ostéopathes. Je transmettrai votre demande avec plaisir. Le Conseil économique social et environnemental (CESE) travaille en outre à la production d'un rapport sur la médecine scolaire.

Docteur Morissanda Kouyaté. - Lorsque j'évoquais la période 2015-2030, j'espère que mes propos ont été filmés. Je disais que les progrès contre l'excision étaient trop lents. Nous pouvons utiliser les termes que nous souhaitons, le débat ne doit pas être stérile. Si le mot « mutilation sexuelle » permet de cesser ces violences, utilisez-le donc. Tout doit être fait pour atteindre l'objectif qui a été fixé pour 2030, mais que personnellement je préfèrerais atteint dès 2020.

Mme Annick Billon, présidente. - Bien évidemment, le débat ne se limite pas à la sémantique. Comme vous l'avez dit, 30 millions de femmes risquent d'être excisées d'ici 2030. Il y a dans le monde actuellement une excision toutes les quinze secondes. Je pense que nous devons nous concentrer sur cette priorité, qui est de mettre fin à ces pratiques.

Comme vous l'avez compris, le Sénat est très investi sur les violences faites aux femmes. Un projet de loi est annoncé par le Gouvernement au cours du premier semestre de cette année. Un rapport sera finalisé par nos deux co-rapporteures sénatrices Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines. Je souhaite leur donner la parole quelques minutes, avant de clôturer cette belle matinée.

Mme Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - Je ferai un point sur la Convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe. Aujourd'hui, sur les quarante-sept pays signataires, seuls vingt-quatre l'ont ratifiée. Je constate, depuis quelques mois, certaines réticences à l'égard de cette ratification. J'ai été amenée à participer à des réunions avec des parlementaires de certains pays ayant signé la Convention, puis l'ayant ratifiée en première lecture. En deuxième lecture, cette ratification a fait l'objet d'un véritable combat. J'ai vu certains hommes très attachés aux valeurs de la religion, du conservatisme et de la famille, refusant de reconnaître les violences faites aux femmes dans leur ensemble. La Convention fait en effet référence à toutes les formes de violences. Les parlementaires féminines ont dû faire face à une véritable hostilité. Ceci m'a amenée à me poser des questions sur l'influence de la religion dans certains parlements où des pressions sont exercées sur les femmes parlementaires qui souhaitent ratifier la Convention d'Istanbul.

En France, nous avons été auditionnés par le GREVIO (Group of Experts on Action against Violence against Women and Domestic Violence) dans le cadre du suivi de l'application de la Convention d'Istanbul, de même que l'Autriche et Monaco. Le rapport devrait paraître prochainement.

Concernant la médecine scolaire, c'est un combat que je mène depuis longtemps, mais je n'ai pas abouti à grand-chose. Aujourd'hui, les visites médicales ont lieu auprès des tout jeunes enfants. Il existe cependant des problèmes de moyens financiers, d'autant que la rémunération des médecins scolaires n'est pas valorisée. Les postes sont vacants et le nombre de candidats est faible. Nous avons commencé un travail avec les médecins de PMI, les ARS, les rectorats et les académies. Pour les examens spécifiques concernant les mutilations, il nous a été dit qu'un examen de ce genre, fait par un homme, était parfois mal perçu.

Mme Marta de Cidrac, co-rapporteure. - En tant que co-rapporteure de notre travail sur l'excision, je retiens qu'il y a un besoin de lieux où les femmes qui ont été mutilées peuvent aller à la rencontre des professionnels. Il y a aussi un sujet de temporalité. L'éradication de ces pratiques ne doit pas être repoussée à l'infini. Enfin, le sujet des moyens est prégnant. Il nous appartient de le soulever dans nos réflexions.

Finalement, nous avons un vrai dénominateur commun ce matin. Chacun peut agir à son échelle. Continuons la lutte ensemble. Pour ma part, je reste optimiste et j'espère que nous serons de plus en plus nombreux et nombreuses à affirmer notre opposition claire à ces pratiques.

Mme Annick Billon, présidente. - Je remercie tous les participants à cette table ronde. Je remercie tout particulièrement Diryatou Bah pour son témoignage. Merci à vous, Mesdames et Monsieur.


* 1 Uefgm.org (Ensemble pour en finir avec les mutilations génitales féminines - United to end FGM)

* 2 Résolution 67/146, Intensification de l'action mondiale visant à éliminer les MGF, assemblée générale, 12 décembre 2012

* 3 Loi n°2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme droit d'asile.

* 4 Arrêté du 23 août 2017 pris pour l'application des articles L. 723-5 et L. 752-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et définissant les modalités de l'examen médical prévu pour les personnes susceptibles de bénéficier, ou qui bénéficient, d'une protection au regard des risques de mutilation sexuelle féminine qu'elles encourent.

* 5 Situation des femmes demandeuses d'asile en France après l'adoption de la loi portant réforme du droit d'asile, rapport 2017-12-18-INT-030 du Haut-Conseil à l'Égalité (HCE), publié le 18 décembre 2017.

* 6 Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles féminines.

* 7 Le professionnel face aux mineures menacées ou victimes de mutilations sexuelles féminines. Il s'adresse en premier lieu aux travailleurs sociaux et aux professionnels scolaires et parascolaires (enseignants, conseillers principaux d'éducation, psychologues scolaires, infirmières et médecins scolaires...).